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Habiter le nomadisme. L'exemple de l'habitat mobile des travellers du mouvement techno

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par Caroline SPAULT
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales - Master Recherche 2008
  

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c) The right to party: La techno, vecteur des peuples travellers.

Parallèlement, à la fin des années 1980, la nouveauté perçue de la techno, lorsqu'elle arrive des Etats-Unis (Chicago), entraîne un engouement particulier. C'est notamment le moment de l`apparition de l'ecstasy, substance amphétaminique psycho-stimulante présentée sous forme de comprimé. Néanmoins, l'usage de psychotropes illégaux, bien que faiblement constaté par les politiques publiques, crée la polémique.

11 Le Housing Act est un texte de loi anglais venant légiférer l'ensemble des modes d'habitat. Il stipule notamment que l'occupation illégale de logements vacants (squats) est interdite et que les personnes qui s'introduisent de la sorte dans des lieux inoccupés sont des intrus (trespassers) répressibles par le Criminal Law Actde 1977.

Polémique, notamment encouragée par l'ambiguïté de l'appellation dominante de la techno de
l'époque, l 'Acid acides 12

house : une variante de la house caractérisée par la présence de sons (Racine, 2002: 105).

En 1988, en Angleterre, le nombre de discothèques diffusant cette musique est encore restreint, et toutes ne répondent pas, par leurs horaires de fermeture, au besoin de danser toute la nuit : hormis pour Londres, elles doivent fermer à deux heures du matin. Les premiers sound-systems sortent alors des villes, entraînant avec eux des milliers de citadins et créent par conséquent les premières fêtes techno, organisées en dehors des réseaux institutionnels, qu'on appelle rave. Entre autres journaux à fort tirage, The Sun fait à plusieurs reprises sa Une avec le «scandale des raves », notamment le 26 juin 1989. La première page montre des jeunes danseurs sous la mention « défoncés» en lettres géantes. La légende indique: «Nuit d'extase. La danse folle de jeunes à la recherche de sensations fortes lors d'une fête secrète rassemblant plus de 11000 personnes.» L'équation certes lapidaire rave = ecstasy a longtemps fait recette, nourrissant ainsi différents discours et justifiant bon nombre de campagnes de répression.

Quant aux sound -systems, ils sont alors compris comme l'ensemble du matériel propre à un groupe permettant la diffusion du son (Disc Jockey: Dj) et de vidéos ( Live visuel avec le Visual Jockey:Vj). Ce terme exprime également la réalité du groupe, généralement une bande d'amis, réunis autour de ce matériel et de l'organisation des fêtes. L'introduction aux sound-systems se fait ici da ns l'acception d'un mode de vie alternatif qui crée les conditions objectives d'une «déviance sociale collective » (Pourtau, 2004 : 109). À travers l'organisation des fêtes techno, c'est l'expérience partielle, limitée dans le temps et dans les domaines d'activités, d'un mode de vie différent. Un rapport original au temps, au travail, à l'argent permet l'élaboration de normes et de valeurs déviantes. Mais la proximité avec la société globale, omniprésente, engendre le métissage de ces dernières et, crée des situations conflictuelles.

12 La Ho use Music est née au début des années 1980 à Chicago. Originellement lié à l'histoire des DJ, son nom provient du Warehouse, club où officiait le DJ Frankie Knuckles. La House est fondamentalement constituée d'un rythme minimal, d'une ligne de basse proche dufunk et de voix, samplées ou non.

Par ailleurs, il semble que l'entrée dans un sound-system marque la possibilité de vivre la fête sur le long terme, au-delà d'une nuit. L'organisation en sound -system a pour fonction d'assurer l'acclimatation de l'expérience de la rave en mode de vie plus global. Ce mode de vie peut être qualifié de «technoïde », façon de désigner « les tenants de cette culture, comme à d'autres époques et pour d'autres cas, les termes hippies ou punk» sont employés (Pourtau, 2004: 100-101).

Selon Howard Becker, dans une carrière déviante, la dernière étape consiste à entrer dans un groupe déviant organisé qui offre ainsi un destin commun (1985: 62). La mise en commun permet en particulier de transformer le rapport entre le sujet et la société. Jusque-là, une déviance solitaire est considérée comme le signe d'une inadaptation, d'une faiblesse. En s'agglomérant à d'autres, elle devient une différence assumée. Ainsi, la vie en communauté des technoïdes se base sur les mêmes raisons qui poussent d'autres jeunes adultes à vivre en colocation: des arguments économiques et des liens affectifs. Dans le cas du sound -system , la mise en commun des compétences et des biens pour organiser les soirées s'étend, dans les faits, à une mise en communauté.

L'expérience groupale de la marge chez les technoïdes peut être lue comme une forme
d'anachorétisme, comprise comme le mode de vie des ermites vivant à l'écart de la société.
Dans tous les cas, il s'agit d'échapper à l'influence des normes sociétales et d'essayer de

13

construire non pas un système alternatif mais une « zone d'autonomie temporaire » (Bey, 1991: 10), régie par des règles et des valeurs différentes. Mais jusqu'ici, l'effet formatant de la société globale semble avoir souvent raison sur le moyen terme des cultures alternatives. La dissolution de ces groupes est avérée. Néanmoins, il est encore un peu tôt pour conclure sur le mouvement technoïde des travellers réunis en sound-system, mais il semble bien qu'une partie du mouvement prenne la direction d'un retour à un mode de vie individualiste classique.

13 «Une zone d'autonomie temporaire ne se définit pas. Nous n'avons aucune envie de la définir ou d'élaborer des dogmes sur la manière dont elle doit être créé [É] Je suggère que la zone d'autonomie temporaire est le seul temps et le seul espace où l'on peut exister, pour le pur plaisir du jeu créatif, et comme une réelle contribution aux forces qui permettent à la zone de s'agréger et de se manifester.» (Bey, 1991)

14

Ceci étant dit, jusqu'au milieu des années 1990, on assiste à la diffusion massive de flyers . Cette massification témoigne de la densité que prennent les fêtes techno illégales en Grande- Bretagne. Lors de l'été 1992, à Castlemorton, est organisé le plus important de ces rassemblements réunissant entre 25000 et 40000 participants.

Le grand rassemblement techno de Castlemorton en 1992.
Photographie prise par Alan Lodge.

Courant 1994, après des centaines d'interventions policières, d'arrestations et une répression sans grand effet, le gouvernement anglais conservateur frappe un grand coup en imposant le Criminal Justice Act. L'ambition de cette loi est à la fois de lutter contre les raves clandestines et le nomadisme émergeant de ces pratiques. La cinquième partie de la loi réprimande notamment les réunions non autorisées sous l'emblème d'une musique «aux rythmes répétitifs» et donne aux autorités le pouvoir de saisir immédiatement le matériel du sound-system. La loi est adoptée et rapidement mise en place. C'est à partir de cet ultimatum que l'on constate en Angleterre la synergie entre les new age travellers, d'anciens amateurs de discothèques devenus ravers, et une partie du mouvement punk délogé des squats. De ce creuset anglo-saxon, naît le mouvement des travellers, des tribes [tribu] comme ils aiment à s'appeler, des «technomades» (Colombié, 2001: 17). Les résultats de la dernière injonction ne se sont pas fait attendre. La plupart des travellers réunis autour de sound-systems et de véhicules aménagés en logis, quittent la terre britannique pour le continent.

14 Le flyer est un tract annonçant un événement, mentionnant généralement le nom des Djs ou des soundsystems, des styles de musique, ainsi qu'un numéro de téléphone accompagné d'un code accédant à l'itinéraire à suivre pour se rendre à la fête.

Les plus célèbres de ces migrations sont réalisées par les Desert Storm, les SoundConspirancy et les Tomahawk. Ces trois sound-systems accomplissent entre 1994 et 2002, les premiers longs convois hors union européenne. Ils deviennent sans le savoir à cette époque, les pionniers d'un mouvement transnational de travellers techno . Sous l'égide du nom des World Travellers Adventures, les trois escapades sont filmées et largement diffusées. Ils se rendent en Afrique, en Iran, en Inde et en Bosnie dans le dessein de conjuguer leur mode de vie, la musique techno et ses fêtes et les cultures locales des pays qu'ils traversent. Aussi, ils participent activement à une oeuvre humanitaire en ramenant matériels scolaires et médicaux dans des espaces démunis de tout aide caritative.

«On est parti sans argent, avec trois véhicules. On a perdu tant
de choses, quatre chiens, nos trois camions, tout notre argent,

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mais on a réussi à faire ce qu'on voulait faire [É] »

On se souvient d'un extrait de l'ouvrage Technomades, rédigé par Thierry Colombié, qui humanise sur une trentaine de pages le bus du sound-system des Spiral Tribe appelé Spibus. En voici un aperçu:

«Je suis une légende, ne le criez pas sur tous les toits des bagnoles, cela me vexerait, pourtant, c'est vrai, je suis une légende. On m'aperçoit de loin car je suis haut et long. Je fume noir, et tous les compagnons de la route, les beaux, les vieux, les rutilants, les chargés, les dans-le-fossé, les gyrophares, tous m'accablent de coups d'avertisseurs énormes, mais, depuis le Pakistan et l'aide de Lucces, je pavoise car je crie plus fort que ces nababs de la route qui se croient tout permis. Je suis le roi de l'underground, le quidam des voyageurs. Je trace les pistes. Je suis invisible, gris, de plus en plus gris [É]

J'ai des souvenirs qui me reviennent en boucle surtout dans les longues montées où je peine de tous mes va-et-vient de pistons enflammés pour aller voir de l'autre côté de la colline, pour mener à bien la mission de mes protégés. Et des missions, j'en ais construit avec toute la force de nos décibels, avec toute la rage de cette insurrection permanente qui décuple les ardeurs de mes favoris, de tous ces enfants qui se sont assis à mon volant, rêvant de parcourir le monde comme leurs parents. Je suis une légende. J'ai tracé la plupart des pistes électroniques en Europe, édifié la carte routière des sites peinards, où coule à proximité un filet d'eau pour laver les hommes et abreuver mes tuyaux, laissé mes traces de pneus souvent lisses dans

15 Andrew, 36 ans, ingénieur son dans la troupe des Bassline Circus, ex-membre actif du sound-system Desert Storm. Entretien traduit de l'anglais, Londres, le 20/08/2007.

toutes les teufs, les festivals et autres fêtes de l'underground, squatté les squats, fait des bras d'honneur aux bus ennemis, bouffis de gorilles robotisés, taché de mon huile avariée les plus beaux bitumes du monde»

(Colombié, 2001: 139-145).

Le sound-system Desert Storm en Bosnie, en 1996.
Annonce publique de lafree-party du jour.
Photographie prise par Wilfrid Estève.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo