Deuxième partie
Le moniteur d'atelier et le détachement
Chapitre 4
Le moniteur d'atelier en ESAT
Dans l'établissement j'exerce la fonction de moniteur
d'atelier. Un travailleur social peu ou pas reconnu comme tel que ce soit en
milieu dit « ordinaire » ou dans le social.
Et pourtant, le moniteur d'atelier dans l'ESAT a un rôle
important dans l'insertion professionnel et social des personnes
handicapées qui lui sont confiées au sein d'un atelier de
production.
Dans un ESAT, les travailleurs handicapés et les
moniteurs d'atelier sont les maillons forts d'une même chaîne
économique. Ce qui renforce une de mes conceptions :
« Sans eux un ESAT ne peut fonctionner, sans eux
un ESAT n'a plus lieu d'exister. »
Le moniteur d'atelier
Le rôle et la mission d'un moniteur d'atelier, sont
inscrits dans la convention 66,36(*) annexe 10, grille moniteur d'atelier.
Le moniteur d'atelier bien que travaillant dans le
médico-social, n'est pas souvent reconnu comme un travailleur social
à part entière par des travailleurs sociaux diplômés
d'état.
Bien que travaillant ensemble ces professionnels entrent
souvent en conflits.
A la fois enseignant technique et travailleur
« social », le moniteur d'atelier travaille au sein d'une
équipe pluri-professionnelle et d'un réseau
socio-économique.
Il prend en charge des personnes en situation de handicap ou
d'inadaptation accueillies dans différents types
d'établissements spécialisés.
La transmission d'un savoir professionnel
Le moniteur d'atelier, a pour objectifs principaux :
La transmission d'un savoir professionnel et technique. Il est
à ce titre responsable de l'encadrement des travailleurs
handicapés dans les activités d'atelier. Il doit veiller à
leur présence, à l'intégrité physique et aux
comportements des personnes handicapées placées dans son atelier.
Il signale à son directeur d'établissement tout incident
susceptible de mettre en cause ces personnes.
L'accompagnement et le soutien des personnes qui lui sont
confiées. Ce rôle d'intervenant social consiste à
favoriser, en adaptant le poste de travail aux capacités de chacun,
l'évolution de la personne handicapée vers une autonomie de plus
en plus large et le développement maximal de ses potentialités.
Il participe également à l'élaboration d'un projet
personnel pour chaque personne handicapée et à la
réalisation de ce projet par le biais d'actions de soutien
individualisées. Il gère techniquement une activité de
production. Il doit s'assurer de la parfaite qualité des produits qui
sortent de son atelier et associer les personnes handicapées à
cette gestion.
Cette profession requiert, outre des compétences
techniques, des qualités d'écoute, d'analyse, de
disponibilité. Mais aussi l'envie de transmettre les savoirs et les
savoir-faire d'une profession manuelle. Le moniteur d'atelier doit
également savoir travailler en équipe.
Les travailleurs handicapés comme les moniteurs
d'atelier font parti de la chaîne économique de ce type
d'établissements de travail protégé.
Le moniteur d'atelier, n'est pas qu'un savoir faire. Il doit
posséder le savoir être. Ce qui ne s'apprend pas dans un manuel ou
à l'université, mais principalement à travers la relation
à l'autre.
Ce savoir, il s'acquiert, il est composant de la
personnalité, de son propre référentiel de ce que la
personne va construire par son milieu familial, par le développement de
ses capacités et personnelles et ses compétences
professionnelles.
Ainsi je tente de mettre en acte dans ma fonction de moniteur
d'atelier cette affirmation de Jean Jaurès : « On
n'enseigne pas ce que l'on sait ou que l'on croit savoir : on enseigne et
on ne peut enseigner que ce que l'on est. »
Une personne peut avoir un savoir et un savoir faire, ce n'est
pas pour autant qu'il saura le
transmettre.
La fonction de moniteur d'atelier n'est pas connue du
milieu dit « ordinaire ».
Les moniteurs d'atelier exercent leurs activités dans
les secteurs : sanitaire, social ou médico-social ; dans des
établissements dits « de travail
protégé » (ESAT, Entreprises Adapté) ; dans
des établissements d'enseignement et d'éducation
spécialisés, en institut médico-éducatifs ou
médico-professionnels... ; dans des établissements d'accueil
et d'accompagnement social de personnes en situation de précarité
(centres d'hébergement et de réinsertion sociale...). Enfin dans
des ateliers en milieu carcéral.
Les seules formations qu'il peut obtenir durant sa
carrière professionnelle, et seulement s'il en fait la demande
auprès de la direction de l'établissement (qui doit en donner son
accord), sont le Certificat de Qualification aux Fonctions de Moniteur
d'Atelier (C.Q.F.M.A.) pour être moniteur 2e classe et celle
de moniteur 1e classe qui est un diplôme de pédagogie
et de gestion de travail délivré par l'A.F.P.A.
La formation d'éducateur technique
spécialisé, ne lui sera très rarement accordée en
ESAT, parce que sa mission, dans ce type d'établissement, est
l'accompagnement de personnes dans une chaîne de production.
Le moniteur qui arrive dans le monde du handicap,
découvre une terre inconnue avec laquelle il devra s'adapter en
s'appropriant petit à petit un langage social. Celui ci ne lui
appartient pas car, il est issu du milieu ordinaire. Il se conforme en
employant au début de sa prise de fonction des mots maladroits, bourrus,
choquant parfois certains psychologues et travailleurs sociaux.
Les relations entre les moniteurs d'atelier et les
travailleurs handicapés
La relation que peut avoir le moniteur d'atelier
vis-à-vis du travailleur handicapé dans un atelier de production,
de l'empathie que peut caractériser les relations que les moniteurs ont
avec les travailleurs, sont presque « amicales », sans
arrière pensée, seulement une manière pédagogique
d'expliquer le travail et de communiquer.
Les moniteurs d'atelier sur un poste de travail sont
physiquement proches des travailleurs handicapés avec lesquels ils
travaillent. Cette distance presque familière, lui est souvent
reprochée.
Mais quelle est la distance
appropriée ?37(*)
Si la distance personnelle s'illustre par un
éloignement séparant les interactants de 45 à 125
centimètres, la distance sociale oscille 120 et 360 centimètres.
HALL (1971, p, 153) note que « les personnes qui
travaillent ensemble pratique et généralement la distance sociale
proche » soit de 120 à 210 centimètres. Or les
moniteurs d'atelier ont des rapports qui s'apparentent plutôt à la
distance personnelle qu'à la distance sociale permettant les relations
professionnelles.
Souvent, il était mal vu par les psychologues qu'un
moniteur, mette la main sur l'épaule d'un travailleur pour lui
parler.
Comment peut-on se tenir à distance d'une personne
pour lui expliquer un geste ou une posture ?,
Comment peut-on sourire à une travailleuse sans que
cela devienne de la séduction ?,
Peut-on rejeter une personne (trisomique) qui vous
embrasse, sans qu'il y ait une arrière pensée de certains
travailleurs sociaux et ressentie par la personne comme un rejet ?
Dans un atelier le moniteur peut se tenir à distance du
poste de travail pour regarder le travailleur effectuer une tâche, mais
il peut avoir une posture entourant le travailleur de ses bras pour lui montrer
les gestes à reproduire.
Je me rappelle de certains repas de fin d'année,
où j'avais l'impression d'être une personne du troisième
âge que l'on voit souvent dans les fêtes de famille, assis sur leur
chaise regardant les petits et arrières petits enfants danser.
« Lors de
ces repas de fin d'année, nous étions obligés de rester
assis à notre table, sans pouvoir danser avec les travailleurs
handicapés (ce n'est pas l'envie qui me manquait) sous
prétexte que la danse pouvait engendrer un jeu de séduction par
le mouvement du corps auprès de la personne handicapée
mentale.
Un jour, lors d'un
repas de fin d'année, un moniteur espaces verts qui était nouveau
dans l'institution, avait été invité par une travailleuse
à danser, sans arrière pensée, il accepta.
De nombreux regards
se sont dirigés vers lui, de nombreuses critiques sur son comportement
fusaient à la table où se trouvaient les psychologues et les
membres de l'équipe soutien. Lorsque la danse fut terminée une
psychologue demanda à la chef de service soutien de l'époque,
d'interpeller le moniteur d'atelier pour lui faire un sermon sur la
« déontologie » et lui dire que ce qu'il venait de
faire, ne devait plus se reproduire, que cela ne se faisait pas qu'un membre du
personnel encadrant danse avec les travailleurs handicapés. (Je
tiens à préciser aussi, qu'il nous était même
interdit de danser entre collègues.)
Comment ne pas refuser une invitation à danser lors
d'une fête de fin d'année,
où il était préconisé par les psychologues de
l'époque de se tenir à une distance physique entre le moniteur
d'atelier et la personne handicapée, sous prétexte que cette
personne était « psychotique » et qu'elle pouvait
fantasmer et même parfois avoir un orgasme lors de cette danse. Comme si
le moniteur ou la monitrice d'atelier n'était pas capable d'analyser une
situation qui pouvait induire à un jeu de séduction de la part
d'un(e) travailleur (se) ».
* 36 Convention collective
nationale de travail des établissements et services pour personnes
inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.
* 37 Pour HALL, nom complet
Edward Twitchell Hall, anthropologue Américain, Le
concept de la proximité, distance physique qui s'établit entre
des personnes prises dans une interaction. Dans son livre « La
dimension cachée » 1966, où il décrit la
dimension subjective qui entoure quelqu'un et la distance physique à
laquelle les individus se tiennent les uns des autres selon des règles
culturelles subtils.
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