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La scène alternative de Poitiers

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par Maxime Vallée
Université de Poitiers - UFR Sciences Humaines et Arts - Master 1 Civilisation Histoire et Patrimoine 2011
  

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Deuxième Partie #177; 1989-1992 : Entre mort nationale et explosion locale ?

A-t-on pu assister ou non à Poitiers à l'apogée puis au brusque essoufflement du mouvement alternatif ? Fut-ce la fin des structures constituant la scène locale poitevine, à l'image de la situation globale en France et si l'on en croit les thèses relayées par l'historiographie concernant ce sujet ? Les bornes chronologiques de ce chapitre vont nous permettre d'envisager cette montée en puissance de la scène, en constatant notamment l'émergence de nouveaux acteurs importants au sein de cette scène, tout en ayant un recul temporel nécessaire pour appréhender leur évolution et ainsi donner écho ou non aux idées reçues relayées par les écrits relatifs à notre thème de recherche.

I- La fondation de la Fanzinothèque de Poitiers : la presse alternative
comme complément de la scène poitevine préexistante

La Fanzinothèque ouvre ses portes pour la première en fois en novembre 1989, à l'occasion du festival « Trans Europe Halles » organisé par le Confort Moderne, dans les murs duquel le petit local trouve sa place.146 « Première bibliothèque du genre en Europe »147, voire au monde, par sa longévité et par la richesse de son fonds, nous allons au cours de cette partie essayer d'analyser l'origine, la nature et le fonctionnement de ce lieu hors du commun ainsi que son inscription dans les dynamiques alternatives à différentes échelles.

A/ Poitiers : un espace propice à la création de la Fanzinothèque

Comme nous venons de le signifier, la Fanzinothèque est un lieu unique, qu'on ne trouve qu'à Poitiers. La définition préalable de son action va nous permettre de mettre en lumière les facteurs propices à l'implantation d'une telle structure précisément dans la ville de Poitiers. Son nom, déjà peu commun, donne assez facilement une idée de son activité. Il se découpe en deux pour donner « fanzine » -

146 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1989-juillet 1990), La Nouvelle République du 15 novembre 1990.

147 ADV - 1880 W 1 - DRAC #177; 1993 #177; Services du livre et de la lecture #177; Article paru dans Ecouter Voir, été 1991 (n° 8).

« othèque », ce qui laisse deviner « un lieu d'archivage, de stockage, de conservation, de consultation et de lecture des fanzines. »148 Relativement marginal, ce type de production demande une définition précise pour comprendre l'intér~t d'un tel lieu :

« A côté des magazines professionnels, les fanzines constituent une source alternative d'informations et de promotion du champ musical. Ce média se distingue fondamentalement de la presse dominante par trois caractéristiques essentielles : un manque de capital économique, une absence de professionnalisation et des réseaux de distribution non institutionnels. »149

Ce type de presse répond parfaitement aux préceptes Do It Yourself, puisqu'il a émergé au moment oil les formations musicales ne trouvaient pas de lieux pour se produire sur scène et ne trouvaient aucun écho au sein de la presse traditionnelle. Ce sont donc les amateurs de ces nouvelles musiques qui se sont improvisés rédacteurs en chef de leur propre « magazine de fanatique » (fanzine est en fait la contraction du terme « fanatique » et « magazine ») pour les soutenir et les promouvoir. Il est donc tout naturel que cette presse amateur ait largement contribué à l'émergence du mouvement alternatif tout en y étant largement associée en tant que composante essentielle. Accompagnant l'ascension de celui-ci, le nombre de titres a largement augmenté durant les années 1980, notamment pendant la fin de cette décennie et le début des années 1990, car « les fanzines arrivent après la musique. »150 Cependant, ce type de presse underground « [faite] par des amateurs pour des amateurs »151 est souvent resté de ce fait réservé à un cercle restreint d'initiés, assez impliqués dans la vie de la scène pour échapper aux contraintes liées aux faibles tirages et aux réseaux de distributions parallèles rendant difficile l'accès aux fanzines. L'un des objectifs principaux de la Fanzinothèque a donc été de « faire connaître la culture zine »152 comme l'explique Didier Bourgoin153, membre fondateur du lieu, et de vulgariser un type de documentation peu reconnu.

148 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1988-juillet 1989), La Nouvelle République du 22 avril 1989.

149 ETIENNE Samuel, « First & Last & Always » : les valeurs de l'éphémère dans la presse musicale alternative », dans Volume !, 2003 (n° 1), p. 5.

150 Entretien avec Gilles et Marie de la Fanzinothèque, propos recueillis le 31 janvier 2011.

151 Ibidem.

152 MOUILLE Thierry, op. cit. (source audio-visuelle).

153 Premier « directeur a» de la Fanzinothèque de Poitiers, Didier Bourgoin a largement oeuvré au sein de la scène alternative de Poitiers, notamment au sein de l'AMP et de la boutique de disques que cette
association gérait : la Nuit Noire.

Dans ce but, l'implantation d'une structure propre à concrétiser cet objectif semblait appropriée dans la ville de Poitiers, qui entretenait des rapports particuliers avec le monde des fanzines et constituait une place importante de la petite presse parallèle dans les années 1980. En effet, tout d'abord en terme de production de fanzines, la capitale régionale a été le berceau de nombreux titres dès la fin des années 1970. Témoin de l'intér~t de certains Poitevins pour la presse alternative, un premier organe de distribution éphémère est monté de façon spontanée par « Alain Bobant, inventeur du mot « fanzinothèque » en 1972. »154 Celui-ci s'était constitué un petit stand facilement amovible qu'il plaçait devant le cinéma qui se trouvait au 94, avenue de la Libération, oil siège actuellement le magasin de meubles « Groupe Anti Gaspi. » Ce premier kiosque de presse alternative #177; qui a certainement inspiré les créateurs de la Fanzinothèque pour le choix du nom #177; et la date de sa création sont significatifs de l'attrait précoce de certains Poitevins pour la presse parallèle, qui n'en est vraiment à l'époque qu'à ses balbutiements, et reste très confidentielle. Cet engouement s'est retrouvé dès le début des années 1980 par la production, et non plus seulement par la diffusion, de quelques titres accompagnant l'explosion du mouvement punk et ses retombées en France. « Il y a eu des fanzines depuis vachement longtemps sur Poitiers. Tant Qu'il y Aura du Rock, des mecs qui ont commencé à 13 ans »155 et dont l'un d'entre eux, David Dufresne, est aujourd'hui un journaliste indépendant reconnu ayant travaillé pour le quotidien Libération ou la chaîne d'information i-Télé. Poitiers constitue donc un terreau propice à l'édition de fanzines, avec des auteurs de talent, et on ne peut exclure comme facteur de profusion l'action de LOH qui donne de la matière aux rédacteurs. Didier Bourgoin explique ainsi : « Quand je faisais des fanzines, ça répondait au nombre de concerts dans ma ville. [...] C'était en fonction des concerts que L'oreille est hardie faisait venir. »156 Ces propos sont confirmés par Marie Bourgoin157 : « il y'avait le Confort Moderne qui a vachement boosté aussi quand mrme, c'était cool d'avoir un truc culturel, alors ça te donne envie de faire un fanzine, de raconter des trucs. »158 Les manifestations organisées dans le début des années 1980 par LOH #177; et notamment le

154 Fanzinothèque de Poitiers, 30 ans de fanzines à Poitiers, octobre 2009, p. 1.

155 Entretien avec Gilles et Marie de la Fanzinothèque, propos recueillis le 31 janvier 2011.

156 Radio Libertaire, « Le Fanzine », dans Offensive Sonore du 14 octobre 2010.

157 Faisant partie de l'AMP, Marie Bourgoin a accompagné les débuts de la Fanzinothèque. Elle fait aujourd'hui partie des 5 salarié gérant le lieu, et s'occupe de la partie documentation.

158 Entretien avec Gilles et Marie de la Fanzinothèque, propos recueillis le 31 janvier 2011.

Meeting de 1983- ont donc donne du grain à moudre aux redacteurs de fanzine qui pouvaient ainsi relayer des informations sur des groupes nouveaux et importants : Didier Bourgoin realise ainsi le premier interview du groupe Sonic Youth dans un fanzine français.

A ces fanzines accompagnant l'ascension des musiques amplifiées relayées par LOH, il convient d'ajouter un autre type de presse amateur (qui reste tout de mrme liee aux fanzines rock), très implantee à Poitiers et qui joua un rôle important dans l'ouverture de la Fanzinothèque : la presse lyceenne. Se developpant dans le courant des annees 1980 dans les lycees Victor Hugo, Camille Guerin et Alienor d'Aquitaine159, les fanzines lyceens abordent des sujets plus vastes que les fanzines musicaux ou politiques tout en reprenant certains des mêmes thèmes :

« Le journal lycéen c'est soit pour, soit contre le bahut. Ca parle que du bahut, soit c'est pour les profs, soit c'est contre les profs. Ca n'a pas à voir vraiment avec les fanzines, mais ça peut deboucher sur quelque chose comme ça. »160

La presse lyceenne est donc quelque peu decriee par le milieu des fanzines rock ou bande dessinee, mais elle est aussi dans certains cas beaucoup plus mediatisee et mise en valeur. Le cas de Poitiers a ete significatif dans cette mediatisation, notamment à travers l'organisation dès 1988 du festival « Scoop en Stock ». La première edition se tient à la Maison de la Culture et des Loisirs en mars 1988 et la deuxième a lieu l'année suivante au lycée du Bois d'Amour, avec un battage mediatique relativement important, facilite par la presence de journalistes du Monde, de Télérama et par le soutien des institutions lyceennes et municipales. Cette manifestation fait de Poitiers selon la presse locale, la « capitale du Fanzine »161, ce qui n'est pas sans rappeler les articles qualifiant cette même ville de capitale du rock pour évoquer l'action de LOH. La capitale du Poitou-Charentes semble donc décidément à l'avant-garde de la culture alternative française.

On remarque donc que la presse alternative, que ce soient les fanzines underground reserves aux inities ou les journaux lyceens, plus soutenus par les institutions, sont implantes et foisonnent à Poitiers. Decoulant des rapports chaleureux entretenus entre la municipalite et les redacteurs de journaux lyceens,

159 Fanzinothèque de Poitiers, 30 ans de fanzines à Poitiers, octobre 2009, p. 3.

160 Ibidem.

161 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1988-juillet 1989), La Nouvelle République du 5 avril 1989.

l'idée de créer une Fanzinothèque fixe germe dès le début de l'année 1988, lors de la deuxième réunion du Conseil communal des jeunes, ou CCJ. Correspondant à la politique de gestion de la jeunesse qu'on a vu transparaître au sein du Confort Moderne, la ville de Poitiers a mis en place dès octobre 1987 un Conseil Communal des Jeunes censé répondre aux attentes de cette catégorie de population. Ainsi, lors de la seconde réunion de l'institution le 9 janvier, « un mec branché de Camille Guérin, Nicolas Auzanneau a présenté un projet de « fanzine-othèque » au Confort Moderne. On pourrait y lire tous les journaux écrits par des amateurs. »162 Cette proposition va donc dans le sens d'un lieu de consultation de la presse produite dans les lycées. Conformément au vote effectué lors de cette séance du CCJ, le projet est examiné par la mairie qui débourse 287 000 F.163 pour aménager un lieu « de stockage, d'archivage et de consultation »164 au sein du Confort Moderne (qui semblait tout naturellement désigné pour accueillir ce type de structure renforçant son rôle de pôle culturel alternatif), et prévoit d'employer une personne pour faire fonctionner le lieu de façon permanente. La Fanzinothèque n'est donc pas une structure qui a été créée par les acteurs qui la font vivre, mais elle est née d'une volonté municipale motivée par les aspirations de la jeunesse poitevine à avoir un lieu oI stocker et consulter la presse qu'elle produisait. Didier Bourgoin, le premier employé qui a dirigé la Fanzinothèque ne s'en cache pas :

« En fait c'est pas mon idée. Moi je faisais des fanzines, j'avais un magasin de disques qu'on avait avec une association [« La Nuit Noire » gérée par l'AMP nda], on était assez anti-subventions, on faisait des concerts. Et on vient me trouver, un jeune mec, ça s'appelait le CCJ. Ils voulaient une fanzinothèque parce que dans leurs bahuts, ils faisaient tous des journaux lycéens. »165

Une fois les aménagements effectués dans le petit local donnant sur le bar du Confort Moderne et Didier Bourgoin engagé par la mairie, la Fanzinothèque ouvre ses portes à l'occasion du festival « Trans Europe Halles » organisé en novembre 1989 par le Confort Moderne. Il va désormais nous falloir voir comment la structure, tout en étant née des décisions municipales, a réussi à se faire une place au sein du mouvement alternatif français.

162 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1987-juillet 1988), La Nouvelle République du 10 janvier 1988.

163 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1987-juillet 1988), Centre Presse du 26 mai 1988.

164 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1988-juillet 1989), Poitiers Magazine d'avril 1989.

165 Radio Libertaire, « Le Fanzine », dans Offensive Sonore du 14 octobre 2010.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius