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Lyon et la Saône au XVIe siècle

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par Katherine DANA
Université Jean Moulin - Lyon III - Maitrise 2009
  

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Conclusion chapitre III

La perception d'une rivière, dans son caractère naturel, comporte plusieurs aspects. En effet, il s'agit de distinguer la vision quotidienne du cours d'eau et les accidents climatiques. La Saône à Lyon est perçue comme une rivière calme et paisible, souvent présentée sous les traits d'une femme. Cependant, elle est soumise aux fluctuations climatiques et peut changer de caractère. Lors de ces épisodes exceptionnels, ou dans le but de les prévenir, la population s'en remet à la volonté divine et lui demande d'être préservée. Parmi les évènements possibles, les inondations et les crues semblent représenter le risque principal, à l'échelle d'une ville, puisque elles peuvent avoir des conséquences destructrices. Le consulat s'inquiète surtout de la montée des eaux pour des raisons sanitaires, notamment la propagation des maladies. A l'inverse, les habitants de la ville, d'ailleurs encouragés par le consulat, déversent de nombreux déchets dans la rivière ; comme celle-ci se déplace elle est peut-être assimilée à un flux assainissant. Pourtant, les risques de pollution de l'eau semblent, au moins partiellement, connus puisque les rois de France accusent ces déchets d'être responsables de maladies et de l'empoisonnement des poissons de la rivière. En cela, la pollution de la Saône pourrait représenter une gêne dans les activités fluviales des riverains.

Chapitre IV : Navigation et activités fluviales

Il s'agit ici de s'intéresser aux activités qui se déroulent sur la rivière de Saône dans la ville de Lyon au XVIe siècle c'est-à-dire aux loisirs, aux jeux, mais également à l'un des principaux usages de cette rivière : la navigation. Nous analyserons l'importance de celle-ci et, plus largement, l'importance de la fréquentation de la rivière de Saône. En plus de présenter ces activités, nous nous pencherons sur l'administration politique de celles-ci c'est-à-dire aux prérogatives et à l'implication des autorités dans ces activités, lorsqu'il y en a une. Pour cela, nous nous intéresserons d'abord aux usages de cette rivière dans le cadre de la ville de Lyon, puis aux modalités de navigation sur la Saône et, enfin, aux enjeux de la présence d'un axe de communication dans la ville ainsi qu'à la prise en charge et au contrôle politique qui en découlent.

A. « Esbat et recreation »1 sur la Saône

Le plan scénographique de la ville de Lyon, réalisé entre 1548 et 1553, est la principale source iconographique dont nous disposons au sujet des activités et des loisirs effectués par les contemporains. C'est d'ailleurs l'une des principales caractéristiques de ce plan, d'une grande richesse par toutes les informations qu'il fournit à propos de la vie quotidienne à Lyon au XVIe siècle. En effet, de nombreuses scènes de vie sont représentées à travers toute la ville et notamment aux abords, ainsi que sur, la rivière de Saône. Ce plan nous montre que la fréquentation de la Saône est importante puisque beaucoup de personnes sont figurées sur les quais de cette rivière mais aussi dans des barques ou même se baignant. De plus, les activités qui sont décrites sont très variées et révèlent la familiarité de la rivière pour les Lyonnais de l'époque.

Nous adopterons ici une vision statique de la Saône c'est-à-dire que nous percevrons cette rivière comme un espace de la ville de Lyon dans lequel des acteurs vaquent à leurs occupations, en laissant l'idée de navigation (donc de rivière comme axe de communication) pour la section suivante. En effet, « il existe une occupation humaine multi-fonctionnelle du fleuve ou de la rivière comme il existe une occupation tout aussi diversifiée du sol »2 ; c'est ce point de vue qui est abordé dans cette section et qui restreint donc l'analyse à la ville de Lyon en elle-même puisque la Saône n'est pas perçue ici comme un vecteur mais comme un lieu à part entière. Les représentations du plan scénographique et les descriptions fournies par Claude de Rubys dans son Histoire de Lyon constitueront les fils conducteurs de notre présentation.

1 Citation extraite d'une lettre patente de Louis XII du 16 août 1509, dans laquelle sont évoqués « ceux qui vont et viennent par lad. rivière pour prendre esbat et recreation ». AML, DD 003, pièce 3.

2 RIETH, Eric, Des bateaux et des fleuves, Archéologie de la batellerie du Néolitique aux Temps modernes en France, Paris, Editions Errance, collection des Hespóides, 1998, page 16.

Claude de Rubys explique qu'à Lyon « l'on faict souvent durant l'esté des esbattements sur la riviere de Saosne »3. Le plan scénographique de Lyon nous montre justement des activités quotidiennes plutôt estivales telles que la

baignade ou encore la promenade en bateau. L'extrait d'une reproduction du plan

scénographique, figuré ci-dessus4, représente ce type de loisirs nautiques. Ici, les

personnages se baignent ou naviguent sur la Saône à proximité de Vaise c'est-à-dire

au nord de la ville de Lyon. La rivière de Saône permet donc ce type de loisirs,

puisque le plan scénographique ne présente pas des activités exceptionnelles mais,

au contraire, des faits quotidiens. La Saône est également un espace dans lequel se

déroulent des jeux collectifs organisés.

Claude de Rubys présente d'ailleurs deux types de jeux nautiques. Tout d'abord, il évoque « les joustes que font d'ordinaire les Dimanches et jours de festes, devant le logis de Lieutenant du Roy, les bateliers des ports de Saint-Georges et de Saint-Vincent, armez de lances et de pavoys, allants de telle roideur et de telle vistesse sur leurs bateaux, et s'entrerencontrants avec leurs lances tendues les ungs contre les auttres, que le plus roide fait tresbucher le plus foible tout chaussé et vestu dans la riviere »5. Ces joutes nautiques se déroulent en présence d'un public puisque la chute dans l'eau d'un jouteur est accompagnée de la « grand risée de ceux qui les voyent »6. Claude de Rubys décrit également un type de course sur la Saône, qui remplace certains jours les joutes. Il explique que les concurrents « attachent une corde traversant la riviere de bord en bord, au milieu de laquelle ils attachent une Oye suspendue par les pieds : puis à course de bateau ils se vont attacher au col de l'Oye : auquel ils demeurent le plus souvent pendus,

3 RUBYS, Claude de, Histoire véritable de la ville de Lyon, Lyon, imprimeur Bonaventure Nugo, 1604, Chapitre X, page 501.

4 CHAMPDOR, Albert (introduction), Plan scénographique de la ville de Lyon au XVIe siècle, Trévoux, Editions de Trévoux, 1981, extrait de la planche XXIV.

5 RUBYS, Histoire véritable«~ op. cit., page 501.

6 Ibid., page 501.

leurs bateaux s'en allant à val l'eau »7. Ces moments festifs sont accompagnés de musique et l'on peut penser que les spectateurs sont nombreux sur les rives de la rivière. La Saône est donc au centre de ces jeux qui sont porteurs de cohésion au sein de la population lyonnaise.

D'autre part, la rivière tient une place importante dans le déroulement de fêtes plus institutionnalisées et régulières comme les célébrations liées à l'Ascension, dont la procession sur la Saône a déjà été évoquée8 pour son caractère politique. En effet, une autre procession fluviale dans le cadre d'une célébration à caractère religieux est présentée par Jean-Baptiste Roch. Selon lui, « le 2 juin de chaque année était célébrée cette fête à la fois religieuse et profane dont l'origine remontait au martyre chrétien de 177 »9. Il évoque ici le supplice connu de Saint Pothin et de Sainte Blandine et de leurs compagnons à l'époque de l'Empire romain. Ce martyre, qui s'est déroulé à Lyon, est un épisode fondateur de la piété populaire lyonnaise. Il explique qu'en hommage à ce martyre, chaque année, « une procession, bannières en tête, partait, dans des bateaux, de l'Ile Barbe, descendait jusqu'à Ainay puis se disloquait »10. Cette procession naît donc au nord de Lyon et traverse la ville en empruntant la Saône jusqu'à la confluence, au sud de la ville.

De plus, le XVIe siècle est ponctué d'entrées officielles de personnages importants qui sont l'occasion de fêtes souvent somptueuses. D'ailleurs, leur récurrence et leur faste sont tels que le XVIe siècle est qualifié de « Siècle des Entrées »11 par l'historien André Latreille. Certains rois de France, lorsqu'ils arrivent du nord, font leur entrée solennelle par la rivière de Saône, en bateau. L'entrée de Charles IX, au début du mois de juin 1564, se déroule ainsi ; le roi passe la nuit à l'abbaye de l'Ile Barbe12, au nord de Lyon, puis entre dans la ville en bateau. Régulièrement en ces occasions, ou durant les jours qui suivent l'entrée proprement dite, des spectacles nautiques sont organisés. Par exemple, en 1548, en l'honneur du roi Henri II et de son épouse est organisée une « bataille navale au

7 Ibid., page 501.

8 Cf Chapitre II, A.

9 ROCH, Jean-Baptiste, Histoire des Ponts de Lyon de l'époque gallo-romaine à nos fours, Lyon, Editions Horvath, 1983, page 43.

10 Ibid., page 43.

11 LATREILLE, André (dir.), Portrait de la France moderne, Histoire de Lyon et du Lyonnais, volume 1, Milan, éditions Famot, 1976, page 183.

12 PARADIN DE CUYSEAULX, Guillaume, Mémoires de l'histoire de Lyon, Roanne, Editions Horvath, 1973 (1e éd. en 1573), pages 378-379.

devant du logis du Roy et deulx grandes galleres l'une aux coulleurs du Roy l'aultre aux coulleurs de la Royne accompagnées chacunes de trois ou quatre aultres petites [...] et en approchant commensa l'assaut à grands coups de canons et harquebuzerye »13. La cour assiste à ce spectacle « dedans un grand basteau faict en maniere d'un palais [...] et apres led. passetemps qui durat jusques au soir [...] le grand pallais susd. et toute la grand flotte des basteaux montèrent jusques à l'Observance oil ils soupparent et appres s'enrevindrent par eau à torches »14. Le trajet qui suit le spectacle part du « logis du Roy » donc sans doute du palais de Roanne, qui est situé au bord de la Saône, en amont de la cathédrale Saint-Jean c'est-à-dire au coeur de la ville, et s'acheve à l'Observance donc au nord de Lyon, entre Pierre-Scize et Vaise. Le retour est aussi effectué par bateaux, de nuit, comme l'indique la fin de la citation. La Saône est ici le support de la cérémonie comme c'est régulierement le cas pour d'autres festivités qu'il n'est pas nécessaire de développer ici.

Enfin, une autre activité est représentée sur le plan scénographique : la pêche. Sur l'extrait de ce plan (ci-contre)15, des pêcheurs sont figurés dans une barque sur la Saône, tenant une nasse pour attraper des poissons.

La rivière de Saône offre une

diversité d'espèces de

poissons assez importante. En effet, les pêcheurs lyonnais pouvaient y trouver, par exemple, des brochets, des chevaines, des sandres, des carpes, des tanches ou encore des goujons16. De plus, elle fournit également des écrevisses. La pêche est importante dans une société où l'on consomme régulierement du poisson notamment en application de recommandations religieuses. Il faut cependant préciser que, comme l'a montré

13 GUERAUD, J., Mémoires.[1536-1562], Lyon, 1929, in GARDES, Gilbert, Le voyage de Lyon, Lyon, Editions Horvath, 1993, page 185.

14 Ibid., page 185.

15 CHAMPDOR, Plan scénographique~ op cit., extrait de la planche XIX.

16 MICHEL, Laurent, La Saône, frontière et trait d'union ; son histoire, ses riverains, son cours, Saint-Etienne, Editions Horvath, sans date, pages 65-66.

Anne Montenach, l'approvisionnement de la ville en poissons dépasse largement le cadre de la Saône puisque le consulat, ou des pêcheurs à leur compte, font venir ce type de denrées de la Méditerranée ou des étangs et lacs qui s'étendent au nord de Lyon (de la Bresse jusqu'à l'actuelle Suisse)17. Ainsi, la pêche dépasse le cadre des loisirs et des cérémonies présentés précédemment puisqu'il s'agit, en général, d'une activité commerciale.

La pêche est règlementée par les rois de France. Le principal document à ce sujet, pour la période qui nous concerne, est la décision royale de mars 1516, déjà évoquée18, qui vise à limiter la pêche dans les cours d'eau, étangs et lacs du royaume afin de lutter contre leur dépeuplement. Malgré cela, la situation ne semble pas particulièrement s'améliorer au cours du siècle puisque l'ordonnance des Eaux et Forêts promulguée par Henri IV en mai 1597 explique que les pêcheurs utilisent encore du matériel trop performant, d'ailleurs prohibé par François Ier en 1516. Selon ce document, ils pêchent « en dépeuplant nosdites eaux, fleuves, rivières, estangs et causent en ce faisant la cherté d'iceux [poissons]»19. Henri IV confirme ici les mesures prises par François Ier ; celles-ci nécessitaient donc d'être rappelées.

Les droits de pêche à Lyon sont assez compliqués à définir car les sources à ce propos sont pauvres. L'archevêque et les chanoines-comtes de Lyon, en tant que seigneurs de la Saône devraient en disposer. En 1561, le chapitre Saint-Jean prend d'ailleurs part à un procès entre des pêcheurs. Il est question de la pêche des aloses (poissons de mer qui remontent les rivières durant le printemps et l'été) « derrière les maisons de l'archeveché, de la sacristie, de la custoderie et de maître Etienne "20. Les pêcheurs Pierre Joly, Claude Faure « et consorts " sont opposés aux « consorts Bidaut " et le chapitre, dans ce document, décide de soutenir les premiers. En effet, il est expliqué que ceux-ci « ont coutume de pescher par autorité et permission du chapitre " et donc que les seconds ont pêché en ces lieux sans autorisation des chanoines-comtes. La résolution de l'affaire nous est inconnue mais ce document montre que le chapitre Saint-Jean confère des « permis de

17 MONTENACH, Anne, Espaces et pratiques du commerce alimentaire à Lyon au XVIIe siècle, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, Collection "La Pierre et l'Ecrit", 2009, page 165.

18 Cf Chapitre I, C.

19 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois françaises depuis l'an 420 jusqu'à la révolution de 1789, Tomes IX à XV (1438-1610), Ridgewood (New Jersey, U.S.A.), The Gregg Press Incorporated, 1964, ordonnance de mai 1597.

20 ADR, 10 G 58, f°212.

pêche » au moins pour une partie des eaux de la Saône. Cependant, le consulat semble lui aussi disposer de prérogatives sur ce type de questions puisque qu'il décide, en 1555, de l'établissement d'une pêcherie d'aloses en face du couvent de l'Observance21, en dépit de l'opposition de l'archevêque et des chanoines-comtes de Lyon. Il semble donc qu'une pêcherie soit installée, par le consulat, sur la rive droite de la Saône, au nord de la ville. La pêche à Lyon ne semble par être l'objet d'une définition juridictionnelle précise. Les droits sur cette activité relèvent, par définition, des seigneurs dont l'autorité s'exerce sur la Saône, c'est-à-dire l'archevêque et le chapitre Saint-Jean. Mais le consulat, dont le pouvoir s'affirme depuis la fin du Moyen Age, semble disposer ou s'approprier certaines prérogatives dans ce domaine.

Les loisirs nautiques sont nombreux et variés sur la Saône à Lyon, et même sur les berges de la rivière, lieu de promenade, comme le montre particulièrement le plan scénographique de la ville, qui dresse un portrait de celle-ci au milieu du XVIe siècle. Une activité se distingue des autres par son caractère généralement professionnel, même si l'on peut considérer que c'est également un loisir : la pêche. Il semble d'ailleurs qu'il s'agit du seul usage réglementé parmi ceux qui ont été présentés, à la fois à l'échelle du royaume mais aussi surveillé dans le cadre de la ville de Lyon. Les différentes activités des riverains de la Saône, présentées d'une point de vue statique, impliquent évidemment des déplacements sur la rivière. La navigation, aspect essentiel dans la présentation des usages d'un cours d'eau, constitue l'objet d'étude de la suite de notre analyse.

21 AML, BB 078, f°32 r°, acte consulaire du mardi 17 septembre 1555.

B. La Saône, un axe de circulation

Le secrétaire de l'ambassadeur vénitien Jérôme Lippomano, lors de son passage à Lyon en 1577, décrit ainsi les cours d'eau de la ville : « La Saône et le Rhône, qui la traversent et s'y joignent, lui apportent les marchandises de l'Angleterre, de la Flandre, de l'Allemagne et de la Suisse, qui de là sont transportées à dos de mulet en Savoie ; ou bien par le Rhône, elles vont jusqu'à la mer »22. Cette citation nous rappelle clairement l'importance des cours d'eau pour la ville de Lyon dont la position géographique est en effet un atout commercial et stratégique. La Saône fait partie de ce « milieu fluvial dont la fonction première est celle d'axe de communication et d'échanges»23. Nous allons nous pencher sur les modalités de la navigation sur la Saône, notamment sur les bateaux et les acteurs.

Il faut rappeler, au préalable, que cette rivière navigable peut présenter des difficultés pour les bateliers même si elle est toujours présentée comme calme. En effet, « jusque dans la première moitié du XIXe siècle, en l'absence de tout aménagement, la Saône était une rivière difficile à naviguer, voire même dangereuse »24. Les arguments d'une telle affirmation sont surtout la présence d'obstacles dans le cours de la rivière ainsi que le faible débit de la Saône qui limite les périodes de navigations en amont de la ville de Verdun. Ce dernier point ne concerne donc pas directement la ville de Lyon même si la soumission au cours variable de la rivière rend « quelquefois les frais d'un voyage d'un des Ports de Bourgogne à Lyon, du double ou du triple plus cher que dans un autre temps »25.

En ce qui concerne les obstacles à la navigation saônienne à Lyon, ils sont limités par la lettre patente du 21 avril 150326, qui est à propos de la Saône et du Rhône. En effet, Louis XII décide qu'il faut « oster desdites rivieres les escluses,

22 Citation de Voyage de Jérôme Lippomano, ambassadeur de Venise en France en 1577, tirée de GOULEMOT, Jean M., LIDSKY, Paul, MASSEAU Didier, Le voyage en France, anthologie des voyageurs européens en France, du Moyen Age à la fin de l'Empire, Paris, Robert Laffont, Collection Bouquins, 1995, page 124.

23 RIETH, Des bateaux et des fleuves~ op. cit., page 8.

24Bateaux de Saône, mariniers d'hier et d'aujourd'hui, Chalon-sur-Saône, Société d'Histoire et d'Archéologie de Chalon-sur-Saône, page 22.

25 Ibid., page 22, Citation de P.-J. Antoine, sous-ingénieur des Etats de Bourgogne en 1774.

26 AML, CC 4047, pièce 4, (déjà évoquée dans le chapitre II, B, au sujet de l'abolition des péages sur la Saône).

pescheries, nassiers, molins, bennes, combres et autres choses empeschans le cours
d'icelles rivieres, et passages de barques, ou basteaux »27. Il existe néanmoins au

XVIe siècle des moulins à nef sur le

Rhône. Ceux-ci sont « constitués de deux

bateaux entre lesquels était installée la

roue à aubes, ils étaient amarrés aux

rives ou aux piles de ponts »28. Les

moulins à nef représentés sur le plan

scénographique sont très nombreux (une

partie est figurée ci-contre29 à proximité

du rempart Saint-Sébastien, plus précisément du bastion Saint-Clair) mais seulement sur le Rhône. La Saône, quant à elle, en est dépourvue, au moins dans le cadre de la ville de Lyon. Par contre, il existe sur la Saône une « pescherie » qui est le principal marché aux poissons de la ville. Celui-ci est représentée sur l'image cicontre30. De plus, une seconde pêcherie est établie en face du couvent de l'Observance en 155531.

Cependant, celles-ci ne semblent pas constituer la gêne principale à la navigation sur la Saône. En effet, la principale difficulté pour les bateliers semble être le pont de Saône car il « formait un barrage contre lequel le courant venait se heurter obliquement et la navigation était difficile, surtout du côté de la rive gauche, qu'on appelait « gouffre de la mort qui trompe », la faible largeur, 6 mètres environ, ne pouvant suffire à la circulation très active »32. Sur l'image de la page précédente, dans laquelle le pont est figuré, l'on peut penser que le danger de ce passage est

27 PARADIN DE CUYSEAULX, Guillaume, Mémoires de l'histoire de Lyon, Roanne, Editions Horvath, 1973 (1e éd. en 1573), page 281.

28 MICHEL, La Saône, fronti4re~ op. cit., page 57.

29 CHAMPDOR, Plan scénographique op., cit, extrait de la planche XVI.

30 Ibid., extrait de la planche XIII.

31 Cf Chapitre III, A.

32 ROCH, Histoire des Ponts de Lyon op cit., page 43.

représenté par l'amplification tres nette des vagues, justement vers la rive gauche de la rivière. Le péril réside surtout dans l'étroitesse de passage entre « des piles formant de larges empattements qui obstruaient la rivière »33. Les couloirs de circulation sont si étroits que le moindre obstacle s'y ajoutant est un réel problème. Le 3 novembre 1516, le consulat charge Edouard Grand, voyer de la ville, de retirer une pierre qui se trouvait sous le pont de Saône parce que cette « pierre empesche le navigage de la riviere »34. Le pont constitue donc une réelle gêne pour la navigation et le consulat lyonnais tente d'éviter que d'autres obstacles s'y ajoutent.

Enfin, il ne faut pas négliger le fait que la circulation sur la Saône se fait à la descente, bien sûr, mais que les barques remontent aussi le cours de la rivière. Encore au XVIIIe siècle, ces trajets à contre-courant sont pénibles car « le tirage des

bateaux, pour remonter, est très-

difficile »35. En effet, il s'agit ici de

tirer les bateaux, à partir du rivage et

« dès le Moyen-Age [...] s'est

développé le halage par des

chevaux »36. Sur le plan

scénographique (image ci-contre)37, des

scènes de halage sont figurées et montrent qu'il peut être effectué par des chevaux ainsi qu'à force d'hommes mais, en l'occurrence, la barque tirée par les deux personnages est vide et donc relativement légère ; le recours à la force des chevaux est sans doute le plus courant, ce qui n'empêche pas que le halage est une technique difficile. Au sujet du transport commercial sur la Saône, Richard Gascon décrit un « déséquilibre entre navigation descendante et navigation montante »38, qu'il explique notamment par le poids des marchandises, qui limite le halage. Il nuance cependant son analyse car les sources qu'il utilise le renseignent surtout sur les exportations. Cependant, il est

33 Ibid., page 43.

34 AML, BB 036, f°15 r°.

35 Bateaux de Saône* ,op. cit., page 22, Citation de P.-J. Antoine, sous-ingénieur des Etats de Bourgogne en 1774.

36 MICHEL, La Saône, fronti4re~ op. cit., page 53.

37 CHAMPDOR, Plan scénographique op, cit., extrait de la planche XXIV.

38 GASCON, Richard, Grand commerce et vie urbaine au XVIe siècle ; Lyon et ses marchands, tome 1, Paris, S.E.V.P.E.N., 1971, page 155.

aisément compréhensible que les matières pondéreuses sont plus facilement

transportables par des bateaux mus par le courant que tirés à contre-courant.

Lorsque Cardin Le Bret évoque l'importance de ne pas déforester outre mesure, il ajoute aussitôt que le bois sert notamment « pour faire des vaisseaux et des navires, sans quoy les mers et les fleuves seroient du tout inutiles aux hommes »39. Il met ici en avant le rôle fondamental de ces moyens de transport, assez peu évoqués par les historiens. Le chercheur Eric Rieth leur consacre d'ailleurs un livre en expliquant, des son introduction, que « les bateaux de navigation intérieure [...] font aussi partie de ce paysage historique et patrimonial construit autour du rapport particulier entre l'eau et la terre »40. Il présente ici l'intérêt historiographique de l'étude des bateaux. En ce qui concerne le XVIe siècle, peu de sources fournissent des informations sur ceux-ci ; la plupart sont des documents iconographiques, comme le plan scénographique de Lyon, mais les analyser est assez malaisé sans connaissance technique approfondie.

L'archéologie pallie en partie ces difficultés mais les campagnes de fouilles fluviales sont assez rares et parfois peu fructueuses, d'autant plus que les embarcations en bois se conservent mal au fil des siècles. Louis Bonnamour est l'auteur d'un ouvrage41 qui présente les campagnes de fouilles archéologiques réalisées dans la rivière de Saône de leur origine à la fin des années 1990 comme le montre le sous-titre du livre : « 150 ans de recherches ». Cet ouvrage est tout à fait révélateur du manque d'informations sur les bateaux au XVIe siècle puisque lorsque l'auteur évoque les embarcations de la période moderne en général, il explique que « une seule épave de cette époque a été étudiée. Il s'agit d'une grande « savoyarde »42 de la fin du XVIIe siècle »43. Ainsi, il a fallu attendre la campagne de fouilles d'archéologie préventive, menée à Lyon, dans la Saône, en face du quartier Saint-Georges, entre 2002 et 2004, et dont les conclusions ont été récemment publiées, pour disposer de sources concrètes sur le sujet. En effet,

39 CARDIN LE BRET, De la souveraineté du Roy, Paris, Toussaincts du Bray, 1632, Livre III, chapitre III, page 348.

40 RIETH, Des bateaux et des fleuves~ op. cit., page 8.

41 BONNAMOUR, Louis, Archéologie de la Saône, Paris, co-édition Editions Errance et ville de Chalon-sur-Saône, 2000, 160 pages.

42 Type de bateau de transport.

43 BONNAMOUR, Archéologie~ op. cit., page 61.

« parmi les 1915 objets découverts [...] 16 embarcations, dont une barque de l'époque de Louis XV, 7 barques à vivier du XVIe siecle... »44.

Ainsi, grâce à ces fouilles et à quelques auteurs spécialisés, il est possible de présenter les types de bateaux utilisés sur la Saône au XVIe siècle. Comme l'exprime succinctement Richard Gascon, « les bateaux sur la Saône sont des barques ou des bateaux plats et pontonnés qu'on appelle «les « plattes » »45. Ces bateaux à fond plat permettaient de transporter d'importantes quantités de marchandises. Il en existe toute une variété, de la « savoyarde » à la «bèche » en passant par la « cadole », que nous ne détaillerons pas ici ; Laurent Michel en fait d'ailleurs une présentation complète46. En plus de ces bateaux de transport, un ensemble de barques communes étaient utilisées et notamment les barques à vivier, qui sont mieux connues depuis qu'il en a été découvert à Saint-Georges. Comme leur nom l'indique, ce sont des embarcations qui permettent de conserver le poisson vivant. En effet, « elles se caractérisent pas un compartiment central perforé [entouré de] deux compartiments étanches qui assurent la flottabilité de

l'embarcation »47. Ces barques, aussi

appelées « bachuels »48, sont amarrées au

port de la Pêcherie (comme on le voit sur

l'image ci-contre49), où les produits de la

pêche étaient vendus « puisque le poisson

frais doit toujours être vendu vivant »50.

Il n'est pas étonnant que ce type de barques ait été trouvé lors des fouilles du quartier Saint-Georges puisque « les quartiers de Saint-Georges et de Saint-Vincent sont [...] peuplés de pêcheurs qui officient sur la Saône »51. Ceux-ci constituent une partie des personnes qui travaillent sur la rivière. Au XVIe siècle, ces « marchands fréquentant la rivière de Saône »52 sont réunis pour défendre leurs

44 AYALA, Grégoire, Lyon, les bateaux de Saint-Georges : une histoire sauvée des eaux, Lyon, Editions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2009, page 38.

45 GASCON, Grand commercek op. cit., tome 1, page 172.

46 MICHEL, La Saône, fronti4rek op. cit., page 54.

47 AYALA, Lyon, les bateaux op cit., page 75.

48 Ibid., page 96.

49 CHAMPDOR, Plan scénographique~ op cit., extrait de la planche XIII.

50 MONTENACH, Anne, Espaces et pratiques~ op. cit, page 166.

51 Ibid., page 166.

52 Citation d'un document de 1513 in GASCON, Grand commerce~, op.cit., tome 1, page 178.

intérêts et, dès 1504, selon Richard Gascon, ils disposent d'une « bourse commune »53 pour régler les péages sur la Saône, en amont de Lyon.

Une affaire judiciaire, tranchée par la sénéchaussée en 1540, nous apprend que les acteurs de la navigation saônienne sont regroupés dans une confrérie. En effet, un des acteurs de l'affaire, M. Guillemin, est « recteur de la confrerie et chappelle fondée par les marchans et pescheurs suyvant la rivyere de Saosne »54. Un document du 17 avril 172355 présente rapidement cette association qui comprend « despuis un temps immemorial [...] les marchands de bled, les poissonniers, voituriers, et battelliers sur la Riviere de Saone ». Cette confrérie dispose d'un chapelle vouée à Saint-Nicolas, saint patron des navigateurs, dans l'église des Augustins de Lyon, c'est-à-dire à proximité du port, et donc du quartier, Saint-Vincent. Ainsi, la Saône est un axe de circulation emprunté par de nombreux professionnels de la navigation, qui connaissent bien la rivière, et qui permettent à la ville de Lyon d'être un carrefour commercial mais qui assurent aussi son ravitaillement.

53 Ibid., page 178, et document : AML, CC 4047, pièce 8, 23 août 1508.

54 ADR, 13 H 55, acte de la sénéchaussée du 7 octobre 1540.

55 ADR, 13 H 55, document du couvent des Augustins du 17 avril 1723.

C. Enjeux et contrôle de la navigation saônienne

De nombreux bateaux circulent sur la Saône au XVIe siècle, comme le montre notamment le plan scénographique de la ville de Lyon. Selon Laurent Michel, « jusqu'à l'apparition du chemin de fer, l'insécurité et l'inconfort des moyens de transport terrestres ont fait préférer la voie fluviale »56. L'archéologie confirme cette densité de circulation puisque lors des fouilles des quais du quartier Saint-Georges de Lyon, « les épaves de bateaux mises au jour témoignent [...] d'une activité fluviale importante des le début de l'époque moderne »57. Ces bateaux, qui circulent sur la Saône, transportent des marchandises et des hommes. Même si Laurent Michel explique que « le transport des voyageurs n'était pas moins actif que celui des marchandises »58, il nous semble cependant que le premier est moins régulier et à moins grande échelle que le second. De plus, le recours à la voie fluviale pour le transport des marchandises semble, en général, privilégié alors que ce n'est pas systématique pour les voyageurs. En effet, lorsque Montaigne, de retour de son voyage en Italie, passe à Lyon au début du mois de novembre 1581, il choisit de quitter la ville à cheval (il en achète trois à Lyon) pour rejoindre la Loire. D'ailleurs, une fois ce fleuve franchi, il continue son trajet à cheval59. En ce qui concerne les flux migratoires, Olivier Zeller décrit la Saône au XVIe siècle comme « un axe commercial majeur » mais comme « un axe migratoire parmi d'autres »60.

Les contemporains sont conscients de l'importance de la circulation sur la Saône et particulièrement de son enjeu économique. D'ailleurs, l'ambassadeur vénitien Navagero rappelle que « La Saône étant navigable est d'un grand avantage pour la ville de Lyon. C'est par cette rivière qu'on porte à Lyon les vins et les denrées de la Bourgogne et que Lyon expédie plus haut ses marchandises en leur

56 MICHEL, La Saône, fronti4re op. cit., page 53.

57 AYALA, Lyon, les bateaux«~ op cit., page 14.

58 MICHEL, La Saône, fronti4re«~ op. cit., page 54.

59 MONTAIGNE, Michel (de), Journal de voyage en Italie (1580-1581), Paris, Classiques Garnier, 1955, page 236.

60 ZELLER, Olivier, « La Saône, axe migratoire vers Lyon au XVIe siècle ? », in BRAVARD, J.-P., COMBIER, J., COMMERCON, N. (dir.), La Saône, axe de civilisation, Actes du colloque de Mâcon (2001), Presses universitaires de Lyon, 2002, page 408.

faisant remonter son cours »61. La Saône permet donc à la ville de Lyon de diffuser des produits mais aussi d'en recevoir. Richard Gascon précise que « Les routes de l'Italie et de la Méditerranée mises à part, aucun ensemble de routes ne jouait, dans l'économie de Lyon et de ses foires, un rôle comparable à celles commandées par la Saône et ses vallées »62. Il ne s'agit pas ici de détailler le commerce fluvial (Richard Gascon y consacre une partie de sa thèse sur les marchands de Lyon) mais de déterminer les enjeux principaux de la navigation sur la Saône et de définir le contrôle politique qui s'applique sur celle-ci.

Lorsque Richard Gascon évoque les chemins de la vallée de la Saône, il explique que « la rivière elle-même est le chemin le plus utilisé. Sa première fonction est régionale ; elle unit Lyon et la Bourgogne, devenue au cours de la première moitié du siècle sa « mère nourrice » »63. Il présente les produits qui empruntent cette voie fluviale : les blés, les vins, les bois et des matériaux de construction. Cependant, l'élément principal qui se dégage de son analyse est l'importance de l'approvisionnement de la ville de Lyon en blé. En effet, les campagnes environnantes ne permettent pas d'assurer le ravitaillement de la ville mais, « même si l'agriculture de son proche espace était pauvre, la ville pouvait s'approvisionner en blés de Bourgogne par la Saône, en grains de Languedoc et de Provence par le Rhône »64. Ainsi, la Saône pallie en grande partie la faible production agricole lyonnaise et la ville de Lyon dépend donc du blé qu'elle fait venir. Celui-ci est le plus souvent transporté par bateaux sur la Saône, depuis la Bourgogne, et est déchargé au port Saint-Vincent65, au nord de Lyon.

Ce commerce prend de l'importance au cours du XVIe siècle car « progressivement les grains ont pris la première place et le ravitaillement de Lyon s'est trouvé sous la dépendance des arrivages de blés de Bourgogne dès la décennie 1531-1540 »66. Richard Gascon ajoute même que « Les transports de grains sur la

61 ESTIENNE Charles, Guide des chemins de France, Paris, édité par Jean Bonnerot, 1935-1936 (publication de l'édition de 1553), Tome 1, page 392, note 855 : Citation de Navagero in « Relations des ambassadeurs vénitiens sur les affaires de France au XVIe siècle », documents recueillis et traduits et réunis par W. Tommasco dans Collection des documents inédits Histoire de France, 1838, Tome 1.

62 GASCON, Grand commerce op. cit., tome 1, page 151.

63 Ibid., page 153.

64 NEYRET, Régis (dir.), Lyon, vingt-cinq siècles de confluences, Paris, Imprimerie nationale Editions, 2001, page 93.

65 MONTENACH, Espaces et pratiques~ op. cit, page 163.

66 GASCON, Grand commerce op. cit.,tome 1, page 153.

Saône se confondent, de plus en plus, avec le ravitaillement de Lyon »67. Ainsi, l'on comprend aisément l'importance de ces arrivages de blé et l'importance de leur régulation ainsi que de leur organisation. En effet, l'approvisionnement de la ville constitue un enjeu économique et politique au quotidien, qui relève donc du pouvoir de la municipalité lyonnaise. Le consulat est en charge du ravitaillement en blé de la ville et fixe le prix du pain68.

Après la crise frumentaire des années 1529 et 1530, dont la révolte populaire appelée Grande Rebeyne est une conséquence directe, « le consulat agit, surveillant le passage de grains par la Saône ou le Rhône, qui échappent au ravitaillement de Lyon »69. Cette surveillance des bateaux chargés de blé, qui passent dans Lyon, s'explique par la volonté politique d'assurer le calme dans la ville, en permettant aux habitants de disposer de grains et donc de pain toute l'année. Ainsi, « au besoin, la Ville s'oppose au passage de bateaux ou de charrettes portant des grains ailleurs que dans ses greniers »70. Jacqueline Boucher illustre cette constatation par un acte consulaire du 13 février 1534, par lequel le consulat s'oppose au passage dans la ville d'un bateau qui amene du froment au sud de Lyon. Il existe sans doute de tels épisodes tout au long du XVIe siécle. C'est le cas, par exemple, au début du mois de mars 1506, le consulat décide du « tendaige de la cheyne »71 sur la Saône, au niveau de Saint-Georges car il a été informé que des marchands de blé vont vendre leurs grains au sud de Lyon alors que la ville en a besoin. Le consulat dispose donc d'un moyen de contrôle de la navigation dans la ville : les chaînes sur la Saône.

Au XVIe siécle, deux chaînes sont tendues sur la Saône, d'une rive à l'autre. La premiere se trouve à l'entrée de la ville au nord, tendue du quartier Saint-Vincent à la forteresse de Pierre-Scize. La seconde est, quant à elle, située à la sortie de la ville en amont de la confluence, entre l'abbaye d'Ainay et la porte Saint-Georges72. Le consulat lyonnais en est responsable puisque « la garde de la

67 GASCON, * LECd FRP P eLFik ERS. cit.,tome 1, page 154.

68 LIGNEREUX, Yann, Lyon et le roi : de la « bonne ville aa j tirErRlXtisP HP XCiFiSTl (1594-1654), Seyssel, Editions Champ Vallon, Collection Epoques, 2003, page 672.

69 BOUCHER, Jacqueline, Vivre à Lyon au XVIe siècle, Lyon, Editions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2001, page 9.

70 Ibid., page 25

71 AML, BB 024, f°515 et f°516.

72 NIEPCE, Léopold, Lyon militaire, Lyon, Bernoux et Cumin, 1897, page 84.

ville, des clefs, portes et chaînes est un des droits les plus anciens de la commune lyonnaise »73. L'avantage de disposer de telles prérogatives est de pouvoir contrôler les entrées et les sorties de la ville. Ainsi, c'est à la fois un enjeu économique, puisque les marchandises sont surveillées et taxées dans certains cas, et un enjeu stratégique car c'est un moyen de défense de la ville74. La municipalité lyonnaise nomme les commis aux chaînes et les rémunère. Il existe des commis à « tendre et destendre lesdites chaynes » ; en 1563, pour un mois de travail (octobre), ils reçoivent du receveur de la ville 22 livres au total soit 15 livres pour les deux commis qui sont à Pierre-Scize et 7 livres pour celui que s'occupe des chaînes tendues au niveau d'Ainay75. De plus, le consulat nomme des « commys à coucher la nuyt dans la cabanne des cheynes » afin de surveiller que personne ne tente de les franchir. Par mandement du 2 novembre 1563, Jacques Serrier et Laurens Delacroix sont rémunérés 7 livres et 10 sous chacun, soit 15 livres au total, pour avoir tenu ce rôle pendant tout le mois d'octobre de la même année76. Claude de Rubys évoque ces commis qui surveillent les individus qui entrent dans la ville ; selon lui, ils peuvent interdire l'entrée aux « vagabonds et gens sans adveu » et limiter l'accès à la ville en temps de guerre ou d'épidémie77.

En effet, les chaînes, en général tendues la nuit78, sont parfois maintenues la journée également si le contexte rend cette mesure nécessaire. Par exemple, en 1556, la ville de Lyon doit participer aux dépenses du roi qui se prépare à partir en guerre. Dans ce contexte, le consulat prélève une taxe de six deniers par livre de marchandises sur les produits qui entrent dans la ville par la rivière, particulièrement sur le vin79. Le contrôle des entrées dans la ville est alors renforcé. Celui-ci est d'autant plus important dans les périodes de troubles politiques et le consulat n'en est pas toujours l'instigateur. En effet, Guillaume Paradin évoque une ordonnance du gouverneur Mandelot du 16 décembre 1568, donc dans le contexte des Guerres de Religion, qui somme aux gardes des chaînes de « ne laisser

73 COURBIS, Eugène, La municipalité lyonnaise sous l'Ancien Régime, Lyon, imprimerie Mougin Rusand, 1900, page 129.

74 LIGNEREUX, Lyon et le roi..., op. cit., page 641.

75 AML, CC 1112, f°53 v°.

76 AML, BB 083, acte consulaire du 2 novembre 1563.

77 RUBYS, Histoire véritable... op. cit., page 477.

78 Le consulat mande des bateliers pour amener le commis aux chaînes les fermer le soir et les ouvrir le matin (par exemple, AML, BB 107, 1581, f° 148 r°).

79 AML, BB 078, f° 109 et 110.

descendre ny passer plus oultre, que lesdites chaisnes, de leur garde, aucun basteau [~] sans l'avoir premierement bien visité "80.

Ainsi, dans certaines situations d'autres autorités prennent part dans la surveillance des entrées dans la ville ; l'intervention du représentant militaire du roi dans le Lyonnais, dans un contexte troublé, n'est pas surprenante. D'autre part, le roi peut également imposer directement sa volonté au consulat. Par exemple, en mars 1556, Henri II permet à la duchesse de Valentinois, Diane de Poitiers, de se procurer du blé en Bourgogne et de le faire venir par bateau ; ce blé va donc traverser la ville de Lyon, par la Saône, sans y être vendu. Les consuls de Lyon, même s'ils savent « la grande et urgente nécessité où sont les habitants de cested. ville par faute de bledz », se plient à la volonté du roi puisqu'ils ordonnent de « faire ouvrir les cheynes pour passer ladite quantité de six à sept cens asnées "81 de blé pour la duchesse, qui n'est autre que la favorite du roi. Enfin, la population lyonnaise peut elle-même spontanément tendre les chaînes lorsqu'elle le juge nécessaire. En effet, à la fin du mois de février 1589, « le peuple et les pennonages dressent des barricades dans les rues, tendent les chaînes de la Saône et établissent des corps de garde aux points stratégiques de la ville "82. Cet évènement précède l'adhésion à la Ligue de la ville de Lyon et montre l'importance de bloquer l'entrée dans la ville par la Saône.

L'accès à la ville de Lyon par la rivière de Saône constitue donc un enjeu important. Cette rivière est un vecteur de marchandises, notamment de blé, fondamental pour l'économie de la ville mais elle est aussi une voie d'entrée qui doit être contrôlée pour des raisons de sécurité. Les chaînes qui sont tendues sur la rivière, gérées quotidiennement par le consulat, permettent de limiter l'accès à la ville et de surveiller les personnes, comme les marchandises, qui la traversent. Cependant, ce n'est pas toujours un obstacle fiable. Tout d'abord, le consulat se méfie parfois des commis aux chaînes qui « ne font leur debvoir de si prendre garde " en certaines occasions. Ainsi, au mois de janvier 1556, il est décidé que « pour obvier aux fraudes et abuz qui peulvent se faire aux chaynes [...] il y aura trois clefz ausd. cheynes " qui sont confiées trois personnes différentes : en

80 PARADIN, Mémoires de l'histoire..., op. cit., pages 381-382.

81 AML, BB 078, f° 159 r° et v°.

82 BAYARD, Françoise, CAYEZ, Pierre, PELLETIER, André, ROSSIAUD, Jacques, Histoire de Lyon des origines à nos jours, Lyon, Editions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2007, page 438.

l'occurrence Jehan Tacon, Mathieu Bourgeoys et Pierre Joly83. D'autre part, même si les commis font correctement le travail qui leur est confié, les chaînes ne représentent pas toujours une limite suffisante. Par exemple le 4 avril 1556, trois bateaux chargés de blés franchissent de force, rompant la chaîne, la sortie de la ville84. Vingt-cinq arquebusiers sont chargés de les poursuivre en bateaux et rattrape les contrevenants à Givors. Les bateaux, ainsi que leur cargaison de blé, sont finalement ramenés à Lyon. Cet épisode montre donc une limite au contrôle de la navigation par le consulat mais constitue probablement un fait inhabituel.

83 AML, BB 078, f°110 v° et f°111 r°, acte consulaire du 16 janvier 1556.

84 AML, BB 078, f°169 v° à f°177 v°.

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