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Le pronom personnel de la troisième personne: Place et référence en français classique et en français moderne

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par Rose SENE
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Master 2006
  

Disponible en mode multipage

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UNIVERSITÉ CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR

FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

DEPARTEMENT LETTRES MODERNES

* * * * * * * *

* * * * * * * *

MEMOIRE DE MAITRISE

THEME : LE PRONOM PERSONNEL DE LA TROISIEME PERSONNE : PLACE ET REFERENCE EN FRANÇAIS CLASSIQUE ET EN FRANÇAIS MODERNE.

Présenté par : Sous la direction du :

ANNEE ACADEMIQUE 

2005 - 2006

Mademoiselle ROSE SENE Pr. NGUISSALY SARRE

DEDICACES

Je dédie ce travail

- à ma feue grand mère

- à mon père

- et à ma mère

REMERCIEMENTS

J'adresse mes sincères remerciements 

- à mon encadreur le Professeur Nguissaly Sarré qui m'a beaucoup encouragée

- à ma toute ma famille, particulièrement

- à ma soeur Afi

- à son mari Oumar qui m'a apporté toute son aide

- à ma soeur Yacine

- à Talla

- et à tous mes amis

CORPUS :

- EN FRANÇAIS CLASSIQUE :

MOLIERE, 1672, Les femmes savantes, édition Larousse classique

LA FAYETTE (Mme de), 1678, La Princesse de Clèves, texte intégral, collection Folio « 778 »

- EN FRANÇAIS MODERNE :

FLAUBERT (GUSTAVE), 1869, L'éducation sentimentale, collection livre de poche, librairie Générale Française, 1983

ABREVIATIONS

Fem. sav. : Les femmes savantes

Ed. sent. : L'éducation sentimentale

Pr. de Clèves: La princesse de Clèves

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION.......................................................................9

PREMIERE PARTIE :

Place du pronom personnel de la troisième personne

en français classique et en français moderne....................................17

CHAPITRE I :

Le pronom personnel en fonction sujet...................................18

I - Le pronom personnel sujet séparé du verbe..............................21

1-1- Le pronom personnel sujet suivi d'une négation........................21

1-2- Le pronom personnel sujet avec un pronom personnel

complément......................................................................22

II- Le pronom personnel dans une construction inversive..................24

2-1- Le pronom dans une tournure interrogative..................................24

2-2- Le pronom dans une tournure explicative....................................26

III- L'absence du pronom personnel sujet.......................................30

CHAPITRE II :

Le pronom personnel en fonction objet.....................................35

I- Le pronom personnel objet avec deux verbes successifs..............37

II- Le pronom personnel objet complément de l'impératif................42

III- Le pronom personnel séparé du verbe.....................................46

2-1- Le pronom personnel suivi d'un adverbe + infinitif.....................47

2-2- Le pronom personnel suivi d'une négation + infinitif....................48

DEUXIEME PARTIE :

Référence du pronom personnel de la troisième

personne en français classique et en français moderne......................52

CHAPITRE I :

Qu'est-ce que la référence d'un pronom....................................53

I- Les modes de référence .........................................................56

1-1- La référence hors du texte......................................................57

1-2- La référence au texte............................................................68

II- La relation entre le pronom et son antécédent...............................75

2-1- L'accord du pronom anaphorique avec son antécédent...................75

2-2- La mise en évidence du terme anaphorisé....................................81

2-2-1- Le rapprochement de l'antécédent au pronom ..............................82

2-2-2- La coréférence de deux pronoms identiques dans une phrase.............88

CHAPITRE II :

La classification référentielle du pronom personnel

représentant et les écarts dans l'usage entre le

français classique et le français moderne....................................94

I- La représentation d'un groupe nominal, d'un adjectif,

d'un verbe ou d'un énoncé.................................................95

1-1- Les pronoms sujets il et elle....................................................96

1-1-1- Le pronom il anaphorisant un énoncé.........................................97

1-1-2- Le pronom il impersonnel en concurrence avec le démonstratif ce.......98

1-2- Les pronoms personnels compléments......................................102

1-2-1- Le pronom le référant à une idée, un énoncé ou un groupe verbal......103

1-2-2- Le pronom le représentant un adjectif ou ayant la fonction attribut.....104

1-2-3- Les pronoms la, les à la place du pronom neutre le........................104

1-2-4- Les pronoms adverbiaux en et y..............................................106

II- La représentation non coréférentielle du pronom personnel de la troisième personne .............................................................109

2-1- L'anaphore non coréférentielle d'un nom à déterminant zéro en français classique..........................................................................109

2-2- L'anaphore non coréférentielle d'un nom déterminé par le pronom en en français classique et moderne.................................................113

2-2-1- Le passage du général au particulier.........................................113

2-2-2- Le passage du singulier au pluriel............................................114

2-2-3- Le passage du pluriel au singulier............................................116

III- La représentation des personnes et des choses par

le pronom personnel de la troisième personne............................117

3-1- Les pronoms soi, en, y représentant des noms de personnes.............118

3-1-1- Le pronom soi à la place de lui...............................................119

3-1-2- Les pronoms en et y avec un référent humain..............................122

3-2- Les pronoms lui, elle, eux représentant des noms

de choses à la place de soi, en et y...........................................127

3-2-1- Le pronom lui à la place du réfléchi soi.....................................127

3-2-2- Le pronom lui à la place de en et y ou représentant une chose...........128

CONCLUSION.........................................................................131

INTRODUCTION :

L'étude du pronom personnel en français classique et en français moderne nécessite le rappel des évènements qui, dans les siècles précédents, ont participé à sa régularisation dans l'usage, tel que nous avons trouvé ce pronom dans la langue du dix septième siècle.

Si la période du moyen français, s'étendant du début du quatorzième à la fin du quinzième siècle, est décrite comme une période d'instabilité de la langue française, période où la langue reste incertaine, sans règles fondamentales, où tous les traits de l'ancien français qui étaient pour la plupart hérités du latin, tendent à disparaître, le seizième siècle, par contre arrive avec un souci d'équilibre de la langue. Les grammairiens de cette époque ont commencé à donner à la langue plus d'autonomie .

Tout au début, Du Bellay, dans sa célèbre Défense et Illustration de la langue française en 1549, préconise l'enrichissement de la langue élevée au rang de langue administrative et littéraire telle que l'a voulu l'Ordonnance de Villers Cotterets en 1539. Ainsi les grammairiens du seizième siècle vont s' appliquer dans ce domaine pour donner à la langue

française la pureté des langues anciennes,comme le confirme Henri Estienne (1531-1598) dans son ouvrage intitulé traité de la conformité de la langue français avec le grec où il préconise une précellence du français par rapport aux autres langues.

Dans cette lancée, les grammairiens et théoriciens de la langue française vont se charger d'instaurer les règles d'usage, en fixant les traits morphologiques, sémantiques et syntaxiques. C'est pourquoi, pour les exigences de cette étude que nous entamons sur les pronoms personnels, plus précisément sur ceux de la troisième personne, nous aurons besoin de l'appui de ces théoriciens de la langue. Ce qui nous permettra d'apporter une plus large explication sur l'historique des pronoms qui nous occupent mais aussi sur tous les changements qui se sont opérés dans l'emploi de ces derniers à travers les grandes périodes de l'histoire du français : surtout entre la langue du dix septième siècle et celle de nos jours.

D'après une définition étymologique le pronom est le mot qui tient la place d' un nom . Ce nom étant souvent une personne (surtout avec les pronoms de la première et de la deuxième personne), les morphèmes qui tiennent la place d'un substantif (être, objet ou un fait ) et qui caractérisent les personnes du verbe sont appelés les pronoms personnels. En effet, Ferdinand Brunot et Charles Bruneau 1 , parlant du pronom personnel de la troisième personne qu'ils désignent sous le terme de  lui, disent qu' il « tient la place d' une personne ou d' une chose absente, déjà connue ou désignée antérieurement : c'est véritablement un « pronom » un mot qui tient place d'un nom. » En français, les pronoms personnels

(1) Brunot (Ferdinand) et Bruneau (Charles), Précis de grammaire historique de la langue française, 4e ed. .Paris, Masson et Cie .1956. Page 267.

participent à la clarté et à la cohérence d'un énoncé. Ils sont présents dans la phrase pour indiquer l'être qui fait ou subit l action exprimée par le verbe, ou qui est dans l' état exprimée par celui-ci .Ils peuvent avoir une fonction de sujet ou de complément .

Il n'en était pas ainsi en latin, langue mère du français, où les désinences verbales étaient assez distinctes pour marquer la personne .Le pronom personnel existait déjà, mais il n' était présent au nominatif (c'est à dire en fonction sujet) que dans les cas où il servait :

a) à faire une opposition de personne, lorsqu'il est utilisé dans une phrase avec deux sujets différents .

b) à mettre en relief le sujet du verbe, dans une phrase à la forme emphatique.

En ce sens Gilbert Etienne 2 soutient qu'« en latin, la personne du verbe est clairement indiqué par la terminaison . Le pronom personnel sujet n'est exprimé que si l'auteur veut insister sur la personne du sujet : cette insistance doit apparaître en français, par l'emploi de la forme emphatique ».

Il pouvait aussi être employé pour débuter une phrase où le verbe est à la voix pronominale, pour éviter que le pronom réfléchi soit à la tête.

C'est ainsi que Nyrop 3 explique  que le pronom sujet manque ordinairement dans les plus vieux textes et donne l'exemple suivant :

« Blanc ai le chief e la barbe ai chenude »

St. Alexis, v.406,

(2) Etienne (Gilbert), Grammaire Latine _ De la grammaire à la version-, éditions H. Dessain 1987- P.63

(3) Nyrop (Kr.), Grammaire historique de la langue française, Tome V, Paris Alphonse Picard et fils, 1925. Page 206

Le système des pronoms était en ancien français fondé sur l'opposition entre emploi de pronom et absence de pronom .La présence de celui-ci était comme une formule d'insistance.

Tout au cours de l' ancien français, leur usage restait toujours peu fréquent dans les textes : le pronom sujet pouvait ne pas être exprimé car le verbe portait en lui même, au niveau de sa désinence, la marque de personne.

« Et orent ce premier jour et le second assés bon vent et... »

(Froissart, Chroniques. p.72)

En plus, à cette période, avec les bouleversements phonétiques subis par les pronoms, s'est développée une série de formes avec les pronoms compléments , suivant qu'ils se trouvaient en position accentuée ou non .Ferdinand Brunot et Charles Bruneau 4 expliquent alors que les deux formes  pouvaient être utilisées « selon des lois phonétiques : avant le verbe, c'est toujours la forme non accentuée  que l'on trouve ; après le verbe et après une préposition, c'est toujours la forme accentuée. »

Dés lors le système latin sera concurrencé par celui qui met en concurrence des pronoms atones et des pronoms toniques.

« Et depuis li fu ramenteu, quand li mariage fu tretiés de de lui et... » (Froissart, Chroniques p.70)

En moyen français avec l'aplanissement des désinences verbales dû au développement phonétique et analogique, l'addition du pronom personnel sujet est devenue peu à peu nécessaire voire obligatoire. En effet, Wagner et Pinchon expliquent  que les pronoms personnels « ont

(4) Brunot (F) et Bruneau (Ch.), Précis de grammaire historique de la langue française, 4e ed. .Paris, Masson et Cie 1956. Page 270

pour rôle de marquer la personne du verbe. Lorsque les personnes du verbe ne sont pas phonétiquement différenciées, ces pronoms permettent seuls de distinguer les trois personnes du singulier et la troisième du pluriel. »5 Mais aussi, en ce moment, le pronom sujet a perdu toute sa force et est devenu atone.

Les pronoms personnels apparaissent alors sous une forme atone au cas sujet et sous une forme atone ou tonique, suivant qu'ils se trouvent avant ou après le verbe, au cas régime.

Les formes du pronom personnel de la troisième personne proviennent essentiellement du démonstratif d'éloignement ille qui s'est décliné suivant les cas du latin. En effet, selon le latiniste Gilbert Etienne 6 , le latin ne dispose que de se issu de  sese, pronom réfléchi, comme forme propre du pronom personnel de la troisième personne. Ce dernier, tout comme le démonstratif fonctionne comme un indicateur ou comme un représentant dans l'énoncé, c'est à dire qu'ils sont dans une phrase pour désigner un objet, une personne ou pour renommer un nom présent dans le texte. Ses formes se partagent en deux séries suivant leur fonction, en français classique comme en français moderne :

* Les formes atones il(s) et elle(s) se spécialisent dans la fonction sujet.

* Les formes toniques lui, leur, soi et eux ainsi que les atones le, la, les, se sont particularisées dans la fonction objet.

Dans ces deux dernières séries se dégage une autre série de formes suivant leur nature réfléchie : lui, eux, elle(s), se, soi .

Dans cette dernière série  se  est toujours atone alors que, elle(s), eux

(5) Wagner (R.L) et Pinchon (J.), Grammaire du français classique et moderne, éd. revue et corrigée, Paris, Hachette, 1962, p. 168

(6) Etienne (Gilbert), Grammaire Latine _ De la grammaire à la version-, éditions H. Dessain 1987 P. 65

et soi sont toniques. Cependant  lui  peut avoir une valeur atone ou tonique, selon qu'il se trouve respectivement avant ou après le verbe.

En dehors de ces formes, il existe des pronoms qui sont considérés par les grammairiens comme faisant partie des pronoms personnels de la troisième personne. Il s'agit des pronoms adverbiaux en et y qui sont à l'origine deux adverbes de lieu signifiant successivement de là et . Ils sont aussi parfois appelés adverbes personnels. Ces pronoms ont, dés l'ancien français, pris la nature de pronom personnel lorsqu'ils ont la fonction de complément d'objet direct ou indirect. Ils traduisent ainsi les expressions de lui, d'elle(s), d'eux, de ceci, de cela pour en et les expressions à lui, à elle(s), à eux, à ceci, à cela pour y .

En plus de ces pronoms adverbiaux il y aura aussi le pronom indéfini on dont l'emploi est souvent entré en concurrence avec le pronom personnel ils, depuis le latin jusqu'à la période classique .

Ces pronoms ont aussi, d'après Ferdinand Brunot et Charles Bruneau 7 « pris la valeur de représentant. »Ils feront alors partie intégrante de cette étude que nous entamons sur la place et la référence du pronom de la troisième personne.

Notre travail consistera à faire une étude de tous les emplois de ce pronom, d'abord en français classique en nous servant des écrits des auteurs de cette époque et ensuite en français moderne en utilisant des oeuvres du français moderne . Ces emplois du pronom personnel sont régis par des règles, que ce soit en français classique ou en français moderne.

(7) Brunot (F) et Bruneau (Ch.), Précis de grammaire historique de la langue française, 4e ed. .Paris, Masson et Cie .1956. P.286 

Il sera alors question d'étudier les emplois du pronom personnel en français classique par rapport aux règles d'usage qui ont été fixées par les grammairiens et théoriciens de langue et de la même manière, les emplois du pronom personnel en français moderne. Il s'agira d'une comparaison de deux états de langue différents.

Dans la présente étude, trois oeuvres ont été choisies - les deux, en français classique : Les femmes savantes de Molière et La Princesse de Clèves de Madame de La fayette, la troisième en français moderne : L'éducation sentimentale de Gustave Flaubert - pour servir de support à l' étude que nous ferons sur la place et la référence du pronom personnel de la troisième personne.

S'agissant de la place du pronom, il sera question de situer celui-ci qu'il soit en fonction de sujet ou de complément, par rapport au verbe qu'il accompagne dans la phrase. Et concernant la référence du pronom, il s'agira d'étudier les règles de reférenciation d'un pronom qui a généralement une valeur anaphorique, c'est à dire qui a les propriétés de référer à un mot, une proposition ou une idée déjà présente dans l'énoncé. Cette reférenciation a posé des problèmes dans les oeuvres littéraires, de telle sorte qu'il y eut quelques difficultés dans le choix du référent. Notre travail consistera aussi à trouver le bon référent et à étudier tous les modes et les capacités référentielles du pronom de la troisième personne en français classique et en français moderne.

PREMIERE PARTIE

La place du pronom personnel de la troisième personne

Contrairement à la langue latine où l'ordre des mots avait une valeur expressive, le français définit une place bien précise pour chaque mot de la phrase suivant la fonction qu'il y occupe.

Cette régularité de construction a commencé au cours de l'ancien français. Et sur le plan syntaxique, elle est venue jouer le rôle qu'avaient les six cas de la déclinaison latine qui ont été réduits à deux à cette période.

Dés lors, la place du mot dans la phrase aide à déterminer sa fonction et selon A. Dauzat : « l'ordre des mots (...) a pris peu à peu une valeur logique pour exprimer des rapports et suppléer à la défaillance des réflexions. » 8

Alors, quelle que soit sa fonction sujet ou complément, le pronom personnel du français moderne occupe des places respectives dans la phrase. Cette exigence a été plus stabilisée par les grammairiens classiques car en ancien et moyen français, les pronoms, étant toujours accentués, étaient encore indépendants du verbe. Cependant, comme le précise Nyrop : « l'évolution s'est faite lentement, et, dans quelques cas ils ont gardé leur valeur tonique jusque dans le XVIIe siècle.» 9

En effet, malgré les règles établies, la langue classique notamment celle du XVIe siècle a gardé quelques caractéristiques de la vieille langue, qui n'ont d'ailleurs pas survécu jusqu'à la fin du XVIIe siècle.

(8) Dauzat (Albert), Historique de la langue française, Paris, Payot, 1930, p. 425

(9) Nyrop (Kr.), Grammaire Historique de la langue française, TV, Paris, Picard et fils 1925 p. 212

CHAPITRE I :

Le pronom personnel en fonction sujet

Avant d'étudier la place qu'occupe le pronom personnel de la troisième personne en fonction sujet par rapport à son syntagme verbal, il faut d'abord préciser le fait, qu'à part les formes atones il (s), elle (s) et on qui servent exclusivement de sujet, il existe des pronoms accentués lui, elle et eux qui peuvent remplir cette fonction en français. Ils sont souvent renforcés par les adverbes seul et même et sont très indépendants du fait de leur accentuation. Tandis que le pronom personnel atone est généralement en liaison très étroite avec le verbe.

Dans une construction directe, ce dernier, se place régulièrement devant le verbe et est défini par Georges et Robert Lebidois « Comme une préflexion nécessaire. »10  

« Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manoeuvre, puis il se planta tout prêt de son ombrelle, posée contre le bans, et il affectait d'observer une chaloupe sur la rivière. »

(Flaubert, Ed. sent.- p.7)

(10) Lebidois (Georges et Robert), Syntaxe du français moderne, ses fondements Historiques et psychologiques, Tome I, Paris, Picard, 1935..P.127

Comme le montre cet exemple du français moderne, le verbe vient juste après le pronom personnel sujet et ils ne peuvent être ni éloignés, ni séparés par un autre mot de la phrase. Cette règle est tout aussi valable en français classique, tel que nous l'avons trouvé dans les textes de cette époque.

« Mon père est d'une humeur à consentir à tout,

Mais il met peu de poids aux choses qu'il résout ;

Il a reçu du ciel une bonté d'âme... »

(Molière, Fem.sav.v.205-7)

« Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l'on doit croire que c'était une beauté parfaite, puisqu'elle donna de l'admiration dans un lieu où l'on était accoutumé à voir de belles personnes. »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.136)

La position du pronom personnel sujet par rapport au syntagme verbal n'a pas changé entre la langue classique de la fin du XVIIe siècle et la langue moderne. Cette absence d'écart entre ces deux périodes est due au fait que les écrivains de cette première époque ont eu le temps d'adopter la règle d'emplacement du pronom personnel sujet. En effet, elle a été fixée, bien avant le français classique, après que celui-ci est devenu atone.

En ancien et moyen français, il était accentué et pouvait se mettre à l'écart. Mais au cours du temps, il a fini par perdre son accent et s'est ainsi rapproché du verbe. Selon Nyrop, « l'usage médiéval est représenté par le passage suivant :

« Et il qui mout estoit soutils (Joinville ? 583).»11

(11) Nyrop (Kr.), Grammaire Historique de la langue française, TV, Paris, Picard et fils 1925, .P.212

Ce que le français moderne aurait rendu par : Et lui qui était très subtil en remplaçant le  il  devenu atone dès lors, par la forme forte lui  qui convient actuellement

Ce type de construction ne s'est pas limité à cette période car il continue jusqu'au XVIe siècle, période transitoire entre la langue médiévale et la langue classique, où on observe des cas d'emploi où le pronom personnel sujet n'était pas encore tout à fait faible et restait éloigné du verbe. Mais ils ne sont qu'une pure imitation de la langue de l'époque précédente car par la suite on ne les retrouve que dans quelques tournures archaïques chez certains auteurs classiques. Cependant, ils n'ont pas totalement disparu du moderne qui en a gardé une survivance avec le pronom personnel de la première personne je dans la formule administrative Je soussigné... 

Ainsi, malgré quelques exceptions, l'usage classique a fini par admettre que le pronom sujet il  était devenu complètement faible.

En ce sens, il ne diffère pas de la langue moderne qui a hérité des normes du XVIIe. Il, pronom faible, ne pouvait donc plus être employé à la place de la forme forte lui. Sa place était alors fixée devant le verbe auquel il était étroitement lié.

Mais cette règle n'est valable que dans les constructions directes (sujet + verbe), c'est-à-dire dans les phrases affirmatives, car dans tout autre cas, le pronom personnel sujet peut occuper une autre place que celle qui lui est généralement attribuée.

I- Le pronom personnel sujet séparé du verbe :

Nous avons dit que le pronom sujet, dans une construction directe, se plaçait régulièrement juste devant le verbe, et était comme « une préflexion ». Ceci n'est pas tout à fait vrai cependant dans les cas où :

- Le verbe est à la forme négative

- Le verbe est précédé d'un pronom personnel complément

1-1- Le pronom personnel sujet suivi d'une négation :

Lorsque le pronom personnel sujet se construit avec le verbe à la forme négative, ce dernier s'accompagne des locutions adverbiales ne...pas, ne...plus, ne...guère, ne...point, ne...rien.

Celles-ci se mettent de part et d'autre du verbe dans la formule  ne + verbe + pas (plus, point, etc....)

La particule négative ne vient après le sujet et le sépare alors du verbe. Ceci est applicable aussi bien en français classique qu'en français moderne puisqu'il en est ainsi depuis l'ancien français.

En effet, A. Dauzat, situant le groupe négatif dans la phrase précise qu'  « avec les temps personnels, la place n'a pas changé depuis le XVIIe siècle : ne précède le verbe, et la particule de renforcement (mie, point, pas) suit le temps simple et s'intercale entre l'auxiliaire et le participe. »12

  « Vous savez que de bien il n'a pas l'abondance. »

(Molière. Fem.sav. v403)

(12) Dauzat (A), Historique de la langue française, Paris, Payot, 1930, .P.433

« Il ne prit pas seulement le soin de chercher des prétextes pour rompre avec elles ; il ne put se donner la patience d'écouter leurs plaintes et de répondre à leurs reproches. »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.162)

« Mais au souvenir de Madame Arnoux, son chagrin s'évanouit.

Il ne parla pas d'elle, retenu par une pudeur. »

(Flaubert, Ed .sent . p.18)

Ne fonctionne dans ces exemples comme un proclitique et rompt le lien qui unissait le pronom personnel sujet atone au verbe. Mais, il n'est pas seul à avoir cette possibilité, car il peut être suivi d'un pronom complément.

« Du nom de philosophe elle fait grand mystère,

Mais elle n'en est pas pour cela moins colère.»

(Molière, Fem. sav. v 667.8)

«  Elle ne se flatta plus de l'espérance de ne le pas aimer ; elle songea à ne lui en donner jamais aucune marque. »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.194)

1-2- Le pronom personnel sujet suivi d'un pronom personnel complément :

Lorsque les pronoms personnels compléments me, te, se, le, la, les, leur viennent seconder le pronom personnel sujet, ils se placent entre celui-ci et le

verbe dont ils sont compléments. Il en est ainsi depuis la période de l'ancien français car ils sont des pronoms atones qui suivaient généralement le verbe en latin. Mais, en français ils ont toujours fonctionné comme des proclitiques (sauf parfois à l'impératif où ils peuvent suivre le verbe). Ainsi, au XVIIe siècle, Vaugelas exige qu'ils soient mis auprès du verbe dont ils sont compléments.

« Il me le dit, ma soeur, et, pour moi, je le crois. »

(Molière, Fem. sav. v.113)

Les pronoms personnels nous et vous ainsi que le personnel lui, peuvent aussi se mettre entre le pronom personnel sujet et le verbe et dans ce cas, ils deviennent des proclitiques atones.

« Et d'un coeur qu'on vous jette, on vous voit toute fière.»

(Id. ib. v. 191)

« Cette fermeté d'âme à vous si singulière

Mérite qu'on lui donne une illustre matière »

(Id. ib v. 1554)

« Je lui ai ouï dire plusieurs fois dire qu'elle était née le jour que Diane de Poitiers avait été mariée ; »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.158)

Et en français moderne :

« Mme Arnoux s'était avancée l'antichambre. Dittmer et Hussonet la saluaient, elle leur tendit la main ; elle la tendit également à Frédéric ; ... »

(Flaubert, Educ. sent. p.58)

Il en est de même avec les adverbiaux en et y qui ont pris la valeur de pronom personnel complément depuis l'ancien français.

 « Il est vrai que l'on sue à souffrir ses discours. Elle y met Vaugelas en pièce tous les jours ; »

(Molière, Fem. sav. v. 521-2)

« ...il aimait Mme de Tournon, il en était aimé et ne le verra jamais ; »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.186)

Concernant ces constructions (avec la négation ne et les pronoms personnels compléments), il n'y a pas eu de différence entre le français classique et le français moderne parce que les règles ont été mises en place depuis l'origine.

Dans tous ces cas, le pronom personnel sujet bien qu'étant séparé du verbe, se plaçait toujours devant. Cependant, il peut être placé après le verbe.

II- Le pronom sujet dans une construction inversive :

Dans la construction inversive, le pronom sujet est transposé derrière le verbe. Il en est ainsi dans deux cas typiques.

2-1 Le pronom dans une tournure interrogative :

La tournure interrogative : verbe + pronom personnel sujet est très usitée en langue classique car elle était encore très à la mode. En effet, selon Dauzat :

« Le type verbe- sujet -complément s'est spécialisé dans le Moyen Age au tour interrogatif. »13 Cet emploi a eu beaucoup de succès au XVIIe siècle : dans Les Femmes Savantes de Molière nous avons constaté que près de 40% des tours interrogatifs présents dans l'oeuvre ont été construits sous la forme d'une simple inversion du genre verbe + sujet.

« Ah ! Ce oui se peut-il supporter ?

Et sans un mal de coeur saurait-on l'écouter ? »

(v.5 - 6)

« _ Votre visée au moins n'est pas à Clitandre ?

Et par quelle raison n'y serait-elle pas ?

_Manque-t-il de mérite ? Est-ce un choix qui soit bas ? »

(v.88-9 - 90)

Cette tournure est d'autant plus employée qu'on la met parfois même après le pronom interrogatif pour mieux marquer l'interrogation.

« Je ne crois pas en effet qu'elle le puisse être, (...) ; et quand il serait possible qu'elle le fût, par où l'aurait-on pu savoir ? »  

(La fayette, Pr. de Clèves, p.257)

« En quel estime est-il, mon frère, auprès de vous ? »

(Molière, Fem. sav.v.338)

« Mais quelle fantaisie a-t-elle donc pu prendre ? »

(Id., ib.v.1430)

« Quel malheur digne de nous troubler pourrait-on nous

écrire ? »

(Id., ib.v.1693)

(13) Dauzat (A), Historique de la langue française, Paris, Payot, 1930, .P.434

Cette tournure inversive très fréquente en langue classique, reste encore valable en français moderne même si l'interrogation y est autant construite avec l'aide des pronoms interrogatifs (suivie d'une inversion du pronom sujet ou pas).

« Peut-être valait-il mieux courir droit au but, déclarer son amour. »

(Flaubert, Educ.sent. p. 28)

Ou encore avec un pronom interrogatif :

« Arnoux prêt de se coucher, défaisait sa redingote.

Eh bien, comment va-t-elle ?

Oh mieux dit Frédéric. Cela se passera. »

Id. ib. p.197)

2-2- Le pronom dans une tournure explicative :

Les tournures explicatives, du genre dit-il, sont utilisées pour indiquer l'auteur des prises de paroles, ou des discours directs rapportés dans les textes littéraires.

Ce genre d'emploi est presque absent dans le texte des Femmes savantes car il s'agit là d'une pièce de théâtre et il n'y a pas de discours rapporté. C'est pourquoi on ne pourrait y trouver cette tournure avec les pronoms personnels de la troisième personne.

Cependant, il n'en est pas moins que cet emploi existait et était très utilisé par les auteurs classiques.

« Des chimères - là vous devez vous défaire.

Ah ! Chimères ? Ce sont des chimères, dit-on ?»

(Molière, Fem. sav v. 392-3)

« Je sais mon bonheur ; laissez m'en jouir, et cessez de me rendre malheureux. Est- il possible, reprenait-il, que je sois aimé de Mme de Clèves et que je sois malheureux ? »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.285)

« Je ne vous apprends, lui répondit-elle, en souriant, que ce que vous ne saviez déjà que trop. »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.303)

Cette tournure inversive reste employée jusqu'en français moderne et elle est très fréquente dans les textes à dialogue.

« - Qu'est-ce donc ? dit-elle, tu trembles ?

-Je n'ai rien ! répliqua Frédéric. »

(Flaubert, Ed.sent p109)

«  A Marmars, on entendit sonner une heure et un quart. - C'est donc aujourd'hui, pensa-t-il, aujourd'hui même, tantôt. »

(Id. ib. p 122)

En plus de ces deux cas on peut trouver l'emploi inversif du pronom personnel sujet auprès de certains adverbes comme  aussi,  ainsi,  donc  etc....

Il n'est pas très fréquent, ni en français classique, ni en français moderne. Mais néanmoins, il reste utilisé comme dans ces exemples tirés de nos textes classiques.

« Aussi fais-je

Oui ma femme avec raison vous chasse. »

(Molière, Fem.sav. v.443)

« Aussi ne se pouvait-elle défendre d'en avoir, mais cette pitié ne la conduisait pas à d'autres sentiments »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.150)

Dans la construction inversive, le pronom personnel sujet fait corps avec le verbe et devient enclitique « Dans ces inversions, le personnel n'est pas moins partie intégrante du verbe que dans la construction directe, il est là comme une flexion d'arrière, qui rend en somme le même service que rendait autrefois la désinence du verbe : il indique la personne et le nombre. »14

En plus, dans la transposition du pronom personnel de la troisième personne, il peut arriver que celui-ci soit séparé du verbe. En effet, quand ce dernier n'est pas terminé par les occlusives t et d (prononcé t dans la liaison avec il, elle ou on) il se glisse alors un t graphique entre le verbe et le pronom personnel sujet de la troisième personne. Ce phénomène linguistique est tout aussi utilisé en français classique qu'en français moderne.

En plus de ces sujets atones il, elle et on il y a des pronoms lui, elle (s) et eux qui, outre leur fonction de complément, ont parfois celle de sujet. Et contrairement aux autres pronoms personnels sujets, ils ont gardé leur nature forte et peuvent en langue classique être éloignés du verbe comme le faisait l'ancien et le moyen français. Et dans ce cas, ils sont souvent renforcés par les adverbes seul, même, aussi...

(14) Lebidois (G. et R.), Syntaxe du français moderne, ses fondements Historiques et psychologiques, Tome I, Paris, Picard, 1935. .P127

« Lui seul des vers aisés possède le talent ! »

(Molière, Fem.sav. v 766)

En français moderne cependant, ce sont les formes faibles qui sont généralement utilisées en fonction- sujet. En effet, il peut arriver, comme le disent Georges et Robert Lebidois : « Que ces formes inaccentuées paraissent trop peu frappantes pour satisfaire l'esprit, pour le saisir avec force de la désignation de personne ; aussi a-t-on recours aux formes fortes. »15 On retrouve alors toujours le pronom personnel tonique en fonction sujet dans la langue moderne, mais il est dans ce cas en emploi emphatique, il est alors repris par un autre sujet.

« Martinon ne comprit rien à ses lamentations sur l'existence. Lui, il allait tous les matins à l'école... »

(Flaubert, l'Educ. sent. p.27)

Le pronom tonique lui est secondé ici par le pronom atone il pour mieux insister sur le sujet Martinon 

« ...et, quinze jours plus tard, Arnoux lui-même les vendait à un espagnol, pour deux mille francs ».

(Id. ib. p 50)

Il y a ici la forme tonique, renforcée par l'adverbe même elle est employée pour insister sur le nom   Arnoux afin de mieux l'identifier.

Il peut aussi apparaître comme sujet de l'impératif dans les constructions du genre : « Lui, qu'il vienne. »

Dans tous ces cas le pronom personnel accentué se rapproche beaucoup plus du verbe qu'en français classique où ce pronom avait plus d'autonomie.

(15) Lebidois (G. et R.) Syntaxe du français moderne, ses fondements Historiques et psychologiques, Tome I, Paris, Picard, 1935. .P129

En plus en français moderne, il n'est pas parfois un véritable sujet car il fonctionne comme un cercle antécédent, comme c'est le cas avec la forme emphatique c'est lui  suivi du pronom relatif qui + le verbe. Cette tournure était également utilisée en langue classique mais, là aussi, le pronom lui pouvait être plus éloigné du verbe.

« C'est lui qui dans des vers vous a tympanisé »

(Molière, Fem. sav. v.611)

Donc, en ce qui concerne l'étude de la place du pronom personnel sujet il n'y a pas d'écart notable entre le français moderne et la langue littéraire classique (exception faite cependant des pronoms sujets accentués qui pouvaient être employés seuls,tout en étant éloignés du verbe).

En effet, les règles de l'emplacement du pronom personnel sujet ont été fixées bien avant le XVIIe siècle, et elles étaient respectées par les écrivains classiques qui étaient plus inspirés par la langue française des siècles précédents. Mais, s'il y a un fait concernant le pronom personnel sujet qui présente des zones de divergences entre la langue classique et la langue moderne : c'est son omission devant le verbe.

2-3- L'absence du pronom personnel sujet :

La suppression du pronom personnel sujet est un phénomène fréquent chez les premiers écrivains classique qui ont tenté d'imiter la vieille langue, en usant de cette tournure archaïque. En effet, nous avons vu que l'emploi du pronom personnel sujet n'était pas partout obligatoire en ancien français. Ce fait

a beaucoup suscité l'intérêt des grammairiens et il était, dans certains cas, condamné par les grammairiens et les théoriciens de la langue française du XVIIe siècle. En ce sens, Brunot, dans Histoire de la langue française, explique que les pronoms personnels « étaient devenus des particules de conjugaison et comme tels avaient été déclarés nécessaires. La règle faite à la période précédente était universellement admise. Tout verbe sans sujet substantif devait être accompagné d'un pronom sujet. » 16 Il nous rapporte aussi dans le Tome VI du même ouvrage, une déclaration faite par l'Académie Française en 1704 : « Il n'est presque jamais permis de supprimer les pronoms personnels devant les verbes quoiqu'ils ayent été exprimé dans le premier membre de la période. » Il ajoute à la suite que « cette phrase résume tout l'effort des grammairiens du XVIIe siècle comme il annonce ce qui va suivre ».

Dans la même lancée, Wagner et Pinchon, parlant des pronoms personnels sujets, disent : « Ils sont devenus indispensables depuis que les désinences verbales, au mode personnel, ne présentent plus de différences sensibles à l'oreille et qu'elles se confondent parfois dans l'écriture ».17

Suite à ces remarques des grammairiens, l'omission du personnel sujet devant les verbes disparaît petit à petit de la langue classique. Et elle ne subsiste que dans quelques formulations archaïsantes comme les maximes.

Cependant, devant le second verbe de deux propositions coordonnées ou juxtaposées, elle subsiste dans l'usage jusqu'à la fin de l'époque classique, et même, dans certains cas, en français moderne.

« -Et croyez, quand il dit qu'il me quitte et vous aime.

Qu'il n'y songe pas bien et se trompe lui-même. »

(Molière, Fem.sav. v. 115-6)

(16) Brunot (F), Histoire de la langue française, T.IV et VI, Paris, Colin, 1966.pp 837 et 1624

(17) Wagner (R.L.) et Pinchon (J), Grammaire du français classique et moderne, Paris, Hachette, 1962.p.172

Ainsi des grammairiens comme Vaugelas admettent quelques tournures d'omission du pronom sujet et en condamnent d'autres. En effet, il note, après avoir donné l'exemple : « Nous avons passé les rivières les plus rapide et des places que l'on croyait imprenables, et n'aurions pas fait tant de belles actions, si nous étions demeurés oisifs ... », qu'il est bien plus élégant de dire : « Et n'aurions pas fait de belles actions » que si l'on disait « Et nous n'aurions pas fait... » Il ajoute : « qu'il en est de même de tous les autres pronoms personnels de la seconde et de la troisième personne singulière et plurielle... »

« Je le laisse à quelque autre et vous jure entre nous

Que je renonce au bien de vous voir mon époux. »

(Molière, Fem.sav. v. 211)

Le pronom je dans cette proposition coordonnée peut ne pas être repris en français classique, car cette dernière est une continuité de la première proposition. En effet, la reprise n'est nécessaire que quand les deux propositions s'opposent du point de vue thématique et syntaxique. C'est pourquoi Vaugelas condamne son exemple : « Nous ne sommes pas contents de nous informer du fond de celui qui emprunte, mais fouillons jusque dans sa cuisine » et nous suggère : « il faut dire, « mais nous fouillons » parce que cette particule mais fait une séparation qui rompt le lien de la construction précédente et en demande une nouvelle. »18

Cependant, les auteurs classiques n'ont pas su distinguer, dans leur imitation de la langue ancienne, les formules en usage de celles qui sont hors usage. C'est ainsi que Molière écrit :

(18) Vaugelas (Claude F.), 1647, Remarques sur la langue française, Edition Champs libres, 1981 p.58

« Et j'ai des serviteurs et ne suis point servi »

(Molière, Fem. sav v.602)

Ici la négation crée une opposition entre la première et la deuxième proposition. En plus le et de coordination a la valeur de mais. C'est pourquoi le pronom personnel sujet devait être repris dans la proposition coordonnée.

En français moderne, l'omission du pronom sujet dans une coordonnée est régularisée. La reprise du sujet n'est pas obligatoire, cependant elle est usuelle lorsque les verbes s'opposent par :

- les conjonctions du genre mais, or...

- la négation.

L'omission est admise lorsque l'on a une série d'actions qui se succèdent dans la phrase.

« Lui, il allait tous les matins à l'école, se promène ensuite dans le Luxembourg, prenait le soir sa demie tasse  au café, et, avec quinze cents francs par an et l'amour ouvrière, il se trouvait parfaitement heureux. »

(Flaubert, Ed.sent.p.27)

Dans cet exemple, le sujet n'est pas repris dans la liaison continue des actions, puisque cela n'est pas nécessaire. Cependant, dans la dernière proposition, le pronom il est repris parce que le verbe se trouver exprime un état et s'oppose aux verbes d'actions précédents. Dans ce cas la répétition du pronom sujet est aussi obligatoire.

En guise de conclusion, nous citons Jean Claude Chevalier et alii qui disent que : « Le pronom n'est généralement pas répété dans une série de verbes coordonnés de valeur identique, il reparaît pourtant dès qu'intervient une raison d'opposer les verbes (contraste d'affirmation, de négation, détachement stylistique ...) ».19

(19) Chevalier (J.C), Benveniste (C.B), Arrivé (M, Peytard (J), Grammaire du français contemporain, Larousse Bordas, 1997. p. 231

CHAPITRE II.

Le pronom personnel objet / complément :

Comme nous l'avons vu antérieurement, les pronoms personnels objets atones le, la, les, se, leur et lui (non précédés d'une proposition) sont généralement antéposés au verbe sauf quand celui-ci est à l'impératif. Parmi ces pronoms personnels objets de la troisième personne, il existe ceux qui sont directs et ceux qui sont indirects, et leurs emplacements ont été essentiellement fixés dès l'origine. Selon A. Dauzat : « Lorsque deux personnels atones se suivent, l'un au régime direct, l'autre indirect, l'ancien français plaçait toujours le premier en tête. »20

« Il la vangera 

Se Damedex le li consant »21

Et concernant les adverbes en et y, il ajoute que s'ils « se trouvent en présence d'un pronom personnel, celui-ci occupe le premier rang car il s'élide. »22

« Et quant il ot reconté son songe, si prie le preudome qu'il l'en die la senefiance. »23

(20), (22) Dauzat (A), Historique de la langue française, Paris, Payot, 1930, p 429

(21), (23) Exemples cités par Lucien Foulet, Petite syntaxe de l'ancien français, 3e ed. Paris, Champion, 1982, pp. 147 et 157

Ces règles très tôt établies dans la langue, ont été conservées dans l'usage jusqu'en français moderne.

Mais la langue classique a tenu à faire précéder le pronom personnel objet indirect de la première et de la deuxième personne de celui direct de la troisième personne comme l'exige Vaugelas qui, parlant des pronoms le, la, les transposés veut que l'on dise : « je vous le promet et non je le vous promet, comme le disent tous les anciens écrivains et plusieurs modernes encore. »24

En effet, plusieurs classiques ont tenu à conserver la tournure ancienne objet direct suivi de objet indirect. Spillebout le confirme ainsi : « on trouve encore dans la première partie du XVIIe siècle l'ordre ancien complément direct troisième personne + objet secondaire deuxième personne », et donne l'exemple suivant : « Dieu qui nous l'a donné le nous peut conserver. »25

Montchrestien, Hector, 101 (1604)

En dehors de ces emplois, qui ont fini par disparaître dans l'usage à la fin du XVIIe siècle -- puisqu'ils étaient quasiment inexistants dans Les femmes savantes (texte très illustratif des traits de la langue classique.) - il n'y a pas eu de changement entre la fin de l'époque classique et le français moderne concernant la place d'un ou de deux pronoms personnels objets auprès du verbe.

Néanmoins, l'ordre dans lequel se place le (ou les) pronom (s) personnel (s) objets par rapport au verbe dans la construction phrastique présente des divergences entre la langue classique et la langue moderne, du fait de la mobilité de celui-là dans cette première époque.

(24) Vaugelas (C.F), 1647, Remarques sur la langue française, Edition Champs libres, 1981, P.58

(25) Spillebout (Gabriel), Grammaire de la langue française du XVIIe siècle, Paris, Picard, 1985, .P.406

I. Le pronom personnel objet employé avec deux verbes successifs :

Lorsque le pronom personnel objet est construit avec deux verbes qui se suivent, le second étant à l'infinitif, il est le complément de ce dernier. Et dès l'ancien français, il s'est placé devant les deux verbes. En effet, pour Marcel Galliot : « l'ancienne langue considère alors le groupe (auxillaire + infinitif) comme un groupe verbal indissociable (verbe : venir accoster, falloir entre aider) et place normalement le pronom objet avant le groupe entier. »26

Jusqu'au XVIIe siècle, la règle exigeait qu'il se mit devant les deux verbes dans la formule : pronom personnel objet + verbe conjugué + verbe à l'infinitif. Spillebout, dans sa Grammaire de la langue française du XVIIe siècle, écrit : « quand un infinitif est précédé d'un verbe qui le régit, le pronom complément de l'infinitif se place devant le premier verbe et non devant l'infinitif. »27

Mais au cours de l'époque classique, cette règle s'est peu à peu modifiée, car « c'est seulement au XVIIe siècle, sans doute après l'usage populaire et pour rapprocher la particule du verbe dont elle dépend que celle-ci s'introduit entre les deux verbes... »28

C'est pourquoi dans la langue classique du XVIIe siècle, nous avons trouver les deux emplois ; celui où le pronom personnel complément de l'infinitif se mettait devant le verbe régisseur et celui où il se plaçait entre les deux verbes afin de rapprocher du verbe dont il est le complément. Enfin, dans les textes classiques les deux emplois sont en concurrence.

(26) Galliot (M), Etudes d'ancien français, moyen. Age et XVIe siècle, Paris, 4 et 6 de la Sorbonne1967 (corrigés de textes du moy.Age et du XVIe siècle), p.338

(27) Spillebout (G), Grammaire de la langue française du XVIIe siècle, Paris, Picard, 1985, p.407

(28) Dauzat (A), Historique de la langue française, Paris, Payot, 1930, P. 429

« Ah ce oui se peut il supporter ?

Et sans un mal au coeur saurait -on l'écouter »

(Molière, Fem.sav v.5-6)

« Quand sur une personne on prétend se régler,

C'est par les beaux côtés qu'il lui faut ressembler ».

(Id. ib. v.73-74)

Mais avec un plus grand penchant pour la tournure ancienne car les auteurs classiques se sont plus inspirés de la vieille langue que des règles de leur époque. C'est ainsi que nous avons trouvé des exemples avec tous les pronoms personnels objets.

« Que vous importe-t-il qu'on y puisse prétendre.

(Id. ib. v.100)

« Si vos yeux sur moi le pouvait ramasser,

Ils prendraient aisément le soin de se baisser

(Id. ib. v.193-4)

« Nous verrons qui sur elle aura plus de pouvoir

Et si je la saurai réduire à son devoir. »

(Id. ib. v.1415-6)

« Mais si la bouche vient à s'en vouloir mêler. 

Pour jamais de ma vie il vous faut exiler. »

(Id. ib. v.285-6)

« M. de Clèves ne voyait que trop combien elle était éloignée d'avoir pour lui des sentiments qui le pouvaient satisfaire »

(La fayette, Pr. de Clèves. p.150)

« Elle était si préoccupée de ce qui se venait de passer qu'à peine pouvait-elle cacher la distraction de son esprit. »

(Id. ib. p.193)

« Tout le monde l'alla voir ; j'y allai comme les autre, mais sans lui dire qui j'étais, »

(Id. ib. p.196)

Cette règle qui s'est instaurée au cours du XVIIe siècle et qui exigeait que le pronom personnel complément soit rapproché de l'infinitif dont il est le complément, est devenu plus effective dans les siècle suivants car en français moderne, il ne se place plus devant le verbe régisseur du groupe, mais devant l'infinitif. Cette transposition vers l'intérieur a pour but de rapprocher le verbe de son complément.

George et Robert Lebidois le confirment dans leur Syntaxe du français moderne : « Quand l'infinitif est régi par un autre verbe (...) ce n'est pas devant le groupe verbal tout entier que se place le personnel régime, mais à l'intérieur du groupe, devant l'infinitif. »29 

« La petite fille jouait autour de lui. Frédéric voulut la baiser.

Elle se cacha derrière sa bonne ; »

(Flaubert, Ed. sent. p.10)

« Elle (la négresse de Mme Arnoux) devait y venir comme les autres ; toutes les fois qu'il traversait les Tuileries, son coeur battait espérant la rencontrer. »

(Id. Ibid. p. 28)

(29) Lebidois (G et R), Syntaxe du français moderne, ses fondements Historiques et psychologiques, Tome I, Paris, Picard, 1935, p.157

« Arnoux paraissait l'estimer infiniment. Il dit un jour à Frédéric :

- celui là en sait long, allez ! C'est un homme fort ! »

(Id. Ibid. p. 47)

« A la nouvelle du départ d'Arnoux, une joie l'avait saisi. Il pouvait se présenter là bas tout à son aise sans crainte d'être interrompu dans ses visites. »

(Id. Ibid. p. 74)

Dans ces exemples, le pronom objet a cessé de se mettre devant le premier verbe, comme l'aurait permis la langue classique, pour se mettre devant l'infinitif dont il est le complément. Ainsi, selon J.C. Chevalier et alii : « L'antéposition du pronom complément d'un infinitif devant le verbe auxiliaire était courante aux siècles classiques. Elle n'est plus aujourd'hui qu'une élégance facile qui a eu un certain succès il y'a quelques décennies. »30

Cependant, il existe des exceptions à cette règle d'emplacement du pronom personnel objet car en français classique comme en français moderne, ce dernier est resté devant le groupe verbal tout entier dans certains cas :

* Lorsque l'infinitif est régi par les verbes faire, voir, entendre, laisser, emmener, amener, le pronom se met impérativement devant le groupe. Et dans ce cas, il n'est plus complément de l'infinitif mais celui du verbe régisseur qui peut être conjugué ou pas.

« Ah ! Je leur ferai voir si, pour donner la loi

Il est dans ma maison d'autre maître que moi. »

(Molière Fem. sav. v.1443-4)

(30) Chevalier (J.C.) et alii, v Grammaire du français contemporain, Larousse Bordas, 1997. P.239

« Elle (la maréchale) se laissa renverser sur le divan et continuait à rire sous ses baisers.

 Ils passèrent l'après-midi à regarder, de leur fenêtre, le peuple dans la rue. Puis il l'emmena dîner aux Trois Frères- Provençaux. »

  (Flaubert, Ed. sent. p.330)

* Lorsqu'il est régi par les verbes envoyer et falloir dans certains emplois. En effet avec ceux-ci, le pronom change de place selon qu'il est complément du verbe régisseur ou de l'infinitif.

« Il (Arnoux) « avait besoin » de manger une omelette ou des pommes cuites ; et, les comestibles ne se trouvant jamais dans l'établissement, il les envoyait chercher. »

(Flaubert, Ed. sent. p.201-2)

« Il lui fallait compter son linge et subir le concierge, rustre à tournure d'infirmier, qui venait le matin retaper son lit en sentant l'alcool et en grommelant. »

(Id. Ibid. p. 26)

« Il fallait en inventer aussi pour Rosanette. Elle ne comprenait pas à quoi il employait toutes ses soirées ; et, quand on envoyait chez lui, il n'y était jamais !

(Id. Ibid. p. 454)

Dans les deux premiers phrases les pronoms personnels objets les  et lui sont respectivement compléments des verbes envoyait  et fallait, raison pour laquelle ils sont placés devant les groupes verbaux que forment ces auxiliaires.

Il en est de même lorsque le personnel objet est employé avec des verbes conjugués aux temps composés : il se place alors devant le groupe auxiliaire + participe. Cependant dans le 3e exemple, le pronom en s'intercale entre le verbe régisseur et l'infinitif parce qu'il est complément de ce dernier.

En ce sens, le français classique et le français moderne s'accordent parfaitement concernant ces exceptions car lorsque les verbes faire, voir, entendre, laisser, emmener, amener sont auxiliaires d'un groupe verbal, le pronom personnel complément ne peut se mettre entre deux verbes sauf si le premier est à l'impératif. En effet dans ce cas le pronom complément se met derrière l'impératif et sépare ainsi le groupe verbal.

« Faites-la sortir, quoi qu'on die ;... »

(Molière, Fem. sav. v.782)

II. Le pronom personnel objet employé avec l'impératif.

Le pronom personnel objet atone a toujours précédé le verbe dont il est complément, sauf lorsque celui-ci est conjugué au mode impératif. Dans ce cas le pronom atone de la troisième personne est transposé après le verbe et porte ainsi l'accent du groupe, car avec les pronoms personnels objets de la première et de la deuxième personne, ce sont les formes accentués moi et toi qui sont employés dans la transposition. Cependant, la postposition du pronom atone au verbe n'est vraie que dans les cas où la phrase impérative est à la forme affirmative

Cet usage, qui constitue la norme en français moderne, n'était pas toujours valable dans la langue classique où l'on constate que le pronom personnel complément de l'impératif se place avant le verbe dans beaucoup d'exemples. En ce sens, selon Brunot et Bruneau : « En ancien français, quand la proposition impérative commence par un adverbe (ou même par la conjonction et), le pronom complément de l'impératif conserve sa place devant le verbe. »31

Cette règle de la langue primitive a eu des reflets dans la langue littéraire classique et à ce propos, Spillebout écrit qu'  « au XVIe s. le pronom personnel complément de l'impératif est régulièrement antéposé ; »32 L'usage s'est poursuivi tout au long de cette période jusqu'au XVIIe siècle où il a commencé à se mettre nécessairement derrière

« ...Clitandre, expliquez votre coeur,

Découvrez-en le fond, et nous daignez apprendre

Qui de nous à vos voeux est en droit de prétendre. »

(Molière, Fem. sav. v.782)

« Allons, prenez sa main et passer devant nous,

Menez-la dans sa chambre. Ah ! les douces caresses ! »

(Id. ib v.1117)

Dans ces exemples tirés de la langue littéraire classique, les pronoms compléments sont placés, comme le veut la norme du français classique et moderne, derrière l'impératif.

(31) Brunot (F) et Bruneau (CH), Précis de grammaire historique de la langue française, 4e ed. .Paris, Masson et Cie 1956. P.272

(32) Spillebout (G), Grammaire de la langue française du XVIIe siècle, Paris, Picard, 1985, P.146

Mais, il n'en demeure pas moins que, toujours dans la langue du XVIIe siècle, la vieille règle subsiste lorsque deux propositions impératives sont coordonnées. En effet, dans ce cas, si l'impératif de la seconde proposition coordonnée est accompagné d'un pronom personnel complément, celui-ci garde son antéposition au verbe. Cette construction est essentiellement illustrée par les écrivains classiques.

« Touchez à Monsieur dans la main,

Et le considérez désormais dans votre âme.»

(Molière, Fem. sav. v.1101-2)

« Dites-lui ma pensée et l'avertissez bien

Qu'elle ne vienne pas m'échauffer les oreilles. »

(Id. ib v.1112-3)

« Reportez tout cela sur l'heure à votre maître

Et lui dites qu'afin de lui faire connaître

Quel grand état je fais de ses nobles avis... »

(Id. ib v.1401-3)

On constate alors dans tous ces exemples que le pronom personnel d'objet, qui précède l'impératif, s'appuie sur la conjonction de coordination et, et rappelle ainsi la règle de l'ancien français.

Cependant, cet emploi très usité était devenu très vieux, et allait disparaître de la langue littéraire vers la fin de l'époque classique, car les auteurs commençaient à respecter les règle du XVIIe siècle concernant la place du pronom personnel complément de l'impératif.

C'est pourquoi, on ne retrouve plus ces tournures anciennes dans la langue actuelle. En effet, en français moderne, le pronom personnel objet se positionne derrière le verbe lorsque celui-ci est à l'impératif que ce soit avec une seule ou deux propositions coordonnées.

-Avec une seule proposition :

(La maréchale ordonne à Delphine) :

« - Ah ! Quel embêtement ! Flanque-la dehors ! »

(Flaubert, Ed. sent. p 157)

(La maréchale à Frédéric) :

« Priez-le donc de venir, pas devant son épouse, bien entendu. »

(Id. ib p 496)

-Avec deux propositions coordonnée :

(Mademoiselle Roque à Frédéric) :

« Viens demain soir, comme par hasard, et profites-en pour me demander en mariage. »

(Id. ib p 408)

Ici le pronom personnel objet en  se serait placé avant le verbe en français classique ; mais cette tournure n'a pas survécu jusque dans la langue actuelle. Selon Jean Claude Chevalier et alii : « L'antéposition du pronom devant un impératif coordonné est un archaïsme. »33 Certains écrivains modernes ne l'utilisent dans les textes (surtout dans les poésies) que pour pasticher la vieille langue.

(33) Chevalier (J.C) et alii, Grammaire du français contemporain, Larousse Bordas, 1997, p.239

Cependant la règle ne diffère pas entre le français classique et le français moderne lorsqu' intervient une négation. En effet, si l'impératif est négatif, le pronom personnel complément de l'impératif se place entre la particule négatif  ne  et le verbe. Il garde alors sa position devant ce dernier.

« Tout beau, monsieur ! Il n'est pas fait encore !

Ne vous pressez pas tout. »

(Molière, Fem. sav. v.1082-3)

Le pronom personnel complément vous  s'est placé ici devant le verbe puisque la négation accompagne l'impératif. Cette construction n'a pas changé en français moderne.

En définitive, que ce soit avec deux verbes successifs ou avec l'impératif, le pronom personnel complément, placé avant ou après le verbe, a toujours gardé sa place auprès de celui-ci : sans aucun mot entre eux. Cependant il peut arriver qu'ils soient séparés dans la construction phrastique.

I. le pronom personnel objet séparé du verbe.

Nous avons vu que les pronoms personnels objets atones se plaçaient régulièrement auprès du verbe et fonctionnaient comme des proclitiques ou des enclitiques lorsqu'ils étaient complément de l'impératif. Mais ils n'en est pas de même pour les pronoms personnels objets accentués lui, elle, eux, soi. Généralement, ils se placent derrière le verbe et sont toujours précédés de prépositions à, de, avec, sur... qui les séparent obligatoirement de ce dernier.

Très éloignés parfois du verbe du fait de leur accentuation, ils sont très indépendants et peuvent, en fonction de complément circonstanciel, être placés avant où après.

« Entre elle et moi, Clitandre, explique votre coeur ;... »

(Molière, Fem. sav. v.122)

« Vous me voyez, ma soeur, chargé par lui

D'en faire la demande à son père aujourd'hui »

(Id. ib v.361-2)

«Et, dans l'excès de son émotion, Arnoux voulait courir chez elle. »

(Flaubert, Educ.sent. p 198)

En français moderne, les formes accentuées sont parmi les pronoms personnels objets, les seules qui peuvent se mettre à l'écart du verbe qu'elles accompagnent. Et cela, parce qu'ils sont restés accentués, ils sont ainsi indépendants par rapport au reste de la phrase.

* Les pronoms personnels objets atones n'ont pas cette même souplesse mais la langue littéraire classique les a, eux aussi, séparés du verbe dans certains types d'emploi. En effet, à cette période, on constate que lorsque le pronom personnel objet atone est complément d'un infinitif accompagné d'un adverbe monosyllabe comme mieux, rien, tout, trop, bien... il est placé devant la combinaison adverbe + infinitif, et se trouve ainsi séparé de son verbe. Cette tournure archaïque a été employée par les écrivains classiques par référence à l'ancien français où ces adverbes étaient considérés comme des proclitiques encore moins faibles que les pronoms personnels atones.

« Il faut ! Se trop peiner pour avoir l'esprit. »

(Molière, Fem. sav. v.1056)

« Il sait que, Dieu merci, je me mêle d'écrire,

Et jamais il ne m'a prié de lui rien lire. »

(Id. ib v.1138)

« Je veux, je veux apprendre à vivre à votre mère ;

Et, pour la mieux braver, voilà, malgré ses dents,

Martine que j'amène et rétablis céans. »

(Id. ib v.1566-8)

« (...) c'est une chose agréable pour l'amant, que sa maîtresse le voie le maître d'un lieu où est toute la cour, et qu » elle le voie se bien acquitter d'en faire les honneurs. »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.166)

Par contre le français moderne ne sépare pas le pronom personnel objet atone de son verbe, il place, alors dans ces cas-ci, l'adverbe avant le pronom.

* Il en est de même lorsque le pronom complément de l'infinitif est accompagné d'une négation. Dans ce cas, les locutions négatives ne...pas, ne...plus, ne...point etc. ; ne se mettent plus de part et d'autres du groupe pronom + verbe mais elles se réunissent devant celui-ci. Cette transposition du groupe négatif entier devant l'infinitif s'est effectuée depuis l'ancien français.

Cependant jusqu'en français classique on constate que certains écrivains sont tentés de placer le second élément du groupe négatif entre le pronom personnel objet et l'infinitif.

« Non ; mais je sais fort bien

Qu'à ne le point flatter son sonnet ne vaut rien. »

(Molière, Fem. sav v.991-2)

Ce procédé n'est plus possible en langue moderne et selon Dauzat : « Depuis la fin du XVIIe siècle, les deux éléments (affaiblis) de la négation (...) se réunissent devant le pronom. » 34

La langue classique n'avait gardé ses tournures que pour avoir un style élégant, car à cette époque le pronom personnel complément était déjà inséparable de son verbe. Raison pour la quelle elles n'ont pas survécues en français moderne où l'adverbe et le groupe négatif, dans ces cas précités, viennent avant le groupe pronom personnel objet infinitif.

Enfin, en guise de conclusion dans cette étude concernant la place du pronom personnel de la troisième personne en français classique et en français moderne, nous avons retenu que ces deux périodes partagent un certain nombre similitudes. Ceci parce que, la règle de l'emplacement des pronoms a été, en grande partie, régularisée et codifiée à une époque préclassique. Et il n'y a pas eu de changement jusqu'à nos jours. Il s'agit par exemple de la place du pronom sujet atone dont la règle n'a pas changé depuis le moyen français. Toutefois il y'a des écarts entre la langue littéraire classique et la langue moderne (surtout en ce qui concerne le pronom personnel complément), puisque les écrivains de cette première période sont restés fidèles à certaines normes de l'ancien et du moyen français, qui ont été revues et changées par les grammairiens du XVIe et du XVIIe siècle, dans un but de restaurer et de réhabiliter la langue. Le français classique, cependant, malgré l'intervention de ces grammairiens, se caractérise

(34) Dauzat (A), Historique de la langue française, Paris, Payot, 1930, P.431

par une très grande liberté s'agissant de la place du pronom personnel par rapport au verbe. C'est le cas par exemple du pronom personnel objet atone éloigné parfois de l'infinitif dont il est le complément.

Il y'a donc eu ces écarts parce que la langue moderne s'est inspiré, non pas des écrivains classiques, mais des normes de la langue du XVIIe siècle. La langue actuelle veut, contrairement à celle classique que les pronoms personnels s'appuient sur le verbe dont ils sont sujets ou complément, du fait de leur manque d'autonomie. En effet, selon Lucien Foulet « qu'elle précède ou exceptionnellement suive le verbe ; une forme faible de pronom personnel ne peut être séparé de son verbe que par une autre forme faible de pronom personnel, ou par les adverbe en, i, qui ont la même valeur. Les formes pleines ont une accentuation indépendante et par conséquent, plus de souplesse et de mobilité, elles s'emploient tout particulièrement après les prépositions. »35

(35) Foulet (Lucien), Petite syntaxe de l'ancien français, 3e ed. Paris, Champion, 1982, P.107-8

DEUXIEME PARTIE

La référence du pronom personnel de la 3e personne

Les formes du pronom personnel de la troisième personne sont issues, à l'exception de se et soi, du démonstratif latin ille qui désigne une personne, une chose ou un événement éloigné dont on parle. De ce fait, il et ses variantes allomorphiques possèdent les mêmes propriétés syntaxiques que ce démonstratif. Ils ont, contrairement aux autres pronoms personnels de la première et de la deuxième personne, la capacité de référer à une personne ou une chose présente dans l'énoncé mais non protagoniste de l'acte d'énonciation. C'est pourquoi, dans un texte, ils ont le rôle syntaxique de représentants et sont considérés comme des « signes incomplets » ayant toujours une référence.

CHAPITRE I :

Qu'est ce que la référence d'un pronom ?

Selon une définition du Robert 36, le mot référence est emprunté à l'anglais reference, substantif du verbe to refer qui lui-même provient du latin referre signifiant reporter, rapporter, viser. Le re marquant le mouvement en arrière et ferre ayant le sens de porter. La référence désigne alors, en linguistique, la fonction par laquelle un signe renvoie à quelque chose parfois nommé référent. D'un point de vue grammatical, le Pr. NGuissaly Sarré explique dans son cours de C.S de grammaire intitulé la référence des démonstratifs que : « Le référent d'une unité linguistique (mot, syntagme, proposition ou phrase) est la réalité extra linguistique (être, objet, propriété, procès, évènement) que cette unité linguistique permet de désigner par l'intermédiaire d'un acte d'énonciation. »37

Le pronom personnel de la troisième personne désigne un référent en servant de substitut à un mot ou expression de référence appelée antécédent. Pour expliquer le phénomène de référence pronominale, Corblin tente de schématiser ainsi la relation entre le pronom et le mot qu'il représente c'est-à-dire son antécédent : « il y a interprétation par reprise si un terme, b, exige pour être interprété l'emprunt à un terme proche a d'un élément qui fixe

(36) Robert (Paul), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 1998

(37) Sarré Nguissaly (Professeur) Cours de CS de grammaire : La référence des pronoms démonstratifs

l'interprétation de b : cela s'applique par exemple aux couples dont le second terme est un pronom. »38 Cette théorie prend son sens lorsque par les termes interprétation par reprise et les lettres a, b nous entendons respectivement  référence pronominale  et antécédent, pronom.

Ce qui veut dire que pour avoir une valeur sémantique, le pronom représentant a besoin d'un antécédent dans l'énoncé. Cet antécédent n'est pas seulement le mot qui donne au pronom une signification c'est-à-dire sa charge sémantique, mais aussi, dans le cas des pronoms personnels de la troisième personne, il confère au pronom son aspect morphologie à travers les marques de genre et de nombre. Cette notion, l'antécédent est appelée aussi « source »39 chez Louis Tesnière, et elle ne prend son sens que lorsque le pronom a la valeur d'un représentant dans le texte.

Les pronoms personnels de la troisième personne qui ont la propriété de reprendre un terme nommé dans le texte, participent à la cohérence de l'énoncé en assurant sa continuité. Et en ce sens, ils se différencient des autres pronoms personnels de la première et de la deuxième personne singulière et plurielle. Je et tu ainsi que leurs variantes, prennent leur signification dans l'acte d'énonciation. Ils n'ont besoin d'aucun autre terme pour être interprété car ils désignent respectivement la personne qui parle, qui agit : le locuteur, et celui avec qui je parle c'est-à-dire l'interlocuteur. Nous et vous que l'on considère comme les pluriels de je et tu représentent :

- Le premier : je + une ou plusieurs autres personnes.

- Le second : tu + une ou plusieurs autres personnes.

Ces pronoms sont déictiques puisqu'ils désignent des personnes présentes au moment de la communication. Grevisse le dit clairement : « C'est

(38) Corblin (F), Les formes de reprises dans le discours. Anaphores et chaîne de référence, édition, paris. P 112.

(39) Tesnière (Louis), cf. Corblin (F), Les formes de reprises dans le discours. Anaphores et chaîne de référence, édition, paris. P 112.

seulement à la troisième personne que le pronom personnel représente, remplace un nom déjà exprimé. »40 Et ce nom n'est pas nécessairement une personne ; le pronom de la troisième personne est donc faussement appelé pronom personnel, il n'a eu ce nom que par référence aux autres pronoms.

La référence du pronom personnel de la troisième personne a longtemps constitué un problème pour les écrivains de la langue française à cause des ambiguïtés sur les valeurs sémantiques que posait la référence pronominale chez les auteurs classiques. Elle a était spécialement étudiée et régularisée par des grammairiens et remarqueurs de cette époque comme : Vaugelas, le Père Bouhours qui ont « assaini » la langue française en exigeant plus de clarté et de netteté dans l'usage.

Ferdinand Brunot qui étudie les traits de la langue classique explique dans un chapitre intitulé les pronoms et la représentation que : «visiblement on s'efforce de toute façon à régler la représentation des mots qu'on ne peut pas répéter, on la veut régulière et claire, qui satisfasse la grammaire et qui jette aucune ombre sur le sens. Dés le XVIIe siècle, sans être coordonnés, les efforts sont si nombreux, si nettement dirigés vers un but que les grammairiens (...) témoignent sur ce point des soucis les plus louables et de clairvoyance parfois extrême. »41 Malgré ces efforts qui ont été consenti par les grammairiens afin de parfaire le français, la langue a parfois manqué de concision dans la représentation du pronom personnel.

C'est pourquoi, on observe en comparant la langue du XVIIe siècle à celle du français moderne, une nette différence concernant l'application des règles de référenciation instaurées pourtant en période classique.

Mais avant d'étudier les problèmes que pose l'interprétation du pronom

(40) Grevisse (Maurice), Précis de grammaire française, 28e ed. Paris, Duculot, 1969. .P.112

(41) Brunot (F), Histoire de la langue française, T.IV, Paris, Armand Colin, 1966..P. 876

personnel de la troisième personne, ses rapports avec le mot auquel il renvoi, et la classe référentielle qu'il est censé représenter, il nous faut d'abord étudier les différents modes de référence qu'il peut avoir dans l'énoncé en français classique et en français moderne.

I/ Les modes de références du pronom personnel de la troisième personne :

Pour définir quel est le mode de référence que vise le pronom personnel dans un emploi donné, il faut tout d'abord procéder à la localisation de son référent : dans le texte ou dans l'univers du locuteur.

Nous avons vu que, il et ses variantes allomorphiques ont presque toujours la valeur de représentant, qu'ils sont employés pour reprendre un élément présent dans l'énoncé. C'est pourquoi on les désigne essentiellement sous le terme de pronoms personnels anaphoriques ces derniers sont très utiles pour éviter les répétitions et assurer la cohérence et la clarté d'un texte. Ils permettent d'avoir des phrases précises et concises en renvoyant à un substantif, une partie de phrase ou même des phrases entiers qui leur servent alors d'antécédents.

Cependant, il peut arriver que le pronom personnel de la troisième personne ne fasse appel à aucun mot du texte pour son interprétation et dans ce cas il n'est plus un représentant. Alors la localisation du référent devra se faire du hors du texte. En effet, il existe d'autres zones de références où le pronom il et ses variantes allomorphiques peuvent trouver leur antécédent. Il peut s'agir de la situation de la communication car le texte ne peut se faire

indépendamment du contexte d'énonciation qui constitue le repère des événements contenus dans le texte. Dans le cas où la référence est faite à partir de données situationnelles, le pronom personnel de la troisième personne prend la valeur d'un pronom personnel déictique comme je et tu .C'est le cas dans la phrase il arrive (dite en montrant du doigt le professeur que les élèves attendaient et qu'ils peuvent désigner du doigt)

Lorsque le référent ne se trouve ni dans l'énoncé, ni dans le contexte, le pronom fait appel à une interprétation générique : c'est la référence absolue. On trouve ce mode de référence avec le pronom personnel sujet on et parfois, spécialement en langue classique, avec le pronom personnel pluriel ils. Ces deux pronoms peuvent poser un problème d'indétermination lorsqu'ils établissent une zone de référence sans limite.

1-1- La référence hors du texte :

Le pronom personnel de la troisième personne est considéré parmi tous ceux de même nature comme le seul qui est habilité à faire la reprise d'un terme présent dans l'énoncé. Il a donc, dans la plupart de ses emplois, une valeur de représentant. Cependant, cela n'exclut pas qu'il puisse avoir d'autres zones de référence.

1-1-1- La référence déictique du pronom personnel de la troisième personne :

Lorsque le pronom personnel de la troisième personne à l'exception de il impersonnel, on et ils (qui peut parfois avoir une référence indéterminée), ne réfère pas à un être ou une chose désigné dans le texte, la localisation du référent doit alors s'effectuer dans la situation de communication. Si le référent se trouve dans le contexte d'émission de l'énoncé, le pronom personnel est en emploi déictique.

Du grec « déiktikos » qui signifie démonstratif c'est-à-dire qui sert à montrer, à désigner un objet singulier. « Les déictiques dépendent de l'instance du discours » selon le Robert .Le pronom personnel peut alors dans ce cas pointer du doigt celui ou ce dont on parle. Ce mode de référence, bien que peu fréquent avec les pronoms personnels de la troisième personne, reste encore valable dans certain emplois jusqu'en français moderne. Mais, il apparaît plus souvent dans la langue orale que dans la langue écrite. Ce phénomène s'explique par le fait que ce mode de référence donne au pronom sa signification dans l'acte de parole même. Il est actuel et s'accompagne parfois d'un geste désignateur. Raison pour laquelle on retrouve la référence déictique avec les pronoms personnels dans les phrases du type il arrive (ci-dessus), mais aussi avec les pronoms démonstratifs accompagnés des particules ci et .

Celuiest mon père.

* Le pronom personnel de la troisième personne devient un déictique lorsqu'il sert à désigner ce/celui à qui on pense ou ce/celui dont on parle dans les cas où une tierce personne se joint à la situation de communication. On peut le retrouver dans ce type d'exemple : Nafi et Khady tapent à une porte fermée, elles insistent sans réponse. Elles décident de repartir quand un bruit se fait entendre. L'une d'elles dit alors : « il ouvre enfin ».

Dans cet exemple il ne renvoie à aucun mot du texte, mais si on se réfère au contexte, on suppose que il représente une personne de sexe masculin qu'elles (Nafi, et Khady) étaient venues voir. Le référent de il ne peut être identifiable que dans le moment et désigne une personne présente dans la mémoire immédiate du locuteur et de son interlocuteur.

Dans la comédie de Molière Les femmes savantes, ont retrouve ce mode de référence puisqu'il s'agit d'une pièce de théâtre, donc essentiellement constituée de dialogues et qui met en scène plusieurs personnages c'est ainsi qu'on retrouve dans le passage suivant quelques pronoms personnels en emploi déictique.

« _Votre sincère aveu ne l'a pas peu surprise.

_Elle mérite assez une telle franchise. »

(v.199-200)

Dans ces vers les locuteurs désignent directement Armande par les pronoms l' et elle sans que celle-ci soit nommée dans les vers précédents. Ceci s'explique par les faits qu'Armande était présente dans la scène d'avant et que les locuteurs pensaient conventionnellement à elle lorsqu'ils ont employé les pronoms personnels l' et elle .C'est encore le cas dans La Princesse de Clèves

« _Il est vrai, répondit Mme la Dauphine ; mais je n'aurai pas pour elle la complaisance que j'ai accoutumé d'avoir. »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.254)

Le pronom elle désigne Mme de Clèves présente au moment de l'énonciation

* En plus, comme cela s'applique aux pronoms démonstratifs, on peut avoir des pronom personnels compléments le, la, les en emploi déictique, lorsqu'ils sont renforcés par les particules présentatifs voici et voilà. Alors ils deviennent impérativement des indicateurs.

« La voici qui conduit le notaire avec elle »

(Molière, Fem.sav.v.1598)

« La voilà Monsieur ; Henriette est son nom »

(Id. ib v.1620)

«  Le voilà lui-même, et je veux lui demander ce qui en est. »

(La Fayette, Pr. de Clèves, p.254)

Dans ces deux exemples les pronoms personnels sont avant tout anaphoriques car ils représentent des noms déjà exprimés. Dans le premier exemple la remplace ma femme du vers précédent, dans le second, le pronom reprend la cadette nommée dans le vers précédent dans la troisième le renvoie à M. de Nemours dont le locuteur parlait. Mais en plus de cela les particules déictiques voici et voila viennent s'appuyer sur eux pour désigner du doigt l'être ou l'objet représenté. Il confère ainsi aux pronoms représentants une portée déictique. Ces derniers deviennent alors à la fois anaphoriques et situationnels.

* Le pronom il ou elle peut être en emploi déictique lorsqu'il désigne l'interlocuteur qui est régulièrement pronominalisé par tu ou vous (de politesse). En effet, à l'époque classique, dans le langage aristocratique, pour formuler une demande il était d'usage que l'on nomme son interlocuteur à la troisième personne si ce dernier est une personne supérieure, gradée ou importante. Cette tournure est une marque de respect ou une formule de politesse envers celui à qui on parle. C'est pourquoi, on la trouve plus souvent dans le langage de la cour lorsque les gens s'adressent par exemple au roi.

« _Au moins, Sire, lui dit-il, si je m embarque dans une entreprise chimérique par le conseil et pour le service de Votre Majesté, je

la supplie de me garder le secret jusqu'à ce que le succès me justifie vers le public, »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.136)

« ...et je jure à votre majesté, avec tout le respect que je lui dois, que je n'ai d'attachement pour aucune femme de la cour. »

(Id. ib. p.220)

On peut aussi avoir ce type d'emploi lorsqu'un employé de maison, comme le majordome qui est une personne respectueuse et cultivée parle à son maître. Brunot qui parle à ce sujet écrit ceci : « la politesse a amené un changement assez singulier dans l'emploi des personnes. Depuis le XVIIe siècle, s'est répandu l'usage que les serviteurs parlassent à leurs maîtres à la troisième personne au lieu d'employer la deuxième. Sur le modèle des formes : Sa majesté veut-elle ? (...) Aujourd'hui la bourgeoise a fait de cette troisième personne une règle obligatoire pour les domestiques »42 . L'emploi s'est donc conservé jusqu'en français moderne où on peut le trouver dans les textes où il est question de bourgeoisie ou de noblesse. En effet dans le texte de Flaubert, on constate que l'employé de maison s'adresse à Frédéric en ces termes :

« Madame priait Monsieur de revenir, et, craignant qu'il n'eut froid, elle lui envoyait son manteau »

(Educ.sent. p 19)

Dans cet exemple le pronom il désigne l'interlocuteur et a la valeur d'un pronom déictique comme les personnels tu et vous.

(42) Brunot (Ferdinand) La pensée et la langue, 3ème édition revue, Paris, Masson &Cie 1936, p. 273

Cette tournure, bien qu'étant admise dans la norme du français moderne tend à disparaître avec l'évolution de la langue. Elle est considérée à présent comme un archaïsme et ne subsiste que dans des cas très rares lorsqu'on s'adresse à des personnes qu'on désigne par les titres tels que Son Excellence. Et même dans ces cas le pronom vous (de politesse) prend souvent la place du pronom de la troisième personne en emploi déictique.

Ces trois sortes d'emploi du pronom personnel de la troisième personne montrent que celui-ci peu avoir dans la langue parlée d'autres propriétés syntaxiques que celui de représentant.

1.1.2 La référence indéfinie du pronom personnel de la troisième personne : on et ils :

Le pronom sujet on est à l'origine un infini à valeur générale. Provenant du nominatif latin homo qui donne à l'accusatif hominem (qui signifie homme), on est exclusivement réservé à la référence humaine. Il est considéré comme un pronom personnel de la troisième personne parce que son emploi est entré en concurrence avec celui du pronom ils avec lequel il partage parfois la même valeur indéfinie.

- Le pronom personnel ils

Le pronom pluriel ils a longtemps été employé dans la langue là où en français moderne on est employé. En effet, « l'ancien français comme le latin, emploie ils avec une valeur indéfinie. Il n'existait pas en latin de pronom personnel indéfini, le latin employait la troisième personne du pluriel. »43

(43) Brunot (F) et Bruneau (Ch.), Précis de grammaire historique de la langue française 4e ed. .Paris, Masson et Cie .1956 p.272

On trouve cet emploi en français jusqu'au XVIe siècle, et même au XVIIe siècle mais de manière moins constante (parce qu'inexistant dans le texte des Femmes savantes). Ainsi, l'exemple que l'on trouve à ce sujet est celui qu'en ont donné la plupart des manuels de grammaire du français classique.

« Madame, ils ne vous croiront pas ;

Ils sauront récuser l'injustice stratagème

D'un témoin irrité qui s'accuse lui-même »

(Racine, Britannicus, v.854-6 )

Ici le pronom il a une valeur générale puisqu'il réfère à des gens inconnus et d'un nombre indéterminé, il équivaut à tout le monde. Cet emploi, bien qu'étant non illustré dans notre texte classique, était encore présent dans l'usage à cette période. En effet, « Vaugelas mêle on et ils sans aucun scrupule et emploie souvent l'expression qu'ils appellent après un substantif, avec le sens de « ainsi appelé »44

En français moderne, l'emploi de ils avec une référence indéfinie a beaucoup diminué car il a été supplanté par celui du pronom personnel on. Toutefois ils continue à être employé avec une valeur générale, mais à titre exceptionnel. Wagner et Pinchon considèrent que « dans la langue familière, ils s'emploie avec une valeur ironique ou méprisante pour symboliser des gens qu'on ne veut pas désigner d'une façon explicite. »45

- Le pronom on à référence générale ou indéfinie :

Contrairement aux autres pronoms personnels du même rang qui

(44) Vaugelas (C. F), Remarques cf. Haase (A), Syntaxe du français du XVIIe siècle éd. Traduite et remaniée par Monsieur Obert, Paris, Delagrave, p.4

(45) Wagner (R.L) Pinchon (J.), Grammaire du français classique et moderne, Paris, Hachette, 1962, p.169

représentent un antécédent bien précis, le pronom on a essentiellement une valeur indéfinie surtout en français moderne. Lorsque ce pronom désigne des personnes inconnues, non précisées dans le texte il a une référence dite absolue puisqu'il n'établit pas une zone de référence déterminée et dans ce cas, il équivaut aux locutions n'importe qui, tout le monde, les gens, etc.

« Vous avez notre mère en exemple à vos yeux

Que du nom de savante on honore en tous lieux ; »

(Molière, Fem.sav. V.37-8)

On équivaut à tout le monde

« Elle la pria, non pas comme sa mère, mais comme son amie, de lui faire confidence de toutes les galanteries qu'on lui dirait, »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.143)

On représente les gens de la cour

« Le chef d'orchestre, debout, battait la mesure d'une façon automatique. On était tassé, on s'amusait, les brides dénoués des chapeaux effleuraient les cravates ».

(Flaubert, Ed. sent. p.84)

On = les gens (hommes et femmes) qui se trouvaient là

Cependant, dans la langue du XVIIe siècle, en dehors de sa référence générale le pronom personnel indéfini on pouvait être l'équivalant de toutes les autres formes du pronom personnel.

- Le pronom on à référence individuelle :

En français classique, le pronom personnel on a eu différentes valeurs, ce qui rendait difficile son interprétation dans un texte. Il pouvait, au sens figuré, se substituer à tous les autres pronoms personnels pour exprimer des valeurs stylistiques.

« Hé ! Qui vous dit, monsieur que l'on ait cette envie,

Et que de vous enfin si fort on se soucie ? »

(V. 155-6)

Ici on représente je c'est à dire la personne qui parle

Lorsqu'il représente les autres pronoms, on peut avoir aussi bien une valeur anaphorique que déictique suivant que la personne qu'il remplace dans le texte est présente ou non dans l'acte d'énonciation.

Le pronom on peut s'identifier à la première personne je qui est un pronom déictique. Selon Brunot« pour éviter de se mettre en avant, au nominal personnel, les raffinés se substituaient fort souvent l'indéterminé on, qui étant plus vague, ne choque pas. »46 Dans les textes classiques ce pronom qui a généralement en français moderne une valeur indéfinie a souvent représenté la personne qui parle.

« Il suffit que l'on est contente du détour

Dont s'est adroitement avisé votre amour » (Bélise)

(Molière, Fem .sav. v 313-14)

(46) Brunot (F.), La pensée et la langue, Paris, Masson et Cie, 3e ed. 1936, p.196

« On est faite d'un air je pense à pouvoir dire

Qu'on a pas pour un coeur soumis à son empire » (Bélise)

(Id. ib. v. 375-6)

« Je résolus de vous écrire des lettres tièdes et languissantes pour jeter dans l'esprit de celle à qui vous les donniez que l'on cessait de vous aimer. » (Je)

(La fayette, Pr. de Clèves, p.211)

Dans ces exemples le pronom on est déictique parce qu'il s'identifie au je parlant. En plus l'accord du participe ou de l'adjectif attribut de on dans les passages l'on est contente et on est faite, montre son assimilation totale de ce pronom à la personne qu'il désigne.

Molière donne l'explication suivante à propos de on : « on peut remplacer, dans la langue familière, un pronom personnel de l'une des trois personnes, mais il donne à la phrase une nuance tantôt ironique tantôt affectueuse.»47 Ces emplois sont très fréquents en langue classique :

« Dès le lendemain, ce prince fit parler à Mme de Chartres; elle reçut la proposition qu'on lui faisait et ne craignit point de donner à sa fille un mari qu'elle ne pût aimer en lui donnant le prince de Clèves. »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.149)

On représente le prince de Clèves

Le pronom on est également déictique lorsqu'il représente la deuxième personne tu ou vous pour exprimer la distance entre le locuteur et son interlocuteur. 

(47) Molière, Les Femmes Savantes, édition Larousse (classiques), 1672. p.41.cf note de bas de page n.6

« Ce monsieur Trissotin dont on nous fait crime

Et qui n'a pas l'honneur d'être à votre estime »

(Id. ib v.631-2)

Ici on représente Chrysale qui est l'interlocuteur.

On est cependant anaphorique lorsqu'il prend la place du pronom personnel de la troisième personne dans un texte.

« Elle entra aisément dans l'opinion qu'il ne fallait pas aller chez un homme dont on était aimée, »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.166)

On et elle désigne la même personne

« Quelque important que soit ce qu'on veut que je lis,

Apprenez mon ami, que c'est une sottise... »

(Molière, Fem. sav.v.1389-90)

Dans cet exemple le pronom on anaphorise le savant  nommé précédemment dans le texte.

Ces emplois individualisants du pronom personnel on ont disparu petit à petit de la langue à la fin de l'époque classique. Toutefois, il reste des survivances en français moderne dans le langage familier lorsqu'on s'adresse à un ami par exemple, au lieu de dire tu, on peut employer : On se repose ? 

La langue moderne conserve également un emploi très courant du pronom on avec une valeur collective pour dire nous.

« On n'avait fait cinq kilomètres, tout au plus »

(Flaubert, Educ. sent. p.12)

1-2- La référence au texte :

Le pronom personnel de la troisième personne est employé pour ses capacités à reprendre un nom, une phrase ou une idée qu'on ne veut pas répéter dans l'immédiat. Il assure la continuité de l'énoncé tout en évitant les occurrences des mots déjà présents. En ce sens Wagner et Pinchon explique : « La troisième personne, au singulier comme au pluriel désigne la ou les personnes, la ou les choses dont on parle et représente un terme déjà exprimé. Il en résulte pour la clarté du style que ces pronoms doivent sans équivoque possible renvoyer à ce terme. »48 Cette pensée résume l'essentiel de la représentation du pronom de la troisième personne.

Sur le plan linguistique, lorsque le pronom assure la répétition d'un mot ou d'un groupe de mots dans le discours, il est en emploi anaphorique. L'anaphore est une figure de style qui exprime la redondance.

Cependant, dans la référence au texte si le pronom représentant est annoncé avant l'antécédent, en d'autres termes, lorsque le pronom personnel de la troisième personne renvoie à un élément postérieur de l'énoncé, l'emploi est dit cataphorique.

1.2.1. L'anaphore par le pronom personnel de la 3e personne.

Etymologiquement, le substantif anaphore (du latin anaphora) provient de la combinaison de leurs mots grecs ana et pherein qui signifient respectivement de bas en haut, en arrière et porter l'anaphore désigne alors ce

(48) Wagner (R.L.) et Pinchon (J.) Grammaire du français classique et moderne, éd. revue et corrigée, Paris, Hachette, 1962 .P. 169

qui porte vers le haut, ce qui renvoie à l'arrière. Elle est « La reprise du signifié d'un mot par le moyen d'un autre signe (pronom etc.). »

Le pronom personnel de la troisième personne a essentiellement une valeur anaphorique et ceci depuis l'origine de langue. Cependant il a commencé à être étudié de manière beaucoup plus régulière à partir de l'époque classique. En effet, avant cette période l'usage du pronom personnel anaphorique ne facilitait pas toujours la compréhension du texte. Son interprétation posait souvent un problème à cause de certaines difficultés à identifier « la source ». Ces dernières étaient dues soit à la construction de la phrase, soit à la morphosyntaxe des pronoms personnels anaphoriques.

Les grammairiens du XVIIe siècle se sont alors intéressés à l'étude de ces pronoms et ont exigé plus de netteté dans leur emploi. C'est pourquoi, en français classique l'usage a commencé à devenir plus régulier et on trouve dans les textes de cette époque de plus en plus d'emplois anaphoriques où l'antécédent est clairement indentifiable.

« Quand sur une personne on prétend se régler,

C'est par les beaux cotés qu'il lui faut ressembler

Et ce n'est point du tout la prendre pour modèle

Ma Soeur que de tousser et de cracher comme elle »

(Molière, Fem.sav. v.73-6)

Dans ce passage les pronoms lui, la et elle reprennent le substantif d'une personne au premier vers pour ne pas qu'il soit répété. De ce fait, ces pronoms assurent les occurrences de ce mot dans la suite de l'énoncé et s'accordent en genre et en nombre avec celui-ci. Ainsi dans l'exemple :

« Mon père est d'une humeur à consentir à tout

Mais il met peu de poids aux choses qu'il résout

Il a reçu du ciel certaine bonté d'âme

Qui le soumet d'abord à ce que veut sa femme

C'est elle qui gouverne et d'un ton absolu

Elle dicte pour la loi ce que qu'elle a résolu. »

(Id. ib. V.205-210)

Les pronoms personnels masculins anaphorisent mon père alors que les pronoms féminins reprennent sa femme. De même :

« Il (M. de Nemours) était inconsolable de lui (Mme de Clèves) avoir dit des choses sur cette aventure qui, bien que galantes

par elles mêmes, lui paraissaient, dans ce moment, grossières et peu polies, puisqu'elles avaient fait entendre à Mme de Clèves qu'il n'ignorait pas qu'elle était cette femme qui avait cette passion violente et qu'il était celui pour qui elle l'avait. »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.263)

Dans cet exemple, les pronoms anaphoriques indiquent par leurs morphologies les mots qu'ils représentent.

L'accord du pronom anaphorique est donc un moyen de repérage du mot auquel il renvoie. Il permet aussi de démontrer que l'antécédent et le pronom représentent la même chose, qu'ils sont coréférentiels. En effet, dans la représentation anaphorique, le pronom personnel de la troisième personne doit être coréférent à la chose représentée.

Dans ces exemples d'anaphores précités, l'antécédent est clairement identifiable puisqu'il n'y a aucune équivoque possible. Employé de cette manière, comme l'ont exigé les grammairiens et remarqueurs de l'époque classique, il n'y a pas

d'écart entre la langue française du XVIIe siècle et celle du français moderne. En effet les écrivains de cette dernière période se sont inspirés de manière essentielle des règles d'usage, qui ont été établies par les grammairiens de la langue française du XVIe siècle et du XVIIe siècle.

« La petite fille jouait autour de lui. Frédéric

voulut la baiser. Elle se cacha derrière sa bonne, sa mère la

gronda de n'être pas aimable pour le monsieur qui aurait sauvé son chat. »

(Flaubert. Educ. sent. p.10)

Les pronoms personnels la et elle anaphorisent la petite fille nommé précédemment. De même :

« Arnoux rentra, et par l'autre portière, Madame Arnoux parut. Comme elle se trouvait enveloppée d'ombre, il ne distingua d'abord que sa tête. Elle avait une robe de velours noir »

(Id. ib p. )

Le pronom féminin elle anaphorise Madame Arnoux et le pronom masculin il est mis pour reprendre Arnoux.

Dans ces exemples du français classique et du français moderne, les pronoms personnels employés représentent des noms et groupes nominaux précis et identifiables. Mais nous verrons que ce n'est pas toujours le cas, car les pronoms personnels peuvent aussi anaphoriser un énoncé, un groupe verbal, ou un adjectif comme c'est le cas parfois avec le pronom neutre le et les adverbiaux en et y.

1-1-3- La cataphore par le pronom personnel de la troisième personne :

Bien que la plupart des grammairiens du XVIIe siècle ne l'aient pas mentionné dans leur étude de la représentation pronominale, la référence cataphorique est un emploi à part entière. Elle est à l'opposé de l'anaphore, ce qui porte vers l'avant ou vers le bas. Lorsque le pronom personnel de la troisième personne renvoie à un antécédent qui se trouve non pas dans le segment antérieur (comme le cas de l'anaphore) mais dans le segment postérieur la référence et dite cataphorique. Et dans ce cas, Grevisse recommande dans

Le bon usage de ne plus parler « d'antécédent » mais de « conséquent » ou de « postcèden»49. Ce mode de référence est plus fréquent en langue classique où on le remarque souvent avec les pronoms le, il et en annonçant une proposition ou un énoncé.

-Avec le pronom neutre le :

« Nous l'avons, en dormant échappé belle :

Un monde près de nous a passé tout du long,

Est chu tout au travers de notre tourbillon »

(Molière, Fem. sav.V1266-8)

Le pronom élidé l'a la valeur d'une cataphore résumante puisqu'il renvoie à tout l'énoncé qui suit. Il en va de même dans les exemples suivants où le annonce la proposition qui suit.

(49) Grevisse (Maurice), Le bon usage, 13e éd. Paris, Duculot, 1993, p. 956

« Si j'avais un mari, je le dis,

Je voudrais qu'il se fit le maître du logis. »

(Id. ib v.1647-8)

« Et pour mari, moi, mille fois je l'ai dit,

Je ne voudrai jamais prendre un homme d'esprit »

(Id. ib.v.1663-4)

-Avec le pronom sujet il :

« Par quelle raison, jeune et bien fait qu'il est lui refuser Clitandre ? »

(Id. ib v.1655-6)

« Dès qu'il fut seul, Frédéric se rend chez le célèbre Pomadère où il se commande trois pantalons »

(Flaubert, Educ.sent. p.134)

Le pronom il dans ces exemples renvoie à des noms qui se trouvent dans la suite de l'énoncé. Ce mode de référence s'obtient aussi avec le pronom neutre il annonçant une proposition en français classique.

« Mais puisqu'il m'est permis, je vais à votre père »

(Molière, Fem. sav.v.203)

« Mon frère, il n'est pas mal d'avoir son agrément »

(Id. ib. v.410)

Le pronom il dans ces exemples-ci renvoie aux propositions : je vais à votre père  dans le premier exemple et d'avoir son agrément dans le second. Ces emplois sont irréguliers en français moderne où le pronom personnel il cataphorique serait remplacée par ceci ou cela.

-Avec le pronom en 

«Va, va-t-en faire amende honorable au Parnasse

D'avoir fait à tes vers estropier Horace. »

(Id. ib.v.1021-2)

Le pronom en introduit la proposition infinitive qui suit.

La référence cataphorique est encore en usage en français moderne avec tous les pronoms personnels de la troisième personne mais elle est beaucoup moins fréquente dans les textes modernes que dans ceux du français classique. La cataphore obéit aux mêmes règles sémantiques et morphologiques que la référence anaphorique.

Il en va de même pour les autres modes de référence que sont la référence déictique (où le pronom indique clairement la personne) et celle du pronom indéfini on qui s'est parfois accordé avec son référent dans certains emplois où il s'est substitué aux autres pronoms personnels.

Contrairement à la référence au texte, la référence déictique du pronom personnel de la troisième personne (que l'on trouve plus souvent dans la langue orale) ne pose pas de problème pour l'interprétation du pronom. C'est pourquoi dans la représentation des pronoms personnels de la troisième personne, les grammairiens et remarqueurs de l'époque classique, dans leur souci de clarifier la langue, se sont plus intéressés à la représentation anaphorique pour tenter de corriger les points où l'usage a manqué de précision dans l'emploi des pronoms.

La suite de notre travail portera alors sur l'étude approfondie de la référence du pronom personnel anaphorique et de son antécédent en français classique et en français moderne.

II- La relation entre le pronom et son antécédent :

Selon l'étude des grammairiens de la langue française comme Brunot, Haase etc., l'attention des remarqueurs du XVIIe siècle s'est particulièrement portée sur la représentation des pronoms et sur leur rapport avec le mot qu'il anaphorisent. En effet, ces derniers voulaient que la relation entre le pronom et l'antécédent soit claire et nette. Brunot rapporte comme tels ces propos de Bayle : « Vous savez mieux que moi (...) que le caractère de notre langue et ce qui le distingue de toutes les autres, est une manière nette, coulante débarrassée, de ranger les mots, qui fait qu'un lecteur ne balance point à quoi il doit rapporter les particules qui, le, son, que. »50

La relation pronom - antécédent s'appuie sur des règles fondamentales qui établissent entre ces deux termes un lien de dépendance. Ces règles reposent sur l'accord du pronom représentant avec le mot représenté mais aussi sur la mise en évidence de l'antécédent afin que le lecteur ne confonde pas le terme auquel il doit rapporter le pronom.

2-1- L'accord du pronom représentant à son antécédent :

Dans la représentation anaphorique, le pronom personnel doit prendre les mêmes marques morphologiques de genre et de nombre que le terme anaphorisé.

« Une pauvre servante au moins m'était restée,

Qui de ce mauvais air n'était infectée,

(50) Brunot (Ferdinand), Histoire de la langue française des origines à nos jours - TIV la langue classique, Paris, Armand Colin 1966.P.876

Et voilà qu'on la chasse avec un grand fracas

A cause qu'elle manque de parler Vaugelas. »

(Molière, Fem. sav. v.603-606)

Les pronoms personnels féminins singuliers la et elle reprennent une pauvre servante. L'accord grammatical permet facilement de repérer dans le texte l'antécédent du pronom. Il permet aussi de lever l'équivoque au cas où il y aurait possibilité de confondre la «source ».

«Et nous voyons que d'un homme on se gausse.

Quand sa femme chez lui porte le haut de chausse »

(Id. ib V.1646-7)

Ici la marque de genre du pronom lui (masculin) permet de désigner l'antécédent comme étant un homme et non sa femme

Remarque : Le pronom personnel complément lui employé en position accentuée après une préposition est impérativement du genre masculin, de même que lorsqu'il est en fonction sujet. Mais, il peut être indistinctement du genre masculin ou féminin lorsqu'il est proclitique au verbe. En effet Georges et Robert Lebidois expliquent : « lui de par son origine, est indifféremment d'un genre ou de l'autre mais il ne garde ce caractère épicène que dans un cas : lorsqu'il accompagne un verbe, auprès duquel il fait fonction d'objet secondaire (...) Dans tous les autres rôles, (sujet, complément d'objet premier, complément de proposition), il ne représente qu'un être masculin. » 51

Malgré les efforts de certains grammairiens qui tentent de faire respecter toutes les règles favorisant la clarté dans la représentation des pronoms, les écrivains classiques n'ont pas toujours respecté dans leurs textes la règle la plus

(51) Lebidois (G. et R.) Syntaxe du français moderne, Tome I. Paris, Picard, 1935. P.144

élémentaire : celle de l'accord. En effet, dans certains de leurs emplois ils ont favorisés l'accord avec le sens du mot. Ce phénomène est appelé syllepse et peut aussi bien toucher les marques morphologiques de genre, de nombre que les marques de personne. Par syllepse on entend un accord non pas grammatical mais conceptuel.

2-1-1- Syllepse de genre en français classique :

Dans la représentation anaphorique, on a un syllepse de genre lorsqu'un antécédent masculin est repris par un pronom féminin ou encore lorsqu'un pronom masculin reprend un nom féminin. Ce genre d'emploi crée un décalage entre le mot anaphorisé et le terme anaphorique puisque ce dernier représente un mot employé au sens figuré en lui donnant sa vraie signification ou vice-versa.

«C'est à vous non à moi, que sa main est donnée.

Je vous le cède tout, comme à ma soeur. »

(Molière, Fem. sav. v.1089-90)

Dans cet exemple : le (pronom masculin) anaphorise  sa main  (féminin) qui est en emploi métonymique (la partie pour le tout), mais il s'accorde avec celui à qui appartient cette main : Trissotin. Le pronom personnel s'accorde alors par syllepse de genre avec le vrai sens de l'antécédent. De même :

« Pour moi, par un malheur, je m'aperçois, madame

Que j'ai ne vous déplaise, un corps tout comme une âme

Je sens qu'il y tient trop pour le laisser partir » (2)

(Id. ib v.1213-5)

Dans cet exemple le mot âme est personnifié ce qui explique l'accord par syllepse lorsqu'il est repris par le pronom masculin il.

L'accord par le syllepse était courant en ancien et moyen français mais il était considéré comme source d'ambiguïtés à l'époque classique. C'est pourquoi les grammairiens voulaient qu'on l'évite dans les textes. Cependant l'emploi est resté chez certains auteurs de cette époque. Ferdinand Brunot et Charles

Bruneau 52 explique cela par le fait qu' « au XVIIe siècle, l'accord « par syllepse » était considéré comme une élégance ». Et pour cette raison, il y avait une certaine tolérance à propos des syllepses. Molière fait dire à Clitandre :

« Vous en vouliez beaucoup à cette pauvre cour.

Et son malheur est grand de voir que chaque jour

Vous autres, beaux esprits, vous déclamiez contre elle,

Que de tous vos chagrins vous lui fassiez querelle,

Et, sur son méchant goût lui faisait son procès

N'accusiez que lui seul de vos méchants succès. »

(Fem.sav. v 1331-6)

Le pronom personnel lui (masculin) anaphorise cette pauvre cour (féminin) qui est personnifiée par le locuteur, alors que dans les vers précédents, il l'a reprise par le pronom elle. La reprise par lui est du au fait que le locuteur identifie la cour à un homme. L'équivoque se trouve ici dans la possibilité que lecteur pense que elle et lui ne représentent pas la même chose, ce qui ne faciliterait pas la compréhension du texte.

(52) Brunot (F.) et Bruneau (Ch.) Précis de grammaire historique de la langue française, Paris, Masson et Cie , 1956 P.286

2-1-2- Syllepse de nombre en français classique :

Ce genre d'emploi est courant au XVIIe. Il est beaucoup plus facile à justifier que l'accord par syllepse de genre car on l'obtient surtout lorsqu'un pronom personnel pluriel reprend un groupe nominal singulier qui désigne un groupe de personnes.

On a un tel emploi dans cette réplique d'Ariste :

«Vous laisserez sans honte immoler votre fille

Aux folles visions qui tiennent la famille.

Et de tout votre bien revêtir un nigaud

Pour six mots de latins qu'il leur fait sonner haut »

(Molière, Fem.sav. v.687-90)

Dans cet exemple leur (pluriel) anaphorise le groupe nominal la famille qui est un nom collectif singulier et qui désigne dans la pensée d'Ariste : Philaminthe, Bélise et Armande (admiratrices de Trissotin). Le locuteur les nomme d'abord par la famille et en disloquant le mot il le reprend par le pronom leur. Ce phénomène était tellement à la mode en français classique que d'après Brunot, « on voit des grammairiens aller jusqu'à prétendre que il, lui au singulier, ne peuvent pas représenter les noms collectifs Assemblée, Conclave, etc. »53

Cependant, tout comme la syllepse de genre, ce type d'accord est considéré par les remarqueurs comme étant source d'équivoques pour le lecteur. Et, suite à la norme classique, il n'est pas admis en français moderne où l'accord du terme anaphorique avec son antécédent est grammatical et non conceptuel.

(53) Brunot (F.), Histoire de la langue française, T.IV, Paris, Armand Colin, 1966, p.890

« La foule oscilla, et, se pressant contre la porte de la cour qui était fermée, elle empêche le professeur d'aller plus loin »

(Flaubert, Ed. sent. p.35)

L'accord est grammatical lorsque le pronom elle (féminin, singulier) anaphorise un nom collectif féminin, singulier la foule.

En français moderne le pronom personnel représentant prend les marques morphologiques de genre et de nombre du mot qu'il représente.

2-1-3- Syllepse de personne :

On a une syllepse de personne lorsque le pronom de la troisième personne anaphorise un autre pronom d'une autre personne ou un groupe équivalent. En français classique, on peut l'obtenir avec le pronom sujet on à référence individuelle, lorsqu'il est employé pour représente une personne nommée et qui représente le ou les interlocuteurs.

« Qu'est ce qu'à mon âge on a de mieux à faire... »

(Molière, Fem. sav.v.20)

On est employé à la place de je qui convient après le syntagme prépositionnel à mon âge. Ce genre d'emploi peut également s'opérer avec les autres pronoms personnels.

 « Que craignez-vous ? Parlez : c'est trop se taire »

(Racine, Bérénice V.183) 54

Le français moderne a également renoncé à ce genre de syllepse.

(54) Exemple cité par Spillebout (G.), Grammaire de la langue française du XVIIe siècle, Paris, Picard 1985 P. 141

2-2- La mise en évidence du terme anaphorisé :

Lorsque le pronom personnel anaphorique reprend un terme, celui-ci doit être clairement identifiable dans le texte. Pour cela il est établi que le pronom doit être du même genre et du même nombre que l'antécédent.

Cette règle bien qu'étant essentielle pour repérer l'antécédent, n'est pas toujours suffisant pour lever l'équivoque. En effet, le choix du bon référent n'était pas toujours évident pour le lecteur au cas où il y avait dans l'énoncé plusieurs termes dont les marques morphologiques de genre et de nombre étaient identiques à celles du pronom représentant.

Avant le XVIIe siècle, il n'y avait pas de lois qui permettaient dans ce cas de désigner clairement le bon référent. Ce qui fait que dans les textes anciens, on peut remarquer des constructions où il manquait de précision pour trouver le mot qui sert d'antécédent au pronom.

Au XVIIe siècle, les remarqueurs, comme Vaugelas, le père Bouhours et Andry de Bois -Regard, vont alors s'appliquer à éviter toute ambiguïté. Ils établissent des règles qui permettent au lecteur d'interpréter facilement le pronom. Ces règles reposent sur deux critères qui facilitent la relation de transparence entre le pronom et l'antécédent.

* Le premier critère est celui de la proximité entre les deux termes

* Le second est en rapport avec la cohérence du texte : deux pronoms personnels identiques qui se suivent, doivent nécessairement avoir le même antécédent.

2.2.1 Le rapprochement de l'antécédent au pronom :

Lorsque le terme anaphorique se trouve dans un énoncé où il y a plusieurs mots susceptibles d'être pris pour son antécédent, les grammairiens classiques exigent que le pronom représentant soit renvoyé au terme le plus proche. En effet, Brunot soutient que : « Un des meilleurs moyens pour parvenir à la clarté, est le rapprochement du représentant et du représenté. »55 En effet, pour les remarqueurs classiques, l'éloignement entre le mot représenté et le terme qui le représente était à l'origine de beaucoup d'ambiguïtés dans la compréhension du texte. C'est pourquoi, ils ont exigé des écrivains plus de clarté dans la relation pronom antécédent, en proposant la proximité entre ces deux termes.

« Ma fille est ma fille et j'en suis le maître,

Pour lui prendre un mari qui soit selon mes voeux »

(Id. ib v.704-5)

Les pronoms en et lui se substituent au groupe nominal le plus proche ma fille

Il en est de même pour :

« Contre de pareils coups, l'âme se fortifie

Du solide secours de la philosophie,

Et par elle on se peut mettre au dessus de tout »

(Id. ib V.114)

Le pronom elle anaphorise la philosophie

Si ces exemples classiques ne font pas entorse aux exigences de la norme de l'époque concernant la relation de clairvoyance entre l'antécédent et le

(55) Brunot (F), La pensée et la Langue, 3e édition revue, Paris, Masson et Cie 1936. p.196

pronom, il n'en demeure pas moins, que certains écrivains ont continué à maintenir parfois les deux termes séparés, créant ainsi des ambiguïtés dans les textes.

« Elle exécuta enfin la résolution qu'elle avait prise de sortir de chez son mari lorsqu'il y serait. »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.195)

Il représente ce prince qui est un antécédent éloigné et non son mari.

Celles-ci sont condamnées par presque tous les remarqueurs du XVIIe siècle. En effet Brunot rapporte que « Malherbe a blâmé ces séparations si dangereuses pour le style. »56

Malgré cela, dans la pratique, certains auteurs classiques sont loin de se conformer à une réglementation aussi rigoureuse. Et dans leurs textes, on peut parfois constater les manques de précision à propos du choix entre plusieurs antécédents. Ces exemples du français classique illustrent parfaitement ces lacunes :

«_Voilà certainement d'admirables projets

_Vous verrez nos statuts quand ils seront tous faits » 1

(Molière, Fem. sav. v.920)

En lisant les deux vers de l'exemple 1 dits respectivement par Trissotin et Bélise, on peut se poser la question : à quoi réfère ils ? A  statuts  qui est le terme le plus proche ou à  projets  qui s'accorde mieux avec la notion du verbe faire (ils seront faits) ? Ici l'ambiguïté repose sur l'agencement de la phrase parce que  ils  renvoie plus à  projets. En effet, c'est pour conserver la rime (projets / faits) que la proposition temporelle Quand ils seront tous faits vient après la principale vous verrez nos statuts.

(56) Brunot (F), La pensée et la langue, 3e édition revue, Paris, Masson et Cie 1936. p.197

Vu que le référent de ils est projets et non statuts, ce passage paraîtrait plus clair pour le lecteur s'il était construit ainsi : _ Voilà certainement d'admirables projets /_ Quand ils seront faits vous verrez nos statuts .Mais cela gâcherait la rime de l'auteur et il préfère créer l'équivoque plutôt qu'enfreindre les règles de style.

« Et je ne pensais pas que la philosophie

Fut, si belle qu'elle est, d'instruire ainsi les gens

A porter constamment de pareils accidents

Cette fermeté d'âme à vous si singulière,

Mérite qu'on lui donne une illustre matière » 2

(Id. ib v.1550-4)

Entre les deux groupes nominaux  la philosophie  et  cette fermeté d'âme, le lecteur ne saurait trancher automatiquement sur le choix de l'antécédent du pronom lui, d'une part il y a le groupe nominal le plus proche : cette fermeté d'âme et d'autre part la philosophie qui peut aussi bien constituer d'antécédent

à ce pronom puisqu'il est thème le plus saillant et qu'il s'accorde plus avec le sens du groupe verbal donne une illustre matière (que l'auteur traduit par donne occasion de s'exercer)

« Lorsque l'Empereur passa en France, il donna une préférence entière au duc d'Orléans sur M. le dauphin qui la ressentit si vivement que, comme cet Empereur était à Chantilly il voulut obliger M. le connétable à l'arrêter sans attendre le commandement du roi. »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.159)

Les pronoms il et l' ne désignent pas clairement leurs antécédents. En effet entre les trois noms présents dans le texte on se demande auquel réfère il et lequel constitue l'antécédent du pronom l'.

« La reine dauphine faisait faire des portraits en petit de toutes les belles personnes de la cour pour les envoyer à la reine sa mère. Le jour qu'on achevait celui de Mme de Clèves, Mme la dauphine vint passer la journée chez elle»

  (Id. ib, p.202)

Le pronom elle réfère t-il à Mme de Clèves ou Mme la dauphine ?

Ces exemples ne répondent pas à la norme qui exige la clarté et la netteté dans les textes parce qu'il est possible que le pronom ne représente pas l'élément le plus proche. Et dans ces cas, il est nécessaire que le lecteur fasse une analyse profonde de l'énoncé pour pouvoir comprendre. Ces phénomènes que les remarqueurs considèrent comme des incorrections, sont dus ou à une exigence du style (exemple 1) ou à une liberté de construction que les auteurs classiques ont hérité de la langue médiévale. Quoiqu'il en soit, ces modes de référence pronominale n'obéissent pas à la règle de proximité de l'antécédent qui convient le plus à l'anaphore textuelle. Cependant ils peuvent répondre à une autre règle de représentation qu'explique le Pr. Nguissaly Sarré, dans son cours de C.M de grammaire intitulé la référence pronominale en français classique et français moderne. Après la citation de quelques énoncés où la loi de proximité de l'antécédent n'était pas tenue en compte, elle a ajouté ceci : « Ils (ces énoncés) ne s'adaptent pas à une approche textuelle de l'anaphore qui ne conçoit les anaphoriques que comme des anaphoriques de

position (...). Ainsi, faudrait-il se demander si ces énoncés ne relèvent pas d'une approche mémorielle de l'anaphore comme renvoi non pas au référent le plus proche mais au référent le plus saillant parce que présent dans la mémoire immédiate des énonciateurs. Cette approche mémorielle de l'anaphore semble donc convenir aux textes classiques ».

« Elle exécuta enfin la résolution qu'elle avait prise de sortir de chez son mari lorsqu'il y serait ; ce fut toutefois en se faisant une extrême violence. »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.195)

Il ne reprend pas le terme le plus proche son mari qui peut être un antécédent potentiel car il anaphorise M. de Nemours cité plus loin dans le texte, mais qui est plus présent dans la mémoire du locuteur.

En français moderne, cette « approche mémorielle » s'applique mieux à la référence situationnelle. En effet, la représentation anaphorique des pronoms y est fait suivant le principe des marqueurs classiques : celui de la proximité de l'antécédent et du pronom. Les ambiguïtés que présentait la langue classique sont considérées à présent comme des négligences qui ne sont plus admises dans la syntaxe. Cet écart dans l'usage de la langue entre ces deux périodes a été facilité par le fait qu'en français moderne, les phrases sont beaucoup moins complexes que chez les auteurs classiques. Ce qui explique actuellement la netteté dans la représentation pronominale. Le pronom personnel se substitue au terme le plus proche au cas où il y a possibilité de confondre.

« Quand il (Frédéric) arrivait de bonne heure, il le surprenait dans son mauvais lit de sangle, que cachait un lambeau de

tapisserie ; car Pellerin se couchait tard, fréquentait les théâtre avec assiduité. Il était servi par une vieille femme en haillons, dînait à la gargote et vivait sans maîtresse.»

(Flaubert, Educ. sent. p.45)

Le pronom il (il était servi) anaphorise le nom Pellerin qui est plus proche.

Au cas où l'antécédent est un peu éloigné aussi, la phrase est construite de manière à ne laisser aucun doute sur le choix de l'antécédent.

 « Il n'éprouve plus aucun trouble. Les globes des lampes recouverts d'une dentelle en papier, envoyaient un jour laiteux et qui attendrissait la couleur des murailles tendues de satin mauve. »

(Id. ib. p.54)

Il renvoie à Frédéric qui est nommé deux paragraphes plus haut. Cependant on ne peut confondre l'antécédent avec un autre puisqu' il n'y a pas d'autre nom, dans l'intervalle, susceptible d'être le référent du pronom il.

A propos du critère de proximité du pronom, on remarque que la divergence entre la langue classique et la langue moderne se trouve uniquement dans l'usage de certains écrivains. En effet, l'exigence de la norme est la même : la relation entre le pronom et l'antécédent doit être d'une netteté absolue. Pour cela les grammairiens et remarqueurs du XVIIe siècle ont aussi donné un autre moyen de repérage du référent.

2-2-2- La coréférence de deux pronoms identiques dans une phrase

En français moderne, lorsque deux pronoms identiques se suivent, ils ont nécessairement le même référent. Il y va de la cohérence et de la clarté de l'énoncé.

« Frédéric fit un signe d'assentiment. Il attendait que Deslauriers parlât. Au moindre mot d'admiration, il se serait épanché largement, était tout près à le chérir ; l'autre se taisait toujours, »

(Flaubert, Educ. sent. p.71).

Les pronoms personnels il successifs représentent Frédéric. Pour ne pas amener la confusion, l'auteur emploie le terme l'autre pour désigner Deslauriers au lieu de le reprendre par un autre pronom il qui n'aurait pas le même référent que le premier. La coréférence des pronoms dans ce cas fait partie des principes que les grammairiens classiques ont tenu à faire respecter, pour éviter toute équivoque dans les textes. Brunot qui étudie la théorie des grammairiens remarque que : « Des ils successifs ne doivent pas se rapporter à des sujets différents, ou du moins jamais le lecteur ne doit confondre. »57

Cette théorie était aussi valable pour les textes classiques.

« L'hymen d'Henriette est le bien ou j'aspire.

Vous y pouviez beaucoup, et tout ce que je veux,

C'est que vous y daigniez favoriser mes voeux. »

(Molière, Fem. sav .v.300- 2)

(57) Brunot (F), Histoire de la langue française, IV, Paris Armand Colin, 1966. p. 895

Les deux pronoms y sont coréférentiels.

De même :

« L'impatience et le trouble où elle (Mme de Clèves) était ne lui permirent pas de demeurer chez la reine ; elle s'en alla chez elle, quoiqu' »il ne fut pas l'heure où elle avait accoutumé de se retirer. »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.210)

Ces exemples du français classique sont conformes à la règle de clarté et de netteté. Mais, il n'en demeure pas moins que, dans cette même période et dans les mêmes textes où il y a des énonces sans équivoques, on voit d'autres énoncés qui ne respectent pas le critère de coréférence de deux « occurrences successives » d'un pronom. Ce fait se justifie dans nos textes classiques où nous pouvons constater des passages pleins d'ambiguïtés.

« Et ma femme est terrible avec que son humeur.

Du nom de philosophe elle fait grand mystère,

Mais elle n'en est pas pour cela moins colère ; »

(Molière, Fem. sav. V. 666-8)

Dans cet exemple les deux pronoms elle ne semble pas reprendre le même antécédent. En effet, si le premier représente sans aucun doute le groupe nominal ma femme, il n'en n'est pas de même du second pronom qui, d'après le contenu sémantique du vers, ne réfère pas à ma femme mais à son humeur (son humeur n'est est pas pour cela moins colère)

Cette succession de deux pronoms identiques non coréférentiels est une construction qui entrave la clarté du texte.

Il en va de même dans l'exemple :

« - Voilà certainement d'admirables projets

- Vous verrez nos statuts quand ils seront tous faits.

- Ils ne sauraient manquer d'être tous beaux et sages. »

(Id.ib.v.919-21)

Le premier ils, a pour antécédent projets comme nous l'avons dit dans la partie précédente. Alors que le second fait référence à statuts d'après la proximité et le sens des attributs beaux et sages .Les deux occurrences de ils sont alors non coréférentiels. Ces types d'emplois pleins d'équivoque pour le lecteur sont également très présents dans le texte de Mme de La fayette comme en témoignent ces quelques exemples.

« (...) quoique sa passion pour Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, eût commencé il y a plus de vingt ans, elle n'en était pas moins violente, et il n'en (sa passion) donnait pas des témoignages moins éclatants. »

(Pr. de Clèves, p.129)

« (...) comme cet Empereur était à Chantilly, il voulut obliger M. le connétable à l'arrêter sans attendre le commandement

du roi. M. le connétable ne le (l'arrêter) voulut pas; et le roi le (M. le connétable) blâma pour dans la suite pour n'avoir pas suivi le conseil de fils. »

(Pr. de Clèves, p.159)

« Son pouvoir parut plus absolu sur l'esprit du roi qu'il (son pouvoir) ne paraissait encore pendant qu'il (le roi) était dauphin. »

(Id. ib. p.161)

« (...) et elle aurait eu peine à s'en apercevoir elle-même, si l'inclination qu'elle avait pour lui (M. de Nemours) ne lui (Mme de Clèves) eût donné une attention particulière pour ses actions, qui ne lui permît pas d'en douter. »

(Id. ib. p.163)

« Ils convinrent qu'il ne fallait point rendre la lettre à la reine dauphine, de peur qu'elle ne la montrât à Mme de Martigues, qui connaissait l'écriture de Mme de Thémines et qui aurait aisément deviné par l'intérêt qu'elle (Mme de Thémines) prenait au vidame, qu'elle (la lettre) s'adressait à lui. »

(Id. ib. p.231)

« Il écrivit à Mme de Clèves, pour lui apprendre ce que ce que le roi venait de lui (M. de Clèves) dire, et il lui (Mme de Clèves) manda encore qu'il voulait absolument qu'elle revînt à Paris. »

(Id. ib. p.247)

Ces passages montrent des emplois irréguliers que condamne pourtant la norme du français classique. Mais les écrivains de cette époque n'ont pas tenu compte de la confusion que cela pouvait créer dans l'interprétation de leurs textes. Et c'est pour cette raison que ces emplois ont été rigoureusement

condamnés par les grammairiens. Pour plus de netteté, les remarqueurs comme Bouhours considèrent qu'il vaut mieux répéter le mot qui sert d'antécédent au second pronom au lieu d'employer deux pronoms identiques non coréférentiels. Selon lui, il est mieux de dire « il a imité Démosthène en tout ce que Démosthène a de beau », que de dire « en tout ce qu'il a de beau ».58

Si on appliquait cette méthode à un de nos exemples on aurait :

- Vous verrez nos statuts quand ils (projets) seront tout faits.

-Vos/ces statuts ne sauraient manquer d'être tout beaux et sages

Construites de cette manière, ces deux propositions paressent plus claires aux yeux des lecteurs et elles conviennent mieux à la syntaxe du français moderne où ces phrases classiques sont considérées comme mauvaises. La plupart des grammairiens et théoriciens de la langue française se sont employés de manière ardue à combattre le manque de précision dans les textes du XVIIe siècle. En effet à cette période qui suit de prés la renaissance de la langue française, ils ont voulu donné à celle-ci la grandeur et la netteté des anciennes langues comme le latin et le grec. Mais leurs efforts ne seront entièrement récompensés que dans les siècles suivants, notamment en français moderne où les écrivains, contrairement à leurs prédécesseurs, ont eu le temps de se conformer à la norme classique.

Après cette étude de la référence du pronom personnel de la troisième personne, nous avons constaté que celui-ci partageait beaucoup de caractéristiques avec les autres catégories de pronoms (relatifs, démonstratifs et

(58) Bouhours (père), Remarques sur la langue française p.21, cf. Brunot (F) Histoire de la langue française, T. IV, Paris, Armand Colin 1966. p 895.

indéfinis...) que ce soit dans les modes de référence ou dans la relation du pronom avec son antécédent. Cependant chacune de ces catégories de pronom a son propre domaine de référence, c'est-à-dire une classe limitée de mots qu'elle peut représenter. Par exemple certains pronoms sont faits pour représenter des personnes, d'autres, à référer à des choses ou des idées etc....

Et à ce propos, nous allons orienter la suite de notre travail sur l'étude des classes de référents que peuvent avoir les pronoms personnels de la troisième personne en français classique et en français moderne. 

Chapitre II

La classification référentielle du pronom personnel de la troisième personne et les écarts qu'elle pose entre le français classique et le français moderne :

Si on se fonde sur l'appellation pronom personnel, on serait tenté de croire que il et ses variantes allomorphiques ne représentent que des noms de personne. Cependant, comme nous l'avons déjà vu, ils n'ont eu ce nom que par référence aux autres pronoms personnels de la première et de la deuxième personne qui ne remplacent que des humains. Les pronoms de la troisième personne ont alors une classe de référence beaucoup plus vaste que ceux de même catégorie en français classique et en français moderne. Ils ont la propriété de référer à un antécédent qui peut être un groupe nominal (humain ou chose), un groupe verbal, un adjectif, une proposition, un énoncé.

En ancien et en moyen français les emplois étaient plus libres qu'en français classique. En effet, c'est à cette période que les grammairiens ont établi des règles qui sélectionnaient, pour chacune des formes du pronom personnel de la troisième personne, une classe de référents possible. Cette classification référentielle, faite à cette période est celle qui prévaut jusque dans la norme du français moderne.

Bien qu'ils partagent la même valeur de représentant dans le texte, les pronoms il (s), elle (s), on, le, la, les, lui, leur, eux, se, soi, en et y sont différenciés les uns les autres par la catégorisation de leur référence. Cependant, en dehors du pronom indéfini on à valeur générale, ces pronoms ont une propriété qu'ils partagent tous, ces celle d'anaphoriser un groupe nominal (déterminant + nom).

I. La représentation d'un groupe nominal, d'un adjectif, d'un verbe ou d'un énoncé :

A l'exception des pronoms adverbiaux en et y et du pronom neutre le, en français moderne, tous les pronoms personnels de la troisième personne sont spécifiquement réservés à la représentation d'un groupe nominal ou d'un nom propre. Cette norme qui date de l'époque classique n'a pas toujours été adoptée par l'usage. Nous allons ainsi étudier les capacités référentielles du pronom personnel et plus particulièrement les emplois qui différencient l'usage de ces pronoms en français classique par rapport en français moderne.

1.1. Les pronoms sujets il et elle :

D'après la spécialisation qui s'est effectuée sur la référence des pronoms en français classique, il (s) et elle (s) servent désormais exclusivement à la représentation d'un groupe nominal ou d'un nom propre.

« Et si vos yeux sur moi le pouvaient ramasser

Ils prendraient aisément le soin de se baisser »

(Molière, Fem. sav. V.193-4)

Les anaphorise vos yeux.

« Mme de Clèves s'était bien doutée que ce prince s'était aperçu de la sensibilité qu'elle avait eue pour lui et ses paroles lui firent voir qu'elle ne s'était pas trompée. »

(La Fayette, Pr. de Clèves, p.209)

« Elle (la vie) fut charmante, grâce à la beauté de leur jeunesse Deslauriers, n'ayant parlé d'aucune convention pécuniaire, Frédéric n'en parla pas.

Il subvenait à toutes les dépenses. »

(Flaubert, Educ.sent. p.63)

Il reprend Frédéric.

« Non ! rien ! rien ! balbutia le jeune homme, cherchant un prétexte à sa visite. Enfin il dit qu'il était venu savoir de ses nouvelles, car il le croyait en Allemagne »

(Id. ib. p. 75)

Ces exemples du français classique et du français moderne rendent compte de la classification dans l'emploi des pronoms il et elle. Ils ne peuvent anaphoriser un énoncé que lorsque celui-ci sert à paraphraser un groupe nominal.

« De répondre à l'amour que l'on vous fait paraître

Sans le congé de ceux qui vous ont donné l'être.

Sachez... qu'ils ont sur votre coeur l'autorité suprême. »

(Molière, Fem. sav v.163-4-7)

En dépit de cette classification, on remarque dans la langue classique l'emploi du pronom personnel il référent à un énoncé, à la manière des pronoms démonstratifs neutres ce, ceci, cela qui ont généralement une valeur résumante.

1-1-1- Le pronom il anaphorisant un énoncé :

Les emplois du pronom il neutre résumant un énoncé précédent sont récurrents dans le texte des Femmes savantes. Dans ces cas, il accompagne souvent le verbe impersonnel qui n'avait pas de sujet dans l'ancienne langue.

Ariste : «- Parlons à votre femme, et voyons à la rendre favorable...

Chrysale : - Il suffit je l'accepte pour gendre. »

(Molière, Fem. sav v.407-8)

Au lieu de dire cela ou ça suffit comme il convient en français moderne, le pronom il est employé pour résumer l'idée de la phrase précédente. Il en est de même dans :

« -ce n'est pas mon fait que les choses d'esprit

-il n'importe. »

(Id. ib. v.730-1)

« Et, pourvu que j'obtienne un bonheur si charmant

Pourvu que je vous aie, il n'importe comment. »

(Id. ib. v.1535-6)

Il reprend le fait exprimé dans la proposition précédente dans ces exemples.

Ces tournures ne sont plus admises en français moderne où le pronom démonstratif neutre a pris la place du il dans ces emplois. Cependant la concurrence du pronom il et les démonstratif subsistent dans l'usage, en français classique et dans certains emplois jusque dans la langue actuelle.

1-1-2- Le pronom il impersonnel en concurrence avec le démonstratif ce :

Employés comme sujet du verbe être + un adjectif, le pronom il a représenté une proposition. Au XVIIe siècle, les grammairiens ont commencé à fixer des règles dans son emploi. Brunot qui étudie ce cas à travers les emplois en français classique, trouve que le pronom il convient lorsqu'un adjectif suit le verbe comme dans l'expression il est bon de, ou encore lorsqu'un nom de temps suit le verbe être comme dans il est temps.

Cependant il émet quelques réserves quant à cette règle et expose ainsi l'incertitude de certains grammairiens classiques. En effet, il écrit à propos de il devant le verbe être et un adjectif que : «Furetière se demande s'il est mieux de dire il ou cela devant le verbe être : «Est-il vray que cet homme fait tant de dépenses ?

Faut-il répondre : il est vray ou cela est vray ? » Il croit que les deux expressions sont bonnes. »59 Cette incertitude dans l'emploi de ces deux pronoms de classes différentes ne répond pas au principe de netteté qui prévalait dans la norme du français classique. La règle reste imprécise et dans la plupart des cas les grammairiens préfèrent les pronoms neutres ce et cela à la place de il. En effet dans la norme des restrictions sont faites dans l'emploi de il + verbe être + adjectif. L'Académie propose le pronom ce ou cela à la place de il lorsque l'antécédent est antéposé. Cependant, l'usage des écrivains de cette époque n'a pas tenu compte de cette règle. Et on peut ainsi relever dans nos textes classiques divers emplois qui ont gardé l'usage de il résumant un énoncé précédent :

« Vous moquez vous ? Il n'est pas nécessaire. »

(Molière, Fem. sav v.411)

« -De ma douceur elle a trop profité

-Il est vrai. »

(Id. ib. v.701-2)

« Madame, et cet hymen dont je vois qu'on m'honore.

Me met ... Tout beau, monsieur il n'est pas fait encore. »

(Id. ib. V.1081)

« Vous m'étonnez, reprit Mme de Clèves, et je vous ai ouï dire plusieurs fois qu'il n'y avait point de femme à la cour que vous estimassiez davantage. 

-Il est vrai, répondit-il, » 

(La Fayette, Pr. de Clèves, p.174)

(59) Brunot (F), Histoire de langue française. T. IV, Paris, Armand Colin, 1966. p. 859

« Je souffre en apparence sans peine, l'attachement du roi pour la duchesse de Valentinois ; mais il m'est insupportable. »

(Id. ib. p.221)

Dans ces exemples, le pronom il suit l'énoncé qui lui sert d'antécédent. Ces emplois ne sont pas en accord avec la règle en français classique, et ils ne sont pas admis en français moderne où il serait remplacé par les pronoms ce ou cela. En effet Haase soutient que « le pronom neutre il inconnu à la plus ancienne période de la langue, gagne de plus en plus du terrain et tient souvent la place du démonstratif cela et ce, tandis que le français moderne ne l'emploi que dans les incises comme : il est vrai »60

Le pronom il n'a donc survécu en français moderne dans les tournures de ce genre qu'avec quelques expressions qui servent à introduire une proposition infinitive ou une complétive. Et dans ces cas le pronom il a son antécédent postposé car dans le cas contraire il convient de mettre le démonstratif neutre.

Il est vrai qu'il doit partir.

Il doit partir, c'est vrai.

Pour toutes ces raisons les emplois du il neutre, anaphorisant un énoncé, sont plus fréquents dans la langue classique que dans la langue moderne où on ne le retrouve plus que dans les expressions comme : il est temps, il est mieux, il est bon, il est nécessaire, il est possible, il est probable, il est + adjectif etc....introduisant une complétive ou une proposition infinitive.

« Il était impossible de la connaître, de savoir,

par exemple, si elle aimait Arnoux, »

(Flaubert, Educ. sent. p. 175)

(60) Haase (A), Syntaxe française du XVIIe siècle, éd. traduite et remaniée par Monsieur Obert, Paris, Delagrave,1971 p.2.

« Il serait temps, peut être, d'aller instruire les populations. »

(Id. ib p.343)

L'emploi du pronom il dans ces exemples convient parfaitement à la syntaxe du français moderne. Alors que la plupart des emplois du français classique sont aujourd'hui incorrects.

« Sachez que le devoir vous soumet à leurs lois,

Qu'il ne vous est permis d'aimer que par leur

Qu'ils ont sur votre coeur l'autorité suprême,

Et qu'il est criminel d'en disposer vous-même.»

(Molière, Fem. sav. v.165-8)

L'Académie française s'en est pris à cet exemple, et signale qu'  « il est criminel » pour dire c'est une chose criminelle a été blâmé par plusieurs »61. En effet la règle exigeait que l'on emploie le pronom neutre ce à la place de il lorsque le verbe être était suivi d'un groupe nominal au lieu d'un adjectif.

« Ce lui était une grande douleur de voir qu'elle n'était plus maîtresse de cacher ses sentiments et de les avoir laissés paraître au chevalier de Guise. »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.209)

Cependant malgré la distinction faite par la norme, en français classique l'usage a parfois enfreint cette règle en employant il à la place de ce.

«  J'ai laissé tomber cette lettre dont je parlais hier ; il m'est d'une conséquence extrême que personne ne sache qu'elle s'adresse à moi. »

(Id. ib. p.216)

(61) Brunot (F), Histoire de la langue française, T VI éd. Paris Armand Colin 1966 p 1644

« Depuis qu'elle l'aimait, il ne s'était point passé de jour qu'elle n'eût craint ou espéré de le rencontrer et elle trouva une grande peine à penser qu'il n'était plus au pouvoir du hasard de faire qu'elle le rencontrât. »

(Id. ib. p.278)

Ces emplois irréguliers montrent l'écart qu'il y a entre d'une part l'usage et d'autre part la norme en cours, surtout en ce qui concerne cette règle. En effet, même les grammairiens ont été, pour la plupart, indécis dans leurs suggestions pour l'emploi du pronom neutre il ou du démonstratif résumant suivi du verbe être et d'un adjectif. C'est pourquoi, les écrivains classiques ont gardé les tournures qui étaient d'usage dans le siècle précédent.

1-2- Les pronoms personnels compléments :

Les pronoms compléments le, la, les représentent un groupe nominal ou un nom propre en français classique et en français moderne.

« Et je le (Trissotin) connaissais avant que l'avoir vu »

(Molière, Fem. sav. v.250)

« Parlons à votre femme, et voyons à la rendre favorable »

(Id. ib v.407-8)

Il en est de même pour les autres pronoms personnels compléments lui, leur, eux ainsi que se et soi (qui assurent la réflexion des pronoms sujets il et elle ou un groupe nominal équivalent)

Cependant, le pronom personnel le neutre (ou l' lorsqu'il est élidé devant une voyelle) a des capacités de référence plus grandes car il peut anaphoriser un adjectif, un verbe, une idée ou un énoncé en français classique et moderne.

1-2-1- Le pronom le référant à une idée, un énoncé ou un groupe verbal :

« Croyez-vous pour vos yeux sa passion bien forte,

Et qu'en son coeur pour moi toute flamme soit morte

-Il me le dit, ma soeur, et, pour moi, je le croi.»

(Molière, Fem.sav. V.111-3)

Le refére dans cet exemple à une idée, celle de la réponse d'Henriette qui n'est pas textuellement formulée : le = que sa passion est bien forte et qu'en son coeur pour toi toute flamme est morte.

« (...) le maréchal de Saint-André, quoique audacieux et soutenu de la faveur du roi, était touché de sa beauté, sans oser le lui faire paraître que par des soins et des devoirs. »

(La Fayette, Pr. de Clèves, p.152)

Le pronom le anaphorise dans cet exemple l'énoncé précédent. Il a alors une valeur d'anaphore résumante.

« Et faites le contrat ainsi que je l'ai dit. »

(Molière, Fem. sav. V. 1778)

Le pronom le reprend le verbe faire : faites le contrat ainsi que j'ai dit de faire

1-2-2- Le pronom le représentant un adjectif ou ayant la fonction d'un attribut :

« Ma tante, et bel esprit, il ne l'est pas qui veut. »

(Id. ib V.822)

« Que peu philosophe est ce qu'il vient de faire

Je ne me vante point de l'être, mais enfin »

(Id. ib. V.1728-9)

« - L'on ne peut être plus surprise que je le suis, dit alors Mme de Clèves, et je croyais Mme de Tournon incapable d'amour et de tromperie. »

(La Fayette, Pr. de Clèves, p.186)

« Elle était si belle, ce jour-là, qu'il en serait devenu amoureux quand il ne l'aurait pas été. » 

(Id. ib. p.202)

Le (l') anaphorise dans ces exemples un adjectif ou un nom qui a la valeur d'un adjectif. L'a la fonction d'un attribut parce qu'il accompagne le verbe être.

Dans ces emplois le pronom le est neutre, et selon la norme établie en français classique, il ne peut pas varier en genre et en nombre, ni lorsqu'il reprend une idée ou un énoncé, ni lorsqu'il reprend un verbe. Cependant le, employé en fonction attributive, n'a commencé à devenir invariable qu'à partir du français classique.

1-2-3- Les pronoms la, les à la place du pronom neutre le :

Avant la période classique, le attribut prenait la marque du féminin la et

du pluriel les suivant que le sujet qu'il déterminait était du genre féminin ou du nombre pluriel.

Au XVIIe siècle, Vaugelas condamne l'accord dans l'exemple « Etes-vous malade, Madame ? Je la suis » et assimile l'emploi du pronom la à  « cette faute que font presque toutes les femmes et de Paris et de la cour. »62

Mais malgré l'interdiction, l'emploi de la et les à la place du pronom le neutre continue chez les écrivains. En effet, Haase trouve que « le pronom le, attribut du verbe être, s'accorde avec son sujet au XVIIe siècle et les formes la, les remplacent le neutre le dans la langue actuelle. »63 Et il nous donne ces quelques exemples pris dans des textes de Corneille et de Molière.

«Vous êtes satisfaite, et je ne la suis pas »

(Corneille, Pompée v.2)

« Infidèles terrain du feu mal allumé, soyez les de ma honte »

(Id., Galeries. du Palais. III, 10)

«Je veux être mère parce que je la suis et ce serait en vain que je ne voudrais pas être »

(Molière, Les amants magnifiques I, 2)

Ces emplois n'existent plus dans l'usage en français moderne où l'on n'emploie que le pronom neutre dans ces cas, que ce soit avec un sujet féminin ou pluriel. En effet, dans la langue moderne, les pronoms compléments variables comme la, les, lui etc. ne peuvent pas anaphoriser un adjectif ou autre chose qu'un groupe nominal déterminé.

(62) Vaugelas (C. Fabre de) 1647, Remarques sur la langue française, Paris, Ed. Champs Libres 1987 

(63) Haase (A), Syntaxe française du XVIIe siècle, éd. traduite et remaniée par Monsieur Obert, Paris, Delagrave, 1971. p 11

En dehors du pronom neutre le, seuls les pronoms en et y peuvent représenter en plus du groupe nominal, d'autres termes qui composent l'énoncé.

1-2-4- Les pronoms adverbiaux en et y :

En et y ont des emplois plus libres que les autres pronoms personnels de la troisième personne. Ils peuvent représenter un groupe nominal en le faisant précéder de la proposition de (en) et à (y).

*Avec en :

« Le défaut des auteurs dans leurs productions

C'est d'en tyranniser les conversations »

(Molière, Fem. sav v. 955-6)

Le pronom en anaphorise leurs productions : c'est de tyranniser les conversation de leurs productions.

« (...) elle avait été élevée à la cour de France, elle en avait pris toute la politesse, et elle était née avec tant de dispositions pour toutes les belles choses que, malgré sa grande jeunesse, elle les aimait et s'y connaissait mieux que personne. »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.130)

En représente la cour

*Avec y :

« Ces paroles firent rougir Mme de Clèves, et elle y trouva un certain rapport avec l'état où elle était,... »

(Id. ib. p.181)

Y refére à ces paroles

« C'et obligeant amour a de quoi me confondre

Et j'ai regret, monsieur, de n'y pouvoir répondre »

Y = à cet obligeant amour

En français classique ces pronoms ont eu différentes valeurs qui ont pour la plupart survécu dans la langue moderne. Et tout comme le pronom neutre le, les adverbiaux en et y, ont la possibilité d'anaphoriser un énoncé, un groupe verbal ou de reprendre une idée en français classique et en français moderne.

*Avec y :

« Faites-vous sur mes voeux un pouvoir légitime

Et ne donnez moyen de vous aimer sans crime

-J'y vais de tous mes soins travailler hautement »

(Molière, Fem. sav. v.175-7)

« (...) Mme de Chartres lui dit qu'il y avait tant de grandeur et de bonnes qualités dans M. de Clèves et qu'il faisait paraître tant de sagesse pour son âge que, si elle sentait son inclination portée à l'épouser, elle y consentirait avec joie. »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.130)

Dans ces exemples le pronom y résume l'idée de la proposition précédente et peut être remplacé par à cela.

*Avec en :

« Par un prompt désespoir souvent on se marie

Qu'on s'en reprend après tout le temps de sa vie »

(Id. ib v.1775-6)

En anaphorise le groupe verbal se marie : Qu'on se reprend de s'être marié.

De même :

« (...) elle avait fait une forte résolution de s'empêcher de le voir et d'en éviter toutes les occasions qui dépendrait d'elle. »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.174)

En reprenant un énoncé le pronom en peut marquer la cause.

« Ce prince était galant, bien fait et amoureux ; quoique sa passion pour Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, eût commencé il y a plus de vingt ans, elle n'en était pas moins violente, »

(Id. ib. p.130)

« Ce prince vit bien qu'elle le fuyait, et en fut sensiblement touché. »

(Id. ib. p.195)

« Le corps avec l'esprit fait figure, mon frère

Mais, si vous en croyez tout le monde savant, »

(Id. ib v.544-5)

Le pronom en a dans ces exemples la valeur sémantique de à cause de cela.

De même en français moderne :

« Son amitié pour Frédéric était morte, et il en éprouvait de la joie »

(Flaubert, Educ.sent. p. 216-7)

Les pronoms adverbiaux en et y ont eu des emplois très libres en français classique et la plupart de ceux là ont été conservés dans la syntaxe du français moderne.

Cependant, le pronom en a des emplois qui le particularisent par rapport aux autres pronoms de la troisième personne. Il peut en effet dans la représentation anaphorique, modifier la charge sémantique de son antécédent.

II. La représentation non coréférentiel d'un nom ou d'un groupe nominal par le pronom personnel de la troisième personne

2-1- L'anaphore non coréférentielle d'un nom à déterminant zéro en français classique :

En français classique, il et ses variantes allomorphiques sont classifiés pour représenter un groupe nominal qu'ils reproduisent fidèlement. En français, cette règle demeure toujours et ces pronoms ne peuvent pratiquer une anaphore non coréférentielle c'est-à-dire dans laquelle le mot représenté et le pronom représentant, ne désigne pas la même chose. C'est pour cette raison, que les pronoms personnels de la troisième personne qui servent à reprendre un nom déterminé à l'aide d'un article ou d'un équivalent, ne peuvent plus représenter un nom à déterminant zéro, sauf si celui-ci est en emploi extensionnel comme les noms propres. En effet, si un pronom personnel reprend un nom à déterminant zéro en emploi intentionnel comme ceux qui se trouvent dans les locutions verbales du genre : prendre soin, rendre justice, tenir rigueur, prendre partie etc., il dote ce dernier d'une extension. Cette extension n'est rien d'autre que la détermination qui donne au mot sa valeur référentielle. Mais, il arrive aussi qu'il maintienne l'emploi intentionnel et dans ce cas le nom n'est anaphorisé que pour ses propriétés sémantiques.

Ce changement qui s'opère dans la représentation, crée un décalage entre le mot représenté et le pronom. Ce genre d'anaphore non coréférentielle était encore présent dans la langue classique malgré l'intervention des remarqueurs comme Vaugelas qui s'y opposait.

« Il serait beau vraiment qu'on le vit aujourd'hui

Prendre loi de qui doit la recevoir de lui » 64

(Molière, L'école des femmes. v 1690-1)

« J'offenserais le Roi qui m'a promis justice.

Vous savez qu'elle marche avec tant de langueur »65 (Corneille, Cid 882.3)

Les pronoms la et elle dans ces exemples reprennent respectivement les mots loi et justice qui n'ont de sens dans leurs emplois que lorsqu'ils sont accompagnés de leur noyau verbal que sont successivement prendre et promettre (a promis). En faisant reprendre les termes non accompagnés de déterminants que sont ici les mots loi et justice par les pronoms la et elle, on crée un décalage entre le sens des antécédents et celui de la représentation qu'en font les pronoms. En effet, ces antécédents, dans les locutions verbales prendre loi et a promis justice expriment l'acte, le fait. Ils différent ainsi de la signification que leur donne le mot accompagné de déterminant dans la loi et la justice qui ici sont référentiels, représentant des institutions.

De même, le pronom personnel ne peut pas reprendre en français moderne un groupe nominal déterminé en en ôtant son extension, il y aurait alors anaphore non coréférentiels.

64-65 Exemples citée par Spillebout (G), Grammaire de la langue française du XVIIe siècle, Paris, Picard 1985. p 142

« De son bon goût, monsieur, nous voyons des effets

-où voyez-vous, monsieur, qu'elle l'ait si mauvais. »

(Molière, Fem. sav. v. 1347-8)

Dans cet exemple, le mot goût dans le groupe nominal son bon goût est repris dans le second vers par le pronom personnel élidé l' pour rendre l'expression verbale avoir mauvais goût dans laquelle le mot goût n'est pas déterminé.

Avec la classification qui opérée sur les pronoms personnels à l'époque classique, ces emplois non coréférentiels ont été condamnés par les grammairiens. Et par conséquent, ils n'ont pas survécu en français moderne. En ce sens, Brunot explique qu'  « en f .m, un nom pour être représenté, a besoin d'être accompagné de l'article ou d'un de ses équivalents. Cela veut dire qu'une expression verbale ou nominale une fois composée, on ne peut en détacher un élément, pour porter sur lui la pensée. »66

L'anaphore d'un nom à déterminant zéro est cependant restée un emploi fréquent dans la langue classique mais on le retrouve surtout avec les pronoms en et y qui ont de grandes capacités référentielles aussi bien en français classique qu'en français moderne.

« Ayez pitié de moi, Madame, lui dit-il, j'en suis digne ... »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.241)

« - Au nom de Dieu, lui dit-elle, laissez-moi en repos !

- Hélas Madame, répondit-il, je ne vous y laisse que trop ; de quoi pouvez-vous vous plaindre ?

(Id. ib. p.250)

(66) Brunot (F), La pensée et la langue, Paris Masson et Cie 3ème éd. 1936. P 173

Dans ces exemples les pronoms en et y anaphorisent des noms à déterminant zéro de manière coréférentielle en référant à un mot sans déterminant tout en le maintenant en emploi intentionnel dans une expression verbale : je ne vous y lisse que trop = je ne vous laisse que trop en repos. Il y a donc une saisie purement notionnelle du mot repos qui n'est pris que pour ses propriétés sémantiques et non pour une quelconque valeur référentielle.

Cependant le pronom en est aussi apte à faire une anaphore non coréférentielle sur un groupe nominal lorsqu'il reprend un nom déterminé en ôtant sa détermination ou lorsqu'il reprend un nom à déterminant zéro en le dotant d'une extension.

« (...) il feignit une grande passion pour la chasse et il en faisait des parties les mêmes jours qu'il y avait des assemblées chez les reines. »

(Id. ib. p.194)

Le pronom en refére au groupe nominal la chasse en ôtant l'extension du mot dans l'expression : parties de chasse.

« Si j'avais le courroux dont on veut m'accuser,

Je trouverais assez de quoi l'autoriser.

Vous en seriez trop digne, »

(Molière, Fem. sav. v.1167-9)

En reprend le courroux en ôtant son extension dans la locution adjectivale digne de courroux. Il en est de même en français moderne

« Vous m'avez l'air d'un fameux garde national ! (...)_ Je n'en suis pas ! »

(Flaubert, Educ. sent. p.63)

En reprend garde national sans la détermination.

Dans ces exemples il y a anaphore non coréférentielle. Il en est ainsi dans cet autre exemple

« Enfin une partie de la nuit était passée devant que M. de Nemours songeât à le laisser en repos.

Mme de Clèves n'était pas en état d'en trouver... »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.310)

Le pronom en reprend le mot repos employé dans une locution verbale en le dotant d'une extension à l'aide du partitif du (Madame de Clèves n'était pas en état de trouver du repos)

Le pronom en peut également en français classique comme en français moderne anaphoriser un groupe nominal en modifiant sa détermination.

2-2- L'anaphore non coréférentielle d'un nom déterminé par le pronom en en français classique et moderne.

Lorsque le pronom adverbial en représente un nom déterminé, il a la capacité d'en changer la détermination en passant du général au particulier en changeant le nombre du déterminant ou en passant d'un déterminant massif à un déterminant comptable et vice versa. Et dans ces cas l'antécédent et le pronom anaphorique ne représentent plus la même chose : Ils sont non coréférentiels

2-2-1 Le passage du général au particulier :

On obtient en général cet emploi lorsque le pronom en suivi de l'article un, reprend un groupe nominal.

« Il me tarde de voir notre assemblée ouverte

Et de nous signaler par quelque découverte

(...) pour moi sans me flatter, j'en ai déjà fait une ».

(Molière, Fem.sav.v.885-9)

Dans cet exemple en représente quelque découverte. Si on se limite à cela, on constate que le pronom est coréférentiel à l'antécédent. Cependant avec l'adjonction de l'article une, la détermination change et la représentation devient non coréférentielle.

Il en est de même :

« Quel malheur

Digne de nous troubler pourrait-on nous écrire ?

Cette lettre en contient un que vous pouvez lire »

(Id. ib. v. 1692-4)

« Mme de Chartres admirait la sincérité de sa fille, et elle l'admirait avec raison, car jamais personne n'en eu une si grande et si naturelle. »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.150)

« Un jour, entre autre, on se mit à parler de la confiance. Je dis qu'il n'y avait personne en qui j'en eusse une entière; »

(Id. ib. p.217)

2.2.2 Le passage du singulier au pluriel :

Lorsque le pronom en reprend un groupe nominal singulier en ajoutant à sa suite un déterminant massif ou pluriel, on obtient également une représentation non coréférentielle.

« Le moindre solécisme en parlant vous irrite

Mais vous en faites vous, d'étranges en conduite »

(Molière, Fem. sav. v.553-60)

Dans cet exemple, en reprend le mot solécisme en changeant son article le singulier par de, article indéfini pluriel que l'on emploie devant un adjectif + nom à la place de l'article des.

« Il me tarde de voire notre assemblée ouverte

Et de nous signaler par quelque découverte

On en attend beaucoup de vos vives clartés »

(Molière, Fem. sav. v. 885-7)

Ici le pronom indéfini massif beaucoup s'ajoute au pronom représentant en pour modifier la détermination de l'antécédent quelque découverte. Et ainsi d'un nom singulier on passe à un nom pluriel.

De même en français moderne :

« Tu as une bonne tête, ma parole !

-Elle en a fait tourner quelques unes, repris le jeune magistrat, d'un air à la fois convaincu et vexé ».

(Flaubert, Ed. sent. p.191)

En anaphorise le mot tête en changeant l'article une qui l'accompagne en adjectif indéfini pluriel quelques-unes. Il opère alors une représentation non coréférentielle sur l'antécédent.

2.2.3 - Le passage du pluriel au singulier :

De la même manière que le pronom en peut faire d'un nom singulier une représentation plurielle, il peut aussi reprendre un nom pluriel par un groupe nominal singulier comme en témoigne l'usage en français classique comme en français moderne dans ces exemples.

«  Ce prince n'avait pas une fidélité exacte pour ses maîtresses ; il y en avait toujours une qui avait le titre et les honneurs ;

mais les dames que l'on appelait de la petite bande le partageaient tour à tour.

(La fayette, Pr. de Clèves, p.158)

Le pronom en refére à ses maîtresses en changeant la détermination en une.

« Elle interpella Frédéric pour savoir quelles jeunes personnes lui avaient plu. Il n'en avait remarqué aucune, et préférait, d'ailleurs, les femmes de trente ans. »

(Flaubert, Ed. sent. p.130)

Dans cette anaphore non coréférentielle du mot personnes par le pronom en, le déterminant singulier aucune ne se substitue au déterminant pluriel quelles.

Ces emplois non coréférentiels du pronom en sont très nombreux dans l'usage en français moderne où ce pronom bénéficie d'une très grande liberté par rapport aux autres pronoms personnels de la troisième personne. En effet, à partir du français classique, ces derniers ont commencé à connaître des emplois plus restreints.

Outre leur classification dans l'anaphore d'un nom, d'un adjectif ou d'un énoncé, les pronoms personnels sont aussi catégorisés dans leur aptitude à représenter soit un nom de personne ou de chose.

III. La représentation des personnes et des choses par le pronom personnel de la troisième personne :

Le pronom personnel il et ses variantes allomorphiques sont essentiellement employés pour représenter un nom de personne ou un animé. Cependant, ils sont aussi aptes à anaphoriser des noms de chose. En français moderne, on peut les classer en trois catégories suivant leur aptitude à reprendre ces noms de personne ou de chose.

* Les pronoms il(s), elle(s) ainsi que les compléments le, la, les, leur, se, soi et le pronom lui en position atone peuvent, selon leur emploi, représenter des humains ou des objets.

* Les pronoms accentués lui, elle et eux appuyés sur une préposition sont spécialisés dans la représentation humaine. Il en est de même lorsqu'ils sont en emploi emphatique. En ce sens, Brunot affirme, en parlant du pronom personnel elle, que selon Bouhours « au nominatif, elle convient aux personnes et aux choses, aux cas obliques, il n'en est pas de même, on dit pas d'un homme qui aime la philosophie : il s'attache à elle. »67 Cette restriction concerne également les pronoms lui et eux.

* La troisième catégorie que composent les pronoms en et y fait spécifiquement référence aux choses et aux animaux. Ils sont employés là où ces derniers ne peuvent être repris par le pronom lui, elle, eux précédés d'une préposition.

(67) Brunot (F.), Histoire de la langue française, T. IV, Paris, Armand Colin, 1966.p.880

« Mon coeur sur vos leçons veut régler sa conduite »

Et pour vous faire voir ma soeur, que j'en profite.

Clitandre, prenez soin d'appuyer votre amour... »

(Molière Fem. sav. v.171-3)

Le pronom en fait référence à vos leçons qui ne peut être repris par le pronom lui (de lui).

Ce classement rigoureux en français moderne a un peu diminué les capacités référentielles du pronom personnel de la troisième personne. En effet, en français classique, bien que ces spécialisations aient étés déjà recommandés par les grammairiens et les remarqueurs, ces pronoms personnels ont été employés de manière beaucoup plus libre. C'est pourquoi en étudiant la langue classique à travers les textes des écrivains de cette période, on a pu remarquer des emplois où des pronoms à référent humain se rapportaient à des antécédents non humains et vice versa.

3-1. Les pronoms soi, en et y représentant des noms de personnes :

En français classique comme en français moderne, le problème ne se pose pas avec les pronoms atones, il, elle, le, la, les, se, leur qui peuvent anaphoriser aussi bien les noms de personne que des noms de chose.

Quant aux pronoms personnels lui, elle, eux, soi précédés d'une préposition et les pronoms adverbiaux en et y, ils sont à l'origine de certains écarts dans l'emploi entre la langue classique et la langue moderne.

3-1-1 - Le pronom soi à la place de lui :

Le pronom soi était employé en ancien français pour assurer la réflexion du pronom personnel sujet de la troisième personne ou d'un groupe nominal équivalent. Il a servi dans beaucoup de cas où l'on trouve aujourd'hui le pronom réfléchi atone se comme en témoigne l'expression figée soi disant.

En moyen français, l'emploi de soi est petit à petit concurrencé par celui des pronoms.

Au début de la période classique, la spécialisation s'est faite dans son emploi. Il continue à être employé cependant pour la représentation des personnes et des objets mais de manière plus restreinte. En effet, le pronom soi est désormais, majoritairement réservé aux noms de chose et il continue à faire référence aux humains seulement dans les cas où l'antécédent est un pronom indéfini (on, chacun, nul, quiconque...) ou un groupe nominal indéfini.

-Soi référant à une chose 

« Qu'à donc le mariage en soi qui vous oblige ? »

(Molière, Fem. sav. V.7)

« Le savoir garde en soi son mérite imminent »

(Id. ib. v.1303)

-Soi référant à une personne

« Qu'est ce qu'à mon âge on a de mieux à faire

Que d'attacher à soi, par le titre d'époux

Un homme qui vous aime et soit armé de vous »

(Id. ib. V.20-1)

Le pronom soi qui a connu des restrictions dans la référence humaine à partir du XVIIe siècle, reprend dans cet exemple le pronom indéfini on.

Dans les cas où l'antécédent humain est défini, ce sont les pronoms lui, elle, eux (précédé d'une préposition) qui assurent la réflexion du mot.

« Il (le sage) se met au dessus de ces sortes d'affaires

Et n'a garde de prendre aucune ombre d'ennui

De tout ce qui n'est pas pour dépendre de lui»

(Id. ib. V.1546-8)

« L'on ne peut exprimer la douleur qu'elle sentit de connaître, par ce que lui venait de dire sa mère, l'intérêt qu'elle prenait à M. de Nemours : elle n'avait encore osé se l'avouer à elle même. »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.169)

« Il était debout dans sa chambre, avec le visage furieux, marchant et s'arrêtant comme s'il eût été hors de lui-même. »

(Id. ib. p.182)

Les pronoms personnels fortes lui et elle sont ici employés pour assurer la réflexion des sujets déterminés à référence humaine

A ce propos, Brunot confirme l'emploi restreint de soi en émettant ces remarques : « Au pluriel d'abord, dès le commencement du XVIIe siècle, soi est hors d'usage. Au singulier avec un nom de personne, quand cette personne est indéterminée, la langue classique penche peu à peu vers le personnel : cet homme pense à lui plutôt que cet homme pense à soi. »68

(68) Brunot (F) La pensée et la langue, Paris, Masson et Cie1936. p.329

De même Bouhours remarque : « soi s'emploie en parlant de personnes, quand on parle d'une manière générale sans marquer une personne qui soit le nominatif du verbe. »69 Ce cas se justifie dans les exemples :

« Ce sont choses de soi qui sont belles et bonnes. »

(Molière, Fem. sav. V. 1278)

« (...) mais elle lui faisait voir combien il était difficile de conserver cette vertu que par une extrême défiance de soi-même. »

(La fayette, Pr. de Clèves, p.169)

Ici le pronom soi n'identifie aucun sujet comme étant son antécédent. Cependant, malgré les restrictions faites sur l'emploi de ce pronom réfléchi, on constate que dans les textes classiques, l'emploi de soi est resté, en concurrence avec celui des pronoms lui et elle qui, comme le font les pronoms de la première et de la deuxième personne moi et toi, assurent la réflexion de l'antécédent humain.

« Cet indolent état de confiance extrême

Qui le (Trissotin) rend en tout temps si content de soi-même »

(Id. ib. V. 255-7)

Soi renvoie ici à un référent humain bien déterminé, là où le pronom personnel lui est plus indiqué selon la règle de cette époque.

De même :

« Il n'est pour le vrai sage aucun revers funeste ;

Et, perdant toute chose, à soi même il se reste. »

(Molière, Fem. sav. V.1707-8)

(69) Bouhours (Père Dominique) Remarques sur la langue française p287-8, cf. Brunot (F), Histoire de la langue française, T.IV, Paris, Armand Colin, 1966.  p 861

Le pronom soi dans cet exemple serait aussi remplacé en français moderne par lui qui s'applique régulièrement à la représentation humaine dans des emplois de ce genre.

Cependant, si la règle en français, classique et en français moderne ne tolère pas l'usage du réfléchi soi à la place des personnels lui et elle, elle le recommande par ailleurs dans les cas où, selon Bouhours70, il pourrait y avoir équivoque.

En français moderne, soi est obligatoire « pour renvoyer à un sujet défini (...) toutes les fois que la forme non réfléchie serait équivoque : un homme de bien ne saurait empêcher par toute sa modestie qu'on ne dise de lui ce qu'un malhonnête sait dire de soi (La Bruyère). »71 En effet, ici, l'emploi de deux pronoms lui successifs non coréférentiels créerait une ambiguïté.

En dehors du pronom réfléchi soi qui reprend mal en français classique un antécédent défini humain, les pronoms adverbiaux en et y, que nous avons classé comme étant de préférence réservés aux objets et aux animaux en français moderne, ont eu une capacité de référence beaucoup plus élargie dans l'usage aux XVIIe siècle. Ils ont, eux aussi, malgré leur catégorisation, concurrencé avec les pronoms lui et elle dans la représentation des noms de personnes.

3-1-2- Les pronoms en et y avec un référent humain

Dans l'ancienne langue, les pronoms adverbiaux s'employaient pour les humains et les objets. Au XVIIe siècle, la spécialisation les a réduits à la représentation des choses, des animaux. Ce qui conduit les grammairiens et remarqueurs à blâmer les anciens emplois.

(70) Bouhours, Remarques, cf. Brunot (F) Histoire de la langue française, T.IV, Paris, Armand Colin, 1966. p. 862 

(71) Wagner (R.L.) et Pinchon (J). Grammaire du français classique .et moderne,. Paris édition Hachette 1962 p183

Selon la règle établie, à ce sujet, le pronom lui doit être pour les personnes et les adverbiaux en, y pour les choses : Cet homme est dangereux, il faut vous éloigner de lui ; mais ; ce terrain est dangereux, il faut vous en éloigner, il ne faut jamais y jouer.

Cependant, à cet époque, les emplois de en et y avec une référence humaine restent présents dans les textes de tous auteurs classiques.

* Le pronom en :

En français classique, ce pronom s'est référé à un antécédent humain pour exprimer la possession.

 « Et je lui veux faire aujourd'hui connaître

Que ma fille est ma fille, et que j'en suis le maître »

(Molière, Fem. sav. V. 703-4)

Le pronom en anaphorise le groupe nominal humain ma fille (je suis le maître de ma fille). Cette tournure n'est plus admise dans la syntaxe du français moderne où la représentation d'appartenance se fait au moyen des pronoms possessifs. Haase rapporte en ce sens que « Bouhours, qui seul se prononce sur ce point, exige son etc., lorsqu'il s'agit de personnes, et en lorsqu'il s'agit de choses. »72 C'est le cas dans :

« Je soutiens qu'on ne peut en faire de meilleur ;

Et ma grande raison, c'est que j'en suis l'auteur. »

(Molière, Fem. sav. V. 999-1000)

Ou encore dans cet exemple du français moderne

(72) Haase (A), 1898, Syntaxe française du XVIIe siècle, ed. Traduite et remaniée par M.Obert Paris, Delagrave, 1971. p 22

« Il maniait les spécimens étalés, en discutait la forme, la couleur, la bordure ; et Frédéric se sentait de plus en plus irrité par son air de méditation. »

(Flaubert, Educ. Sent. p.51)

Le pronom en a aussi été employé en français classique à la place des pronoms personnels à référent humain avec de (de moi, de toi, de lui, etc....)

« (...) La politique l'obligeait d'approcher cette duchesse de sa personne afin d'en approcher aussi le roi. » 

(La Fayette, Pr. de Clèves, p.130)

« Ils trouvèrent enfin qu'ils la (Mlle de Chartres) louaient trop, et ils cessèrent de dire ce qu'ils en pensaient ; mais ils furent contraints d'en parler les jours suivants partout où ils se rencontrèrent. »

(Id. ib. p.140)

« Il aimait une des plus belles femmes de la cour et en était aimé. »

(Id. ib. p.160)

« Elle se mit un jour à parler de lui, elle lui en dit du bien et y mêla beaucoup de louanges empoisonnées sur la sagesse qu'il avait d'être incapable de devenir amoureux... »

(Id. ib. p.168)

Ce type d'emploi est toujours en usage dans la langue moderne malgré les restrictions faites sur la référence du pronom en. En effet, Wagner et Pinchon reconnaissent que « le pronom en peut évoquer une personne, surtout avec un verbe qui admet pour complément un substantif évoquant aussi bien un animé qu'un inanimé (dire de, faire de, obtenir de, parler de etc....) » 73

(73) Wagner (RL) à Pinchon (J) Grammaire du français classique et moderne, Paris, Hachette 1962- p.184-5.

« Enfin, un jour elle (la Maréchale) répondit qu'elle n'acceptait pas les restes d'une autre.

-Quelle autre

-Eh oui ! Va retrouver Mme Arnoux.

Car Frédéric en parlait souvent ; »

(Flaubert, Educ sent. p.175)

Le pronom en représente dans cet exemple Mme Arnoux qui doit être repris régulièrement par d'elle.

En français moderne l'usage de en référant à une collectivité est également fréquent :

« -Ce soir je dîne en ville

- Chez les Dambreuse ? Pourquoi ne m'en parles-tu jamais. »

(Id. ib. p.53)

« Représentant la compagnie près les ouvriers, il s'en ferait adorer, naturellement, ce qui lui permettrait, plus tard, de se pousser au conseil général, à la députation ».

(Id. ib. p.222)

Dans ces exemples-ci en reprend successivement les Dambreuses et les ouvriers et peut être remplacé par d'eux.

Ces emplois exceptionnels du pronom en à référent humain témoignent des écarts qu'il y a toujours entre la règle et l'usage de la langue. Quant à Georges et Robert Lebidois, ils considèrent cet emploi comme une faute de grammaire.

* Le pronom y :

Tout comme le pronom en, le pronom y a gardé dans les textes classiques son emploi pour représenter des personnes. Dans  Les femmes savantes  y est souvent employé à la place du personnel lui précédé de la proposition à.

« - Votre visée au moins n'est pas mise à Clitandre

- et par quelle raison n'y serait-elle pas ? »

(V 88-9)

Y anaphorise un nom propre humain Clitandre

Ensuite aux vers 99-100

« Ainsi, n'ayant au coeur nul dessein pour Clitandre,

Que vous importe-t-il qu'on y puisse prétendre »

Ou encore aux vers 1026-7

« - oui, oui, je te renvoie à l'auteur des Satires

- je t'y renvoies aussi »

« (...) c'est ma faute de lui avoir caché que j'aimais Mme de Tournon ; sil l'eût su il ne s'y serait peut être pas attaché... »

(La Fayette, Pr. de Clèves, p.185-6)

Le pronom y réfère à l'auteur des Satires qui est également un antécédent humain.

En français moderne le pronom lui précédé de à conviendrait plus à la place du pronom y.

Ces emplois de y représentant une personne sont hérités de la syntaxe ancienne puisqu'au XVIIe siècle ce pronom s'est spécialisé dans la représentation des choses. Cependant l'emploi de y à la place de lui a été parfois conservé dans l'usage par les écrivains jusque dans la langue moderne.

« -Tu m'y présenteras plus tard, n'est ce pas, mon vieux ?

- Certainement, dit Frédéric. »

(Flaubert, Educ sent p.63)

Le pronom y anaphorise ici un humain, il reprend Arnoux et l'équivalent de à lui.

De même que les pronoms soi, en et y qui ont, en français classique, eu un antécédent humain à la place de lui, elle et eux, ceux-ci aussi, ont pu dans les textes du XVIIe siècle représenter des noms de choses.

3-2 - Les pronoms lui, elle(s), eux représentant des noms de choses à la place de soi, en, et y

Bien qu'au XVIIe siècle lui, elle et eux ont été (en position accentuée) spécialisé dans la représentation humaine, on constate dans l'usage qu'ils ont continué à cette période à prendre la place des pronoms soi, en, y. Cela est stimulé sans doute par l'extension donnée à leur emploi (ils remplacent soi dans la représentation des personnes définies) au détriment des restrictions faites sur ceux des pronoms soi, en et y qui sont réduits à la représentation des choses dans la plupart de leurs emplois.

3-2-1- Le pronom lui à la place du réfléchi soi :

En français classique et en français moderne, les grammairiens ont établi que le pronom soi devait être employé pour marquer la réflexion des noms de chose et des noms de personne indéfinis (ou pronoms indéfinis).

En effet Brunot confirme : « soi est aujourd'hui exclusivement employé pour marquer la réflexion là où le sujet est indéterminé.74 

Cependant cette règle qui était récente à l'époque classique avait crée la confusion chez les écrivains qui ont employé les deux pronoms l'un pour l'autre. Et lui a été utilisé pour représenter un antécédent humain indéfini à la place de soi.

 « On répugne à se faire immoler ce qu'on aime

Et l'on veut n'obtenir un coeur que par lui-même »

(Molière, Fem. sav v.1509-10)

Ici lui-même assure la réflexion du pronom indéfini on. Cet emploi n'est plus admis en français moderne où le pronom soi prendrait la place de lui dans cet exemple.

3.2.2 Le pronom lui à la place de en et y ou représentant une chose :

En français classique, les pronoms lui, elle et eux ont parfois référé à des noms de choses alors que la règle les réservait à la référence humaine.

En effet après leur spécialisation ces pronoms ont continué à servir dans l'usage dans des cas où la norme exigeait l'emploi des adverbiaux en et y.

Ces quelques exemples montrent des emplois irréguliers des pronoms lui, elle, eux.

« Ne concevez-vous point ce que, dès qu'on l'entend,

Un tel mot à l'esprit offre de dégoûtant,

De quelle étrange image on est par lui blessée »

(Molière Fem. sav v.9-11)

(74) Brunot (F), La pensée et la langue, Paris, Masson et Cie, 1936. p.329

Le pronom lui dans cet exemple reprend mal un nom de chose un tel mot. L'emploi du pronom en serait plus approprié selon la règle : de quelle étrange image on en est blessé.

Il en est de même l'exemple :

« - Mon plus solide espoir, c'est votre coeur, Madame

- Pour mon coeur, vous pouvez vous assurer de lui »

(Id. ib.v.1450)

Lui anaphorise dans ce passage-ci le groupe nominal mon coeur alors que l'emploi du pronom en est plus régulier : Vous pouvez vous en assurer.

En français moderne ces emplois du pronom à référent humain ne sont possibles que dans les cas où le nom de chose qu'il reprend est personnifié. On peut voir ce genre d'emploi dans l'exemple :

« Vous en voulez beaucoup à cette pauvre cour.

Et son malheur est grand de voir que chaque jour

Vous autres, beaux esprits, vous déclamiez contre elle

(Molière, Fem. sav. v.1331-3)

Le pronom elle représente la cour parce que Clitandre en parle comme d'une personne.

Le français moderne n'emploie plus ces pronoms à référent humain pour reprendre des noms de chose, il utilise à leur place d'autres pronoms ou groupes nominaux équivalents comme, celui-ci, ce (s) dernier (s), ceux-la, etc. C'est ce qui fait que des exemples comme :

« Je ne puis consentir, pour gagner suffrages,

A me déshonorer en prisant ses ouvrages ;

C'est par eux qu'à mes yeux, il a d'abord paru »

(Id. ib v.247-9)

ne s'aurait être en règle dans la langue actuelle qui n'emploie ces pronoms pour référer à par des choses que lorsque cet emploi sont strictement nécessaire. En effet, Haase rapporte à ce sujet, qu'au XVIIe siècle, « Th. Corneille exige l'emploi qui prévaut aujourd'hui et consiste à éviter autant que possible le pronom tonique de la troisième personne en parlant de choses. »75

Après l'étude de cette partie de notre travail, nous avons constaté que la référence du pronom personnel est un thème qui a beaucoup suscité l'intérêt des remarqueurs classiques (Vaugelas, Le père Bouhours, Andry de Bois-Regard etc.) Cela est du au fait que le XVIIe siècle est l'époque où, les règles visant la stabilité et la clarté dans la représentation pronominale ont été instaurés. Ces règles classiques ont cependant connu plus de succès en français moderne. En effet à cette première période, les pronoms personnels ont eu, pour la plupart, des emplois qui n'ont pas survécu dans la langue moderne, soit à cause :

* de la norme de clairvoyance qui a condamné certaines tournures ambiguës ou

*de la spécialisation des pronoms qui a limité les capacités référentielles de certains d'entre eux.

(75) Haase (A) Syntaxe française du XVIIème siècle éd. Traduite et remaniée par Monsieur Obert, Paris, Delagrave, p29

CONCLUSION  :

Lorsqu'on compare l'état de langue du français classique à celui du français moderne, on se rend compte que les écarts ne proviennent pas de la norme mais de l'usage. En effet ces deux périodes partagent le même système grammatical et les mêmes principes car le français moderne a hérité des règles du français classique. Ces écarts sont dus au fait que la plupart des écrivains du XVIIe siècle avaient maintenu certaines règles héritées de l'ancien ou du moyen français en dépit des nouvelles exigences de leur époque. Cela pourrait s'expliquer ou par des raisons liées au style ou par une certaine incapacité de se défaire spontanément d'un état de langue jusque là utilisé avec beaucoup de liberté pour se plier à une nouvelle exigence : celles des grammairiens et théoriciens du XVIIe siècle. Ces derniers ont établi des règles plus rigoureuses en ce qui concerne la clarté du style et la netteté dans l'expression comme on le constate dans la norme qui exige la proximité de l'antécédent et du pronom. En effet ce procédé permet le repérage facile du référent dans le cas de l'approche textuelle de l'anaphore.

Cependant, comme le révèle notre étude, les emplois anaphoriques dans les textes classiques n'ont pas toujours été fidèles à cette règle de proximité. Et dans ce cas, trouver l'antécédent du pronom personnel anaphorique nécessite un autre moyen qui fait appel à la pensée du lecteur. Cette méthode, c'est « l'approche mémorielle » dont parle le Professeur Sarré, et qui, sur le plan syntaxique, n'exige pas la même rigueur que la première. Elle convient à l'étude de la référence pronominale dans les textes classiques qui manquaient souvent de concision. Ce qui n'est pas le cas dans les textes du français moderne où la syntaxe indique clairement le mot auquel rapporte le pronom anaphorique.

Dans la langue actuelle, l'approche mémorielle pourrait servir dans l'usage du pronom il déictique qui n'est pas souvent pris en compte, mais qui néanmoins existe et s'emploie souvent dans les conversations. Pour trouver le référent du pronom personnel de la troisième personne en emploi déictique il faudrait faire appel à la méthode de « l'approche mémorielle » qui convient lorsque le référent du pronom représentant n'est pas mis en évidence. Dans le cas de l'anaphore, cette approche définit comme référent du pronom le terme le plus saillant du texte. Mais lorsqu'il s'agit de la référence déictique, le référent serait alors celui à qui on pense ou ce à quoi on pense (sans le nommer) au moment de la communication ou de l'énonciation. Avec ces deux approches, la référence pronominale est sans équivoques pour le lecteur, comme l'ont toujours voulu les grammairiens du XVIIe siècle.

Les remarqueurs de la langue classique se sont plus intéressés à l'étude de la référence des pronoms personnels qu'à celui de leur place dans la phrase. En effet, l'essentiel des lois d'emplacement du pronom personnel a été fixé bien avant la période classique, ce qui fait que l'usage n'a pas eu du mal à s'y conformer. Et les cas auxquels ils se sont intéressés sont ceux qui ont été révisés après le XVIe siècle comme par exemple :

* la place du pronom personnel, complément de l'infinitif régi par un autre verbe ou de deux verbes successifs.

* la place du pronom personnel devant un impératif coordonné.

* l'omission du pronom personnel.

Ces emplois ont été revus à l'époque classique, ce qui explique les écarts qu'ils engendrent dans l'usage entre la langue du XVIIe siècle et celle d'aujourd'hui. En effet, tout comme les règles de la représentation pronominale qui sont instaurées en français classique, les lois concernant la place des pronoms personnels, dans ces cas précités, n'ont pas toujours été respectées dans l'usage de la langue au XVIIe siècle. Les écrivains n'avaient pas encore, à cette période, maîtrisé ces règles récentes qui ont été appliquées avec plus de rigueur en français moderne.

Nous remarquons ainsi qu'au XVIIe les tournures inusitées ne disparaissent pas définitivement ou automatiquement de l'usage de la langue comme le voudrait la norme établie par les grammairiens. Elles apparaissent parfois dans la langue écrite comme de simples faits de style ou bien elles surgissent de temps en temps dans la langue populaire comme une habitude langagière. Brunot explique en effet, à propos des règles instaurées pour l'usage de la langue au XVIIe siècle, que : « dans la pratique, naturellement, la langue est loin de se conformer à une réglementation aussi restrictive, soit tradition, soit nécessité de style. »76

(76) Brunot (F.), Histoire de la langue française, Tome VI (2e partie), Paris, Armand Colin, 1966. p.1627

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Les galeries du palais

Le cid (1637)

MOLIERE, Les amants magnifiques

L'école des femmes (1662)

RACINE, Britannicus (1669)

Bérénice (1670)






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