L'ENSEIGNEMENT SPECIAL, DES « ANORMAUX D'ECOLE
» AUX « ANORMAUX D'EMPLOI ».
INTRODUCTION GENERALE
L'enseignement special est presente par les
specialistes et acteurs de terrain (enseignants, directeurs d'ecoles et
psychologues) comme une structure composee de petites classes permettant une
meilleure prise en charge des enfants dits en difficulte scolaire. Certains
enfants, qui au debut de leur parcours scolaire, n'atteignent pas le niveau
exige, sont orientes vers cette filiere. Theoriquement, il s'agit de donner la
possibilite a ces enfants de
« se remettre a niveau », de « rattraper
leur retard » afin de reintegrer l'enseignement general a la fin de
l'enseignement primaire.
Les parents ne desirent pas, au depart, inscrire leur(s)
enfant(s)1 dans ce type d'enseignement perçu comme une ecole
pour «handicapes mentaux ».
Les professionnels de l'enseignement special les
rassurent par l'explication des objectifs de cette filiere et surtout par
l'assurance que leur(s) enfant(s), grace a une meilleure prise en charge,
pourra rejoindre l'enseignement general et avoir les memes chances que les
autres d'acceder a une formation qui mene a un metier.
Pourtant des recherches ont mis en evidence les
incoherences du discours scientifique par rapport aux « anormau x d'ecole
», les aberrations des tests de depistage des « deficients legers
» et surtout la difficulte de cerner la notion « d'inadaptation
scolaire ». Tantot type 1 (arrieration mentale legere ), tant+t type 3
(troubles caracteriels, troubles de la personnalite) ou encore type 8 (troubles
instrumentau x), c'est a l'issue d'un test multidisciplinaire que ces enfants
obtiendront l'attestation qui determinera leur type de handicap intellectuel et
leur type de carriere scolaire et professionnelle.
L'emergence du phenomene de l'enfance
intellectuellement deficiente est liee a l'instauration de la scolarite
obligatoire, ayant revele la presence dans le milieu scolaire d'un certain
nombre d'eleves qui « suivent » pas.
1 Certaines familles de
milieux populaires comptent parfois plusieurs de leurs enfants dans cette
filiere.
Cette epoque, a la charniere du 19eme
siecle et du 20eme siecle, est egalement une periode de mutations
economiques, la naissance de « la grande entreprise » rendant urgente
la connaissance de techniques et la formation de travailleurs. Elle offre a
l'analyse une masse considerable de documents oil les fonctions sociales des
institutions s'e xpriment sans ambages. La science et la morale sont
indissociables dans une perspective qui fait de la« Grande Entreprise
» l'incarnation du progres. Du besoin de creer « une filiere a part
» pour les « anormaux d'ecoles », autrement dit les debiles
legers « educables », va naitre le projet de l'enseignement
special.
Ce projet va prendre de l'ampleur parce qu'il est
intimement lie a la conception de l'epoque selon laquelle les pauvres ne sont
plus ces indigents a qui il faut offrir la charite mais des personnes qu'il
faut eduquer, civiliser et surtout contrOler pour eviter qu'ils soient
nuisibles a la societe.
L'institution de l'obligation scolaire, en donnant
acces a l'ecole aux couches les plus defavorisees de la societe, qui reveler
une « espece d'ecolier » qui ne profitent pas de l'enseignement qui
est dispense dans les classes primaires. Dans les ecoles, les instituteurs,
habitues a un public homogene, sont confrontes a des enfants qui sont «
refractaires au regime scolaire ordinaire », dont nombre d'entre eu x ont,
a leurs yeu x, herites de l' « amoralite » du milieu duquel ils sont
issus. Afin de regler ce probleme et de ne pas « contaminer » les
eleves de « bonne famille », ils font appel aux pouvoirs publics,
qui, a leur tour, font appel a des specialistes dont la figure emblematique est
Alfred BINET (voire encadre sur l'importance de l'ceuvre d'Alfred BINET p.
14).
Alfred BINET et son collaborateur Theodore SIMON vont
voir l'echec scolaire comme un symptOme de deficience intellectuelle et les
enfants comme le contingent dans lequel pourront etre recrutes les «
anormaux d'ecoles » necessitant un enseignement specialise. Leur travail
marquera les developpements ulterieurs de l'enseignement special et deviendra
une reference en la matiere.
Dans un contexte oil le contrOle social est la
priorite des pouvoirs publics, Alfred BINET apparait comme un progressiste car
malgre le conservatisme de ses contemporains, il prone l'educabilite de ceu x
qu'il qualifie d' « anormau x d'ecole ». Ce n'est pourtant que
cinquante ans plus tard, apres l'e xplosion scolaire qui suit la fin de la deu
xieme guerre mondiale, que ses conceptions seront finalement mises en
pratique.
aujourd'hui. Les echecs scolaires tendent encore a etre
systematiquement interpretes comme des symptomes de perturbations
psychologiques.
Sous le couvert d'une « neutralite scientifique
», l'arsenal medico- psychologique contribue a
occulter l'origine sociale des enfants orientes vers l'enseignement
special.
Cette recherche se propose de mettre en relations les
discours fondateurs des classes pour « anormaux d'ecole » et ceux des
professionnels de l'enseignement special aujourd'hui afin de nous interroger
sur les fondements ideologiques de la notion de debilite legere.
Nous nous interrogerons sur les criteres qui president a
l'orientation des enfants vers l'enseignement special.
L'evaluation de la gravite d'une inadaptation revelee
par le milieu scolaire est pleine d'ambiguites, d'autant plus que la plus
grande partie de l'enseignement special est constitue d'enfants dits «
debiles legers » -- deficients intellectuels, caracteriels et troubles
instrumentaux -- a l'intelligence dite normale.
Nous nous efforcerons de repondre aux questions suivantes
:
Quelles significations donne t-on a l'inadaptation
scolaire ? Sur quelles bases ces enfants sont-ils catégorisés
"débiles légers"? Quelles pratiques met-on en ceuvre pour
remédier a ces "inadaptations scolaires" ? L'enseignement spécial
correspond t-il a leurs besoins ou renforce t-il la discrimination dont ils ont
déjà été l'objet dans l'enseignement ordinaire? Cet
enseignement va t-il permettre a ces « inadaptés » de «
rattraper leur retard » pour réintégrer l'enseignement
général et avoir les memes chances que d'autres d'accéder
a un métier? Quelles sont les procédures de décisions ?
Quelle est la marge de manceuvre des parents? Quelle est le devenir de ces
enfants?
PRESENTATION DE LA DEMARCHE
L'enquete a debute alors que nous participions a un
projet de recherche sur le parcours scolaire des enfants issus des quartiers
populaires a l'initiative de l'INSTITUT DE LA VIE. Une des activites de cette
association concernait les populations defavorisees, et plus particulierement
les meres et leurs enfants, dans une perspective de lutte contre l'e xclusion
sociale.
Le Centre d'accueil2de cette association,
cadre convivial a l'image des Maisons Vertes de Francoise Dolto, est situe dans
un quartier dit « difficile » de l'agglomeration bruxelloise et les
femmes qui le frequentent habitent le quartier et sont en grande partie issues
de l'immigration turque et marocaine. Ce lieu propose une rencontre et un
partage d'e xperiences de femmes, autour d'interets communs et un espace oil
les enfants, en bas age, peuvent jouer avec d'autres sous les regards de leurs
meres.
L'appropriation du lieu par les femmes et les enfants
ainsi que la longue presence sur le terrain d'une des animatrices, avaient
reussi a creer un climat de confiance. Le parcours scolaire des enfants s'est
revele etre une des preoccupations majeures de ces femmes qui, pour la plupart
d'entre elles, connaissent peu le fonctionnement du systeme scolaire, ses
differentes filieres et ses debouches. Rapidement, nous nous sommes heurtes a
la problematique de l'enseignement special. Notre etonnement fut grand lorsque
plusieurs femmes evoquerent leur desarroi face a la precocite de l'orientation
de leurs enfants (en Pre ou 2eme primaires) vers une
filiere d'obedience medicopsychologique, l'enseignement special.
Suite a plusieurs entretiens avec des meres d'enfants
inscrits dans cette filiere, nous avons tente de cerner sa problematique en
interrogeant des directrices d'ecoles speciales3 afin d'une part de
lui donner plus de transparence et d'autre part de repondre aux interrogations
de ces femmes.
2 Nous en profitons ici pour
remercier toutes les femmes qui frequentaient le Centre, sans lesquelles nous
n'aurions peut-être jamais eu connaissance de cette problematique et avec
lesquelles nous avons eu des echanges chaleureu x et riches d'un savoir qui ne
s'apprend pas dans les livres. Sans oublier d'autres femmes de caractere, les
membres de l'INSTITUT DE LA VIE qui nous ont permis de realiser ces entretiens
: Fanny Gashugi, Oumnya Salhy, et Sarah Deutsch (Secretaire Generale de
l'IV).
3 Notons ici que le projet de
recherche-action depose, nous savions qu'il s'ecoulerait un certain laps de
temps avant l'obtention d'une reponse. Nous avons decide de continuer nos
investigations en dehors des activites de l'association.
La realisation d'un memoire tombait a point
nomme.
Nous avons circonscrit notre enquete aux ecoles
speciales accueillant les enfants consideres comme debiles legers d'une commune
de l'agglomeration bru xelloise4. Ces ecoles sont au nombre de
trois. L'une accueillant les enfants de type 1 (arrieration mentale legere) et
3 (troubles caracteriels, troubles de la personnalite) et les deux autres les
enfants de type 1 et de type 8 (troubles instrumentau x) ; l'une de ces deux
ecoles faisant partie du reseau Libre et l'autre du reseau
Officiel.
L'enquete concerne la debilite legere dans laquelle
s'inscrit les trois types que nous venons d'evoquer et qui se distinguent, dans
la classification de l'enseignement special, par leurs recours au quotient
intellectuel.
Les autres « types » sont constitues
d'enfants diagnostiques avant leur entree a l'ecole et dont les donnees d'ordre
medicales attestent d'un handicap, mental ou physique, d'une gravite telle
qu'ils necessitent une structure d'apprentissage
adaptee5.
Nous avons accorde une importance particuliere aux
enfants de type 8 car, pour ces derniers, la legislation n'organise pas
d'enseignement secondaire. Leur intelligence etant consideree comme «
normale », ils sont senses reintegrer l'enseignement general soit en cours
de cycle primaire, soit a l'entree des etudes secondaires.
La premiere partie de ce travail, « Aux fondements
de l'enseignement special : les anormaux d'école », ebauche le
conte xte ideologique de la naissance de la filiere d'enseignement special. La
deuxieme partie, « Des méres confrontees a l'enseignement special
», est consacree a l'analyse d'un entretien effectue aupres d'une des
femmes dont quatre des cinq enfants ont ete orientes vers l'enseignement
special. Ce temoignage nous a paru particulierement representatif des
inquietudes des meres face a l'enseignement special.
Et enfin, la troisieme partie, « Le discours de
l'enseignement special » vise a repondre aux interrogations des familles
concernant l'organisation, les conditions de l'orientation, les structures et
les remediations proposees par cette filiere et leurs effets.
4 Pour des raisons ethiques,
nous avons eviter de nommer la commune afin que l'identite des directrices
ainsi que celle des familles restent dans l'anonymat
5 Il s'agit des aveugles,
sourds-muets, enfants hospitalises et handicapes physiques et egalement des
handicapes mentau x severes.
1. AUX FONDEMENTS DE L'ENSEIGNEMENT SPECIAL : <<
LES ANORMAUX D'ECOLE >>
INTRODUCTION
Fin du 19eme siecle, la scolarisation
progresse lentement mais regulierement, elle n'est encore ni obligatoire ni
gratuite. Les classes dominantes ont le monopole de la scolarite. Les classes
populaires se distinguent alors non seulement par leur analphabetisme mais
egalement par leur mode de relations entre enfants et adultes caracterise par
le rapport au monde du travail : « Le travail des enfants (pendant la
premiere moitie du 19eme siecle) a maintenu ce caractere de la
societe medievale : la precocite du passage chez les adultes. C'est toute la
couleur de la vie qui a ete changee par les differences du traitement scolaire
de l'enfant bourgeois ou populaire.6 >>
Deux mondes de l'enfance se distinguent, dans l'un, le
modele bourgeois, la prise en charge par l'ecole joue un role preponderant dans
la socialisation, dans l'autre, evaluee selon les criteres de la classe
dominante, la socialisation des enfants ne reunit aucuns des criteres
permettant d'assurer de sa qualite. A l'instar de l'enseignement dans les
colonies, il s'agit en intervenant sur l'education des enfants de «
civiliser les classes populaires, les faire acceder au minimum d'instruction
necessaire, les faire sortir de leur condition miserable et de l'amoralite de
leur milieu d'origine >>7.
En Europe, et surtout dans les grandes villes, la
situation e xplique aisement ces preoccupations. La proletarisation s'accorde
mal avec la reproduction des liens traditionnels : « A Paris, le taux de
nuptialite ne suit pas l'expansion demographique provoque par l'afflux de
jeunes migrants venus des campagnes. "L'illegitimite" et le concubinage, formes
frequentes de rapports entre sexes dans le proletariat, s'opposent au modele
bourgeois de la famille centre sur la legitimite et la stabilite du noyau
parental. Et si, progressivement une partie des ouvriers stabilise sa situation
sociale, adopte un mode de vie plus conforme aux normes
bourgeoises,
6 ARIES PH., L'Enfant et la
Famille sous l'Ancien Regime cite par PINELL P. ET
ZAFIROPOULOS M., Lin siècle d'echecs scolaires
(1882-1982) , Collection politique sociale, Les editions ouvrieres, Paris,
1983, p.23.
7 PINELL P. ET ZAFIROPOULOS
M., op. cit., p.23.
chaque temps fort du developpement industriel amene son
contingent de proletaires "deracines"8»
Ce n'est pas un hasard si les fondements de
l'enseignement special emergent precisement a cette epoque. L'ecole ne peut
legitimer la selection qu'elle opere qu'en faisant appel a un autre systeme de
classement, le medicopsychologique:
«L'ecole ne peut demeurer "ecole pour tous" qu'au
prix de ne pas etre l'ecole de tous. Dans la societe de l'epoque, il apparait
rapidement que, lorsque l'egalite devant l'ecole, c'est-a-dire devant
l'instruction, qui se donne pour la verite de l'ecole, est confrontee dans la
pratique institutionnelle a la realite socio-economique de la misere la plus
grande -- celle qui se voit dans les corps et s'entend dans la pauvrete du
langage -- elle ne peut demeurer verite qu'a la condition de classer selon la
logique d'un autre systeme (medico-psychologique) ceux qu'elle ne peut
tolerer9. »
L'institution de l'obligation scolaire, en donnant
acces a l'ecole aux couches les plus defavorises de la societe, transforme les
inegalites sociales en inegalites scolaires, inherentes a l'acquisition de
connaissances par l'apprentissage cumulatif. L'enseignement special
medicalisant l'echec scolaire grace a un dispositif medico-pedagogique, en
proposant d'y remedier, a transforme ces inegalites scolaires en inegalites de
nature operant une pathologisation de l'echec scolaire.
La scolarite devenue obligatoire et le conte xte dans
lequel s'insere cette obligation mettent en evidence les facteurs qui ont
favorise l'emergence de l'enseignement special. L'ecole va y etre envisagee
comme un bon outil de controle social susceptible d'adapter les couches
populaires a la societe. La « grande entreprise » naissante commence
a formuler les imperatifs du systeme de production economique et a dicter ses
besoins auxquels vont devoir s'adapter les futurs e xecutants. « Desormais
civilises, les futurs travailleurs pourront sans risque vivre en
ville-° »
L'analyse socio-historique de l'enseignement special
met en evidence les mecanismes ideologiques qui sous-tendent les filieres
scolaires et determinent l'orientation professionnelle. Ces mecanismes
ideologiques repondent aux imperatifs du systeme de production caracterise par
la division du travail comme l'e xprime Mateo ALALUF «La primaute des
tendances individuelles qui caracterisent les dispositifs d'orientation cache
en realite sa dependance aux exigences
8 PINELL P. ET ZAFIROPOULOS
M., op.cit p.24.
9 MUEL F., « L'ecole
obligatoire et l'invention de l'enfance anormale » in Actes de la
recherche en sciences sociales, 1, janvier 1975, p.69
10 MUEL F., op. cit.,
p.74.
economiques, elles-memes etant determinees par des
logiques mises en cruvre par les groupes dirigeants (...) Les inegalites
reposent en consequences aussi bien sur la division de la societe en classes
que sur le systeme scolaire qui conduit a l'assignation d'une position
particuliere, suivant le niveau et le type d'enseignement, pour l'entree dans
la vie professionnelle. C'est precisement la division du travail qui en
definissant la demande sociale de main d'cruvre eduquee, ordonne aussi bien les
categories qui organiseront la selection que les tris dont seront l'objet les
jeunes11. »
L'enseignement special destine aux « debiles
legers » se presente aujourd'hui comme une structure de « rattrapage
» et preconise de « diagnostiquer » de maniere precoce les
enfants susceptibles d'être consideres comme deficients intellectuels
afin de remedier a l'echec scolaire.
En consequence, l'orientation scolaire etant d'autant
plus determinante qu'elle est precoce, la detection sur base d'un diagnostic
psycho-medico-social fige l'enfant caracterise de debile leger dans son statut
d'anormal.
Cette stigmatisation est renforcee par le fait que ce
ne sont pas n'importe quels enfants qui sont orientes vers cette filiere comme
semble le faire croire la neutralite scientifique attribuee aux tests de
depistage. Ces enfants sont, comme a l'epoque des fondements de l'enseignement
special, en majorite issus des milieux defavorises.
11 ALALUF M., « Fonction
graphique, orientation professionnelle et qualification du travail :
comportements individuels et structures sociales dans l'cruvre de Pierre
Naville » in L'orientation scolaire et professionnelle, 1997, 26,
n°2, p.252.
1.1 ORDRE MORAL ET CONTROLE SOCIAL
En cette fin de 19eme siecle, la Commune de
Paris n'est pas tres loin, cette periode de lendemain de cataclysme a
l'avantage de presenter une masse de documents ecrits oil la lutte des classes
s'e xprime sans ambages et oil l'ideologie scientifique ne masque pas encore
les fonctions sociales des institutions : « Les écrits portant sur
le thème de "l'enfance anormale" parus approximativement entre 1890 et
1910 offrent un ensemble de discours que l'on peut appréhender au niveau
des mots utilisés (sens banal et usage scientifique), des images
retenues (métaphores, etc.) et des thèmes insistants, comme
autant d'expressions de fantasmes sociaux (le crime, la propreté, la
rue, l'ordre, etc.), échos du cataclysme social qu'a
représenté pour la classe dominante, la Commune de
Paris1; » L'apparition de nombreuses institutions d'encadrement
ideologiques temoigne de cette volonte de lutter contre le desordre, desordre
des mceurs, desordre des corps, desordre des esprits13 : « Les
esprits ont besoin hélas d'hygiénistes et de médecins
comme les corps. Quelles belles batailles il y a livrer contre les maladies des
esprits ! Que de préjugés a combattre ou a détruire !
C'est le préjugé qui pousse certains ouvriers a voir dans tous
les patrons des égoistes, comme certains patrons a voir dans les
ouvriers des mécontents (...) L'autorité intérieure doit
avoir le pas sur l'autorité extérieure14.
»
Ces institutions15 (associations, ligues,
comites, societes de patronage, etc.) visent a façonner au nom de la
« prevoyance sociale » des individus dont le comportement doit
dorenavant etre previsible16.
Le mouvement en faveur de l'enfance anormale est
integre dans le mouvement plus global de « prevoyance sociale »
visant a proteger « l'enfance en danger » : l'hygiene contre le lait
pollue, la morale, la rue polluante, le patronage contre la faiblesse parentale
et la delinquance.
Toutes ces initiatives temoignent d'une volonte de
remplacer le concept de charite par celui de prevoyance, il ne s'agit plus
d'apporter de l'aide a un indigent sans ressources mais de le rendre a meme de
se suffire a lui-meme
12 MUEL F., op. cit.
p.66.
13 FOUCAULT M., «
Surveiller et punir », Gallimard, Paris, 1975.
14 Leon Bourgeois cite par
MUEL F., op.cit p. 62. Leon Bourgeois est president de la commission de 1904
sur les classes speciales et il apparait comme un representant e xemplaire de
la classe politique de l'epoque. C'est egalement lui qui a preface le rapport
de la Commission redige par BINET et SIMON publie sous la forme d'un guide
d'admission des enfants anormau x dans les classes de
perfectionnement.
15 Quelques e xemples de ces Societes (françaises)
d'education sociale : Societe des parents educateurs, Societe d'encouragement
au bien, Societe de propagande coloniale, Alliance d'hygiene sociale, Union
française antialcoolique, Ligue française de la moralite publique
et aussi la fameuse Societe pour l'Etude Psychologique de l'Enfant d'Alfred
BINET.
16 MUEL F., op. cit.,
p.62
« Dans les ateliers on installe des appareils
préventifs qui défendent l'ouvrier contre les accidents du
travail et le mettent a l'abri de sa propre imprudence; il doit en etre de meme
pour les maladies, l'alcoolisme 17». La prevoyance sociale,
c'est aussi la rationalisation et, l'ouvrier ideal est celui qui se controle
lui-meme.
Dans cette periode de mutation, l'instauration de
l'enseignement primaire obligatoire et gratuit permettra d'une part de former
une main d'ceuvre qualifiee designee par les caracteristiques de la main
d'ceuvre dont les usines ont besoin et d'autre part d'assurer une fonction
civilisatrice « La volonté de généraliser
l'instruction en la rendant obligatoire répond a un double souci :
assurer le minimum vital culturel nécessaire a la formation
d'élèves destinés a devenir les futurs ouvriers et paysans
de la nation ; assurer une fonction civilisatrice en harmonisant les
règles de conduite et de comportement des enfants du "peuple" avec les
références morales d'un idéal culturel supérieur
inaccessible en tant que tel aux élèves18.
»
Le reperage des anormau x est associe a ce mouvement
civilisateur dans le sens d'une garantie contre les risques imprevus a venir
« En donnant a la société du Patronage de l'enfance, vous
faites une bonne affaire et un bon placement en meme temps qu'un acte de
charité. Vous payez en quelque sorte une prime d'assurance contre le
vol19. ». Alfred BINET e xplique pourquoi le reperage des
enfants anormau x doit faire partie des priorites de l'education, il met en
garde contre un futur danger social que representent les « moins
fortunés » alias les pauvres: « La généreuse
philanthropie des siècles précédents nous parait etre
aujourd'hui quelque peu démodée, et nous substituons a cette
vertu de luxe l'idée autrement féconde que nous sommes tous
contraints, par un véritable devoir, a nous occuper du sort
réservé a nos concitoyens (...) en particulier a ceux qui sont le
moins fortunés. Ce devoir ne repose pas seulement sur les exigences d'un
sentiment d'humanité ; il est dicté également par notre
intéret personnel le plus pressant, car si, dans un certain
délai, il n'était pas donné satisfaction a ce qu'ont de
légitime les revendications des neuf dixièmes de la
société, qui aujourd'hui travaillent pour des salaires peu en
harmonie avec leurs efforts et leurs besoins, on entrevoit déjà
qu'une révolution violente, oet ceux qui possèdent n'auraient pas
grand'chose a gagner, bouleverserait de fond en comble l'organisation actuelle
de la Société20. »
17 Discours de Casimir Perier au Congres de prevention
sociale, Milan, 1906 cite par MUEL F., op.cit p.63.
18 PINEL P., «
L'invention de l'échelle métrique de l'intelligence » in
Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1995, juin, p.27
19 L'enfant, 1891 cite par
MUEL F., op.cit., p.66
20 BINET S. Et SIMON T., Les
enfants anormaux. Guide pour l'admission des enfants anormaux dans les classes
de Perfectionnement, 6e Edition 1934 (Ed. originale 1904), p.1 et
2.
Les premieres enquetes de la Societe Libre pour
l'Etude Psychologique de l'Enfant (la SLEPE, pour plus de details voire encadre
sur l'importance de l'oeuvre d'Alfred BINET p. 14) illustrent bien ce besoin de
discipliner les corps et les esprits pour faire regner l'ordre social. Ces
travau x scientifiques visent a mesurer la moralite des familles21,
en occultant la question de l'appartenance de classe.
C'est a travers les themes de predilection de l'epoque
comme l'alcoolisme, la syphilis et la tuberculose des parents, responsables de
la degenerescence des enfants, que l'on assiste a la condamnation d'un style de
vie. De meme, les familles qui ne ressemblaient pas au modele de la famille
bourgeoise se sont vues caracterisees par la notion de « famille anormale
» ainsi que l'e xprime le Dr Henri THULIE qui preconise des maisons
d'orthopedie mentale afin de « redresser les degeneres » mentalement
et moralement : « Ces petits malheureux ramasses dans les rues, sous les
ponts, arretes pour vagabondage et quelquefois pour un delit plus grave,
arraches a leur famille corrompue, les elevant dans le vice et le crime,
devaient dans ma pensee, etre pour la plupart des detraques soit par les
habitudes prises, soit par leur triste education, soit par
heredite22. »
L'ecole primaire laïque se montre determinee a
presenter une image propre et saine vis-à-vis de l'opinion publique dans
sa competition avec l'ecole primaire religieuse. L'objectif est d'eviter la
fuite des enfants de « bonne famille » a cause de l'hesitation des
parents a confier leurs enfants a l'ecole publique par peur de la «
promiscuite » et de la « contagion ».
Dans cet ordre d'idees circule a l'epoque un projet
qui vise a creer une « ecole annexe » et prevoit « d'isoler les
enfants les plus propres de la classe primaire afin qu'ils ne soient pas
contaminés par les manieres, le langage et les parasites des "apaches".
C'est en un certain sens l'homologue de l'école des classes de
perfectionnement mais a l'autre bout de l'echelle23.
»
Une quinzaine d'annees -- apres la loi sur
l'obligation scolaire en France (1883) -- aura suffit a l'ecole primaire pour
produire les « dechets » dont l'exclusion constituera l'elaboration
d'un nouvel appareil ideologique, le medicopedagogique. En Belgique la loi sur
l'obligation scolaire mettra plus de temps a apparaitre. Votee en 1914 sa
promulguation sera retardee par la premiere guerre mondiale jusqu' en
1918.
21 Les premiers travau x de la Societe libre pour l'Etude
de la Psychologie de l'Enfant (la SLEPE) traitent du mensonge.
22 Dr THULIE H., « Le
dressage des jeunes dégénérés ou
orthophrénopédie », Felix Alcan, Paris, 1900,
p.6
23 MUEL F., op.cit.,
p.69
L'IMPORTANCE DE L'CEUVRE D'ALFRED BINET
Alfred BINET, psycholo gue, est membre actif de la
Societe Libre pour l'Etude Psycholo gique de l'Enfant (La SLEPE) fondee en
1899. Il en devient le President en 1902 et va etre, a ce titre, associe a la
mise en place, dans le cadre de l'ecole primaire, d'un ensei gnement specialise
destine aux anormaux. Une Commission interministerielle est chargee en 1904 de
mener des etudes sur les enfants qui reussissent mal dans les classes normales
et fait appel a son experience en la matiere. Avec Theodore SIMON, son eleve,
il fait des recherches a l'ecole de la Salpetriere et dans les ecoles du
deuxieme et dixieme arrondissement de Paris. Le but de ces etudes est
l'organisation des ecoles pour anormaux et surtout la recherche d'une methode
scientifique visant a reperer les futurs beneficiaires. Il va elaborer un test
permettant d' « etablir le diagnostic des etats inferieurs de
l'intelligence » et propose une methode nouvelle pour
« le diagnostic du niveau intellectuel des anormaux
». Il publia plusieurs versions de son echelle avant sa mort
(1911), l'edition de 1905 ne fait que classer les epreuves dans un ordre
croissant de difficultes alors que celle de 1908 etablit les criteres utilises
dans la mesure de ce qu'on appelle aujourd'hui le Q.I.
Alfred BINET est un precurseur dans le domaine de la
debilite mentale, il propose la distinction entre les « anormaux
d'ecole » educables et utilisables socialement et les «
anormaux d'hospices » destines aux asiles.
Son importance est telle que son discours se retrouve
encore aujourd'hui chez les professionnels de l'ensei gnement special. Edulcore
ou modernise son echelle visant a mesurer l'intelli gence et la terminolo gie
qu'il emploie pour caracteriser les types d'anormaux est toujours
d'actualite.
Son ouvrage « Les enfants anormaux.
Guide pour l'admission des enfants anormaux dans les classes de
perfectionnement » publie a la demande de la Commission deviendra
une reference en matiere d'ensei gnement special.
(Pour plus des informations plus detaillees, voir «
La mal-mesure de l'homme » de Stephen Jay GOULD)
|
1.2 LES IMPERATIFS DU SYSTEME DE PRODUCTION
C'est le debut de la grande entreprise tayloriste, de
l'Organisation Scientifique du Travail et de la recherche du maximum de
rentabilite par une « rationalisation » du travail. C'est la Science
qui va donner l'impulsion necessaire a la mise en place de la grande industrie.
Taylor joue un role primordial puisqu'il lui attribue une place de choix.
L'Organisation Scientifique du Travail (O.S.T) preconise une rationalisation
entre le travail de conception et le travail d'execution. C'est l'idee du
« chacun sa place selon ses capacites, ses aptitudes et son merite »,
idee selon laquelle certains individus sont « (naturellement ou
genetiquement) faits » pour les travaux manuels et d'autres pour les
travaux intellectuels c'est-h-dire diriger, naturalisant la reproduction de la
hierarchie socio-economique ainsi que l'exprime Henry FORD : « Le travail
repetitif -- faire continuellement la meme chose de la meme maniere -- est une
perspective terrifiante pour certains types d'esprits. C'est terrifiant pour
moi. Il me serait impossible de faire la meme chose jour apres jour. Mais pour
d'autres types d'esprits, sans doute la majorite, l'activite repetitive n'a
rien d'effrayant. En fait pour certains types d'esprits, penser est absolument
epouvantable (...) Je regrette de devoir dire que l'ouvrier moyen desire un
travail qui n'exige pas trop d'effort physiques et qui, surtout, ne l'oblige
pas a penser24. »
Par ailleurs, le vagabondage, l'alcoolisme et les
mceurs des couches populaires ne font pas bon menage avec la conception
tayloriste du futur travailleur des villes. L'institution de l'obligation
scolaire va alors, prioritairement, se donner comme mission de « redresser
l' amoralite » des couches populaires
C'est dans le cadre de la transformation des mceurs et
modes de vies des classes populaires afin qu'ils ne pertubent pas la bonne
marche de la societe, incarnee par les progres rapides de l'industrialisation
que s'inscrit l'institution de l'ecole obligatoire. « Si, dans tous les
milieux, on soulignait bien l'analphabetisme des ouvriers, leur mauvaise
condition de vie et de moralité, on ne se plaignait pas souvent de leur
manque de qualification (...) Par contre, l'école faisait bien
l'unanimité lorsqu'il s'agissait de l'apprécier non pas en
fonction de la qualification des ouvriers mais de leur "moralisation". La lutte
contre le vagabondage,
24 FORD H., « My life
and work, London », Heinemann, 1923, p.103 cite par BUDE J. in « Du
sentiment de verite: au nom de Dieu ou de la Science », a
paraitre.
l'alcoolisme, la "mauvaise" tenue du ménage,
c'est-a-dire le role de l'école dans un domaine situé en dehors
de la vie professionnelle était largement
apprécié25 »
Les enfants « trop refractaires a l'enseignement
et/ou a l'ordre etabli » doivent beneficier d'un enseignement specialise,
tout entier tourne vers l'enseignement de la morale pour qu'ils puissent
transmettre a leurs familles et a leur futur descendance les preceptes morau x
grace au xquels ils s'adapteront a la societe et y contribueront par leurs
travail d'ouvriers.
« On fera de non-valeurs sociales souvent
nuisibles, des titres capables de rentrer dans la vie des normaux ou au moins
des entités pouvant fournir un travail utile et diminuer ainsi leurs
frais d'entretien26 », « Donner a ces malades la
capacité de fournir un travail dont le produit compense leur
consommation27 », en mettant les gens a leur juste place dans
la societe.
Les ecrits d'Alred BINET et de Theodore SIMON tout en
allant dans le sens de la necessite d'enseigner la morale aux « moins
fortunés », se demarquent dans ce conte xte oil le contrele social
est la priorite des pouvoirs publics et oil l'instruction obligatoire a
plutôt tendance a inquieter les classes dominantes. Leur originalite
reside dans le fait qu'ils vont s'interesser au « rendement social »
de l'ecolier. Persuades de l' « educabilite » des enfants qui ne
profitent pas de l'enseignement qui leur est dispense dans les classes
primaires « normales », ils prenent un enseignement
specialise.
Pour obtenir un bon rendement scolaire, il faut que
l'ecolier puisse beneficier d'un enseignement adapte a son « intelligence
naturelle », c'est dans ce cadre que des ideologues, notamment Alfred
BINET grace a son echelle metrique de l'intelligence, vont fournir les outils
scientifiques necessaires au classement des ecoliers. Des lors, la notion de
formation sera intimement liee a la necessite de modes d'enseignement
differents adaptes aux enfants ; specialises en fonction des demandes de la
mutation industrielle en cours -- essentiellement la separation hierarchisee de
la conception des taches (le travail intellectuel) et de leur execution (le
travail manuel).
Dans cette tradition ideologique generalement qualifiee
d'O.S.T et dans laquelle s'inscrivent egalement les travaux de Binet
:
« L'intelligence instrumentale formelle du
dirigeant qui signe l'aboutissement normal de l'évolution de
l'humanité, est noble, supérieur : la pensée, la raison,
la science. L'apprentissage instrumentale et l'intelligence concrete de
l'ouvrier, qui se
25 ALALUF M., Le temps du
labeur. Formation, emploi et qualification en sociologie du travail , Institut
de Sociologie, Sociologie du travail et des organisations, Editions de
l'Universite Libre de Bruxelles, 1986, p.78
26 Dr. JACQUIN J., «
De l'assistance et de l'education des enfants arrieres » Rapport au 3eme
Congres d'assistance publique et de bienfaisance privee, Bordeaux, 1903. Cite
par MUEL F., op.cit., p. 62
27 Seguin cite par MUEL F.,
op. cit., p.62
situent en de ca de cet aboutissement, en deca de la
normalite adulte, sont vulgaires, inferieures : la matiere, les sens et le
travail manuel. La grande majorite des hommes n'atteignent pas le terme de
l'evolution, la normalite adulte. Ils ne sont pas pleinement
humains28 ». Ils sont « retardes » :
debiles.
Ainsi, selon BINET:
« Le but des ecoles est le classement des anormaux
dans la societe, leur adaptation aux besoins de cette societ~28.
»
« Toute classe, toue ecole d'anormaux doit etre
oriente vers l'utilisation sociale de ces enfants ; il ne s'agit pas de leur
orner l'esprit, mais de leur donner les moyens de gagner leur pain par le
travail 30»
C'est dans ce cadre qu'il convient d'inscrire
l'elaboration des tests d'evaluation en vue d'identifier les enfants deficients
qui devraieent beneficier d'un enseignement special.
L'instruction devenue obligatoire et gratuite pour
tous fait apparaitre qu'une certaine partie de la population scolaire «
ne suit pas », ce sont les « anormau x d'ecoles » chers a
Alfred BINET. La preoccupation du recensement des
« anormaux d'ecole » devient cruciale,
particulierement au debut du 20eme siecle31. En effet,
les responsables politiques et les promoteurs de l'enseignement
special32 desirent connaitre leur nombre et leur degre d'handicap.
Les outils necessaires a une classification de plus en plus diversifiee des
handicaps basee sur des criteres scientifiques vont être crees. Cette
classification est a l'origine d'une politique de segregation de plus en plus
intense vis-à-vis des « enfants differents ».
L'objectif des recherches de BINET et SIMON est de
trouver une methode pour reperer les beneficiaires eventuels des ecoles pour
anormau x. BINET
28 BUDE J, « Du
sentiment de vérité. Au nom de Dieu ou de la Science », a
paraitre
29 BINET A. Et SIMON T., op.
cit., p.193
30 BINET A. Et SIMON T., op. cit., p.171
31 Malgre tout l'interêt qu'on a pu porter, a cette
epoque, a l'enseignement special, ce n'est seulement qu'apres la seconde guerre
mondiale et l'explosion scolaire qui lui est contemporaine, que les ecoles
speciales vont reellement prendre de l'ampleur.
32 En Belgique, c'est la
societe pour la protection de l'enfance anormale qui, la premiere, pose
l'epineuse question du nombre d'anormau x. Cette societe est creee en 1901. Son
but est de favoriser la creation et le developpement des ceuvres destinees aux
desherites physiques et intellectuels.
insiste sur « la necessite d'etablir un diagnostic
scientifique des etats inferieurs de l'intelligence33
».
Pour nos deux auteurs, l'enfant anormal ne peut etre
considere comme l'equivalent d'un enfant normal qui serait plus jeune de
plusieurs annees, une telle conception ne justifierait pas la necessite de
methodes differentes et plus appropriees. Ils emettent des reserves a propos de
la theorie classique qui consiste a considerer un enfant anormal comme
l'equivalent d'un enfant normal qui serait ralenti ou arrete dans un moment de
son evolution : « L'anormal ne ressemble nullement a un normal ralenti ou
arrete dans un moment de son evolution ; il n'est pas inferieur en degre, il
est autre.34» et font ainsi une distinction entre le degre
d'instruction (acquis) et le degre d'intelligence (inne) « Nous
emploierons souvent des formules comme celle-ci : "Anormal de onze ans qui est
au niveau de neuf ans". Mais il ne faudrait pas se meprendre sur le sens que
nous attribuons a ces termes. Ce n'est qu'une maniere commode d'exprimer un
certain degre d'instruction35 »
L'anormalite de l'enfance vue sous l'angle de leur
educabilite ou non educabilite et in fine de leur utilisation sociale justifie
selon BINET la necessite de dispenser aux « anormaux d'ecole » un
enseignement dote d'une pedagogie speciale car « les methodes, les
programmes d'etudes qui ont ete organises pour les normaux ne conviennent que
partiellement aux anormaux36 »
Ils distinguent les traits caracteristiques des «
anormaux d'ecole » :
« 1° un retard de developpement ; 2° ce
retard accuse specialement dans certaines facultes, moins dans d'autres, d'oet
un defaut d'equilibre ; 3° parfois un trouble particulier, a cachet
pathologique des facultes mentales37 » et mettent en evidence
deux groupes d'enfants anormau x au sein de la population specifique qu'ils
etudient, certains enfants peuvent presenter les deux formes d'anomalies
:
1. Les arrieres de l'intelligence, ceux qui ne
presentent pas une anomalie bien tranchee du caractere ; mais ils ne profitent
pas ou tres peu de l'enseignement ordinaire
2. Les instables ou indisciplines, ce sont
principalement des anormau x du caractere ; ils sont refractaires a la
discipline ordinaire, ils se signalent par leur turbulence, leur bavardage,
leur defaut d'attention, et parfois leur mechancete
33 BINET ET SIMON, op. cit.,
p.14.
34 BINET ET SIMON, op.
cit., p.20 33 BINET ET SIMON, op. cit., p.19
36 BINET ET SIMON, op. cit,
p.22
37 BINET et SIMON, op.
cit., p.21
BINET et SIMON accordent une importance particuliere a
la categorie des instables car « L'instable est pour l'école une
gene perpétuelle (...) Il trouble constamment l'ordre dans sa classe et
compromet son autorité 38», « Ils sont turbulents,
bavards et incapables d'attention (...) C'est une instabilité du corps,
du langage, de l'attention qui peut provenir soit d'un exces de
nervosité soit tout simplement d'une nature dont l'exubérance
répugne a l'étude sédentaire et silencieuse39
»
Il faut l'eduquer pour d'une part, eviter sa nuisibilite
:
« C'est pour eux surtout qu'on a
réclamé des écoles spéciales. Leur maniere
d'accepter les sanctions de la discipline est bien
intéressanteD? (...) »
Et d'autre part obtenir un bon « rendement scolaire
» :
« C'est d'eux qu'on tirera le meilleur parti car
c'est eux qui tirent le plus de profit de l'enseignement des anormaux car il
accuse un léger retard seulement », « L'instabilité
mentale s'accompagne d'ordinaire d'un retard intellectuel qui est d'environ une
annéeD- »
Alors que l'instable est caracterise par tous les
penchants egoistes, l'arriere lui est altruiste. Il n'a nul besoin d'être
contrôle car il n'est pas « réfractaire a toute
autorité », au contraire dans une classe, « on peut faire
comme s'il n'était pas la », « il est obéissant (...)
aime rendre service ».
C'est dans ses aptitudes intellectuelles que se
manifeste l'anormalite necessitant un enseignement special: «
L'arriéré est un enfant chez lequel dominent l'intelligence des
sens et des perceptions concretes et l'aptitude aux mouvements. Ce sont ces
facultés-la qui ont recu un développement normal. Sa faiblesse
constante en rédaction prouve que chez lui la fonction verbale est
restée bien visiblement inférieure aux fonctions sensorielles et
motrices. »
Les objectifs de la creation de l'enseignement special
tels qu'ils sont e xprimes par BINET et SIMON correspondent, comme nous l'avons
deja evoque, aux preoccupations morales de l'epoque, controler, faire regner
l'ordre moral et le controle social, ainsi qu'au x conceptions modernes sur les
liens entre l'homme et le travail insufflees par l'essor de « la grande
entreprise ».
Pour souligner la difference de leur destination et par
la meme, la difference de gravite de leur handicap, BINET et SIMON
preconisent l'utilisation des
38 BINET et SIMON, op. cit.,
p.33
39 BINET et SIMON, op.
cit., p.34 4° BINET et SIMON, op. cit.,
p.34 41 BINET et SIMON, op. cit., p.35
termes « anormaux d'hospices » et «
anormau x d'ecole ». Ils insistent sur les definitions terminologiques car
ils constatent que les termes n'ont pas la meme signification pour tous les
specialistes et proposent une uniformisation des definitions des termes
idiotie, imbecillite, debilite42. « A coup sir, l'idiot est
pour l'hospice. A coup sir, le debile est pour l'ecole. Reste l'imbecile au
sujet duquel on peut hesiter. Du moment que l'imbecile ne peut apprendre ni a
lire, ni a ~crire, sa place n'est qu'a l'atelier. On recherchera dans quelle
mesure il profiterait de l'enseignement special43 »
Cette distinction terminologique est fondamentale dans
la mesure oil elle debouche sur une evaluation differente de l'inadaptation
scolaire qui preconise une autre forme de remediation afin d'adapter le debile
a la societe. Elle revele une construction basee sur des representations
ideologiques et culturelles du normal et du pathologique fondees sur le
biologique. La notion d'adaptation, notamment, meriterait un bien plus long
developpement.
Les methodes et les pratiques qu'ils preconisaient
sont encore d'actualite aujourd'hui. Ces dernieres ont bien evidemment ete
remaniees, approfondies mais sans etre fondamentalement modifiees. Elles
permettent, aujourd'hui encore, de recruter les enfants pour l'enseignement
special grace a un dispositif medico-pedagogique charge ideologiquement. En
effet, les professionnels de l'enseignement special (personnel scolaire et
conseillers d'orientation) ont recours a des pratiques tres proches de celles
de BINET. Il est toujours questions de tests d'inteligence qui permettent de
differencier ceux qui disposent de capacites intellectuelles « normales
» de ceu x qui en sont prives.
42 Ils gardent, neanmoins, la
classification usitee au cours du siecle dernier.
43 BINET et SIMON, op. cit.,
p.113
2. DES MERES CONFRONTEES A L'ENSEIGNEMENT SPECIAL
INTRODUCTION
Nous allons a present tenter de cerner la realite a
laquelle est confrontee un certain nombre de familles issues des milieux
populaires face a l'enseignement special.
Leurs interrogations peuvent etre resumees comme suit
:
Qu'est-ce que l'enseignement special ? Mon enfant
est-il « anormal » ? Si c'est le cas, que fait cette filiere pour le
« soigner » ? Va-t-il (re)devenir normal ? Pourra t-il, un jour,
rejoindre la filiere ordinaire ou sera-t-il relegue a jamais dans une filiere
« en marge » ? Accedera t-il a une formation qui mene a un
métier ?
Le te xte qui suit est l'analyse d'un entretien
approfondi44 qui nous a semble representatif de ces interrogations.
Il s'agit d'un entretien avec une mere de cinq enfants en presence d'une de ses
filles. Sa fille a 15 ans, apres avoir passe ses etudes secondaires dans
l'enseignement special et n'ayant pas obtenu son Certificat d'Etudes de Base
(C.E.B), elle est placee en 1ere secondaire dans une classe d'accueil. A
l'issue de sa 1ere en classe d'accueil, elle a ete orientee vers la 2eme
professionnelle. La mere est allee a l'ecole coranique au Maroc jusqu'à
10 ans oil elle a appris le Coran et les rudiments de la langue arabe. Le pere
est alle a l'ecole ordinaire au Maroc oil il a effectue ses etudes primaires et
a appris a lire, a ecrire (en français) et a compter.
44 Cet entretien a pu etre
effectue dans les meilleures conditions, nous avons passe une apresmidi au
domicile d'une des meres frequentant le Centre d'accueil de l'IV dont un des
problemes etait l'orientation precoce de 4 de ses enfants dans l'enseignement
special.
La presence d'Oumnya Salhy, membre de l'IV, et sa
maitrise de la langue arabe, nous a ete d'une grande aide. Nous aurions voulus
nous entretenir avec un plus grand nombre de familles mais les limites
imparties a la redaction d'un memoire etant ce qu'elles sont, nous avons dW
nous contenter de selectionner un temoignage regroupant nombre de
preoccupations qui furent e xprimees dans le cadre des activites du Centre
d'accueil.
2.1 DEL' ECOLE DE « BON NIVEAU »...
La mere :
Je cherche une bonne ecole, avec un bon niveau, j'ai beaucoup
cherche, je me suis renseignee...
Au depart, N. mere de cinq enfants cherche « une
école de bon niveau » pour ses enfants, la pro ximite de l'ecole
restant le critere principal. Ensuite, il apparait qu'elle est confrontee a un
sentiment d'impuissance face d'une part aux resultats scolaires de ses enfants
et d'autre part a l'opinion des professeurs et psychologues du centre
Psycho-Medico-Social (PMS). Ces derniers proposeront le type d'enseignement
qu'ils pensent convenir a l'enfant a la sortie d'un test qu'il a passe a la fin
de la lere annee du cycle primaire. N. nous confie qu'elle a du mal
a communiquer avec les professeurs, elle aimerait qu'un de ses enfants soit
reintegre a l'enseignement ordinaire :
La mere :
Moi, je veux qu'elle change d'ecole a la rentree qu'elle
rejoigne l'ecole normale de bon niveau mais les professeurs me disen t qu'il
faut surtou t pas faire ca e t ils ne veulent pas donner l'au torisa tion alors
qu'elle a de tres bons points, ils disen t qu'il fau t a ttendre la fin des
primaires (...) je n'arrive pas a parler avec les professeurs, ils parlen t
trop vi te
Une fois que l'enfant est dans le circuit scolaire, les
parents se sentent mis # l'ecart, ce n'est plus eu x qui decident du «
devenir scolaire » de leurs enfants. Dans les milieux issus de
l'immigration et par rapport au corps enseignant, il y a un rapport de force
favorable aux enseignants, les parents mettront difficilement en question la
decision d'un professeur ou d'un psychologue. Les raisons sont les suivantes
:
- difficultes pour argumenter face aux
decisions/propositions dans « la langue des professeurs »
- problemes materiels et peur que les etudes se
prolongent dans le temps (redoublement) surtout pour les filles probablement
parce que les meres imaginent, pour elles, plutôt un avenir conjugual
qu'un avenir professionnel45 « Ils m'ont dit que je
n'étais pas obligée de la changer d'école mais alors elle
devait doubler et n'arrivera pas a suivre »
- meconnaissance des differents types d'enseignements
scolaires et de leurs debouches.
45 Nous pensons que pour
connaitre les aspirations de ses enfants scolarises, il faut effectuer des
entretiens individuels avec chacun d'eu x sans qu'il y ait d'interaction entre
eux et leur mere.
2.2 A L'ECOLE « DE RATTRAPAGE » ...
Dans cet entretien, notre principale interlocutrice,
la mere, nous parle de ses attentes et surtout de ses doutes. Elle ne connait
pas les filieres et leurs debouches au-dela du primaire et ne projettent pas
vraiment ses enfants dans un avenir professionnel. Elle envisage leur scolarite
dans le court terme (redoublement/reussite) et nous dit se sentir impuissante
quant au devenir de ceux-ci.
La mere :
La psychologue e t les professeurs m'on t di t qu'elle e tai
t trop lente, qu'elle n'arrivai t pas a suivre au tableau e t que ce serai t
mieux, pour elle, qu'elle change d'ecole (...)
Les professeurs m'ont explique qu'il faut qu'elle ai t tout le
temps quelqu'un derriere elle pour les devoirs (...) Elle e tai t trop tete en
l'air et reveuse (...)
La fille :
En fait, a la fin de la 6eme primaire (de l'enseignemen t
special) je n'ai pas regu mon CEB (cer tifica t d'e tudes de base), alors je
devais aller en classe accueil.
Dans la famille interrogee, il s'avere que quatre
enfants sur cinq sont passes par l'enseignement special, les raisons invoquees
sont les suivantes : lenteur, probleme de niveau (surtout en francais quand on
sait que les 2 premieres annees de l'enseignement primaire sont principalement
consacrees a la lecture et a l'ecriture), besoins de plus d'attention que les
autres et parfois selon les dires de la mere, trop reveuse, « tete en
l'air ».
Que savent la mere et la fille de l'enseignement special
?
La mere:
Ils m'ont di t de la me ttre a l'ecole X [ecole speciale du
quartier] parce qu'il y a de tres pe ti tes classes e t que comme ca elle
pourra ra ttraper son retard e t puis rejoindre les au tres (...)
Elle a passe un test e t son professeur a decide que c'e tai t
mieux qu'elle change d'ecole (...)
Au debut je croyais que c'e tai t des ecoles pour handicapes
mentaux e t apres on m'a explique que c'e tai t une ecole pour les enfants qui
avaient du mal a suivre, qui vont plus lentement que les autres, qu'il y a
moins d'enfants par classe e t qu'on fait alors plus attention a eux. E t puis
comme ca ils ra ttrapent leur retard e t peuvent aller dans une ecole de bon
niveau.
La fille:
Ben, ce n'etait pas drole parce que les autres enfants ils
croient que c'es t une ecole pour handicapes, alors que c'es t pas ca, c'es t
juste une ecole pour les enfants lents. Ils se moquen t de nous.
Les professeurs et les psychologues (PMS) definissent
l'enseignement special comme une structure scolaire composee de petites classes
permettant une meilleure prise en charge des enfants dits en difficulte
scolaire. Les enfants, qui au debut de leur parcours scolaire, n'atteignent pas
le niveau exige (la norme), sont orientes vers cette filiere. Theoriquement
cela devrait leur donner la possibilite de « se remettre a niveau »,
de « rattraper leur retard » afin de rejoindre l'enseignement general
a l'issue de l'enseignement primaire. Les parents sont sceptiques au depart
quant a l'idee de mettre leur enfant dans ce type d'enseignement (percu comme
une ecole pour « handicapes mentau x »). Ils se voient rassures par
l'e xplication des objectifs de cette filiere et surtout par l'assurance que
leur enfant, grace a une meilleure prise en charge, pourra rejoindre
l'enseignement general et avoir les memes chances que les autres d'acceder a
une formation qui mene a un metier valorisant.
Comme l'indique le cas de la fille presente lors de
l'entretien, l'enfant qui n'a pas obtenu son certificat de fin d'etudes
primaires se trouve oriente vers la classe accueil, puis vers le professionnel.
C'est apparemment la « trajectoire type » des enfants engages dans
l'enseignement special46.
En effet, dans plusieurs cas rencontres au sein des
meres frequentant le centre d'accueil, ainsi que dans des etudes sur le
parcours scolaire des enfants issus de l'immigration effectuees par des
sociologues, de nombreux enfants scolarises dans le special n'obtiennent pas
leur certificat de fin d'etudes primaires. Des lors, ils ne peuvent acceder a
l'enseignement secondaire general et sont orientes vers les classes accueils en
premiere secondaire et puis vers l'enseignement professionnel. Le «
devenir » de ces enfants est scelle des l'age de 8-9 ans a l'ecole
primaire.
46 Voir a ce propos FAMEREE
N. Et GIOT B. (2001), 0 Les chiffres de l'enseignement special: un dossier pour
mieux comprendre la situation en Communaute française de Belgique
», Notes techniques, Service de Pedagogie e xperimentale de
Liege
et BEAUCHESNE M.-N. Et DE TROYER M., 0
L'adéquation entre l'offre et la demande d'enseignement special en
province de Luxembourg », Centre de Sociologie et d'Economies Regionales,
Rapport de recherche, Avril 1996.
2.3 EN PASSANT PAR LA CONSTRUCTION DE L'IDENTITE.
L'interaction entre les deux intervenantes nous a
eclaire sur les relations qu'elles peuvent entretenir ainsi que sur leurs
attentes respectives par rapport a l'ecole. La mere qui, malgre le parcours
scolaire difficile de sa fille, aspire a ce qu'elle beneficie d'une meilleure
formation, a du mal a lui faire comprendre le bien-fonde, a ses yeu x, d'un
eventuel changement d'ecole.
La fille au fil de sa scolarite, semee d'embfiches et
de brimades, n'a pas vraiment de projet d'avenir et pense davantage au groupe
d'amis qui l'entoure dans son ecole.
A la question posee a sa fille « vas-tu poursuivre
dans cette section (professionnelle) ? », la mere repond :
La mere:
Tu vas changer d'ecole, moi je veux que tu ailles dans une
ecole avec un meilleur niveau, les profs ne son t jamais là dans ce tte
ecole, les eleves ont toujours fourche e t font ce qu'ils veulent, dans ce tte
ecole. Il n'y a aucune discipline.
La fille:
Moi, je ne veux pas changer d'ecole, ici c'es t mon niveau
sinon j'arriverais pas a suivre, e t puis je me suis habitude, j'ai mes
copines, j'aime bien les travaux de bureaux.
L'enfant porte le poids du regard que la societe pose
sur son milieu et sa famille. La culture familiale et les competences
extra-scolaires sont souvent negligees, parfois meme devalorisees, au profit
d'une culture uniforme.
Tes copines et copains a l'ecole c'est plutot des
marocains (d'origine) ou des belges ?
La fille :
C'es t tous des Marocains, il y a une majorite de Marocains, il
y a aussi une classe de primo-arrivants dans mon ecole, dans ce tte classe il y
a de tout.
Avec tes copains a l'ecole, tu parles quelle langue
?
La fille :
On parle arabe e t parfois frangais entre nous mais en classe
c'es t interdi t de parler arabe parce que les profs on t peur qu'on les insul
te.
La mere s'etonne :
Vous parlez arabe a l'ecole ? , Mais pourquoi tu ne veux jamais
me parler en arabe a moi, tu me reponds toujours en frangais !
Ce dialogue nous parait significatif en ce qui
concerne la construction de l'identite des enfants: Apparemment, le fait de
parler arabe (origine, ancrage affectif) lui permet d'affirmer son identite a
l'ecole et de l'affirmer en se differenciant puisque a priori ce n'est pas la
langue de travail de l'institution ni celle des enseignants et qu'en plus la
pratique de la langue arabe a l'ecole est interdite. Il y a, semble t-il, comme
un refuge identitaire dans la pratique de la langue. En revanche lorsque la
mere parle en arabe a sa fille, elle lui repond en français. Dans ce
cadre, le fait de ne pas parler en arabe apparait comme une maniere de
s'affirmer en se differenciant par rapport a sa mere. Le français
represente l'adaptation a la culture dominante, le conflit avec le milieu
coutumier inherent a cette adaptation s'exprime par la pratique de la langue
arabe a l'ecole.
3. LE DISCOURS DE L'ENSEIGNEMENT SPECIAL
INTRODUCTION
Cette partie de l'enquete est consacree a l'etude du
discours des directrices d'ecoles speciales. Elle a debutee dans une ecole
speciale primaire situee en plein cceur d'un quartier populaire de
Bruxelles.
Les meres que nous avons rencontrees nous ont souvent
parle de cette ecole pour y avoir inscrit leurs enfants. Ensuite, nous avons
decide d'etendre l'enquete aux autres ecoles speciales primaires situees sur la
meme commune, specifiquement celles qui accueillent des enfants de type 1, 3 et
8, autrement dit des enfants diagnostiques « debiles
legers47» (3 ecoles).
Face a l'anxiete des parents quant a l'avenir de leurs
enfants, l'ecole se veut rassurante. L'enseignement special va leur permettre
grace a une meilleure prise en charge de leur « handicap » de
rattraper leur retard pedagogique.
Les professionnels de l'enseignement special sont
formels, « ce n'est pas une ecole pour handicap~s ...s'ils font des
efforts, ils pourront rattraper leur retard et reintegrer le circuit de
l'enseignement general ». Or, comme nous l'avons indique plus haut, il
semble qu'il soit plutot rare sinon exceptionnel qu'a l'issue du cycle
primaire, les enfants engages dans cette filiere obtiennent le Certificat
d'Etudes de Base (C.E.B) qui permet de reintegrer l'enseignement secondaire
general.
Il semble y avoir une reelle dichotomie entre le
discours de l'ecole sur les objectifs de l'enseignement special ; et le reel
devenir des enfants qui s'y engagent. Afin de mieux cerner le discours de
l'ecole, nous avons realises des entretiens approfondis avec les directrices
des 3 etablissements scolaires en question. Mais avant d'aborder ces entretiens
il nous parait utile de rappeler les principales caracteristiques de
l'enseignement special
47 Selon les epoques, les
termes degeneres, debiles, deficients, inadaptes ont ete employes pour designer
les « anormau x d'ecole ».
3.1 LES STRUCTURES DE L'ENSEIGNEMENT SPECIAL EN
BELGIQUE
Depuis la fin des annees quarante, ce type
d'enseignement s'est considerablement developpe en Belgique comme dans tous les
pays industrialises48. L'opinion publique est sensibilisee a la
question des enfants handicapes. La notion de justice sociale succede a celle
de charite dans les motivations qui sous-tendent la volonte d'aider les enfants
deficients.
La loi de 1970 organise l'enseignement special sous sa
forme actuelle.
Huit types d'enseignement sont organises, en fonction
des categories de handicap. Comme toute categorisation, celle adoptee par le
legislateur a sa part d'arbitraire et de contestable comme le dit Jean-Louis
CHAPELLIER49
« La critique devient necessaire et urgente si
nous regardons attentivement la population reprise dans trois categories : les
types "un" (enfants et adolescents atteints de deficience mentale legere),
"trois" (enfants et adolescents caracteriels) et "huit" (enfants et adolescents
atteints de troubles instrumentaux). En tout, 7°% des enfants de
l'enseignement special en Belgique francophone appartiennent aujourd'hui a ces
trois categories »
Depuis la Loi du 6 juillet 1970 (modifiee par la Loi
du 11.03.86, les Decrets du 28.01.91 et du 24.07.97) cadre legal de
l'enseignement special :« tout enfant ou adolescent handicaps age de 2 ans
et demi a 21 ans peut beneficier d'un enseignement adapts a ses difficult~s et
qui tient compte de ses besoins educatifs specifiques5°
»:
Cette loi organise les pratiques dans le domaine de
l'education specialisee et confere une existence officielle a l'enseignement
special, la loi de 1970 a comme consequence directe de rassembler toutes les
classes speciales, auparavant anne xees a une ecole ordinaire, dans une
même ecole.
Les enfants handicapes sont generalement classifies
en huit types repris dans le tableau ci-dessous. Nous avons mis en parallele
les definitions fournies par un service universitaire et celle utilisee par les
praticiens d'une ecole primaire d'enseignement special
48 Même si la
premiere disposition legale relative a la creation d'un enseignement special en
Belgique se trouve inscrite dans la premiere loi sur l'instruction obligatoire,
l'article 28 de la loi du 19 mai 1914 stipule que: "la oil la population le
permet, les communes seront tenues d'organiser des classes pour enfants
faiblement doues ou arrieres ou pour enfants
anormau x".
49 CHAPELLIER, J-L, «
L'éducation spécialisée. Line ecole de pauvres en Belgique
» in 0 L'ecole face aux handicaps ». Sous la direction de Michel
Chauviere et Eric Plaisance, PUF, Paris, 2000.
80 FAMEREE N. et GIOT B., « Les chiffres de
l'enseignement special: un dossier pour mieux comprendre la situation en
Communaute française de Belgique » , Notes techniques, Service de
Pedagogie experimentale de Liege, p.13.
|
Service de Péda go gie expérimentale de
l'Université de Liè ge51
|
Praticiens de l'ensei gnement spécial
· · 52
primaire
|
Type 1
|
Enseignement special adapte aux besoins educatifs des
enfants et des adolescents atteints d'arrieration mentale legere.
|
concerne les enfants atteints d'arrieration mentale
legere (Q.I. 55-70), capables d'acquerir des connaissances scolaires
elementaires et une maitrise professionnelle permettant une integration en
milieu socioprofessionnel normal.
|
Type 2
|
Enseignement special adapte aux besoins educatifs des
enfants et des adolescents atteints d'arrieration mentale moderee ou
severe.
|
concerne les enfants atteints d'arrieration mentale
moderee (Q.I. 40-55) ou severes (Q.I. inf
A 40). Pour les premiers on peut envisager une
integration socio-professionnelle protegee (ateliers proteges). Pour les
seconds on envisage une socialisation par des activites educatives
adaptees.
|
Type 3
|
Enseignement special adapte aux besoins educatifs des
enfants et des adolescents atteints de troubles caracteriels et troubles de la
personnalite.
|
concerne les enfants caracteriels presentant des
troubles de la personnalite qui exigent le recours a des methodes
orthopedagogiques et psycho-therapeutiques.
|
Type 4
|
Enseignement special adapte aux besoins educatifs des
enfants et des adolescents atteints de deficiences physiques
|
concerne les handicapes physiques incapables de
frequenter l'enseignement ordinaire et dont l'etat e xige le recours a des
soins medicaux et paramedicau x (kinesitherapie, par e xemple) reguliers et a
l'emploi des methodes orthopedagogiques.
|
Type 5
|
Enseignement special adapte aux besoins educatifs des
enfants et des adolescents malades
|
concerne les enfants malades hospitalises en clinique ou
en institution medico-sociale.
|
Type 6
|
Enseignement special adapte aux besoins educatifs des
enfants et des adolescents atteints de deficiences visuelles.
|
concerne les aveugles et les amblyopes.
|
Type 7
|
Enseignement special adapte aux besoins educatifs des
enfants et des adolescents atteints de deficiences auditives.
|
concerne les sourds et les malentendants.
|
Type 8
|
Enseignement special adapte aux besoins educatifs des
enfants atteints de troubles instrumentau x.
|
concerne les enfants souffrant de troubles instrumentau
x c'est-a-dire eprouvant des difficultes a apprendre le langage, l'ecriture, la
lecture ou le calcul (dyslexiques, dyscalculiques, dysorthographiques et autres
"dys").
|
|
51 FAMEREE N. et GIOT B.,,
op.cit. p.13
52 La classification des
praticiens est issue d'un prospectus elabore par une ecole speciale primaire en
vue de presenter ses 0 missions » et ses pratiques au public.
Sauf exceptions, on retrouve ces 8 types d'enfants
handicapes dans les trois niveau x d'enseignement traditionnel : le maternel,
le primaire et le secondaire. L'entierete de la scolarite est prise en
consideration pour certains types d'handicaps. Par contre l'enseignement
maternel n'est pas prevu pour le type 1 et 8 et l'enseignement secondaire n'est
pas organise pour le type 8.
Les enfants de type 8 a l'intelligence « normale
» sont senses « réintégrer l'enseignement ordinaire,
soit en cours de scolarité primaire, soit a l'entrée du
secondaire53. C'est pour cette raison que nous nous sommes
particulierement interresses a leurs remediations.
Au niveau du secondaire de l'enseignement special, on
distingue quatre formes. Ces formes d'enseignement s'adressent, en ce qui
concerne les « debiles legers », aux enfants classifies type 1 (e
xclusivement la forme 3 : l'enseignement special secondaire professionnel) et
type 3 (toutes les formes) Les finalites de ces formes sont detaillees dans le
tableau ci-dessous.54
53Prospectus de presentation
d'une des ecoles oil nous avons enquete 54 FAMEREE N. et GIOT B.,
op. cit., p.14
FORME 1 (F1)
|
|
Enseignement special secondaire
d'adaptation sociale
|
- peut accueillir des eleves relevant des types 2, 3, 4,
6, 7
- vise au developpement des possibilites
sensori-motrices
des eleves et de leurs possibilites de communication,
d'autonomie et de socialisation
- vise l'integration dans un milieu de vie
protege.
|
FORME 2 (F2)
|
|
Enseignement special secondaire
d'adaptation sociale et professionnelle.
|
- peut accueillir des eleves des types 2, 3, 4, 6 et
7
- vise l'integration dans un milieu de vie et de
travail
proteges
|
FORME 3 (F3)55
|
|
Enseignement special secondaire
professionnel
|
- peut accueillir des eleves des types 1, 3, 4, 6 et
7
- vise l'integration dans un milieu normal de vie et
de
travail
|
FORME 4 (F4)
|
|
Enseignement secondaire general, technique, artistique
et professionnel de transition ou de qualification.
|
- peut accueillir des eleves relevant des types 3, 4, 5,
6 et 7
- prepare a la vie active tout en permettant la
poursuite
d'etudes ulterieures (programme equivalent a celui de
l'enseignement secondaire ordinaire renove mais avec des methodes
adaptees)
- tout comme l'enseignement ordinaire la forme 4
est
organisee en 3 degres de 2 annees d'etudes
- apres le 3eme degre de l'enseignement
professionnel,
trois types de 7!me professionnelle peut être
organises (cf. Legislation de l'enseignement secondaire)
- apres le 3eme degre de l'enseignement technique
de qualification, une 7!me annee de perfectionnement peut être
effectuee
- sanction des etudes: cf. Legislation de
l'enseignement
secondaire
|
|
55 Une reforme de la forme
3, instauree a titre experimental dans les ecoles de la Communaute
française de Belgique depuis 1993-1994, tend a être adoptee par le
reseau Officiel.
Il faut retenir que certaines ecoles fonctionnent
suivant l'ancienne legislation (toujours en vigueur) et d'autres appliquent a
titre experimental de nouvelles circulaires.
Quelques donnees chiffrees en Communaute francaise
de Belgique56...
Tableau 1
Pourcentage d'eleves frequentant l'enseignement special
par rapport a l'ensemble des enfants et adolescents scolarises (ordinaire +
special)57 :
|
Niveau Maternel
|
Niveau Primaire
|
Niveau Secondaire
|
Nombre total d'eleves dans l'ordinaire
|
168.066
|
311.031
|
335.030
|
Nombre total d'eleves dans le special
|
993
|
13.111
|
12.787
|
Nombre total d'eleves dans (ordinaire +
special)
|
169.059
|
324.142
|
347.817
|
Pourcentage d'eleves dans le special
|
0,59%
|
4,04%
|
3,68%
|
Nombre total d'eleves dans le type 1
|
0 (0%)
|
3.122 (0,96%)
|
6.961 (2%)
|
Nombre total d'eleves dans le type 2
|
282 (0,17%)
|
1.565 (0,48%)
|
1.982 (0,57%)
|
Nombre total d'eleves dans le type 3
|
83 (0,05%)
|
1.748 (0,54%)
|
2.557 (0,74%)
|
Nombre total d'eleves dans le type 4
|
188 (0,11%)
|
594 (0,18%)
|
729 (0,21%)
|
Nombre total d'eleves dans le type 5
|
300 (0,18%)
|
523 (0,16%)
|
190 (0,05%)
|
Nombre total d'eleves dans le type 6
|
25 (0,01%)
|
112 (0,03%)
|
144 (0,04%)
|
Nombre total d'eleves dans le type 7
|
115 (0,07%)
|
236 (0,07%)
|
224 (0,06%)
|
Nombre total d'eleves dans le type 8
|
0 (0%)
|
5.211 (1,61%)
|
0 (0%)
|
|
Tableau 2
A l'interieur de l'enseignement special, pourcentages
d'eleves frequentant les differents types de classes:
|
Niveau Maternel
|
Niveau Primaire
|
Niveau Secondaire
|
Nombre total d'eleves dans le special
|
100,0%
|
100%
|
100%
|
Nombre total d'eleves dans le type 1
|
0,0%
|
23,8%
|
54,4%
|
Nombre total d'eleves dans le type 2
|
28,4%
|
11,9%
|
15,5%
|
Nombre total d'eleves dans le type 3
|
8,4%
|
13,3%
|
20,0%
|
Nombre total d'eleves dans le type 4
|
18,9%
|
4,5%
|
5,7%
|
Nombre total d'eleves dans le type 5
|
30,2%
|
4,0%
|
1,5%
|
Nombre total d'eleves dans le type 6
|
2,5%
|
0,9%
|
1,1%
|
Nombre total d'eleves dans le type 7
|
11,6%
|
1,8%
|
1,8%
|
Nombre total d'eleves dans le type 8
|
0,0%
|
39,7%
|
0,0%
|
|
56 Les tableaux reproduits
ci-dessous sont issus du rapport de recherche de Nathalie FAMEREE et Bernadette
GIOT, op. cit., p.94
57 Statistiques relatives a
l'annee 1995/1996
Tableau 3
Nombre d'eleves belges et etrangers tous reseaux
confondus (Communaute française, Officiel subventionne et Libre
subventionne) dans l'ordinaire et dans le special primaire.
|
Ordinaire
|
Special
|
TOTAL
|
Pourcentage d'eleves dans le special
|
Nombre d'eleves belges
|
264149
|
10426
|
274575
|
3,80%
|
Nombre d'eleves etrangers
|
46882
|
2685
|
49567
|
5,42%
|
Nombre total d'eleves
|
311031
|
13111
|
324142
|
4,04%
|
Pourcentage d'eleves belges
|
84,93%
|
79,52%
|
84,71%
|
|
Pourcentage d'eleves etrangers
|
15,07%
|
20,48%
|
15,29%
|
|
MINISTERE DE LA COMMUNAUTE FRANCAISE, Statistiques des
etablissements d'enseignement, des eleves et des diplomes. Annuaire 1995-1996,
vol II, Bruxelles, 1999.
Un premier coup d'ceil sur les effectifs 1995/1996
permet de noter que la majorite des enfants et adolescents se repartissent
entre les types 1, 3, 8, categorises "deficients legers", non determine par la
medecine (pathologie severe).
Le deuxieme tableau indique que 75 a 77% des eleves
frequentant l'enseignement special se trouvent dans des classes de type 1, 3,
8, avec un pourcentage particulierement eleve pour le type 8 au niveau primaire
et pour le type 1 au niveau secondaire. L'enseignement special draine environ
4% des eleves scolarises.
Ce sont des enfants dits en difficultes scolaire
reveles par l'institution scolaire elle-meme alors que les autres types n'ont
pas eu besoin de l'ecole comme revelateur/detecteur, ce sont les parents qui
font appel a un medecin puis orientent leur enfant vers le type d'enseignement
approprie a son handicap (enfants sourds, aveugles, handicapes moteur, ne
pouvant se deplacer,...).
Pour les autres, l'effectif augmente considerablement
en primaire, ce qui nous indique qu'ils sont "detectes" et orientes a la fin de
la premiere annee primaire (par l'ecole).
A partir de ces donnees, on peut penser que l'annee
de l'apprentissage de la lecture et de l'ecriture sera decisive pour ces
enfants dans la construction de leur handicap scolaire. Leur destin scolaire
est dorenavant gouverne par les centres PMS. Suite a un "test
multidisciplinaire" ils recevront une attestation qui determine leur type d'
handicap intellectuel et qui, de ce fait, sera decisive pour leur avenir
scolaire et professionnel.
On notera que l'enseignement special maternel et
secondaire, n'est pas organise pour le type 8.
Or, pres de 40% des slaves du special emargent a ce
type.
Une question s'impose: que deviennent au niveau du
secondaire ces enfants senses avoir une « intelligence normale
»
Il ressort de nos entretiens que trois possibilites
s'offrent a eu x:
- soit ils obtiennent leur CEB et rejoignent
l'enseignement ordinaire. Ce qui semble tout a fait e xceptionnel aux dires des
directrices.
- soit ils sont orientes en classes accueils,
structure de "familiarisation avec le secondaire" pour enfants en difficultes
scolaire. Ce qui postpose un eventuel retour dans l'enseignement
ordinaire.
- Soit ils sont reevalues par un centre PMS. Ils
sont, alors, orientes vers l'enseignement special secondaire. Leur type
d'inadaptation est revu « a la baisse ». Ce qui permet de les
maintenir definitivement dans l'enseignement special.
Par ailleurs, a la lumiere de ces possibilites, on
remarque qu'en secondaire l'effectif du type 1 double, il passe de 23,8 % a
54,4% et l'effectif des types 2 et 3 subit une forte augmentation (de 3,6% et
6,7% en plus par rapport au primaire). Alors que pour les handicaps plus
severes c'est plutôt l'inverse qui se produit, leur effectif
diminue.
On peut penser qu'à l'issue de l'ecole
primaire, une grande partie des types 8 ont ete « reevalues » en type
1. De plus une etude sur l'enseignement special en province de Luxembourg nous
indique que la « revision du type » est une pratique couramment
utilisee dans cette filiere: « Les enfants atteints de troubles
instrumentaux rejoignent l'enseignement ordinaire a l'issue du primaire ou
alors leur type de handicap ou de déficience peut etre
réviséR: ».
58 BEAUCHESNE M.-N. Et DE
TROYER M., op. cit., p.12.
3.2 L'ORIENTATION VERS L'ENSEIGNEMENT SPECIAL
Nous avons centre nos entretiens avec les directrices
d'enseignemeent special sur les questions suivantes :
Comment fait-on pour reperer les enfants «
deficients » ? Quels sont les criteres qui president a l'orientation ?
Quelles sont les remediations proposees par l'enseignement special ? Comment
les chefs d'etablisements definissent-ils les « deficiences » de
leurs eleves ? Quelle est la marge de manceuvre de l'ecole, des Centre PMS, des
parents concernant l'orientation et le parcours scolaire dans l'enseignement
special ? Quel est l'impact du milieu socio-culturel sur l'orientation vers
cette filiere ? Le passage du special vers l'ordinaire est-il aise ? Quel est
le devenir socio-professionnel des enfants inscrits dans cette filiere
?
Les propos recueillis aupres de directrices d'ecoles
primaires speciales sont revelateurs de la problematique du reperage des «
anormaux d'ecole » et de leur orientation vers le special :
Les handicaps graves son t diagnos tiques tres tot par les
medecins (parfois des la naissance). Pour les autres c'est plus di~~icile d
déceler, souvent ce sont des enfants qui on t des problemes de contact
avec les autres, des problemes de limi tes, ceux-là son t en general
signales par les professeurs. Un centre Psycho-Medico-Social (PMS) fait une
enquete familiale, sociale e t medicale e t fait passer une serie de tests a
l'enfan t. (...)
.
Lorsqu'un enfant entre dans le special, il faut qu'il ai t e
te decele par une autre ecole (ordinaire). C'es t obliga toire que l'enfant
vienne d'une au tre ecole, qu'il presen te des di~~icult~s scolaires (...)
Pour ren trer chez nous il faut passer par un centre e t subir
un testing complet, c'es t un test qui se fait a la demande expresse de l'ecole
ou des parents. Ce rapport a 4 vole ts pedagogique, psychologique, social e t
psychoaffec tif.
Chaque ecole a un centre PMS
[Psycho-Medico-Social] atti tre, en general c'es t une decision prise par
l'ecole. Une ins ti tutrice se rend comp te qu'un enfant traine, qu'il ne sai t
pas tenir un crayon en main (...) Apres testing par un psychologue, on informe
les parents e t là c'es t pas evident parce qu'il y a tout un travail de
persuasion a faire aupres des parents, parce que l'enseignemen t special est
assimile a une ecole pour handicapes, les parents ont du mal a accepter que
leurs enfants soient mis dans une ecole pour handicapes (...) Les parents ne
sont pas aptes d juger si leur en~ant d un Quotient intellectuel trés
faible, ilfaut qu'il soit passépar l'école pour fa (...) C'es t
pas evident de faire accepter aux parents que leur enfant est debile
On n'a pas d'handicapes physiques ici, le niveau intellectuel ne
se voit pas toujours sur le visage.
On voit combien les definitions des termes lies a
l'enfance anormale revetent une importance en matiere de parcours scolaires a
travers les remediations differentes preconises par les specialistes. Nous
avons releve plusieurs problematiques :
L'interpretation des o difficult(s scolaires » par
les directrices d'ecoles speciales
A l'instar de BINET, toutes les directrices ont
tendance a naturaliser l'intelligence, l'enfant debile leger va «
plafonner » parce que son intelligence se situe en-dessous de la moyenne
(elle est mesuree par le Quotient Intellectuel et est sensee etre donnee une
fois pour toutes) et n'arrivera jamais a atteindre le niveau d'abstraction qui
caracterise l'intelligence.
BINET etablissait la difference entre les «
anormaux d'hospices » destines aux asiles et les « anormau x d'ecoles
» destines aux ecoles speciales et insistait sur le fait que ces derniers
etaient « educables ».
La directrice substitue au terme « educables
» de BINET celui de « scolarisables » pour caracteriser les
« debiles legers » tout en donnant une explication biologique a leurs
difficultes:
Les enfants de type 1 son t debiles legers, ils son t
scolarisables, peuvent apprendre a lire e t a ecrire mais ils vont bloquer au
niveau du raisonnement e t de la logique. Donc, au bout d'un certain temps, ils
vont s tagner, ils ne vont plus pouvoir aller au-dela de leurs limi tes, il y a
reellement un plafond.
Ces enfants peuvent recevoir une education qui vise a
les rendre aptes a effectuer des taches concretes puisqu' « ils manquent
de raisonnement et de logique »:
Ces enfants la vont continuer a apprendre des choses mais qui
vont plus tourner autour de mecanismes e t d'automa tismes.
Generalement, lorsqu'on demande aux chefs
d'etablissements de definir les « difficultes scolaires » des eleves
orientes dans le special, le vocabulaire qu'ils emploient est revelateur d'une
interiorisation des denominations qui balisent le champ de l'enfance anormale.
En grande majorite, leurs reponses font reference a la mesure de l'intelligence
(QI) et a la categorie (anciennement arriere ou instable) du debile leger e
xprime en terme de type.
L'e xplication des difficultes scolaires en termes de
type de deficience et de Quotient Intellectuel s'etend aux milieux sociaux des
enfants.
Les directrices e xpliquent l'impact du milieu social
sur l'orientation vers le special par une deficience. Ces milieux sont
constamment definis en termes de manques, de problemes... in fine par leur
deficience et leur anormalite.
Le type 8, ce sont les enfants qui ont des troubles ins trumen
taux e t des troubles d'apprentissage : dyslexiques, dyscalculiques,
dysphasiques,... Il ne faut pas se leurrer ce son t souven t des enfants issus
de milieux sociocul turels tres faibles ou des enfants qui ont eu un trauma
tisme
Une directrice a e xprime des doutes concernant
l'utilisation des tests visant # definir le QI et le type. Elle met en cause
les politiques heteroclites des Centres PMS, qui sement la confusion. Parfois,
ce sont les competences de certains psychologues qui sont mises en questions,
il leur est reproche de ne pas prendre en consideration l'environnement
socio-culturel de l'enfant et d'appliquer les tests « a la lettre
».
Le type 3, c'es t un quotient intellec tuel dans la normalite
(100) mais il peu t etre inferieur. Le type 1, c'es t 70 e t le type de 2 c'es
t 50. Mais en fait cela ne veu t pas dire grand chose cela depend tellement du
test que vous fai tes passer. Les tranches ne sont pas les memes, les limi tes
des tranches changent selon les tests e t selon les Centre PMS.
La segmentation du champ de l'enseignement special est
telle que les chefs d'etablissements regrettent parfois d'avoir une marge de
manceuvre « si faible ». Ce regret s'exprime quand il y a litige, par
exemple lorsque les directeurs et professeurs de l'enseignement special
estiment qu'il y a une erreur de diagnostic, surtout lorsqu'il s'agit d'un
enfant turbulent ou indiscipline.
Ce qui nous embete c'es t quand il y a de mauvaises defini tions
de type.
Je fais confiance aux professionnels mais on n'y arrive pas
toujours...
La confusion des types 1 et 8
Les directrices d'ecole interrogees nous ont toutes fait
part de la confusion qui existe entre les types de deficients
legers.
Dans les ecoles frequentees par les enfants
categorises en type 1 (arrieration mentale legere) et en type 8 (troubles
instrumentau x), les directrices utilisent dans leur jargon « le type 18
ou 81 » pour caracteriser cette confusion :
Dans no tre jargon, on parle de type 18 ou 81 pour parler d'un
enfant a la limi te des deux types (...)
Comme nous l'avons evoque plus haut cette confusion
est attribuee a une erreur de diagnostic et devient litigieu x lorsqu'il s'agit
d'un enfant turbulent ou indiscipline. Notons que selon la categorisation de
BINET, le type 3 (troubles de la personnalite et caracteriel) est l'equivalent
de l'instable et le type 1 (arrieration mentale legere) ainsi que le type 8
(troubles instrumentaux, tous les dys) l'equivalent de l'arriere.
Bon, en type 1, ils sont gentils, ce qui nous agace vraiment
c'es t les types 3 (caracteriels), ca nous demande beaucoup d'energie e t nous
ne sommes pas competents pour les types 3. (...)
Lorsque les enfants sont « reevalues », ils
le sont en general « a la baisse ». Dans une hierarchie basee sur le
degre de gravite du handicap et particulierement dans le degre de remediation
propose, il est plus avantageux d'être type 1 que d'être type 3 et
plus avantageux encore d'être type 8 que d'être type 1 (voir les
structures et finalites de l'enseignement special). Ainsi, plutot que de
remettre en cause l'enseignement dispense, ce sera l'attestation qui determine
le type de deficience de l'enfant qui sera revisee. D'abord par les acteurs de
terrain (professeurs, directeurs et personnel para-medical) qui se reunissent
en conseil de classe en vue de « reevaluer » l'enfant et puis par les
psychologues des centre PMS qui officialiseront ce changement dans
l'attestation.
Lorsqu'un enfant a ete mal oriente, e t qu'il a une
attestation de type 8 on peu t le reorienter [en type 1], parce qu'un type 1
peut apprendre a lire, alors on ne remarque pas directement son handicap. C'es
t une perte de temps, plus les enfants son t detectes tot mieux c'es t pour
eux
L'enseignement special, arme d'un dispositif
medico-pedagogique parait peu enclin a sa propre remise en cause et a la
recherche de facteurs determinants l'echec scolaire autre que psychologiques
(socio-economiques et culturels). Les chefs d'etablissements se referent a
l'intelligence « naturelle » des enfants et, selon eux, la
possibilite de remediation est fonction du quotient intellectuel. A la question
« Apres detection de la deficience intellectuelle de l'enfant que propose
l'enseignement special pour remedier a ce probleme ? », il nous a ete
repondu :
Cela depend du Quotient Intellec tuel de chaque enfant parce
que dans les types 1, donc dans les debiles legers, on accueille des enfants
qui ont un quotient inferieur a 75 jusqu'a 50. Donc, si l'enfant a 70 de
quotient, il est a la limi te du type 1 e t du type 8. Donc ca devient un bon
type 1, ce t enfant la va peut-titre meme pouvoir aller au-dela d'un niveau de
deuxieme ou d'un niveau de troisieme (primaire) (...)
C'es t vrai qu'~ partir du moment oil ces enfants trouvent
leur cheminement au travers de tous les ateliers qu'on leur propose ici, il y
en a qui evolue meme au niveau du Quotient In tellec tuel, parfois c'es t assez
significa tif, c'es t rare mais ca arrive.
Aux origines de ce discours sur la confusion entre les
types, nous retrouvons la preoccupation de BINET, reperer les reels «
anormaux d'ecole » grace a la mesure de l' « intelligence naturelle
». Etonnamment « moderne », il pressentit ce genre de confusion
et/ou d'abus en matiere d'orientation et de maintien dans l'enseignement
special. Avec lucidite il met en garde contre le « charlatanisme » et
les « effets de la faiblesse humaine » qui produisent des erreurs de
diagnostic et de « faux anormaux d'ecole ».
BINET et SIMON donnent deux raisons pouvant e xpliquer
l'interet des ecoles a inscrire « de petits normaux » dans les ecoles
pour anormaux.
La premiere est liee a l'image de marque, la
reputation de l'ecole, un « faux anormal » donnera de meilleurs
resultats et permettra de faire valoir la pedagogie et le « redressement
intellectuel » effectuee par l'ecole :
« Les directeurs et professeurs d'anormaux auront
une tendance a montrer aux visiteurs de leurs etablissements des enfants qui
n'auront jamais ete arrieres de l'intelligence. On se gardera bien de raconter
dans quel etat on les aura reOus. Au besoin, on mentira. Mensonge pieux,
pratique pour une bonne cause, en l'honneur de l'ecole ! Ces enfants serviront
de reclame et ce serait aussi illegitime que si des ecoles de sourds-muets
presentait aux visiteurs des demi-sourds muets, ou des sourds ayant
autrefois entendu, en mettant sur le compte de
l'éducation l'habileté avec laquelle ces etres lisent sur les
levres ou prononcent des mots59. »
La seconde raison qu'ils evoquent pour expliquer
pourquoi les directeurs d'ecoles speciales « ouvrent largement leurs
portes a des normaux », est liee a la mise en doute de l'utilite publique
des ecoles pour anormau x si...on ne trouve guere d'anormaux :
« Dans certains établissements, il pourra
se produire pénurie d'anormaux. L'école est créée ;
elle marche ; le personnel émarge, on n'a pas beaucoup a faire, on ne
fait pas parler de soi, on est heureux. Seulement le contingent des
entrées diminue lentement. On a peur que quelque inspecteur ne signale
cette décroissance dans son rapport, et que l'école ne soit
supprimée pour cause d'inutilité publique. Il faudra donc trouver
des éleves ; et si on a besoin d'en trouver, on en
trouvera6°. »
Selon nous, BINET met le doigt sur un probleme crucial
de l'analyse institutionnelle. A partir du moment ou une institution est creee,
elle doit pouvoir legitimer son utilite, montrer sa coherence, sa
neutralite...
Des formations sont organisees en vue de former du
personnel « special » pour les ecoles, des postes sont pourvus,...Il
en est de meme pour d'autres institutions comme les Centres fermes et les
prisons.
Il ne s'agit aucunement de mettre en cause les bonnes
intentions des acteurs de l'enseignement special mais simplement de mettre en
evidence les enjeu x institutionnels inherents a ces champs.
De plus, nous avons vu que les criteres definissant
l'arriere et l'instable de BINET et SIMON, sont assez vagues et font appel a la
morale.
Il n'est, des lors, pas etonnant que malgre les bonnes
intentions des inventeurs de tests (personnalite, QI,...), tel que BINET, leur
utilisation revienne a figer l'individu, une fois pour toutes, dans une
categorie au nom d'un test scientifique « verifiable » et «
reproductible », « toutes choses egales par ailleurs
».
59 BINET et SIMON, op. cit.,
p. 118. A l'autre extreme, un discours assez similaire et actuel met en
perspective les apprehensions de BINET, celui de certaines ecoles elitistes qui
se targuent du fait que 8°% de leurs eleves reussissent a l'universite en
occultant la selection qu'ils ont opere au sein de leur population scolaire
pour parvenir a un tel resultat.
6° BINET et SIMON, op.
cit., p.119
La revision du type a Fissue du primaire
Un enfant de type 8 qui n'atteint pas le niveau requis
a la fin du cycle primaire sera generalement reevalue en type 1 (voire les
chiffres et commentaires sur le gonflement des effectifs de types 1 en
secondaire).
Cette revision du type le relegue definitivement dans
l'enseignement special. Rappelons que les enfants categorises type 8 sont
senses reintegrer l'enseignement ordinaire a l'issue des etudes primaires --
l'enseignement secondaire pour les enfants de type 8 n'etant pas organise a
dessein puisqu'on considere qu'ils sont dotes d'une intelligence normale --
alors que les enfants de type 1 seront en principe orientes vers une filiere
d'enseignement secondaire special qui vise a une integration dans un milieu
normal de vie et de travail et les enfants de type 3 vers une filiere
d'enseignement special qui vise a l'integration dans un milieu de vie et de
travail proteges :
Le "type" d'un enfant est-il evalue une fois pour toutes
ou peut-il etre reevalue ?
Ca depend, s'il est a la zone frontiere type 1I type 8, il peu
t avoir un compor tement e t un appren tissage parfois comme les types 8 qui
ont des quotients a la limi te du type 1.
Il y des enfants pour qui le Quotient In tellec tuel change un
peu, des enfants qui au depart ne s'expriment pas bien du tout, n'ont pas
beaucoup de vocabulaire, ne percoivent pas les consignes e t puis... au fil du
temps, il y a des enfants qui ont eu ce retard a cause d'un probleme
d'entrainement ~ la maison e t d'interet qui n'a pas ete suscite e t de manque
de jeu, manque de lecture, manque d'un tas de choses...
Quelles sont les implications d'une reevaluation sur
leurs futures orientations scolaires ?
Pour le type 8,
Ces enfants vont en classe accueil, ils ont un quotient
intellec tuel a par tir de 75. Il fau t se dire qu'autour des 75, les PMS ne
sont pas toujours tous d'accord, il y en a qui avec une attestation d'un QI de
65 vont encore essayer le type 8, parfois pour faire plaisir aux parents, parce
que les parents demande "es t-ce que type 1 ou type 8 c'es t la meme chose ?" E
t que le PMS leur explique que le type 8 accueille des enfants plus
intelligents alors ils disent « mon fils n'est pas bête vous saved
il peut pas aller en type 1 » donc souvent les PMS par complaisance
attribuent des attestations de type 8 et c'es t pour ca que parfois quand les
enfants tournen t autour de 70, 72, 75... Ce qui est bizarre c'es t que
certains avec 75 vont etre type 1 e t d'autres avec 70 vont etre type
8. Cela depend des PMS, a la zone des 70, c'es t assez difficile
e t variable d'un PMS a l'autre.
Pour le type 1,
C'es t deja arrive qu'un type 1 puisse aller en classe
d'accueil, dans l'ordinaire mais c'es t sur tou t quand le type 1 a un quotient
vers le hau t des types 1, c'es t sur qu'un enfant dont le quotient intellec
tuel se si tue au niveau de 55 ne va pas pouvoir aller en secondaire ordinaire,
fa d pend un petit peu oil il se trouve sur l~ichelle de l~intelligence.
L'examen pluridisciplinaire et l'attestation delivree
par le centre psycho-medico-social (PMS)
Un examen pluridisciplinaire (medical, psychologique,
social et pedagogique) decidera de l'orientation de l'enfant dans tel ou tel
type. Au cas oil ces tests ne suffisent pas, la loi prevoit la possibilite de
placer les enfants concernes dans des centres d'observation qui permettront de
preciser l'orientation.
Comme nous l'avons evoque plus haut, les methodes et
les pratiques inventees par les promoteurs de l'enseignement special en reponse
a la problematique des « anormau x d'ecole » ont ete remaniees,
approfondies sans etre fondamentalement modifiees. Afin de mieu x saisir les
intentions de BINET et SIMON, qui sont analogues a celles qui se trouveront
plus tard chez les fondateurs de la loi belge du 6 juillet 1970 relative a
l'enseignement special qui vise a reserver l'enseignement special « aux
veritables anormaux », penchons-nous un instant sur leur
oeuvre.
BINET et SIMON estiment qu'une premiere selection des
enfants anormau x est possible a partir du retard scolaire des enfants : «
Un retard scolaire de 3 ans signale un enfant comme suspect
d'arriération61. »
Notons a cet egard que ce critere est encore d'usage a
notre epoque pour proceder au reperage des inadaptations scolaires,
particulierement dans l'enseignement fondamental62.
61 BINET et SIMON, op. cit.,
p.57
62 La loi de juin 1983
relative a la prolongation de l'obligation scolaire limite a huit annees la
duree de la scolarite dans l'enseignement fondamental. Elle contribue a masquer
les problemes des « retardes pedagogiques », sans toutefois le
resoudre
Les enfants « suspects d'arrieration »
reperes a partir du retard scolaire vont subir un triple examen. BINET et SIMON
preconisent 3 methodes complementaires pour reconnaitre les etats inferieurs de
l'intelligence :
1° La methode peclagogique : elle sert a juger de
l'intelligence de l'enfant d'apres la somme des connaissances
acquises.
Cet examen vise a controler le degre d'instruction a
travers les epreuves de lecture, de calcul et d'orthographe.
2° La methode meclicale : elle a pour but de reperer
les signes anatomiques, physiologiques et pathologiques de la deficience
intellectuelle.
3° La methode psychologique : elle sert a observer
et mesurer le degre d'intelligence (naturelle) de l'enfant
Le souci de BINET et SIMON est de cerner «
l'intelligence naturelle » des enfants « Notre but est d'apprecier un
niveau d'intelligence. Il est entendu que nous separons ici l'intelligence
naturelle et l'instruction. C'est l'intelligence seule que nous cherchons a
mesurer, en faisant abstraction autant que possible du degre d'instruction dont
jouit le sujet63 » et pour ce faire, ils utilisent des methodes
scientifiques afin d'eviter que l'orientation vers l'enseignement special se
fasse simplement a partir d'un retard scolaire : « Nous offrons l'examen
psychologique comme un moyen de rehabiliter l'enfant qui presente un retard
scolaire accentue. C'est la seule utilite, jamais, dans aucun cas, cet examen
ne peut servir a declarer arriere un enfant regulier dans ses
etudes6D »
Ces trois methodes complementaires elaborees par BINET
et SIMON pour reperer les « etats inferieurs de l'intelligence »,
annonce avec cinquante ans d'avance l'examen tridisciplinaire (
psycho-medico-pedagogique) exige par la loi belge du 6 juillet 1970 sur
l'enseignement special avant d'orienter un enfant vers cet
enseignement.
L'inscription d'un enfant dans une ecole speciale est,
aujourd'hui, strictement subordonnee a la production d'une attestation
specifiant que l'enfant est inapte a suivre un enseignement dans un
etablissement ordinaire mais qu'il est apte a suivre l'enseignement d'un
etablissement special. Cette attestation
63 BOCCA M., Histoire de
l'enseignement special : de la segregation vers l'integration, Memoire Institut
du Travail, Universite Libre de Bruxelles, 1987, p.78.
64 BINET et SIMON, op. cit.
p. 103
delivree par les Centres PMS definit egalement le type et
le niveau d'enseignement vers lequel l'enfant est
oriente65:
Le Centre Psycho-Medico-Social (PMS) informe les parents, leur
donne un avis motive, une attestation, ca c'es t decide par decre t. Dans ce
tte attestation, il est mis que l'enfant n'es t plus ap te a suivre un
enseignemen t ordinaire mais bien un enseignement special de tel ou tel type
(...).
A la premiere evalua tionIorien ta tion dans le special, c'es
t le PMS avec l'avis de l'ecole qui prend la decision [l'ecole ordinaire dans
laquelle l'enfan t se trouve].
Apres lorsqu'il est chez nous, un professeur peut tirer la
sonne tte d'alarme. A ce moment la, on se reuni t en conseil de classe e t on
decide de tester l'enfant (nous-memes) e t puis alors on convoque les
parents... e t la recommence un nouveau travail de persuasion pour leur
expliquer que leur enfant est plutot type 1 que type 8.
Les ecoles n'ont au niveau legal aucune marge de
manceuvre en matiere de diagnostic et d'admission 0 L'orientation d'emblee vers
l'enseignement special dans notre pays n'est pas de rigueur, la regle est de
proc~der a des essais dans l'enseignement ordinaire avant d'integrer l'enfant
dans l'enseignement special. De surcroft, - et ceci est tres important - les
structures de l'enseignement special n'interviennent jamais dans la procedure
d'admission66. ». Neanmoins, ils peuvent faire une demande
aupres d'un Centre Psycho-Medico-Social
Specialise (PMSS) pour qu'un enfant soit
reevalue.
L'enfant garde toujours son attestation de type 1 e t 8 sauf
si au bout de deux ou trois ans de vie scolaire chez nous, on se rend comp te
que l'enfant est limi te, n'evolue pas au niveau de son raisonnemen t, plafonne
au niveau de la logique, alors on peu t demander a un autre PMS de (re)tester
l'enfant e t a ce moment lA, on (re)fait un bilan pedagogique e t on voi t si
l'enfant meri te toujours son attestation de type 8 par exemple ou s'il meri te
toujours son attestation de type 1, on ne le fait jamais l'annee meme, on
attend que l'enfan t soi t chez nous depuis au moins un an e t alors on le
reevalue e t on voi t si l'a ttes ta tion a toujours sa place e t si elle est
toujours aussi pertinente
Nous sur le terrain, on observe e t alors on se preoccupe de
prendre conseils aupres de no tre PMS e t on fait aussi appel a des diagnostics
par des professionnels alors, pedopsychia tres, neuropedia tres, psychologues,
on va vers toute la palette des professionnels.
65 BEAUCHESNE M.-N. et DE
TROYER M., 0 L'adéquation entre l'offre et la demande d'enseignement
special en province de Luxembourg », Centre de Sociologie et d'Economies
Regionales, Rapport de recherche, Avril 1996, p. 14.
66 BEAUCHESNE M.-N.et DE
TROYER M., op.cit., p.11
Lorsque l'ecole ou l'equipe d'inspection medicale
estime qu'il est necessaire de faire admettre un enfant dans l'enseignement
special, la loi reduit la liberte des parents au choix de l'organisme qui
effectuera les examens et etablira l'eventuel rapport d'inscription. Si ces
derniers confirment cette necessite, l'enfant sera obligatoirement oriente vers
une ecole speciale de type determine par l'organisme, la seule liberte laissee
aux parents est alors celui du choix de l'ecole speciale, « L'orientation
d'un enfant vers l'enseignement spécial et le travail d'orientation en
tant que tel entraînent des obligations légales qui restreignent
la liberté des parents (ce que l'on ne trouve pas au niveau de
l'enseignement ordinaire) 67>)
Une procedure similaire est prevue a l'issue de
l'enseignement special primaire pour ce qui concerne le retour a l'enseignement
ordinaire ou la revision du type.
67 BEAUCHESNE M.-N.et DE
TROYER M., op. cit., p.15
3.3 PROFIL DE LA POPULATION DE L'ENSEIGNEMENT
SPECIAL
BINET et SIMON font rarement reference au milieu
sociau x lorsqu'ils insistent sur « la necessite d'etablir un diagnostic
scientifique des etats inferieurs de l'intelligence68 ». En
revanche, ils soulignent le fait que c'est au sein des ecoles de quartiers
pauvres que l'on va trouver le contingent requis pour legitimer la constitution
d'une classe speciale « Il n'y a guere d'ecole importante qui ne puisse
fournir au moins une classe d'arrieres. Maintes statistiques nous l'ont montre
et nous n'avons pas eu de peine a trouver immediatement les elements d'une
classe de ce genre dans une ecole de quartier pauvre69
».
C'est dans « l'interet des parents70
» de familles pauvres qui que BINET veut creer des classes speciales.
Selon lui, les « moins fortunes » n'ont pas honte de leurs anormaux,
contrairement aux bourgeois qui les abandonnent au loin (dans des institutions
privees)71 « Les gens du peuple ont plus de cceur ou moins de
prejuges bque les bourgeois]. L'ecole d'anormaux ne les effrayera pas plus que
l'hospice72 »
L'ecole n'a pas, a l'epoque, la place determinante
qu'elle occupe aujourd'hui dans la trajectoire socio-professionnelle, les
conditions de vies des classes populaires sont telles que BINET affirme «
Si ces peres et meres de la classe ouvriere apprennent qu'il existe quelque
part un internat oG les enfants recoivent le vivre, le couvert et le vetement,
ils s'empresseront de faire admettre leurs enfants meme normaux dans cet
internat, alors meme qu'il serait su que cet internat ne recoit que des
debiles, des arrieres, des fous73 ». Il est persuade que ces
familles n'opposeraient aucune resistance a cette orientation. A cette epoque
l'ecole n'est pas envisagee comme le principal moyen d'ascension
sociale.
L'institution scolaire n'a pas encore cette
pretention.
Nous connaissons depuis les annees 6'3, les mecanismes
de reproduction sociale de l'Ecole democratique legitimes par son ideologie de
l'egalite des chances. Des auteurs tels que Pierre BOURDIEU et Jean-Claude
PASSERON dans leur livre Les Heritiers ont montres le role de l' «
heritage culturel » que les enfants des classes favorisees tiennent de
leur milieu familial. Ces privileges
68 BINET et SIMON, op. cit.
p.14.
69 BINET et SIMON, op. cit.
p. 117
7'3
Ibidem
71 Ibidem
72 Ibidem
73 Ibidem
sociaux se transforment soit en « merite » soit
en « dons » et representent la « violence symbolique »,
theorie developpee dans La Reproduction.
Il y a une distance, souvent meme un fosse, entre le
milieu scolaire et les milieux sociaux populaires. Nous pensons que cette
distance est due, en grande partie, au fait que le milieu scolaire vehicule la
culture de la classe sociale dominante et definit les cultures populaires en
termes d' « anormalite » par rapport a ce que Pierre BOURDIEU a
qualifie d'arbitraire culturel. Une hierarchie est etablie entre ceux qui sont
capables d'utiliser le « travail verbal » et ceu x qui n'en sont pas
capables et pour cette raison, ne sont capables que de « travail concret
».
Nous l'avons vu plus haut, cette distinction
s'apparente a celle de l'Organisation Scientifique du Travail, qui se fonde sur
la distinction entre travail de conception et travail d'execution.
Les travau x de Basil BERNSTEIN74 etayent
une telle analyse, ils montrent que le langage, au sens large, differe
systematiquement selon les classes sociales75. Un code « commun
» ou « restreint » est utilise par tous les membres de la
societe alors que les membres des milieux relativement favorises utilisent, en
outre, un code « formel » ou « elabore » 76.
Les pratiques educatives des milieux favorises
tendent, selon B. Bernstein, a « inhiber la communication directe de
l'affectivité et du meme coup, les comportements impulsifs,
préparant ainsi la voie au controle du comportement par
l'intermédiaire des significations verbales, ce qui maximise les
possibilités de régulations et de manipulations rationnelles
», « L'enfant apprend très tot a preter une attention au canal
verbal (...) Il en vient a concevoir le langage comme un ensemble de
possibilités théoriques utilisables pour présenter aux
autres son expériences dans sa particularité77.
»
C'est en ce sens que Jacques BUDE soutient que
l'ideologie, par le biais de la science psychologique, postule que le
developpement normal de tout etre humain s'apparente a l'acquisition
progressive d'une mentalite socialement situee. :« La pensée
instrumentale abstraite, hypothético-déductive et centrée
sur le sujet constitue l'armature que la nouvelle idéologie, et partant
la nouvelle psychologie assimilent au développement de tout etre humain
(...) Cette idéologie et partant la psychologie qui en formule
l'essentiel, érigeraient en critère de normalité : pour
l'adulte, l'acquisition de la mentalité des milieux socialement
privilégiés et, pour
74 BERNSTEIN B., «
Langage et classes sociales. Codes socio-linguistiques et contrôle social
», Les Editions de Minuit, Paris, 1975.
75 BERNSTEIN B., op.
cit.
76 BERNSTEIN B., op.
cit.
77 BERNSTEIN B., op.
cit.
l'enfant, un certain rythme d'acquisition de cette
mentalite fondee sur la comptabilite des plaisirs et des peines, sur le bilan
du progres individuel78 »
Le rythme d'acquisition de la mentalite des milieux
sociau x privilegies qui sont fondees sur ce critere de normalite fait dire a
Jacques BUDE que les tests d'intelligence ne « mesurent pas des capacites
constitutives de tout etre humain dont certains seraient mieux pourvus par la
nature que d'autres79 », mais il souligne la place accordee par
les tests d'intelligence au « facteur verbal » du fait de sa fonction
discriminatoire « Il est evidemment tres significatif a cet egard que ce
soit precisement la composante des echelles de Q.I que le jargon scientifique
des psychologues qualifie de « facteur verbal », qui presente les
plus fortes differences -- et donc le plus grand pouvoir de discrimination --
selon les classes sociales ainsi que la correlation la plus elevee avec le
niveau socio-economique, l'acces a l'universite et aux professions
privilegiees, telles les professions liberales et les fonctions de cadres
superieurs80. »
Les entretiens avec les chefs d'etablissements
primaires (special) confirment le fait que leurs eleves sont majoritairement
« recrutes » dans les milieux sociau x les plus defavorises. Face a
un diagnostic scientifique les familles des milieux populaires n'ont que peu de
ressources et leur degre de resistance face a l'institution s'en ressent. Les
parents de milieux privilegies non seulement y sont moins souvent confrontes
mais ils ont aussi le moyen d'ignorer les directives de
l'institution.
Dans la description du profil de la population
scolaire tel que l'expriment les chefs d'etablissements, le type de handicap
est la premiere indication qui est donnee. Nous avons alors tente de cerner la
nature socio-culturelle des handicaps au travers des variables telles que la
langue maternelle, le niveau d'etude, la categorie socio-professionnelle des
parents81- et les quartiers oil habitent les familles.
Nos observations dans les ecoles speciales et au
Centre d'accueil meresenfants, nous a revele la grande proportion d'enfants
issus de l'immigration (voire aussi les donnees chiffrees) dans l'enseignement
special, nous avons tente de comprendre, a travers le discours des chefs
d'etablisssements,
78 BUDE J., op.
cit.
79 BUDE J., op.
cit.
80 BUDE J., op.
cit.
81- Nous n'avons pas pu
obtenir des informations sur les categories socio-professionnelles des
familles. Des lors, nous sommes conscients que les informations obtenues sur le
niveau
d'etude des parents sont appro ximatives et font partie
des representations des chefs d'etablissements concernant les milieux
socio-culturels des enfants frequentant leurs ecoles.
Ce qui n'est par ailleurs pas sans inter)t puisque c'est
ce que nous voulons etudier.
comment cette surrepresentation de la population issue
de l'immigration dans l'enseignement special etait justifiee. Il y a egalement
une surrepresentation des garcons dans l'enseignement special qui saute aux yeu
x dans les statistiques propres aux ecoles.
Nous avons tente de cerner la population scolaire de
l'enseignement special a travers les questions suivantes :
Pourquoi y avait-il autant d'enfants des milieux
populaires dans l'enseignement spécial ? Pourquoi les enfants issus de
l'immigration y sont-ils surreprésentés ? Comment un test
multidisciplinaire, marqué culturellement, peut-il prétendre
repérér les enfants « déficients intellectuels »
de milieu social et/ou culturel indifférencié ?
Le quartier
A l'instar de Stephane BEAUD , « Aujourd'hui
habiter un « quartier défavorisé », c'est savoir qu'on
ne peut pas échapper -- ou très difficilement -- au lieu et a ses
affiliations obligées. Pour les enfants, c'est ne pas pouvoir
échapper au quartier et au collège du quartier82
», notre enquete a revele l'inscription de l'enseignement special, pour
les enfants dits « deficients intellectuels », dans les quartiers
defavorises.
L'enquete a debute dans un quartier defavorise de
Bruxelles a forte proportion d'immigres. Les temoignages recoltes indiquaient
que lorsque certains enfants du quartier ne « suivaient » pas dans le
cycle primaire, ils etaient orientes vers l'ecole d'enseignement special situe
dans ce meme quartier. Nous avons voulu en savoir plus sur la dimension du
quartier en interrogeant les directeurs d'ecole sur les liens entre la
population du quartier en question et l'orientation vers cette ecole
d'enseignement special
Le discours sur le ramasssage scolaire, le « tous
egau x devant le ramassage scolaire », occultait quelque peu l'origine
sociale des enfants qui frequentent cet enseignement au debut :
L'enseignement special est sectorise, on a un sec teur
geographique qui a ete delimite par la Communaute frangaise, qui est en fait
un sec teur de ramassage scolaire. On va ramasser les enfants avec deux
grands cars
82 BEALID S., « 80% au
bac...et après, les enfants de la démocratisation scolaire
», La Decouverte, Paris, 2002.
scolaires (les enfants de moins de 12 ans peuvent beneficier d'un
transport scolaire gra tui t).
Mais assez vite le masque tombe lorsqu'il s'agit
d'etablir les quartiers par lesquels passent les cars scolaires :
On a un pourcen tage beaucoup plus eleve d'enfants immigres,
ca c'es t sur mais on est aussi situe dans un quar tier defavorise e t les
zones de ramassage scolaire se portent quand meme en grande par tie dans des
espaces defavorises.
Une directrice e xplique a quel point la dimension de la
population fortement defavorisee joue un role dans la definition meme du
handicap.
Selon elle, il y a de « meilleurs types 1 et 8
» dans les quartiers plus aises, elle parle d'ecoles speciales du Sud de
Bruxelles (Woluwe et La Hulpe) et affirme que « dans ces ecoles
d'enseignement specialise, les enfants de type 1 et 8 ont des Quotients
Intellectuels qui peuvent aller
jusque 90 alors que dans le
quartier X [oil l'ecole est situee], il ne depasse quasi jamais 70
».
La nationalité
L'ecole situee dans le quartier defavorise oil nous
avons commence notre enquete a bien voulu nous fournir ses statistiques en
termes de nationalites (et de sexe). Ainsi, nous avons observe que plus d'un
quart de la population de cette ecole se trouve dans la categorie hors Union
europeenne.
Ainsi au 15 janvier 2002, sur 135 eleves, il y a 107
eleves de l'Union Europeenne (dont 88 belges, 8 italiens, 4 Portugais, 4
français, 2 espagnols, et 1 grec) et 58 eleves hors Union Europeenne
(dont 31 marocains, 9 turcs, 6 congolais (Rep. Dem du Congo et Rep. Pop . de
Brazzaville) et un guineen, un armenien, un jordanien, un liberien, un
mauritanien, un libanais, un slovene, un somalien, un tunisien et un refugie de
l'ONU.
Ces chiffres ne nous revelent finalement pas
grand'chose sur les milieux sociaux des enfants inscrits dans cette filiere car
selon les dires de la directrice « un grand nombre de familles
naturalisées (donc dans la catégorie belge) sont d'origine turque
ou maghrébine ». Au detour d'une conversation, la directrice nous
apprend que la majorite de ses eleves sont musulmans et que les cours se
donnent « dans le respect de toutes les religions ».
Dans une autre ecole situee dans la meme commune, une
autre directrice nous confirme ces informations :
Sur 134 eleves nous avons 99 belges (parfois naturalises
depuis peu) e t 35 eleves e trangers83. Vous savez aujourd'hui
"belge" ne represente plus grand chose, il y a de nombreux immigres de seconde
generation naturalises belges. Depuis une dizaine d'annees, il y de plus en
plus d'enfants d'Europe de l'Es t, des Albanais, des Yougoslaves, des enfants
du petit chateau.
Avez-vous remarque des changements dans le profil de
votre population scolaire ?
Oui, des cas de familles defavorisees e t en souffrance, de
plus en plus nombreux, avant c'e tai t lie au probleme scolaire pur e t c'e tai
t des problemes d'enfan ts. Maintenan t quand on inscrit un enfant, on inscrit
l'enfant et sa famille. On a de plus en plus de sollici ta tions e t de besoins
au niveau des familles. Ici a l'ecole, on a un ves tiaire de seconde main, une
banque alimentaire, on a plein de choses, on a une assis tante sociale qui
passe sa journee a essayer de faire le lien entre les familles e t l'ecole e t
qui ecoute un petit peu tou tes les demandes, toutes les attentes. De mon cote,
c'es t la même chose, je regois des parents, j'en ai regu 3 ce matin, ca
n'allai t pas. Il y a de plus en plus de familles dechirees, de familles
recomposees, de gardes alternees, de problemes d'argent, beaucoup de femmes
seules... De plus en plus d'enfants en mal d'être, des enfants qui ont
besoin de parler, qui ne sont pas vandales mais qui s'exprimen t verbalement de
fagon tres agressive, ca n'exis tai t pas il y a quelques annees ce probleme
la.
La langue maternelle
N'y a-t-il pas lieu de s'interroger sur l'orientation
d'enfants dans une ecole pour deficients intellectuels alors que visiblement il
s'agit en grande partie d'un probleme d'adaptation a la culture scolaire, tel
que le met en evidence notre enquete. Plutôt que de chercher s'il s'agit
d'un probleme lie a l'origine sociale ou culturelle, nous avons prefere nous
referer au concept d'adaptation a la culture scolaire qui comprend tous ceu x
qui ne correspondent pas a la norme culturelle dominante qu'ils soient issus
d'une classe sociale populaire ou de l'immigration. Chez les enfants issus de
l'immigration, la reference a deux systemes linguistiques peut ralentir
l'apprentissage de la lecture et de l'ecriture et n'est pas pour autant un
signe de deficience. Cette reference a deux systemes est renforcee par le
faible niveau d'etude des parents, bien souvent les parents ne parlent pas ou
peu la langue d l'ecole.
[A propos du niveau d'e tudes des parents de l'enseignemen t
special, un des chefs d'e tablissemen ts nous di t :.] Oh ! C'es t tres maigre
vous savez e t tres peu de parents travaillent, tres peu e t malgre le fait
qu'on arrive a la 3eme generation, on a encore beaucoup de parents qui ne
s'expriment pas correc tement en frangais.
Il y en a beaucoup qui viennent de leur pays e t qui n'ont pas
fait grand chose e t alors ceux qui ont vecu ici e t qui ont fait leurs etudes
ici ne sont pas tres loin non plus, moi je dirais que c'es t tres faible mais
on a jamais fait de sondage, je n'ai jamais demande aux parents quel e tai t
leur dernier diplome !
Lorsque les enfants arrivent chez vous parlent-ils tous
le francais ?
Non, ils apprennent sur le tas, rien de tel qu'un bain de
langues, nous avons des enfants de tou tes les na tionali tes, souvent leur
langue ma ternelle n'es t pas le frangais.
Ils on t des problemes de langue, de vocabulaire (...)
L'oral se travaille dans la vie familiale, les tournures de
phrase, la grammaire, le vocabulaire,... Si, a la maison, on parle turc,
yougoslave,... l'enfant va accumuler un retard scolaire.
Un enfant qui voyage, qui va dans les musees a necessairement
plus de chances d'enrichir son vocabulaire. (...) Il y aussi de nombreuses
familles recomposees e t monoparen tales.
La grande proportion d'enfants issus de
l'immigration
Quand on sait qu'il y a de nombreux enfants immigres,
comment se passe ces tests pour des enfants qui n'ont pas l'habitude de parler
francais ou ne le parle pas du tout a la maison ?
Il faut se dire que l'enseignemen t specialise n'es t pas
ouvert a tous les problemes rencontres par les enfants ni a tous les echecs. Il
fau t dis tinguer les retards pedagogiques des troubles d'apprentissages e t
ins trumentaux (type 8). Dans les troubles d'appren tissages, il y a tous les
dys (dyslexiques, dysor thographiques, discalculiques,...), les problemes ins
trumen taux, ce son t tous les problemes proches du schema corporel, de
l'orienta tion dans le temps e t l'espace e t les troubles du langage.
Tous les enfants immigres n'ont pas des problemes
d'apprentissage ou de troubles ins trumen taux, ils on t simplement des
problemes au niveau de
leurs apprentissages mais ils n'on t pas necessairement des
troubles d'apprentissages, il fau t bien faire attention a ne pas confondre les
deux.
Selon vous, pourquoi y a-t-il de nombreux enfants issus
de l'immigration dans l'enseignement special ?
Moi je crois que si on a beaucoup d'enfants immigres c'es t
parce que se son t beaucoup d'enfants de milieux sociocul turels defavorises.
Dans no tre population, c'es t la qu'il fau t chercher. Il y a une autre source
d'explica tion, c'es t les mariages consanguins, il y a beaucoup de mariages
consanguins surtout chez les familles turques, plus que chez les familles
marocaines encore e t souvent dans les mariages consanguins, on trouve tou te
une lignee d'enfan ts avec des problemes de deficience. C'es t un probleme de
culture ca, c'es t quelque chose qu'on a du mal a expliquer aux familles mais
ca arrive frequemment, peu t-ti tre que dans la generation suivante, ca n'exis
tera plus comme avant ca je n'en sais rien, c'es t l'avenir qu'il nous le
dira.
Les enfants parlent arabe entre euxm
?
Ils ne peuven t pas, c'es t completement in terdi t ca, nous
avons 28 nationalites ici alors on ne peut pas se perme ttre de parler dans sa
langue. Cela se pra tique dans les classes de primo-arrivants parce que c'es t
une fagon d'entrer en communication mais ici jus temen t dans le proje t de l'e
tablissement c'es t la communication, la verbalisation mais en frangais!
Le fait qu'un grand nombre d'eleves soient issus de
l'immigration creuse un fosse entre l'ecole et les parents qui, tres souvent ne
parlent pas la langue de l'ecole.
On a encore beaucoup de parents qui ne s'expriment pas correc
tement en frangais.
Vous faites comment alors pour communiquer ?
Ben, on essaye de voir les parents plutot face a face parce
qu'alors on peut s'exprimer avec des ges tes e t on se comprend un peu
mieux, on arrive ainsi
m Nous avons pose cette
question parce qu'en attendant que la directrice veuille bien nous recevoir,
nous avons entendu un certain nombre d'enfants parlant arabe dans les couloirs.
On se souviendra que lors d'un entretien avec une fille issue de l'enseignement
special, nous avions releve l'importance qu'elle accordait a parler sa langue
maternelle a l'ecole (et pas a la maison). C'etait aussi une maniere detournee
de poser une question en rapport avec l'immigration autrement qu'en terme de
nationalite.
a se faire comprendre. Il y a le cafe des mamans qui est un
espace d'ouverture aussi, il y a l'ecole des devoirs qui est aussi un fameux
lien car il y a un assistant social tunisien qui parle arabe, donc c'es t quand
meme une perche pour pas mal de gens. Mon homme d'entre tien parle arabe
aussi.
Nous avons finalement peu de contacts avec les parents car ils
son t peu nombreux a conduire les enfants eux-memes a l'ecole (ramassage
scolaire). Il y a eu un moment une idee de cons ti tuer une association de
parents d'eleves mais il n'y a pas eu de suite. Les contacts se limi tent aux
reunions de parents, là nous faisons appel a des interpretes du Rom,
turque e t arabe (au CIRE).
La surreprésentation des garcons dans
l'enseignement special
Nous avons 135 eleves, 88 garcons e t 47 filles
S'il y a une surrepresentation des garçons dans
l'enseignement special, c'est d'une part parce que les garçons sont
souvent plus « en retard » que les filles, redoublent plus, bref
reussissent moins bien a l'ecole comme l'a demontre une etude dirigee par Mateo
ALALUF85 portant sur la reussite scolaire et les inegalites
d'orientation en terme de genre et ; d'autre part parce que selon la typologie
de BINET les garçons font plus souvent partie de ceu x qu'il a qualifies
d'instables, ceux qui sont hostiles a l'ecole, turbulents et
indisciplines.
Comme l'a e xplique Stephane BEAUD au sujet de
l'adaptation a la culture scolaire, il se pourrait que le tiraillement entre la
culture familiale et la culture legitime que subissent les filles et les
garçons des milieux populaires, a travers la socialisation, se manifeste
chez les garçons par un ancrage au quartier et une identite « plus
affirmee » a travers la « bande de copains » en rupture avec
l'ecole, « Le quartier fonctionne alors comme un refuge et comme un
entre-soi qui leur permet de se tenir a distance de la culture scolaire qu'ils
laissent aux "autres"86 ».
85 ALALUF M., 0 Les filles
face aux études scientifiques. Réussite scolaire et
inégalités d'orientation », Institut de Sociologie,
sociologie du travail, Editions de l'Universite Libre de Bruxelles,
2003.
86 BEAUD S., op.cit.,
p.103
L'examen pluridisciplinaire et l'environnement
socio-culturel de l'enfant
Qui demande que l'enfant subisse un test
multidisciplinaire, les parents ou l'ecole ?
Habi tuellemen t, ce son t plutOt les ecoles qui demanden t a
ce qu'un enfant soi t tes te. Ce qui est comique, c'es t que quand on a eu des
enfants chez nous qui ont des freres e t des sceurs, les suivants arriven t
tout seuls, par la famille alors bien souvent, pas par l'ecole. J'ai des
parents qui ne veulent plus laisser leurs en~ants dans l'ordinaire pour qu'ils
ne connaissentpas le meme parcours que les aines alors que parfois ceux qui
sont dans l'ordinaire n'ont pas besoin de l'enseignemen t special mais pour les
familles, il faut absolumen t qu'ils viennen t ici e t alors il y a des
familles qui se ba ttent pour essayer d'avoir absolumen t une attestation qui
leur perme t d'en trer ici.
Comment fait-on pour « detecter » ceu x qui
n'ont pas frequents le reseau d'enseignement en Belgique...
J'ai eu un enfant qui arrivai t tout droi t de Somalie, c'e
tai t un enfant qui avai t quand meme 11 ans e t demi e t qui ne parlai t pas
un mot de frangais. En juille t, la premiere chose que j'ai demande aux
parents, je leur ai di t que je voulais bien l'accep ter en sep tembre a la
condition qu'il aille a l'ecole des devoirs pendant les vacances pour avoir un
bon bain de langues. Ce gamin maintenant parle courammen t le frangais, rigole
quand on lui fait une blague (donc on peu t deja lui dire quelque chose a
double sens). Il a eu par contre tres dur en lecture (...) Ca a coince jusqu'~
il y a a peu pres 15 jours e t main tenan t il commence a demarrer, pas moyen
de lui apprendre a lire. D jd qu'il devait faire un e~~ort surhumain pour
comprendre ce qu'on lui disait ! Donc il a vecu dans un groupe ou les enfants e
taient gentils avec lui mais c'es t vrai qu'il n'arrivai t pas a comprendre
pourquoi on lui demandai t d'ecrire e t c'es t vrai que ce gosse n'avait jamais
ete scolarise et puis du jour au lendemain, on lui met un crayon entre les
mains, il est quand meme arabe donc il a eu l'habitude d'ecrire dans l'autre
sens et puis nous on lui demande le contraire, fa fait beaucoup de choses en
meme temps !
Comment fait-on passer ces tests a des enfants qui ne
parlent pas la langue (ou peu) ?
Il y a tou te une serie de tests no tamment les tests non
verbaux pour tester le niveau de comprehension du message. Il faut savoir qu'un
enfant, meme s'il parle le frangais peut sabo ter le test (en refusant de
repondre par exemple), si ce t element n'es t pas pris en consideration par le
psychologue, le diagnostic risque d'etre fausse. De meme si dans un test il est
question de neige, un enfant qui n'en a jamais vu dans son pays repondra a cote
de
la question, il fau t prendre en consideration la culture
d'origine e t cela depend de la competence des psychologues. Dans un meme temps
comme il y a de nombreux tests, on peut finalement es timer grosso modo les
capaci tes intellec tuelles des enfants meme s'ils ne parlent pas la langue.
Vous savez, il y a des chercheurs qui passent des annees entieres a tester la
fiabili te d'un test!
Des enfants « en voie de regularisation » sont
parfois orientes vers les ecoles speciales alors qu'ils n'ont jamais frequents
l'ecole en Belgique...
Il y a tout un systeme social au petit château (des
assis tantes sociales, des psychologues) qui s'occupe du bien-etre de ces
enfants, souvent ce sont des enfants qui n'ont jamais e te a l'ecole car dans
leur pays ils ont pu etre consideres comme "l'innocen t du village" comme cela
se passai t chez nous dans le temps, les "idiots" e taien t reje tes.
Grâce a l'obliga tion scolaire ces enfants, qui auraient pu etre exclus e
t rester a la maison avec leurs parents, doivent aller a l'ecole comme tout le
monde.
Habi tuellemen t les ecoles qui accueillent les enfants du
petit château, ce son t des ecoles qui ont des classes de primo-arrivants
parce qu'il exis te a l'heure ac tuelle des avantages qui son t donnes aux
ecoles qui creen t des classes de primo-arrivan ts, des avantages en nature, en
heures (en periodes) de psychomo trici te ou de logopedie, donc ils ont un
bonus en heures e t ils l'utilisent a ce tte fin l.
Nous n'avons pas d'enfants du petit château direc tement
[centre ouvert] mais du quartier aux alentours, nous en avons trois.
3.4 LES PRESCRIPTIONS DE L'ENSEIGNEMENT SPECIAL
BINET et SIMON dans leur guide d'admission aux classes
de perfectionnement recommandait une maniere de presenter les ecoles speciales
aux parents. Ils preconisaient d'attenuer le diagnostic revelant la debilite
legere de leurs enfants en presentant cette orientation comme un avantage, une
structure de « rattrapage » ou l'enfant « qui ne suit pas »
a l'ecole ordinaire pourra beneficier d'un enseignement « approprie
».
« On leur expliquera [aux parents] que les
classes de quarantes eleves sont trop nombreuses pour les sujets de ce genre,
et que le maitre n'a pas le temps de s'en occuper. On leur dira que la loi
nouvelle organise des classes de 10 a 20 eleves au maximum, dans lesquelles on
pourra donner un enseignement individuel. 87»
« Qu'on ne dise jamais aux parents que leur
enfant est imbecile, idiot ou fou ou simplement anormal. Qu'on leur presente
l'entree de leurs fils ou de leur fille dans une ecole speciale comme un
avantage, ou meme une faveur ; qu'on n'exige pas de maniere trop formelle leur
consentement ; ce serait leur laisser croire que ce sont eux qui accordent
quelque chose et beaucoup refuseraient.88 »
« Bref de la prudence, de la douceur, du cceur
et un peu de diplomatie, voila ce qu'il faut ; et l'experience professionnelle
que nous avons acquise nous a demontre qu'il n'est pas trop difficile de gagner
les parents a la cause de l'enseignement special89
»
Ce discours se retrouve aujourd'hui, a quelques
modernisations pres, dans le discours de nos directrices :
Comment expliquer-vous aux parents la necessite
d'orienter leur enfant vers l'enseignement special ?
Les parents, au debut ils ont peur. Quand ils arrivent a l'ecole,
ils croient qu'ils vont voir des handicapes. Lorsqu'ils se rendent comp te que
c'es t une ecole comme les autres, ils son t rassures.
87 BINET et SIMON op. cit.,
p. 54
88 Ibidem
89 Ibidem
Ce n'es t jamais evident mais on leur explique que leur enfant
est en souffrance e t qu'il a besoin d'une attention particuliere qu'il ne peu
t trouver qu'au sein d'une ecole speciale. L'enfant sera mieux pris en charge,
il pourra avancer a son rythme e t ra ttraper le retard accumule, dans de pe ti
tes classes. Dans no tre ecole les classes sont composees de 8 enfants pour un
professeur. Parfois il faut passer ou tre la decision des parents.
Pour les parents c'es t difficile parce que le mot debile
leger... C'es t le mo quand meme pour le type 1 !
Les chefs d'etablissements preconisent de terminer le
cycle primaire avant de rejoindre l'enseignement ordinaire. Tout se passe comme
si l'enseignement special n'etait qu'une etape, qu'un accident de
parcours.
Ils insistent sur la meilleure prise en charge des
enfants dans de petites structures. Selon eu x, si l'enfant recoit le «
bagage necessaire », et acquiert « le sens des responsabilites et la
regularite dans le travail », il pourra esperer rejoindre l'enseignement
ordinaire.
L'enfant a-t-il la possibilite de rejoindre
l'enseignement ordinaire ?
Ca depend, parfois un enfant arrive chez nous e t il a
accumule un tel retard qu'on ne peu t pas faire de miracles, parfois il a les
capaci tes intellec tuelles mais il est trop tracasse par ses problemes
familiaux pour reellemen t se concen trer sur l'ecole.
Les parents peuvent-ils retirer leur enfant de l'ecole
s'ils estiment que cet enseignement ne lui convient pas ?
Un enfant qui commence l'annee avec nous, a le droi t de
quitter l'ecole jusqu'au 30 sep tembre (c'es t la loi pour tou tes les ecoles
en Belgique). A partir du 30 sep tembre, on ne qui tte plus, on ne change plus
d'ecole sauf si on demenage ou alors il faut un accord d'ecole a ecole jus
tifie.
Que recommandez-vous aux parents qui desirent que leur
enfant rejoigne l'enseignement ordinaire au plus vite ?
Moi je conseille que l'enfant fasse tout le cycle primaire
dans l'enseignemen t special, parce qu'un enfant qui arrive chez nous, comme je
l'ai deja dit est un enfant qui a beaucoup d'echecs a encaisser e t de
souffrance a surmonter e t quand il arrive chez nous, le temps de le reme ttre
sur le rail, ben le temps passe...il faut se dire qu'un enfant qui es t sur le
rail, imaginons qu'il ai t 11ans, es t-ce qu'il est ap te a aller en 5eme
primaire, es t-ce qu'on doi t le me ttre en 3eme primaire, ou faut-il le me
ttre?
Alors, l'ideal, c'es t d'essayer de « boucler sa valise
pour qu'elle soi t prete » pour aller en accueil, donc lui donner tou te
ce tte autonomie, ce sens des responsabili tes, ce tte regulari te dans le
travail, de lui inculquer vraimen t ce dont il a besoin pour redemarrer avec
une nouvelle carte de visite vierge. Parce qu'un enfant qui re tourne en
primaire a souvent son passe de primaire qui lui re tombe dessus par apres, e t
il fau t pas aller trop vi te, surtout pas me ttre la charrue avant les boeufs.
Il vaut mieux y aller avec prudence, une annee dans la vie d'un enfant ce n'es
t rien, du moment que ce tte annee a servi t a le s timuler, le regonfler, le
revigorer. Tout ca c'es t tres important il faut bien l'armer pour qu'il soi t
sur de lui e t qu'il ai t confiance en lui, il fau t pas aller trop vi te, sauf
si nous ~tions dans un autre milieu, une direction d'Auderghem ou d'Uccle ne
parlera pas comme moi.
Pour le type 8 sur tou t, c'es t sur que suivant la region
d'oil on vient...euh, ben il fau t voir un petit peu...Nous on a 28 na tionali
tes chez nous, je ne suis pas sur qu'~ Woluwe, il y ai t 28 na tionali tes. E t
si il y a des na tionali tes ce sont peut titre des enfants qui ont eu un
probléme linguistique tout simplement mais qui proviennent de familles
plus aisées etplus cultivées aussi.
Et d'illustrer son propos par l'histoire scolaire d'une
petite fille issus d'un milieu aise et instruit :
Pendant 6 ans j'ai eu une petite, sa maman e tai t infirmiere
a Erasme, son papa e tai t chercheur a Borde t mais c'es t sur que l'ecole
finie, ce tte maman exagerai t meme, parce qu'elle la me ttai t dans toutes sor
tes de choses, d'a teliers,...En fait, elle ne pouvai t pas sor tir pour
s'amuser, tout ce qui e tai t vecu par ce tte petite en dehors de l'ecole c'e
tai t pour l'aider a avancer au niveau scolaire e t nous souvent on lui a di t
que parfois il fau t pouvoir jouer simplemen t pour le plaisir de jouer. Quand
elle jouai t c'e tai t avec une intention d'apprendre quelque chose en plus. La
maman avai t tapisser les murs de son living de grandes affiches educa tives
pour apprendre a lire ou a calculer (je chante, tu chantes,...) (les jours de
la semaines). Tout e tai t educa tif e t c'e tai t meme exagere, là c'e
tai t un exces.
Bon donc ces familles ld, de ce cote-ld de Bruxelles seront
probablement avec d'autres visions de l'éducation et d'autres attentes
aussi. Nous essayons de repondre aux a tten tes des parents e t sans doute qu'~
Woluwe ou a Uccle, ils font de meme.
En d'autres termes l'environnement socio-culturel de
l'enfant, peut avoir une influence considerable sur le « diagnostic »
et sur les remediations proposees aux familles.
3.5 FILIERE DE REMEDIATION OU DE RELEGATION ?
Le parcours scolaire d'enfants « deficients
intellectuels » issus de milieux plus aises sera-t-il
different?
A tout a fait, moi je pense oui, ils auront siirement plus de
facili tes...Ici on a des types 8 qui continue leur petite scolari te sans
probleme general mais pourquoi on est pas presse de les reme ttre en primaire e
t pourquoi es t-ce que cer tains vont etre orientes vers telle ecole
plutô t qu'une au tre, ce qu'on souhai te toujours c'es t que l'enfant
soi t bien dans sa peau e t qu'il ai t confiance en lui. Un enfant qui provient
d'une famille ou il n'y a pas de revenus, je ne peux pas l'inscrire dans une
ecole ou je sais qu' a l'entree on va demander autan t, puis il y aura un
voyage pour me ttre les enfants ensemble a la ren tree qui va cohter autan t,
puis je sais qu'on va lui demander, je sais pas moi, la panoplie du parfait
cuisinier avec tous les
cou teaux e t compagnie, bon on sai t que telle famille pourra
faire front a tel type de sollici ta tions e t tel famille ne pourra pas... e t
alors le gosse risque d'etre marginalise. Il fau t un petit peu voir ce qu'on
fait avec les enfants pour qu'ils soien t bien dans leur peau, pour qu'ils ne
soien t pas reje tes e t qu'ils ne se sen tent pas reje tes. Nous proposons des
ecoles qui correspondent plus ou moins aux posibili tes financieres e t au
niveau des parents c'es t sir qu'on ne va pas envoyer un gosse qui vient d'un
milieu completement paume a Uccle.
D'apres vous, il vaut mieu x qu'il reste dans son «
environnement ».
J'ai deja envoye des enfants, pas au college Saint-Pierre ou
dans des ecoles huppees, mais j'envoie des enfants a Saint-Vincent de Paul a
Uccle qui es t une tres bonne ecole, d'un bon niveau e t oil on sai t que les
enfants son t ecoutes, il y a differentes philosophies dans les ecoles, on
essaye que la philosophie de l'ecole colle a l'enfant.
Il y a des ecoles que j'aime bien dans le niveau secondaire,
il y des ecoles que j'aime moins, j'aime beaucoup les Filles de Marie a
Saint-Gilles, je trouve que les gosses qu'on a envoyes lA-bas ont tres bien
evolues.
Je n'aime pas Notre-dame de la rue de Fiennes, pour tant mes
enfants y ont e te mais j'enverrais pas les enfants de ce tte ecole-ci, parce
qu'ils ne sont pas accep tes a part entiere comme tout enfant est accep te
venan t d'ailleurs, parce qu'ils on t leur etiquette du special d'office. Alors
que dans d'au tres ecoles on le sai t a l'inscrip tion e t puis apres on n'en
parle plus. Ils ont les memes chances que les autres. Ilfautfaire en sorte que
nos enfants ne soient pas pointés du doigt parce qu'ils viennent du
special, qu'ils aient les memes chances que ceux qui ont
leur CEB en mains e t voila. Il fau t qu'ils puissent avoir un
cheminemen t le plus normal possible.
Une directrice nous e xplique comment cela se passe
lorsqu'un enfant issus du special n'a pas « rattraps le retard »
accumule dans l'ordinaire.
Selon elle, il regresse a tel point que sa debilite
legere se transformera en debilite profonde
J'ai toute une famille ici du quar tier, on a eu tous les
garcons, les 4 garcons de la famille son t passes par chez nous (ils n'ont
qu'une fille ses gens), e t le malheur c'es t qu'apres ils deviennen t type 2
parce que c'es t quelque chose qui regresse plutO t que de rester constant ou
de bonifier, cela regresse donc on a des enfants qui deviennent type 2, ce qui
veut dire qu'il devienne debile profond quoi. Gentils hein...des amours tous,
les 4 garcons, on a jamais eu de problemes de comportemen ts avec ses gosses
mais pas futes quoi, pas malins. Alors, en secondaire, au fur e t a mesure de
leur croissance (vers l'adolescence), ils se sont vu a ttribuer l'a ttes ta
tion type 2. Parce qu'en type 1, en fait, quand ils sont petits, on leur donne
toujours un temps d'adap ta tion mais quand ils plafonnent e t qu'ils
plafonnent tres vi te, a un niveau de fin de premiere annee primaire, cela veut
dire qu'en lecture ils ne comprennen t pas ce qu'ils lisen t, cela veut dire
que pour apprendre un metier, ils vont etre limi tes, ils vont peut etre
assimiler deux consignes mais quand on arrive dans la vie professionnelle, ils
faut pouvoir avoir une memoire a long terme, a court terme, il faut pouvoir
adapter ses recherches en ma thema tiques, il faut pouvoir employer la
calculette, eux ils savent l'employer quand il s'agi t de faire ++++, - - - ils
vont savoir faire, X ils vont savoir faire mais quand ils ont un reel probleme
de vie, ils n'arriven t pas a trouver le sens des operations, ils ont beau
avoir leur machine a calculer a cO te d'eux ils ne savent pas comment
l'employer parce qu'il n'ont pas de demarche.
Y a-t-il une trajectoire type pour les enfants issus de
l'enseignement special ?
Pour les types 8 (chez nous), c'es t l'accueil e t puis le
general, le technique ou le professionnel, le type 1 ce sera le professionnel e
t le type 2, c'es t l'atelier protege. Maintenan t, il faut savoir que les
types 1 qui n'ont pas de CEB, n'ont pas acces au chOmage non plus, donc nous on
essaye de tirer les enfants vers le hau t e t les mo tiver a avoir le CEB. Le
type 8 chez nous ne regoit pas de CEB. Nous ne faisons pas d'annee de main tien
(ce qui veu t dire que nous ne gardons pas les enfants dans le cycle primaire
jusque 13-14 ans). Nous ne sommes pas pour le maintien. Avec ce systeme, on peu
t garder les enfants un an de plus, un simple avis de conseil de classe
argumente suff it, ce n'es t pas difficile comme demarche. Apres l'annee de
maintien, on leur donne un CEB, le problime c'est qu'avec un
CEB, un enfant va n'importe oil, ilpeut aller dans n'importe quel ecole de
n'importe quel niveau, d son libre choix. Or, nous on prefere ne pas les garder
jusque 14 ans, les envoyer en accueil e t qu'ils passen t leur CEB en accueil
parce qu'alors, ils ont une annee deja en secondaire, ils se familiarisent avec
l'ambiance e t les professeurs du secondaire voient un petit peu de quel bois
ils se chauffent, voir si ce sont des enfants courageux, si ce sont des enfants
volontaires, si ce sont des enfants reguliers, si ce sont des enfants qui ont
des familles qui les suivent, voir un tas de fac teurs...Ce qui veut dire que
si ils ont le CEB en Jere B (accueil), ils son t deja dans une ecole de
secondaire e t peuvent deja avoir une idee de leur future orientation. Nous on
trouve qu'il vaut mieux les envoyer en accueil directementplut1t que de leur
donner le CEB ici.
Quelle est la fonction de la classe accueil, sert-elle a
obtenir le CEB ?
Ils ne regoivent pas le CEB d'office, ils doivent passer des
examens e t apres ca s'ils l'on t, ils sentiron t bien d'eux-memes, ils auront
deja une idee des options e t ils verront bien s'ils sont fait plut1t pour
quelque chose de manuel ou bien s'ils ont vraiment envie de faire du general et
nous on les envoie souvent ~ l'ecole X parce que il y a plusieurs options. Pour
les filles, il y a la puericul ture, les travaux de bureau, il y a moyen de
faire des tas de choses. J'ai meme des gosses dans le general. Il y en parfois
qui font d'excellents resul ta ts, ils ont e te tellement drilles chez nous, on
les a tellemen t motive a etre regulier e t a etre fidele dans leur travaux a
domicile...Parce qu'en secondaire il faut fournir un effort personnel, il faut
etre responsable, il faut etre au tonome e t il faut pouvoir se gerer, alors en
classe terminale on leur donne vraiment ce goit de gestion et de responsabilite
par rapport a leur travail e t ils sont prets. D'ailleurs ont dit de nos
enfants quand ils vont dans le secondaire qu'ils sont organises, structures et
disciplines, c'es t vrai qu'avec ces trois quali tes la, ils y arriveront. On
les force quasiment tous a aller a l'ecole des devoirs en classe terminale,
pour avoir un repere, pour avoir quelqu'un qui soi t la pour dire s'ils sont
rapides, s'ils son t soigneux...
Soulignons ici les differences de politiques scolaires
entre la directrice du reseau Libre que nous venons d'evoquer ci-dessus et les
directrices du reseau Officiel qui pratiquent « le maintien »
:
Dans quelle filiere sont orientes les enfants qui sortent
de l'ecole speciale (du reseau Officiel)?
Il n'y pas de regle generale, nous travaillons au cas par cas,
un certain nombre d'enfants son t orientes vers la forme 4 (pour le type 3).
Nous gardons les enfants jusqu'd 13 ans dans l'enseignement special pour le
faire sor tir il faut ob tenir un document specifique.
Le Certificat d'Etudes de Base (C.E.B) et l'orientation
vers le secondaire
Il ressort de nos entretiens que l'obtention du
Certificat d'Etudes de Base (C.E.B) a la fin du cycle primaire de
l'enseignement special est determinante. Certaines ecoles ne donnent jamais le
C.E.B parce qu'elles estiment que les enfants de cette filiere ne peuvent
« etre ladies comme ca dans le secondaire general », qu'ils doivent y
entrer en douceur via la classe accueil. D'autres ecoles font passer cet examen
a deux ou trois enfants au maximum par an.
Les autres poursuivent dans la filiere
speciale.
Plusieurs raisons nous semblent expliquer le fait que peu
d'eleves soient orientes vers l'enseignement ordinaire a l'issue de
l'enseignement primaire:
1. Une fois que ces enfants sont dans le circuit du
special, leur « deficience » ne sera plus jamais remise en cause. Il
semble meme que le fait d'avoir evolue dans ce circuit constitue un stigmate
indelebile qui determine le devenir social et professionnel de ceu x qui en ont
« beneficie ».
2. Ces eleves et leurs familles ont interiorise leur
« anormalite » et s'y resignent consciemment ou non. Le verdict
scientifique faisant etat de leur « anormalite » va naturellement se
transformer en etat « d'inferiorite » qui legitime une place dans la
hierarchie socio-economique. Cette interiorisation sera d'autant plus forte
lorsque les enfants cumulent des difficultes scolaires, sociales, culturelles
et economiques.
3. Les professionnels de l'enseignement special
proposent des filieres qui « reproduisent » le milieu socio-culturel
des enfants.
La construction ideologique de la debilite legere est
indissociable de la remediation preconisee par les chefs d'etablissements selon
le milieu social defavorise.
En theorie, donc, le C.E.B. peut etre obtenu sous
certaines conditions90 et les ecoles disposent de toute la liberte
en la matiere. Sur decision du conseil de classe, un enfant sera juge apte ou
non a passer l'e xamen en vue de l'obtention du C.E.B. Dans notre enquete
l'ecole du reseau Libre estime qu'il
90 Voir reference
legislative: Volume I sur Enseignement Special fondamental et secondaire (Rose)
(12/04/2001) (Directives et recommandations pour l'annee scolaire 2001-2002):
Circulaire n° 9 (ORG/2001-2002/9) relative a la delivrance du CEB dans
l'enseignement special : Au primaire pour tous les types sauf le type 2. En
forme 2 et en forme 3: au terme de chaque annee scolaire sur decision du
Conseil de Classe. En forme 4: au terme de la 1ere B ou de la 1ere A (cf.
enseignement ordinaire) au terme de la 2eme certificat equivalent.
vaut mieu x que « les enfants du special »
passent d'abord par la classe accueil, autrement dit la lere B, pour
« se familiariser avec les attentes » du secondaire . Dans les ecoles
du reseau Officiel se pratique « maintien » ce qui signifie, dans le
jargon de l'institution, qu'il faut garder l'enfant dans le cycle primaire
jusqu'à ce qu'il obtienne son C.E.B. Ce qui, on l'a vu, est tres
rare
Dans le reseau Officiel : Delivrez-vous le CEB
?
Dans la mesure du possible c'est-A-dire si l'enfant rempli
certaines conditions. Il fau t que d'une part il ai t un quotient intellec tuel
dans la normali te (qui attes te de ses capaci tes pour reussir) e t que
d'autre part qu'il ne presen te plus de troubles du compor tement (qu'il soi t
stabilise au niveau psychologique e t affec tif).
Cela ne ser t a rien de delivrer un CEB a un enfant alors qu'on
sai t per tinemmen t bien qu'il ne s'in tegrera pas dans l'enseignement
ordinaire
Ce tte annee sur 134 eleves, nous en preparons deux pour le CEB.
La reussi te depend d'eux (...)
Chaque annee, on fait des conseils de classe (avec le PMS e t
les collegues de l'ecole qui s'occupe de l'enfant dont on parle). Il y a trois
sor tes de conseils: un conseil de classe pour les entrants (informations sur
chaque nouvel enfant inscri t), l'enfant est tes te par nos soins, un conseil
de classe pour les enfants a problemes qui auraient besoin d'une reorientation
e t un conseil de classe pour les sortan ts, la ca depend de l'annee de
naissance, soi t on les maintien t encore une annee soi t ils sor tent (exemple
ce tte annee pour les 89I90, les 89 sont obliga toirement sor tants e t les 90
peuvent beneficier d'un main tien)
Que se passe t-il pour les sortants ?
Soi t ils ob tiennent le CEB, c'es t assez rare il y en au
grand maximum trois par an, l'année passée ily en a eu un. Ce CEB
a la meme valeur que dans l'ordinaire, l'enfant va en premiere A, le fait qu'il
vienne du special n'est pas note sur le CEB e t heureusement parce que c'es t
assez pejora tif (...) On ne leur donne pas en cadeau le CEB, c'es t a double
tranchan t parce que si l'enfan t n'a pas le niveau pedagogique, il revient
dans l'enseignement special. (...) Les enfants qui n'ob tiennen t pas le CEB e
t ont quand meme un niveau de 4 &me primaire de l'enseignement ordinaire
vont en classe accueil pour qu'~ la fin de l'annee ils ob tiennent leur CEB en
classe accueil, premiere B. Les cas malheureux son t les enfants qui n'ont pas
le niveau mais doivent sor tir de l'enseignemen t special primaire, alors
là ils sont orientes en type 1 dans le secondaire special. LA c'es t
clair qu'ils sont debiles legers. Quand on es t debile, on est debile a vie, ce
n'es t pas la peine de leur me ttre le Vif l'Express dans les mains ou des
livres d'au teurs. Le but alors c'es t de faire en sor te qu'il soi t
independant.
Dans le reseau Libre :
Au niveau de la delivrance du CEB, vous etes libre
alors?
Oui, on pourrai t donner des CEB a tout le monde, j'ai deja
perdu des inscriptions comme ca hein, mais quand j'explique les choses les gens
qui ont un peu de recul comprennen t. Evidemment si on veut absolument ce CEB
comme le gadget dans la boite surprise, ldje dis non, je veux bien delivrer la
chique et le ballon maisfautpas exagerer! (...) Le CEB n'es t pas au toma tique
(...)
Nous ne delivrons pas de CEB.
Le CEB donne acces a tout enseignement secondaire e t nous
pensons que pour les lives qui viennent de l'enseignement special, il est
dangereux d'avoir acces d n'importe quelle filiire. C'es t pourquoi ils son t
majoritairement orien tes vers les classes accueils, ainsi ils son t confron
tes aux exigences du secondaire e t pourron t choisir en connaissance de cause
leur future orientation (...)C'es t tres facile de donner un CEB, cela se fait
sur base d'un conseil de classe mais on trouve que ce n'es t pas honnete par
rapport aux gosses. C'es t une caro tte, mais une caro tte qui est tres
dangereuse e t il ne fau t pas oublier que ces gosses reviennent deja d'un
passe chao tique donc ils ne fau t pas qu'ils re tournen t n'impor te oil, ils
ont e te proteges dans le special primaire e t ce tte annee d'accueil est bonne
pour eux, ce tte une annee intermediaire entre le moment oil ils ont e te
chouchoutes e t un moment oil ils von t devoir voler de leurs propres ailes. Ce
tte annee la leur fait un grand bien. Ca c'es t une poli tique d'ecole, chaque
ecole a sa poli tique.
Que font ces enfants s'ils n'obtiennent pas de
qualifications durant leurs etudes humanitaires (primaire et secondaire)
?
Ils travaillent sans passer par le chomage, il y en a beaucoup
qui ne passen t pas par la chomage (...)Ca depend de leur bagou, de leurs
envies aussi, je connais plein d'eleves de chez nous qui n'on t jamais chomes,
ca depend de leur motivation.
Lorsqu'on n'a pas obtenu son CEB, on n'a donc pas
acces au statut de demandeur d'emplois ni aux indemnites de chomage
?
Normalemen t non, alors il y a moyen d'avoir des indemni tes,
des pensions d'handicapes, en passant par le fond de reclassement des
handicapes mais alors là on a une etiquette dans le dos. Bon que les
types 1 faibles ou les types 2 en arriven t là, c'es t normal, c'es t
leur droi t e t c'es t un devoir de socie te de les aider mais qu'un type 8
passe par là ce serai t quand meme ridicule. Nous on espere toujours
qu'ils ne doivent pas en arriver là pour ne pas qu'ils aien t ce tte e
tique tte-lA, maintenant il y en a qui vivent heureux avec le fond du
reclassemen t pour handicapes, il y en a a qui ca convien t mais bon, c'es t
vrai que nous essayons de faire en sor te qu'ils puissent se debrouiller par
eux-memes.
CONCLUSION
L'enseignement special destine aux « debiles
legers » se presente aux familles comme une remediation aux retards
scolaires. Les echecs scolaires y sont interpretes comme les signes d'une
deficience intellectuelle a laquelle l'enseignement va remedier en s'adaptant a
cet handicap.
Le verdict scientifique verbalise dans l'attestation
du centre psycho-medicosocial (PMS) qui contient le diagnostic du « type
d'anormalite » dont souffre l'enfant detient le pouvoir de sceller son
destin scolaire, et donc social, des l'age de 8-9 ans. Lorsque l'objectif de
remediation n'est pas atteint, et c'est generalement le cas, l'echec sera
egalement impute aux deficiences psychologiques -- intellectuelles ou
caracterielles -- de l'enfant.
Les criteres qui president a l'orientation vers
l'enseignement special sont, a peu de choses pres, ceux qui ont ete etablis au
debut du 20eme siecle par ses fondateurs, notamment Alfred BINET et
Theodore SIMON.
Ils voyaient le resultat d'une deficience
intellectuelle dans le retard scolaire et/ou l'indiscipline a l'ecole.
L'institution de l'ecole obligatoire, en donnant acces a l'ecole aux enfants
des couches les plus populaires de la societe avait revele qu'un grand nombre
d'enfants etaient incapables de suivre l'enseignement qui leur etait
dispense.
L'interpretation, par ces auteurs, de l'echec scolaire
dans une perspective pathologique en termes d'anormalite aura une importance
considerable sur les developpements ulterieurs des classes pour « anormau
x d'ecole ».
Les distinctions terminologiques et les
classifications qui en decoulent se retrouvent aujourd'hui encore, a quelques
« modernisations » pres, dans le discours des professionnels de
l'enseignement special.
Les problematiques inherentes a la classification en
termes d' « anormaux d'ecole » fondent toujours l'enseignement
special. Les directrices d'ecoles revelent, selon nous, la nature ideologique
de la notion de debilite legere. C'est en termes medico-psychologiques qu'elles
justifient et fondent le processus de remediation. L'influence du milieu social
sur l'orientation vers cette filiere est integree dans cette pespective. Il y
aurait, selon les directrices, de « meilleurs types », autrement dit
des enfants ayant un quotient intellectuel plus eleve, dans les ecoles des
quartiers aises. De plus, dans ces milieux les enfants recoivent plus
d'attention en ce qui concerne leur scolarite.
Ce qui e xpliquerait, selon elles, que les
remediations des quartiers aises soient differentes et correspondent aux «
possibilités financieres et aux niveaux » des familles.
La notion de debilite legere mise en question dans ce
travail comprend les types 1, 3 et 8 mais nous avons accorde une attention
particuliere au type 8 parce qu'il s'est avere etre un bon indicateur du
fonctionnement effectif de l'enseignement special en matiere de
remediation.
Alors que les autres types de « debiles legers
» sont orientes, en secondaire, dans la continuite de cette filiere. Les
enfants categorises type 8 a l'intelligence « normale », sont senses
« reintegrer l'enseignement ordinaire, soit en cours de scolarite
primaire, soit a l'entree du secondaire91 » car il n'existe
pas, au niveau du secondaire, d'enseignement special qui leur soit
destine.
Le cas de ces enfants nous parait particulierement
revelateur des mecanismes de relegation. De maniere presque generale, le
Certificat d'Etude de Base (C.E.B) ne leur est pas accorde ce qui les relegue,
en definitive, vers l'enseignement professionnel. Or, « en realite, le
professionnel remplit le role d'instance scolaire ultime de relegation pour le
general et le technique. On observe de plus cette meme permanence dans la
faible proportion de diplomes par rapport aux nombres d'inscrits au debut du
cycle92 ». Cela revient a « produire » -- au niveau
social a « reproduire » -- des candidats au sous-emploi
La conclusion de Mateo ALALUF s'applique parfaitement
a nos constatations sur l'inscription economique des debouches de la filiere
d'enseignement special : « la frequentation de l'ecole professionnelle
permet aux eleves d'acquerir des savoir-faire utilisables pour l'industrie,
alors que l'absence de certificat rend les demandeurs d'emploi moins exigeants
et plus vulnerable sur le marche de l'emploi. Si bien que l'on peut considerer
comme rationnel par rapport a son environnement economique, un systeme
d'enseignement professionnel dont la fonction consisterait aussi, en raison du
grand nombre d'echecs scolaires, a produire des savoir-faire non reconnus
socialement, parce que non certifies officiellement. Ces formations produiront
alors des travailleurs utilisables a bas salaires93 ». Bref,
les « anormaux d'ecole » deviennent des « anormau x d'emplois
».
En meme temps que l'entree en remediation,
l'institution scolaire nous parait imposer aux membres des classes populaires,
une perception d'euxmemes comme anormaux. Par l'utilisation d'un langage
medicopsychologique l'ecole donne, en quelques sortes, aux remediations qu'elle
impose, satut et force de prescription medicale. Il est par consequent
extremement difficile aux familles populaires de mettre en question
les
91Prospectus de presentation
d'une des ecoles oil nous avons enquête
92 ALALUF M., Le temps du
labeur. Formation, emploi et qualification en sociologie du travail , Institut
de Sociologie, Sociologie du travail et des organisations, Editions de
l'Universite Libre de Bruxelles, 1986, p.94
93 ALALUF M., op.cit.,
p.94
decisions des « experts du champ de l'enfance
inadaptee ». Completement demunies face au verdict de la Science, elles
l'acceptent et finissent par l'interioriser comme une confirmation de leur
« inferiorite » et de leur « anormalite ».
L'anormalite conferee aux « mauvais eleves »
les cantonne dans des structures de prise en charge des « malades »
qu'ils sont devenus.
Leur origine sociale a ete transformee en deficience
psycho-pathologique. Cette transformation constitue un plantureu x fond de
commerce pour ceux qui, en vertu de leur « intelligence superieure »,
sont habilites a les soigner et a leurs « administrer la discipline
industrielle94 »
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