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Lyon et la Saône au XVIe siècle

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par Katherine DANA
Université Jean Moulin - Lyon III - Maitrise 2009
  

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Conclusion chapitre I

Au XVIe siècle, le roi de France est communément admis, notamment par les juristes, comme le seigneur des fleuves et rivières navigables de son royaume. De cela, découle un certain nombre de conséquences. En effet, le roi dispose de différentes prérogatives sur ces rivières telles que le droit de péage ou la règlementation de la pêche. Son pouvoir sur les cours d'eau croît au XVIe siècle puisqu'en plus des rivières en elles-mêmes, il s'approprie leurs îles et leurs rivages. Cela est affirmé et effectif dès 1572 mais l'on peut penser que ce n'est que la généralisation d'un état de fait ; comme l'affirme Frantz Mynard, les décisions royales de la période moderne ne doivent pas être perçues de façon tranchée comme des actes fondateurs48 mais plutôt comme les aboutissements du processus d'affirmation et de définition du pouvoir royal.

Les prérogatives dont le roi dispose lui permettent de réguler, au moins de manière indirecte, les usages des cours d'eau et particulièrement la très développée navigation commerciale. Pour cela, il s'appuie sur une administration hiérarchisée et autonome d'un point de vue judiciaire : les Eaux et Forêts. Les agents royaux qui en dépendent sont donc les moyens humains d'application d'une politique fluviale à l'échelle du royaume. Les préoccupations de celle-ci diffèrent du « souci romain de disposer d'une eau potable en ville » ou de l'intérêt médiéval pour « l'accès aux ressources protéiniques ou énergétiques fournies par les milieux aquatiques »49 selon Patrick Le Louarn, qui voit la période moderne comme la période du développement prononcé de la prise en charge politique des cours d'eau. Néanmoins, nous l'avons montré, la crainte d'une pêche excessive des poissons existe encore, mais elle semble en effet en marge par rapport à des enjeux plus politiques et économiques.

48 MYNARD, « Le fleuve... », op. cit., page 179.

49 LE LOUARN, Patrick, « L'eau, bien commun culturel ? », in LE LOUARN, Patrick (dir.), L'eau ; sous le regard des sciences humaines et sociales, Paris, L'Harmattan, collection Logiques sociales, 2007, page 18.

Chapitre II : Droits et autorités sur la Saône à Lyon

En nous intéressant à l'intérêt porté par les rois de France aux cours d'eau du royaume et donc à la gestion fluviale au niveau national, l'importance d'une prise en charge politique des rivières et des fleuves et les enjeux qu'elle comporte sont clairement apparus. Nous allons réduire le cadre géographique pour affiner notre analyse de ce thème en nous intéressant à la rivière de Saône, et plus précisément, à la Saône dans la ville de Lyon. Le cadre urbain multiplie le nombre d'autorités qui, potentiellement, prennent part à la juridiction de l'eau. En effet, il est « un lieu de pouvoirs, de concentration des pouvoirs, de l'exercice des pouvoirs, de conflits de pouvoir »1. Ainsi, il s'agit de définir les différents pouvoirs qui s'exercent sur la rivière de Saône, ses rives et les édifices fluviaux.

Pour cela, nous nous pencherons sur la juridiction de ce cours d'eau, puis, dans un deuxième temps au droit de voirie dans la ville de Lyon. Enfin, une étude de cas d'une affaire judiciaire au sujet du pont de Saône illustrera les conflits d'autorité qui peuvent apparaître lorsqu'il est question de la prise en charge politique d'une rivière, particulièrement dans la ville de Lyon.

1 DUMONS, Bruno, ZELLER, Olivier (dir.), Gouverner la ville en Europe, du Moyen Age au XXe siècle, Paris, L'Harmattan, collection Villes, 2006, page 5.

A. La juridiction de la Saône

Si l'on se réfère aux éléments, présentés dans le premier chapitre, qui permettent de définir les droits qui s'exercent sur un cours d'eau, le premier aspect à mettre en avant est la possibilité ou non de naviguer sur celui-ci. En ce qui concerne la Saône, cela ne fait aucun doute, c'est une rivière navigable et, par conséquent, elle est placée sous la protection des rois de France. Une cérémonie affirme d'ailleurs cela : chaque année, le jour de l'Ascension, une procession qui remonte la Saône jusqu'à l'île Barbe (juste au nord de Lyon) est effectuée. Cette procession est conduite par des représentants du roi, notamment par le maître des ports. Claude de Rubys nous explique qu'ils vont « à l'Ile Barbe par eau, armez et embastonnez, avec l'enseigne et les tambourins, poser l'escusson et les armoiries du Roy de France dans la riviere de Saosne, en signe qu'elle appartenoit au Roy de bord en bord et ostoyent l'escusson du Duc de Savoye, que les officiers de Bresse y posoient d'ordinaire la nuict precedente »2.

Bien que la signification de cet évènement récurrent semble clairement politique, eu égard à la position frontalière de la ville de Lyon, Jacques Rossiaud précise qu'il « peu être ritualisé parce qu'il n'est plus très aigu [...] au moins depuis 1467 »3 et, de plus, « en 1536, la Bresse [est] occupée ; mais le rituel des panonceaux demeure pratiqué ». Cela mis à part, cette cérémonie est donc également l'illustration du pouvoir que détiennent les souverains sur la Saône, pouvoir que possédaient déjà les empereurs allemands au Moyen Age lorsque la ville de Lyon était intégrée dans le Saint Empire romain germanique. De telles célébrations, avec de similaires affirmations du pouvoir royal, existent dans d'autres villes à la période moderne. C'est le cas, par exemple, dans l'estuaire de la Loire, à Nantes, où, durant des fêtes nautiques, on « célèbre l'emprise royale sur les cours d'eau [...] Le souverain se présente à chaque fois en gardien des eaux, au

2 RUBYS, Claude de, Histoire véritable de la ville de Lyon, Lyon, imprimeur Bonaventure Nugo, 1604, page 503.

3 ROSSIAUD, Jacques, « Fleuve et cité, fête et frontière : la sensa lyonnaise des années 1500 », in BRAVARD, J.-P., COMBIER, J., COMMERCON, N. (dir.), La Saône, axe de civilisation, Actes du colloque de Mâcon (2001), Presses universitaires de Lyon, 2002, page 404.

nom du bien public »4. Cela confirme que les célébrations lyonnaises que nous venons de présenter ne sont pas un particularisme dû à la position frontalière de la ville ; elles constituent bien sûr le rappel que Lyon est dans le royaume de France mais elles affirment aussi les droits qu'ont les rois sur la rivière de Saône.

Cependant, le roi de France n'est pas la seule autorité concernée par la juridiction de la Saône, dans la ville de Lyon. L'archevêque et le chapitre Saint-Jean sont les comtes de Lyon donc les seigneurs temporels de la ville et peuvent ainsi avoir des prétentions juridictionnelles sur la rivière. Même si « l'existence des juridictions seigneuriales ne constitue en aucune façon une exception à cette suprématie royale »5, l'on a montré que les droits sur l'eau, même d'une rivière navigable, peuvent appartenir à des seigneurs, soit par une concession du roi soit par la légitimité d'une possession ancienne ; ce qui ne remet absolument pas en cause l'autorité suprême que possèdent les souverains. C'est d'ailleurs le cas pour les seigneurs de Lyon et « les princes reconnaissent leurs droits et composent avec leurs détenteurs mais affirment leur supériorité juridictionnelle sur le grand cours de l'eau »6, par des rituels tels que ceux précédemment présentés.

Un dossier des Archives municipales de Lyon7, probablement constitué à la fin du XVIIe siècle ou au début du XVIIIe siècle, regroupe un certain nombre de documents, ou des copies de ceux-ci, qui présentent l'évolution des différentes prérogatives de l'archevêque et des chanoines-comtes de Lyon depuis le XIIe siècle. Parmi ceux-ci, il est fait mention d'une bulle d'or de 1157 par laquelle l'empereur Frédéric Ier aurait donné de nombreux droits à l'archevêque de Lyon, notamment sur les cours d'eau et les passages. Jacques Rossiaud complete cette information puisqu'il écrit que « l'archevêque de Lyon en 1190 se proclame ainsi maître de la « decize » grâce aux privilèges obtenus de Frédéric Barberousse »8. Le terme de « decize », au sens variable, a ici une portée juridique et « permet de départager les droits du souverain et ceux des seigneurs riverains »9. Ainsi, dès le XIIe siècle,

4 MYNARD, Frantz, « Le fleuve et la couronne : contribution à l'histoire du domaine fluvial (1566 - 1669) », in LE LOUARN, Patrick (dir.), L'eau ; sous le regard des sciences humaines et sociales, Paris, L'Harmattan, collection Logiques sociales, 2007, pages 182-183.

5 BELY, Lucien (dir.), Dictionnaire de l'Ancien Régime, Paris, PUF, Quadrige, 2006, page 709.

6 ROSSIAUD, « Fleuve et cité... », op.cit., page 405.

7 AML, DD 316, pièce 1.

8 ROSSIAUD, « Fleuve et cité... », op.cit., page 405.

9 ROSSIAUD, Jacques, Dictionnaire du Rhône médiéval (1300-1550), Tome 2, Grenoble, Centre Alpin et Rhodanien d'Ethnologie, 2002, page 110.

l'archevêque de Lyon dispose de la juridiction sur la Saône. De plus, en 1307, Philippe le Bel confirme cela, et va même plus loin, puisqu'il reconnaît à l'archevêque et aux chanoines-comtes du chapitre Saint-Jean toute juridiction dans la ville de Lyon, en précisant toutefois que celle-ci est « sous les garde, ressort et superiorité du Roy »10.

Par ailleurs, les rois de France n'interfèrent pas dans l'administration des seigneurs de Lyon, au moins pour ce qui est du XVe siècle. Une décision royale du 14 août 1444, par exemple, illustre cela. En effet, elle « ordonne par provision que le maitre des eaux bois et forests n'exercera aucune juridiction sur les terres eaux bois et forests des archeveque et chapitre de Lyon »11. Charles VII choisit donc que les agents royaux des Eaux et Forêts n'interviendront pas dans le comté de Lyon. Cela signifie alors que l'archevêque et les chanoines-comtes de Lyon sont entièrement responsables de la gestion fluviale, de l'application des décisions royales sur le fait des Eaux et Forêts mais aussi de la répression des délits dans le territoire qui est sous leur juridiction et notamment de la Saône dans Lyon.

Néanmoins, cet état de fait n'est que provisoire puisque « depuis 1543, la juridiction des Eaux et Forêts s'exerce dans la ville mais la compétence et les droits de chacun ne sont vraiment déterminés que depuis 1669 »12. Ainsi, cela nous montre une évolution théorique dans la juridiction de la Saône à Lyon, au cours du XVIe siècle. Cependant, les sources ne semblent pas révéler de changement notable dans la seconde moitié du siècle. De plus, la seule sous-série13 qui concerne la Maîtrise des Eaux et Forêts aux Archives départementales du Rhône ne contient que des documents de la fin du XVIIe siècle ainsi que du XVIIIe siècle. D'ailleurs, « en 1768, la maîtrise des Eaux et Forêts réclame la police du Rhône et de la Saône à l'intérieur de Lyon »14 ce qui confirme que celle-ci n'avait, de toute façon, pas de prérogatives dans la ville, ou de façon très limitée et ponctuelle, au XVIe siècle. Cela ne remet pas en cause la juridiction fluviale exercée par l'archevêque et les chanoines-comtes de Lyon durant la période qui nous intéresse.

10 AML, DD 316, pièce 1.

11 AML, DD 316, pièce 1.

12 BAYARD, Françoise, CAYEZ, Pierre, PELLETIER, André, ROSSIAUD, Jacques, Histoire de
Lyon des origines a nos fours
, Lyon, Editions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2007, pages 450-451.

13 ADR, sous-série 5 B : Maîtrise des Eaux et Forêts (1673-1790).

14 BAYARD, CAYEZ, PELLETIER, ROSSIAUD, Histoire de Lyon«~ op. cit., page 457.

Les rois de France tentent tout de même d'interférer dans les prérogatives des seigneurs de Lyon. Il est d'ailleurs bien connu qu'ils se saisissent des pouvoirs judiciaires de l'archevêque de Lyon, de façon définitive en 1562-156315 (le chapitre Saint-Jean avaient perdu les siens dès 142416). Dans ce processus d'affermissement de la tutelle royale, « le Procureur du Roy en la Cour de Parlement de Paris, demanda que les isles du Rhosne, et de la Saone fussent reunies au Domaine du Roy, et tous les moulins à bled, les Pesches et autres droicts qui estoient establis en l'une et l'autre rive de ces deux Rivières, contre l'Archevesque et Clergé de Lyon »17. Cette demande, évoquée par René Choppin, fait immédiatement suite, selon lui, à un conflit opposant des représentants du roi et les clercs d'Avignon, au sujet des îles du Rhône, en 1493. Choppin explique plus loin que « la Cour ordonna sur une si grande affaire, qu'elle verroit les tiltres et en delibereroit plus amplement ».

Cette affaire n'est réglée que plus de quarante ans après. Tout d'abord, le 27 août 1534, l'archevêque et les chanoines-comtes de Lyon comparaissent devant le sénéchal de Lyon, « a ce deputé par la venerable court de parlement »18 pour justifier de leurs titres de possession. Il est précisé que les « ysles, broteaulx, peages, molins, bennes, pescheries, barrages et autres choses estans en et sur les fleuves et rivieres du Rosne et de la Saosne es environs de lad. ville de lyon [...] ont esté saisies et mises soubz la main du Roy a la requeste dudit procureur ». Cela nous montre que les îles, les berges et les autres éléments de la Saône ont été, au moins provisoirement, remis au roi. Le principal argument des seigneurs de Lyon, développé dans ce même document est l'ancienneté de leurs droits « tant par terre que par eaue »19, prérogatives qui n'ont jamais été remises en cause par les souverains. Le 2 octobre 1536, un arrêt du Parlement de Paris20 confirme les comtes de Lyon dans la possession de tous leurs domaines ainsi que les droits dont ils disposent dessus. Cela rétablit donc la situation juridictionnelle telle que était à la fin du XVe siècle.

15 KLEINCLAUSZ, Arthur, Histoire de Lyon, des origines à 1595, (tome 1), Genève, Laffite Reprints, 1978, page 464.

16 MISSOL-LEGOUX, Bernard, La voirie lyonnaise du Moyen Age à la Révolution, Lyon, Thèse de doctorat en droit, 1966, page 78.

17 CHOPPIN, René, Trois livres du domaine de la couronne, Paris, Michel Sonnius, 1613, page 169.

18 ADR, 10 G 1824, troisième liasse, document du 27 août 1534.

19 ADR, 10 G 1824, troisième liasse, document du 27 août 1534.

20 ADR, 10 G 1824, quatrième liasse, arrêt du 2 octobre 1536.

Enfin, un procès-verbal dressé par le lieutenant général de la sénéchaussée de Lyon le 21 janvier 1539 clôt l'affaire. En effet, il signifie la prise de possession par le pouvoir royal des îles, rives et structures fluviales de la Saône et du Rhône, « hors et excepté les dessus dittes des archevêque doyen et chapitre de Lyon »21. Finalement, le roi de France s'est donc saisi de la juridiction de la Saône et du Rhône comme il l'escomptait mais à l'exception notoire de ces cours d'eau dans le territoire des seigneurs-comtes de Lyon et donc à l'exception de la Saône dans la ville de Lyon intra muros. Néanmoins, nous l'avons montré dans le chapitre précédent, la déclaration royale du 7 juillet 1572 semble régler définitivement la question puisque le roi de France s'attribue la juridiction des îles, des berges et des entreprises qui y sont faites dans l'ensemble du royaume de France. Pourtant, les droits dont disposent les seigneurs de Lyon semblent quant à eux se maintenir puisque un édit d'avril 1683 leur confirme à nouveau « la propriété, possession et jouissance des isles, islots, atterrissements, peages, passages, bacqs, batteaux, ponts, moulins et autres ediffices et droits sur les rivieres navigables, mesme de justice »22 dans la limite de leur territoire.

La complexité juridictionnelle sur la Saône entre le pouvoir royal d'une part et l'archevêque et les chanoines-comtes de Lyon est donc importante. Bernard Missol-Legoux l'exprime clairement dans sa thèse23 : les comtes de Lyon, par leur pouvoir seigneurial ancien et donc légitime, disposent des prérogatives sur la Saône mais, si l'on considère cette rivière comme un « grand chemin », elle relève en effet de l'autorité royale. C'est d'ailleurs par une référence au juriste Charles Loyseau24, précédemment évoqué, que Bernard Missol-Legoux en arrive à cette conclusion. La seule trace du pouvoir royal dans la ville de Lyon, en lien avec la gestion fluviale, est le maître des ports. Nicolas de Nicolay présente cela : « le roi a estably en lad. ville de Lyon un maistre des portz, ponts et passaiges, et 17 gardes officiers qui sont tenuz demeurer par chacun jour es portes de ladite ville »25. Le

21 ADR, 10 G 1824, huitième liasse, procès-verbal du 21 janvier 1539, ou AML, DD 316, pièce 1 (pages 16-17).

22 AML, DD 316, pièce 1, page 17.

23 MISSOL-LEGOUX, La voirie lyonnaise~ op. cit., pages 116 à 118.

24 LOYSEAU, Charles, Traité des seigneuries, Paris, Abel l'Angelier, 1608, page 213.

25 NICOLAY, Nicolas (de), Généralle description de l'antique et célèbre cité de Lyon, du païs de Lyonnois et du Beaujolloys selon l'assiette, limites et confins d'iceux païs, Lyon, Société de Topographie historique de Lyon, 1881 (édition du manuscrit de 1573), page 131.

rôle de ces agents royaux se résume au contrôle des marchandises qui affluent à Lyon, par voie de terre comme par voie d'eau. Ainsi, ils ne concernent que peu le sujet de ce travail, puisque leur rôle reste mineur en ce qui concerne les usages et la gestion de la Saône, mais il était nécessaire de mentionner leur présence dans la ville. Celle-ci ne modifie par pour autant les modalités des droits sur la Saône.

En effet, les seigneurs de Lyon, c'est-à-dire l'archevêque et les chanoinescomtes, ont la juridiction sur la rivière de Saône dans les limites de la ville, et même au-delà, malgré la levée provisoire d'une partie de leurs prérogatives dans les quarante premières années du XVIe siècle. Leur autorité est légitimée par l'ancienneté de leurs droits même si le roi de France possède tout de même une autorité supérieure de fait, puisqu'il est considéré comme le seigneur des rivières navigables. L'archevêque et les chanoines-comtes de Lyon représentent donc, en théorie, l'autorité principale pour tout ce qui concerne la Saône dans la ville mais, concrètement, une partie de leur pouvoir est confiée à la municipalité et particulièrement, ce qui relèvent des infrastructures fluviales.

B. La voirie, une prérogative consulaire

La voirie est un des aspects de notre sujet puisque les infrastructures urbaines telles que les ports, les ponts et l'aménagement des berges font partie de ce domaine. Bernard Missol-Legoux définit la notion de voirie comme l'entretien des « voies »26 donc des espaces qui permettent de circuler ; ainsi, cela regroupe les rues et les chemins terrestres et donc les ponts, mais aussi les rivières et l'accès à celles-ci (embarcadères, ports, rampes d'accès etc). Selon Charles Loyseau, le terme « voirie » relève du droit de police qui « consiste proprement à pouvoir faire des réglemens particuliers, pour tous les citoyens de son distroit et territoire »27. Pour ce juriste, la voirie dépend donc du pouvoir de police, détenu en général, selon lui, par le roi ou par un seigneur. Cette définition, très théorique, semble inadaptée à notre analyse puisqu'elle ne distingue pas la juridiction de la gestion concrete. Nous entendrons donc ici le terme de « voirie » à la manière de Bernard Missol-Legoux ; d'autant plus qu'il ne semble pas nécessaire de revenir sur les questions juridictionnelles à propos de la Saône.

Cependant, comme le remarque justement Bernard Missol-Legoux, luimême, la voirie entre dans la catégorie des éléments fonciers et semble donc, de ce point de vue, dépendre de la justice et des droits domaniaux28. La voirie peut alors parfois relever de l'autorité seigneuriale, voire royale s'il s'agit d'un cours d'eau navigable. Comme nous l'avons montré, l'autorité seigneuriale principale qui prend part dans notre champ d'étude est l'archevêque de Lyon ainsi que les chanoinescomtes du chapitre Saint-Jean. S'ils disposaient d'un rôle dans la « voirie fluviale », celui-ci serait essentiellement le financement des infrastructures puisque les droits de péage leur reviennent du fait de la juridiction qu'ils possèdent et parce que « toutes les coustumes qui autorisent les peages, chargent par expres les seigneurs, qui les levent de l'entretien des chemins, ponts... »29. Cependant, une lettre patente de Louis XII, du 21 avril 150330, supprime tous les impôts et taxes pour les marchands « frequentans les rivieres du Rhone, de la Saone, et autres rivieres

26 MISSOL-LEGOUX, La voirie lyonnaise~ op. cit., introduction.

27 LOYSEAU, Traité~ op. cit., page 213.

28 MISSOL-LEGOUX, La voirie lyonnaise~ op. cit., introduction.

29 LOYSEAU, Traité~ op cit., page 220. Cela est affirmé par l'édit de septembre 1535 (cf Chapitre I, A, note de bas de page 22).

30 AML, CC 4047, pièce 4, décision royale du 21 avril 1503.

navigables cheans en icelles »31. L'archevêque de Lyon dispose tout de même de droits de péage sur la Saône mais en dehors de Lyon, comme le montre la lettre qu'il adresse à ses « peageurs, censiers et fermiers de noz peaiges par la riviere de Saonne »32 en 1511. Ces droits ont probablement été maintenu du fait de leur ancienneté, mais, quoi qu'il en soit, sont extérieurs à la ville de Lyon.

De plus, il semble que dans la charte de 1320, l'archevêque et les chanoines comtes ont reconnu que la voirie relève de la compétence de la municipalité de Lyon33. D'ailleurs, Eugene Courbis rappelle que « dès les temps les plus anciens, les opérations de voirie ont été faites par la ville. En 1309, nous voyons déjà les syndics-procureurs donner l'autorisation de bâtir un arc sur le pont de pierre construit sur la Saône »34. Lorsque Olivier Zeller évoque la fonction des municipalités dans les villes d'Europe pendant la période moderne, il confirme que « de longue date, la voirie était une préoccupation constante » et que celles-ci « devaient entretenir, améliorer ou édifier les équipements urbains »35. Ainsi, il semble certain que la voirie est un domaine qui est généralement géré par les municipalités. C'est aussi le cas pour la ville de Lyon, que ce soit justifié par l'usage ou effectivement par un document juridique.

Dans le cadre de la ville de Lyon, « les mesures concernant les fortifications, le tracé des rues, la sécurité et la salubrité des habitations, dont est responsable le consulat, relèvent de la « voirie » et sont confiées à un « voyer », officier municipal »36. Le consulat est l'assemblée qui possède le pouvoir municipal à Lyon sous l'Ancien Régime. Il est composé de douze échevins (ou conseillers) depuis 144737, élus pour deux ans avec un renouvellement annuel par moitié (soit six nouveaux échevins élus chaque année). Les conseillers sont chargés de traiter

31 PARADIN DE CUYSEAULX, Guillaume, Mémoires de l'histoire de Lyon, Roanne, Editions Horvath, 1973 (1e éd. en 1573), page 281.

32 ADR, 15 H 6, lettre du 8 janvier 1511 (date actualisée).

33 MISSOL-LEGOUX, La voirie lyonnaise~ op. cit., page 78.

34 COURBIS, Eugène, La municipalité lyonnaise sous l'Ancien Régime, Lyon, Imprimerie Mougin Rusand, 1900, pages 143-145.

35 ZELLER, Olivier, "La ville moderne", in PINOL, Jean-Luc (dir.), Histoire de l'Europe urbaine, de l'Antiquité au XVIIIe siècle, tome 1 (pages 595 à 857), Paris, Editions du Seuil, Collection L'Univers historique, 2003, page 819.

36 BAYARD, CAYEZ, PELLETIER, ROSSIAUD, Histoire de Lyon~ op. cit., page 348. 37BEGHAIN, Patrice, BENOIT, Bruno, CORNELOUP, Gérard, THEVENON, Bruno, Dictionnaire historique de Lyon, Lyon, Editions Stéphane Bachès, 2009, page 333.

toutes les « affaires communes »38 de la ville ce qui leur confère un rôle politique mais aussi économique, social ; en bref, un rôle d'administration au sens large. Les désaccords financiers mis à part, Arthur Kleinclausz considère qu'il n'y a que peu de conflits entre l'Eglise et le consulat39. Il justifie cela par le fait que l'archevêque de Lyon souhaite surtout maintenir son pouvoir judiciaire sur lequel le consulat n'a aucune prétention. Chacun semble donc exercer son autorité de façon distincte et la gestion de la voirie est prise en charge par la municipalité lyonnaise.

En effet, depuis 149240, le pouvoir municipal lyonnais nomme un préposé à la voirie, le voyer. Avant que ce poste ne soit défini, le consulat « qui, au début du XIVe siècle, exerçait déjà dans la ville le « droit de voirie », chargeait à l'origine, un ou plusieurs conseillers [...] de visiter les édifices en construction ou en réparation, d'inspecter les ponts, portes, rues et remparts »41. Ainsi, dès la fin du Moyen Age, même s'il n'existait pas d'agent municipal dévoué à la voirie, des conseillers exerçaient ponctuellement cette charge. Celle-ci est donc constituée de deux aspects : tout d'abord de la surveillance des édifices pour prévenir des nécessités, notamment de réparation, mais aussi d'un rôle de maître de chantier puisqu'il s'agit de surveiller les travaux d'édification ou de réfection des infrastructures. Nicolas de Nicolay, contemporain, décrit le rôle du voyer lyonnais au XVIe siècle : celui-ci a « la sur-intendance sur la santé de ladicte ville, pavissement et nettoyement des rues, demolition des maisons et bastiments ruineux, reparation et entretenement des rues, portz, ponts et passages »42. La principale précision que nous apporte cet auteur est que le voyer est responsable de l'entretien des rues c'est-à-dire à la fois de leur propreté mais aussi de l'entretien de leur pavement afin qu'elles soient aisément carrossables. Enfin, ce commis à la voirie peut décider de la destruction des édifices en ruines ou qui représente un danger au vu de leur délabrement.

Le voyer est donc l'agent du consulat en matière de voirie tout au long du siècle qui nous concerne. Cependant, son statut a évolué au milieu du XVIe siècle

38 Citation des textes qui instituent les échevins, relevée dans BAYARD, CAYEZ, PELLETIER, ROSSIAUD, Histoire de Lyon..., op. cit., page 433.

39 KLEINCLAUSZ, Histoire de Lyon..., op. cit., page 481.

40 BAYARD, CAYEZ, PELLETIER, ROSSIAUD, Histoire de Lyon..., op. cit., page 457.

41 VIAL, Eugène, "Les voyers de la ville de Lyon", in Revue d'Histoire de Lyon, Tome 10, année 1911, Lyon, A. Rey et Compagnie (imprimeurs-éditeurs), 1911, page 180.

42 NICOLAY, Généralle description..., op. cit., page 142.

suite à la création, à Lyon, par un édit de novembre 1549 d'un poste de « voyer en chef en titre d'office »43. Eugène Vial, dans son article très complet sur les voyers de Lyon, présente cette affaire qui ne comporte pas de conséquences importantes, mais qu'il est utile de mentionner. Henri II confia ce nouvel office à un marchand lyonnais, Guillaume Chazottes, « mais le consulat fit opposition à cette nomination qui portait atteinte à l'un de ses privileges les plus anciens, sa juridiction de voirie, et réclama le droit de nommer son Voyer »44. L'affaire, selon Eugene Vial, n'est réglée qu'en 1557, après plusieurs années de procédure judiciaire et la démission de Chazottes. Pendant ces huit années, Humbert Gimbre, voyer de la ville nommé par le consulat, puis son fils, ont continué d'exercer leur charge.

En 1557, le consulat est confirmé dans son pouvoir de nomination d'un voyer pour la ville. Eugène Vial explique que, depuis cette affaire, le voyer fait « partie du corps consulaire comme « officier de Ville » »45. Concrètement, à part le costume porté par ce personnage et les privilèges dont il dispose en tant que nouveau membre du pouvoir municipal (éléments confirmés par le consulat dans la seconde moitié du siècle), la charge de voyer reste la même. Elle consiste donc en l'inspection des bâtiments de la ville et en la direction des travaux qui sont réalisés, de la volonté de la municipalité lyonnaise. En effet, le consulat, nous l'avons montré, est le responsable de la voirie à Lyon au XVIe siècle.

43 VIAL, « Les voyers... », op. cit., page 182.

44 Ibid., page 182.

45 Ibid., page 183.

C. Chevauchement d'autorités ; l'affaire Pierrevive

L'archevêque et les chanoines-comtes de Lyon possèdent la juridiction de la Saône et des structures qui en dépendent au XVIe siècle à Lyon. Cependant, les questions de voirie ont été déléguées et sont gérées par la municipalité lyonnaise. En théorie, ces rôles semblent définis mais une affaire judiciaire les opposant met au jour les conflits d'autorité qui découlent d'un partage de prérogatives si peu tranché.

Le 7 février 1528, Françoise de Pierrevive, veuve Piochet, demande à

l'archevêque l'autorisation de rebâtir sa maison, détruite par un incendie. Sa maison

« estoit sur la pille dud. pont [de Saône] au coing dicelluy devers leglise Saint

Jehan »46. Cette maison était donc sur le pont de Saône ; en effet, de longue date,

des maisons y étaient installées. Léon Boitel l'explique : « Quoique ce pont fut très

étroit, on avait toléré, sans doute en faveur des citoyens qui y avaient des droits par

la générosité de leurs dons pour l'achèvement de l'entreprise, la construction de

maison assises sur les piles à chaque extrémité du pont »47. Il fait donc remonter la présence de maisons, sur le seul pont jeté sur la Saône, à la fin du XIe siècle ou au début du siècle suivant. L'affaire judiciaire qui nous intéresse concerne donc une de ces maisons, situées à l'extrémité sud-ouest du pont de Saône et représentées sur le plan48 ci-contre.

46 AML, DD 003, pièce 39.

47 BOITEL, Léon (dir.), Lyon ancien et moderne, tome 2, Lyon, éditeur Léon Boitel, 1843, pages 439 à 445.

48 Extrait d'un planche du plan scénographique de 1550, tiré de CHAMPDOR, Albert, Plan scénographique de la ville de Lyon au XVIe siècle, Trévoux, Editions de Trévoux, 1981, planche XIII.

Donc, suite à l'incendie de sa maison, Françoise de Pierrevive, le 7 février 1528, demande à l'archevêque qu'il « lui soit loisible de reedifier et de parachever tout ainsi que a commencé en luy donnant faculté, puissance et liberté de ce faire »49. Sa requête est donc très claire : les travaux ont débuté mais elle demande une autorisation officielle de les continuer. La raison de cette demande n'est pas identifiée ; aucun des documents consultés ne montre qu'on lui ait suggéré de la formuler. Un acte du conseil de l'archevêque de Lyon et du chapitre Saint-Jean, du 21 février 1528, lui fournit une réponse : sa requête est acceptée « dung commun consentement tant quil touche mond. seigneur l'arcevesque seigneur naturel, temporel et spirituel dud. lyon et a cause de son contat dud. lyon ayant la directe seigneurie de la maison de lad. suppliante »50. L'autorisation fournie est ainsi justifiée par le pouvoir temporel de l'archevêque et du chapitre Saint-Jean ; c'est en tant que comtes de Lyon qu'ils ont l'autorité sur cette question.

Malgré la légitimité qu'ils se donnent, ces seigneurs nomment deux membres de leur conseil « pour empescher par tous les moiens deuz, justes et raisonnables que lad. Dame [...] ne soit empeschée de faict et induement au bastiment et parachevement de sad. maison »51. Les deux commis sont Hugues du Puy, procureur général et représentant de l'archevêque et Annemond Chalan, « docteur es droiz, Juge de la cour des appeaulx des chasteaulx et places »52 de l'archevêque également. Ceux-ci sont donc chargés de s'assurer de l'application de la décision du conseil et, par conséquent, de la reconstruction de la maison de Françoise de Pierrevive. Leur mission est précisée plus loin dans le même document : ils doivent aller voir « monsieur Pomponne de Tremoille lieutenant de monSeigneur le gouverneur pour le Roy notre souverain seigneur en la ville de lyon et pays de lyonnois pour lui supplier et requerir que son plaisir soit ne donner ne faire empeschement à lad. dame ». Hugues du Puy et Annemond Chalan doivent ainsi aller voir le lieutenant du gouverneur du Lyonnais c'est-à-dire le « représentant suprême de l'autorité royale »53 dans la région pour confirmer la permission accordée à Françoise de Pierrevive. Cette demande de confirmation de leur décision est assez surprenante : il faut peut-être la lier à la suspension

49 AML, DD 003, pièce 39.

50 AML, DD 003, pièce 40.

51 AML, DD 003, pièce 40.

52 AML, DD 003, pièce 40.

53 KLEINCLAUSZ, Histoire de Lyon..., op. cit., page 464.

provisoire de la juridiction des seigneurs de Lyon jusqu'en 1539 au profit du roi54. Aucun document trouvé ne mentionne cette entrevue avec le gouverneur mais comme les comtes de Lyon ne reviennent pas sur leur décision, l'on peut penser qu'ils ont obtenu une réponse favorable du gouverneur.

En dépit de cela, les échevins saisissent la sénéchaussée de Lyon c'est-àdire la principale autorité judiciaire. Les dates précises de ce recours en justice et des démarches qui l'accompagnent ne sont pas mentionnées dans les documents trouvés aux Archives municipales de Lyon ; cependant, comme le désaccord semble définitivement tranché autour du 5 juillet 1528, l'on peut sans doute affirmer que l'instruction de l'affaire se déroule entre la fin du mois de février 1528 et le mois de juillet de la même année. Les conseillers de la ville de Lyon réagissent donc négativement à la décision prise au conseil de l'archevêque le 21 février 1528 mais aussi à une « complainte » formulée par ce dernier, qui, selon eux, « nest recevable »55. Il s'agit probablement de la demande faite auprès du gouverneur par les représentants de l'archevêque et du chapitre Saint-Jean de ne pas aller à l'encontre de la décision qu'ils ont prise en faveur de Françoise de Pierrevive. Les arguments développés par le consulat devant la sénéchaussée contestent l'autorité des comtes de Lyon en la matière. En effet, selon les échevins, « led. seigneur arcevesque pretend usurper et entreprendre contre les droitz du Roy tant par eaue que par terre »56. Ainsi, ils considèrent que l'archevêque et son conseil ne sont pas les personnes désignées pour prendre ce type de décisions et même que, ce faisant, ils vont à l'encontre du pouvoir du roi.

La défense de l'archevêque (qui s'exprime aussi au nom des chanoinescomtes de la ville) va directement à contre-courant de ce qui lui est reproché par le consulat. En effet, il considère « que a cause de leglise et conté de lyon Il a plusieurs beaulx, droictz, preheminances, auctoritez et prerogatives [...] tant par eaue que par terre en toute la ville et cyté de lyon », mais il rappelle que c'est « soubz toutesfoys le ressort et souverainté du Roy »57. Il est donc ici encore question du pouvoir du roi ; adroitement, l'archevêque ne le nie pas et place même son autorité comme légitime puisque justement conférée par les souverains.

54 Cf Chapitre II, A.

55 AML, DD 310, pièce 24.

56 AML, DD 310, pièce 24.

57 AML, DD 310, pièce 25.

D'ailleurs, le simple recours à l'avis du gouverneur, prévu en février 1528, montre qu'il tient compte du pouvoir royal. L'archevêque ajoute qu'il détient la juridiction sur les maisons de la ville et « mesmement sur les crenes, forgets, avancemens et accroissemens des maisons estans et assises le long du rivaige de la riviere de saosne tant sur le pont de ladite riviere que sur les pont qui ont esté faictz et se font »58. L'archevêque considère donc qu'il agit dans son droit puisque les maisons de la ville, le pont de Saône et, par conséquent, les maisons qui sont sur ce pont dépendent de son autorité. Dans le même document, il précise que personne ne peut construire d'édifice sur la Saône sans l'autorisation du chapitre Saint-Jean et de luimême.

Gependant, les deux parties qui s'opposent dans cette affaire, disposent d'autres arguments en leur faveur. Tout d'abord, le consulat s'oppose aux prérogatives revendiquées par les seigneurs de Lyon sur les infrastructures saôniennes. Ainsi, les échevins se sentent usurpés dans leurs droits : « nous voullons dire que le pont est de la ville et quelle lentretient en toutes reparations et quil nest loysible a y bastir sans la permission de la ville »59. Gette fois, sans remettre en cause le pouvoir seigneurial, ils affirment tout de même que l'autorisation de construire relève de leur autorité. En effet, ils rappellent leur droit de voirie et donc qu'ils sont responsables de la gestion concrète des édifices de la ville et, de ce fait, ce sont eux qui détiendraient le pouvoir d'autoriser une telle reconstruction. L'archevêque et les chanoines-comtes, quant à eux, affirment à plusieurs reprises que la permission qu'il ont donnée à Françoise de Pierrevive de rebâtir sa maison sur le pont de Saône, n'a pas été décidée « contre le droit d'autruy mêmement de la chose publique »60 mais seulement parce que leur seigneurie leur confère le droit d'autoriser ou non des constructions dans la ville.

Get argument touche probablement au fond du problème : « la chose publique ». En effet, peu à peu au cours du XVIe siècle, lorsqu'il s'agit de construction, « le consulat oppose des arguments nouveaux fondés sur la notion d'espaces « publics » donc inappropriables. Les rues et les places de la cité ne sont

58 AML, DD 310, pièce 25.

59 AML, DD 310, pièce 27.

60 AML, DD 256, pièce 41, acte du conseil de l'archevêque du 16 juin 1528.

plus, aux yeux des échevins, des territoires dont chacun peut se rendre maître "61. Le pont de Saône n'échappe pas à la règle : le consulat craint que les maisons empiètent sur cet axe de circulation, déjà étroit à l'origine. Le 9 mars 1516, lors d'une réunion du consulat, François Deschamps rapporte « le bruist qui court que le Roy a donné à monsieur de Maugiron permission de appensionner le pont de saone et y faire des maisons tant dun costé que dautre "62. Cette rumeur inquiète le consulat qui considère que ce « seroit grant dommaige interestz a ceste ville " et qu'il faut « y obvier par tous les moyens que pourra "63. Au moins dès 1516, les échevins craignent donc qu'une personne puisse construire des maisons sur le pont de Saône et l'on peut penser que c'est une motivation importante de leur opposition aux travaux que veut effectuer Françoise de Pierrevive. L'autre aspect intéressant de cette rumeur, est que l'autorisation de construire aurait été donné par le roi, ce qui n'étonne pas le consulat.

Ainsi, le roi peut intervenir ponctuellement en matière de voirie à Lyon. C'est d'ailleurs par une intervention d'un représentant du roi que l'affaire qui oppose l'archevêque et les chanoines-comtes d'une part, au consulat d'autre part, est réglée. Une délibération consulaire du 5 juillet 1528 donne les conclusions du différend. Tout d'abord, Mme de Pierrevive n'a pu reconstruire sa maison car « elle auroit été empêchée par auctorité de justice "64 ce qui laisse sous-entendre que les échevins ont été reconnus dans leurs prérogatives ; ils réaffirment dans ce document qu'il leur « appertient led. droit de permission et cognoissance des bastiments et édiffices et sur iceux bailler et prendre mesures pour obvier que la rue ne soit usurpée sur la chose publique ". Il est ensuite précisé que Françoise de Pierrevive a renoncé à la permission obtenue du conseil de l'archevêque et demande, cette fois, l'autorisation de réédifier sa maison au consulat.

Celui-ci, malgré les oppositions qu'il a formulées jusque-là, accède à sa requête, lui permettant donc de reconstruire sa maison sur le premier arc du pont de Saône. Néanmoins, cette volte-face surprenante n'est pas simplement motivée par des questions de juridiction : ce n'est pas parce que la décision lui revient que le

61 MONTENACH, Anne, Espaces et pratiques du commerce alimentaire à Lyon au XVIIe siècle, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, Collection "La Pierre et l'Ecrit", 2009, page 144.

62 AML, BB 035, f°129 v°, délibération du dimanche 9 mars 1516.

63 AML, BB 035, f°129 v°.

64 AML, DD 003, pièce 43.

consulat donne cette autorisation, qui va à l'encontre de ses propos sur l'espace « public » et de sa volonté de permettre une circulation aisée sur le pont. Il est expliqué à ce sujet, dans la délibération consulaire, que les échevins lui ont conféré la permission de construire « à la demande et priere de très illustre prince Monseigneur François Conte de Saint-Pol, lieutenant general pour le Roy nôtre sire, conduisant presentement l'armée dud. Seigneur en Italie »65. Cette intervention, difficile à appréhender, peut probablement s'expliquer de diverses façons comme, par exemple, par des liens qui pourraient exister entre les familles de Pierrevive et de Saint-Pol ou par une requête de l'archevêque à ce représentant du roi. Cependant, la qualité en laquelle celui-ci peut intervenir n'est pas définie et sa demande semble impromptue.

Finalement, face à ce grand personnage, lieutenant général du roi, le consulat a cédé et l'affaire se conclut donc à l'avantage de Mme de Pierrevive et donc de l'archevêque. Néanmoins, cette affaire complexe confirme chaque autorité dans son rôle : l'archevêque et les chanoines-comtes possèdent la juridiction de la Saône mais la gestion concrète relève du pouvoir consulaire. Par ailleurs, le roi reste l'autorité principale, en dernier recours, par le biais notamment de son gouverneur ou de la sénéchaussée de Lyon. Enfin, comme le présente Yann Ligneureux, en ce qui concerne le XVIIe siècle, lorsqu'il évoque le pouvoir du consulat : « le plus ancien pont de la ville, celui jeté sur la Saône, dépendait de son autorité directe »66.

65 AML, DD 003, pièce 43.

66 LIGNEREUX, Yann, Lyon et le roi ; de la "bonne ville" à l'absolutisme municipal (1594-1654), Seyssel (Ain), Editions Champ Vallon, Collection Epoques, 2003, page 651.

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