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L'enseignement spécial, des "anormaux d'école" aux "anormaux d'emploi"

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par Sharon Geczynski
Université Libre de Bruxelles - Diplôme d'études spécialisées en Sciences du Travail 2003
  

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L'ENSEIGNEMENT SPECIAL, DES « ANORMAUX D'ECOLE »
AUX « ANORMAUX D'EMPLOI ».

INTRODUCTION GENERALE

L'enseignement special est presente par les specialistes et acteurs de terrain (enseignants, directeurs d'ecoles et psychologues) comme une structure composee de petites classes permettant une meilleure prise en charge des enfants dits en difficulte scolaire. Certains enfants, qui au debut de leur parcours scolaire, n'atteignent pas le niveau exige, sont orientes vers cette filiere. Theoriquement, il s'agit de donner la possibilite a ces enfants de

« se remettre a niveau », de « rattraper leur retard » afin de reintegrer l'enseignement general a la fin de l'enseignement primaire.

Les parents ne desirent pas, au depart, inscrire leur(s) enfant(s)1 dans ce type d'enseignement perçu comme une ecole pour «handicapes mentaux ».

Les professionnels de l'enseignement special les rassurent par l'explication des objectifs de cette filiere et surtout par l'assurance que leur(s) enfant(s), grace a une meilleure prise en charge, pourra rejoindre l'enseignement general et avoir les memes chances que les autres d'acceder a une formation qui mene a un metier.

Pourtant des recherches ont mis en evidence les incoherences du discours scientifique par rapport aux « anormau x d'ecole », les aberrations des tests de depistage des « deficients legers » et surtout la difficulte de cerner la notion « d'inadaptation scolaire ». Tantot type 1 (arrieration mentale legere ), tant+t type 3 (troubles caracteriels, troubles de la personnalite) ou encore type 8 (troubles instrumentau x), c'est a l'issue d'un test multidisciplinaire que ces enfants obtiendront l'attestation qui determinera leur type de handicap intellectuel et leur type de carriere scolaire et professionnelle.

L'emergence du phenomene de l'enfance intellectuellement deficiente est liee a l'instauration de la scolarite obligatoire, ayant revele la presence dans le milieu scolaire d'un certain nombre d'eleves qui « suivent » pas.

1 Certaines familles de milieux populaires comptent parfois plusieurs de leurs enfants dans cette filiere.

Cette epoque, a la charniere du 19eme siecle et du 20eme siecle, est egalement une periode de mutations economiques, la naissance de « la grande entreprise » rendant urgente la connaissance de techniques et la formation de travailleurs. Elle offre a l'analyse une masse considerable de documents oil les fonctions sociales des institutions s'e xpriment sans ambages. La science et la morale sont indissociables dans une perspective qui fait de la« Grande Entreprise » l'incarnation du progres. Du besoin de creer « une filiere a part » pour les « anormaux d'ecoles », autrement dit les debiles legers « educables », va naitre le projet de l'enseignement special.

Ce projet va prendre de l'ampleur parce qu'il est intimement lie a la conception de l'epoque selon laquelle les pauvres ne sont plus ces indigents a qui il faut offrir la charite mais des personnes qu'il faut eduquer, civiliser et surtout contrOler pour eviter qu'ils soient nuisibles a la societe.

L'institution de l'obligation scolaire, en donnant acces a l'ecole aux couches les plus defavorisees de la societe, qui reveler une « espece d'ecolier » qui ne profitent pas de l'enseignement qui est dispense dans les classes primaires. Dans les ecoles, les instituteurs, habitues a un public homogene, sont confrontes a des enfants qui sont « refractaires au regime scolaire ordinaire », dont nombre d'entre eu x ont, a leurs yeu x, herites de l' « amoralite » du milieu duquel ils sont issus. Afin de regler ce probleme et de ne pas « contaminer » les eleves de « bonne famille », ils font appel aux pouvoirs publics, qui, a leur tour, font appel a des specialistes dont la figure emblematique est Alfred BINET (voire encadre sur l'importance de l'ceuvre d'Alfred BINET p. 14).

Alfred BINET et son collaborateur Theodore SIMON vont voir l'echec scolaire comme un symptOme de deficience intellectuelle et les enfants comme le contingent dans lequel pourront etre recrutes les « anormaux d'ecoles » necessitant un enseignement specialise. Leur travail marquera les developpements ulterieurs de l'enseignement special et deviendra une reference en la matiere.

Dans un contexte oil le contrOle social est la priorite des pouvoirs publics, Alfred BINET apparait comme un progressiste car malgre le conservatisme de ses contemporains, il prone l'educabilite de ceu x qu'il qualifie d' « anormau x d'ecole ». Ce n'est pourtant que cinquante ans plus tard, apres l'e xplosion scolaire qui suit la fin de la deu xieme guerre mondiale, que ses conceptions seront finalement mises en pratique.

aujourd'hui. Les echecs scolaires tendent encore a etre systematiquement interpretes comme des symptomes de perturbations psychologiques.

Sous le couvert d'une « neutralite scientifique », l'arsenal medico-
psychologique contribue a occulter l'origine sociale des enfants orientes vers l'enseignement special.

Cette recherche se propose de mettre en relations les discours fondateurs des classes pour « anormaux d'ecole » et ceux des professionnels de l'enseignement special aujourd'hui afin de nous interroger sur les fondements ideologiques de la notion de debilite legere.

Nous nous interrogerons sur les criteres qui president a l'orientation des enfants vers l'enseignement special.

L'evaluation de la gravite d'une inadaptation revelee par le milieu scolaire est pleine d'ambiguites, d'autant plus que la plus grande partie de l'enseignement special est constitue d'enfants dits « debiles legers » -- deficients intellectuels, caracteriels et troubles instrumentaux -- a l'intelligence dite normale.

Nous nous efforcerons de repondre aux questions suivantes :

Quelles significations donne t-on a l'inadaptation scolaire ? Sur quelles bases ces enfants sont-ils catégorisés "débiles légers"? Quelles pratiques met-on en ceuvre pour remédier a ces "inadaptations scolaires" ? L'enseignement spécial correspond t-il a leurs besoins ou renforce t-il la discrimination dont ils ont déjà été l'objet dans l'enseignement ordinaire? Cet enseignement va t-il permettre a ces « inadaptés » de « rattraper leur retard » pour réintégrer l'enseignement général et avoir les memes chances que d'autres d'accéder a un métier? Quelles sont les procédures de décisions ? Quelle est la marge de manceuvre des parents? Quelle est le devenir de ces enfants?

PRESENTATION DE LA DEMARCHE

L'enquete a debute alors que nous participions a un projet de recherche sur le parcours scolaire des enfants issus des quartiers populaires a l'initiative de l'INSTITUT DE LA VIE. Une des activites de cette association concernait les populations defavorisees, et plus particulierement les meres et leurs enfants, dans une perspective de lutte contre l'e xclusion sociale.

Le Centre d'accueil2de cette association, cadre convivial a l'image des Maisons Vertes de Francoise Dolto, est situe dans un quartier dit « difficile » de l'agglomeration bruxelloise et les femmes qui le frequentent habitent le quartier et sont en grande partie issues de l'immigration turque et marocaine. Ce lieu propose une rencontre et un partage d'e xperiences de femmes, autour d'interets communs et un espace oil les enfants, en bas age, peuvent jouer avec d'autres sous les regards de leurs meres.

L'appropriation du lieu par les femmes et les enfants ainsi que la longue presence sur le terrain d'une des animatrices, avaient reussi a creer un climat de confiance. Le parcours scolaire des enfants s'est revele etre une des preoccupations majeures de ces femmes qui, pour la plupart d'entre elles, connaissent peu le fonctionnement du systeme scolaire, ses differentes filieres et ses debouches. Rapidement, nous nous sommes heurtes a la problematique de l'enseignement special. Notre etonnement fut grand lorsque plusieurs femmes evoquerent leur desarroi face a la precocite de l'orientation de leurs enfants (en Pre ou 2eme primaires) vers une filiere d'obedience medicopsychologique, l'enseignement special.

Suite a plusieurs entretiens avec des meres d'enfants inscrits dans cette filiere, nous avons tente de cerner sa problematique en interrogeant des directrices d'ecoles speciales3 afin d'une part de lui donner plus de transparence et d'autre part de repondre aux interrogations de ces femmes.

2 Nous en profitons ici pour remercier toutes les femmes qui frequentaient le Centre, sans lesquelles nous n'aurions peut-être jamais eu connaissance de cette problematique et avec lesquelles nous avons eu des echanges chaleureu x et riches d'un savoir qui ne s'apprend pas dans les livres. Sans oublier d'autres femmes de caractere, les membres de l'INSTITUT DE LA VIE qui nous ont permis de realiser ces entretiens : Fanny Gashugi, Oumnya Salhy, et Sarah Deutsch (Secretaire Generale de l'IV).

3 Notons ici que le projet de recherche-action depose, nous savions qu'il s'ecoulerait un certain laps de temps avant l'obtention d'une reponse. Nous avons decide de continuer nos investigations en dehors des activites de l'association.

La realisation d'un memoire tombait a point nomme.

Nous avons circonscrit notre enquete aux ecoles speciales accueillant les enfants consideres comme debiles legers d'une commune de l'agglomeration bru xelloise4. Ces ecoles sont au nombre de trois. L'une accueillant les enfants de type 1 (arrieration mentale legere) et 3 (troubles caracteriels, troubles de la personnalite) et les deux autres les enfants de type 1 et de type 8 (troubles instrumentau x) ; l'une de ces deux ecoles faisant partie du reseau Libre et l'autre du reseau Officiel.

L'enquete concerne la debilite legere dans laquelle s'inscrit les trois types que nous venons d'evoquer et qui se distinguent, dans la classification de l'enseignement special, par leurs recours au quotient intellectuel.

Les autres « types » sont constitues d'enfants diagnostiques avant leur entree a l'ecole et dont les donnees d'ordre medicales attestent d'un handicap, mental ou physique, d'une gravite telle qu'ils necessitent une structure d'apprentissage adaptee5.

Nous avons accorde une importance particuliere aux enfants de type 8 car, pour ces derniers, la legislation n'organise pas d'enseignement secondaire. Leur intelligence etant consideree comme « normale », ils sont senses reintegrer l'enseignement general soit en cours de cycle primaire, soit a l'entree des etudes secondaires.

La premiere partie de ce travail, « Aux fondements de l'enseignement special : les anormaux d'école », ebauche le conte xte ideologique de la naissance de la filiere d'enseignement special. La deuxieme partie, « Des méres confrontees a l'enseignement special », est consacree a l'analyse d'un entretien effectue aupres d'une des femmes dont quatre des cinq enfants ont ete orientes vers l'enseignement special. Ce temoignage nous a paru particulierement representatif des inquietudes des meres face a l'enseignement special.

Et enfin, la troisieme partie, « Le discours de l'enseignement special » vise a repondre aux interrogations des familles concernant l'organisation, les conditions de l'orientation, les structures et les remediations proposees par cette filiere et leurs effets.

4 Pour des raisons ethiques, nous avons eviter de nommer la commune afin que l'identite des directrices ainsi que celle des familles restent dans l'anonymat

5 Il s'agit des aveugles, sourds-muets, enfants hospitalises et handicapes physiques et egalement des handicapes mentau x severes.

1. AUX FONDEMENTS DE L'ENSEIGNEMENT SPECIAL : << LES ANORMAUX D'ECOLE >>

INTRODUCTION

Fin du 19eme siecle, la scolarisation progresse lentement mais regulierement, elle n'est encore ni obligatoire ni gratuite. Les classes dominantes ont le monopole de la scolarite. Les classes populaires se distinguent alors non seulement par leur analphabetisme mais egalement par leur mode de relations entre enfants et adultes caracterise par le rapport au monde du travail : « Le travail des enfants (pendant la premiere moitie du 19eme siecle) a maintenu ce caractere de la societe medievale : la precocite du passage chez les adultes. C'est toute la couleur de la vie qui a ete changee par les differences du traitement scolaire de l'enfant bourgeois ou populaire.6 >>

Deux mondes de l'enfance se distinguent, dans l'un, le modele bourgeois, la prise en charge par l'ecole joue un role preponderant dans la socialisation, dans l'autre, evaluee selon les criteres de la classe dominante, la socialisation des enfants ne reunit aucuns des criteres permettant d'assurer de sa qualite. A l'instar de l'enseignement dans les colonies, il s'agit en intervenant sur l'education des enfants de « civiliser les classes populaires, les faire acceder au minimum d'instruction necessaire, les faire sortir de leur condition miserable et de l'amoralite de leur milieu d'origine >>7.

En Europe, et surtout dans les grandes villes, la situation e xplique aisement ces preoccupations. La proletarisation s'accorde mal avec la reproduction des liens traditionnels : « A Paris, le taux de nuptialite ne suit pas l'expansion demographique provoque par l'afflux de jeunes migrants venus des campagnes. "L'illegitimite" et le concubinage, formes frequentes de rapports entre sexes dans le proletariat, s'opposent au modele bourgeois de la famille centre sur la legitimite et la stabilite du noyau parental. Et si, progressivement une partie des ouvriers stabilise sa situation sociale, adopte un mode de vie plus conforme aux normes bourgeoises,

6 ARIES PH., L'Enfant et la Famille sous l'Ancien Regime cite par PINELL P. ET

ZAFIROPOULOS M., Lin siècle d'echecs scolaires (1882-1982) , Collection politique sociale, Les editions ouvrieres, Paris, 1983, p.23.

7 PINELL P. ET ZAFIROPOULOS M., op. cit., p.23.

chaque temps fort du developpement industriel amene son contingent de proletaires "deracines"8»

Ce n'est pas un hasard si les fondements de l'enseignement special emergent precisement a cette epoque. L'ecole ne peut legitimer la selection qu'elle opere qu'en faisant appel a un autre systeme de classement, le medicopsychologique:

«L'ecole ne peut demeurer "ecole pour tous" qu'au prix de ne pas etre l'ecole de tous. Dans la societe de l'epoque, il apparait rapidement que, lorsque l'egalite devant l'ecole, c'est-a-dire devant l'instruction, qui se donne pour la verite de l'ecole, est confrontee dans la pratique institutionnelle a la realite socio-economique de la misere la plus grande -- celle qui se voit dans les corps et s'entend dans la pauvrete du langage -- elle ne peut demeurer verite qu'a la condition de classer selon la logique d'un autre systeme (medico-psychologique) ceux qu'elle ne peut tolerer9. »

L'institution de l'obligation scolaire, en donnant acces a l'ecole aux couches les plus defavorises de la societe, transforme les inegalites sociales en inegalites scolaires, inherentes a l'acquisition de connaissances par l'apprentissage cumulatif. L'enseignement special medicalisant l'echec scolaire grace a un dispositif medico-pedagogique, en proposant d'y remedier, a transforme ces inegalites scolaires en inegalites de nature operant une pathologisation de l'echec scolaire.

La scolarite devenue obligatoire et le conte xte dans lequel s'insere cette obligation mettent en evidence les facteurs qui ont favorise l'emergence de l'enseignement special. L'ecole va y etre envisagee comme un bon outil de controle social susceptible d'adapter les couches populaires a la societe. La « grande entreprise » naissante commence a formuler les imperatifs du systeme de production economique et a dicter ses besoins auxquels vont devoir s'adapter les futurs e xecutants. « Desormais civilises, les futurs travailleurs pourront sans risque vivre en ville »

L'analyse socio-historique de l'enseignement special met en evidence les mecanismes ideologiques qui sous-tendent les filieres scolaires et determinent l'orientation professionnelle. Ces mecanismes ideologiques repondent aux imperatifs du systeme de production caracterise par la division du travail comme l'e xprime Mateo ALALUF «La primaute des tendances individuelles qui caracterisent les dispositifs d'orientation cache en realite sa dependance aux exigences

8 PINELL P. ET ZAFIROPOULOS M., op.cit p.24.

9 MUEL F., « L'ecole obligatoire et l'invention de l'enfance anormale » in Actes de la recherche en sciences sociales, 1, janvier 1975, p.69

10 MUEL F., op. cit., p.74.

economiques, elles-memes etant determinees par des logiques mises en cruvre par les groupes dirigeants (...) Les inegalites reposent en consequences aussi bien sur la division de la societe en classes que sur le systeme scolaire qui conduit a l'assignation d'une position particuliere, suivant le niveau et le type d'enseignement, pour l'entree dans la vie professionnelle. C'est precisement la division du travail qui en definissant la demande sociale de main d'cruvre eduquee, ordonne aussi bien les categories qui organiseront la selection que les tris dont seront l'objet les jeunes11. »

L'enseignement special destine aux « debiles legers » se presente aujourd'hui comme une structure de « rattrapage » et preconise de « diagnostiquer » de maniere precoce les enfants susceptibles d'être consideres comme deficients intellectuels afin de remedier a l'echec scolaire.

En consequence, l'orientation scolaire etant d'autant plus determinante qu'elle est precoce, la detection sur base d'un diagnostic psycho-medico-social fige l'enfant caracterise de debile leger dans son statut d'anormal.

Cette stigmatisation est renforcee par le fait que ce ne sont pas n'importe quels enfants qui sont orientes vers cette filiere comme semble le faire croire la neutralite scientifique attribuee aux tests de depistage. Ces enfants sont, comme a l'epoque des fondements de l'enseignement special, en majorite issus des milieux defavorises.

11 ALALUF M., « Fonction graphique, orientation professionnelle et qualification du travail : comportements individuels et structures sociales dans l'cruvre de Pierre Naville » in L'orientation scolaire et professionnelle, 1997, 26, n°2, p.252.

1.1 ORDRE MORAL ET CONTROLE SOCIAL

En cette fin de 19eme siecle, la Commune de Paris n'est pas tres loin, cette periode de lendemain de cataclysme a l'avantage de presenter une masse de documents ecrits oil la lutte des classes s'e xprime sans ambages et oil l'ideologie scientifique ne masque pas encore les fonctions sociales des institutions : « Les écrits portant sur le thème de "l'enfance anormale" parus approximativement entre 1890 et 1910 offrent un ensemble de discours que l'on peut appréhender au niveau des mots utilisés (sens banal et usage scientifique), des images retenues (métaphores, etc.) et des thèmes insistants, comme autant d'expressions de fantasmes sociaux (le crime, la propreté, la rue, l'ordre, etc.), échos du cataclysme social qu'a représenté pour la classe dominante, la Commune de Paris1; » L'apparition de nombreuses institutions d'encadrement ideologiques temoigne de cette volonte de lutter contre le desordre, desordre des mceurs, desordre des corps, desordre des esprits13 : « Les esprits ont besoin hélas d'hygiénistes et de médecins comme les corps. Quelles belles batailles il y a livrer contre les maladies des esprits ! Que de préjugés a combattre ou a détruire ! C'est le préjugé qui pousse certains ouvriers a voir dans tous les patrons des égoistes, comme certains patrons a voir dans les ouvriers des mécontents (...) L'autorité intérieure doit avoir le pas sur l'autorité extérieure14. »

Ces institutions15 (associations, ligues, comites, societes de patronage, etc.) visent a façonner au nom de la « prevoyance sociale » des individus dont le comportement doit dorenavant etre previsible16.

Le mouvement en faveur de l'enfance anormale est integre dans le mouvement plus global de « prevoyance sociale » visant a proteger « l'enfance en danger » : l'hygiene contre le lait pollue, la morale, la rue polluante, le patronage contre la faiblesse parentale et la delinquance.

Toutes ces initiatives temoignent d'une volonte de remplacer le concept de charite par celui de prevoyance, il ne s'agit plus d'apporter de l'aide a un indigent sans ressources mais de le rendre a meme de se suffire a lui-meme

12 MUEL F., op. cit. p.66.

13 FOUCAULT M., « Surveiller et punir », Gallimard, Paris, 1975.

14 Leon Bourgeois cite par MUEL F., op.cit p. 62. Leon Bourgeois est president de la commission de 1904 sur les classes speciales et il apparait comme un representant e xemplaire de la classe politique de l'epoque. C'est egalement lui qui a preface le rapport de la Commission redige par BINET et SIMON publie sous la forme d'un guide d'admission des enfants anormau x dans les classes de perfectionnement.

15 Quelques e xemples de ces Societes (françaises) d'education sociale : Societe des parents educateurs, Societe d'encouragement au bien, Societe de propagande coloniale, Alliance d'hygiene sociale, Union française antialcoolique, Ligue française de la moralite publique et aussi la fameuse Societe pour l'Etude Psychologique de l'Enfant d'Alfred BINET.

16 MUEL F., op. cit., p.62

« Dans les ateliers on installe des appareils préventifs qui défendent l'ouvrier contre les accidents du travail et le mettent a l'abri de sa propre imprudence; il doit en etre de meme pour les maladies, l'alcoolisme 17». La prevoyance sociale, c'est aussi la rationalisation et, l'ouvrier ideal est celui qui se controle lui-meme.

Dans cette periode de mutation, l'instauration de l'enseignement primaire obligatoire et gratuit permettra d'une part de former une main d'ceuvre qualifiee designee par les caracteristiques de la main d'ceuvre dont les usines ont besoin et d'autre part d'assurer une fonction civilisatrice « La volonté de généraliser l'instruction en la rendant obligatoire répond a un double souci : assurer le minimum vital culturel nécessaire a la formation d'élèves destinés a devenir les futurs ouvriers et paysans de la nation ; assurer une fonction civilisatrice en harmonisant les règles de conduite et de comportement des enfants du "peuple" avec les références morales d'un idéal culturel supérieur inaccessible en tant que tel aux élèves18. »

Le reperage des anormau x est associe a ce mouvement civilisateur dans le sens d'une garantie contre les risques imprevus a venir « En donnant a la société du Patronage de l'enfance, vous faites une bonne affaire et un bon placement en meme temps qu'un acte de charité. Vous payez en quelque sorte une prime d'assurance contre le vol19. ». Alfred BINET e xplique pourquoi le reperage des enfants anormau x doit faire partie des priorites de l'education, il met en garde contre un futur danger social que representent les « moins fortunés » alias les pauvres: « La généreuse philanthropie des siècles précédents nous parait etre aujourd'hui quelque peu démodée, et nous substituons a cette vertu de luxe l'idée autrement féconde que nous sommes tous contraints, par un véritable devoir, a nous occuper du sort réservé a nos concitoyens (...) en particulier a ceux qui sont le moins fortunés. Ce devoir ne repose pas seulement sur les exigences d'un sentiment d'humanité ; il est dicté également par notre intéret personnel le plus pressant, car si, dans un certain délai, il n'était pas donné satisfaction a ce qu'ont de légitime les revendications des neuf dixièmes de la société, qui aujourd'hui travaillent pour des salaires peu en harmonie avec leurs efforts et leurs besoins, on entrevoit déjà qu'une révolution violente, oet ceux qui possèdent n'auraient pas grand'chose a gagner, bouleverserait de fond en comble l'organisation actuelle de la Société20. »

17 Discours de Casimir Perier au Congres de prevention sociale, Milan, 1906 cite par MUEL F., op.cit p.63.

18 PINEL P., « L'invention de l'échelle métrique de l'intelligence » in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1995, juin, p.27

19 L'enfant, 1891 cite par MUEL F., op.cit., p.66

20 BINET S. Et SIMON T., Les enfants anormaux. Guide pour l'admission des enfants anormaux dans les classes de Perfectionnement, 6e Edition 1934 (Ed. originale 1904), p.1 et 2.

Les premieres enquetes de la Societe Libre pour l'Etude Psychologique de l'Enfant (la SLEPE, pour plus de details voire encadre sur l'importance de l'oeuvre d'Alfred BINET p. 14) illustrent bien ce besoin de discipliner les corps et les esprits pour faire regner l'ordre social. Ces travau x scientifiques visent a mesurer la moralite des familles21, en occultant la question de l'appartenance de classe.

C'est a travers les themes de predilection de l'epoque comme l'alcoolisme, la syphilis et la tuberculose des parents, responsables de la degenerescence des enfants, que l'on assiste a la condamnation d'un style de vie. De meme, les familles qui ne ressemblaient pas au modele de la famille bourgeoise se sont vues caracterisees par la notion de « famille anormale » ainsi que l'e xprime le Dr Henri THULIE qui preconise des maisons d'orthopedie mentale afin de « redresser les degeneres » mentalement et moralement : « Ces petits malheureux ramasses dans les rues, sous les ponts, arretes pour vagabondage et quelquefois pour un delit plus grave, arraches a leur famille corrompue, les elevant dans le vice et le crime, devaient dans ma pensee, etre pour la plupart des detraques soit par les habitudes prises, soit par leur triste education, soit par heredite22. »

L'ecole primaire laïque se montre determinee a presenter une image propre et saine vis-à-vis de l'opinion publique dans sa competition avec l'ecole primaire religieuse. L'objectif est d'eviter la fuite des enfants de « bonne famille » a cause de l'hesitation des parents a confier leurs enfants a l'ecole publique par peur de la « promiscuite » et de la « contagion ».

Dans cet ordre d'idees circule a l'epoque un projet qui vise a creer une « ecole annexe » et prevoit « d'isoler les enfants les plus propres de la classe primaire afin qu'ils ne soient pas contaminés par les manieres, le langage et les parasites des "apaches". C'est en un certain sens l'homologue de l'école des classes de perfectionnement mais a l'autre bout de l'echelle23. »

Une quinzaine d'annees -- apres la loi sur l'obligation scolaire en France (1883) -- aura suffit a l'ecole primaire pour produire les « dechets » dont l'exclusion constituera l'elaboration d'un nouvel appareil ideologique, le medicopedagogique. En Belgique la loi sur l'obligation scolaire mettra plus de temps a apparaitre. Votee en 1914 sa promulguation sera retardee par la premiere guerre mondiale jusqu' en 1918.

21 Les premiers travau x de la Societe libre pour l'Etude de la Psychologie de l'Enfant (la SLEPE) traitent du mensonge.

22 Dr THULIE H., « Le dressage des jeunes dégénérés ou orthophrénopédie », Felix Alcan, Paris, 1900, p.6

23 MUEL F., op.cit., p.69

L'IMPORTANCE DE L'CEUVRE D'ALFRED BINET

Alfred BINET, psycholo gue, est membre actif de la Societe Libre pour l'Etude Psycholo gique de l'Enfant (La SLEPE) fondee en 1899. Il en devient le President en 1902 et va etre, a ce titre, associe a la mise en place, dans le cadre de l'ecole primaire, d'un ensei gnement specialise destine aux anormaux. Une Commission interministerielle est chargee en 1904 de mener des etudes sur les enfants qui reussissent mal dans les classes normales et fait appel a son experience en la matiere. Avec Theodore SIMON, son eleve, il fait des recherches a l'ecole de la Salpetriere et dans les ecoles du deuxieme et dixieme arrondissement de Paris. Le but de ces etudes est l'organisation des ecoles pour anormaux et surtout la recherche d'une methode scientifique visant a reperer les futurs beneficiaires. Il va elaborer un test permettant d' « etablir le diagnostic des etats inferieurs de l'intelligence » et propose une methode nouvelle pour « le diagnostic du niveau intellectuel des anormaux ». Il publia plusieurs versions de son echelle avant sa mort (1911), l'edition de 1905 ne fait que classer les epreuves dans un ordre croissant de difficultes alors que celle de 1908 etablit les criteres utilises dans la mesure de ce qu'on appelle aujourd'hui le Q.I.

Alfred BINET est un precurseur dans le domaine de la debilite mentale, il propose la distinction entre les « anormaux d'ecole » educables et utilisables socialement et les « anormaux d'hospices » destines aux asiles.

Son importance est telle que son discours se retrouve encore aujourd'hui chez les professionnels de l'ensei gnement special. Edulcore ou modernise son echelle visant a mesurer l'intelli gence et la terminolo gie qu'il emploie pour caracteriser les types d'anormaux est toujours d'actualite.

Son ouvrage « Les enfants anormaux. Guide pour l'admission des enfants anormaux dans les classes de perfectionnement » publie a la demande de la Commission deviendra une reference en matiere d'ensei gnement special.

(Pour plus des informations plus detaillees, voir « La mal-mesure de l'homme » de Stephen Jay GOULD)

1.2 LES IMPERATIFS DU SYSTEME DE PRODUCTION

C'est le debut de la grande entreprise tayloriste, de l'Organisation Scientifique du Travail et de la recherche du maximum de rentabilite par une « rationalisation » du travail. C'est la Science qui va donner l'impulsion necessaire a la mise en place de la grande industrie. Taylor joue un role primordial puisqu'il lui attribue une place de choix. L'Organisation Scientifique du Travail (O.S.T) preconise une rationalisation entre le travail de conception et le travail d'execution. C'est l'idee du « chacun sa place selon ses capacites, ses aptitudes et son merite », idee selon laquelle certains individus sont « (naturellement ou genetiquement) faits » pour les travaux manuels et d'autres pour les travaux intellectuels c'est-h-dire diriger, naturalisant la reproduction de la hierarchie socio-economique ainsi que l'exprime Henry FORD : « Le travail repetitif -- faire continuellement la meme chose de la meme maniere -- est une perspective terrifiante pour certains types d'esprits. C'est terrifiant pour moi. Il me serait impossible de faire la meme chose jour apres jour. Mais pour d'autres types d'esprits, sans doute la majorite, l'activite repetitive n'a rien d'effrayant. En fait pour certains types d'esprits, penser est absolument epouvantable (...) Je regrette de devoir dire que l'ouvrier moyen desire un travail qui n'exige pas trop d'effort physiques et qui, surtout, ne l'oblige pas a penser24. »

Par ailleurs, le vagabondage, l'alcoolisme et les mceurs des couches populaires ne font pas bon menage avec la conception tayloriste du futur travailleur des villes. L'institution de l'obligation scolaire va alors, prioritairement, se donner comme mission de « redresser l' amoralite » des couches populaires

C'est dans le cadre de la transformation des mceurs et modes de vies des classes populaires afin qu'ils ne pertubent pas la bonne marche de la societe, incarnee par les progres rapides de l'industrialisation que s'inscrit l'institution de l'ecole obligatoire. « Si, dans tous les milieux, on soulignait bien l'analphabetisme des ouvriers, leur mauvaise condition de vie et de moralité, on ne se plaignait pas souvent de leur manque de qualification (...) Par contre, l'école faisait bien l'unanimité lorsqu'il s'agissait de l'apprécier non pas en fonction de la qualification des ouvriers mais de leur "moralisation". La lutte contre le vagabondage,

24 FORD H., « My life and work, London », Heinemann, 1923, p.103 cite par BUDE J. in « Du sentiment de verite: au nom de Dieu ou de la Science », a paraitre.

l'alcoolisme, la "mauvaise" tenue du ménage, c'est-a-dire le role de l'école dans un domaine situé en dehors de la vie professionnelle était largement apprécié25 »

Les enfants « trop refractaires a l'enseignement et/ou a l'ordre etabli » doivent beneficier d'un enseignement specialise, tout entier tourne vers l'enseignement de la morale pour qu'ils puissent transmettre a leurs familles et a leur futur descendance les preceptes morau x grace au xquels ils s'adapteront a la societe et y contribueront par leurs travail d'ouvriers.

« On fera de non-valeurs sociales souvent nuisibles, des titres capables de rentrer dans la vie des normaux ou au moins des entités pouvant fournir un travail utile et diminuer ainsi leurs frais d'entretien26 », « Donner a ces malades la capacité de fournir un travail dont le produit compense leur consommation27 », en mettant les gens a leur juste place dans la societe.

Les ecrits d'Alred BINET et de Theodore SIMON tout en allant dans le sens de la necessite d'enseigner la morale aux « moins fortunés », se demarquent dans ce conte xte oil le contrele social est la priorite des pouvoirs publics et oil l'instruction obligatoire a plutôt tendance a inquieter les classes dominantes. Leur originalite reside dans le fait qu'ils vont s'interesser au « rendement social » de l'ecolier. Persuades de l' « educabilite » des enfants qui ne profitent pas de l'enseignement qui leur est dispense dans les classes primaires « normales », ils prenent un enseignement specialise.

Pour obtenir un bon rendement scolaire, il faut que l'ecolier puisse beneficier d'un enseignement adapte a son « intelligence naturelle », c'est dans ce cadre que des ideologues, notamment Alfred BINET grace a son echelle metrique de l'intelligence, vont fournir les outils scientifiques necessaires au classement des ecoliers. Des lors, la notion de formation sera intimement liee a la necessite de modes d'enseignement differents adaptes aux enfants ; specialises en fonction des demandes de la mutation industrielle en cours -- essentiellement la separation hierarchisee de la conception des taches (le travail intellectuel) et de leur execution (le travail manuel).

Dans cette tradition ideologique generalement qualifiee d'O.S.T et dans laquelle s'inscrivent egalement les travaux de Binet :

« L'intelligence instrumentale formelle du dirigeant qui signe l'aboutissement normal de l'évolution de l'humanité, est noble, supérieur : la pensée, la raison, la science. L'apprentissage instrumentale et l'intelligence concrete de l'ouvrier, qui se

25 ALALUF M., Le temps du labeur. Formation, emploi et qualification en sociologie du travail , Institut de Sociologie, Sociologie du travail et des organisations, Editions de l'Universite Libre de Bruxelles, 1986, p.78

26 Dr. JACQUIN J., « De l'assistance et de l'education des enfants arrieres » Rapport au 3eme Congres d'assistance publique et de bienfaisance privee, Bordeaux, 1903. Cite par MUEL F., op.cit., p. 62

27 Seguin cite par MUEL F., op. cit., p.62

situent en de ca de cet aboutissement, en deca de la normalite adulte, sont vulgaires, inferieures : la matiere, les sens et le travail manuel. La grande majorite des hommes n'atteignent pas le terme de l'evolution, la normalite adulte. Ils ne sont pas pleinement humains28 ». Ils sont « retardes » : debiles.

Ainsi, selon BINET:

« Le but des ecoles est le classement des anormaux dans la societe, leur adaptation aux besoins de cette societ~28. »

« Toute classe, toue ecole d'anormaux doit etre oriente vers l'utilisation sociale de ces enfants ; il ne s'agit pas de leur orner l'esprit, mais de leur donner les moyens de gagner leur pain par le travail 30»

C'est dans ce cadre qu'il convient d'inscrire l'elaboration des tests d'evaluation en vue d'identifier les enfants deficients qui devraieent beneficier d'un enseignement special.

L'instruction devenue obligatoire et gratuite pour tous fait apparaitre qu'une
certaine partie de la population scolaire « ne suit pas », ce sont les « anormau x
d'ecoles » chers a Alfred BINET. La preoccupation du recensement des

« anormaux d'ecole » devient cruciale, particulierement au debut du 20eme siecle31. En effet, les responsables politiques et les promoteurs de l'enseignement special32 desirent connaitre leur nombre et leur degre d'handicap. Les outils necessaires a une classification de plus en plus diversifiee des handicaps basee sur des criteres scientifiques vont être crees. Cette classification est a l'origine d'une politique de segregation de plus en plus intense vis-à-vis des « enfants differents ».

L'objectif des recherches de BINET et SIMON est de trouver une methode
pour reperer les beneficiaires eventuels des ecoles pour anormau x. BINET

28 BUDE J, « Du sentiment de vérité. Au nom de Dieu ou de la Science », a paraitre

29 BINET A. Et SIMON T., op. cit., p.193

30 BINET A. Et SIMON T., op. cit., p.171

31 Malgre tout l'interêt qu'on a pu porter, a cette epoque, a l'enseignement special, ce n'est seulement qu'apres la seconde guerre mondiale et l'explosion scolaire qui lui est contemporaine, que les ecoles speciales vont reellement prendre de l'ampleur.

32 En Belgique, c'est la societe pour la protection de l'enfance anormale qui, la premiere, pose l'epineuse question du nombre d'anormau x. Cette societe est creee en 1901. Son but est de favoriser la creation et le developpement des ceuvres destinees aux desherites physiques et intellectuels.

insiste sur « la necessite d'etablir un diagnostic scientifique des etats inferieurs de l'intelligence33 ».

Pour nos deux auteurs, l'enfant anormal ne peut etre considere comme l'equivalent d'un enfant normal qui serait plus jeune de plusieurs annees, une telle conception ne justifierait pas la necessite de methodes differentes et plus appropriees. Ils emettent des reserves a propos de la theorie classique qui consiste a considerer un enfant anormal comme l'equivalent d'un enfant normal qui serait ralenti ou arrete dans un moment de son evolution : « L'anormal ne ressemble nullement a un normal ralenti ou arrete dans un moment de son evolution ; il n'est pas inferieur en degre, il est autre.34» et font ainsi une distinction entre le degre d'instruction (acquis) et le degre d'intelligence (inne) « Nous emploierons souvent des formules comme celle-ci : "Anormal de onze ans qui est au niveau de neuf ans". Mais il ne faudrait pas se meprendre sur le sens que nous attribuons a ces termes. Ce n'est qu'une maniere commode d'exprimer un certain degre d'instruction35 »

L'anormalite de l'enfance vue sous l'angle de leur educabilite ou non educabilite et in fine de leur utilisation sociale justifie selon BINET la necessite de dispenser aux « anormaux d'ecole » un enseignement dote d'une pedagogie speciale car « les methodes, les programmes d'etudes qui ont ete organises pour les normaux ne conviennent que partiellement aux anormaux36 »

Ils distinguent les traits caracteristiques des « anormaux d'ecole » :

« 1° un retard de developpement ; 2° ce retard accuse specialement dans certaines facultes, moins dans d'autres, d'oet un defaut d'equilibre ; 3° parfois un trouble particulier, a cachet pathologique des facultes mentales37 » et mettent en evidence deux groupes d'enfants anormau x au sein de la population specifique qu'ils etudient, certains enfants peuvent presenter les deux formes d'anomalies :

1. Les arrieres de l'intelligence, ceux qui ne presentent pas une anomalie bien tranchee du caractere ; mais ils ne profitent pas ou tres peu de l'enseignement ordinaire

2. Les instables ou indisciplines, ce sont principalement des anormau x du caractere ; ils sont refractaires a la discipline ordinaire, ils se signalent par leur turbulence, leur bavardage, leur defaut d'attention, et parfois leur mechancete

33 BINET ET SIMON, op. cit., p.14.

34 BINET ET SIMON, op. cit., p.20
33 BINET ET SIMON, op. cit., p.19

36 BINET ET SIMON, op. cit, p.22

37 BINET et SIMON, op. cit., p.21

BINET et SIMON accordent une importance particuliere a la categorie des instables car « L'instable est pour l'école une gene perpétuelle (...) Il trouble constamment l'ordre dans sa classe et compromet son autorité 38», « Ils sont turbulents, bavards et incapables d'attention (...) C'est une instabilité du corps, du langage, de l'attention qui peut provenir soit d'un exces de nervosité soit tout simplement d'une nature dont l'exubérance répugne a l'étude sédentaire et silencieuse39 »

Il faut l'eduquer pour d'une part, eviter sa nuisibilite :

« C'est pour eux surtout qu'on a réclamé des écoles spéciales. Leur maniere d'accepter les sanctions de la discipline est bien intéressanteD? (...) »

Et d'autre part obtenir un bon « rendement scolaire » :

« C'est d'eux qu'on tirera le meilleur parti car c'est eux qui tirent le plus de profit de l'enseignement des anormaux car il accuse un léger retard seulement », « L'instabilité mentale s'accompagne d'ordinaire d'un retard intellectuel qui est d'environ une annéeD- »

Alors que l'instable est caracterise par tous les penchants egoistes, l'arriere lui est altruiste. Il n'a nul besoin d'être contrôle car il n'est pas « réfractaire a toute autorité », au contraire dans une classe, « on peut faire comme s'il n'était pas la », « il est obéissant (...) aime rendre service ».

C'est dans ses aptitudes intellectuelles que se manifeste l'anormalite necessitant un enseignement special: « L'arriéré est un enfant chez lequel dominent l'intelligence des sens et des perceptions concretes et l'aptitude aux mouvements. Ce sont ces facultés-la qui ont recu un développement normal. Sa faiblesse constante en rédaction prouve que chez lui la fonction verbale est restée bien visiblement inférieure aux fonctions sensorielles et motrices. »

Les objectifs de la creation de l'enseignement special tels qu'ils sont e xprimes par BINET et SIMON correspondent, comme nous l'avons deja evoque, aux preoccupations morales de l'epoque, controler, faire regner l'ordre moral et le controle social, ainsi qu'au x conceptions modernes sur les liens entre l'homme et le travail insufflees par l'essor de « la grande entreprise ».

Pour souligner la difference de leur destination et par la meme, la difference
de gravite de leur handicap, BINET et SIMON preconisent l'utilisation des

38 BINET et SIMON, op. cit., p.33

39 BINET et SIMON, op. cit., p.34
BINET et SIMON, op. cit., p.34
41 BINET et SIMON, op. cit., p.35

termes « anormaux d'hospices » et « anormau x d'ecole ». Ils insistent sur les definitions terminologiques car ils constatent que les termes n'ont pas la meme signification pour tous les specialistes et proposent une uniformisation des definitions des termes idiotie, imbecillite, debilite42. « A coup sir, l'idiot est pour l'hospice. A coup sir, le debile est pour l'ecole. Reste l'imbecile au sujet duquel on peut hesiter. Du moment que l'imbecile ne peut apprendre ni a lire, ni a ~crire, sa place n'est qu'a l'atelier. On recherchera dans quelle mesure il profiterait de l'enseignement special43 »

Cette distinction terminologique est fondamentale dans la mesure oil elle debouche sur une evaluation differente de l'inadaptation scolaire qui preconise une autre forme de remediation afin d'adapter le debile a la societe. Elle revele une construction basee sur des representations ideologiques et culturelles du normal et du pathologique fondees sur le biologique. La notion d'adaptation, notamment, meriterait un bien plus long developpement.

Les methodes et les pratiques qu'ils preconisaient sont encore d'actualite aujourd'hui. Ces dernieres ont bien evidemment ete remaniees, approfondies mais sans etre fondamentalement modifiees. Elles permettent, aujourd'hui encore, de recruter les enfants pour l'enseignement special grace a un dispositif medico-pedagogique charge ideologiquement. En effet, les professionnels de l'enseignement special (personnel scolaire et conseillers d'orientation) ont recours a des pratiques tres proches de celles de BINET. Il est toujours questions de tests d'inteligence qui permettent de differencier ceux qui disposent de capacites intellectuelles « normales » de ceu x qui en sont prives.

42 Ils gardent, neanmoins, la classification usitee au cours du siecle dernier.

43 BINET et SIMON, op. cit., p.113

2. DES MERES CONFRONTEES A L'ENSEIGNEMENT
SPECIAL

INTRODUCTION

Nous allons a present tenter de cerner la realite a laquelle est confrontee un certain nombre de familles issues des milieux populaires face a l'enseignement special.

Leurs interrogations peuvent etre resumees comme suit :

Qu'est-ce que l'enseignement special ? Mon enfant est-il « anormal » ? Si c'est le cas, que fait cette filiere pour le « soigner » ? Va-t-il (re)devenir normal ? Pourra t-il, un jour, rejoindre la filiere ordinaire ou sera-t-il relegue a jamais dans une filiere « en marge » ? Accedera t-il a une formation qui mene a un métier ?

Le te xte qui suit est l'analyse d'un entretien approfondi44 qui nous a semble representatif de ces interrogations. Il s'agit d'un entretien avec une mere de cinq enfants en presence d'une de ses filles. Sa fille a 15 ans, apres avoir passe ses etudes secondaires dans l'enseignement special et n'ayant pas obtenu son Certificat d'Etudes de Base (C.E.B), elle est placee en 1ere secondaire dans une classe d'accueil. A l'issue de sa 1ere en classe d'accueil, elle a ete orientee vers la 2eme professionnelle. La mere est allee a l'ecole coranique au Maroc jusqu'à 10 ans oil elle a appris le Coran et les rudiments de la langue arabe. Le pere est alle a l'ecole ordinaire au Maroc oil il a effectue ses etudes primaires et a appris a lire, a ecrire (en français) et a compter.

44 Cet entretien a pu etre effectue dans les meilleures conditions, nous avons passe une apresmidi au domicile d'une des meres frequentant le Centre d'accueil de l'IV dont un des problemes etait l'orientation precoce de 4 de ses enfants dans l'enseignement special.

La presence d'Oumnya Salhy, membre de l'IV, et sa maitrise de la langue arabe, nous a ete d'une grande aide. Nous aurions voulus nous entretenir avec un plus grand nombre de familles mais les limites imparties a la redaction d'un memoire etant ce qu'elles sont, nous avons dW nous contenter de selectionner un temoignage regroupant nombre de preoccupations qui furent e xprimees dans le cadre des activites du Centre d'accueil.

2.1 DEL' ECOLE DE « BON NIVEAU »...

La mere :

Je cherche une bonne ecole, avec un bon niveau, j'ai beaucoup cherche, je me suis renseignee...

Au depart, N. mere de cinq enfants cherche « une école de bon niveau » pour ses enfants, la pro ximite de l'ecole restant le critere principal. Ensuite, il apparait qu'elle est confrontee a un sentiment d'impuissance face d'une part aux resultats scolaires de ses enfants et d'autre part a l'opinion des professeurs et psychologues du centre Psycho-Medico-Social (PMS). Ces derniers proposeront le type d'enseignement qu'ils pensent convenir a l'enfant a la sortie d'un test qu'il a passe a la fin de la lere annee du cycle primaire. N. nous confie qu'elle a du mal a communiquer avec les professeurs, elle aimerait qu'un de ses enfants soit reintegre a l'enseignement ordinaire :

La mere :

Moi, je veux qu'elle change d'ecole a la rentree qu'elle rejoigne l'ecole normale de bon niveau mais les professeurs me disen t qu'il faut surtou t pas faire ca e t ils ne veulent pas donner l'au torisa tion alors qu'elle a de tres bons points, ils disen t qu'il fau t a ttendre la fin des primaires (...) je n'arrive pas a parler avec les professeurs, ils parlen t trop vi te

Une fois que l'enfant est dans le circuit scolaire, les parents se sentent mis # l'ecart, ce n'est plus eu x qui decident du « devenir scolaire » de leurs enfants. Dans les milieux issus de l'immigration et par rapport au corps enseignant, il y a un rapport de force favorable aux enseignants, les parents mettront difficilement en question la decision d'un professeur ou d'un psychologue. Les raisons sont les suivantes :

- difficultes pour argumenter face aux decisions/propositions dans « la langue des professeurs »

- problemes materiels et peur que les etudes se prolongent dans le temps (redoublement) surtout pour les filles probablement parce que les meres imaginent, pour elles, plutôt un avenir conjugual qu'un avenir professionnel45 « Ils m'ont dit que je n'étais pas obligée de la changer d'école mais alors elle devait doubler et n'arrivera pas a suivre »

- meconnaissance des differents types d'enseignements scolaires et de leurs debouches.

45 Nous pensons que pour connaitre les aspirations de ses enfants scolarises, il faut effectuer des entretiens individuels avec chacun d'eu x sans qu'il y ait d'interaction entre eux et leur mere.

2.2 A L'ECOLE « DE RATTRAPAGE » ...

Dans cet entretien, notre principale interlocutrice, la mere, nous parle de ses attentes et surtout de ses doutes. Elle ne connait pas les filieres et leurs debouches au-dela du primaire et ne projettent pas vraiment ses enfants dans un avenir professionnel. Elle envisage leur scolarite dans le court terme (redoublement/reussite) et nous dit se sentir impuissante quant au devenir de ceux-ci.

La mere :

La psychologue e t les professeurs m'on t di t qu'elle e tai t trop lente, qu'elle n'arrivai t pas a suivre au tableau e t que ce serai t mieux, pour elle, qu'elle change d'ecole (...)

Les professeurs m'ont explique qu'il faut qu'elle ai t tout le temps quelqu'un derriere elle pour les devoirs (...) Elle e tai t trop tete en l'air et reveuse (...)

La fille :

En fait, a la fin de la 6eme primaire (de l'enseignemen t special) je n'ai pas regu mon CEB (cer tifica t d'e tudes de base), alors je devais aller en classe accueil.

Dans la famille interrogee, il s'avere que quatre enfants sur cinq sont passes par l'enseignement special, les raisons invoquees sont les suivantes : lenteur, probleme de niveau (surtout en francais quand on sait que les 2 premieres annees de l'enseignement primaire sont principalement consacrees a la lecture et a l'ecriture), besoins de plus d'attention que les autres et parfois selon les dires de la mere, trop reveuse, « tete en l'air ».

Que savent la mere et la fille de l'enseignement special ?

La mere:

Ils m'ont di t de la me ttre a l'ecole X [ecole speciale du quartier] parce qu'il y a de tres pe ti tes classes e t que comme ca elle pourra ra ttraper son retard e t puis rejoindre les au tres (...)

Elle a passe un test e t son professeur a decide que c'e tai t mieux qu'elle change d'ecole (...)

Au debut je croyais que c'e tai t des ecoles pour handicapes mentaux e t apres on m'a explique que c'e tai t une ecole pour les enfants qui avaient du mal a suivre, qui vont plus lentement que les autres, qu'il y a moins d'enfants par classe e t qu'on fait alors plus attention a eux. E t puis comme ca ils ra ttrapent leur retard e t peuvent aller dans une ecole de bon niveau.

La fille:

Ben, ce n'etait pas drole parce que les autres enfants ils croient que c'es t une ecole pour handicapes, alors que c'es t pas ca, c'es t juste une ecole pour les enfants lents. Ils se moquen t de nous.

Les professeurs et les psychologues (PMS) definissent l'enseignement special comme une structure scolaire composee de petites classes permettant une meilleure prise en charge des enfants dits en difficulte scolaire. Les enfants, qui au debut de leur parcours scolaire, n'atteignent pas le niveau exige (la norme), sont orientes vers cette filiere. Theoriquement cela devrait leur donner la possibilite de « se remettre a niveau », de « rattraper leur retard » afin de rejoindre l'enseignement general a l'issue de l'enseignement primaire. Les parents sont sceptiques au depart quant a l'idee de mettre leur enfant dans ce type d'enseignement (percu comme une ecole pour « handicapes mentau x »). Ils se voient rassures par l'e xplication des objectifs de cette filiere et surtout par l'assurance que leur enfant, grace a une meilleure prise en charge, pourra rejoindre l'enseignement general et avoir les memes chances que les autres d'acceder a une formation qui mene a un metier valorisant.

Comme l'indique le cas de la fille presente lors de l'entretien, l'enfant qui n'a pas obtenu son certificat de fin d'etudes primaires se trouve oriente vers la classe accueil, puis vers le professionnel. C'est apparemment la « trajectoire type » des enfants engages dans l'enseignement special46.

En effet, dans plusieurs cas rencontres au sein des meres frequentant le centre d'accueil, ainsi que dans des etudes sur le parcours scolaire des enfants issus de l'immigration effectuees par des sociologues, de nombreux enfants scolarises dans le special n'obtiennent pas leur certificat de fin d'etudes primaires. Des lors, ils ne peuvent acceder a l'enseignement secondaire general et sont orientes vers les classes accueils en premiere secondaire et puis vers l'enseignement professionnel. Le « devenir » de ces enfants est scelle des l'age de 8-9 ans a l'ecole primaire.

46 Voir a ce propos FAMEREE N. Et GIOT B. (2001), 0 Les chiffres de l'enseignement special: un dossier pour mieux comprendre la situation en Communaute française de Belgique », Notes techniques, Service de Pedagogie e xperimentale de Liege

et BEAUCHESNE M.-N. Et DE TROYER M., 0 L'adéquation entre l'offre et la demande d'enseignement special en province de Luxembourg », Centre de Sociologie et d'Economies Regionales, Rapport de recherche, Avril 1996.

2.3 EN PASSANT PAR LA CONSTRUCTION DE L'IDENTITE.

L'interaction entre les deux intervenantes nous a eclaire sur les relations qu'elles peuvent entretenir ainsi que sur leurs attentes respectives par rapport a l'ecole. La mere qui, malgre le parcours scolaire difficile de sa fille, aspire a ce qu'elle beneficie d'une meilleure formation, a du mal a lui faire comprendre le bien-fonde, a ses yeu x, d'un eventuel changement d'ecole.

La fille au fil de sa scolarite, semee d'embfiches et de brimades, n'a pas vraiment de projet d'avenir et pense davantage au groupe d'amis qui l'entoure dans son ecole.

A la question posee a sa fille « vas-tu poursuivre dans cette section (professionnelle) ? », la mere repond :

La mere:

Tu vas changer d'ecole, moi je veux que tu ailles dans une ecole avec un meilleur niveau, les profs ne son t jamais là dans ce tte ecole, les eleves ont toujours fourche e t font ce qu'ils veulent, dans ce tte ecole. Il n'y a aucune discipline.

La fille:

Moi, je ne veux pas changer d'ecole, ici c'es t mon niveau sinon j'arriverais pas a suivre, e t puis je me suis habitude, j'ai mes copines, j'aime bien les travaux de bureaux.

L'enfant porte le poids du regard que la societe pose sur son milieu et sa famille. La culture familiale et les competences extra-scolaires sont souvent negligees, parfois meme devalorisees, au profit d'une culture uniforme.

Tes copines et copains a l'ecole c'est plutot des marocains (d'origine) ou des belges ?

La fille :

C'es t tous des Marocains, il y a une majorite de Marocains, il y a aussi une classe de primo-arrivants dans mon ecole, dans ce tte classe il y a de tout.

Avec tes copains a l'ecole, tu parles quelle langue ?

La fille :

On parle arabe e t parfois frangais entre nous mais en classe c'es t interdi t de parler arabe parce que les profs on t peur qu'on les insul te.

La mere s'etonne :

Vous parlez arabe a l'ecole ? , Mais pourquoi tu ne veux jamais me parler en arabe a moi, tu me reponds toujours en frangais !

Ce dialogue nous parait significatif en ce qui concerne la construction de l'identite des enfants: Apparemment, le fait de parler arabe (origine, ancrage affectif) lui permet d'affirmer son identite a l'ecole et de l'affirmer en se differenciant puisque a priori ce n'est pas la langue de travail de l'institution ni celle des enseignants et qu'en plus la pratique de la langue arabe a l'ecole est interdite. Il y a, semble t-il, comme un refuge identitaire dans la pratique de la langue. En revanche lorsque la mere parle en arabe a sa fille, elle lui repond en français. Dans ce cadre, le fait de ne pas parler en arabe apparait comme une maniere de s'affirmer en se differenciant par rapport a sa mere. Le français represente l'adaptation a la culture dominante, le conflit avec le milieu coutumier inherent a cette adaptation s'exprime par la pratique de la langue arabe a l'ecole.

3. LE DISCOURS DE L'ENSEIGNEMENT SPECIAL

INTRODUCTION

Cette partie de l'enquete est consacree a l'etude du discours des directrices d'ecoles speciales. Elle a debutee dans une ecole speciale primaire situee en plein cceur d'un quartier populaire de Bruxelles.

Les meres que nous avons rencontrees nous ont souvent parle de cette ecole pour y avoir inscrit leurs enfants. Ensuite, nous avons decide d'etendre l'enquete aux autres ecoles speciales primaires situees sur la meme commune, specifiquement celles qui accueillent des enfants de type 1, 3 et 8, autrement dit des enfants diagnostiques « debiles legers47» (3 ecoles).

Face a l'anxiete des parents quant a l'avenir de leurs enfants, l'ecole se veut rassurante. L'enseignement special va leur permettre grace a une meilleure prise en charge de leur « handicap » de rattraper leur retard pedagogique.

Les professionnels de l'enseignement special sont formels, « ce n'est pas une ecole pour handicap~s ...s'ils font des efforts, ils pourront rattraper leur retard et reintegrer le circuit de l'enseignement general ». Or, comme nous l'avons indique plus haut, il semble qu'il soit plutot rare sinon exceptionnel qu'a l'issue du cycle primaire, les enfants engages dans cette filiere obtiennent le Certificat d'Etudes de Base (C.E.B) qui permet de reintegrer l'enseignement secondaire general.

Il semble y avoir une reelle dichotomie entre le discours de l'ecole sur les objectifs de l'enseignement special ; et le reel devenir des enfants qui s'y engagent. Afin de mieux cerner le discours de l'ecole, nous avons realises des entretiens approfondis avec les directrices des 3 etablissements scolaires en question. Mais avant d'aborder ces entretiens il nous parait utile de rappeler les principales caracteristiques de l'enseignement special

47 Selon les epoques, les termes degeneres, debiles, deficients, inadaptes ont ete employes pour designer les « anormau x d'ecole ».

3.1 LES STRUCTURES DE L'ENSEIGNEMENT SPECIAL EN BELGIQUE

Depuis la fin des annees quarante, ce type d'enseignement s'est considerablement developpe en Belgique comme dans tous les pays industrialises48. L'opinion publique est sensibilisee a la question des enfants handicapes. La notion de justice sociale succede a celle de charite dans les motivations qui sous-tendent la volonte d'aider les enfants deficients.

La loi de 1970 organise l'enseignement special sous sa forme actuelle.

Huit types d'enseignement sont organises, en fonction des categories de handicap. Comme toute categorisation, celle adoptee par le legislateur a sa part d'arbitraire et de contestable comme le dit Jean-Louis CHAPELLIER49

« La critique devient necessaire et urgente si nous regardons attentivement la population reprise dans trois categories : les types "un" (enfants et adolescents atteints de deficience mentale legere), "trois" (enfants et adolescents caracteriels) et "huit" (enfants et adolescents atteints de troubles instrumentaux). En tout, 7°% des enfants de l'enseignement special en Belgique francophone appartiennent aujourd'hui a ces trois categories »

Depuis la Loi du 6 juillet 1970 (modifiee par la Loi du 11.03.86, les Decrets du 28.01.91 et du 24.07.97) cadre legal de l'enseignement special :« tout enfant ou adolescent handicaps age de 2 ans et demi a 21 ans peut beneficier d'un enseignement adapts a ses difficult~s et qui tient compte de ses besoins educatifs specifiques »:

Cette loi organise les pratiques dans le domaine de l'education specialisee et confere une existence officielle a l'enseignement special, la loi de 1970 a comme consequence directe de rassembler toutes les classes speciales, auparavant anne xees a une ecole ordinaire, dans une même ecole.

Les enfants handicapes sont generalement classifies en huit types repris dans le tableau ci-dessous. Nous avons mis en parallele les definitions fournies par un service universitaire et celle utilisee par les praticiens d'une ecole primaire d'enseignement special

48 Même si la premiere disposition legale relative a la creation d'un enseignement special en Belgique se trouve inscrite dans la premiere loi sur l'instruction obligatoire, l'article 28 de la loi du 19 mai 1914 stipule que: "la oil la population le permet, les communes seront tenues d'organiser des classes pour enfants faiblement doues ou arrieres ou pour enfants

anormau x".

49 CHAPELLIER, J-L, « L'éducation spécialisée. Line ecole de pauvres en Belgique » in 0 L'ecole face aux handicaps ». Sous la direction de Michel Chauviere et Eric Plaisance, PUF, Paris, 2000.

80 FAMEREE N. et GIOT B., « Les chiffres de l'enseignement special: un dossier pour mieux comprendre la situation en Communaute française de Belgique » , Notes techniques, Service de Pedagogie experimentale de Liege, p.13.

 

Service de Péda go gie expérimentale de l'Université de Liè ge51

Praticiens de l'ensei gnement spécial


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· 52

primaire

Type 1

Enseignement special adapte aux besoins educatifs des enfants et des adolescents atteints d'arrieration mentale legere.

concerne les enfants atteints d'arrieration mentale legere (Q.I. 55-70), capables d'acquerir des connaissances scolaires elementaires et une maitrise professionnelle permettant une integration en milieu socioprofessionnel normal.

Type 2

Enseignement special adapte aux besoins educatifs des enfants et des adolescents atteints d'arrieration mentale moderee ou severe.

concerne les enfants atteints d'arrieration mentale moderee (Q.I. 40-55) ou severes (Q.I. inf

A 40). Pour les premiers on peut envisager une integration socio-professionnelle protegee (ateliers proteges). Pour les seconds on envisage une socialisation par des activites educatives adaptees.

Type 3

Enseignement special adapte aux besoins educatifs des enfants et des adolescents atteints de troubles caracteriels et troubles de la personnalite.

concerne les enfants caracteriels presentant des troubles de la personnalite qui exigent le recours a des methodes orthopedagogiques et psycho-therapeutiques.

Type 4

Enseignement special adapte aux besoins educatifs des enfants et des adolescents atteints de deficiences physiques

concerne les handicapes physiques incapables de frequenter l'enseignement ordinaire et dont l'etat e xige le recours a des soins medicaux et paramedicau x (kinesitherapie, par e xemple) reguliers et a l'emploi des methodes orthopedagogiques.

Type 5

Enseignement special adapte aux besoins educatifs des enfants et des adolescents malades

concerne les enfants malades hospitalises en clinique ou en institution medico-sociale.

Type 6

Enseignement special adapte aux besoins educatifs des enfants et des adolescents atteints de deficiences visuelles.

concerne les aveugles et les amblyopes.

Type 7

Enseignement special adapte aux besoins educatifs des enfants et des adolescents atteints de deficiences auditives.

concerne les sourds et les malentendants.

Type 8

Enseignement special adapte aux besoins educatifs des enfants atteints de troubles instrumentau x.

concerne les enfants souffrant de troubles instrumentau x c'est-a-dire eprouvant des difficultes a apprendre le langage, l'ecriture, la lecture ou le calcul (dyslexiques, dyscalculiques, dysorthographiques et autres "dys").

 

51 FAMEREE N. et GIOT B.,, op.cit. p.13

52 La classification des praticiens est issue d'un prospectus elabore par une ecole speciale primaire en vue de presenter ses 0 missions » et ses pratiques au public.

Sauf exceptions, on retrouve ces 8 types d'enfants handicapes dans les trois niveau x d'enseignement traditionnel : le maternel, le primaire et le secondaire. L'entierete de la scolarite est prise en consideration pour certains types d'handicaps. Par contre l'enseignement maternel n'est pas prevu pour le type 1 et 8 et l'enseignement secondaire n'est pas organise pour le type 8.

Les enfants de type 8 a l'intelligence « normale » sont senses « réintégrer l'enseignement ordinaire, soit en cours de scolarité primaire, soit a l'entrée du secondaire53. C'est pour cette raison que nous nous sommes particulierement interresses a leurs remediations.

Au niveau du secondaire de l'enseignement special, on distingue quatre formes. Ces formes d'enseignement s'adressent, en ce qui concerne les « debiles legers », aux enfants classifies type 1 (e xclusivement la forme 3 : l'enseignement special secondaire professionnel) et type 3 (toutes les formes) Les finalites de ces formes sont detaillees dans le tableau ci-dessous.54

53Prospectus de presentation d'une des ecoles oil nous avons enquete 54 FAMEREE N. et GIOT B., op. cit., p.14

FORME 1 (F1)

 

Enseignement special secondaire

d'adaptation sociale

- peut accueillir des eleves relevant des types 2, 3, 4, 6, 7

- vise au developpement des possibilites sensori-motrices

des eleves et de leurs possibilites de communication, d'autonomie et de socialisation

- vise l'integration dans un milieu de vie protege.

FORME 2 (F2)

 

Enseignement special secondaire

d'adaptation sociale et professionnelle.

- peut accueillir des eleves des types 2, 3, 4, 6 et 7

- vise l'integration dans un milieu de vie et de travail

proteges

FORME 3 (F3)55

 

Enseignement special secondaire

professionnel

- peut accueillir des eleves des types 1, 3, 4, 6 et 7

- vise l'integration dans un milieu normal de vie et de

travail

FORME 4 (F4)

 

Enseignement secondaire general, technique, artistique et professionnel de transition ou de qualification.

- peut accueillir des eleves relevant des types 3, 4, 5, 6 et 7

- prepare a la vie active tout en permettant la poursuite

d'etudes ulterieures (programme equivalent a celui de l'enseignement secondaire ordinaire renove mais avec des methodes adaptees)

- tout comme l'enseignement ordinaire la forme 4 est

organisee en 3 degres de 2 annees d'etudes

- apres le 3eme degre de l'enseignement professionnel,

trois types de 7!me professionnelle peut être organises (cf. Legislation de l'enseignement secondaire)

- apres le 3eme degre de l'enseignement technique de
qualification, une 7!me annee de perfectionnement peut être effectuee

- sanction des etudes: cf. Legislation de l'enseignement

secondaire

 

55 Une reforme de la forme 3, instauree a titre experimental dans les ecoles de la Communaute française de Belgique depuis 1993-1994, tend a être adoptee par le reseau Officiel.

Il faut retenir que certaines ecoles fonctionnent suivant l'ancienne legislation (toujours en vigueur) et d'autres appliquent a titre experimental de nouvelles circulaires.

Quelques donnees chiffrees en Communaute francaise de
Belgique56...

Tableau 1

Pourcentage d'eleves frequentant l'enseignement special par rapport a l'ensemble des enfants et adolescents scolarises (ordinaire + special)57 :

 

Niveau Maternel

Niveau Primaire

Niveau Secondaire

Nombre total d'eleves dans l'ordinaire

168.066

311.031

335.030

Nombre total d'eleves dans le special

993

13.111

12.787

Nombre total d'eleves dans (ordinaire + special)

169.059

324.142

347.817

Pourcentage d'eleves dans le special

0,59%

4,04%

3,68%

Nombre total d'eleves dans le type 1

0 (0%)

3.122 (0,96%)

6.961 (2%)

Nombre total d'eleves dans le type 2

282 (0,17%)

1.565 (0,48%)

1.982 (0,57%)

Nombre total d'eleves dans le type 3

83 (0,05%)

1.748 (0,54%)

2.557 (0,74%)

Nombre total d'eleves dans le type 4

188 (0,11%)

594 (0,18%)

729 (0,21%)

Nombre total d'eleves dans le type 5

300 (0,18%)

523 (0,16%)

190 (0,05%)

Nombre total d'eleves dans le type 6

25 (0,01%)

112 (0,03%)

144 (0,04%)

Nombre total d'eleves dans le type 7

115 (0,07%)

236 (0,07%)

224 (0,06%)

Nombre total d'eleves dans le type 8

0 (0%)

5.211 (1,61%)

0 (0%)

 

Tableau 2

A l'interieur de l'enseignement special, pourcentages d'eleves frequentant les differents types de classes:

 

Niveau Maternel

Niveau Primaire

Niveau Secondaire

Nombre total d'eleves dans le special

100,0%

100%

100%

Nombre total d'eleves dans le type 1

0,0%

23,8%

54,4%

Nombre total d'eleves dans le type 2

28,4%

11,9%

15,5%

Nombre total d'eleves dans le type 3

8,4%

13,3%

20,0%

Nombre total d'eleves dans le type 4

18,9%

4,5%

5,7%

Nombre total d'eleves dans le type 5

30,2%

4,0%

1,5%

Nombre total d'eleves dans le type 6

2,5%

0,9%

1,1%

Nombre total d'eleves dans le type 7

11,6%

1,8%

1,8%

Nombre total d'eleves dans le type 8

0,0%

39,7%

0,0%

 

56 Les tableaux reproduits ci-dessous sont issus du rapport de recherche de Nathalie FAMEREE et Bernadette GIOT, op. cit., p.94

57 Statistiques relatives a l'annee 1995/1996

Tableau 3

Nombre d'eleves belges et etrangers tous reseaux confondus (Communaute française, Officiel subventionne et Libre subventionne) dans l'ordinaire et dans le special primaire.

 

Ordinaire

Special

TOTAL

Pourcentage d'eleves dans le special

Nombre d'eleves belges

264149

10426

274575

3,80%

Nombre d'eleves etrangers

46882

2685

49567

5,42%

Nombre total d'eleves

311031

13111

324142

4,04%

Pourcentage d'eleves belges

84,93%

79,52%

84,71%

 

Pourcentage d'eleves etrangers

15,07%

20,48%

15,29%

 

MINISTERE DE LA COMMUNAUTE FRANCAISE, Statistiques des etablissements d'enseignement, des eleves et des diplomes. Annuaire 1995-1996, vol II, Bruxelles, 1999.

Un premier coup d'ceil sur les effectifs 1995/1996 permet de noter que la majorite des enfants et adolescents se repartissent entre les types 1, 3, 8, categorises "deficients legers", non determine par la medecine (pathologie severe).

Le deuxieme tableau indique que 75 a 77% des eleves frequentant l'enseignement special se trouvent dans des classes de type 1, 3, 8, avec un pourcentage particulierement eleve pour le type 8 au niveau primaire et pour le type 1 au niveau secondaire. L'enseignement special draine environ 4% des eleves scolarises.

Ce sont des enfants dits en difficultes scolaire reveles par l'institution scolaire elle-meme alors que les autres types n'ont pas eu besoin de l'ecole comme revelateur/detecteur, ce sont les parents qui font appel a un medecin puis orientent leur enfant vers le type d'enseignement approprie a son handicap (enfants sourds, aveugles, handicapes moteur, ne pouvant se deplacer,...).

Pour les autres, l'effectif augmente considerablement en primaire, ce qui nous indique qu'ils sont "detectes" et orientes a la fin de la premiere annee primaire (par l'ecole).

A partir de ces donnees, on peut penser que l'annee de l'apprentissage de la lecture et de l'ecriture sera decisive pour ces enfants dans la construction de leur handicap scolaire. Leur destin scolaire est dorenavant gouverne par les centres PMS. Suite a un "test multidisciplinaire" ils recevront une attestation qui determine leur type d' handicap intellectuel et qui, de ce fait, sera decisive pour leur avenir scolaire et professionnel.

On notera que l'enseignement special maternel et secondaire, n'est pas organise pour le type 8.

Or, pres de 40% des slaves du special emargent a ce type.

Une question s'impose: que deviennent au niveau du secondaire ces enfants senses avoir une « intelligence normale »

Il ressort de nos entretiens que trois possibilites s'offrent a eu x:

- soit ils obtiennent leur CEB et rejoignent l'enseignement ordinaire. Ce qui semble tout a fait e xceptionnel aux dires des directrices.

- soit ils sont orientes en classes accueils, structure de "familiarisation avec le secondaire" pour enfants en difficultes scolaire. Ce qui postpose un eventuel retour dans l'enseignement ordinaire.

- Soit ils sont reevalues par un centre PMS. Ils sont, alors, orientes vers l'enseignement special secondaire. Leur type d'inadaptation est revu « a la baisse ». Ce qui permet de les maintenir definitivement dans l'enseignement special.

Par ailleurs, a la lumiere de ces possibilites, on remarque qu'en secondaire l'effectif du type 1 double, il passe de 23,8 % a 54,4% et l'effectif des types 2 et 3 subit une forte augmentation (de 3,6% et 6,7% en plus par rapport au primaire). Alors que pour les handicaps plus severes c'est plutôt l'inverse qui se produit, leur effectif diminue.

On peut penser qu'à l'issue de l'ecole primaire, une grande partie des types 8 ont ete « reevalues » en type 1. De plus une etude sur l'enseignement special en province de Luxembourg nous indique que la « revision du type » est une pratique couramment utilisee dans cette filiere: « Les enfants atteints de troubles instrumentaux rejoignent l'enseignement ordinaire a l'issue du primaire ou alors leur type de handicap ou de déficience peut etre réviséR: ».

58 BEAUCHESNE M.-N. Et DE TROYER M., op. cit., p.12.

3.2 L'ORIENTATION VERS L'ENSEIGNEMENT SPECIAL

Nous avons centre nos entretiens avec les directrices d'enseignemeent special sur les questions suivantes :

Comment fait-on pour reperer les enfants « deficients » ? Quels sont les criteres qui president a l'orientation ? Quelles sont les remediations proposees par l'enseignement special ? Comment les chefs d'etablisements definissent-ils les « deficiences » de leurs eleves ? Quelle est la marge de manceuvre de l'ecole, des Centre PMS, des parents concernant l'orientation et le parcours scolaire dans l'enseignement special ? Quel est l'impact du milieu socio-culturel sur l'orientation vers cette filiere ? Le passage du special vers l'ordinaire est-il aise ? Quel est le devenir socio-professionnel des enfants inscrits dans cette filiere ?

Les propos recueillis aupres de directrices d'ecoles primaires speciales sont revelateurs de la problematique du reperage des « anormaux d'ecole » et de leur orientation vers le special :

Les handicaps graves son t diagnos tiques tres tot par les medecins (parfois des la naissance). Pour les autres c'est plus di~~icile d déceler, souvent ce sont des enfants qui on t des problemes de contact avec les autres, des problemes de limi tes, ceux-là son t en general signales par les professeurs. Un centre Psycho-Medico-Social (PMS) fait une enquete familiale, sociale e t medicale e t fait passer une serie de tests a l'enfan t. (...)

.

Lorsqu'un enfant entre dans le special, il faut qu'il ai t e te decele par une autre ecole (ordinaire). C'es t obliga toire que l'enfant vienne d'une au tre ecole, qu'il presen te des di~~icult~s scolaires (...)

Pour ren trer chez nous il faut passer par un centre e t subir un testing complet, c'es t un test qui se fait a la demande expresse de l'ecole ou des parents. Ce rapport a 4 vole ts pedagogique, psychologique, social e t psychoaffec tif.

Chaque ecole a un centre PMS [Psycho-Medico-Social] atti tre, en general c'es t une decision prise par l'ecole. Une ins ti tutrice se rend comp te qu'un enfant traine, qu'il ne sai t pas tenir un crayon en main (...) Apres testing par un psychologue, on informe les parents e t là c'es t pas evident parce qu'il y a tout un travail de persuasion a faire aupres des parents, parce que l'enseignemen t special est assimile a une ecole pour handicapes, les parents ont du mal a accepter que leurs enfants soient mis dans une ecole pour handicapes (...) Les parents ne sont pas aptes d juger si leur en~ant d un Quotient intellectuel trés faible, ilfaut qu'il soit passépar l'école pour fa (...) C'es t pas evident de faire accepter aux parents que leur enfant est debile

On n'a pas d'handicapes physiques ici, le niveau intellectuel ne se voit pas toujours sur le visage.

On voit combien les definitions des termes lies a l'enfance anormale revetent une importance en matiere de parcours scolaires a travers les remediations differentes preconises par les specialistes. Nous avons releve plusieurs problematiques :

L'interpretation des o difficult(s scolaires » par les directrices
d'ecoles speciales

A l'instar de BINET, toutes les directrices ont tendance a naturaliser l'intelligence, l'enfant debile leger va « plafonner » parce que son intelligence se situe en-dessous de la moyenne (elle est mesuree par le Quotient Intellectuel et est sensee etre donnee une fois pour toutes) et n'arrivera jamais a atteindre le niveau d'abstraction qui caracterise l'intelligence.

BINET etablissait la difference entre les « anormaux d'hospices » destines aux asiles et les « anormau x d'ecoles » destines aux ecoles speciales et insistait sur le fait que ces derniers etaient « educables ».

La directrice substitue au terme « educables » de BINET celui de « scolarisables » pour caracteriser les « debiles legers » tout en donnant une explication biologique a leurs difficultes:

Les enfants de type 1 son t debiles legers, ils son t scolarisables, peuvent apprendre a lire e t a ecrire mais ils vont bloquer au niveau du raisonnement e t de la logique. Donc, au bout d'un certain temps, ils vont s tagner, ils ne vont plus pouvoir aller au-dela de leurs limi tes, il y a reellement un plafond.

Ces enfants peuvent recevoir une education qui vise a les rendre aptes a effectuer des taches concretes puisqu' « ils manquent de raisonnement et de logique »:

Ces enfants la vont continuer a apprendre des choses mais qui vont plus tourner autour de mecanismes e t d'automa tismes.

Generalement, lorsqu'on demande aux chefs d'etablissements de definir les « difficultes scolaires » des eleves orientes dans le special, le vocabulaire qu'ils emploient est revelateur d'une interiorisation des denominations qui balisent le champ de l'enfance anormale. En grande majorite, leurs reponses font reference a la mesure de l'intelligence (QI) et a la categorie (anciennement arriere ou instable) du debile leger e xprime en terme de type.

L'e xplication des difficultes scolaires en termes de type de deficience et de Quotient Intellectuel s'etend aux milieux sociaux des enfants.

Les directrices e xpliquent l'impact du milieu social sur l'orientation vers le special par une deficience. Ces milieux sont constamment definis en termes de manques, de problemes... in fine par leur deficience et leur anormalite.

Le type 8, ce sont les enfants qui ont des troubles ins trumen taux e t des troubles d'apprentissage : dyslexiques, dyscalculiques, dysphasiques,... Il ne faut pas se leurrer ce son t souven t des enfants issus de milieux sociocul turels tres faibles ou des enfants qui ont eu un trauma tisme

Une directrice a e xprime des doutes concernant l'utilisation des tests visant # definir le QI et le type. Elle met en cause les politiques heteroclites des Centres PMS, qui sement la confusion. Parfois, ce sont les competences de certains psychologues qui sont mises en questions, il leur est reproche de ne pas prendre en consideration l'environnement socio-culturel de l'enfant et d'appliquer les tests « a la lettre ».

Le type 3, c'es t un quotient intellec tuel dans la normalite (100) mais il peu t etre inferieur. Le type 1, c'es t 70 e t le type de 2 c'es t 50. Mais en fait cela ne veu t pas dire grand chose cela depend tellement du test que vous fai tes passer. Les tranches ne sont pas les memes, les limi tes des tranches changent selon les tests e t selon les Centre PMS.

La segmentation du champ de l'enseignement special est telle que les chefs d'etablissements regrettent parfois d'avoir une marge de manceuvre « si faible ». Ce regret s'exprime quand il y a litige, par exemple lorsque les directeurs et professeurs de l'enseignement special estiment qu'il y a une erreur de diagnostic, surtout lorsqu'il s'agit d'un enfant turbulent ou indiscipline.

Ce qui nous embete c'es t quand il y a de mauvaises defini tions de type.

Je fais confiance aux professionnels mais on n'y arrive pas toujours...

La confusion des types 1 et 8

Les directrices d'ecole interrogees nous ont toutes fait part de la confusion qui existe entre les types de deficients legers.

Dans les ecoles frequentees par les enfants categorises en type 1 (arrieration mentale legere) et en type 8 (troubles instrumentau x), les directrices utilisent dans leur jargon « le type 18 ou 81 » pour caracteriser cette confusion :

Dans no tre jargon, on parle de type 18 ou 81 pour parler d'un enfant a la limi te des deux types (...)

Comme nous l'avons evoque plus haut cette confusion est attribuee a une erreur de diagnostic et devient litigieu x lorsqu'il s'agit d'un enfant turbulent ou indiscipline. Notons que selon la categorisation de BINET, le type 3 (troubles de la personnalite et caracteriel) est l'equivalent de l'instable et le type 1 (arrieration mentale legere) ainsi que le type 8 (troubles instrumentaux, tous les dys) l'equivalent de l'arriere.

Bon, en type 1, ils sont gentils, ce qui nous agace vraiment c'es t les types 3 (caracteriels), ca nous demande beaucoup d'energie e t nous ne sommes pas competents pour les types 3. (...)

Lorsque les enfants sont « reevalues », ils le sont en general « a la baisse ». Dans une hierarchie basee sur le degre de gravite du handicap et particulierement dans le degre de remediation propose, il est plus avantageux d'être type 1 que d'être type 3 et plus avantageux encore d'être type 8 que d'être type 1 (voir les structures et finalites de l'enseignement special). Ainsi, plutot que de remettre en cause l'enseignement dispense, ce sera l'attestation qui determine le type de deficience de l'enfant qui sera revisee. D'abord par les acteurs de terrain (professeurs, directeurs et personnel para-medical) qui se reunissent en conseil de classe en vue de « reevaluer » l'enfant et puis par les psychologues des centre PMS qui officialiseront ce changement dans l'attestation.

Lorsqu'un enfant a ete mal oriente, e t qu'il a une attestation de type 8 on peu t le reorienter [en type 1], parce qu'un type 1 peut apprendre a lire, alors on ne remarque pas directement son handicap. C'es t une perte de temps, plus les enfants son t detectes tot mieux c'es t pour eux

L'enseignement special, arme d'un dispositif medico-pedagogique parait peu enclin a sa propre remise en cause et a la recherche de facteurs determinants l'echec scolaire autre que psychologiques (socio-economiques et culturels). Les chefs d'etablissements se referent a l'intelligence « naturelle » des enfants et, selon eux, la possibilite de remediation est fonction du quotient intellectuel. A la question « Apres detection de la deficience intellectuelle de l'enfant que propose l'enseignement special pour remedier a ce probleme ? », il nous a ete repondu :

Cela depend du Quotient Intellec tuel de chaque enfant parce que dans les types 1, donc dans les debiles legers, on accueille des enfants qui ont un quotient inferieur a 75 jusqu'a 50. Donc, si l'enfant a 70 de quotient, il est a la limi te du type 1 e t du type 8. Donc ca devient un bon type 1, ce t enfant la va peut-titre meme pouvoir aller au-dela d'un niveau de deuxieme ou d'un niveau de troisieme (primaire) (...)

C'es t vrai qu'~ partir du moment oil ces enfants trouvent leur cheminement au travers de tous les ateliers qu'on leur propose ici, il y en a qui evolue meme au niveau du Quotient In tellec tuel, parfois c'es t assez significa tif, c'es t rare mais ca arrive.

Aux origines de ce discours sur la confusion entre les types, nous retrouvons la preoccupation de BINET, reperer les reels « anormaux d'ecole » grace a la mesure de l' « intelligence naturelle ». Etonnamment « moderne », il pressentit ce genre de confusion et/ou d'abus en matiere d'orientation et de maintien dans l'enseignement special. Avec lucidite il met en garde contre le « charlatanisme » et les « effets de la faiblesse humaine » qui produisent des erreurs de diagnostic et de « faux anormaux d'ecole ».

BINET et SIMON donnent deux raisons pouvant e xpliquer l'interet des ecoles a inscrire « de petits normaux » dans les ecoles pour anormaux.

La premiere est liee a l'image de marque, la reputation de l'ecole, un « faux anormal » donnera de meilleurs resultats et permettra de faire valoir la pedagogie et le « redressement intellectuel » effectuee par l'ecole :

« Les directeurs et professeurs d'anormaux auront une tendance a montrer aux visiteurs de leurs etablissements des enfants qui n'auront jamais ete arrieres de l'intelligence. On se gardera bien de raconter dans quel etat on les aura reOus. Au besoin, on mentira. Mensonge pieux, pratique pour une bonne cause, en l'honneur de l'ecole ! Ces enfants serviront de reclame et ce serait aussi illegitime que si des ecoles de sourds-muets presentait aux visiteurs des demi-sourds muets, ou des sourds ayant

autrefois entendu, en mettant sur le compte de l'éducation l'habileté avec laquelle ces etres lisent sur les levres ou prononcent des mots59. »

La seconde raison qu'ils evoquent pour expliquer pourquoi les directeurs d'ecoles speciales « ouvrent largement leurs portes a des normaux », est liee a la mise en doute de l'utilite publique des ecoles pour anormau x si...on ne trouve guere d'anormaux :

« Dans certains établissements, il pourra se produire pénurie d'anormaux. L'école est créée ; elle marche ; le personnel émarge, on n'a pas beaucoup a faire, on ne fait pas parler de soi, on est heureux. Seulement le contingent des entrées diminue lentement. On a peur que quelque inspecteur ne signale cette décroissance dans son rapport, et que l'école ne soit supprimée pour cause d'inutilité publique. Il faudra donc trouver des éleves ; et si on a besoin d'en trouver, on en trouvera. »

Selon nous, BINET met le doigt sur un probleme crucial de l'analyse institutionnelle. A partir du moment ou une institution est creee, elle doit pouvoir legitimer son utilite, montrer sa coherence, sa neutralite...

Des formations sont organisees en vue de former du personnel « special » pour les ecoles, des postes sont pourvus,...Il en est de meme pour d'autres institutions comme les Centres fermes et les prisons.

Il ne s'agit aucunement de mettre en cause les bonnes intentions des acteurs de l'enseignement special mais simplement de mettre en evidence les enjeu x institutionnels inherents a ces champs.

De plus, nous avons vu que les criteres definissant l'arriere et l'instable de BINET et SIMON, sont assez vagues et font appel a la morale.

Il n'est, des lors, pas etonnant que malgre les bonnes intentions des inventeurs de tests (personnalite, QI,...), tel que BINET, leur utilisation revienne a figer l'individu, une fois pour toutes, dans une categorie au nom d'un test scientifique « verifiable » et « reproductible », « toutes choses egales par ailleurs ».

59 BINET et SIMON, op. cit., p. 118. A l'autre extreme, un discours assez similaire et actuel met en perspective les apprehensions de BINET, celui de certaines ecoles elitistes qui se targuent du fait que 8°% de leurs eleves reussissent a l'universite en occultant la selection qu'ils ont opere au sein de leur population scolaire pour parvenir a un tel resultat.

BINET et SIMON, op. cit., p.119

La revision du type a Fissue du primaire

Un enfant de type 8 qui n'atteint pas le niveau requis a la fin du cycle primaire sera generalement reevalue en type 1 (voire les chiffres et commentaires sur le gonflement des effectifs de types 1 en secondaire).

Cette revision du type le relegue definitivement dans l'enseignement special. Rappelons que les enfants categorises type 8 sont senses reintegrer l'enseignement ordinaire a l'issue des etudes primaires -- l'enseignement secondaire pour les enfants de type 8 n'etant pas organise a dessein puisqu'on considere qu'ils sont dotes d'une intelligence normale -- alors que les enfants de type 1 seront en principe orientes vers une filiere d'enseignement secondaire special qui vise a une integration dans un milieu normal de vie et de travail et les enfants de type 3 vers une filiere d'enseignement special qui vise a l'integration dans un milieu de vie et de travail proteges :

Le "type" d'un enfant est-il evalue une fois pour toutes ou peut-il etre reevalue ?

Ca depend, s'il est a la zone frontiere type 1I type 8, il peu t avoir un compor tement e t un appren tissage parfois comme les types 8 qui ont des quotients a la limi te du type 1.

Il y des enfants pour qui le Quotient In tellec tuel change un peu, des enfants qui au depart ne s'expriment pas bien du tout, n'ont pas beaucoup de vocabulaire, ne percoivent pas les consignes e t puis... au fil du temps, il y a des enfants qui ont eu ce retard a cause d'un probleme d'entrainement ~ la maison e t d'interet qui n'a pas ete suscite e t de manque de jeu, manque de lecture, manque d'un tas de choses...

Quelles sont les implications d'une reevaluation sur leurs futures orientations scolaires ?

Pour le type 8,

Ces enfants vont en classe accueil, ils ont un quotient intellec tuel a par tir de 75. Il fau t se dire qu'autour des 75, les PMS ne sont pas toujours tous d'accord, il y en a qui avec une attestation d'un QI de 65 vont encore essayer le type 8, parfois pour faire plaisir aux parents, parce que les parents demande "es t-ce que type 1 ou type 8 c'es t la meme chose ?" E t que le PMS leur explique que le type 8 accueille des enfants plus intelligents alors ils disent « mon fils n'est pas bête vous saved il peut pas aller en type 1 » donc souvent les PMS par complaisance attribuent des attestations de type 8 et c'es t pour ca que parfois quand les enfants tournen t autour de 70, 72, 75... Ce qui est bizarre c'es t que certains avec 75 vont etre type 1 e t d'autres avec 70 vont etre type

8. Cela depend des PMS, a la zone des 70, c'es t assez difficile e t variable d'un PMS a l'autre.

Pour le type 1,

C'es t deja arrive qu'un type 1 puisse aller en classe d'accueil, dans l'ordinaire mais c'es t sur tou t quand le type 1 a un quotient vers le hau t des types 1, c'es t sur qu'un enfant dont le quotient intellec tuel se si tue au niveau de 55 ne va pas pouvoir aller en secondaire ordinaire, fa d pend un petit peu oil il se trouve sur l~ichelle de l~intelligence.

L'examen pluridisciplinaire et l'attestation delivree par le centre
psycho-medico-social (PMS)

Un examen pluridisciplinaire (medical, psychologique, social et pedagogique) decidera de l'orientation de l'enfant dans tel ou tel type. Au cas oil ces tests ne suffisent pas, la loi prevoit la possibilite de placer les enfants concernes dans des centres d'observation qui permettront de preciser l'orientation.

Comme nous l'avons evoque plus haut, les methodes et les pratiques inventees par les promoteurs de l'enseignement special en reponse a la problematique des « anormau x d'ecole » ont ete remaniees, approfondies sans etre fondamentalement modifiees. Afin de mieu x saisir les intentions de BINET et SIMON, qui sont analogues a celles qui se trouveront plus tard chez les fondateurs de la loi belge du 6 juillet 1970 relative a l'enseignement special qui vise a reserver l'enseignement special « aux veritables anormaux », penchons-nous un instant sur leur oeuvre.

BINET et SIMON estiment qu'une premiere selection des enfants anormau x est possible a partir du retard scolaire des enfants : « Un retard scolaire de 3 ans signale un enfant comme suspect d'arriération61. »

Notons a cet egard que ce critere est encore d'usage a notre epoque pour proceder au reperage des inadaptations scolaires, particulierement dans l'enseignement fondamental62.

61 BINET et SIMON, op. cit., p.57

62 La loi de juin 1983 relative a la prolongation de l'obligation scolaire limite a huit annees la duree de la scolarite dans l'enseignement fondamental. Elle contribue a masquer les problemes des « retardes pedagogiques », sans toutefois le resoudre

Les enfants « suspects d'arrieration » reperes a partir du retard scolaire vont subir un triple examen. BINET et SIMON preconisent 3 methodes complementaires pour reconnaitre les etats inferieurs de l'intelligence :

1° La methode peclagogique : elle sert a juger de l'intelligence de l'enfant d'apres la somme des connaissances acquises.

Cet examen vise a controler le degre d'instruction a travers les epreuves de lecture, de calcul et d'orthographe.

2° La methode meclicale : elle a pour but de reperer les signes anatomiques, physiologiques et pathologiques de la deficience intellectuelle.

3° La methode psychologique : elle sert a observer et mesurer le degre d'intelligence (naturelle) de l'enfant

Le souci de BINET et SIMON est de cerner « l'intelligence naturelle » des enfants « Notre but est d'apprecier un niveau d'intelligence. Il est entendu que nous separons ici l'intelligence naturelle et l'instruction. C'est l'intelligence seule que nous cherchons a mesurer, en faisant abstraction autant que possible du degre d'instruction dont jouit le sujet63 » et pour ce faire, ils utilisent des methodes scientifiques afin d'eviter que l'orientation vers l'enseignement special se fasse simplement a partir d'un retard scolaire : « Nous offrons l'examen psychologique comme un moyen de rehabiliter l'enfant qui presente un retard scolaire accentue. C'est la seule utilite, jamais, dans aucun cas, cet examen ne peut servir a declarer arriere un enfant regulier dans ses etudes6D »

Ces trois methodes complementaires elaborees par BINET et SIMON pour reperer les « etats inferieurs de l'intelligence », annonce avec cinquante ans d'avance l'examen tridisciplinaire ( psycho-medico-pedagogique) exige par la loi belge du 6 juillet 1970 sur l'enseignement special avant d'orienter un enfant vers cet enseignement.

L'inscription d'un enfant dans une ecole speciale est, aujourd'hui, strictement subordonnee a la production d'une attestation specifiant que l'enfant est inapte a suivre un enseignement dans un etablissement ordinaire mais qu'il est apte a suivre l'enseignement d'un etablissement special. Cette attestation

63 BOCCA M., Histoire de l'enseignement special : de la segregation vers l'integration, Memoire Institut du Travail, Universite Libre de Bruxelles, 1987, p.78.

64 BINET et SIMON, op. cit. p. 103

delivree par les Centres PMS definit egalement le type et le niveau d'enseignement vers lequel l'enfant est oriente65:

Le Centre Psycho-Medico-Social (PMS) informe les parents, leur donne un avis motive, une attestation, ca c'es t decide par decre t. Dans ce tte attestation, il est mis que l'enfant n'es t plus ap te a suivre un enseignemen t ordinaire mais bien un enseignement special de tel ou tel type (...).

A la premiere evalua tionIorien ta tion dans le special, c'es t le PMS avec l'avis de l'ecole qui prend la decision [l'ecole ordinaire dans laquelle l'enfan t se trouve].

Apres lorsqu'il est chez nous, un professeur peut tirer la sonne tte d'alarme. A ce moment la, on se reuni t en conseil de classe e t on decide de tester l'enfant (nous-memes) e t puis alors on convoque les parents... e t la recommence un nouveau travail de persuasion pour leur expliquer que leur enfant est plutot type 1 que type 8.

Les ecoles n'ont au niveau legal aucune marge de manceuvre en matiere de diagnostic et d'admission 0 L'orientation d'emblee vers l'enseignement special dans notre pays n'est pas de rigueur, la regle est de proc~der a des essais dans l'enseignement ordinaire avant d'integrer l'enfant dans l'enseignement special. De surcroft, - et ceci est tres important - les structures de l'enseignement special n'interviennent jamais dans la procedure d'admission66. ». Neanmoins, ils peuvent faire une demande aupres d'un Centre Psycho-Medico-Social

Specialise (PMSS) pour qu'un enfant soit reevalue.

L'enfant garde toujours son attestation de type 1 e t 8 sauf si au bout de deux ou trois ans de vie scolaire chez nous, on se rend comp te que l'enfant est limi te, n'evolue pas au niveau de son raisonnemen t, plafonne au niveau de la logique, alors on peu t demander a un autre PMS de (re)tester l'enfant e t a ce moment lA, on (re)fait un bilan pedagogique e t on voi t si l'enfant meri te toujours son attestation de type 8 par exemple ou s'il meri te toujours son attestation de type 1, on ne le fait jamais l'annee meme, on attend que l'enfan t soi t chez nous depuis au moins un an e t alors on le reevalue e t on voi t si l'a ttes ta tion a toujours sa place e t si elle est toujours aussi pertinente

Nous sur le terrain, on observe e t alors on se preoccupe de prendre conseils aupres de no tre PMS e t on fait aussi appel a des diagnostics par des professionnels alors, pedopsychia tres, neuropedia tres, psychologues, on va vers toute la palette des professionnels.

65 BEAUCHESNE M.-N. et DE TROYER M., 0 L'adéquation entre l'offre et la demande d'enseignement special en province de Luxembourg », Centre de Sociologie et d'Economies Regionales, Rapport de recherche, Avril 1996, p. 14.

66 BEAUCHESNE M.-N.et DE TROYER M., op.cit., p.11

Lorsque l'ecole ou l'equipe d'inspection medicale estime qu'il est necessaire de faire admettre un enfant dans l'enseignement special, la loi reduit la liberte des parents au choix de l'organisme qui effectuera les examens et etablira l'eventuel rapport d'inscription. Si ces derniers confirment cette necessite, l'enfant sera obligatoirement oriente vers une ecole speciale de type determine par l'organisme, la seule liberte laissee aux parents est alors celui du choix de l'ecole speciale, « L'orientation d'un enfant vers l'enseignement spécial et le travail d'orientation en tant que tel entraînent des obligations légales qui restreignent la liberté des parents (ce que l'on ne trouve pas au niveau de l'enseignement ordinaire) 67>)

Une procedure similaire est prevue a l'issue de l'enseignement special primaire pour ce qui concerne le retour a l'enseignement ordinaire ou la revision du type.

67 BEAUCHESNE M.-N.et DE TROYER M., op. cit., p.15

3.3 PROFIL DE LA POPULATION DE L'ENSEIGNEMENT SPECIAL

BINET et SIMON font rarement reference au milieu sociau x lorsqu'ils insistent sur « la necessite d'etablir un diagnostic scientifique des etats inferieurs de l'intelligence68 ». En revanche, ils soulignent le fait que c'est au sein des ecoles de quartiers pauvres que l'on va trouver le contingent requis pour legitimer la constitution d'une classe speciale « Il n'y a guere d'ecole importante qui ne puisse fournir au moins une classe d'arrieres. Maintes statistiques nous l'ont montre et nous n'avons pas eu de peine a trouver immediatement les elements d'une classe de ce genre dans une ecole de quartier pauvre69 ».

C'est dans « l'interet des parents70 » de familles pauvres qui que BINET veut creer des classes speciales. Selon lui, les « moins fortunes » n'ont pas honte de leurs anormaux, contrairement aux bourgeois qui les abandonnent au loin (dans des institutions privees)71 « Les gens du peuple ont plus de cceur ou moins de prejuges bque les bourgeois]. L'ecole d'anormaux ne les effrayera pas plus que l'hospice72 »

L'ecole n'a pas, a l'epoque, la place determinante qu'elle occupe aujourd'hui dans la trajectoire socio-professionnelle, les conditions de vies des classes populaires sont telles que BINET affirme « Si ces peres et meres de la classe ouvriere apprennent qu'il existe quelque part un internat oG les enfants recoivent le vivre, le couvert et le vetement, ils s'empresseront de faire admettre leurs enfants meme normaux dans cet internat, alors meme qu'il serait su que cet internat ne recoit que des debiles, des arrieres, des fous73 ». Il est persuade que ces familles n'opposeraient aucune resistance a cette orientation. A cette epoque l'ecole n'est pas envisagee comme le principal moyen d'ascension sociale.

L'institution scolaire n'a pas encore cette pretention.

Nous connaissons depuis les annees 6'3, les mecanismes de reproduction sociale de l'Ecole democratique legitimes par son ideologie de l'egalite des chances. Des auteurs tels que Pierre BOURDIEU et Jean-Claude PASSERON dans leur livre Les Heritiers ont montres le role de l' « heritage culturel » que les enfants des classes favorisees tiennent de leur milieu familial. Ces privileges

68 BINET et SIMON, op. cit. p.14.

69 BINET et SIMON, op. cit. p. 117

7'3 Ibidem

71 Ibidem

72 Ibidem

73 Ibidem

sociaux se transforment soit en « merite » soit en « dons » et representent la « violence symbolique », theorie developpee dans La Reproduction.

Il y a une distance, souvent meme un fosse, entre le milieu scolaire et les milieux sociaux populaires. Nous pensons que cette distance est due, en grande partie, au fait que le milieu scolaire vehicule la culture de la classe sociale dominante et definit les cultures populaires en termes d' « anormalite » par rapport a ce que Pierre BOURDIEU a qualifie d'arbitraire culturel. Une hierarchie est etablie entre ceux qui sont capables d'utiliser le « travail verbal » et ceu x qui n'en sont pas capables et pour cette raison, ne sont capables que de « travail concret ».

Nous l'avons vu plus haut, cette distinction s'apparente a celle de l'Organisation Scientifique du Travail, qui se fonde sur la distinction entre travail de conception et travail d'execution.

Les travau x de Basil BERNSTEIN74 etayent une telle analyse, ils montrent que le langage, au sens large, differe systematiquement selon les classes sociales75. Un code « commun » ou « restreint » est utilise par tous les membres de la societe alors que les membres des milieux relativement favorises utilisent, en outre, un code « formel » ou « elabore » 76.

Les pratiques educatives des milieux favorises tendent, selon B. Bernstein, a « inhiber la communication directe de l'affectivité et du meme coup, les comportements impulsifs, préparant ainsi la voie au controle du comportement par l'intermédiaire des significations verbales, ce qui maximise les possibilités de régulations et de manipulations rationnelles », « L'enfant apprend très tot a preter une attention au canal verbal (...) Il en vient a concevoir le langage comme un ensemble de possibilités théoriques utilisables pour présenter aux autres son expériences dans sa particularité77. »

C'est en ce sens que Jacques BUDE soutient que l'ideologie, par le biais de la science psychologique, postule que le developpement normal de tout etre humain s'apparente a l'acquisition progressive d'une mentalite socialement situee. :« La pensée instrumentale abstraite, hypothético-déductive et centrée sur le sujet constitue l'armature que la nouvelle idéologie, et partant la nouvelle psychologie assimilent au développement de tout etre humain (...) Cette idéologie et partant la psychologie qui en formule l'essentiel, érigeraient en critère de normalité : pour l'adulte, l'acquisition de la mentalité des milieux socialement privilégiés et, pour

74 BERNSTEIN B., « Langage et classes sociales. Codes socio-linguistiques et contrôle social », Les Editions de Minuit, Paris, 1975.

75 BERNSTEIN B., op. cit.

76 BERNSTEIN B., op. cit.

77 BERNSTEIN B., op. cit.

l'enfant, un certain rythme d'acquisition de cette mentalite fondee sur la comptabilite des plaisirs et des peines, sur le bilan du progres individuel78 »

Le rythme d'acquisition de la mentalite des milieux sociau x privilegies qui sont fondees sur ce critere de normalite fait dire a Jacques BUDE que les tests d'intelligence ne « mesurent pas des capacites constitutives de tout etre humain dont certains seraient mieux pourvus par la nature que d'autres79 », mais il souligne la place accordee par les tests d'intelligence au « facteur verbal » du fait de sa fonction discriminatoire « Il est evidemment tres significatif a cet egard que ce soit precisement la composante des echelles de Q.I que le jargon scientifique des psychologues qualifie de « facteur verbal », qui presente les plus fortes differences -- et donc le plus grand pouvoir de discrimination -- selon les classes sociales ainsi que la correlation la plus elevee avec le niveau socio-economique, l'acces a l'universite et aux professions privilegiees, telles les professions liberales et les fonctions de cadres superieurs80. »

Les entretiens avec les chefs d'etablissements primaires (special) confirment le fait que leurs eleves sont majoritairement « recrutes » dans les milieux sociau x les plus defavorises. Face a un diagnostic scientifique les familles des milieux populaires n'ont que peu de ressources et leur degre de resistance face a l'institution s'en ressent. Les parents de milieux privilegies non seulement y sont moins souvent confrontes mais ils ont aussi le moyen d'ignorer les directives de l'institution.

Dans la description du profil de la population scolaire tel que l'expriment les chefs d'etablissements, le type de handicap est la premiere indication qui est donnee. Nous avons alors tente de cerner la nature socio-culturelle des handicaps au travers des variables telles que la langue maternelle, le niveau d'etude, la categorie socio-professionnelle des parents81- et les quartiers oil habitent les familles.

Nos observations dans les ecoles speciales et au Centre d'accueil meresenfants, nous a revele la grande proportion d'enfants issus de l'immigration (voire aussi les donnees chiffrees) dans l'enseignement special, nous avons tente de comprendre, a travers le discours des chefs d'etablisssements,

78 BUDE J., op. cit.

79 BUDE J., op. cit.

80 BUDE J., op. cit.

81- Nous n'avons pas pu obtenir des informations sur les categories socio-professionnelles des familles. Des lors, nous sommes conscients que les informations obtenues sur le niveau

d'etude des parents sont appro ximatives et font partie des representations des chefs d'etablissements concernant les milieux socio-culturels des enfants frequentant leurs ecoles.

Ce qui n'est par ailleurs pas sans inter)t puisque c'est ce que nous voulons etudier.

comment cette surrepresentation de la population issue de l'immigration dans l'enseignement special etait justifiee. Il y a egalement une surrepresentation des garcons dans l'enseignement special qui saute aux yeu x dans les statistiques propres aux ecoles.

Nous avons tente de cerner la population scolaire de l'enseignement special a travers les questions suivantes :

Pourquoi y avait-il autant d'enfants des milieux populaires dans l'enseignement spécial ? Pourquoi les enfants issus de l'immigration y sont-ils surreprésentés ? Comment un test multidisciplinaire, marqué culturellement, peut-il prétendre repérér les enfants « déficients intellectuels » de milieu social et/ou culturel indifférencié ?

Le quartier

A l'instar de Stephane BEAUD , « Aujourd'hui habiter un « quartier défavorisé », c'est savoir qu'on ne peut pas échapper -- ou très difficilement -- au lieu et a ses affiliations obligées. Pour les enfants, c'est ne pas pouvoir échapper au quartier et au collège du quartier82 », notre enquete a revele l'inscription de l'enseignement special, pour les enfants dits « deficients intellectuels », dans les quartiers defavorises.

L'enquete a debute dans un quartier defavorise de Bruxelles a forte proportion d'immigres. Les temoignages recoltes indiquaient que lorsque certains enfants du quartier ne « suivaient » pas dans le cycle primaire, ils etaient orientes vers l'ecole d'enseignement special situe dans ce meme quartier. Nous avons voulu en savoir plus sur la dimension du quartier en interrogeant les directeurs d'ecole sur les liens entre la population du quartier en question et l'orientation vers cette ecole d'enseignement special

Le discours sur le ramasssage scolaire, le « tous egau x devant le ramassage scolaire », occultait quelque peu l'origine sociale des enfants qui frequentent cet enseignement au debut :

L'enseignement special est sectorise, on a un sec teur geographique qui a ete
delimite par la Communaute frangaise, qui est en fait un sec teur de
ramassage scolaire. On va ramasser les enfants avec deux grands cars

82 BEALID S., « 80% au bac...et après, les enfants de la démocratisation scolaire », La Decouverte, Paris, 2002.

scolaires (les enfants de moins de 12 ans peuvent beneficier d'un transport scolaire gra tui t).

Mais assez vite le masque tombe lorsqu'il s'agit d'etablir les quartiers par lesquels passent les cars scolaires :

On a un pourcen tage beaucoup plus eleve d'enfants immigres, ca c'es t sur mais on est aussi situe dans un quar tier defavorise e t les zones de ramassage scolaire se portent quand meme en grande par tie dans des espaces defavorises.

Une directrice e xplique a quel point la dimension de la population fortement defavorisee joue un role dans la definition meme du handicap.

Selon elle, il y a de « meilleurs types 1 et 8 » dans les quartiers plus aises, elle parle d'ecoles speciales du Sud de Bruxelles (Woluwe et La Hulpe) et affirme que « dans ces ecoles d'enseignement specialise, les enfants de type 1 et 8 ont des Quotients Intellectuels qui peuvent aller jusque 90 alors que dans le quartier X [oil l'ecole est situee], il ne depasse quasi jamais 70 ».

La nationalité

L'ecole situee dans le quartier defavorise oil nous avons commence notre enquete a bien voulu nous fournir ses statistiques en termes de nationalites (et de sexe). Ainsi, nous avons observe que plus d'un quart de la population de cette ecole se trouve dans la categorie hors Union europeenne.

Ainsi au 15 janvier 2002, sur 135 eleves, il y a 107 eleves de l'Union Europeenne (dont 88 belges, 8 italiens, 4 Portugais, 4 français, 2 espagnols, et 1 grec) et 58 eleves hors Union Europeenne (dont 31 marocains, 9 turcs, 6 congolais (Rep. Dem du Congo et Rep. Pop . de Brazzaville) et un guineen, un armenien, un jordanien, un liberien, un mauritanien, un libanais, un slovene, un somalien, un tunisien et un refugie de l'ONU.

Ces chiffres ne nous revelent finalement pas grand'chose sur les milieux sociaux des enfants inscrits dans cette filiere car selon les dires de la directrice « un grand nombre de familles naturalisées (donc dans la catégorie belge) sont d'origine turque ou maghrébine ». Au detour d'une conversation, la directrice nous apprend que la majorite de ses eleves sont musulmans et que les cours se donnent « dans le respect de toutes les religions ».

Dans une autre ecole situee dans la meme commune, une autre directrice nous confirme ces informations :

Sur 134 eleves nous avons 99 belges (parfois naturalises depuis peu) e t 35 eleves e trangers83. Vous savez aujourd'hui "belge" ne represente plus grand chose, il y a de nombreux immigres de seconde generation naturalises belges. Depuis une dizaine d'annees, il y de plus en plus d'enfants d'Europe de l'Es t, des Albanais, des Yougoslaves, des enfants du petit chateau.

Avez-vous remarque des changements dans le profil de votre population scolaire ?

Oui, des cas de familles defavorisees e t en souffrance, de plus en plus nombreux, avant c'e tai t lie au probleme scolaire pur e t c'e tai t des problemes d'enfan ts. Maintenan t quand on inscrit un enfant, on inscrit l'enfant et sa famille. On a de plus en plus de sollici ta tions e t de besoins au niveau des familles. Ici a l'ecole, on a un ves tiaire de seconde main, une banque alimentaire, on a plein de choses, on a une assis tante sociale qui passe sa journee a essayer de faire le lien entre les familles e t l'ecole e t qui ecoute un petit peu tou tes les demandes, toutes les attentes. De mon cote, c'es t la même chose, je regois des parents, j'en ai regu 3 ce matin, ca n'allai t pas. Il y a de plus en plus de familles dechirees, de familles recomposees, de gardes alternees, de problemes d'argent, beaucoup de femmes seules... De plus en plus d'enfants en mal d'être, des enfants qui ont besoin de parler, qui ne sont pas vandales mais qui s'exprimen t verbalement de fagon tres agressive, ca n'exis tai t pas il y a quelques annees ce probleme la.

La langue maternelle

N'y a-t-il pas lieu de s'interroger sur l'orientation d'enfants dans une ecole pour deficients intellectuels alors que visiblement il s'agit en grande partie d'un probleme d'adaptation a la culture scolaire, tel que le met en evidence notre enquete. Plutôt que de chercher s'il s'agit d'un probleme lie a l'origine sociale ou culturelle, nous avons prefere nous referer au concept d'adaptation a la culture scolaire qui comprend tous ceu x qui ne correspondent pas a la norme culturelle dominante qu'ils soient issus d'une classe sociale populaire ou de l'immigration. Chez les enfants issus de l'immigration, la reference a deux systemes linguistiques peut ralentir l'apprentissage de la lecture et de l'ecriture et n'est pas pour autant un signe de deficience. Cette reference a deux systemes est renforcee par le faible niveau d'etude des parents, bien souvent les parents ne parlent pas ou peu la langue d l'ecole.

[A propos du niveau d'e tudes des parents de l'enseignemen t special, un des chefs d'e tablissemen ts nous di t :.] Oh ! C'es t tres maigre vous savez e t tres peu de parents travaillent, tres peu e t malgre le fait qu'on arrive a la 3eme generation, on a encore beaucoup de parents qui ne s'expriment pas correc tement en frangais.

Il y en a beaucoup qui viennent de leur pays e t qui n'ont pas fait grand chose e t alors ceux qui ont vecu ici e t qui ont fait leurs etudes ici ne sont pas tres loin non plus, moi je dirais que c'es t tres faible mais on a jamais fait de sondage, je n'ai jamais demande aux parents quel e tai t leur dernier diplome !

Lorsque les enfants arrivent chez vous parlent-ils tous le francais ?

Non, ils apprennent sur le tas, rien de tel qu'un bain de langues, nous avons des enfants de tou tes les na tionali tes, souvent leur langue ma ternelle n'es t pas le frangais.

Ils on t des problemes de langue, de vocabulaire (...)

L'oral se travaille dans la vie familiale, les tournures de phrase, la grammaire, le vocabulaire,... Si, a la maison, on parle turc, yougoslave,... l'enfant va accumuler un retard scolaire.

Un enfant qui voyage, qui va dans les musees a necessairement plus de chances d'enrichir son vocabulaire. (...) Il y aussi de nombreuses familles recomposees e t monoparen tales.

La grande proportion d'enfants issus de l'immigration

Quand on sait qu'il y a de nombreux enfants immigres, comment se passe ces tests pour des enfants qui n'ont pas l'habitude de parler francais ou ne le parle pas du tout a la maison ?

Il faut se dire que l'enseignemen t specialise n'es t pas ouvert a tous les problemes rencontres par les enfants ni a tous les echecs. Il fau t dis tinguer les retards pedagogiques des troubles d'apprentissages e t ins trumentaux (type 8). Dans les troubles d'appren tissages, il y a tous les dys (dyslexiques, dysor thographiques, discalculiques,...), les problemes ins trumen taux, ce son t tous les problemes proches du schema corporel, de l'orienta tion dans le temps e t l'espace e t les troubles du langage.

Tous les enfants immigres n'ont pas des problemes d'apprentissage ou de
troubles ins trumen taux, ils on t simplement des problemes au niveau de

leurs apprentissages mais ils n'on t pas necessairement des troubles d'apprentissages, il fau t bien faire attention a ne pas confondre les deux.

Selon vous, pourquoi y a-t-il de nombreux enfants issus de l'immigration dans l'enseignement special ?

Moi je crois que si on a beaucoup d'enfants immigres c'es t parce que se son t beaucoup d'enfants de milieux sociocul turels defavorises. Dans no tre population, c'es t la qu'il fau t chercher. Il y a une autre source d'explica tion, c'es t les mariages consanguins, il y a beaucoup de mariages consanguins surtout chez les familles turques, plus que chez les familles marocaines encore e t souvent dans les mariages consanguins, on trouve tou te une lignee d'enfan ts avec des problemes de deficience. C'es t un probleme de culture ca, c'es t quelque chose qu'on a du mal a expliquer aux familles mais ca arrive frequemment, peu t-ti tre que dans la generation suivante, ca n'exis tera plus comme avant ca je n'en sais rien, c'es t l'avenir qu'il nous le dira.

Les enfants parlent arabe entre euxm ?

Ils ne peuven t pas, c'es t completement in terdi t ca, nous avons 28 nationalites ici alors on ne peut pas se perme ttre de parler dans sa langue. Cela se pra tique dans les classes de primo-arrivants parce que c'es t une fagon d'entrer en communication mais ici jus temen t dans le proje t de l'e tablissement c'es t la communication, la verbalisation mais en frangais!

Le fait qu'un grand nombre d'eleves soient issus de l'immigration creuse un fosse entre l'ecole et les parents qui, tres souvent ne parlent pas la langue de l'ecole.

On a encore beaucoup de parents qui ne s'expriment pas correc tement en frangais.

Vous faites comment alors pour communiquer ?

Ben, on essaye de voir les parents plutot face a face parce qu'alors on peut
s'exprimer avec des ges tes e t on se comprend un peu mieux, on arrive ainsi

m Nous avons pose cette question parce qu'en attendant que la directrice veuille bien nous recevoir, nous avons entendu un certain nombre d'enfants parlant arabe dans les couloirs. On se souviendra que lors d'un entretien avec une fille issue de l'enseignement special, nous avions releve l'importance qu'elle accordait a parler sa langue maternelle a l'ecole (et pas a la maison). C'etait aussi une maniere detournee de poser une question en rapport avec l'immigration autrement qu'en terme de nationalite.

a se faire comprendre. Il y a le cafe des mamans qui est un espace d'ouverture aussi, il y a l'ecole des devoirs qui est aussi un fameux lien car il y a un assistant social tunisien qui parle arabe, donc c'es t quand meme une perche pour pas mal de gens. Mon homme d'entre tien parle arabe aussi.

Nous avons finalement peu de contacts avec les parents car ils son t peu nombreux a conduire les enfants eux-memes a l'ecole (ramassage scolaire). Il y a eu un moment une idee de cons ti tuer une association de parents d'eleves mais il n'y a pas eu de suite. Les contacts se limi tent aux reunions de parents, là nous faisons appel a des interpretes du Rom, turque e t arabe (au CIRE).

La surreprésentation des garcons dans l'enseignement special

Nous avons 135 eleves, 88 garcons e t 47 filles

S'il y a une surrepresentation des garçons dans l'enseignement special, c'est d'une part parce que les garçons sont souvent plus « en retard » que les filles, redoublent plus, bref reussissent moins bien a l'ecole comme l'a demontre une etude dirigee par Mateo ALALUF85 portant sur la reussite scolaire et les inegalites d'orientation en terme de genre et ; d'autre part parce que selon la typologie de BINET les garçons font plus souvent partie de ceu x qu'il a qualifies d'instables, ceux qui sont hostiles a l'ecole, turbulents et indisciplines.

Comme l'a e xplique Stephane BEAUD au sujet de l'adaptation a la culture scolaire, il se pourrait que le tiraillement entre la culture familiale et la culture legitime que subissent les filles et les garçons des milieux populaires, a travers la socialisation, se manifeste chez les garçons par un ancrage au quartier et une identite « plus affirmee » a travers la « bande de copains » en rupture avec l'ecole, « Le quartier fonctionne alors comme un refuge et comme un entre-soi qui leur permet de se tenir a distance de la culture scolaire qu'ils laissent aux "autres"86 ».

85 ALALUF M., 0 Les filles face aux études scientifiques. Réussite scolaire et inégalités d'orientation », Institut de Sociologie, sociologie du travail, Editions de l'Universite Libre de Bruxelles, 2003.

86 BEAUD S., op.cit., p.103

L'examen pluridisciplinaire et l'environnement socio-culturel de
l'enfant

Qui demande que l'enfant subisse un test multidisciplinaire, les parents ou l'ecole ?

Habi tuellemen t, ce son t plutOt les ecoles qui demanden t a ce qu'un enfant soi t tes te. Ce qui est comique, c'es t que quand on a eu des enfants chez nous qui ont des freres e t des sceurs, les suivants arriven t tout seuls, par la famille alors bien souvent, pas par l'ecole. J'ai des parents qui ne veulent plus laisser leurs en~ants dans l'ordinaire pour qu'ils ne connaissentpas le meme parcours que les aines alors que parfois ceux qui sont dans l'ordinaire n'ont pas besoin de l'enseignemen t special mais pour les familles, il faut absolumen t qu'ils viennen t ici e t alors il y a des familles qui se ba ttent pour essayer d'avoir absolumen t une attestation qui leur perme t d'en trer ici.

Comment fait-on pour « detecter » ceu x qui n'ont pas frequents le reseau d'enseignement en Belgique...

J'ai eu un enfant qui arrivai t tout droi t de Somalie, c'e tai t un enfant qui avai t quand meme 11 ans e t demi e t qui ne parlai t pas un mot de frangais. En juille t, la premiere chose que j'ai demande aux parents, je leur ai di t que je voulais bien l'accep ter en sep tembre a la condition qu'il aille a l'ecole des devoirs pendant les vacances pour avoir un bon bain de langues. Ce gamin maintenant parle courammen t le frangais, rigole quand on lui fait une blague (donc on peu t deja lui dire quelque chose a double sens). Il a eu par contre tres dur en lecture (...) Ca a coince jusqu'~ il y a a peu pres 15 jours e t main tenan t il commence a demarrer, pas moyen de lui apprendre a lire. D jd qu'il devait faire un e~~ort surhumain pour comprendre ce qu'on lui disait ! Donc il a vecu dans un groupe ou les enfants e taient gentils avec lui mais c'es t vrai qu'il n'arrivai t pas a comprendre pourquoi on lui demandai t d'ecrire e t c'es t vrai que ce gosse n'avait jamais ete scolarise et puis du jour au lendemain, on lui met un crayon entre les mains, il est quand meme arabe donc il a eu l'habitude d'ecrire dans l'autre sens et puis nous on lui demande le contraire, fa fait beaucoup de choses en meme temps !

Comment fait-on passer ces tests a des enfants qui ne parlent pas la langue (ou peu) ?

Il y a tou te une serie de tests no tamment les tests non verbaux pour tester le niveau de comprehension du message. Il faut savoir qu'un enfant, meme s'il parle le frangais peut sabo ter le test (en refusant de repondre par exemple), si ce t element n'es t pas pris en consideration par le psychologue, le diagnostic risque d'etre fausse. De meme si dans un test il est question de neige, un enfant qui n'en a jamais vu dans son pays repondra a cote de

la question, il fau t prendre en consideration la culture d'origine e t cela depend de la competence des psychologues. Dans un meme temps comme il y a de nombreux tests, on peut finalement es timer grosso modo les capaci tes intellec tuelles des enfants meme s'ils ne parlent pas la langue. Vous savez, il y a des chercheurs qui passent des annees entieres a tester la fiabili te d'un test!

Des enfants « en voie de regularisation » sont parfois orientes vers les ecoles speciales alors qu'ils n'ont jamais frequents l'ecole en Belgique...

Il y a tout un systeme social au petit château (des assis tantes sociales, des psychologues) qui s'occupe du bien-etre de ces enfants, souvent ce sont des enfants qui n'ont jamais e te a l'ecole car dans leur pays ils ont pu etre consideres comme "l'innocen t du village" comme cela se passai t chez nous dans le temps, les "idiots" e taien t reje tes. Grâce a l'obliga tion scolaire ces enfants, qui auraient pu etre exclus e t rester a la maison avec leurs parents, doivent aller a l'ecole comme tout le monde.

Habi tuellemen t les ecoles qui accueillent les enfants du petit château, ce son t des ecoles qui ont des classes de primo-arrivants parce qu'il exis te a l'heure ac tuelle des avantages qui son t donnes aux ecoles qui creen t des classes de primo-arrivan ts, des avantages en nature, en heures (en periodes) de psychomo trici te ou de logopedie, donc ils ont un bonus en heures e t ils l'utilisent a ce tte fin l.

Nous n'avons pas d'enfants du petit château direc tement [centre ouvert] mais du quartier aux alentours, nous en avons trois.

3.4 LES PRESCRIPTIONS DE L'ENSEIGNEMENT SPECIAL

BINET et SIMON dans leur guide d'admission aux classes de perfectionnement recommandait une maniere de presenter les ecoles speciales aux parents. Ils preconisaient d'attenuer le diagnostic revelant la debilite legere de leurs enfants en presentant cette orientation comme un avantage, une structure de « rattrapage » ou l'enfant « qui ne suit pas » a l'ecole ordinaire pourra beneficier d'un enseignement « approprie ».

« On leur expliquera [aux parents] que les classes de quarantes eleves sont trop nombreuses pour les sujets de ce genre, et que le maitre n'a pas le temps de s'en occuper. On leur dira que la loi nouvelle organise des classes de 10 a 20 eleves au maximum, dans lesquelles on pourra donner un enseignement individuel. 87»

« Qu'on ne dise jamais aux parents que leur enfant est imbecile, idiot ou fou ou simplement anormal. Qu'on leur presente l'entree de leurs fils ou de leur fille dans une ecole speciale comme un avantage, ou meme une faveur ; qu'on n'exige pas de maniere trop formelle leur consentement ; ce serait leur laisser croire que ce sont eux qui accordent quelque chose et beaucoup refuseraient.88 »

« Bref de la prudence, de la douceur, du cceur et un peu de diplomatie, voila ce qu'il faut ; et l'experience professionnelle que nous avons acquise nous a demontre qu'il n'est pas trop difficile de gagner les parents a la cause de l'enseignement special89 »

Ce discours se retrouve aujourd'hui, a quelques modernisations pres, dans le discours de nos directrices :

Comment expliquer-vous aux parents la necessite d'orienter leur enfant vers l'enseignement special ?

Les parents, au debut ils ont peur. Quand ils arrivent a l'ecole, ils croient qu'ils vont voir des handicapes. Lorsqu'ils se rendent comp te que c'es t une ecole comme les autres, ils son t rassures.

87 BINET et SIMON op. cit., p. 54

88 Ibidem

89 Ibidem

Ce n'es t jamais evident mais on leur explique que leur enfant est en souffrance e t qu'il a besoin d'une attention particuliere qu'il ne peu t trouver qu'au sein d'une ecole speciale. L'enfant sera mieux pris en charge, il pourra avancer a son rythme e t ra ttraper le retard accumule, dans de pe ti tes classes. Dans no tre ecole les classes sont composees de 8 enfants pour un professeur. Parfois il faut passer ou tre la decision des parents.

Pour les parents c'es t difficile parce que le mot debile leger... C'es t le mo quand meme pour le type 1 !

Les chefs d'etablissements preconisent de terminer le cycle primaire avant de rejoindre l'enseignement ordinaire. Tout se passe comme si l'enseignement special n'etait qu'une etape, qu'un accident de parcours.

Ils insistent sur la meilleure prise en charge des enfants dans de petites structures. Selon eu x, si l'enfant recoit le « bagage necessaire », et acquiert « le sens des responsabilites et la regularite dans le travail », il pourra esperer rejoindre l'enseignement ordinaire.

L'enfant a-t-il la possibilite de rejoindre l'enseignement ordinaire ?

Ca depend, parfois un enfant arrive chez nous e t il a accumule un tel retard qu'on ne peu t pas faire de miracles, parfois il a les capaci tes intellec tuelles mais il est trop tracasse par ses problemes familiaux pour reellemen t se concen trer sur l'ecole.

Les parents peuvent-ils retirer leur enfant de l'ecole s'ils estiment que cet enseignement ne lui convient pas ?

Un enfant qui commence l'annee avec nous, a le droi t de quitter l'ecole jusqu'au 30 sep tembre (c'es t la loi pour tou tes les ecoles en Belgique). A partir du 30 sep tembre, on ne qui tte plus, on ne change plus d'ecole sauf si on demenage ou alors il faut un accord d'ecole a ecole jus tifie.

Que recommandez-vous aux parents qui desirent que leur enfant rejoigne l'enseignement ordinaire au plus vite ?

Moi je conseille que l'enfant fasse tout le cycle primaire dans l'enseignemen t special, parce qu'un enfant qui arrive chez nous, comme je l'ai deja dit est un enfant qui a beaucoup d'echecs a encaisser e t de souffrance a surmonter e t quand il arrive chez nous, le temps de le reme ttre sur le rail, ben le temps passe...il faut se dire qu'un enfant qui es t sur le rail, imaginons qu'il ai t 11ans, es t-ce qu'il est ap te a aller en 5eme primaire, es t-ce qu'on doi t le me ttre en 3eme primaire, ou faut-il le me ttre?

Alors, l'ideal, c'es t d'essayer de « boucler sa valise pour qu'elle soi t prete » pour aller en accueil, donc lui donner tou te ce tte autonomie, ce sens des responsabili tes, ce tte regulari te dans le travail, de lui inculquer vraimen t ce dont il a besoin pour redemarrer avec une nouvelle carte de visite vierge. Parce qu'un enfant qui re tourne en primaire a souvent son passe de primaire qui lui re tombe dessus par apres, e t il fau t pas aller trop vi te, surtout pas me ttre la charrue avant les boeufs. Il vaut mieux y aller avec prudence, une annee dans la vie d'un enfant ce n'es t rien, du moment que ce tte annee a servi t a le s timuler, le regonfler, le revigorer. Tout ca c'es t tres important il faut bien l'armer pour qu'il soi t sur de lui e t qu'il ai t confiance en lui, il fau t pas aller trop vi te, sauf si nous ~tions dans un autre milieu, une direction d'Auderghem ou d'Uccle ne parlera pas comme moi.

Pour le type 8 sur tou t, c'es t sur que suivant la region d'oil on vient...euh, ben il fau t voir un petit peu...Nous on a 28 na tionali tes chez nous, je ne suis pas sur qu'~ Woluwe, il y ai t 28 na tionali tes. E t si il y a des na tionali tes ce sont peut titre des enfants qui ont eu un probléme linguistique tout simplement mais qui proviennent de familles plus aisées etplus cultivées aussi.

Et d'illustrer son propos par l'histoire scolaire d'une petite fille issus d'un milieu aise et instruit :

Pendant 6 ans j'ai eu une petite, sa maman e tai t infirmiere a Erasme, son papa e tai t chercheur a Borde t mais c'es t sur que l'ecole finie, ce tte maman exagerai t meme, parce qu'elle la me ttai t dans toutes sor tes de choses, d'a teliers,...En fait, elle ne pouvai t pas sor tir pour s'amuser, tout ce qui e tai t vecu par ce tte petite en dehors de l'ecole c'e tai t pour l'aider a avancer au niveau scolaire e t nous souvent on lui a di t que parfois il fau t pouvoir jouer simplemen t pour le plaisir de jouer. Quand elle jouai t c'e tai t avec une intention d'apprendre quelque chose en plus. La maman avai t tapisser les murs de son living de grandes affiches educa tives pour apprendre a lire ou a calculer (je chante, tu chantes,...) (les jours de la semaines). Tout e tai t educa tif e t c'e tai t meme exagere, là c'e tai t un exces.

Bon donc ces familles ld, de ce cote-ld de Bruxelles seront probablement avec d'autres visions de l'éducation et d'autres attentes aussi. Nous essayons de repondre aux a tten tes des parents e t sans doute qu'~ Woluwe ou a Uccle, ils font de meme.

En d'autres termes l'environnement socio-culturel de l'enfant, peut avoir une influence considerable sur le « diagnostic » et sur les remediations proposees aux familles.

3.5 FILIERE DE REMEDIATION OU DE RELEGATION ?

Le parcours scolaire d'enfants « deficients intellectuels » issus de milieux plus aises sera-t-il different?

A tout a fait, moi je pense oui, ils auront siirement plus de facili tes...Ici on a des types 8 qui continue leur petite scolari te sans probleme general mais pourquoi on est pas presse de les reme ttre en primaire e t pourquoi es t-ce que cer tains vont etre orientes vers telle ecole plutô t qu'une au tre, ce qu'on souhai te toujours c'es t que l'enfant soi t bien dans sa peau e t qu'il ai t confiance en lui. Un enfant qui provient d'une famille ou il n'y a pas de revenus, je ne peux pas l'inscrire dans une ecole ou je sais qu' a l'entree on va demander autan t, puis il y aura un voyage pour me ttre les enfants ensemble a la ren tree qui va cohter autan t, puis je sais qu'on va lui demander, je sais pas moi, la panoplie du parfait cuisinier avec tous les

cou teaux e t compagnie, bon on sai t que telle famille pourra faire front a tel type de sollici ta tions e t tel famille ne pourra pas... e t alors le gosse risque d'etre marginalise. Il fau t un petit peu voir ce qu'on fait avec les enfants pour qu'ils soien t bien dans leur peau, pour qu'ils ne soien t pas reje tes e t qu'ils ne se sen tent pas reje tes. Nous proposons des ecoles qui correspondent plus ou moins aux posibili tes financieres e t au niveau des parents c'es t sir qu'on ne va pas envoyer un gosse qui vient d'un milieu completement paume a Uccle.

D'apres vous, il vaut mieu x qu'il reste dans son « environnement ».

J'ai deja envoye des enfants, pas au college Saint-Pierre ou dans des ecoles huppees, mais j'envoie des enfants a Saint-Vincent de Paul a Uccle qui es t une tres bonne ecole, d'un bon niveau e t oil on sai t que les enfants son t ecoutes, il y a differentes philosophies dans les ecoles, on essaye que la philosophie de l'ecole colle a l'enfant.

Il y a des ecoles que j'aime bien dans le niveau secondaire, il y des ecoles que j'aime moins, j'aime beaucoup les Filles de Marie a Saint-Gilles, je trouve que les gosses qu'on a envoyes lA-bas ont tres bien evolues.

Je n'aime pas Notre-dame de la rue de Fiennes, pour tant mes enfants y ont e te mais j'enverrais pas les enfants de ce tte ecole-ci, parce qu'ils ne sont pas accep tes a part entiere comme tout enfant est accep te venan t d'ailleurs, parce qu'ils on t leur etiquette du special d'office. Alors que dans d'au tres ecoles on le sai t a l'inscrip tion e t puis apres on n'en parle plus. Ils ont les memes chances que les autres. Ilfautfaire en sorte que nos enfants ne soient pas pointés du doigt parce qu'ils viennent du special, qu'ils aient les memes chances que ceux qui ont

leur CEB en mains e t voila. Il fau t qu'ils puissent avoir un cheminemen t le plus normal possible.

Une directrice nous e xplique comment cela se passe lorsqu'un enfant issus du special n'a pas « rattraps le retard » accumule dans l'ordinaire.

Selon elle, il regresse a tel point que sa debilite legere se transformera en debilite profonde

J'ai toute une famille ici du quar tier, on a eu tous les garcons, les 4 garcons de la famille son t passes par chez nous (ils n'ont qu'une fille ses gens), e t le malheur c'es t qu'apres ils deviennen t type 2 parce que c'es t quelque chose qui regresse plutO t que de rester constant ou de bonifier, cela regresse donc on a des enfants qui deviennent type 2, ce qui veut dire qu'il devienne debile profond quoi. Gentils hein...des amours tous, les 4 garcons, on a jamais eu de problemes de comportemen ts avec ses gosses mais pas futes quoi, pas malins. Alors, en secondaire, au fur e t a mesure de leur croissance (vers l'adolescence), ils se sont vu a ttribuer l'a ttes ta tion type 2. Parce qu'en type 1, en fait, quand ils sont petits, on leur donne toujours un temps d'adap ta tion mais quand ils plafonnent e t qu'ils plafonnent tres vi te, a un niveau de fin de premiere annee primaire, cela veut dire qu'en lecture ils ne comprennen t pas ce qu'ils lisen t, cela veut dire que pour apprendre un metier, ils vont etre limi tes, ils vont peut etre assimiler deux consignes mais quand on arrive dans la vie professionnelle, ils faut pouvoir avoir une memoire a long terme, a court terme, il faut pouvoir adapter ses recherches en ma thema tiques, il faut pouvoir employer la calculette, eux ils savent l'employer quand il s'agi t de faire ++++, - - - ils vont savoir faire, X ils vont savoir faire mais quand ils ont un reel probleme de vie, ils n'arriven t pas a trouver le sens des operations, ils ont beau avoir leur machine a calculer a cO te d'eux ils ne savent pas comment l'employer parce qu'il n'ont pas de demarche.

Y a-t-il une trajectoire type pour les enfants issus de l'enseignement special ?

Pour les types 8 (chez nous), c'es t l'accueil e t puis le general, le technique ou le professionnel, le type 1 ce sera le professionnel e t le type 2, c'es t l'atelier protege. Maintenan t, il faut savoir que les types 1 qui n'ont pas de CEB, n'ont pas acces au chOmage non plus, donc nous on essaye de tirer les enfants vers le hau t e t les mo tiver a avoir le CEB. Le type 8 chez nous ne regoit pas de CEB. Nous ne faisons pas d'annee de main tien (ce qui veu t dire que nous ne gardons pas les enfants dans le cycle primaire jusque 13-14 ans). Nous ne sommes pas pour le maintien. Avec ce systeme, on peu t garder les enfants un an de plus, un simple avis de conseil de classe argumente suff it, ce n'es t pas difficile comme demarche. Apres l'annee de

maintien, on leur donne un CEB, le problime c'est qu'avec un CEB, un enfant va n'importe oil, ilpeut aller dans n'importe quel ecole de n'importe quel niveau, d son libre choix. Or, nous on prefere ne pas les garder jusque 14 ans, les envoyer en accueil e t qu'ils passen t leur CEB en accueil parce qu'alors, ils ont une annee deja en secondaire, ils se familiarisent avec l'ambiance e t les professeurs du secondaire voient un petit peu de quel bois ils se chauffent, voir si ce sont des enfants courageux, si ce sont des enfants volontaires, si ce sont des enfants reguliers, si ce sont des enfants qui ont des familles qui les suivent, voir un tas de fac teurs...Ce qui veut dire que si ils ont le CEB en Jere B (accueil), ils son t deja dans une ecole de secondaire e t peuvent deja avoir une idee de leur future orientation. Nous on trouve qu'il vaut mieux les envoyer en accueil directementplut1t que de leur donner le CEB ici.

Quelle est la fonction de la classe accueil, sert-elle a obtenir le CEB ?

Ils ne regoivent pas le CEB d'office, ils doivent passer des examens e t apres ca s'ils l'on t, ils sentiron t bien d'eux-memes, ils auront deja une idee des options e t ils verront bien s'ils sont fait plut1t pour quelque chose de manuel ou bien s'ils ont vraiment envie de faire du general et nous on les envoie souvent ~ l'ecole X parce que il y a plusieurs options. Pour les filles, il y a la puericul ture, les travaux de bureau, il y a moyen de faire des tas de choses. J'ai meme des gosses dans le general. Il y en parfois qui font d'excellents resul ta ts, ils ont e te tellement drilles chez nous, on les a tellemen t motive a etre regulier e t a etre fidele dans leur travaux a domicile...Parce qu'en secondaire il faut fournir un effort personnel, il faut etre responsable, il faut etre au tonome e t il faut pouvoir se gerer, alors en classe terminale on leur donne vraiment ce goit de gestion et de responsabilite par rapport a leur travail e t ils sont prets. D'ailleurs ont dit de nos enfants quand ils vont dans le secondaire qu'ils sont organises, structures et disciplines, c'es t vrai qu'avec ces trois quali tes la, ils y arriveront. On les force quasiment tous a aller a l'ecole des devoirs en classe terminale, pour avoir un repere, pour avoir quelqu'un qui soi t la pour dire s'ils sont rapides, s'ils son t soigneux...

Soulignons ici les differences de politiques scolaires entre la directrice du reseau Libre que nous venons d'evoquer ci-dessus et les directrices du reseau Officiel qui pratiquent « le maintien » :

Dans quelle filiere sont orientes les enfants qui sortent de l'ecole speciale (du reseau Officiel)?

Il n'y pas de regle generale, nous travaillons au cas par cas, un certain nombre d'enfants son t orientes vers la forme 4 (pour le type 3). Nous gardons les enfants jusqu'd 13 ans dans l'enseignement special pour le faire sor tir il faut ob tenir un document specifique.

Le Certificat d'Etudes de Base (C.E.B) et l'orientation vers le
secondaire

Il ressort de nos entretiens que l'obtention du Certificat d'Etudes de Base (C.E.B) a la fin du cycle primaire de l'enseignement special est determinante. Certaines ecoles ne donnent jamais le C.E.B parce qu'elles estiment que les enfants de cette filiere ne peuvent « etre ladies comme ca dans le secondaire general », qu'ils doivent y entrer en douceur via la classe accueil. D'autres ecoles font passer cet examen a deux ou trois enfants au maximum par an.

Les autres poursuivent dans la filiere speciale.

Plusieurs raisons nous semblent expliquer le fait que peu d'eleves soient orientes vers l'enseignement ordinaire a l'issue de l'enseignement primaire:

1. Une fois que ces enfants sont dans le circuit du special, leur « deficience » ne sera plus jamais remise en cause. Il semble meme que le fait d'avoir evolue dans ce circuit constitue un stigmate indelebile qui determine le devenir social et professionnel de ceu x qui en ont « beneficie ».

2. Ces eleves et leurs familles ont interiorise leur « anormalite » et s'y resignent consciemment ou non. Le verdict scientifique faisant etat de leur « anormalite » va naturellement se transformer en etat « d'inferiorite » qui legitime une place dans la hierarchie socio-economique. Cette interiorisation sera d'autant plus forte lorsque les enfants cumulent des difficultes scolaires, sociales, culturelles et economiques.

3. Les professionnels de l'enseignement special proposent des filieres qui « reproduisent » le milieu socio-culturel des enfants.

La construction ideologique de la debilite legere est indissociable de la remediation preconisee par les chefs d'etablissements selon le milieu social defavorise.

En theorie, donc, le C.E.B. peut etre obtenu sous certaines conditions90 et les ecoles disposent de toute la liberte en la matiere. Sur decision du conseil de classe, un enfant sera juge apte ou non a passer l'e xamen en vue de l'obtention du C.E.B. Dans notre enquete l'ecole du reseau Libre estime qu'il

90 Voir reference legislative: Volume I sur Enseignement Special fondamental et secondaire (Rose) (12/04/2001) (Directives et recommandations pour l'annee scolaire 2001-2002): Circulaire n° 9 (ORG/2001-2002/9) relative a la delivrance du CEB dans l'enseignement special : Au primaire pour tous les types sauf le type 2. En forme 2 et en forme 3: au terme de chaque annee scolaire sur decision du Conseil de Classe. En forme 4: au terme de la 1ere B ou de la 1ere A (cf. enseignement ordinaire) au terme de la 2eme certificat equivalent.

vaut mieu x que « les enfants du special » passent d'abord par la classe accueil, autrement dit la lere B, pour « se familiariser avec les attentes » du secondaire . Dans les ecoles du reseau Officiel se pratique « maintien » ce qui signifie, dans le jargon de l'institution, qu'il faut garder l'enfant dans le cycle primaire jusqu'à ce qu'il obtienne son C.E.B. Ce qui, on l'a vu, est tres rare

Dans le reseau Officiel : Delivrez-vous le CEB ?

Dans la mesure du possible c'est-A-dire si l'enfant rempli certaines conditions. Il fau t que d'une part il ai t un quotient intellec tuel dans la normali te (qui attes te de ses capaci tes pour reussir) e t que d'autre part qu'il ne presen te plus de troubles du compor tement (qu'il soi t stabilise au niveau psychologique e t affec tif).

Cela ne ser t a rien de delivrer un CEB a un enfant alors qu'on sai t per tinemmen t bien qu'il ne s'in tegrera pas dans l'enseignement ordinaire

Ce tte annee sur 134 eleves, nous en preparons deux pour le CEB. La reussi te depend d'eux (...)

Chaque annee, on fait des conseils de classe (avec le PMS e t les collegues de l'ecole qui s'occupe de l'enfant dont on parle). Il y a trois sor tes de conseils: un conseil de classe pour les entrants (informations sur chaque nouvel enfant inscri t), l'enfant est tes te par nos soins, un conseil de classe pour les enfants a problemes qui auraient besoin d'une reorientation e t un conseil de classe pour les sortan ts, la ca depend de l'annee de naissance, soi t on les maintien t encore une annee soi t ils sor tent (exemple ce tte annee pour les 89I90, les 89 sont obliga toirement sor tants e t les 90 peuvent beneficier d'un main tien)

Que se passe t-il pour les sortants ?

Soi t ils ob tiennent le CEB, c'es t assez rare il y en au grand maximum trois par an, l'année passée ily en a eu un. Ce CEB a la meme valeur que dans l'ordinaire, l'enfant va en premiere A, le fait qu'il vienne du special n'est pas note sur le CEB e t heureusement parce que c'es t assez pejora tif (...) On ne leur donne pas en cadeau le CEB, c'es t a double tranchan t parce que si l'enfan t n'a pas le niveau pedagogique, il revient dans l'enseignement special. (...) Les enfants qui n'ob tiennen t pas le CEB e t ont quand meme un niveau de 4 &me primaire de l'enseignement ordinaire vont en classe accueil pour qu'~ la fin de l'annee ils ob tiennent leur CEB en classe accueil, premiere B. Les cas malheureux son t les enfants qui n'ont pas le niveau mais doivent sor tir de l'enseignemen t special primaire, alors là ils sont orientes en type 1 dans le secondaire special. LA c'es t clair qu'ils sont debiles legers. Quand on es t debile, on est debile a vie, ce n'es t pas la peine de leur me ttre le Vif l'Express dans les mains ou des livres d'au teurs. Le but alors c'es t de faire en sor te qu'il soi t independant.

Dans le reseau Libre :

Au niveau de la delivrance du CEB, vous etes libre alors?

Oui, on pourrai t donner des CEB a tout le monde, j'ai deja perdu des inscriptions comme ca hein, mais quand j'explique les choses les gens qui ont un peu de recul comprennen t. Evidemment si on veut absolument ce CEB comme le gadget dans la boite surprise, ldje dis non, je veux bien delivrer la chique et le ballon maisfautpas exagerer! (...) Le CEB n'es t pas au toma tique (...)

Nous ne delivrons pas de CEB.

Le CEB donne acces a tout enseignement secondaire e t nous pensons que pour les lives qui viennent de l'enseignement special, il est dangereux d'avoir acces d n'importe quelle filiire. C'es t pourquoi ils son t majoritairement orien tes vers les classes accueils, ainsi ils son t confron tes aux exigences du secondaire e t pourron t choisir en connaissance de cause leur future orientation (...)C'es t tres facile de donner un CEB, cela se fait sur base d'un conseil de classe mais on trouve que ce n'es t pas honnete par rapport aux gosses. C'es t une caro tte, mais une caro tte qui est tres dangereuse e t il ne fau t pas oublier que ces gosses reviennent deja d'un passe chao tique donc ils ne fau t pas qu'ils re tournen t n'impor te oil, ils ont e te proteges dans le special primaire e t ce tte annee d'accueil est bonne pour eux, ce tte une annee intermediaire entre le moment oil ils ont e te chouchoutes e t un moment oil ils von t devoir voler de leurs propres ailes. Ce tte annee la leur fait un grand bien. Ca c'es t une poli tique d'ecole, chaque ecole a sa poli tique.

Que font ces enfants s'ils n'obtiennent pas de qualifications durant leurs etudes humanitaires (primaire et secondaire) ?

Ils travaillent sans passer par le chomage, il y en a beaucoup qui ne passen t pas par la chomage (...)Ca depend de leur bagou, de leurs envies aussi, je connais plein d'eleves de chez nous qui n'on t jamais chomes, ca depend de leur motivation.

Lorsqu'on n'a pas obtenu son CEB, on n'a donc pas acces au statut de demandeur d'emplois ni aux indemnites de chomage ?

Normalemen t non, alors il y a moyen d'avoir des indemni tes, des pensions d'handicapes, en passant par le fond de reclassement des handicapes mais alors là on a une etiquette dans le dos. Bon que les types 1 faibles ou les types 2 en arriven t là, c'es t normal, c'es t leur droi t e t c'es t un devoir de socie te de les aider mais qu'un type 8 passe par là ce serai t quand meme ridicule. Nous on espere toujours qu'ils ne doivent pas en arriver là pour ne pas qu'ils aien t ce tte e tique tte-lA, maintenant il y en a qui vivent heureux avec le fond du reclassemen t pour handicapes, il y en a a qui ca convien t mais bon, c'es t vrai que nous essayons de faire en sor te qu'ils puissent se debrouiller par eux-memes.

CONCLUSION

L'enseignement special destine aux « debiles legers » se presente aux familles comme une remediation aux retards scolaires. Les echecs scolaires y sont interpretes comme les signes d'une deficience intellectuelle a laquelle l'enseignement va remedier en s'adaptant a cet handicap.

Le verdict scientifique verbalise dans l'attestation du centre psycho-medicosocial (PMS) qui contient le diagnostic du « type d'anormalite » dont souffre l'enfant detient le pouvoir de sceller son destin scolaire, et donc social, des l'age de 8-9 ans. Lorsque l'objectif de remediation n'est pas atteint, et c'est generalement le cas, l'echec sera egalement impute aux deficiences psychologiques -- intellectuelles ou caracterielles -- de l'enfant.

Les criteres qui president a l'orientation vers l'enseignement special sont, a peu de choses pres, ceux qui ont ete etablis au debut du 20eme siecle par ses fondateurs, notamment Alfred BINET et Theodore SIMON.

Ils voyaient le resultat d'une deficience intellectuelle dans le retard scolaire et/ou l'indiscipline a l'ecole. L'institution de l'ecole obligatoire, en donnant acces a l'ecole aux enfants des couches les plus populaires de la societe avait revele qu'un grand nombre d'enfants etaient incapables de suivre l'enseignement qui leur etait dispense.

L'interpretation, par ces auteurs, de l'echec scolaire dans une perspective pathologique en termes d'anormalite aura une importance considerable sur les developpements ulterieurs des classes pour « anormau x d'ecole ».

Les distinctions terminologiques et les classifications qui en decoulent se retrouvent aujourd'hui encore, a quelques « modernisations » pres, dans le discours des professionnels de l'enseignement special.

Les problematiques inherentes a la classification en termes d' « anormaux d'ecole » fondent toujours l'enseignement special. Les directrices d'ecoles revelent, selon nous, la nature ideologique de la notion de debilite legere. C'est en termes medico-psychologiques qu'elles justifient et fondent le processus de remediation. L'influence du milieu social sur l'orientation vers cette filiere est integree dans cette pespective. Il y aurait, selon les directrices, de « meilleurs types », autrement dit des enfants ayant un quotient intellectuel plus eleve, dans les ecoles des quartiers aises. De plus, dans ces milieux les enfants recoivent plus d'attention en ce qui concerne leur scolarite.

Ce qui e xpliquerait, selon elles, que les remediations des quartiers aises soient differentes et correspondent aux « possibilités financieres et aux niveaux » des familles.

La notion de debilite legere mise en question dans ce travail comprend les types 1, 3 et 8 mais nous avons accorde une attention particuliere au type 8 parce qu'il s'est avere etre un bon indicateur du fonctionnement effectif de l'enseignement special en matiere de remediation.

Alors que les autres types de « debiles legers » sont orientes, en secondaire, dans la continuite de cette filiere. Les enfants categorises type 8 a l'intelligence « normale », sont senses « reintegrer l'enseignement ordinaire, soit en cours de scolarite primaire, soit a l'entree du secondaire91 » car il n'existe pas, au niveau du secondaire, d'enseignement special qui leur soit destine.

Le cas de ces enfants nous parait particulierement revelateur des mecanismes de relegation. De maniere presque generale, le Certificat d'Etude de Base (C.E.B) ne leur est pas accorde ce qui les relegue, en definitive, vers l'enseignement professionnel. Or, « en realite, le professionnel remplit le role d'instance scolaire ultime de relegation pour le general et le technique. On observe de plus cette meme permanence dans la faible proportion de diplomes par rapport aux nombres d'inscrits au debut du cycle92 ». Cela revient a « produire » -- au niveau social a « reproduire » -- des candidats au sous-emploi

La conclusion de Mateo ALALUF s'applique parfaitement a nos constatations sur l'inscription economique des debouches de la filiere d'enseignement special : « la frequentation de l'ecole professionnelle permet aux eleves d'acquerir des savoir-faire utilisables pour l'industrie, alors que l'absence de certificat rend les demandeurs d'emploi moins exigeants et plus vulnerable sur le marche de l'emploi. Si bien que l'on peut considerer comme rationnel par rapport a son environnement economique, un systeme d'enseignement professionnel dont la fonction consisterait aussi, en raison du grand nombre d'echecs scolaires, a produire des savoir-faire non reconnus socialement, parce que non certifies officiellement. Ces formations produiront alors des travailleurs utilisables a bas salaires93 ». Bref, les « anormaux d'ecole » deviennent des « anormau x d'emplois ».

En meme temps que l'entree en remediation, l'institution scolaire nous parait imposer aux membres des classes populaires, une perception d'euxmemes comme anormaux. Par l'utilisation d'un langage medicopsychologique l'ecole donne, en quelques sortes, aux remediations qu'elle impose, satut et force de prescription medicale. Il est par consequent extremement difficile aux familles populaires de mettre en question les

91Prospectus de presentation d'une des ecoles oil nous avons enquête

92 ALALUF M., Le temps du labeur. Formation, emploi et qualification en sociologie du travail , Institut de Sociologie, Sociologie du travail et des organisations, Editions de l'Universite Libre de Bruxelles, 1986, p.94

93 ALALUF M., op.cit., p.94

decisions des « experts du champ de l'enfance inadaptee ». Completement demunies face au verdict de la Science, elles l'acceptent et finissent par l'interioriser comme une confirmation de leur « inferiorite » et de leur « anormalite ».

L'anormalite conferee aux « mauvais eleves » les cantonne dans des structures de prise en charge des « malades » qu'ils sont devenus.

Leur origine sociale a ete transformee en deficience psycho-pathologique. Cette transformation constitue un plantureu x fond de commerce pour ceux qui, en vertu de leur « intelligence superieure », sont habilites a les soigner et a leurs « administrer la discipline industrielle94 »

BIBLIOGRAPHIE
Contexte social et idéolo gique de la naissance de l'ensei gnement spécial

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote