CONCLUSION
Les cours d'eau et leur prise en charge, c'est-à-dire
la gestion des ressources, des risques et le contrôle de la navigation,
représentent un enjeu politique indéniable puisque les
autorités politiques ont toujours intérêt à
surveiller les voies de communication terrestres comme fluviales. La
Saône à Lyon au XVIe siècle n'échappe pas
à cette constatation et sa juridiction est convoitée par
plusieurs autorités. Depuis le Moyen-age, l'archevêque et les
chanoines-comtes de Lyon, seigneurs temporels de la ville, détiennent
les droits sur la rivière dans les limites du territoire sur lequel leur
pouvoir s'étend. Cet état de fait est remis en cause au
début du XVIe siècle car les rois de France tentent,
en vain, de se saisir de la juridiction de la Saône. En effet, dans tout
le royaume, le pouvoir royal affirme peu à peu, à partir du
XVIe siècle, ses prérogatives suprêmes sur les
cours d'eau navigables. Les seigneurs de Lyon gardent leurs droits sur la
rivière qui traverse la ville mais sous la tutelle royale. Ils disposent
ainsi des droits de pêche et des revenus des péages et, à
l'inverse, ont la charge d'entretenir les berges et les infrastructures de la
rivière.
Tous ces aspects théoriques ne s'accordent pas avec les
faits puisque la gestion des affaires courantes de la ville de Lyon, dont les
ouvrages de voirie et tout ce qui a trait à la navigation sur la
Saône, est la compétence du pouvoir municipal lyonnais, le
consulat. Plusieurs différends entre l'archevêque de Lyon et les
chanoines-comtes d'une part, et les échevins d'autre part,
révèlent un glissement des prérogatives sur la
rivière au profit de l'autorité municipale même si le
consulat ne dispose pas officiellement des droits sur la Saône. Enfin, le
roi, lointain seigneur des rivières navigables, intervient tout de
même ponctuellement dans la gestion de la rivière à Lyon,
notamment pour des questions d'hygiène. La présence
régulière de la cour à Lyon pendant une large
moitié du XVIe siècle explique probablement que le
pouvoir royal s'y intéresse particulièrement. Cependant,
l'essentiel des décisions prises par les autorités au sujet de la
Saône à Lyon est soit d'origine consulaire soit appliqué
par le consulat.
A partir de ce constat, il convient de qualifier l'action
consulaire sur la Saône au XVIe siècle. Autrement dit,
il s'agit de déterminer quelles sont les préoccupations
principales des autorités vis-à-vis d'une rivière qui
traverse l'espace urbain lyonnais et même qui le scinde en deux parties
nettement distinctes. Si l'on se penche sur le caractère même de
la Saône, une rivière, les risques liées à sa
présence et à sa situation dans la ville pourraient constituer un
des enjeux de la gestion politique. Néanmoins, la rivière
n'éveille que peu de craintes et les accidents climatiques tels que le
gel ou la crue sont rares. Les autorités ne se préparent pas
à de ces évènements difficilement prévisibles et
semblent agir en aval c'est-à-dire en réparant les
dégâts après les épisodes dévastateurs. La
Saône est plutôt perçue, par les Lyonnais comme par les
autorités locales, comme une rivière familière. Il s'agit
avant tout d'un élément à part entière de la ville
qui a plusieurs fonctions. L'un d'elle résulte d'une des
caractéristiques principales d'un cours d'eau ; sa mobilité et
donc son pouvoir de transporter des hommes et des biens hors de la ville mais
aussi des déchets. La Saône au XVIe siècle est
extrêmement polluée et les autorités encouragent les
individus à déverser leurs détritus dans la rivière
plutôt que de les laisser dans les rues. Elle est donc un remède
à la saleté dans la ville mais, à l'inverse, sa pollution
préoccupe le pouvoir royal notamment pour des raisons sanitaires. Le
consulat tente d'appliquer, en partie, les recommandations des rois mais,
à l'inverse, conseille à la population de ne pas laisser les
déchets sur les rives de la Saône mais de directement les mettre
dans la rivière. Le XVIe siècle ne porte que les
prémices de l'intérêt pour ces questions à
caractère médical et la faiblesse de cette préoccupation
n'est que peu surprenante.
Pourtant, la Saône et ses rives sont extrêmement
fréquentées, de nombreux riverains exercent la profession de
batelier et la rivière est également un lieu de loisirs. Le plan
scénographique de Lyon, réalisé au milieu du
XVIe siècle, en est la meilleure illustration car le nombre
de personnages figurés sur la rivière ou aux abords de celle-ci
est important et leurs activités sont de natures diverses. On peut
même considérer que la Saône est une vitrine de la ville
dans le sens où, lors des festivités qui ponctuent l'année
et des entrées officielles de grands personnages, de grands spectacles
et des jeux nautiques sont donnés sur la rivière. Cependant, la
principale activité qui caractérise la rivière est
évidemment la navigation et particulièrement le transport de
marchandises. La rivière est à la fois le support de
diffusion de produits mais aussi l'un des axes principaux
d'importation de la ville, notamment d'approvisionnement en blé. L'enjeu
de cet axe de circulation dans la ville est tel que le trafic fluvial est
l'objet d'une surveillance et d'un contrôle exercés par les
autorités municipales, tant pour la sécurité de la ville
que pour des préoccupations d'ordre économique. De plus, le
consulat veille à ce que la navigation ne soit pas entravée,
hormis par son contrôle lorsque cela est jugé nécessaire.
Gependant, des actions telles que le dragage du lit de la rivière, qui
permet notamment de faciliter le passage des bateaux lorsque les eaux sont
basses, ne semblent pas être effectuées au cours du
XVIe siècle. Néanmoins, l'importance de la navigation
fluviale pour la ville et les actions menées par les autorités
à son sujet sont indéniables et il semble que la circulation sur
la rivière constitue l'une des principales préoccupations du
pouvoir consulaire. L'usage important de la rivière tant pour la
navigation que pour les autres activités qui y sont pratiquées
confirme que la Saône, plus qu'une rivière dans la ville, est la
rivière de la ville c'est-à-dire un espace parfaitement
intégré au site urbain.
Gelui-ci s'est adapté à la présence de la
rivière et l'aménagement des infrastructures fluviales reste une
préoccupation au XVIe siècle. Le nombre de structures
portuaires s'accroît à cette période et les accès
à l'eau ponctuent densément et régulièrement les
rives de la Saône dès le dernier tiers du XVIe
siècle. Le consulat, responsable de la voirie, est l'instigateur de
l'essentiel des constructions et des aménagements effectués ce
qui confirme à nouveau l'importance de la navigation pour la ville. En
effet, les ports constituent le lien entre la rivière et la ville dans
son ensemble et leur présence est donc fondamentale. S'intéresser
aux modalités de financement de nouvelles structures de ce type et de
leur entretien a permis de s'apercevoir que le consulat fait très
souvent appel à des particuliers afin qu'ils contribuent à ces
dépenses. Cela pourrait constituer une marque d'une forme de
désintérêt de l'aménagement des rives de la
Saône. Gependant, le recours à des fonds privés ne semble
pas être une procédure exceptionnelle. En effet, elle est
pratiquée par les autorités municipales quelle que soit la
conjoncture économique c'est-à-dire aussi bien au début du
XVIe siècle lors de l'expansion économique de la ville
qu'à la fin de celui-ci lorsque les finances de la ville connaissent de
grandes difficultés. De plus, les simples travaux d'entretien, donc de
faible ampleur, sont en général totalement pris en charge par le
consulat.
Ainsi, la ville de Lyon au XVIe siècle est
dotée de nombreux ports répartis sur les deux rives de la
Saône.
A l'inverse, une seule infrastructure permet de traverser la
rivière et d'assurer la liaison entre les deux parties de la ville ; il
s'agit du pont de pierre, réalisé dès le XIe
siècle. Même s'il existe des alternatives au pont pour franchir la
Saône telles que l'usage de bateaux, celui-ci reste la principale voie de
communication de la presqu'île à ce que l'on nomme aujourd'hui le
« Vieux Lyon ». Cela explique qu'il focalise des enjeux politiques
à la fois d'un point de vue juridictionnel, stratégique et
économique. Il semble cependant admis que le pont jeté sur la
Saône relève de l'autorité consulaire et c'est en effet le
consulat qui l'entretient. L'unicité de cette structure permet aux
échevins de maîtriser en partie les déplacements dans la
ville mais comporte l'inconvénient de limiter la capacité de
passage. C'est pour cette raison que, lors du jubilé de la Saint-Jean en
1546, face à l'afflux de pèlerins, il est nécessaire de
réaliser pour l'occasion un pont de bois provisoire permettant de
franchir la Saône. D'autre part, le pont de pierre possède un
second inconvénient : sa situation au coeur de la ville, et le fait
qu'il soit le lieu de passage privilégié d'une partie de la ville
à l'autre, entraîne la présence de nombreux marchands et de
leurs étals qui gênent la circulation. Le consulat, avec le
soutien de l'archevêque, des chanoines comtes et des représentants
du roi à Lyon, tente à plusieurs reprises de les expulser. Les
échevins semblent également hostiles à la présence
de maisons aux deux extrémités du pont qui constituent, elles
aussi, une gêne au trafic puisqu'elles empiètent sur l'espace de
passage.
Au XVIe siècle, les préoccupations
des autorités, particulièrement du consulat lyonnais, au sujet de
la présence d'une rivière dans la ville sont assez peu nombreuses
et la prise en charge n'est que peu diversifiée. Il n'est
néanmoins pas possible de considérer que la rivière
désintéresse les autorités. Au contraire, la Saône
est un espace à part entière de la ville de Lyon mais dont
l'usage principal, la navigation, explique les mesures qui sont
appliquées à la fois pour faciliter la circulation mais
également pour la contrôler. Les chaînes qui sont tendues
sur la Saône constituent le moyen de surveiller les déplacements
sur la rivière et représentent, en quelque sorte, des remparts
fluviaux comme ceux qui entourent une grande partie de la ville de Lyon. La
rivière est prise en charge par les autorités comme une route
traversant la ville. Puisqu'elle représente tout de même un
obstacle pour la circulation, le pont de pierre est
nécessaire mais il est également un axe de communication. Les
ports sont les intermédiaires entre les déplacements terrestres
et fluviaux. La rivière, comme les infrastructures qui en
dépendent sont donc essentiellement des espaces de communication et de
déplacements. Finalement, les enjeux principaux de la gestion de la
Saône à Lyon semblent pouvoir être résumés
à la question de la circulation dans la ville. En effet, si l'on
perçoit la Saône et le pont qui la surplombe comme des voies de
communication au sein de la ville, au même titre que des avenues, on
constate qu'il est possible de lier entre elles la plupart des décisions
politiques qui entrent dans le cadre de la gestion de la Saône à
Lyon.
Annexe 1 - Liste des personnes qui contribuent au
financement de la construction du port du Temple en 1508
Source : AML, DD 335, pièce 1
- Les religieux du couvent Saint-Antoine
- Les frères Tourveon (Jacques et Claude)
- Jacques Barondeau
- Côme de la Porte
- Estienne Guenard
- Michel Fontaine
- Benoît de la Planche
- Simon Boucher (« soufletier »)
- Anthoine Combe (« bolengier »)
- Jean-Gaston Perollier
- Léonard Colomb (« teinturier »)
- M. Dechasses (représenté par M. de Balmont)
Cette liste fournit donc le nom des différents
propriétaires des maisons quisont les plus proches du port du
Temple auxquels le consulat demande une
contribution aux frais de construction de ce nouveau port
installé sur la rive gauche de la Saône en 1508. Les
métiers de trois de ces personnes sont précisés et nous ne
savons pour quelles raisons les autres propriétaires ne sont pas
présentés ainsi.
Annexe 2- Plan de Lyon : récapitulatif des
travaux et des aménagements portuaires effectués sur les rives de
la Saône au XVIe siècle
Annexe 3- Liste des propriétaires qui
s'opposent au consulat en 1547 au sujet de la destruction de leurs maisons,
situées sur le pont de Saône
Source : AML, DD 310, pièce 32, pages 1 à
19.
- Les frères Claude et Guinet Thibault
- Claude Buffereau et Barbe Paris (respectivement veuve et fille
de Mathieu Paris)
- Jherosme Guerrier - Humbert Jouvenel - Françoise
These
- Anthoine, Claude, Anthoinette et Ysabeau Guérin
(respectivement le père et ses trois enfants)
- Jehan Laurent
- Maître Barthélémy Faye et Catherine Faye
(sa soeur)
A la fin de l'année 1546, le consulat décide
d'entreprendre des réparations sur la premiere pile du pont de
Saône, du côté de l'église Saint-Nizier. Pour cela,
il décide de la démolition des maisons situées en ce lieu.
Les propriétaires, recensés ci-dessus, s'y opposent et l'affaire
est traitée en 1547 par le juge ordinaire de Lyon puis par la
sénéchaussée. Le consulat obtient gain de cause. Ce
dernier est
représenté, durant toute l'affaire par le
procureur Jehan de la Bessée. Il est
précisédans le document qu'un des
propriétaires, maître Barthélémy Faye est «
conseiller
du roi en la court de parlement à Paris ». Cela mis
à part, aucune information complémentaire n'est fournie au sujet
des différents plaignants.
Sources manuscrites
Archives municipales de Lyon
Série AA : Titres constitutifs et politiques de
la commune ; correspondance générale (1245-1790)
- AA 020 et AA 021 :
Correspondance reçue par la commune (1418 - 1788) - AA 024
à AA 028 : Correspondance reçue par la
commune (1412 - 1788) - AA 150 : Copies de messages
envoyés de la ville de Lyon (1418 - 1497)
Série BB : Administration communale
(1294-1790)
- BB 022 à BB 131 :
délibérations consulaires (1494-1594)
Série CC : Impôts, comptabilité
(1278-1792)
- CC 465 à CC 4047 : comptabilité
municipale
Série DD : Biens communaux, travaux publics,
voirie (1183-1791)
- DD 003 à DD 005 :
Suite de pièces conçues comme justificatives du droit de la ville
qui sont soit dans des cas où la ville a exercé sa
compétence de voirie, soit des actes royaux la confirmant (1475 -
1619)
- DD 256 : Dossier composite, «articles
séparés de directe» concernant les ponts et les quais
- DD 310 : Edifices et ouvrages publics -- Ponts
sur la Saône
- DD 316 : Edifices et ouvrages publics -- Ponts
sur la Saône
- DD 323 : Edifices et ouvrages publics -- Ponts
sur la Saône
- DD 333 à DD 341 :
Quais et ports sur la Saône
Archives départementales du Rhône
Série B I &RXURIT IuUCIFTIRCMSCFiIg
5pHPe
- 5 B : Maîtrise des Eaux et
Forests (1673-1790)
Série G : Clergé séculier
- 10 G : Chapitre primatial Saint-Jean
(861-1852) 10 G 58 : Eaux et forests, broteaux, pesche (1361-1778)
10 G 572 : Jubilés (1500-1666)
10 G 860 : Crues de maisons le long de la Saône
(1257-1620)
10 G 1824 : Saisie par le roi des îles et broteaux du
Rhône et de la Saône dans la juridiction de l'Eglise de Lyon
(1486-XVIIIe siècle)
Série H : Clergé régulier
- 13 H : Grands Augustins (1225-1790)
13 H 18 : Ordonnances du consulat de Lyon au sujet du droit de
port des Grands Augustins sur le quai Saint-Vincent (1603-1639)
13 H 55 : Confrérie des pescheurs et des bateliers :
fondation d'une messe en la chapelle Saint-Nicolas et don d'une vigne ;
contestations et accords (1487-1734)
Sources imprimées
Chroniques et histoires de Lyon
BELLEFOREST, François (de), De l'effroyable et
merveilleux desbord de la rivière du Rhosne en 1570, Lyon, J. Nigon
(imprimeur), 1848 (ouvrage de 1570), 6 pages.
PARADIN DE CUYSEAULX, Guillaume, Mémoires de
l'histoire de Lyon, Roanne, Editions Horvath, 1973 (1e
éd. en 1573), 444 pages.
RUBYS, Claude de, Histoire véritable de la ville de
Lyon, Lyon, imprimeur Bonaventure Nugo, 1604, 527 pages.
Ouvrages comportant des descriptions de Lyon et sa
région
CHAMPDOR, Albert (introduction), Plan scénographique
de la ville de Lyon au XVIe siècle, Trévoux, Editions de
Trévoux, 1981, album de 25 planches.
ESTIENNE, Charles, Guide des chemins de France,
Paris, édité par Jean Bonnerot, 1935-1936 (publication
commentée de la 3e édition datant de 1553), tome 1,
536 pages.
FONTAINE, Charles, Ode de l'antiquité et excellence de
la ville de Lyon, Lyon, Société des bibliophiles lyonnais,
1890 (1e éd. en 1557), 31 pages.
MONTAIGNE, Michel (de), Journal de voyage en Italie
(1580-1581), Paris, Classiques Garnier, 1955, 298 pages.
NICOLAY, Nicolas (de), Généralle description
de l'antique et célèbre cité de Lyon, du païs de
Lyonnois et du Beaujolloys selon l'assiette, limites et confins d'iceux
païs, Lyon, Société de Topographie historique de Lyon,
1881 (édition de l'ouvrage manuscrit de 1573), 283 pages.
Ouvrages juridiques et législatifs
BOUTEILLER, Jean, Somme rural ou le grand coustumier
général de praticque civil et canon, Paris,
Barthélémy Macé, 1603, 904 pages (édition du
manuscrit annotée par Loys Charondas le Caron).
CARDIN LE BRET, De la souveraineté du Roy, Paris,
Toussaincts du Bray, 1632, 709 pages.
CHOPPIN, René, Trois livres du domaine de la couronne,
Paris, Michel Sonnius, 1613, 658 pages.
ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil
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jusqu'à la révolution de 1789, Tomes IX à XV
(1438-1610), Ridgewood (New Jersey, U.S.A.), The Gregg Press Incorporated, 1964
(1e édition à Paris entre 1822 et 1833).
LOYSEAU, Charles, Traité des seigneuries, Paris,
Abel l'Angelier, 1608, 398 pages.
LOYSEL, Antoine, Institutes coutumières ou Manuel
de plusieurs et diverses règles, sentences et proverbes, tant anciens
que modernes du droit coutumier et plus ordinaire de la France, Tome 1,
Paris, imprimerie de Crapelet, 1846, 432 pages.
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