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Lyon et la Saône au XVIe siècle

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par Katherine DANA
Université Jean Moulin - Lyon III - Maitrise 2009
  

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B. Le roi, seigneur des rivières navigables

Comme nous l'avons présenté précédemment, le roi de France est considéré comme le seigneur des rivières navigables de son royaume. La propriété effective de celle-ci n'est pas clairement affirmée par les juristes, sauf par Loysel et Charondas le Caron (mais ils ne développent pas leurs propos), et est absente des textes royaux avant la seconde moitié du XVIIe siècle. Cependant, la nuance entre la possession et les droits qui s'exercent n'est souvent pas prise en compte. Il est certain que les cours d'eau navigables relèvent néanmoins de l'autorité royale dans le sens où ils sont une composante du domaine de la couronne. Ce domaine, comprend la possession foncière attachée à la charge royale, mais aussi « un ensemble de droits et prérogatives, qui ne sont pas des droits de propriété mais des droits éminents, c'est-à-dire des droits de garde et de conservation, de protection »10. Ainsi, selon Frantz Mynard, les notions de « propriété » et de « prérogatives » doivent être distinguées et le « domaine fluvial » ne relève que de la deuxième catégorie puisqu'il « est certes sous la protection du roi mais en aucun cas sa propriété »11, au moins en ce qui concerne le XVIe siècle.

Frantz Mynard explique d'ailleurs que les jurisconsultes, tels que Jean Bacquet, René Choppin et Charles Loyseau, considèrent que les cours d'eau sont du domaine public et ne sont donc pas assimilables à des biens privés de quelque nature qu'ils soient. En effet, les fleuves et rivières se caractérisent par l'usage commun qui en est fait et donc par leur statut d'éléments publics. L'évolution du pouvoir royal vers l'absolutisme passe par la mainmise sur ce type d'éléments et par une assimilation du public à l'Etat et donc au roi. En ce qui concerne les cours d'eau, la transition commence à s'effectuer au tournant du XVIe et du XVIIe siècles, donc hors de notre champ d'étude. Néanmoins, au XVIe siècle, même si le roi n'est pas clairement perçu comme propriétaire du domaine fluvial, il en reste le seigneur, c'est-à-dire le gardien et l'administrateur. Cette position à une conséquence simple : le roi est le détenteur d'un certain nombre de droits et de devoirs vis-à-vis des cours d'eau navigables qu'il s'agit de déterminer.

10 MYNARD, « Le fleuve et la couronne... », op.cit., page 172.

11 Ibid., pages 176 et 177.

Lorsque Cardin Le Bret évoque le rôle du pouvoir royal dans la gestion fluviale, il considère que « ce n'est pas sans raison que les fleuves et rivieres navigables, ont merité d'estre mises en la particuliere protection des Roys : Car c'est par leur moyen que les Provinces se communiquent les unes aux autres les biens qu'ils recueillent »12. Il met ici en avant le rôle fondamental de la navigation fluviale comme moyen de communication et plus particulièrement comme vecteur des marchandises. L'enjeu d'assurer cette circulation au sein du royaume, donc dans un vaste espace, légitime, d'une certaine façon, que l'autorité qui dirige tout ce territoire en soit chargée. D'autant plus que le transport par voie d'eau, notamment commercial, est tres développé sous l'Ancien Régime et permet de faire transiter des quantités importantes de marchandises ou des ressources pondéreuses comme le bois, ainsi que des voyageurs, dans une moindre proportion.

La densité du réseau fluvial au sein du royaume explique largement cet usage et permet de limiter le nombre de ruptures de charge. Par exemple, il est possible de faire transiter des produits de la façade atlantique à la Méditerranée par voie d'eau presque sans interruption. En effet, ces biens sont transportés sur la Loire jusqu'à la ville de Roanne oü ils sont déchargés puis amenés par voie de terre dans les environs de Villefranche-sur-Saône. Dans cette zone, ils sont à nouveau placés dans des bateaux sur la Saône. Enfin, la rivière de Saône assure le relais des marchandises jusqu'à la mer Méditerranée par l'intermédiaire du Rhône. Un tel trajet, d'environ un millier de kilomètres, est donc tout à fait réalisable par voie d'eau avec seulement deux ruptures de charge et un trajet terrestre relativement court.

Il est donc dans l'intérêt économique comme dans l'intérêt stratégique (l'artillerie est aisément transportable en bateau) du royaume et, par conséquent, des souverains d'assurer et d'organiser la circulation sur le territoire par voie de terre comme par voie d'eau. Cela entre dans le cadre de ce que Charles Loyseau appelle la « police des grands chemins »13. Même si Loyseau considère que ceux-ci « sont de la cathegorie des choses, qui sont hors de commerce, dont partant la propriété n'appartient à aucun : mais l'usage est à chacun, et qui pour ceste cause sont appellees publiques »14, il ajoute aussitôt que c'est justement ce caractère

12 CARDIN LE BRET, De la souveraineté..., op. cit., chapitre XII, pages 277 à 285.

13 LOYSEAU, Charles, Traité des seigneuries, Paris, Abel l'Angelier, 1608, page 213.

14 Ibid., page 213.

public des grands chemins qui les place sous l'autorité directe du roi. Cette phrase de Charles Loyseau révèle, à nouveau, toute la complexité du statut des voies de communication, terrestres comme fluviales, mais aussi l'importance d'une prise en charge de la circulation sur celles-ci au profit de tous.

Tout d'abord, il ne faut évidemment pas négliger le cours des rivières en elles-mêmes, qui ne doit pas être entravé pour plusieurs raisons. Cardin Le Bret, par exemple, rappelle justement que ce sont elles « qui comblent de toutes sortes de richesses les pays par où elles passent, qui animent la terre pour produire les foins, les bleds et les fruicts »15. Deux éléments se dégagent de cette citation : tout d'abord l'eau des rivieres comme réservoir de ressources vivriéres (poissons) mais aussi cette même eau comme source d'irrigation, et bien sûr, comme force motrice. Ces usages multiples sont en partie règlementés par la décision royale de juillet 1572. En effet, puisque toute entreprise réalisée sur les rives d'un cours d'eau navigable nécessite une autorisation du roi, les moulins et les pêcheries ne peuvent pas se multiplier et ne sont ainsi pas préjudiciables à la circulation.

D'autre part, en ce qui concerne l'irrigation, « combien qu'il soit permis à un chacun de puiser de l'eau d'une riviere navigable [...] toutesfois il n'est pas loisible de faire des conduits d'eaux, pour la faire aller en un autre endroit »16, selon René Choppin. De façon logique, un particulier ne peut donc pas dévier le cours d'une riviere à son profit ni même en réaliser une dérivation partielle. Ce type de travaux relévent de la juridiction royale et, selon Choppin, cela s'explique par la « peur que les rivieres viennent à tarir, ou bien que les eaux venant à s'abaisser les rivieres n'en soient pas si navigables ». Ici encore, la possibilité de naviguer est un critère fondamental : l'irrigation des cultures, bien sûr nécessaire, ne doit pas entraver la circulation fluviale. Ainsi, systématiquement, la finalité des raisonnements, quel que soit l'usage des cours d'eau, revient à mettre en avant l'importance de la possibilité de circuler sur ceux-ci.

L'un des principaux éléments permettant la navigation sont les infrastructures telles que les ports ou, au moins, telles que des rampes d'accés à l'eau et des structures d'arrimage des navires. Ces éléments ponctuent le cours des

15 CARDIN LE BRET, De la souveraineték, op. cit., chapitre XII, pages 277 à 285.

16 CHOPPIN, Trois livres du domaine*, op. cit., chapitre XV, pages 168 à 177.

rivières de façon régulière et sont, en général, compris dans des structures urbaines. En théorie, ces constructions, qui sont liées à la navigation et installées sur les rivages des cours d'eau, dépendent du pouvoir royal, au moins depuis 1572. En fait, les lieux d'accostage sont tres souvent aménagés par les représentants des pouvoirs urbains ou seigneuriaux mais, sous la surveillance du Maître des ports et de ses gardes. Le Maître des ports est un officier royal, dont la charge apparaît à la fin du Moyen Age, qui surveille « le faict du navigage et traffique »17. Il a également la responsabilité de veiller « au respect de la juridiction royale »18. Son rôle principal est donc le contrôle des biens et produits qui circulent ainsi que la répression de tous les abus commis, notamment aux différents péages.

Il existe un tel officier au XVIe siècle, pour la Saône à partir du sud de Mâcon19 puis sur le Rhône. Selon Jacques Rossiaud, le pouvoir du roi sur celui-ci est si affirmé dès la fin du Moyen Age, que seuls ses représentants peuvent se saisir des contrevenants qui sont dans une barque ou sur une île rhodanienne. Il ajoute qu'en 1506 « le conseil avignonnais va jusqu'à demander au roi de France l'autorisation de réparer le pont et les rivages »20. Cela montre à la fois que ce pouvoir municipal prend lui-même en charge les travaux mais aussi qu'il attend une permission royale pour ce faire ou qu'il a besoin d'un financement. En effet, cet exemple reste à modérer puisque la possession royale du Rhône est, quant à elle, clairement affirmée depuis le XIVe siècle ; donc ce cas ne peut-être considéré comme représentatif d'une situation globale. Il nous renseigne cependant sur plusieurs points : le roi dispose d'officiers qui contrôlent la circulation tout en surveillant les infrastructures fluviales. La navigation est donc facilitée et encouragée par la volonté des rois mais aussi contrôlée par eux.

Le principal moyen de contrôle sont donc les péages. A ce sujet, Cardin Le Bret considère que seul le roi peut « lever des peages sur les Fleuves : Aussi pour ce sujet il est tenu de faire entretenir les ponts, les ports, les passages, et de rendre

17 NICOLAY, Nicolas (de), Généralle description de l'antique et célèbre cité de Lyon, du païs de Lyonnois et du Beaujolloys selon l'assiette, limites et confins d'iceux païs, Lyon, Société de Topographie historique de Lyon, 1881 (édition du manuscrit de 1573), page 36.

18 ROSSIAUD, Jacques, « Fleuve et cité, fête et frontière : la sensa lyonnaise des années 1500 », in BRAVARD, J.-P., COMBIER, J., COMMERCON, N. (dir.), La Saône, axe de civilisation, Actes du colloque de Mâcon (2001), Presses universitaires de Lyon, 2002, page 401.

19 NICOLAY, Généralle description..., op. cit., pages 201-203.

20 ROSSIAUD, Jacques, Le Rhône au Moyen Age, Paris, Flammarion, Collection Aubier, 2007, pages 112-113.

leur canal libre »21. Il ajoute même que « les peages n'ont esté establis que pour cette consideration ». Cardin Le Bret ne leur confère donc pas particulièrement un rôle de contrôle mais les perçoit avant tout comme la source de revenus nécessaire pour l'entretien des aménagements fluviaux. Ses propos sont confirmés par un édit de septembre 153522 qui préconise que « les deniers des peages » seront utilisés pour réparer les ponts et les grands chemins. Cela reste théorique puisque les revenus des péages ne peuvent suffire à entretenir tout le réseau et parce que le bénéficiaire du péage diffère souvent du responsable de la voirie. Cependant, que la voie soit terrestre ou fluviale, la circulation semble toujours l'enjeu principal.

Le roi, en tant que seigneur des rivières navigables du royaume, dispose donc d'un rôle important. En effet, il est dans l'intérêt du royaume de faciliter la navigation fluviale, particulièrement pour des raisons économiques. Cependant, il est évident que la contrôler est un enjeu éminemment politique. Le rôle principal du roi reste néanmoins de permettre la navigation. Charondas le Caron considère d'ailleurs que afin d'éviter les éléments « qui nuisent quelquefois à la navigation [...] les maistres des eaües et forests doivent pourvoir et remédier »23 à ces empêchements. Ces officiers des Eaux et Forêts sont les agents du roi : ils sont donc le moyen de l'application de ses décisions en la matière.

21 CARDIN LE BRET, De la souveraineté..., op. cit., chapitre XII, page 284.

22 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois ..., op. cit., édit de septembre 1535.

23 BOUTEILLER, Somme rural..., op. cit., page 429.

C. La Maîtrise des Eaux et Forêts

Les Eaux et Forêts sont une administration étatique, régulièrement appelée Maîtrise des Eaux et Forêts, qui permet aux décisions du pouvoir royal concernant les rivières, les plans d'eau et les forêts d'être appliquées, en théorie, dans l'essentiel du royaume. Cette institution constitue donc l'illustration concrete de la gestion des cours d'eau et des forêts, en application des décisions royales. Son champ d'action est relativement vaste puisqu'il s'étend peu à peu à l'ensemble du royaume. C'est ainsi un outil au service de l'Etat, qui comprend une organisation interne hiérarchisée et dont les missions sont variées même si elles concernent en général la « sauvegarde du domaine »24 de la Couronne, selon l'expression régulièrement utilisée dans les décisions royales à ce sujet. Les Eaux et Forêts sont donc le moyen pour le roi d'exercer son autorité, en ce qui nous concerne, sur les rivières et d'affirmer sa juridiction sur celles-ci.

L'apparition de l'administration des Eaux et Forêts, sous la dynastie des Capétiens, est concomitante de la période d'accroissement du domaine royal, encore disséminé et relativement restreint pendant le Moyen Age central, jusqu'à comprendre l'essentiel du royaume durant la période moderne. La première mention de l'expression « Eaux et Forêts » remonterait à une ordonnance de 121925. L'administration se structure peu à peu durant les derniers siècles du Moyen Age permettant une unité décisionnelle dans un domaine sujet à « trop d'autorités [...] s'ignorant entre elles »26 ainsi qu'une uniformité de la politique de gestion, au sein du royaume. Il s'agit ici d'étudier les moyens de cette gestion, les types de décisions royales ainsi que l'évolution générale du pouvoir du roi sur les cours d'eau au cours du XVIe siècle.

Les informations à ce sujet sont assez difficiles à trouver puisque l'essentiel des ouvrages qui se rattachent au thème des Eaux et Forêts traitent surtout, voire uniquement, de la gestion forestière. Un exemple de cette préférence d'étudier les forêts au détriment des rivières nous est fourni par la Revue des Eaux et Forêts qui,

24 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois op. cit., déclaration de 1508.

25 BOURGUENOT, Louis, LEFEBVRE, Raymond etc, Les Eaux et Forêts du XIIe au XXe siècle, Paris, Editions du C.N.R.S, collection Histoire de l'administration française, 1990, page 13.

26 Ibid., page 28.

en 1866, opte pour le sous-titre « Annales forestières "27, minimisant de fait l'analyse de la gestion fluviale. Cela se comprend assez aisément lorsque l'on étudie les textes royaux au sujet des Eaux et Forêts : la majorité de ces décisions concernent la conservation des forêts, les modalités de coupe du bois et la règlementation de la chasse28. Néanmoins, et en ce qui concerne le XVIe siècle, des décisions royales traitent de l'organisation de l'administration des Eaux et Forêts et d'autres légiferent sur le fait des rivières en général c'est-à-dire au sujet de la navigation, de la pêche, des infrastructures fluviales etc. Ce sont ces documents qui constituent notre principale source sur le sujet.

L'administration des Eaux et Forêts est dirigée par un officier royal dont le titre, à la fin du XVe siècle, est « grand maistre enqueteur, et general réformateur des eaux et forests de nostre royaume de France, et de nos pais et duché de Bretaigne "29. La déclaration royale de 1495 précise son rôle : c'est lui qui nomme la plupart de ses subalternes tels que les « maistres verdiers, forestiers, procureurs, sergens et autre offices dépandans desdites eaux et forests ". Le grand maître, souvent nommé « souverain grand maître " participe parfois à la rédaction des ordonnances et dispose d'un pouvoir judiciaire à « la Table de Marbre de Paris dont il est le Président "30 (ce nom vient d'une table de marbre « qui occupait la largeur de la grande salle du Palais à Paris et où le connétable, l'amiral et le grand maître des Eaux et Forêts exerçaient leur juridiction "31). Le rôle principal du grand maître reste la direction des différents officiers des Eaux et Forêts que sont les maîtres particuliers, les lieutenants, les gruyers, les procureurs et les nombreux sergents et gardes.

En 1573, l'ensemble du personnel de cette administration représente plus de six cents officiers royaux32. Le grand-maître en est l'unique chef jusqu'en 1575 à l'exception de quelques territoires qui bénéficient d'un maître des Eaux et Forêts autonome ; c'est le cas en Bretagne33 dès 1534 et dans le Dauphiné34 dès 1538. En

27 Ibid., page 722.

28 C'est le cas des édits et ordonnances de mars 1517, de janvier 1519, de juin 1537 ou d'octobre

1561, par exemple.

29 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois op. cit., déclaration royale du 20 octobre 1495.

30 BOURGUENOT, LEFEBVRE, Les Eaux , op. cit., page 100.

31 BELY, Lucien (dir.), Dictionnaire de l'Ancien Régime, Paris, PUF, Quadrige, 2006, page 1198.

32 BOURGUENOT, LEFEBVRE, Les Eaux , op. cit., page 106.

33 Ibid., page 100.

mai 1575, l'office de grand-maître est supprimé et remplacé par six grandsmaîtres35 ce qui permet un meilleur quadrillage du royaume. Cela semble être le principal changement notable dans la structure du personnel des Eaux et Forêts au cours du XVIe siècle. Par ailleurs, les fonctions confiées aux officiers des Eaux et Forêts sont également constantes ; elles concernent, de façon logique, la gestion des bois et des rivières c'est-à-dire la surveillance de l'usage qui en est fait, la répression des délits (notamment de chasse et de pêche) et, de façon plus générale, l'application des ordonnances royales.

Afin que cette application soit optimale, le maillage du territoire couvert par les officiers des Eaux et Forêts s'intensifie au cours du XVIe siècle. Tout d'abord, il est nécessaire de préciser que le rayon d'action de ces agents royaux croît au-delà du cadre des rivières et des forêts royales. Déjà, la règlementation de la pêche ne concerne pas que les cours d'eau navigables mais, au contraire, l'ensemble du domaine fluvial. D'autre part, c'est également le cas pour les décisions qui concernent les forêts. Par exemple, dans l'édit du 8 octobre 1561, qui traite de la préservation de la coupe d'un tiers des taillis du royaume, il est précisé que la décision s'applique dans les bois « tant ceux du domaine de la couronne que ceux des archevêques, évêques et autres gens d'église »36 soit dans la plupart des forêts du royaume. Enfin, l'édit de Fontainebleau de décembre 1543 rappelle que les souverains ont « toujours eu désir de garder et faire garder et entretenir les Eaux et Forests [...] tant celles qui nous appartiennent que celles ausquelles avons droict »37. Ces dernières semblent être toutes les autres rivières et forêts du royaume, puisque l'édit concerne les « nobles, prélats et communautés, propriétaires » de celles-ci. C'est donc à partir de 1543 que les membres des Eaux et Forêts effectuent leur mission dans l'intégralité du royaume.

Ce même édit, de décembre 1543, a pour objet de permettre à tous les propriétaires dessus dits d'avoir recours au maître des Eaux et Forêts de leur juridiction afin de défendre leurs droits et donc de s'en remettre directement à cette administration. Il s'agit, en quelque sorte, d'une spécialisation judiciaire : les délits

34ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois op. cit., édit du 22 mai 1538.

35 BELY, Dictionnaire op. cit., page 615.

36 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois op. cit., édit du 8 octobre 1561.

37 Ibid., édit de décembre 1543.

qui concernent, par exemple, le braconnage ou la construction non autorisée d'un moulin sont tranchés en première instance au sein de chaque maîtrise des Eaux et Forêts. L'ordonnance royale du 18 octobre 156138 rappelle à ce sujet que la juridiction est détenue par les maîtres particuliers des Eaux et Forêts et que les capitaines, sergents et autres gardes ne disposent que du droit d'arrestation. Les appels, quant à eux, sont jugés par le Grand-maître ou par un de ses lieutenants de la Table de Marbre de Paris (il existe quelques exceptions qu'il n'est pas nécessaire de détailler ici). D'ailleurs, des mai 1523, un édit39 de François Ier institue un procureur royal dans chaque siege de l'administration.

Enfin, en ce qui concerne les différentes circonscriptions des Eaux et Forêts, il semble exister entre vingt-cinq et trente maîtrises dans le royaume en 152540 avec une répartition assez hétérogène des agents des Eaux et Forêts. Henri II prend le parti d'uniformiser cela : par un édit du mois de février 1555 « le pouvoir royal généralise l'institution des maîtrises [des Eaux et Forêts] dans chaque bailliage ou sénéchaussée "41. Le pouvoir royal tente donc de rendre plus efficace l'action du personnel de l'administration des Eaux et Forêts par une augmentation et une densification de ses effectifs. C'est aussi le moyen d'appliquer le plus largement possible ses décisions et que le contrôle exercé par cette administration soit plus appuyé et plus efficace.

Les mesures royales concernant les cours d'eau durant le XVIe siècle sont diverses mais relativement peu nombreuses. De plus, l'ampleur de leur champ d'application est variable : certains textes sont très précis et ne concernent qu'un territoire alors que d'autres sont généraux, sans mention aucune de lieu. C'est notamment le cas de l'ordonnance de mars 151642 remarquable par ses quatre articles reglementant la pêche. L'objectif de ce texte est de lutter contre les « pilleries, larrecins et abus qui se font aux eaues et forests de nostre royaume, au grand dégast et destruction d'icelles ". La première mesure est la proscription de tout un type de matériel de pêche, présenté comme responsable du fait que les rivières « soient aujourd'hui comme sans fruit ". Par exemple, cette ordonnance

38 Ibid., ordonnance de St-Germain-en-Laye du 18 octobre 1561

39 Ibid., édit de mai 1523.

40 BOURGUENOT, LEFEBVRE, Les Eaux op. cit., page 62.

41 BELY, Dictionnaire op. cit., page 786.

42 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois op. cit., , ordonnance de mars 1516 (articles 89 à 92).

règlemente la taille des mailles des filets de pêche ; ceux-ci sont autorisés si dans chaque maille l'on peut « boutter les doigts jusques au gras de la main ". De plus, un poids minimum par espèce de poissons est fixé. Enfin, pour assurer le repeuplement des rivières, il est interdit de pêcher « de my-mars jusques à mi-may, car les poissons frayent en iceluy temps ". Une telle précision dans les mesures prises par cette ordonnance permet de faciliter le travail des maîtres particuliers des Eaux et Forêts et d'éviter les litiges.

Cette ordonnance sur la pêche mise à part, les autres décisions royales au sujet des cours d'eau sont toutes liées, au moins indirectement, à la navigation. Tout d'abord, l'édit de mai 152043, qui ne concerne que la Seine et ses affluents, préconise de défricher les berges des rivières (probablement pour éviter toute gêne aux bateaux), interdit d'y faire des « édifices ni autres choses quelconques empeschant le navigage » et, enfin, interdit l'imposition des bateliers et de leurs marchandises sauf pour les droits de péage antérieurs à 1415. La plupart des autres décisions royales suivent ce modèle : elles visent soit à limiter les structures qui peuvent gêner la navigation44, soit à supprimer les péages ; à la fois ceux qui n'ont pas été approuvés par le roi45, sauf s'ils sont anciens, et ceux qui pourraient limiter le transport commercial46.

Le roi dispose donc d'une administration qui est en charge de l'application, dans le royaume, des décisions qu'il prend au sujet de la gestion et de l'entretien des cours d'eau et des forêts. La Maîtrise des Eaux et Forêts, qui existait déjà au Moyen Age, prend de l'ampleur : ses effectifs, leur densité, et son champ d'action croissent au XVIe siècle. Cette institution possède une police, au sens actuel, et une justice propres, ce qui lui confère une certaine efficacité. Son organisation, ainsi que les mesures de surveillance et de répression qu'elle doit appliquer, sont définies

43 Ibid., édit de mai 1520.

44 L'édit de mars 1516 précise que les propriétaires de moulins et pêcheries installés le long de la Loire, doivent pouvoir justifier leur possession et l'édit de juillet 1572 (présenté dans la premiere section) interdit les constructions sur les berges de toutes les rivières sans autorisation royale préalable.

45 François Ier, par l'édit de mars 1516, supprime les péages qui ont été établis sur la Loire depuis un siècle sans autorisation royale suite à la demande formulée par le procureur général des marchands de la Loire.

46 Une décision de Louis XII, en 1501, supprime les taxes sur les vins de Bourgogne s'ils sont vendus dans des ports situés le long de l'Yonne et de la Seine.

par des édits et des ordonnances. Ceux-ci « reflètent la volonté royale de construire un appareil dépendant d'elle et d'elle seule »47 et révèle donc l'accaparement progressif, par le pouvoir royal, des droits et prérogatives sur les cours d'eau.

47 BELY, Dictionnaire... op. cit., page 615.

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