WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Du nomadisme contemporain en France avec les saisonniers agricoles qui vivent en camion

( Télécharger le fichier original )
par Anaà¯s ANGERAS
Université Lyon 2 - Master 2 Recherche Spécialité Dynamique des Cultures et des Sociétés 2010
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

b) ... dans le monde universitaire français

Si l'on en croit Alfred Métraux : « Pour étudier une société, il faut qu'elle soit déjà un peu pourrie45(*) ». Je prends cette sentence comme une mise en garde: un « parasite » - n'a-t-on pas plusieurs fois parlé d'un ethnologue en ces termes ?- peut entrer dans un groupe parce que celui-ci ne se défend plus, ne se sauvegarde plus, est déjà sur sa fin : il espère peut-être que l'ethnologue entretiendra le souvenir. Dans mon cas d'étude aussi, accéder à leurs savoir-faires, leurs valeurs, prédirait-il en réalité la fin de l'existence de ce groupe minoritaire ? J'ai, d'abord, eu le réflexe de questionner les capacités de la discipline anthropologique à donner les clés d'analyse : ne traîne-t-elle pas trop de carences, au vu de l'histoire de ses fondements, pour parvenir à traiter un sujet si contemporain, et quelque peu atypique46(*)?

Tout groupe culturel et/ou social serait, a priori, ethnologiquement analysable. Encore faut-il prouver qu'il en est un, puis, surtout, parvenir à développer une méthode qui lui soit adaptée. Mais, toujours : à quelles fins ? Revendicatives, ou seulement carriéristes ? Un certain « caractère de convention », reste inhérent à tout effort de recherche universitaire : pour parvenir à des «idées socialement acceptées » ? Devrais-je, moi aussi, céder à une « convention sociale du concept », en me démenant par un travail d'« administration de l'acceptation de l'idée ? » 47(*)

« As-tu choisi ce sujet parce que tu veux poursuivre des études en anthropologie ou fais-tu cette étude par intérêt pour ce mode de vie ? » : c'est une question que l'on m'a posée plus d'une fois, et pas qu'à l'Université... Intérêt d'abord scientifique ou surtout personnel ? Je n'ai encore jamais su quoi rétorquer... Une réponse figée m'engagerait-elle dans une position sclérosante, face à la Faculté d'Ethnologie, et envers les gens vivant de cette itinérance? Et lorsque je choisis de ne pas me positionner, en répondant que ce sujet est l'occasion d'explorer les deux - poursuivre plus avant la discipline, tout en apprenant énormément sur ce mode de vie et de pensée, puis-je réellement rester dans ce « double jeu », afin de parvenir à une conclusion d'enquête anthropologique, valide et valable pour l'instance universitaire? Parallèlement, employer plutôt « je » ou « nous » pour parler de cette enquête : favoriser le « je » ne reviendrait-il pas à nier l'implication personnelle du chercheur48(*) ?

Mais, parmi toutes ces interrogations qui m'ont accompagné sur le terrain, d'autres, qui concernent, plus concrètement, l'aspect matériel de cette entreprise de recherche, demandaient à être solutionnées plus rapidement,

Après avoir goûté à la vie en plein air, pendant plusieurs mois, il m'était difficile de me retrouver ensuite dans un appartement, en plein centre ville, ou assise plusieurs heures par jour au sein des locaux de l'Université. Mon terrain se trouvait ailleurs, sur les routes de France. Le travail saisonnier était mon point d'approche : si je souhaitais réellement rencontrer et apprendre à connaître ses protagonistes, pour savoir de qui je parlais avec justesse, il me fallait donc moi-même me mettre à travailler saisonnièrement. Et si je travaillais tout au long de l'année, je pouvais demander une dispense d'assiduité au doyen de la faculté (ce qui m'a été accordé sans problème). Mais obtenir une dispense d'assiduité signifie donc ne pas pouvoir prétendre à une bourse d'études, puisque je dépassais largement les « moins de 18 heures par semaine » requis pour l'obtenir. Je n'ai donc compté que sur mes salaires, dans un premier temps, que j'ai parfois réussi à alterner avec des droits ouverts à l'allocation chômage, dont j'ai pu bénéficier à partir d'août 2008 (après plusieurs mois d'attente...) - ne me trouvant pas dans l'illégalité, puisque je n'obtenais rien d'autre de l'Etat.49(*)

Pour prendre « de l'avance sur mon retard » - puisque qu'une année scolaire était déjà presque achevée lorsque je décidais de commencer à élaborer ce projet - j'entamais mes premières descriptions au printemps 2007, sans attendre la période des réinscriptions de 2007-2008. En hiver 2007, j'ai préparé (et réussi) les examens du premier semestre de Master 1, hébergée à St Etienne, durant un mois et demi (raison pour laquelle la période de décembre 2007 et les deux premières semaines de janvier 2008 manquent dans mes carnets de bord). J'ai repris mes notes jusqu'au printemps 2008, et continué à travailler jusqu'au mois de juillet, me constituant ainsi plus d'une année de descriptions. Disposant alors de moyens financiers suffisants, nous avons pu aménager un camion d'août à octobre, seulement un an après l'avoir acheté. De novembre à décembre 2008, j'ai réalisé la synthèse de l'ensemble de mes notes, contenues dans deux cahiers de bord, sous une yourte, au coeur des Cévennes. Après un travail saisonnier (de taille de vigne) entamé au début de l'année 2009, ainsi que de nombreux doutes quant à mes capacités à continuer ce travail universitaire, j'ai finalement décidé de commencer, au mois de mai, la rédaction du pré-projet de mémoire, pour le présenter à l'oral prévu au mois de juin. Il m'aura donc fallu deux années scolaires pour effectuer le Master 1, conséquence d'un nécessaire « bricolage » entre un temps d'ethnographie sur le terrain, un temps salarié qui m'a permis l'autofinancement de ce projet (qui venait, par ailleurs, recouper mes temps ethnographiques), et le temps universitaire, tous trois se trouvant tout à fait décalés.

A l'issue du Master 1, les premières analyses auxquelles j'avais pu aboutir s'avéraient bien trop insuffisantes, résultant d'un trop grand manque de références théoriques. Aguerrie de mes difficultés organisationnelles précédentes, j'ai travaillé tout l'été suivant pour financer d'avance l'année du Master 2, que je voulais mettre à profit afin de combler mes lacunes bibliographiques. A la fin de l'été, j'ai finalement dû utiliser ces économies pour nous financer un autre fourgon plus fiable et plus adapté à nos besoins et possibilités matériels. Puis, en automne, un changement imprévu de situation m'a conduit à abandonner cette « vie en camion », et reprendre un appartement en ville. Ces brusques et nouvelles conditions morale et pécuniaire m'apparaissaient comme beaucoup trop limitées pour conduire la suite de ce travail de recherche sereinement : j'ai alors préféré laisser de côté, momentanément, la suite de l'analyse. J'ai repris le travail saisonnier de juillet à octobre 2010, ainsi qu'un peu du rythme universitaire, durant l'hiver. Au printemps 2010, j'obtenais - enfin ! - le permis de conduire, et m'adonnais de nouveau aux saisons agricoles, de mai à juillet, pour consacrer le mois d'août à la rédaction de ces présentes lignes.

Il m'apparaît donc que l'apprentissage de ce nomadisme particulier se confond avec l'apprentissage méthodologique de cette recherche. Ce que j'en retire, en premier lieu, est qu'elle m'a, surtout, appris à organiser ma recherche, c'est-à-dire à délimiter les différents « temps » qui le constituent, en tant que différentes étapes. Cet écrit mémoriel regroupe ainsi cette somme d'irrégularités, faisant état des nombreux aléas, matériels et méthodologiques, qui ont pu me conduire à doubler mon temps de recherche, par rapport à celui préconisé par le programme du Master, temps que je jugeais nécessaire pour explorer ce terrain.

Tout au long de ces quatre années, j'ai établi une correspondance - via courriels ou plis postaux - avec mon directeur de recherche. Malgré ma dispense totale d'assiduité, je retournais de temps à autres à la faculté pour rencontrer mes professeurs, sollicitant des entretiens auprès d'eux, j'assistais à quelques cours : autant de renforts qui m'encadraient, tout de même, dans une perspective analytique, et me permettaient de ne pas me laisser totalement « happé » par mon terrain. Venant compléter mes larges et généreuses prises de notes, où je n'avais que rarement la conviction d'en avoir griffonné assez (carnet de bord qui frôlait, parfois, la teneur d'un journal intime), mes lectures ont été, sans aucun doute, mes meilleurs réconforts méthodologiques. Deux années ont, toutefois, été nécessaires pour constituer un cadre de références théoriques (ou bibliographie), compte tenu de mes travaux agricoles salariés, qui occupaient facilement toutes les heures de la journée. Néanmoins, travailler au rendement50(*) et les diverses coupures entre deux emplois me donnaient la possibilité d'aménager quelques moments de lectures.

Les apports théoriques du programme de Master 2 m'ont permis de « rencontrer » le cadre d'analyse de l'anthropologie réflexive. Ma recherche tenait alors seulement d'un large travail descriptif, encore très ethnographique, malgré certaines intuitions analytiques à peine développées. Le sujet choisi suit finalement de près l'invitation de cette anthropologie contemporaine à sortir des sentiers battus de la recherche par l'identification de nouveaux contextes ethnologiques, ainsi que de nouveaux enjeux méthodologiques et théoriques51(*). S'attarder sur les contextes d'intervention en investissant les différents niveaux de questionnement qui accompagnent toute recherche, en interrogeant le parcours de recherche en lui-même -puisqu'il la conditionne- amène à la penser comme un tout indivisible, car révélateur. Le sujet et la méthode défendus depuis le Master 1 souffraient encore d'utiliser nommément ce mode analytique et, donc, de puiser plus largement dans ses savoirs. Bien que quelques bases me semblent être acquises depuis le cursus de Licence, cet exercice de réflexion trouve maintenant sa place dans ce travail d'enquête en tant qu'instrument de navigation, d'investigation et de recoupement. Profonde démarche de démonstration du travail d'enquête de terrain, l'enjeu réflexif qu'elle suggère me semblait déjà de taille. 

« Ce n'est pas l'anthropologie qui est en crise, ce sont les anthropologues... ». Ces propos, attribués à Maurice Godelier (tirés de son discours lorsque lui a été remis la médaille d'or du CNRS, en 2001), ne peuvent que sembler justes, lorsqu'on les confronte, par exemple, à ceux de S. A. Tyler, qui pense que « l'ethnologie est la réalité fantasmatique d'un fantasme de réalité »... En somme, rien de bien réconfortant quant à la crédibilité de l'entreprise anthropologique. Une part angoissée de ma recherche s'est trouvée rassérénée à l'écoute des propos de l'enseignant qui nous entretenait de la condition de l' « auteur-ethnologue », qui y laisse toujours quelques plumes : « Le terrain transforme l'ethnologue au point d'identifier un auteur à son terrain, ce qui laisse supposer une charge émotionnelle et affective qui peut s'avérer forte ! ». On posait enfin des mots sur mon malaise, qui s'avérait, finalement, être des plus cohérents. Par exemple, la lecture de l'ouvrage collectif intitulé « Terrains sensibles »52(*) est apparue à propos avec le sujet que j'ai choisi d'investir car en lien méthodologique : on y apprend qu'à chaque terrain, chaque auteur et une méthodologie propres, qu'il n'aura de cesse de réévaluer, d'estimer, tel un apprentissage constant, se retrouvant très souvent face à des questions éthiques. Ou celle d'« Un ethnologue au Maroc »53(*) qui m'a rappelé l'importance de la question de la distanciation. L'auteur nous explique ce besoin d'un temps de latence pour parvenir à comprendre, après d'autres pratiques de terrain et d'enseignement, comment il a pu avoir accès à ces informations. Dans l'enquête, rien n'est anodin et tout demande à être interrogé comme autant d'indices de compréhension sociale et culturelle.

Délestée du poids de la nécessité vaine de « finir à tout prix, et dans les temps !», ces partages d'expériences de recherche m'ont permis de mieux saisir les termes de Jean-Pierre Olivier de Sardan qui considère le terrain comme, avant tout, un « espace de la plausibilité ». Règne de « processus interprétatifs omniprésents », faits de « contraintes empiriques », nécessitant le déploiement de « procédures de vigilance méthodologique » pour « préserver tant bien que mal une certaine adéquation entre référents empiriques et affirmations interprétatives », toute connaissance scientifique est partielle car construite par le chercheur et donc, dépendante de certaines conditions. Parmi une pluralité de descriptions possibles, ces prérogatives participeraient à l'évitement des risques de surinterprétation. Si «l'ethnologie n'est pas qu'un savoir, mais un savoir-faire », combien plus me semble important d'exposer la dimension méthodologique pour, selon ce même auteur, « expliciter la dimension politique du terrain »54(*) . Interroger les multiples biais du contexte de production des données me donnerait les moyens de comprendre, à mon tour, comment je suis arrivé à élaborer cette production, pour pouvoir, ensuite, mieux la juger. Car rien n'est jamais anodin, et tout trouve son sens dans ses liens...

Ce que je pressentais comme un tout nouvel objet d'étude, qui nécessiterait la réinvention d'une nouvelle approche, d'une réflexion méthodologique, voire d'exigence épistémologique - jusqu'à la réinterrogation même du métier d'ethnologue ? - correspondait ainsi à mon objectif premier de remise en cause de la discipline sur son fondement de l' « observation participante », en tenant compte des possibilités d'une « participation observante ». Le choix d'épouser, pour un temps, la vie de ces nouveaux nomades est l'occasion de soulever ces ambiguïtés, trouvant sa force analytique dans ce cadre réflexif : intérêt qui m'invite à repenser la notion de « terrain », telle que classiquement pensée, selon une base temporelle figée - tandis que celui invoqué dépend d'un rythme saisonnier- ou selon des frontières géographiques délimitées - tandis que ce sujet se trouve sur les routes de France.

Malgré d'apparents obstacles, cet exercice de formation à la recherche (qu'est ce travail de mémoire), prend, quand bien même, une allure définitive, pourrait-on remarquer. Mais je rétorquerai alors que les efforts que j'ai cru devoir fournir sur ces quatre dernières années, pour suivre son rythme intense, irrégulier, assez peu confortable, s'est avéré vraiment rude pour être tenu si longtemps. Mon entêtement à chercher à concilier, coûte que coûte, mode de vie nomade et monde universitaire m'a amené à commettre de nombreuses erreurs...

La plus flagrante est sûrement celle d'avoir tant lié « vie de recherche » et vie personnelle au quotidien, me donnant parfois l'impression d'avoir tenté une expérience schizoïde moralement éprouvante55(*). Mon choix méthodologique de quasi-continuité de cette expérience de vie, afin de parvenir à cerner au plus près, et au plus juste, la population concernée par ce type de nomadisme au sein de notre société contemporaine, se révèle, peut-être, pertinent mais, une impression d'étouffement et de lassitude ont fini par alourdir cette enquête, me rendant trop soucieuse et trop détachée de cette vie collective... à l'inverse des sentiments de départ que ce nouveau mode de vie me procurait. Et c'est, parfois, le regard de certain de ces acteurs qui me l'a indiqué... Il me semble, aujourd'hui, m'être laissé envahir par l'entremêlement de l'aspect affectif de ce choix de vie (mes rapports quotidiens avec mon compagnon de route, mes amis devenus saisonniers, les saisonniers, rencontrés lors des saisons, devenus des amis) et la nécessité scientifique de l'analyse. Devoir analyser les propos de personnes, maintenant proches, devenait trop difficile, car douteux, d'un point de vue scientifique: ambivalences de ce processus de participation observante particulièrement appuyé, réalité propre à la recherche anthropologique ? L'entreprise ethnographique « contient - aussi - un niveau d'abstraction détaché de l'empirique »56(*). Le « terrain » est devenu ma vie : je ne parvenais plus à prendre suffisamment de distance, et encore moins à faire la part des choses entre présence sur le terrain et travail d'analyse à venir.

Peut-être n'aurai-je pas dû poursuivre les saisons agricoles dès le rendu du pré-projet de mémoire, et il est évident que j'ai alors voulu recueillir trop vite et trop abondamment les avis et critiques des saisonniers qui l'ont reçu, sans m'être laissé le temps suffisant de « digérer » l'intensité de ce travail intellectuel, me retrouvant finalement peu prête à en assumer les retours... Quant aux enquêtés eux-mêmes : ont-ils eu le temps de comprendre mes motivations ? Quelques uns ne se sont rendus compte de mes activités d'observations et de prises de notes seulement une fois qu'ils en ont lu le résultat. J'ai réalisé alors qu'ils aient pu être troublé par ma double position quelque peu déroutante et face à mon état émotionnel complètement affaibli qui s'en est suivi, et qu'ils ont sans doute dû fait preuve envers moi d'une certaine indulgence...

A force de jouer entre ces ambiguïtés de position, j'ai eu le sentiment d'avoir « perdu » mon terrain, oubliant ainsi l'essentiel de ma recherche ; ce projet finissait par ne plus avoir de raison d'être, je risquais fort de l'abandonner. A l'approche des premières compréhensions analytiques, je souhaitais déjà continuer ma vie de nomade et ne plus vivre en sédentaire ; j'avais pris parti. Dès lors, une certaine appréhension me gagnait : étais-je certaine de vouloir aller plus avant dans l'analyse, puisque j'avais atteint ce que je cherchais, d'un point de vue strictement personnel - comprendre pourquoi j'étais moi-même attirée par ce mode de vie, et reconnaître, par cette expérience, quelques vicissitudes de l'entreprise ethnologique ? J'allais même jusqu'à me demander si opter pour ce sujet n'avait pas été, en réalité, le moyen de me prouver que ce choix de vie est ce qui me convient le mieux, malgré son aspect marginal, une façon de me dédouaner de ce choix de vie. Je ne voulais pas que parvenir à la connaissance analytique de cette expérience ne sonne la fin d'une période de ma vie.

En somme, mes craintes et mes difficultés à établir une distance analytique avec ce terrain m'ont surtout conforté dans une certaine attente, finalement peu constructive ; j'ai probablement consacré trop de temps à élaborer ce projet de mémoire. J'avais accumulé des données éparses, que je n'interrogeais plus avec autant de rigueur qu'en début du parcours, sans recours systématique à l'analyse. Il devenait de plus en plus difficile de circonscrire ce sujet d'étude à une finalité objective. Même si de récurrents sentiments d'incapacité à continuer ce travail réflexif ont pu me saisir, ils n'ont pas pour autant empêché l'avancée de sa réflexion. Après un temps de silence, temps de recouvrir curiosité, plaisir, patience et persévérance, il est, à présent, temps de finaliser ce projet : rendre compte de cette expérience de l'altérité, en tant qu'expérience personnelle et intersubjective, que représente cette enquête de terrain.

Une prise de conscience de ma place en tant qu'actrice de ce jeu social, qui participe peut-être autant qu'il observe, ainsi que le fait d'accepter de ne pouvoir maîtriser tous les aspects de l'enquête, ni de garantir une parfaite transparence, me permettent d'apprendre à reconnaître mes ambivalences, et de mieux accepter mon implication de chercheur sur ce terrain, pour tenter d'en proposer, par la suite, les qualités les plus utiles.

Parallèlement, mes projets professionnels se distinguent plus nettement : ce sujet ne trouvera finalement pas suite directe en thèse (en tous cas, pour les années à venir) mais se situera comme atout pour approfondir la réflexion de l'entreprise anthropologique en tant qu'ingénieur de recherche/chargée de missions, tout en m'investissant dans la rédaction d'articles pour une -ou des- revue(s) associatives d'anthropologie (déjà existantes ou qui demandent à être créées ?)

Cette enquête sur le vécu, le personnel, le relationnel, convoque aussi l'envie d'une autre écriture, moins académique. Pour une meilleure complémentarité, plus proche des acteurs présents et à venir de ce mode de vie naissant (et pas que pour un public d'universitaires qui n'en ferait peut-être rien ?), une collaboration avec la jeune association des HAbitants en Logements Ephémères et Mobiles (HALEM) serait intéressante, à deux niveaux : tel un prolongement de la réflexion des possibilités d'une littérature ethnographique, en me servant des bases que m'offrent cette première expérience ethnologique, et pour donner la possibilité à ce groupe associatif de faire retentir plus haut leur cause sociale, par le biais de l'édition. Pour entamer ces concrétisations, il est prévu que le résultat final du mémoire soit d'abord diffusé gratuitement sur le blog Internet « Yurtao.com ». Se destinant à la défense culturelle et juridique de l'habitat en yourtes en France, il rejoint le thème du nomadisme contemporain dans la société française. Cet écrit sera accessible en ligne dès septembre 2011.

L'aspect le plus difficile auquel je me suis confronté est celui de tenter de concilier un cadre institutionnel (académique, universitaire) et le cadre d'un choix de vie « hors normes » (propre à la société française majoritaire). A travers ce travail de mémoire ethnologique, bien plus que de vouloir obtenir un diplôme - ou une autre reconnaissance universitaire, je voulais faire de cet écrit un portrait suggestif (mais jamais exhaustif !) d'une partie de la jeunesse française en recherche d' « autre » et d' « ailleurs », dans ses liens, qu'elle entretient, à sa société d'origine. J'ai pu cueillir, glaner, récupérer des informations ; j'ai appris par à-coups, faits d'erreurs, de désillusions, et de persévérance ; j'ai approfondi des techniques, des savoirs et savoir-faires ; j'ai fais l'expérience de rencontres, de contrastes et de ressemblances, m'édifiant sur mes racines culturelles et mes phantasmes de voyageur ; j'ai connu des moments de doute, d'errance, et parcouru des espaces autrement territorialisés ; je me suis laissé porter par une autre temporalité.

Il n'est peut-être pas si illogique, finalement, que cet essai de recherche, dans sa forme même, ait quelques attributs de cette vie nomade...

* 45 In préface de « Chronique des Indiens Guayaki », Pierre Clastres, 1972.

* 46 Cf Michel Leiris, « L'ethnographie devant le colonialisme », in « Cinq études d'ethnologie », pp. 83-11l, 1969.

* 47Ce que rappelle Gérard Lenclud dans son article intitulé «  L'illusion essentialiste : pourquoi est-il impossible de définir des concepts en ethnologie », in L'Ethnographie, 1995.

* 48 Cf AGIER Michel (Dir), « Anthropologues en dangers : l'engagement sur le terrain », 1997.

* 49 La question seule des inscriptions s'est avéré compliquée, dans mon cas, puisque je dispose, à la fois, du statut de salariée, couvert par la M.S.A, et le statut étudiant, qu'on me demandait de confirmer par une contribution à la sécurité sociale étudiante : mon problème administratif résidait, en fait, dans l'impossibilité en France de cumuler deux couvertures sociales gratuites...

* 50 Cf p. 20 du récit ethnographique

* 51 Cf Ch. Ghasarian (dir), « De l'ethnographie à l'anthropologie réflexive : nouveaux terrains, nouvelles pratiques, nouveaux enjeux », 2002.

* 52 Cf BOUILLON Florence, FRESIA Marion, TALLIO Virginie (eds), « Terrains sensibles », EHESS, 2005.

* 53 Cf RABINOW, Paul, «  Un ethnologue au Maroc : réflexions sur une enquête de terrain », Hachette, 1988.

* 54 Cf J-P. OLIVIER DE SARDAN, « La politique du terrain : sur la production des données en anthropologie » in Enquête de Terrain n°1, pp. 71-109, 1995.

* 55 NB, à l'attention de mes collègues ethnologues : peut-on faire véritablement autrement ?

* 56 Op.cit. G.Lenclud, L'illusion essentialiste :pourquoi il n'est pas possible de définir les concepts anthropologiques, 1995.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon