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La scène alternative de Poitiers

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par Maxime Vallée
Université de Poitiers - UFR Sciences Humaines et Arts - Master 1 Civilisation Histoire et Patrimoine 2011
  

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II- La fondation du label On a faim ! : le militantisme comme moyen de

promotion de la musique et des valeurs alternatives

La fin des années 1980 et le début des années 1990 étant marquée par l'émergence de plusieurs formations musicales poitevines influentes à l'échelle locale voire nationale, à l'instar de Seven Hate ou Un Dolor, la capitale régionale devait naturellement devenir témoin de la naissance de labels musicaux afin de soutenir, de promouvoir et de diffuser cette scène en pleine expansion. C'est ainsi que « Weird Records », « installé dans un garage de la cour du Confort Moderne, ex-boutique Nuit Noire »185 et « On a faim ! » voient le jour à cette période. Particulièrement impliquée dans la vie de la scène alternative nationale, et pas seulement musicale,

184 ETIENNE Samuel, op. cit., p. 17.

185 Fanzinothèque de Poitiers, 30 ans de fanzines à Poitiers, octobre 2009, p. 30.

c'est cette dernière structure qui fera l'objet de cette partie, bien que les solidarités et les rapports existant dans ce milieu nous amèneront forcément à reparler de Weird Records.

A/ Une naissance au sein de relations fortes et prédéfinies

Dès le début de ses activités, il faut comprendre que le label On a faim !, ou OAF !, n'a guère eu besoin de se constituer un carnet d'adresses de toutes pièces et n'a pas connu l'isolement. Le contexte de sa naissance et les origines du label expliquent aisément les contacts immédiats accumulés par la structure. Pour comprendre cela, il faut expliquer d'o~ est issu le label. Comme l'explique Luc Bonet, à l'origine de son lancement, « le label On a faim!, c'est la fin des années 80, et il vient du fanzine On a faim!, qui était donc assez connu dans le milieu rock alternatif et puis dans le milieu anar. »186 C'est donc l'affiliation avec ce fanzine créé par Jean-Pierre Levaray187, paraissant environ deux fois par an, qui semble donner ses lettres de noblesses au label dès ses débuts. Outre le fait « que le label soit déconnecté du zine »,188, il faut tout de mrme comprendre qu'il a pu bénéficier de son aura, de sa réputation et de ses connexions. Effectivement, à l'époque, et peutrtre mrme encore aujourd'hui, « On a faim !, c'est d'abord le célèbre fanzine de Rouen, né en 84 [...], qui a porté toute la vague alternative avec une rare constance et une rigueur irréprochable. »189 Créé à une date relativement précoce pour un fanzine lié au mouvement alternatif français (bien que le contenu s'ouvre peu à peu pour s'intéresser à terme à l'alternatif international), OAF ! #177; Fanzine se trouve être une des rares revues alternatives hexagonales à soutenir cette nouvelle scène dès ses débuts et bénéficie peut-être par là de contacts facilités avec les groupes musicaux, certainement heureux d'y trouver un moyen d'exposer au grand jour leurs créations, exclues des organes de presse traditionnels. L'engagement et la passion poussant les rédacteurs du fanzine à se déplacer sur les lieux de concerts, des contacts se créent progressivement et permettent à l'équipe rédactionnelle de s'étoffer de plus en plus

186 Entretien avec Luc Bonet du label musical On a faim !, propos recueillis le 14 janvier 2011.

187 Fondateur du fanzine « On a faim ! » alors qu'il était ouvrier, Jean-Pierre Levaray est aujourd'hui reconnu dans le milieu libertaire en tant qu'écrivain : il est notamment l'auteur de Putain d'usine ou de Tue ton patron.

188 Entretien avec Luc Bonet du label musical « On a faim ! », propos recueillis le 14 janvier 2011.

189 Fanzinothèque de Poitiers, 30 ans de fanzines à Poitiers, octobre 2009, p. 30.

en s'étalant géographiquement : de cinq à dix contributeurs au milieu des années 1980, un numéro était réalisé par une quinzaine de personnes dix ans plus tard. « Il y'aura assez rapidement un réseau autour [du fanzine] pour l'écriture de chroniques, d'infos diverses et surtout pour la distribution sur plusieurs villes. »190 Ce nombre de rédacteurs s'est naturellement répercuté sur le fond et la forme de la revue, dont l'épaisseur n'a cessé d'augmenter : passant d'un quinzaine de pages de format A4 photocopiées et agrafées, avec des textes de taille modeste espacés pour le premier numéro de 1984, le fanzine rouennais est devenu une revue d'aspect traditionnel, avec une couverture de papier glacé et contenant cent pages bien fournies pour le dix-huitième numéro en 1994. Ce nombre de contacts grandissant a également permis à OAF ! de s'implanter ailleurs qu'à Rouen et de quadriller ainsi le territoire français tout en cumulant des activités différentes de la rédaction du fanzine, mais en en gardant tout de même les canons esthétiques : « la boutique et lieu de rencontres (et concerts) »191 de Bordeaux ouvre en 1989 et celle de Lyon en 1991. La fondation du label à Poitiers entre celles de ces deux succursales #177; si l'on peut parler en ces termes #177; participe donc de l'évolution qualitative et de l'extension des activités du fanzine OAF !, qui devient peu à peu une structure musicale complète, rassemblant progressivement l'ensemble des canaux de production de la musique : édition par le label, distribution par le biais des boutiques de Bordeaux et Lyon, diffusion par les concerts organisés par l'antenne de Bordeaux et promotion dans le fanzine.

La création de toutes ces structures soeurs témoigne de l'importance prise par le réseau OAF ! dans le mouvement alternatif hexagonal et de l'image de marque qu'il véhicule. Etant l'un des meilleurs fanzines de France, c'est naturellement une couverture du n° 15 d'OAF ! #177; Fanzine que l'on retrouve pour illustrer un article portant sur la Fanzinotèque de Poitiers.192 La marque de fabrique du fanzine a donc forcément marqué les groupes alternatifs français et facilité le travail du label poitevin : bien que « chaque structure était autonome » OAF ! #177; Label bénéficiait de la volonté de ces formations d'rtre associées à ce titre, ce qui rentrait parfaitement dans le cadre de leur type de sélection des groupes. « De fait, le fanzine recevait donc des cassettes de groupes. [...] Le fanzine recevait des choses intéressantes dedans, le

190 RUDEBOY Arno, op. cit., p.146.

191 AFP, Positive Rage, 1995 (n° 5), p. 12.

192 ADV - 1880 W 1 - DRAC #177; 1993 #177; Services du livre et de la lecture #177; Article paru dans Ecouter Voir, été 1991 (n°8).

fanzine en parlait et donc nous on avait des groupes pour les compilations On a faim!. »193 Bien avant la création du label à Poitiers, le fanzine avait déjà commencé jà développer une activité de distribution ou d'édition musicale, en joignant parfois aux revues des cassettes ou disques au format 45T réalisés par des groupes promus par le réseau. « OAF ! produit des K7 ! La première sort en même temps que ce n°

194 , .
·

[le IT3 1n03 7 13- RotslICrux » , c est-a-dire en 1985, soit presque six ans

avant la création du label. Notons également la double cassette regroupant près de trente groupes ayant pour certains marqué la scène culturelle alternative, voire la scène rock française intitulée « Le soleil n'est pas pour nous » produite en octobre 1986195, et des cassettes de concerts de groupes à forte audience comme Ludwig Von 88 ou de The Brigades (vraisemblablement enregistrés lors de soirées organisées par OAF !).196 On remarque déjà qu'OAF ! entretient des rapports avec de nombreux groupes, ce qui laisse présager un fameux carnet d'adresses facilitant ses activités.

Cette implication dans le milieu alternatif français a également permis à OAF ! de dépasser les collaborations directes avec les groupes, pour s'associer avec d'autres structures de promotion musicale, afin de diffuser des supports musicaux de meilleure qualité et à plus petite échelle :

« La coopération, ça passait surtout par Jean-Pierre et par le fanzine, et ça se situait plutôt en termes de publicité encore une fois au bon sens du terme. C'est-à-dire, on croisait entre les productions V.I.S.A. et les productions On a faim!, et puis quelques plans on va dire techniques. »197

La première compilation ayant bénéficié d'un tirage important ~ ce qui a débouché sur un large succès en termes de ventes et d'audience i voit ainsi le jour au début de l'année 1989 et marque les aspirations d'OAF ! à ajouter un volet label à ses activités : « après l'expérience réussie de co-production avec VISA de la compilation « A bas toutes les armées a» [...] voici le label proprement dit. »198 Ce disque au format 33T devenu pièce de collection sur les sites internet d'enchères199 est né, nous venons de le signaler, de la coopération entre OAF ! et « VISA ». Visuel,

193 Entretien avec Luc Bonet du label musical « On a faim ! », propos recueillis le 14 janvier 2011.

194 AFP, On a faim !, hiver 1985 (n° 3), p. 1.

195 AFP, On a faim !, septembre 1986 (n° 5), p. 1.

196 AFP, On a faim !, mai 1990 (n° 14), p. 51.

197 Entretien avec Luc Bonet du label musical « On a faim ! », propos recueillis le 14 janvier 2011.

198 AFP, On a faim !, mai 1990 (n° 14), p. 51.

199 Vente du vinyle « A Bas Toutes Les Armées » sur le site d'enchères en ligne Price Minister, http://www.priceminister.com/offer/buy/17700109/Compilation-A-Bas-Toutes-Les-Armees-33- Tours.html, consulté le 16 mai 2011.

Info, Son, Archives, pour « VISA » était « un label de K7 peu ordinaire [...] éclectique, présentant des groupes à « contenu », ou d'autres à la musique originale et personnelle »200, actif de 1983 à 1989. Ayant a priori les mêmes aspirations artistiques qu'OAF !, la collaboration entre les deux structures semblait évidente. Luc Bonet l'explique aussi par un autre argument :

« Il y'avait deux types de réseaux : il y'avait le réseau lui-même, qui lui était donc en crise forte et puis après, il y'avait le réseau anar. Dans le réseau anar, y'avait un autre label qui est arrivé à survivre, qui était un label historique qui s'appelait VISA. »201

On voit donc que cette coopération fut également permise par des affinités politiques fortes. Or, nous allons pouvoir constater dans une seconde partie que le label OAF !, comme l'ensemble des composantes de ce réseau, étaient particulièrement imprégnés politiquement.

B/ Un label marqué par le sceau de la culture politique libertaire

Le discours politique est en effet quasi-omniprésent dans les productions écrites ou musicales issues du réseau OAF !. Dès le troisième numéro du fanzine, paru un an après le début des activités de Jean-Pierre Levaray en 1984, le titre On a faim ! s'étoffe du sous-titre « Anarchy & Music » qui traduit bien les aspirations de la rédaction, celles d'associer des chroniques portant sur la vie de la scène alternative et les groupes que la rédaction soutient, à différents articles reprenant des thèmes de société en y associant un discours critique fortement marqué politiquement. :

« Dans le fanzine, il est question de politique, parce qu'on ne peut pas rester neutre et que pour nous, l'Anarchie est la seule réponse face à la crise des mondes industriels. Parce que fanzine On a faim ! parle surtout de musik et donne la parole, questionne les groupes réellement alternatifs. »202

L'ambigüité n'est donc pas cultivée et le discours est clair : le fanzine OAF !, à l'image de l'ensemble du réseau se veut résolument porteur des idées libertaires. La date de création de la revue à Rouen n'est d'ailleurs pas anodine :

« Pour situer l'année de naissance du fanzine, ça remonte à la grande grève des mineurs
britanniques qui a duré un an à peu près. Donc il y'avait plein d'actions, de concerts, de
trucs, et sur la région rouennaise justement, Jean-Pierre Levaray, comme il était

200 RUDEBOY Arno, op. cit., p. 151.

201 Entretien avec Luc Bonet du label musical « On a faim ! », propos recueillis le 14 janvier 2011.

202 RUDEBOY Arno, op. cit., p. 146.

vraiment investi là-dedans, pendant qu'il y est, il est parti sur un fanzine quoi. [...] L fanzine est ne plus de la grève des mineurs que du mouvement alternatif musical. »203

C'est donc dans le sillage de mouvements sociaux internationaux que le fanzine OAF !, point de départ d'un réseau national, débute. Laissant transparaître les interests de son fondateur, le contenu des articles s'est naturellement orienté vers la musique, en association avec le fond politique, ce qui, nous le verrons, n'a jamais été reellement indissociable. Cet attachement à la dimension politique se retrouve également à travers l'appartenance d'un grand nombre des membres du réseau à la mesme organisation politique: « tous les vétérans d'OAF ! se sont rencontres à la Federation Anarchiste au debut des annees 1980, oil nous militions dans nos villes respectives : Rouen, Paris, Bordeaux... »204 Poitiers ne deroge pas à la règle c'est donc un militant de la Federation Anarchiste, Luc Bonet, qui fonde la partie label d'OAF ! : « il y avait une opportunité à Poitiers, c'est qu'on avait des sous parce qu'on venait de vendre le bâtiment servant à la FA [Federation Anarchiste, nda] en faisant une plus-value, et donc j'ai contacté Jean-Pierre pour lui proposer de faire un label. »205 L'affiliation du label et du reseau OAF ! en general semble donc evidente et influe forcement sur les contenus du fanzine, mais aussi des supports musicaux émanant de la structure, ce que le fondateur d'OAF ! #177; Label revendique : « pour moi c'est un acte politique. Comme je militais à ce moment-là à la Federation Anarchiste. Donc c'est du militantisme avec un côte un peu artistique. »206 La dimension ethique joue en effet un rôle important dans la politique de selection et de diffusion des groupes. Ces deux niveaux de la production musicale chez le label poitevin sont en effet imprégnés de l'esprit militant libertaire, bien qu'il faille exclure le sectarisme ideologique lie aux choix des groupes. Entendons-nous bien, les formations musicales produites par OAF ! ne devaient pas appartenir au groupe politique dont la majorite des membres du label etaient issus, ou obligatoirement relayer des idees politiques dans leurs paroles. Neanmoins, ces groupes etaient choisis sur la base de pratiques culturelles repondant à une ethique irreprochable :

« Il y'a deux aspects, il y'a le message politique [...] mais après il y'avait une forme de demarche qui, elle, est politique. Il y avait une demarche qui etait vers quelque chose qui se deroule en dehors du système, pas forcement contre le système, mais toujours en dehors. Et donc ça, moi, comme militant libertaire, c'est ce qui m'intéresse. Pas que les

203 Entretien avec Gil Delisse du label musical « On a faim ! », propos recueillis le 7 mars 2011.

204 RUDEBOY Arno, op. cit., p. 146.

205 Entretien avec Luc Bonet du label musical « On a faim ! », propos recueillis le 14 janvier 2011.

206 Ibidem.

gens soient tous anars, mais qu'ils construisent des choses sur leurs propres capacites. »207

« C'était à la limite pas tant le discours politique des groupes qui nous interessait, mais leurs pratiques, tu vois. Ce qui fait qu'on a produit et des compilations de fait politiques avec des groupes très militants et engages, et puis des albums de groupes qui sont pas du tout des militants, mais qui par contre au niveau de leurs pratiques, du business, par rapport au public etaient dix fois plus alternatifs que des gens qui ont des grandes gueules avec marque « anarchiste ». »208

On voit donc bien que la selection des groupes musicaux promus par OAF ! ~ Label depassait le stade de la simple ecoute des cassettes de demonstration reçues et la promotion exclusive de ceux propageant le discours le plus approprie, ou le plus vendeur, pour l'audience habituelle d'OAF !. Ce type de fonctionnement base sur l'éthique pratique des musiciens amène donc naturellement à faire découvrir des sonorites nouvelles, qui rompent avec le type de productions habituellement ecoutees par l'auditoire d'OAF !, ce qui se rapproche en cela des pratiques de LOH et du Confort Moderne : le reseau a « toujours voulu casser les frontières, qu'elles soient géographiques ou musicales. Ce qui [leur] importe, c'est que la musique [leur] plaise et que l'attitude du groupe soit bonne. »209 Evidemment, cette forte impregnation politique s'est également retrouvée dans la nature des productions du label, indissociables des pratiques militantes et revêtant le plus souvent les avatars du mouvement libertaire. La compilation « Cette machine sert à tuer tous les fascistes », sortie en 1990 comporte ainsi un livret interieur compose de textes realises par divers collectifs antifascistes tels « REFLEXes » ou « Article 31 », et celle de 1992, commemorant la date historique 1492, oil « les indiens decouvraient Christophe Colomb »210 est associe au « Collectif Guatemala », qui soutient les luttes indiennes contemporaines. Il faut donc constater que si le contenu musical de ces compilations n'était pas nécessairement explicitement politique, l'objet de celles-ci etait obligatoirement oriente vers les combats menes par le mouvement libertaire (anticolonialisme, antifascisme, anticléricalisme, pour ne citer qu'eux) et correspondait à une politique de rationalisation financière du label : « on jonglait en produisant des compilations qui assumeraient suffisamment de rentrees, pour prendre

207 Ibidem.

208 Entretien avec Gil Delisse du label musical « On a faim ! », propos recueillis le 7 mars 2011.

209 AF,.,

r On a faim !, mai 1990 (n° 14), p. 24.

210 Livret de la compilation Pogo avec les loups, On a faim ! #177; Label, 1992.

commercialement, ça ne marcherait pas forcement. »211 C'est-à-dire qu'en plus de reverser des fonds à des associations luttant sur les mêmes champs d'action qu'OAF ! (les benefices de la compilation « A bas toutes les armees » etaient ainsi reverses à des associations antimilitaristes soutenant les deserteurs), les compilations fortement teintées d'idéaux politiques permettaient des rentrées d'argent servant à financer des albums de groupes presqu'inconnus du grand public, pour lesquels la dimension esthetique etait privilegiee. Ce principe de pragmatisme economique etait d'autant plus difficile à tenir si l'on tient compte de la politique de prix des disques mise en place par le label, qui permettait l'accès de la culture au plus grand nombre, conformément aux idées libertaires. Cette prise de position s'inscrivait logiquement dans un contexte de combat reellement politique consistant à denoncer les pratiques mercantilistes liees à la diffusion de la culture de masse, telles les tarifications abusives pratiquees par les maisons de disques traditionnelles. OAF ! #177; Label se revendiquait donc aisement comme une alternative à la musique distribuee de façon jugee trop onereuse par les grands labels et le signifiait habituellement par le pictogramme figurant sur les pochettes de leurs disques : « Rock Against Majors -- Support the movement » soit « rock contre les majors #177; Supportez le mouvement »212, qui confirme bien le rapport de force établi par la scène alternative face à l'industrie du disque.

Pictogramme visible sur les productions
On a faim ! - Label213

C'est finalement la lutte contre l'industrie musicale qui a d'ailleurs poussé les membres du reseau OAF ! presents à Poitiers à prendre la decision de monter un

211 Entretien avec Gil Delisse du label musical « On a faim ! », propos recueillis le 7 mars 2011.

212 Pochette de la compilation Cette machine sert à tuer tous lesfascistes, On A Faim ! #177; Label, 1990.

213 Ibidem.

label avec une existence propre. Il s'est encore une fois agi d'une décision avec un caractère politique fort :

« C'est parce qu'il y'avait crise qu'il y'a eu l'idée de créer le label. Voilà on ne voulait pas bouleverser la donne, mais on se disait : « quelque chose est monté, qui concerne beaucoup de gens, donc ce serait trop bête que tout retombe a». Parce qu'effectivement, on savait bien ce que ça voulait dire que tout retombait : c'est que tout retombait aux mains du business. Donc après tout, comme souvent dans le milieu libertaire, créer un peu d'ilots de résistance et d'autonomie, c'était un minimum. »214

La crise de 1989 au sein du mouvement alternatif semble donc bien réelle, et OAF ! - Fanzine en est bien conscient, en témoigne les articles-débats intitulés « Cherche rock alternatif désespérément ! a» des n° 13 et 14 de l'année 1989. C'est justement pour perpétuer les espoirs soulevés par ce mouvement en termes de perspectives concernant une autre façon de produire et de diffuser de la musique, par le biais d'un circuit indépendant fort, qu'OAF ! #177; Label fut créé. Fidèle à son éthique souvent jugée irréprochable, OAF ! montre une fois de plus son attachement aux valeurs alternatives, à une époque ou tout une scène est en proie à la récupération, ou à la fin de ses activités.

OAF ! #177;Label, comme l'ensemble du réseau auquel il appartient a donc réussi à allier des pratiques indépendantes que nous avons déjà pu analyser, à un discours politique radical englobant des problématiques sociétales plus étendues qu'une simple critique de la situation culturelle française. Un positionnement politique qui a parfois pu être critiqué au sein du milieu associatif local : Fabrice Tigan, impliqué dans l'association « Nahda », organisateur de concerts à tendance punk hardcore (style musical largement défendu par OAF !) s'est senti méprisé avec les autres membres de sa structure par le label poitevin « parce qu'[ils n'étaient] pas des « anarchistes d'État. » »215 Dans un autre registre, des critiques ont aussi été émises à l'intérieur mrme du label, par les équipes successives. Ainsi, Gil Delisse2 succédant à l'équipe formée par Luc Bonet au début des années 1990, a cherché à se démarquer de cette prépondérance du propos politique dans les activités d'OAF ! :

16

,

« C'était une autre conception de l'équipe qui s'est constituée après Luc et les autres. Il
faut revenir à l'origine du truc : au départ c'était un label qui a été monté entièrement
par des gens qui étaient à la FA, dont moi j'ai fait partie il y'a une vingtaine d'années

214 Entretien avec Luc Bonet du label musical « On a faim ! », propos recueillis le 14 janvier 2011.

215 TIGAN Fabrice, « Poitiers Über Alles », sur le Forum Poitiers Bruits, http://poitiersbruits.bbconcept.net/t34-poitou-uber-alles-par-fab-tigan, consulté le 28 avril 2011.

216 Membre du label musical « On a faim ! » à la suite du départ de Luc Bonet, Gil Delisse est aujourd'hui illustrateur, activité qu'il exerça notamment au sein du fanzine du mrme nom.

aussi. [...] Ensuite, moi j'étais pas du tout pour rattacher un label de disques à une organisation, connaissant en plus le milieu libertaire qui est quand même assez compliqué. On voulait faire un truc bien plus simple que ça. »217

Cette oscillation entre admiration pour la rigueur éthique de la structure et critiques concernant son aspect politique trop prégnant nous laisse entrevoir l'image d'un label marginalisé à Poitiers, mais reconnu dans des sphères plus étendues.

C/ Entre isolement local et reconnaissance nationale

Par marginalité, il faut bien sûr comprendre que le label OAF ! se trouvait quelque peu en marge du mouvement alternatif local, notamment lors du démarrage de ses activités. Le fondateur le reconnaît d'ailleurs volontiers et l'explique facilement:

« Nous, on faisait pas partie du milieu on va dire musical poitevin. Moi, je connais rien en musique. Voilà je ne suis pas musicien, j'ai une oreille disons mais je suis militant politique avant tout. J'allais au Confort, il y avait la boutique de disques, les concerts et un milieu oil les gens se lookaient différemment. »218

Cet isolement peut donc s'expliquer par deux éléments déterminants : tout d'abord par les objectifs spécifiques du label ~ qui se démarquaient de ceux des autres structures poitevines, tendant plus vers des aspirations purement culturelles ~ s'orientant vers une forme de militantisme politique porté par des canaux musicaux et comportant un discours radical qui se démarquait de la relative neutralité politique des autres structures poitevines #177; en tout cas en termes de communication. Cet aspect fut ensuite nuancé par la seconde équipe du label, portée par Gil Delisse qui semble avoir insufflé certaines exigences esthétiques plus en adéquation avec des structures comme le Confort Moderne, par exemple. Les activités de ce dernier, dessinateur, notamment et naturellement auprès du fanzine OAF !, ont également permis le développement d'affinités avec la Fanzinothèque de Poitiers, très tournée vers l'art graphique. Ce changement d'équipe eut donc pour effet d'ouvrir quelque peu l'activité d'OAF ! #177; Label aux autres composantes de la scène alternative poitevine.

La deuxième raison de cet isolement local peut aussi s'expliquer par l'inscription déjà mentionnée du label au sein d'un réseau à échelle nationale. OAF ! #177; Label était déjà solidement ancré dans un tissu de solidarités hexagonal, au sein du réseau OAF ! mais aussi du réseau alternatif dans sa globalité, et n'avait donc pas besoin de

217 Entretien avec Gil Delisse du label musical « On a faim ! », propos recueillis le 7 mars 2011.

218 Entretien avec Luc Bonet du label musical « On a faim ! », propos recueillis le 14 janvier 2011.

s'appuyer ou simplement de s'intégrer à la scène poitevine. À l'image de la collaboration avec les parisiens de VISA pour la première compilation important d'OAF !, c'est vers le distributeur New Rose, que le label se tourne pour diffuser ses productions : structure multiforme parisienne créée en 1980, New Rose débute par une boutique underground rapidement devenue le label « le plus important des indépendants français »219, puis organe de distribution à échelle internationale deux ans plus tard, « à un moment décisif parce que des acteurs des nouvelles scènes DIY peuvent s'autosuffire, de la conception jusqu'à la commercialisation des disques. »220 Intégrant le réseau de distribution New Rose sept ans après ses débuts, en 1989, on peut facilement imaginer la renommée acquise par les parisiens à cette date. La réputation du fanzine rouennais associée à celle du distributeur parisien a donc favorisé la diffusion importante des productions d'OAF ! sans que le label ait besoin de s'appuyer sur les structures poitevines pour acquérir une audience régionale puis nationale.

Il convient également de mentionner le fonctionnement complètement indépendant du label poitevin et sa vision à court terme, qui rappelle forcément certains aspects des débuts de LOH, à quelques détails près. Tout d'abord, conformément aux idées libertaires portées par la structure, et ce qui montre bien la rigueur éthique de la structure, OAF ! #177; Label avait un positionnement clair concernant les subventions, « n'en a jamais demandé [et] n'en voulait pas », rejetant toute entente avec les pouvoirs publics, qu'il dénigrait. Par contre, on retrouve chez ce label des caractéristiques communes aux structures formées de façon alternative : l'importance du bénévolat traduisant un engagement culturel fort et passionné ainsi que la vision à court terme, qui ne sont jamais réellement sans lien. Bien que le label fasse preuve d'un certain pragmatisme économique pour financer ses productions (avec de fortes rentrées d'argent sur les compilations politiques avec des groupes reconnus, permettant le financement d'albums de formations plus confidentielles et débutantes), la base de bénévoles et l'autofinancement engendrant l'absence de salariés et de comptes à rendre, a permis aux membres d'OAF ! #177; Label d'exercer cette activité avec relâchement et avant tout pour leur plaisir, afin que ça ne devienne

219 GUIBERT Gérôme, La production de la culture, le cas des musiques amplifiées en France, St Amand Tallende, Mélanie Séteun et Irma éditions, 2006, p. 248.

220 Ibidem.

pas une contrainte : « quand il y'avait des sous [ils faisaient] des choses, et quand il n'y en avait pas, [ils ne faisaient] rien. »221 Ce fonctionnement détaché contraste donc forcément avec celui plus sérieux des structures subventionnées devant répondre de leurs financements à leurs partenaires.

OAF ! #177; Label se démarque donc largement des structures alternatives poitevines par son discours politique explicite et radical et par son fonctionnement très indépendant. Le label, bénéficiant déjà de relations préétablies s'est donc plus facilement inscrit dans des dynamiques hexagonales sans avoir eu besoin de s'implanter localement. L'évolution de la structure dans le temps nous forcera pourtant à nuancer ce propos, sur lequel nous reviendrons dans notre dernière grande partie, portant sur une tranche chronologique différente.

Fondé en 1989, et totalement conscient de la déconfiture du mouvement alternatif en réaction à laquelle il s'est construit, le label OAF ! a participé à la construction à Poitiers d'une scène locale relativement complète et impliquée à l'échelle nationale. L'étant certainement plus que les autres structures, le label s'est tout de mrme retrouvé isolé à Poitiers, presque volontairement, n'entretenant par exemple dans ses premières années presqu'aucun rapport #177; en dehors de contacts en tant que spectateurs individuels #177; avec le Confort Moderne.

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King