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Expérience d'art-thérapie aux dominantes écriture et arts plastiques auprès de la personne à¢gée dépendante souffrant d'exclusion sociale

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par Marie NOà‹L
Université François Rabelais - faculté de médecine de Tours - Diplôme universitaire d'art- thérapie 2010
  

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UNIVERSITÉ FRANÇOIS RABELAIS
UFR DE MÉDECINE - TOURS
&
AFRATAPEM
Association Française de Recherche & Applications des
Techniques Artistiques en Pédagogie et Médecine

EXPÉRIENCE D'ART-THÉRAPIE AUX DOMINANTES
ÉCRITURE ET ARTS PLASTIQUES AUPRÈS DE LA
PERSONNE ÂGÉE DÉPENDANTE SOUFFRANT
D'EXCLUSION SOCIALE.

Mémoire de fin d'études du Diplôme Universitaire
d'Art-thérapie

De la Faculté de Médecine de Tours
présenté par NOËL Marie
Année 2010

UNIVERSITÉ FRANÇOIS RABELAIS
UFR DE MÉDECINE - TOURS
&
AFRATAPEM
Association Française de Recherche & Applications des
Techniques Artistiques en Pédagogie et Médecine

EXPÉRIENCE D'ART-THÉRAPIE AUX DOMINANTES
ÉCRITURE ET ARTS PLASTIQUES AUPRÈS DE LA
PERSONNE ÂGÉE DÉPENDANTE SOUFFRANT
D'EXCLUSION SOCIALE.

Mémoire de fin d'études du Diplôme Universitaire
d'Art-thérapie

De la Faculté de Médecine de Tours
présenté par NOËL Marie
Année 2010

REMERCIEMENTS
Ce travail n'aurait guère été rendu possible sans l'intervention des personnes suivantes, à quij'adresse de sincères remerciements :

- les résidents de l'Hôpital de l'Ermitage, pour leur gentillesse et leur enthousiasme vis-à-vis de ce travail,

- Mme Almeras-Pillard Carine, directrice de mémoire et animatrice dans la structure, pour sa disponibilité, sa bienveillance et ses conseils,

- Mme Mareuil Catherine, directrice de stage et cadre de santé de l'unité de soins de

longue durée au 1er étage de l'hôpital pour sa disponibilité et sa bienveillance,

- le personnel de la structure, pour leur accueil chaleureux et leur participation active

dans ce projet,

- ma famille et mes proches pour leur soutien.

PLAN

Remerciements p.1

Plan p.2

Glossaire p.5

Introduction p.7

I ) L'utilisation de techniques artistiques peut permettre à la personne âgée souffrant
d'exclusion sociale de revigorer l'envie de s'investir dans une collectivité.
p.8

A) La personne âgée peut se retrouver en situation d'exclusion sociale pour de nombreuses raisons, notamment à cause des pathologies. p.8

1) Définir le vieillissement implique divers critères biologiques et socioculturels.
p.8

2) L'insertion sociale de la personne âgée représente une valeur essentielle au regard de sa qualité de vie. p.9

3) L'exclusion sociale entraîne toutes sortes de pénalités, dont la gravité peut être
alarmante. p.10

4) Les conditions socio-spatiales et sanitaires de la personne âgée constituent un premier facteur de risque d'exclusion sociale important. p.10

5) Plusieurs mesures existent dans le but de réinsérer les personnes socialement
exclues. p.11

B) Impliquer l'art dans la médecine n'a rien d'un phénomène nouveau, toutefois l'approche véhiculée par l'art-thérapie apporte une originalité et une complémentarité dans le programme de soins du patient. p.12

1) L'art intimide par ses aspects complexes et élitistes de sa définition, ressentis comme tels par l'opinion publique. p.12

2) Une approche épistémologique de l'art est nécessaire pour comprendre ses fondements et les évolutions philosophiques qui l'ont transformé et affiné au
cours des siècles. p.13

3) Le lien entre l'art et la médecine n'a rien d'un phénomène nouveau pour de nombreuses cultures, et la France, par le biais de l'école d'art-thérapie de Tours, adopte une perspective empirique de ce lien. p.16

4) La présentation du projet art-thérapeutique au sein de l'Hôpital de l'Ermitage a été accueillie favorablement par les responsables de l'établissement. ...... p.18

II ) Le projet art-thérapeutique a pu se mettre en place avec deux patientes souffrant d'exclusion, révélant des expériences et des résultats bien distincts. p.20

A) Mme A., 83 ans, atteinte de la maladie d'Alzheimer a été indiquée vis-à-vis d'un
retrait relationnel doublé d'un comportement dépressif.
p.20

1) Il est nécessaire d'expliquer avant tout la pathologie dont est atteinte Mme A. pour mieux comprendre son état physique et psychique au regard de
l'expérience art-thérapeutique. p.20

2) Mme A est à un stade modérément avancé de la maladie, et reste à l'écart de la collectivité car elle n'en voit plus l'intérêt. p.21

3) La prise en charge s'est déroulée sur 6 séances. p.22

4) L'objectif thérapeutique n'aurait jamais pu être atteint si rapidement sans le concours du personnel de l'établissement. p.29

B) Mme B., 84 ans, atteinte de troubles neurologiques modérés a été indiquée vis-à-vis d'un retrait relationnel dû à une défaillance des repères spatio-temporels. p.29

1) Il est nécessaire d'expliquer avant tout la situation problématique et les troubles dont est atteinte Mme A. pour mieux comprendre son état physique et psychique au regard de l'expérience art-thérapeutique. p.29

2) Mme B est convaincue, lors des présentations, qu'elle va rentrer chez elle, soulignant l'inutilité d'une prise en charge. p.31

3) La prise en charge s'est déroulée sur 5 séances. p.32

4) Mme B est aujourd'hui une résidente très connue des activités collectives de l'hôpital. p.37

C) L'analyse des résultats met en évidence les points communs et les particularités de chaque patiente au regard de la prise en charge art-thérapeutique. p.38

1) Il est nécessaire d'établir un rappel des deux expériences art-thérapeutiques dans un souci de simplification nécessaire à une compréhension optimale de l'analyse de ces expériences. p.38

2) Les observations ont été notées et cotées selon une méthode bien précise. p.39

3) Les tableaux et graphiques constituent d'excellents moyens de communication de résultats envers les autres membres de l'équipe. p.40

III ) Les résultats de ces expériences soulèvent plusieurs limites et interrogations quant à la méthodologie, la population, mais soulèvent aussi de nouvelles pistes de réflexion vis-à-vis de l'art-thérapie. p.45

A ) La méthodologie nécessite d'être abordée avec davantage de profondeur et de
précision afin de maximiser sa pertinence.
p.45

1) Plusieurs explications sont à fournir vis-à-vis de la « courte » durée des prises en charges réalisées. p.45

2) Le choix volontaire de ne pas consulter le dossier personnel des patients met en évidence des limites qualitatives sur la prise en charge, mais préserve entre autres la sincérité de la relation entre le patient et l'art-thérapeute p.47

3) La grille d'observation établie pendant le stage nécessite des corrections de différents ordres, en vue d'un usage ultérieur plus pertinent. p.48

B ) Certaines questions traitant de la population choisie sont amenées à être posées vis-à-vis de ce travail, mais aussi en comparaison avec d'autres travaux de recherche en art-thérapie. p.51

1) Évoquer l'exclusion de la personne âgée dépendante alors qu'elle vit en institution peut sembler ambigu à comprendre et pose un certain degré
d'impertinence sur la réalité des faits. p.51

2) Les différents intergénérationnels au regard de l'art peut amener la personne à refuser la prise en charge art-thérapeutique. p.53

3) L'écriture et les arts-plastiques ne sont peut-être pas les techniques artistiques les plus adaptées aux pathologies de la personne âgée dépendante vivant en institution. p.53

C ) Le bilan de ces expériences a, et continue de révéler à l'art-thérapeute de nouveaux
questionnements sur ses champs d'action, mais aussi sur l'art-thérapie, ses principes et
ses outils.
p.56

1) Le métier d'art-thérapeute est difficile à reconnaître par l'équipe de soins, dans
la structure hospitalière. p.56

2) Le bagage de l'apprenti art-thérapeute pourrait comprendre de nouveaux impératifs pour prétendre à suivre la formation. p.57

3) Le schéma de la sphère opératoire pourrait être présenté comme un préambule à l'assimilation du schéma de l'opération artistique. p.58

Conclusion p.62

Bibliographie p.63

Annexe p.65

GLOSSAIRE

(p.8) Sénescence : Vieillissement de l'organisme.

(p.8) Autonomie : Ensemble des habiletés permettant à une personne de se gouverner par ses propres moyens, de s'administrer et de subvenir à ses besoins personnels.

(p.9) Norme : 1. Type concret ou formule abstraite de ce qui doit être. 2. État habituel, conforme à la majorité des cas.

(p.10) Exclusion : Situation de personnes mises à l'écart, qui ne bénéficient pas des avantages minimaux attachés à un type de société.

(p.10) Sociologie : Étude scientifique des faits sociaux humains. Est aussi l'étude des sociétés.

(p.10) Géographie : Science qui a pour objet la description de l'aspect actuel du globe terrestre, au point de vue naturel et humain.

(p.11) Dépendance : Situation d'une personne qui, en raison d'un déficit anatomique ou d'un trouble physiologique, psychologique ou affectif ne peut remplir des fonctions ni effectuer des gestes essentiels à la vie quotidienne sans le concours d'autres personnes ou le recours à une prothèse, un remède, etc.

(p.13) Ressenti : Sensation physique éprouvée.

(p.13) Émotion : État affectif prononcé, pouvant s'accompagner de troubles divers (pâleur, tremblements, etc.)

(p.13) Contemplation : Fait de s'absorber dans l'observation attentive de quelqu'un ou quelque chose.

(p.13) Création : Action de faire, réaliser quelque chose qui n'existait pas encore. (p.13) OEuvre : Création intellectuelle, littéraire, artistique.

(p.13) Épistémologie : Théorie de la connaissance et de sa validité.

(p.13) Idée : Au sens platonicien, une idée est une chose qui existe par et pour elle-même.

(p.13) Spirituelle : Qui est de l'ordre de l'esprit.

(p.14) Les Lumières : période historique des pays européens où la culture, la science et les intellectuels placent l'être humain au centre de leur attention, dans une perspective d'amélioration de sa condition.

(p.16) Surnaturel : 1. D'origine divine.

2. Qui ne s'explique par par les lois naturelles.

(p.17) Mieux-être : État plus heureux, amélioration du bien-être (cf. « bien-être » ci-dessous).

Bien-être : Sensation agréable procurée par la satisfaction de besoins physiques ou de l'absence de soucis.

(p.20) Démence : Déchéance irréversible des activités psychiques, mentales. (p.20) Anosognosique : Se dit d'un individu qui n'a pas conscience de sa maladie.

(p.20) Aidant : Individu qui accompagne le malade au quotidien. Ce n'est pas une personne qui prodigue des soins médicaux.

(p.27) Transfert d'images : Technique consistant à déplacer une image contenue sur un support vers un autre support en la frottant. La chaleur générée par le frottement décolle l'image pour la plaquer sur le support souhaité. Toutefois, répéter l'opération sur une image déjà transférée n'est pas possible et endommagerait l'image.

(p.39) Item : Plus petite unité observable.

(p.45) Bien-fondé : Conformité à la raison.

(p.46) État d'esprit : Ensemble présent des dispositions, des façons d'agir habituelles. (p.52) Appétence : Tendance portant quelqu'un vers ce qui satisfait ses penchants, ses besoins. (p.60) Stimulus : Cause capable de provoquer la réaction d'un organisme vivant (p.60) Affective : Relative aux affects, aux sentiments.

INTRODUCTION

Ce travail va tenter de soulever la réalité des conditions de vie des personnes âgées et de ce qui peut amener à leur exclusion sociale. A travers plusieurs angles d'approche, nous pourrons comprendre les problèmes auxquelles elles sont confrontées, et les mesures qui existent actuellement pour y remédier. Mais lorsque la perte d'autonomie est trop forte, le placement de la personne âgée dans une institution peut s'avérer être le seul recours possible. Mais comment la personne concernée vit-elle ce bouleversement ? Comment peut-elle se retrouver exclue dans un établissement où circule tout un monde au quotidien ? Comment l'art-thérapie pourra-t-elle intervenir pour donner à la personne âgée l'envie de se réinvestir dans un groupe ?

J'ai voulu faire ce stage pratique avec cette population, car elle me passionne depuis plusieurs années. Les personnes âgées sont envahies d'idées reçues par la société, et sont souvent considérées comme des personnes qui ne sont plus capables de suivre le rythme effréné qu'a adopté la France depuis un moment. Par conséquent, elles sont délaissées, mettant leur dignité et leur identité en péril, alors qu'elles ont tant à nous apprendre. Des mesures sont appliquées pour améliorer leur qualité de vie, et bien qu'on puisse saluer ces initiatives, celles-ci sont encore loin d'être suffisantes. Il faut alors que chacun y mette du sien pour illuminer le quotidien de ces personnes qui souffrent d'avoir perdu le goût d'une vie autonome et pleine d'aventures. Et l'art-thérapie me semble être un moyen original pour y parvenir.

Je dédie cet humble mémoire de recherche à toutes les personnes âgées qui se battent pour profiter au mieux de leur quotidien, qu'elles soient ou non encore à leur domicile, ainsi qu'aux aidants qui investissent énormément d'énergie dans la préservation d'une bonne qualité de vie de leur proche ; aux aides-soignants et aux infirmiers qui font leur maximum et dans des conditions souvent exténuantes et peu gratifiantes, et à tous ceux qui pensent « qu'il n'y a plus rien à faire » quand la vie arrive doucement à son terme.

I ) L'utilisation de techniques artistiques peut permettre à la personne âgée souffrant d'exclusion sociale de revigorer l'envie de s'investir dans une collectivité.

A) La personne âgée peut se retrouver en situation d'exclusion sociale pour de nombreuses raisons, notamment à cause des pathologies.

1) Définir la personne âgée implique divers critères biologiques et socioculturels.

Si l'on souhaite parler de la personne âgée, il est primordial de définir ce que l'on entend précisément par le mot << âgée ». Nous allons vite comprendre que cette tâche n'est pas si simple, car la personne âgée est reconnue selon des critères définis par l'environnement socioculturel dans lequel elle réside. Ces critères comportent entre autres l'âge de la personne, son statut socioprofessionnel, son état de santé... Sans compter que ce terme est parfois remplacé par d'autres, comme << gens du troisième âge », ou encore << séniors », employés plus volontiers car véhiculant des idées moins péjoratives que l'usage populaire tend à donner à la première notion ; nous expliquerons cela en détail un peu plus tard dans ce chapitre.

Pour définir la personne âgée de façon globale, nous utiliserons les références établies par l'Organisation Mondiale de la Santé. Celle-ci classe la personne âgée en deux catégories établies selon des tranches d'âge différentes : le troisième âge, qui concerne la personne de 60 ans et plus, c'est l'âge de la retraite, la période où la personne a le temps de se consacrer aux projets qui ne pouvaient se réaliser du temps où elle travaillait, c'est aussi le début de la sénescence* ; et le quatrième âge, correspondant aux personnes de 80 ans et plus, l'âge où la présence de troubles physiques et mentaux ainsi que des maladies spécifiques peuvent provoquer une perte de l'autonomie* de ces personnes.

En France, il n'existe pas, au niveau légal, d'âge particulier qui considère une personne âgée en tant que telle. La médecine et les sciences humaines s'accordent avec les repères de l'O.M.S., cependant on parlera davantage de personne << vieillissante » que de personne âgée. Nous nous penchons alors sur la définition du vieillissement, qui se voit être une notion clé pour cette catégorie de personnes, mais dans laquelle il faut distinguer deux concepts, présentés par Amédée Thévenet dans Le quatrième âge : d'une part << le vieillissement de l'individu, phénomène continu et irréversible qui est propre à chacun », et d'autre part << le vieillissement de la société, phénomène fluctuant, non-réversible, qui se manifeste au rythme des générations ». À propos du premier concept, cela nous renvoie aux phases du développement normal de l'être vivant, qui croît, mûrit, puis décline ; c'est un schéma d'évolution auquel nous sommes tous confrontés, bien que cette évolution soit différente dans le rythme. C'est pour cela que déterminer le statut d'une personne selon son âge peut s'avérer ambigu et gênant. Pour le deuxième concept, nous allons nous pencher sur l'évolution démographique de la France depuis le début du siècle dernier. C'est depuis cette époque que le pays compte de plus en plus de personnes âgées par rapport à la population totale.

Nous savons que le XXème siècle fut une période très importante dans le progrès de la médecine (découverte de la pénicilline, des antibiotiques, sophistication des techniques chirurgicales, hémodialyse...) rallongeant ainsi de plusieurs années l'espérance de vie des habitants, hommes comme femmes. Cependant, Paul Paillat démontre que ce vieillissement démographique n'est pas limité qu'à ce progrès, et qu'il faut prendre en compte l'amélioration

Les mots marqués d'une astérisque * sont définis dans le glossaire aux pages 6 et 7.

du niveau de vie, et la baisse de la mortalité infantile (cf. annexe n°1). S'il y a davantage de personnes âgées aujourd'hui, c'est notamment parce que les jeunes générations se sont considérablement élargies (fin de la Seconde Guerre mondiale : génération Baby-Boom).

Comment cette population vieillissante trouve-t-elle sa place dans la société ?

2) L'insertion sociale de la personne âgée représente une valeur essentielle au regard de sa qualité de vie.

Bien qu'il soit évident, et surtout dans notre société, que l'insertion sociale soit une priorité pour chaque individu, dès sa naissance, la société doit s'organiser et s'adapter sur différents plans (social, économique, environnemental...) pour maintenir toute la population dans le système. Mais qu'entend-on par insertion sociale ?

L'insertion sociale, c'est l'action ou l'ensemble des actions qui ont pour but d'amener une personne marginale ou isolée vers un état où les échanges avec son environnement social sont satisfaisants. Elle désigne aussi le résultat de ces actions. L'insertion sociale nécessite l'appropriation des valeurs, des règles et des normes* du système au sein duquel a lieu l'insertion. Elle revêt plusieurs dimensions : familiale, scolaire, professionnelle, économique, culturelle, habitat, etc.

En référence à ce qui a été défini précédemment, nous allons nous baser sur le principe que la personne âgée est une personne aujourd'hui à la retraite. Elle a donc du temps à sa disposition, et c'est souvent l'occasion de s'atteler à la concrétisation de projets jusqu'alors laissés de côté à cause du temps de travail. Chaque personne s'affaire à sa manière, toutefois on retrouvera souvent dans ces projets des voyages, des créations ou participations à des clubs et des associations diverses, du temps pour soi et sa famille (notamment en ce qui concerne les petits-enfants, voire arrière-petits-enfants).

La sortie du cycle professionnel induit une trajectoire marginale, et peut être vécue de deux façons différentes : Premièrement, la perte de sa place au sein du collectif d'entreprise est ressentie comme un manque, une perte partielle de son identité, et c'est la recherche du comblement de ce manque identitaire qui va amener la personne à s'investir dans des associations (communauté de quartier, club de troisième âge, activités sportives, associations humanitaires, etc.). Deuxièmement, la vie professionnelle de la personne était pauvre, et elle profite désormais de ce temps libre pour s'investir. Dans les deux cas de figure, l'attachement à des valeurs et à des groupes reste très présent. Le cas qui illustre assez bien cela est le bénévolat, qui correspond davantage aux valeurs idéologiques de la personne bénévole, tout en étant utile aux autres.

La disponibilité du retraité envers sa famille est également susceptible de lui allouer une place et des fonctions importantes au sein du groupe. Il est notamment le lien qui maintient en relation les descendants de différentes générations et dont la parenté est plus ou moins éloignée. Il est également, bien souvent dans la culture française, celui qui conserve le patrimoine familial (mobilier, albums photos, objets d'enfance, archives, etc.). Les grandsparents jouent en général un rôle important dans l'éducation de leurs petits-enfants, dans la transmission de leur expérience de vie, de leur histoire ; et permettent aussi aux parents d'avoir des personnes de confiance dans leur rôle éducatif.

Mais la réalité est-elle toujours si positive ? La société a-t-elle les moyens de rendre ces investissements, cette intégration possibles pour toutes les personnes âgées ? Et si ce n'était pas le cas, quelles problématiques en découleraient ? Penchons-nous d'abord sur les

généralités de l'exclusion.

3) L'exclusion entraîne toutes sortes de pénalités, dont la gravité peut être alarmante.

Beaucoup d'études traitant de l'exclusion* concernent des populations en précarité économique et sociale, notamment les chômeurs, les sans-domiciles fixes, des minorités ethniques, où l'on peut décerner plus explicitement les conséquences que leur situation peut entraîner, ce qui est moins évident quand on parle des personnes âgées car le spectre de population est beaucoup plus large (et peut englober les catégories précédentes).

Pourquoi et comment se retrouve-t-on exclu ? L'exclusion d'un individu a lieu lorsque celui-ci est amené à quitter son groupe d'appartenance (famille, collègues, communauté religieuse, etc.). Cela peut être fait de son propre chef, mais aussi de la part des autres membres du groupe. Elle amène bien souvent une fragilité psychologique de la personne, car ne plus appartenir à un groupe, c'est aussi ne plus être reconnu dans les normes et les valeurs que les membres du groupe entretiennent ensemble ; c'est, d'une certaine façon, perdre une part de son identité, ce qui rend la personne plus vulnérable vis-à-vis de l'environnement qui l'entoure (cf. les 14 besoins fondamentaux de l'être humain, de Henderson).

Dans notre société, nous appartenons à des dizaines de groupe distincts, que nous en soyons ou non conscients, et cela forme, consolide ou modifie notre personnalité. Mais lorsque nous venons à quitter l'un de ces groupes, un « mal-être » en ressort souvent. Nous pouvons illustrer cette idée avec plusieurs situations différentes : Le cas d'un divorce ou d'un décès ; il s'agit là d'une rupture du groupe conjugal, et cela entraîne donc la perte d'identification du couple en tant que tel, du statut marital, du foyer familial, entre autres, et cela est difficile à vivre pour les enfants, qui subissent cet éclatement malgré leur attachement naturel à ce groupe. C'est aussi le cas lors du licenciement économique d'un salarié, se retrouvant sans emploi, sans le cadre de travail et ses collègues qu'il côtoyait au quotidien. Ce sont des bouleversements de la vie et de son rythme qui sont plus ou moins faciles à accepter, et à dépasser. Tout le problème réside justement dans la fragilité que l'exclusion provoque chez la personne concernée. Si certains s'en sortent bien, d'autres seront en proie à de plus grandes difficultés, qu'elles soient sociales, économiques, physiques ou psychiques. Certains pour qui la situation devient insupportable en arrivent à sombrer dans l'alcoolisme, la délinquance, la toxicomanie, la pharmacodépendance, la dépression et la maladie.

Si l'on revient aux personnes âgées, qui ont par définition quitté la vie active, catégorie privilégiée par le régime libéral entretenu depuis plusieurs années en France, quels sont les risques d'exclusion à mettre en évidence ? Comment leur situation si particulière est-elle gérée par la société, et quelle organisation vont-ils désormais donner à leur quotidien ?

4) Les conditions socio-spatiales et sanitaires de la personne âgée constituent des facteurs de risque d'exclusion importants.

Sur le territoire, la répartition des populations âgées est organisée de façon hétérogène (cf. annexe n°2) ; mais cela est sociologiquement* et géographiquement* justifiable. On s'aperçoit que les départements comprenant les taux de personnes âgées les plus importants sont géographiquement des zones montagnardes, littorales, et fortement rurales. La représentativité de cette population est au plus grand dans les petites villes, et au plus bas

dans les milieux fortement urbanisés. Pourquoi ? Depuis plusieurs décennies, la société s'intéresse avant tout aux citoyens actifs - nous entendons par ce terme << ayant un emploi » - car ils représentent le moteur dynamique de l'économie du pays. Ce dernier adoptant une politique d'urbanisation toujours plus élargie, l'exode rural des jeunes générations prend de plus en plus de poids, et délaisse les campagnes au profit des grandes villes. Sur le plan économique on établira le constat suivant : moins d'actifs dans les campagnes donc moins de revenus, et même si les personnes âgées sont nombreuses, les revenus des retraites sont moins importants, et cette réduction entraîne une quantité et une qualité des services de ces communes relativement amoindries (par exemple la fermeture de certaines écoles, des petits bureaux de poste, petits commerces...). Comment se fait-il que cette politique de centralisation ne fasse pas bon ménage avec les personnes âgées ?

N'oublions pas que ce public n'a pas les mêmes besoins que les générations plus jeunes, notamment en termes de santé. Une personne de 65 ans ou plus nécessite aujourd'hui deux fois plus de soins médicaux qu'un Français moyen, et davantage après 80 ans. Le vieillissement contribue naturellement à une détérioration des tissus vivants, le corps s'en trouve ainsi, dès les environs de l'âge de la retraite en général, fragilisé, usé, parfois invalide par rapport à son environnement. Nous revenons au fait que nous avons énoncé au départ le mauvais ressenti qui se dégageait du terme de personne âgée ; c'est parce qu'elle est bien (trop) souvent attachée à cette idée anxiogène de perdre sa propre autonomie, de tomber malade, de faire une chute grave, de devoir être assisté dans les gestes du quotidiens que l'on arrivait autrefois à accomplir seul et sans mal. << On n'a plus l'âge de se débrouiller seul », et cela est dur à accepter pour la personne se trouvant dans cette situation.

Bien sûr, des moyens existent pour parer à la dépendance* des personnes âgées, et nous y reviendrons, mais si l'on reste toujours sur l'axe d'analyse socio-spatial de ce phénomène, il est évident que la population âgée tend à se retrouver exclue du système, de part son isolement géographique. Les structures médicales se centralisent, elles aussi, depuis plusieurs années, et bien que la loi stipule que l'accès aux soins soit égal pour tous, cela ne peut être satisfait de cette manière. Aujourd'hui, ces personnes sont parfois obligées de parcourir plus de 50 km pour consulter un ophtalmologiste, ce qui pose évidemment des soucis. Mais le problème se généralise pour l'ensemble des services, allant des courses alimentaires jusqu'à l'achat d'un carnet de timbres. De plus, comme de moins en moins de jeunes restent dans les milieux ruraux, l'espace des relations des personnes âgées s'en retrouve réduit. Cela amène implicitement à les exclure de la société dite << active ». Nous faisons donc face à une processus d'exclusion triangulaire : une exclusion économique, une exclusion sanitaire, et une exclusion sociale.

5) Plusieurs mesures existent dans le but de prévenir l'exclusion des personnes âgées.

En regardant le phénomène dans l'angle communautaire, la vie dans les villages ou les petites bourgades n'est pas triste. La présence de nombreux comités de quartiers et d'associations de retraités oeuvrent justement dans ces milieux, tissent et renforcent les liens sociaux entre les différents habitants. La solidarité entre les membres (même des voisins) est primordiale et permet aux personnes de se sentir appartenir à un groupe partageant des valeurs communes et garder une qualité de vie satisfaisante sur le plan relationnel.

Il ne faut également pas négliger l'application de nombreuses mesures récentes concernant le projet de maintien au domicile des personnes âgées. Cela implique la venue de soignants spécialisés (infirmiers par exemple), ainsi que des aides ménagères au domicile de

la personne bénéficiaire dans l'objectif de préserver ses capacités cognitives et motrices pour les tâches du quotidien (alimentation, ménage, toilette, habillage,etc.). Même les personnes âgées les plus démunies sur le plan financier, à travers l'aide sociale, peuvent profiter de ces services, de plus en plus répandus. Quand on constate que les mentalités françaises actuelles sur le plan familial n'encouragent plus la cohabitation de la famille sur différentes générations, ces alternatives sont d'un grand secours pour prévenir la dépendance et la solitude des personnes âgées en difficulté.

Toutefois, lorsque le maintien à domicile n'est pas ou plus possible, la personne peut être « placée » dans différentes structures, selon son degré de dépendance, ses ressources financières et ses préférences. Parmi ces structures nous comptons les résidences et foyerslogements spécialisés, les unités d'accueil de jour, les unités de moyen séjour et de long séjour, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (E.H.P.A.D.), ou encore les hôpitaux psychiatriques (pour ceux qui présentent des pathologies nécessitant ce type d'hospitalisation), mais de nombreux autres types de structure existent. Cependant, il faut savoir qu'une très faible minorité de personnes âgées de 60 ans et + sont placées en institution (6 %, les autres sont à domicile ou dans le milieu familial), mais après 90 ans, elles sont 25% à vivre en institution. Que ce soit dans le milieu urbain ou rural, la société développe des mesures d'aménagement du territoire et d'aide économique pour fournir une qualité de vie la plus digne possible aux personnes âgées. Dans le cadre du plan de lutte contre l'exclusion, le budget dépensé pour ces aménagements atteint les 100 milliards d'euros par an (mais ce plan profite, en plus des personnes âgées, aux personnes handicapées et aux pauvres). Depuis plusieurs années également, l'État et les Caisses Régionales débloquent des fonds pour construire des structures adaptées aux personnes atteintes de pathologies dégénératives de type Alzheimer.

Des prestations d'intervenants multiples ont lieu de plus en plus fréquemment dans les structures d'accueil et d'hébergement : des animateurs, des socio-esthéticiennes, des musicothérapeutes, des art-thérapeutes... afin d'aider à améliorer la qualité de vie de la personne. Mais que peuvent faire des art-thérapeutes dans ces structures et avec un public comme celuici ? Comment l'art peut-il trouver une place originale et efficace dans un milieu de soins ? Nous allons voir dans la partie suivante que l'art est une notion qui a fasciné les grands penseurs de l'Histoire, que la médecine a également côtoyée à travers les cultures et les époques, et que la recherche scientifique et philosophique contemporaine nous a amenés à penser l'art dans une visée humanitaire et thérapeutique.

B) Impliquer l'art dans la médecine n'a rien d'un phénomène nouveau, toutefois l'approche véhiculée par l'art-thérapie apporte une originalité et une complémentarité dans le programme de soins du patient.

1) L'art intimide par les aspects complexes et élitistes de sa définition, ressentis comme tels par l'opinion publique.

Parler d'art aujourd'hui, alors que son existence et sa pratique ne s'est jamais autant « démocratisée » dans les civilisations industrialisées, continue de susciter le mystère et une certaine froideur à l'égard de la population française. Même si l'on sait « vaguement » à quoi l'on fait référence, il reste néanmoins ardu pour une personne non-initiée de définir clairement et simplement ce qu'est l'art. Et cela est tout à fait compréhensible, quand on sait que l'art, depuis son sens premier délivré dans l'Antiquité, n'a cessé d'être discuté, retravaillé, affiné, et contredit jusqu'à notre époque. Actuellement, on pourrait la définir comme « un moyen nonconventionnel d'expression ». À travers les productions artistiques (peintures, sculptures,

musiques...), les artistes expriment leur représentation du monde face au monde lui-même, suscitant des ressentis*, des émotions*, parfois des réflexions de la part des spectateurs. L'art est fondamentalement lié à l'être humain, mais tout être humain n'est pas nécessairement lié à l'art. Nous avançons ici l'idée de sensibilité artistique, cette capacité de contemplation* et de création* si particulière qui se manifeste (ou non) à différents degrés chez les individus. C'est ce qui va démarquer des autres les bons critiques d'art, les grands peintres, écrivains, comédiens, même le plus humble des amateurs d'art. C'est aussi sur ce point que se pose une attitude distante, tantôt idolâtrique, tantôt discriminatoire du peuple envers les artistes. Ces artistes sont vus en quelque sorte comme des << élus », des individus hors-norme, géniaux, capables d'exprimer, mais aussi de communiquer des choses d'une façon originale (techniques utilisées et forme de l'oeuvre*) et profonde (le sens, le fond de l'oeuvre) au monde extérieur. Pour illustrer cette idée de statut privilégié de l'artiste, nous avions eu l'occasion, au cours d'une exposition d'oeuvres abstraites d'un célèbre artiste chinois, dans un prieuré de Tours, de discuter de ce statut avec une dame d'une cinquantaine d'années, grande férue de ce genre d'événements. Selon cette personne, << l'artiste est un être pourvu d'une grande spiritualité, et qui ne se mélange pas avec la masse commune. Ces pauvres gens ne pourraient pas le comprendre ». Outre le caractère sensiblement << snob » de son discours, on peut aisément constater que la distance se maintient aussi bien du côté des esthètes que des gens pour qui l'art ne signifie rien ou pas grand chose ; et cela est fort dommage. De plus, les ouvrages intellectuels qui traitent de l'art, de son histoire et de ses réflexions sont d'une considérable complexité et rebuteront la plupart des personnes qui ne sont pas initiées dans ce domaine.

Si nous venons ici de présenter un aperçu synthétique de ce qu'est l'art aujourd'hui dans son sens le plus large, nous allons opter maintenant une approche épistémologique* de l'art, afin d'en tirer son histoire et ses subtilités, nécessaires à la compréhension des modalités qui font que l'art puisse s'imbriquer dans le processus thérapeutique.

2) Une approche épistémologique de l'art est nécessaire pour comprendre ses fondements et les évolutions philosophiques qui l'ont transformé et affiné au cours des siècles.

Le mot art est issu du latin ars, signifiant technique, et est employé, dans l'Antiquité, pour désigner le savoir-faire d'un métier, qui n'était pas nécessairement lié à une activité artistique (par exemple l'orateur, le médecin). La notion d'artiste n'avait pas, à cette époque, le sens que nous lui donnons aujourd'hui ; ici on parlera davantage d'artisan, l'individu qui maîtrise un savoir-faire. L'art est très présent chez les Grecs, tant sur le plan sensible (monuments, statues, peintures...) que sur le plan intelligible (le monde des Idées*, la philosophie).

Platon s'est penché sur cette notion, à laquelle il allie celle de beauté, qui n'est autre que le vecteur et la finalité de l'art. Rappelons-nous dans le contexte de l'époque, que la nature, fruit de l'oeuvre des dieux, êtres parfaits, ne peut qu'être belle puisque ses créateurs sont bons. Les Hommes, créés par des demi-dieux, sont quand à eux imparfaits, et ont donc une aspiration naturelle et spirituelle* à promouvoir la beauté, et à << faire du beau ». Mais Platon souligne la difficulté, notamment dans la discussion entre Socrate et Hippias, de définir ce qu'est le beau et de le distinguer de ce qui est beau. Ce qui est beau, pour Platon, se révèle être ce qui appartient au plaisir des sens, aux passions (par exemple la vue d'une jeune femme, des temples), tandis que le beau lui-même, bien qu'engendrant un plaisir sensoriel chez l'individu, trouverait son essence dans le monde intelligible, au-delà de l'homme, dans le divin, à travers l'acte de contemplation.

Les artistes sont alors des hommes pourvus d'une certaine spiritualité qui les entraîne dans la recherche de la beauté ; et pour mettre cette recherche en pratique, ils imiteront la nature. C'est pourquoi les oeuvres d'art de cette époque, notamment en ce qui concerne les statues, sont dotées d'une idéalisation des formes très prononcée. Cependant, Platon dénonce le travail des artistes, plus précisément le fait d'imiter, de copier les phénomènes (la mimêsis). Quel que soit le modèle utilisé, et le réalisme, la copie ne sera jamais considérée dans son essence comme une vérité ; par exemple, une peinture d'un vignoble restera avant tout une peinture, et non le vignoble. Platon parle de l'illusion de l'art, et la condamne.

Aristote poursuit cette réflexion en conservant l'idée de mimêsis comme essence de l'art, toutefois il l'envisage sous un angle plus humain. En effet, pour lui, la mimêsis se traduit par la représentation d'une action vraisemblable à partir du réel humain, faisant de l'art << la faculté de produire le vrai avec réflexion » ; autrement dit la vérité par et pour les hommes, en reconnaissant le processus de représentation. La spiritualité n'est toutefois pas écartée, l'artiste reste toujours sous une inspiration divine ; et cela s'élargit à toute forme d'art (la médecine par exemple).

En ce qui concerne la beauté, Aristote évoque les notions << d'ordre » et << d'étendue ». Une oeuvre, pour qu'elle soit belle, doit posséder des proportions harmonieuses, telles qu'elles le seraient dans la nature (cela vaut aussi pour un bel être). L'oeuvre doit se contenter d'être juste.

Artistote parle également de l'art comme ayant un effet cathartique sur l'être. La catharsis se définit comme une action purificatrice de l'esprit d'un être, mais aussi purgative (évacuation des humeurs). Le plaisir éprouvé par la contemplation d'une oeuvre (une peinture, une tragédie, etc.) aurait une fonction libératrice et bienfaisante. Il reconnaît donc un pouvoir à l'art sur le corps et l'esprit humain. Ce concept inspirera la majeure partie des philosophes des époques ultérieures.

En France, et jusqu'à la Renaissance, les arts sont majoritairement au service de la religion (peintures et sculptures retraçant les scènes et les personnages de la Bible, architecture des lieux de culte...). Ce n'est qu'à partir de la fin du XVème siècle, que l'art est pensé et appliqué dans de nouveaux objectifs, dont la science et plus spécialement l'anatomie font partie. La recherche de la beauté idéale et parfaite est peu à peu grignotée par l'arrivée du réalisme, dont l'une des manifestations caractéristiques est la laideur (peinture d'hommes écorchés, mal-formés, mutilés). Le divin nous quitte pour aborder une représentation de la réalité humaine sous toutes ses coutures, et cela bouleverse évidemment les mentalités de l'époque. Aussi naissent les << Beaux-Arts », qui se révèle être une discipline promouvant la recherche esthétique dans les arts. La distinction entre l'art de l'artisan, et l'art de l'artiste émerge doucement dans les courants de pensée, mais n'en sera vivement discutée qu'au XVIIIe siècle, aussi appelé le siècle des Lumières*.

Diderot trouve à l'artiste un rôle politique potentiel qu'il devrait exploiter dans les oeuvres qu'il produit (par exemple les vertus nationales à prêcher pour le poète tragique). Il tient aussi à populariser l'art (au même titre que toute autre connaissance et science), à le rendre accessible pour chaque citoyen. Il est l'un des premiers philosophes à tenter de << démocratiser » l'art.

Burke reprend l'idée aristotélicienne d'harmonie des proportions en avançant le fait que la beauté d'une oeuvre ne peut se limiter à ce critère << formel ». Il avance aussi l'idée d'une pluralité de l'esthétique ; que si la beauté est un concept universel, elle se manifeste selon des critères de reconnaissance propres à chaque individu.

Kant va plus loin en réfléchissant sur la notion même d'esthétique, qu'il définit comme

la science du beau. Le sentiment esthétique est vu ici comme le plaisir désintéressé éprouvé par l'acte contemplatif ; en ce sens l'esthétique est universelle, nous sommes tous aptes à éprouver ce plaisir. Toutefois Kant prend soin de distinguer le beau de l'agréable, siège du jugement de goût. Si une oeuvre est agréable pour l'un et non pour l'autre, << ce n'est qu'une question de goût >>.

Au début du XIXe siècle, les travaux de Hegel discutent la pensée kantienne, notamment à l'égard du beau. Hegel exclut la beauté naturelle (qui pour Kant représente la beauté dans son universalité, et par conséquent supérieure à la beauté artistique), car dénuée de spiritualité, dont cette dernière est le propre de l'homme. L'esthétique est un sentiment humain, et n'a donc rien à voir avec la nature. L'art est vu ici comme une nécessité humaine (toute activité humaine existante répond à un besoin chez Hegel), et plus précisément comme l'expression sensible d'une chose spirituelle. Il souligne aussi que la beauté d'une oeuvre fait appel aussi bien à son apparence qu'à son essence, autrement dit comment elle est faite et pourquoi elle est faite.

Nietzsche soulève l'idée de la puissance de l'art, comme véhicule de la vérité existant dans un temps donné. L'évolution de la culture, et donc de ses normes et de ses valeurs, et par extension l'art, contribue à faire de ce dernier une activité d'expression qui tend à améliorer la vie humaine. A cela il reproches les idées platoniciennes d'une réalité immuable, parfaite, mais fictive, visant à rassurer mais privant du coup les hommes de la vérité. << L'art est changement >>.

Au milieu du XIXe, Bergson voit dans l'art un révélateur de l'essence des choses qui nous échappe. Prisonniers et trompés par nos sens et les artifices de la société, l'art permet de montrer la vérité des choses auxquelles on n'accrocherait a priori aucune attention dans la vie quotidienne.

À la fin du XIXe, Alain réfléchit quant à lui sur le statut de l'oeuvre d'art. Une oeuvre d'art est belle et reconnue comme telle lorsqu'elle est achevée, << affirmative d'elle-même >>. Elle existe et s'impose comme un fait dans le monde, et résistant dans le temps. Alain réfléchit sur le statut d'artiste et d'artisan : l'artiste produit des oeuvres, l'artisan des ouvrages, mais il y a bien dans l'oeuvre un savoir-faire, et dans l'ouvrage un style qui fait appel à l'esthétique de l'artisan. La distinction s'opère dans la finalité du travail : l'oeuvre appelle à une fin esthétique, et l'ouvrage à une fin utilitaire.

Au milieu du XXe siècle, Merleau-Ponty s'avance sur les ressentis dans l'art. Pour lui, l'art éveille tant chez l'artiste que chez le contemplateur des sensations brutes, issues de notre inconscient, de ce qui n'est pas immédiatement accessible à notre esprit. Le brut est associé au non-visible, et c'est là que se manifeste le talent de l'artiste : il est celui qui est capable de nous montrer la réalité qui l'habite et qu'il habite, et ce quelle que soit la forme d'art. L'art a le pouvoir de nous faire ressentir des choses qui ne nous sont pas visibles, conscientes sur l'instant où nous percevons l'oeuvre.

Aujourd'hui nous poursuivons la perspective humaniste lancée par les intellectuels de l'époque des Lumières, en tirant les leçons des sagesses que les penseurs de l'Histoire nous ont légué. Il est important pour nous de distinguer deux concepts de l'art : l'art avec un << a >> minuscule, qui concerne l'ensemble des techniques reconnues jusqu'à ce jour, et l'Art avec un << a >> majuscule qui représente le domaine, la science du beau (d'où le terme de Beaux-Arts). L'Art contemporain a tendance à s'inscrire, comme le dit Deleuze, dans une démarche de résistance. Il faut voir l'art comme un éclairage original de la réalité, loin de la vulgarité, de la bêtise et tout ce qui fait honte à notre condition d'être humain, même si certaines oeuvres en traitent. L'intérêt réside dans la dénonciation des erreurs de notre histoire, dans l'investissement de l'artiste sur des faits qui amène ces derniers à une accessibilité plus << brute >> qui éveille nos émotions et notre intellect. Percevoir la réalité sous une charge

émotionnelle bien souvent enfouie dans les profondeurs de l'esprit ne nécessite pas d'avoir fait de longues et grandes études, et n'est pas réservé à une élite de personnes ; c'est une capacité propre à l'Homme, à chacun d'entre nous, et qui plus ou moins éveillée selon l'expérience que la réalité du monde nous a donné à vivre. Et si tout être humain n'est pas impliqué dans l'Art, l'Art impliquera toujours l'être humain.

Mais si nous exploitons davantage le caractère humanitaire que l'Art est susceptible de véhiculer, pourquoi ne pas penser l'Art dans un rôle thérapeutique ?

3) Le lien entre l'art et la médecine n'a rien d'un phénomène nouveau pour de nombreuses cultures, et la France, par le biais de l'école d'art-thérapie de Tours, adopte une perspective empirique de ce lien.

Le lien entre l'art et la médecine est très présent dans plusieurs cultures traditionnelles et ancestrales, et s'incarne souvent à travers un être humain au rôle bien particulier : le chamane, ou guérisseur ou sorcier. On trouve ce personnage dans les quatre coins du monde, dont l'apparence et les fonctions peuvent varier (certains sont chefs de tribus, voyants, guérisseurs, psychopompes, télépathes...). Le chamane est un personnage très respecté au sein de sa communauté ; il est celui qui soigne avec les plantes (connaissances médicinales) mais aussi avec son esprit (dimension spirituelle et mystique), il est l'accroche entre l'au-delà (le monde des esprits, le monde divin) et le monde terrestre, ce qui lui permet (tout ceci, soyons d'accord, est la description type de ce qui caractérise le personnage du chamane, ses pouvoirs ne sont que supposés) de communiquer et transmettre à ses compères les messages de l'autre monde. Il est le porteur des connaissances et des croyances de sa tribu, et oeuvre souvent dans le secret.

Comment pratique-t-il ? Quand un membre de la tribu ou de la communauté vient demander de l'aide au chamane, celui-ci s'exécute selon des règles très précises, dont on retrouve des similarités entre les différents peuples. Le chamane opère une mise en scène de son acte de façon particulière : il se peint le visage et le corps avec différentes matières et couleurs (le symbolisme des matières et des couleurs est propre à chaque culture), s'orne et use d'accessoires variés (os taillés, bijoux, vêtements, aliments) et procède à des chants ou des danses qui l'amènent à un état de conscience altéré : la transe. Cette modification de l'état de veille de la personne se manifeste souvent de façon spectaculaire (mouvements convulsifs, modification de la voix...) et est sensée traduire l'établissement de la connexion du monde divin à l'esprit du sorcier. Ces rituels peuvent parfois durer plusieurs jours, selon l'aide demandée. Là où l'art entre en jeu s'explique dans les faits de mise en scène, des techniques utilisées, de représentation des idées, mais aussi dans la dimension spirituelle de l'usage des techniques, et dans la stimulation de la sensibilité archaïque, dite brute, à travers l'état de transe.

Dans notre société, le personnage du chamane est loin de posséder cette popularité, même si, dans notre passé, au temps des Gaulois, les druides tenaient plus ou moins ce rôle. Au fil de l'évolution de notre culture, la dimension mystique et spirituelle a peu à peu laissé sa place à la science, et notamment la médecine (pharmacologie, chirurgie...). La science a su expliquer bon nombre de phénomènes qui autrefois trouvaient leur origine et leur signification dans le surnaturel*. L'art a également pris au cours de l'Histoire des positions scientifiques (représentations anatomiques), politiques (dénonciation ou éloge des valeurs sociales ou d'événements historiques), même commerciales (publicités) ; et bien qu'il se soit en quelque sorte « vulgarisé », l'art continue de fasciner et d'émouvoir. Il n'a rien perdu de sa spiritualité, au sens où éveille notre esprit d'une façon qui ne nous est pas habituelle au

quotidien. Et c'est, entre autres, à partir de cette idée que nous pouvons oser penser à impliquer l'art dans le soin, et d'aborder la notion d'art-thérapie telle qu'elle est proposée au sein de l'école d'art-thérapie de Tours.

L'art-thérapie se traduit par l'exploitation du potentiel artistique dans une visée humanitaire et thérapeutique ; c'est-à-dire que l'on utilise les possibilités qu'implique l'art au regard de l'être humain dans une perspective de soin et de mieux-être*. L'art-thérapie est une discipline paramédicale qui s'adresse à toute personne souffrant de troubles de l'expression, de la communication et de la relation, et ce quelle qu'en soit la cause (pathologique, sociale, professionnelle...).

Pour une discipline qui n'existe officiellement, par l'A.F.R.A.T.A.P.E.M. (Association Française de Recherche et Applications des Techniques Artistiques en Pédagogie et Médecine ) que depuis une trentaine d'années, cette large perspective d'intervention peut sembler présomptueuse ; toutefois de plus en plus de travaux de recherche universitaires et professionnels voient le jour chaque année, concernant des structures médicales, sanitaires et/ou sociales diverses (hôpitaux, centres de réinsertion, milieu carcéral, maisons de retraite, etc.), et où l'impact de l'art-thérapie est empiriquement testé et évalué. De nombreuses techniques artistiques sont mises à l'épreuve dans ces travaux (le chant, la danse, le théâtre, la musique, l'écriture, le dessin, etc.), testant la pertinence de leur potentiel à l'égard de la pénalité concernée.

L'art-thérapeute est soumis à l'autorité médicale, c'est-à-dire qu'il répond à une indication du médecin ou de l'équipe soignante qui permet alors la prise en charge du patient indiqué. Il est d'ailleurs amené à travailler en équipe ; il ne faut pas voir l'art-thérapie comme un processus thérapeutique qui se suffit à lui-même, mais comme une approche complémentaire et originale du programme de soins établi par la structure. Elle est originale de par le fait qu'elle va se centrer sur les parties saines de la personne souffrante, à la différence du travail de l'ergothérapeute, par exemple. L'art-thérapeute dispose d'outils d'observation et d'évaluation propres (cf.annexe 3), dont leur souplesse peut permettre de s'adapter aux différentes pénalités (on n'utilisera pas les outils de la même façon avec un patient adulte dépressif qu'avec un enfant autiste). L'objectif est d'amener la personne à un mieux-être ; en se concentrant sur ses capacités résiduelles, et sur les productions qu'elle réalise, elle peut se voir autrement qu'une malade, ou qu'un objet de souffrance. Elle peut à nouveau et progressivement penser à s'investir dans un projet, s'en sentir digne, capable, et mettre le projet en oeuvre (ce qui fait appel respectivement à l'estime de soi, la confiance en soi, et l'affirmation de soi, qui sont les trois axes psychologiques de travail de l'art-thérapeute sur le patient). Bien sûr, il arrive que la prise en charge art-thérapeutique ne soit, après en avoir fait l'expérience, pas (ou plus) le processus de soin le mieux adapté au patient ; il relèvera alors de la compétence de l'art-thérapeute, en coopération avec l'équipe, de réorienter le patient vers une prise en charge plus efficace.

Maintenant que nous avons défini les modalités et les objectifs de l'art-thérapie, ainsi que son champ potentiel d'intervention, nous allons à présent nous pencher sur la structure qui a accueilli l'art-thérapeute stagiaire, et sur les modalités du projet que celle-ci a mis en place en accord avec le projet de soin de l'établissement.

4) La présentation du projet art-thérapeutique au sein de l'Hôpital de l'Ermitage de Tours a été accueilli favorablement par les responsables de l'établissement.

L'Hôpital de l'Ermitage est une structure d'accueil et d'hébergement de la personne âgée, et est rattachée au Centre Hospitalier Régional Universitaire de la ville de Tours. Autrefois asile, puis hôpital militaire, l'Ermitage a pu, suite à un don financier d'un particulier, devenir ce qu'il est aujourd'hui. La structure est divisée en trois unités : une unité de soins de longue durée (U.S.L.D.) comprenant 130 lits, une unité de soins de suite et de réadaptation (U.S.R.R.) comprenant 62 lits, et une unité de soins palliatifs. Cependant, cette dernière sera amenée, en octobre 2010, à laisser la place à une nouvelle unité : L'unité cognitive et comportementale (U.C.C.), se traduisant par un service d'accueil de jour pour les personnes atteintes de démence type Alzheimer.

Les unités sont sous l'autorité du médecin chef de service, puis chacune de ces unités est gérée par des cadres de santé - deux cadres pour l'U.S.L.D, un cadre pour l'U.S.S.R) - à l'exception de l'unité de soins palliatifs. Intervient également le personnel administratif (directeur du pôle Médecine, directeur de l'établissement, cadre supérieur, adjoint des cadres, secrétaire médicale, secrétaire d'accueil...). Les unités sont réparties par étage et bénéficient chacune de leur propre personnel soignant (infirmiers, aides-soignants, agents de services hospitaliers...). Les médecins et intervenants paramédicaux interviennent dans toute la structure (médecins, kinésithérapeutes, assistantes sociales, animatrices, coiffeuse, socioesthéticienne). L'Ermitage compte aussi la présence régulière de plusieurs associations bénévoles (Théâtre de la Jeune Plume, VMEH, Vac'Anima, Blouses Roses...) venant égayer le quotidien des résidents. L'hôpital de l'Ermitage est une structure très dynamique de par la présence de nombreux intervenants et d'étudiants-stagiaires, et fait preuve d'une qualité de soin efficace pour les patients qui s'y trouvent.

L'accueil de stagiaires art-thérapeutes est devenu courant dans cette institution (ainsi que pour l'ensemble du CHRU de Tours) ; cette dernière s'est d'ailleurs déjà vu employer sur quelques années des art-thérapeutes dans le cadre du projet de vie de l'établissement. Pour ce qui nous concerne, la stagiaire art-thérapeute bénéficiait déjà de certaines connaissances au niveau du fonctionnement, mais aussi des intervenants et des résidents de l'Ermitage, puisqu'elle y avait, dans le cadre de la formation préparatoire au diplôme universitaire d'artthérapie, réalisé un stage d'observation. Toutefois, étant donné les effectifs conséquents de l'établissement, un temps de présentation a été préalablement nécessaire auprès des équipes dans les quatre étages ainsi qu'au rez-de-chaussée. C'est sur le terrain que, malgré le caractère présupposé familier de la présence d'un art-thérapeute dans cette structure, on se rend compte que beaucoup ne connaissent pas notre rôle, ou le confondent avec celui d'un artiste faisant des ateliers d'art, ou encore avec celui de l'animateur. C'est là que le travail de l'art-thérapeute commence, et non à partir du début de prise en charge du patient. Éclaircir sa fonction auprès de l'équipe permet à tous de comprendre son positionnement, et ce que l'art-thérapeute peut apporter en complément des soins déjà mis en place. L'accueil du stagiaire s'est très bien passé, l'équipe de soins était curieuse de connaître les modalités du projet art-thérapeutique.

En réalité, tout s'est décidé pendant la réunion avec le personnel de chaque étage (comprenant une à deux infirmières, et deux à quatre aides-soignantes). Après que l'artthérapeute ait expliqué les objectifs de sa discipline et ses axes de travail envers le patient, l'indication a pu se faire pour une douzaine de patients. La population concernée est, rappelons-le, la personne âgée atteinte d'exclusion sociale. Mais comment diagnostiquer l'exclusion lorsqu'une personne est entrée et vit dans une institution où elle côtoie au quotidien des dizaines de personnes (personnel et résidents) ? Les « cas » d'exclusion ont été identifiés comme tels par rapport à leur investissement au sein des activités collectives de la

structure (animations, activités bénévoles, ateliers...). Sur les dix-sept patients indiqués, à l'exception de trois d'entre elles, tous étaient auparavant des résidents actifs ou très actifs dans les activités collectives, mais aujourd'hui ils ne voulaient « plus rien faire ». Les raisons de ce désinvestissement, évoquées par l'équipe, concernent pour la plupart une aggravation de leur état de santé, mais pour d'autres c'est davantage une question de lassitude, bien que les activités soient variées ; mais dans ces deux cas de figure, un comportement introverti, triste, voire dépressif en a résulté, ce qui a bien évidemment soucié l'équipe soignante. L'objectif de la stagiaire art-thérapeute a alors consisté à redonner aux patients le goût de renouer des relations avec les autres, et de s'investir dans la collectivité.

Sur les dix-sept patients indiqués, seules quatre prises en charge ont pu se mettre en place, et trois ont pu aboutir. Néanmoins, nous ne relaterons dans ce mémoire que deux d'en elles, car la troisième s'est tardivement révélée inadaptée pour le patient vis-à-vis de l'objectif à atteindre. Nous parlerons alors de l'expérience art-thérapeutique avec Mme A, et Mme B. Dans un souci de confidentialité, les initiales ont été modifiées. Nous dresserons ensuite un bilan de ces expériences, et les discuterons.

II ) Le projet art-thérapeutique a pu se mettre en place avec deux patientes souffrant d'exclusion, révélant des expériences et des résultats bien distincts.

A) Mme A, 83 ans, atteinte de la maladie d'Alzheimer a été indiquée vis-à-vis d'un retrait relationnel doublé d'un comportement dépressif.

1) Il est nécessaire d'expliquer avant tout la pathologie dont est atteinte Mme A. pour mieux comprendre son état physique et psychique au regard de l'expérience art-thérapeutique.

Avant de nous pencher sur la personnalité de Madame A, ainsi que sa rencontre avec l'art-thérapeute, nous allons évoquer de façon synthétique les caractéristiques de la maladie d'Alzheimer. C'est une neuro-dégénérescence du cerveau chez l'adulte. Elle appartient à la famille des démences*, il s'agit même aujourd'hui de la forme de démence la plus courante (24 millions de personnes atteintes dans le monde selon l'O.M.S., et environ 800 000 personnes en France, selon le gouvernement français). Cette maladie consiste en une inflammation et une destruction des neurones, provoquée par la sécrétion de protéines anormales (la protéine Tau, habituellement impliquée dans la consolidation structurelle du neurone) qui agissent sur deux plans : elles étouffent les connexions synaptiques (la partie de du neurone où les informations avec d'autres cellules ont lieu via la circulation d'une substance chimique appelée neurotransmetteur), et détériorent aussi la paroi axonale (l'axone se fragilise et perd de son intégrité. Le neurone, devenu vulnérable et isolé du reste du système nerveux, meurt. Il faut savoir que les cellules cérébrales ne sont pas renouvelables, donc toute lésion est irréversible.

Concernant la maladie d'Alzheimer, ces lésions entraînent principalement des pertes de la mémoire, des facultés langagières, motrices, ainsi que des troubles du comportement. Ce sont d'ailleurs les symptômes qui permettent de diagnostiquer la maladie. Le médecin dispose de tests spécifiques pour ce diagnostic. Souvent, la personne malade n'a pas conscience de sa maladie, et minimise fortement la manifestation des symptômes (petits oublis, légères maladresses, << rien de bien méchant »). Toutefois, cela est bien perçu et ressenti dans l'entourage du malade ; et souvent mal vécu. S'occuper d'une personne anosognosique* est délicat, d'autant plus si elle fait partie de la famille. Cela implique souvent des conflits relationnels, un comportement réfractaire, opposant, voire violent envers les soins. L'aidant* doit trouver des stratégies pour mener à bien ses objectifs envers le malade, mais n'est pas toujours bien formé, ou n'a pas la disponibilité physique ou psychologique nécessaire pour mettre ces stratégies efficacement en oeuvre

C'est pour cela notamment que de plus en plus de structures, entre autres grâce au << Plan Alzheimer 2008-2012 » mis en place par le gouvernement, se forment dans l'accueil et l'hébergement de ces personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer (et démences apparentées). Certains établissements sont même réservés exclusivement à ce public. Toutefois, aucun traitement n'existe pour guérir la maladie (certains médicaments sont tout de même prescrits dans le but de << freiner » son évolution) ; et ce qui la cause reste encore inexpliqué. La maladie touche principalement les personnes de 65 ans et plus, mais elle peut être diagnostiquée dans de rares cas dès 40 ans. Sa durée moyenne d'évolution (la fin correspondant au décès du patient) est de 7 ans, mais reste variable et peut durer plus d'une quinzaine d'années chez certains. Cette variabilité d'évolution pose éventuellement des difficultés dans l'établissement d'un plan de soins à long terme, car on ne sait pas à quelle vitesse le cerveau va se dégrader, ni comment la personne va réagir face à ces bouleversements ; c'est pour cela qu'il faut accompagner le malade au quotidien, l'entendre, et stimuler de façon optimale ses capacités résiduelles, afin de maintenir au mieux et le plus

longtemps possible son autonomie, lui prodiguant une qualité de vie aspirant au confort et la dignité. Et bien qu'on puisse parfois amener le malade à réacquérir de modestes connaissances et aptitudes, la prise en charge d'une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer s'inscrit davantage dans le cadre des soins de confort, plutôt que le cadre des soins curatifs. L'objectif global de soins est d'aider la personne à mieux vivre sa maladie.

2) Mme A est à un stade modérément avancé de la maladie, et reste à l'écart de la collectivité car elle n'en voit plus l'intérêt.

« Vous savez, je suis au bout de ma vie. >> ont été les premiers mots que l'artthérapeute stagiaire a entendu sortir de la bouche Madame A envers une aide-soignante qui venait la saluer, dans le couloir où elle déambulait en fauteuil roulant. Une des infirmières a profité de cette situation pour souligner à l'art-thérapeute que Mme A. tenait ce discours depuis plusieurs semaines et qu'elle n'avait plus goût à rien. Cela fait plusieurs années que Mme A vit dans l'établissement, et elle a régulièrement fait preuve d'une présence et d'une participation actives au regard des activités proposées, mais depuis quelques temps, il est impossible de la motiver. L'équipe soignante a alors demandé à l'art-thérapeute stagiaire de mettre en place un projet qui ferait en sorte de lui redonner l'envie de renouer le contact avec les autres résidents, de participer à des projets collectifs, de lui montrer qu'elle est toujours capable de faire quelque chose et d'en tirer de la satisfaction.

Le lendemain matin (mardi 12 janvier 2010) vers 10h30, l'art-thérapeute stagiaire s'est rendue dans la chambre de Mme A, et l'accueil qui en a découlé était plutôt impressionnant. Après avoir poussé la porte d'entrée, l'art-thérapeute stagiaire a vu Mme A, élégamment vêtue, allongée sur son lit, les mains croisées et posées sur sa poitrine, le visage très pâle et le regard orienté vers le plafond. L'art-thérapeute stagiaire s'est approchée doucement, l'a saluée puis tendu la main, mais Mme A n'a répondu qu'un « bonjour >> sur un ton méfiant et s'est mise à la fixer avec grande attention. L'étudiante s'est brièvement présentée, puis a demandé à Mme A si elle pouvait lui emprunter une chaise pour s'asseoir près d'elle afin de « discuter un peu >>. Mme A a poliment acquiescé et lui a demandé ce qu'elle lui voulait. L'art-thérapeute stagiaire lui a expliqué ce qu'elle faisait au sein de la structure pendant son stage, et a enchaîné sur le récent désintérêt pour les activités de l'établissement qu'éprouvait la patiente. « Je n'ai plus le coeur à tout ça, vous savez, je suis au bout de ma vie >>, dit Mme A en grimaçant. Pendant qu'elle parlait, elle semblait préoccupée par le couloir qu'elle pouvait apercevoir car la porte n'était pas fermée. L'art-thérapeute stagiaire lui a alors proposé de fermer la porte, afin de tenir la conversation dans un cadre strictement privé. Mme A a vivement acquiescé puis la stagiaire a fermé la porte.

Dès lors, un petit sourire s'est dressé sur son visage, et elle confiait ensuite à l'étudiante que plein de gens rentraient et sortaient de sa chambre sans rien lui demander, que certains même repartaient avec quelques-uns de ses effets personnels, toujours sans savoir qui ils sont et sans lui demander son autorisation. L'art-thérapeute stagiaire lui a expliqué et justifié la présence de plusieurs membres du personnel au sein de sa chambre dans le cadre des soins et de l'entretien des lieux, qu'il n'y avait pas manière de s'inquiéter, même si il était effectivement impoli de ne pas se présenter et de ne rien dire. Puis, Mme A. a de nouveau demandé qui était son interlocutrice, et ce qu'elle lui voulait. Par quatre fois l'art-thérapeute stagiaire a dû ré-expliquer son identité et son rôle, ainsi que le projet qu'elle voulait mettre en place avec elle. Le projet a été présenté comme un travail d'écriture sur la vie de Mme A. et de ce qu'elle aime. Mme A. a alors cru que l'étudiante était journaliste et a demandé si les notes qu'elle prenait aller se retrouver dans La Nouvelle République (le journal régional du

Centre et Pays-de-Loire). L'ambiance s'était détendue depuis que la porte était fermée, mais Mme A. gardait toujours la même posture. Elle a répondu brièvement mais sérieusement aux questions de l'art-thérapeute stagiaire, à savoir ses passions, le métier qu'elle a exercé, ses voyages. Mme A. est issue d'une famille aisée, d'une fratrie de 6 frères et soeurs et a reçu une éducation stricte mais pas malheureuse. Quand elle était petite, un professeur venait chaque semaine enseigner à toute la fratrie la pratique du piano. Adulte, elle a officié dans le secrétariat, et a connu une grande variété de postes qui l'ont faite voyager à travers le pays. Elle s'est mariée mais n'a pas voulu discuter de la présence éventuelle d'enfants. Elle a juste précisé qu'aujourd'hui, sa belle-soeur et son époux venaient de temps en temps lui rendre visite, et qu'elle appréciait ces moments.

L'entretien s'est terminé sur l'acceptation du travail par Mme A., mais elle a insisté sur le fait qu'il s'agissait << d'un essai, pour voir ». Ayant remarqué l'attitude anxieuse de Mme A. vis-à-vis de l'extérieur de sa chambre, l'art-thérapeute stagiaire a proposé de commencer l'atelier dans la chambre, ce qu'elle a approuvé en souriant. Le rendez-vous a été fixé pour le lendemain matin, à 10h15. Mme A a demandé à l'art-thérapeute stagiaire de le lui noter sur un bout de papier. Après avoir salué Mme A, l'étudiante est allée à la rencontre de l'équipe soignante pour confirmer la mise en place de la prise en charge art-thérapeutique.

3) La prise en charge s'est déroulée sur 6 séances.

Durant le stage, plusieurs règles méthodologiques ont été définies afin d'être le plus rigoureux et objectif possible avec chaque patient dans la prise en charge. Tout d'abord, concernant les séances, celles-ci débutent au moment où l'art-thérapeute stagiaire et le patient décident ensemble que le travail va commencer, appelé << temps de séance ». Toutefois, il sera également relevé dans les outils d'observation le temps de la rencontre et de l'accompagnement du patient jusqu'au lieu désigné pour le travail de séance, qu'on appellera << pré-séance », ainsi que le temps où l'art-thérapeute stagiaire raccompagne le patient dans sa chambre ou dans le lieu où elle doit se trouver selon l'heure présente, qu'on nommera << post-séance ». Une séance est également susceptible de ne pas impliquer une production artistique (qu'elle soit achevée ou non) ; elle peut, par exemple, être un temps où le patient a juste envie de discuter avec le professionnel, dans ce cas, on qualifiera la séance d' << entretien privilégié ». Concernant les outils d'observation employés, chaque prise en charge répond à l'utilisation de la fiche d'observation (cf. annexe 3), ainsi que des observations, remarques et discussions avec le personnel de l'établissement sur le patient. La collaboration des autres intervenants est très importante dans la prise en charge, car elle permet d'inscrire le patient dans une dynamique relationnelle nouvelle ou retrouvée (<< Qu'avez-vous fait ce matin avec l'art-thérapeute ? » ou << Vous pourriez me montrer ce que vous avez fait pendant vos ateliers ? »), valorisant ainsi le patient et stimulant ses aptitudes d'expression, de communication et de relation.

Revenons maintenant à Mme A. Le lendemain, à l'heure convenue, l'art-thérapeute stagiaire est revenue la voir dans sa chambre. Elle était assise sur son fauteuil roulant, et tenait dans les mains le bout de papier que l'étudiante lui avait donné la veille. << Ah bonjour ! C'est vous qui deviez me voir ce matin ? » a demandé la patiente en souriant. Après acquiescement, l'art-thérapeute stagiaire l'a interrogée sur ses souvenirs de l'entretien passé hier matin ensemble, mais après quelques secondes de silence, Mme A. lui a répondu négativement. Quand l'étudiante lui a de nouveau expliqué le projet qu'elles allaient mettre en place, Mme A. lui a à présent assuré s'en rappeler. Elle semblait curieuse de voir comment le

travail allait être abordé.

L'art-thérapeute stagiaire avait apporté un pot contenant plusieurs crayons, stylos et marqueurs, un bloc-notes de petite taille, et deux autres de grande taille aux feuilles détachables. L'un des grands bloc-notes comportait déjà des inscriptions, des dessins, des peintures et des ornements décoratifs variés ; il était là pour servir de modèle au travail en cours. L'étudiante a demandé à Mme A de regarder et feuilleter l'exemple pour qu'elle puisse avoir un aperçu de ce qui est possible de faire dans ce travail, ce à quoi elle a acquiescé, mais elle n'a pas cherché à le prendre et le consulter par elle-même. L'étudiante lui a donc montré, page après page, les thèmes qui pouvaient être abordés, les styles d'écriture que l'on pouvait employer, et, éventuellement, des illustrations en lien avec le thème choisi. Mme A. était intéressée, mais répétait plusieurs fois à l'art-thérapeute stagiaire que ce travail allait être trop difficile pour elle. Il a donc été très important de la rassurer au plus vite sur la façon de procéder : Premièrement, l'objectif du travail n'est pas de produire une oeuvre identique à l'exemple, deuxièmement, le travail se fait étape par étape, et troisièmement on prend le temps nécessaire.

Il est important pour les patients atteints de ce type de pathologie de ne pas provoquer de propos ou situations frustrants et angoissants ; les troubles cognitifs de la personne entraînent souvent une incompréhension ressentie comme une angoisse ou une agression (qu'elle soit physique ou verbale).

<< L'important est de faire quelque chose qui vous plaise, je vous garantis que ce ne sera pas difficile. Mais il faudra mettre du sien ! », a dit l'art-thérapeute stagiaire pour relaxer et amuser Mme A, à qui le visage se fermait au fur et à mesure de la découverte des pages du modèle d'exemple. Mme A a souri aux propos de l'étudiante, puis a demandé des nouvelles d'une des animatrices qui était actuellement absente. Mme A aimait beaucoup l'animatrice, et demandait régulièrement au personnel soignant des informations sur sa santé et son retour, même si elle ne participait plus aux activités d'animation. Mme A se met à poser plusieurs questions sur la vie de l'art-thérapeute stagiaire, son lieu d'habitation, le moyen de transport qu'elle utilise pour venir ici... et plusieurs fois pendant la séance car la maladie a fait que sa mémoire à court terme n'opère efficacement que sur une durée de 15 secondes environ. Les relances sont donc fréquentes, car Mme A me demande de confirmer si je suis bien là pour discuter de tout et de rien avec elle.

Mais l'art-thérapeute stagiaire est confrontée à un problème d'espace libre pour poser et utiliser aisément le matériel. Les chambres individuelles, comme celles de Mme A, ne sont pas très grandes, et la seule table dont elle dispose accueille le poste de télévision, des plantes et beaucoup de magazines et autres papiers. Mme A est une personne très ordonnée qui ne supporte pas qu'on saisisse et déplace ses affaires. Quand l'art-thérapeute stagiaire lui a demandé si elle pouvait, le temps de la séance, transférer les papiers sur le lit, Mme A a grimacé et s'est tournée vers le tiroir de son meuble de chevet, qui était entrouvert, pour le fermer. Il fallait donc s'adapter, et l'art-thérapeute stagiaire a proposé à la patiente, au vu de l'impossibilité de faire un travail d'écriture dans ces conditions, de faire un travail de dictée : Mme A parlerait des choses qu'elle apprécie, et l'art-thérapeute stagiaire prendrait ses paroles en note ; afin que, lors de la prochaine séance, elle puisse trouver un arrangement matériel qui permettrait la mise en place du travail d'écriture. << Si vous voulez », a été la réponse de Mme A. L'art-thérapeute stagiaire a pris le petit bloc-notes ainsi qu'un stylo, et notait, toujours sous de nombreuses relances, les paroles de Mme A. Elle a principalement parlé du piano et de la musique classique qu'elle appréciait beaucoup. Au bout de 30 minutes de séance, Mme A ne parlait presque plus, et s'est même couchée sur son lit en évitant le regard de l'étudiante, sans rien dire. L'art-thérapeute stagiaire a donc demandé s'il était bon de s'arrêter là pour aujourd'hui, et à cela Mme A a acquiescé un peu sèchement, en précisant que c'était fatiguant de lui << poser autant de questions ». L'étudiante lui a alors demandé si elle souhaitait

continuer l'expérience, et de se donner rendez-vous pour le mercredi suivant. << Si vous voulez. » était son unique réponse. L'art-thérapeute stagiaire a alors réécrit la date et l'horaire sur un bout de papier, et l'a posé sur la table. Toutes deux se sont saluées en se serrant la main, puis l'étudiante a quitté la chambre de Mme A avec son matériel.

La semaine suivante, lors de la deuxième séance, Mme A était assise dans son fauteuil roulant, face à la porte. Quand l'art-thérapeute stagiaire est entrée dans la pièce pour venir la saluer, Mme A lui a sorti un chaleureux << Ah ! Bonjour ! » tout en lui serrant la main. À la question << Comment allez-vous ? » posée par l'étudiante, Mme A répondait désormais << Oui, ça va, et vous-même ? », sur un ton réservé mais détendu. La porte de la chambre était aussitôt refermée par l'étudiante, afin de ne pas stresser Mme A, ni de se laisser distraire par les aventures du couloir. Mme A cependant ne se souvenait ni du nom de la stagiaire, ni de ce qu'elles avaient fait lors de la première séance. Après un bref rappel, un << ah oui c'est vrai » est sorti de la bouche de Mme A, puis elle demandait ce qu'elles allaient faire aujourd'hui, en précisant qu'elle était fatiguée. << Aujourd'hui, vous allez réécrire les notes que j'ai prise hier au brouillon sur vos préférences et vos passions dans la vie. ». Comme elle semblait surprise de la consigne, l'art-thérapeute stagiaire lui a montré lesdites notes. << Ah ? J'avais dit ça ? Je ne me souviens plus. » L'étudiante lui a ensuite présenté le papier sur lequel elle allait réécrire les notes, et quatre stylos de forme et couleur différentes, priant Mme A de choisir l'un d'entre eux. La stagiaire avait pu utiliser comme support la table adaptable de Mme A, mais cela ne laissait pas beaucoup de place, et elles devaient se mettre côte à côte. Mme A a regardé les stylos pendant une bonne minute, puis a choisi celui à l'encre noire. Toutefois, elle ne souhaitait pas écrire, elle voulait voir faire l'art-thérapeute stagiaire. Celle-ci n'a pas insisté, et a recopié une partie des notes sur le papier, en indiquant que la tâche était simple, qu'il n'y avait pas de mauvais ou bon travail dans ce projet. Le but était que cela plaise à Mme A, mais à condition de faire des efforts pratiques. << C'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de place ici », répétait la patiente. Alors, l'art-thérapeute stagiaire a suggéré, pour la prochaine séance, de changer de lieu pour travailler. La cafétéria de l'établissement, était toujours inoccupée le matin, ce qui était une aubaine pour Mme A, qui ne souhaitait pas voir les autres, mais aussi pour le gain considérable d'espace de travail. À ces conditions, Mme A était d'accord, et a enchaîné sur le fait qu'il n'était pas utile de continuer le travail de cette façon aujourd'hui. La séance a donc pris fin prématurément (environ 20 min), mais Mme A semblait relativement intéressée de changer de lieu. Comme d'habitude, l'art-thérapeute stagiaire a noté sur un petit bout de papier la date et l'heure (toujours le mercredi à 10h30), et Mme A le posait sur la table à côté du poste de télévision.

Lors de la troisième séance, le mercredi suivant, Mme A était très éveillée et a accueilli l'art-thérapeute stagiaire avec chaleur. << Alors, où va-t-on ? », lui a-t-elle demandé. Elle ne se souvenait toujours pas du nom de l'étudiante, ni de ce qu'elles allaient faire, mais elle savait qu'elle allait se rendre quelque part hors de sa chambre.

<< Nous allons nous rendre à la cafétéria, nous aurons de la place pour travailler, et le matin, la cafétéria n'accueille pas de clients, il n'y aura que nous, on sera tranquille. »

<< D'accord. Très bien. », a répondu Mme A. << Mais peut-on noter un mot dans ma chambre pour dire que je suis absente ? »

L'art-thérapeute stagiaire a donc sorti un bout de papier et un crayon, puis les a tendus vers la patiente, tout en l'encourageant à écrire le mot d'absence. Après une hésitation de quelques secondes, Mme A a saisi le crayon et écrit << Je suis à la cafétéria. ». Elle l'a ensuite posé sur la table, puis l'étudiante et elle-même ont quitté la chambre. Mme A lui a prié de bien fermer la porte.

La chambre de Mme A est au troisième étage, et la cafétéria deux étages en dessous ;

il a donc fallu emprunter l'ascenseur. Celui-ci dispose d'un miroir sur un côté, et quand Mme A a pénétré dans l'appareil, le miroir captait toute son attention. << Oh, regardez la tête que j'ai... vous trouvez que je suis bien coiffée ? ». Mme A est toujours soucieuse de son apparence. Une fois descendues au premier étage et après avoir quitté l'ascenseur, Mme A a observé nerveusement le couloir dans lequel elle se trouvait. << Je ne passe pas souvent par ici. » L'art-thérapeute stagiaire lui a expliqué que certaines activités ont lieu dans la grande salle de séjour derrière la porte qui fait face à l'ascenseur. À cela Mme A a haussé les épaules et est restée silencieuse. Arrivées devant la porte de la cafétéria, elle a émis la surprise de ne voir personne. L'art-thérapeute stagiaire lui a expliqué à nouveau le fait que le local est toujours libre le matin. << Ah oui, c'est vrai », s'est mise à dire Mme A. La cafétéria est très ouverte sur l'extérieur (4 baies vitrées), et colorée, contrastant avec les teintes plus moroses des couloirs.

Mme A et l'art-thérapeute stagiaire se sont installées sur une table ronde non loin de la porte d'entrée du local, qui a pris soin d'être fermée. Le matériel était déjà posé sur la table. << Mme A, je vais vous rappeler ce qu'on a fait précédemment ensemble, et ce que l'on doit faire aujourd'hui . » L'objectif de la séance était de réaliser un texte sur le thème du piano, qui est une des passions de Mme A, et éventuellement, à sa convenance, de décorer le texte avec différentes matières (crayons et feutres de couleur, tissus, plumes, papiers à motif, peinture...). Toutefois, l'objectif intermédiaire était de faire parvenir Mme A à réaliser l'intégralité, sinon une majeure partie du travail. L'art-thérapeute stagiaire a prié Mme A de choisir un crayon et un support en papier pour écrire le texte qui avait été noté deux séances plus tôt. La patiente, au début, a manifesté son désir de voir faire plutôt l'art-thérapeute, mais après quelques encouragements, elle a fini par choisir un stylo italique à encre noire, et un papier épais blanc. Cette fois, les rôles se sont inversés : L'art-thérapeute stagiaire a dicté le texte que Mme A inscrivait sur la feuille. Quand cela s'est terminé, il restait une place très importante sur la feuille (Mme A avait choisi d'écrire en haut-milieu de la feuille). Sur la proposition de l'étudiante, Mme A était d'accord pour illustrer son texte. Que choisir ? Mme A semblait perdue devant la diversité du matériel qui lui faisait face. L'art-thérapeute stagiaire a dû faire une sélection par élimination : ce que Mme A ne voulait pas utiliser était enlevé de la table, afin d'avoir une vision plus claire et épurée du matériel. Elle a finalement opté pour des plumes noires et blanches, pour représenter le clavier d'un piano (touches noires et blanches). Tout au long de la séance, Mme A refusait d'abord de faire les choses elle-même, mais au fur et à mesure que la production prenait forme, ses demandes étaient de moins en moins fréquentes. Néanmoins, elle a demandé de l'aide à l'art-thérapeute stagiaire pour coller les plumes sur le papier. Ensuite, Mme A a pris un morceau de broderie dorée et a demandé à ce qu'on le colle au-dessus des plumes (évoquant la couverture qui protège de la poussière que l'on pose habituellement sur un piano, et que l'on aurait retroussée).

Mme A a regardé sa production silencieusement pendant quelques secondes, puis a énoncé, en tapotant sur les plumes blanches, les sept notes de la gamme classique (do - ré - mi - fa - sol - la - si). Elle s'est mise à sourire puis a regardé l'art-thérapeute stagiaire en lui disant que << c'était joli ». L'étudiante lui a alors demandé si elle souhaitait ajouter autre chose sur sa production, mais Mme A a évoqué sa fatigue grandissante, et le fait que la production était très bien comme ça. Par contre, elle n'a pas souhaité emmener la production dans sa chambre, elle préférait le laisser << à l'abri » dans la cafétéria. L'art-thérapeute stagiaire a donc rangé la production dans un placard du local, puis a raccompagné Mme A jusqu'à sa chambre. En chemin, elles avaient croisé deux aides-soignantes qui avaient interrogé Mme A sur l'activité. Mme A leur a répondu que c'était bien, et les aides-soignantes l'ont encouragé à continuer le travail qu'elle faisait avec l'art-thérapeute stagiaire. Une fois arrivées dans la chambre, Mme A a remercié l'art-thérapeute, et a proposé d'elle-même le rendez-vous au mercredi suivant.

La quatrième séance s'est révélée être un entretien privilégié. Quand l'art-thérapeute stagiaire est venue chercher Mme A pour l'emmener à la cafétéria, la patiente lui a avoué ne pas aller bien, mais ne donnait pas de détails sur la raison de son mal-être. Ce n'est qu'une fois installée à la cafétéria qu'elle s'est confiée à l'étudiante : << Vous savez, je suis embêtée. Je crois que j'ai fait dans ma couche, et on a refusé de m'en donner une autre. » À cela l'artthérapeute stagiaire lui a demandé si cette gêne était trop importante pour elle pour commencer l'atelier, mais Mme A a rétorqué qu'elle voulait rester là, mais qu'elle ne se sentait pas le coeur à faire quoi que ce soit aujourd'hui. L'étudiante a donc proposé de mettre une ambiance musicale pour que Mme A puisse se changer les idées. Quand elle a proposé d'écouter un CD de Chopin, Mme A a vivement acquiescé, en précisant qu'il s'agissait de son compositeur favori.

L'atmosphère s'est ensuite beaucoup plus détendue, et Mme A, qui d'habitude parle peu, et reste beaucoup dans les répétitions verbales, s'est mise à discuter de l'établissement, du personnel, et de son quotidien. << Vous savez, mademoiselle, il y a des filles qui prennent le temps de parler avec vous, et d'autres qui n'en ont rien à faire, qui ne sourient jamais. Mais je sais que leur travail n'est pas facile, alors je ne les embête pas quand j'ai besoin de quelque chose. » Puis elle est arrivée au fait qu'elle s'ennuyait beaucoup la journée, et qu'elle sentait sa fin approcher. << Moi, ce que je trouve dommage », a dit l'art-thérapeute stagiaire, << c'est qu'une personne qui aime le piano, la musique, les fleurs, les enfants, et tant d'autres choses, ne partage pas ses goûts avec d'autres résidents au travers des activités qu'il y a en semaine dans l'établissement ». Mme A a eu une réaction de surprise à la suite de ces mots, et après un petit silence, elle lui a demandé de s'expliquer. L'art-thérapeute stagiaire a pris pour exemple l'atelier floral (activité mensuelle de confection d'un bouquet de fleurs fraîches et/ou séchées, réalisée dans un groupe de dix personnes) où elle avait auparavant l'habitude de s'y rendre, et d'y prendre beaucoup de plaisir. Elle offrait d'ailleurs, de temps en temps, son bouquet à une résidente de son étage qui n'avait pu s'y rendre. En parlant de cela, Mme A a souri, et a reconnu qu'elle appréciait en effet beaucoup cette activité. La discussion a ensuite tourné sur l'ensemble des activités de l'établissement, sur les spectacles à venir, et des légers souvenirs, tous bons, rejaillissaient de la mémoire de Mme A. Au bout de 35 minutes de séances, Mme A a demandé à rentrer dans sa chambre. L'art-thérapeute stagiaire a proposé, pour la prochaine fois, de réitérer le travail fait sur le thème du piano, mais avec le thème des fleurs. Mme A était d'accord. Rendez-vous donc huit jours plus tard.

Entretemps l'art-thérapeute stagiaire a fait part de son travail aux animatrices, ainsi qu'au personnel du troisième étage. L'équipe a quant à elle relaté à l'étudiante leur investissement dans le projet, et ont remarqué que Mme A allait de mieux en mieux (elle ne manifestait plus d'idées noires, et était devenue moins nerveuse pendant ses déambulations). Tout le monde l'encourageait régulièrement pour qu'elle s'investisse à l'extérieur de sa chambre.

D'ailleurs, le matin où devait avoir lieu l'atelier d'art-thérapie, Mme A s'était rendue, après plusieurs mois d'absence, chez la coiffeuse de l'établissement. Il y a une part fautive de l'art-thérapeute stagiaire car elle avait oublié de laisser à Mme A une note informative du rendez-vous. L'étudiante est allée à la rencontre de Mme A dans le salon de coiffure. La coiffeuse venait de terminer la coiffure de Mme A à l'instant. Après l'avoir complimentée sur son allure, l'art-thérapeute stagiaire a demandé à la patiente si elle souhaitait venir à l'atelier, dans la cafétéria. << Oui oui, mais pas longtemps, je suis un peu fatiguée. »

Sur la route menant à la cafétéria, Mme A demandait à nouveau des nouvelles de l'animatrice, qui était de retour depuis près de deux semaines. << On pourra aller la voir après l'atelier, si ça vous dit, Mme A. », a proposé l'art-thérapeute. La patiente était d'accord.

Mme A s'est souvenue avoir écouté de la musique classique la dernière fois, mais a avoué ne pas savoir ce qu'il était prévu de faire cette fois-ci. L'art-thérapeute stagiaire a donc expliqué l'objectif de la séance. La méthode de travail était la même que pour la troisième séance : Mme A choisit un crayon et un support, écrit un texte en rapport avec les fleurs, puis illustre son texte. Cependant, Mme A n'arrivait pas à écrire ; il a fallu d'abord trouver ensemble des mots-clé sur le thème des fleurs, puis faire des phrases utilisant ces mots-clés avec ses souvenirs et ses goûts. L'art-thérapeute stagiaire notait le « brouillon >>, puis, quand Mme A a jugé qu'il y avait assez d'informations, elle a recopié au propre les notes sur un papier épais (comme celui utilisé en troisième séance). Le texte était d'un taille similaire à celui réalisé sur le piano, il y avait donc une place considérable pour décorer le texte. Parmi différentes propositions d'illustration envisagées par l'art-thérapeute stagiaire, Mme A a opté pour le dessin et le transfert d'images*. Elle avait à sa disposition plusieurs papiers de transfert comportant des images de rose, qui soit dit en passant est sa fleur préférée. Elle demandait des conseils à l'art-thérapeute stagiaire pour les placer sur la feuille, qui devenaient de moins en moins fréquents au fil du déroulement de la séance. La technique de transfert n'est pas simple car elle exige une grande précision et une force de pression considérable dans la durée pour que l'image soit transférée correctement. Mais Mme A s'est appliquée silencieusement, l'art-thérapeute stagiaire intervenait juste pour soulever délicatement le papier de transfert afin de voir s'il pouvait être enlevé complètement sans que l'image ne soit endommagée. Trois roses ont été ainsi appliquées sur certains coins de la feuille, mais tout le centre et le bas du support étaient encore vides. Pour le dessin, la méthode a été bien différente. Mme A voulait avoir un dessin, mais il était hors de question qu'elle le fasse. « Je n'ai jamais dessiné, je ne sais pas faire. >> L'étudiante a tenté de l'encourager à se donner un essai sur une feuille de brouillon, mais elle n'y a clairement pas tenu. L'art-thérapeute stagiaire a donc proposé de dessiner, à condition que Mme A lui indique le plus de détails possible sur le dessin. En bref, Mme A émettait les idées, et l'étudiante les mettait en forme. Ici aussi, Mme A ne donnait au départ que de très vagues idées, mais l'art-thérapeute stagiaire n'avait de cesse de lui demander davantage de précisions, si bien qu'au final, Mme A devenait très pointilleuse sur l'orientation de la tige des fleurs, de leur grandeur, la couleur, la présence d'un cours d'eau, d'herbe, de soleil. La production s'est achevée dès que Mme A l'a jugée comme telle. « C'est très bien comme ça. >>

L'étudiante en a profité pour lui expliquer le lien que l'on pouvait faire par rapport aux activités manuelles en groupe. « Vous voyez, c'est aussi de cette façon que le travail en groupe peut être intéressant : Certains ont les idées, d'autres ont les mains pour les concrétiser. Les rôles sont aussi importants l'un que l'autre. Mme A est restée silencieuse à cette remarque, mais a néanmoins souri. L'art-thérapeute stagiaire a demandé à la patiente si elle était intéressée de réaliser la prochaine séance en groupe, et Mme A a répondu qu'elle n'était pas contre, puis a ajouté que cela pouvait être très intéressant.

Mme A et l'art-thérapeute stagiaire sont ensuite allées voir Carine, l'animatrice, comme il était prévu. Mme A a tenu à lui montrer la production, et a reçu ses compliments à ce sujet. « Je vais le garder dans ma chambre, je pourrais le montrer à tout le monde, comme ça. >> Et Mme A ne s'en est pas privée. Pendant le chemin du retour vers la chambre, plusieurs membres du personnel l'ont croisé et ont pu brièvement discuter de l'oeuvre L'unanimité des retours positifs ont ému Mme A qui, une fois arrivée dans la chambre, a chaudement remercié l'art-thérapeute stagiaire, avant de ranger la production dans le tiroir de son meuble de chevet. « Comme ça, je saurai où je l'ai mis pour le montrer à ma famille lorsqu'ils me rendront visite. >> L'étudiante a refait un petit mot pour que Mme A se souvienne du rendez-vous la semaine suivante, mais qui pour des raisons d'emploi du temps de la stagiaire art-thérapeute se déroulerait à 14h30.

Arrive donc la sixième, et dernière séance d'art-thérapie avec Mme A. Cette dernière ne se souvenait plus que la séance avait lieu aujourd'hui, elle avait de plus perdu le papier qui indiquait le rendez-vous. Toutefois elle était motivée et manifestait de la curiosité pour le travail que l'on allait faire en groupe. L'art-thérapeute stagiaire avait appris, avant d'aller la chercher, que Mme A avait participé à l'atelier << musique >> du vendredi passé, et que cela s'était très bien passé. L'animatrice, le personnel et certains résidents étaient heureux de la voir à cette activité ; la fin de la prise en charge s'annonçait de plus en plus rapidement, grâce à l'investissement du personnel dans la démarche de réinsertion sociale de Mme A.

Mme A était la dernière à arriver dans la cafétéria pour le travail de groupe, et cela l'a surprise. Néanmoins elle a poliment salué les cinq autres personnes (deux hommes et trois femmes) avant de s'installer à côté de l'art-thérapeute stagiaire. Le groupe était organisé en cercle, autour de deux tables rondes mises côte à côte. Le travail de cette séance consistait en une activité de modelage d'une fleur avec de l'argile auto-durcissante. Il était très intéressant de voir comment cette activité allait s'organiser, car aucun des résidents, y compris Mme A, n'avait fait de modelage dans leur vie. C'était donc une initiation pour tous, et la communication allait certainement tourner sur une thématique d'entraide et de conseil. C'était d'ailleurs l'une des modalités de la consigne : << N'hésitez pas à vous aider les uns les autres, le principal est de se faire plaisir et de le partager ensemble. >>

Le travail s'est donc effectué de la manière suivante : l'art-thérapeute stagiaire a donné à chacun un gros morceau d'argile et des accessoires de modelage divers. On procédait étape par étape (<< d'abord on va former une boule avec ses mains et en la faisant rouler sur la table en petits cercles >>, << ensuite on va tracer à l'outil en pointe les marques des pétales.... >>), l'artthérapeute stagiaire montrant l'exemple à chaque fois qu'une nouvelle étape du modelage était atteinte. Mme A était un peu nerveuse et travaillait en silence, mais elle regardait attentivement faire les autres, et complimentait de temps en temps l'avancement de l'un ou de l'autre. L'un des résidents s'est intéressé au travail de Mme A, qui n'arrivait pas à transformer le morceau d'argile en boule, et lui a montré sa façon de faire. Mme A s'est aussitôt exécutée et est parvenue à faire la boule. << Il en sait des choses, le monsieur >> a-t-elle dit sur un ton épaté. Cela a fait rire le groupe et Mme A semblait plus détendue qu'au départ. L'artthérapeute stagiaire faisait aussi sa propre fleur, mais aidait de temps en temps quand les résidents en faisait la demande. Au bout de 50 minutes de séance, une << pause-café >> s'est imposée, et chacun s'est mis à discuter autour d'une friandise et d'une boisson. Mme A restait un peu en retrait mais écoutait attentivement les dires de ses voisins et voisines. Les résidents étaient tous un peu timides au départ, mais ce petit moment de détente a permis à chacun de faire un peu connaissance, et de débattre sur des sujets d'actualité dans la bonne humeur. La séance a ensuite repris. Tout le monde n'avançait pas à la même vitesse, mais l'art-thérapeute stagiaire s'arrangeait toujours pour que tout le monde puisse progresser ensemble, et ne laisser personne à l'écart. On écartait, aplatissait les pétales, on y gravait des motifs, et quand ça ne plaisait pas, on recommençait. La méthode n'avait rien de simple, mais comme tout le monde s'entraidait, ceux qui recommençaient leur fleur possédaient déjà une fluidité honorable des gestes, et rattrapaient assez vite le reste du groupe. La séance a presque durée 2h30, et nous ne cacherons pas que le groupe était assez fatigué, mais content de leurs résultats. Mme A semblait déçu de l'allure de sa fleur, mais une autre dame lui assurait au contraire que sa fleur était très bien réussie, ce qui mettait en valeur Mme A, qui a particulièrement apprécié le compliment. Quand la séance s'est terminée, les fleurs devaient rester dans la cafétéria pour sécher. Chacun est reparti dans sa chambre ou dans la salle de séjour, et l'art-thérapeute stagiaire raccompagnait Mme A dans ses appartements. Elle profitait de cette occasion pour demander à Mme A son opinion sur l'activité qu'elle venait de passer, et sa réponse a été tout à fait charmante : << Oh oui, c'était bien. On devrait faire ça tous ensemble plus souvent. >> Alors l'art-thérapeute stagiaire a enchaîné sur le fait qu'une flopée d'activités n'attendait qu'elle pour

retrouver à nouveau ces moments agréables. « Eh bien j'irai. >> L'objectif thérapeutique était atteint : Mme A venait de manifester très clairement son envie de se retrouver et de participer aux activités collectives de l'établissement.

4) L'objectif thérapeutique n'aurait jamais pu être atteint si rapidement sans le concours du personnel de l'établissement.

Nous tenons à préciser encore une fois le rôle massivement important du personnel dans le déroulement de la prise en charge art-thérapeutique. Même si, dans le cadre de ce travail, nous ne pouvons le prouver formellement, de tels résultats n'auraient pu aboutir aussi rapidement si l'équipe n'avait pas autant placé d'intérêt sur Mme A pendant cette période.

Après cela, l'art-thérapeute stagiaire a régulièrement suivi « de loin >> l'évolution de Mme A dans les activités de l'établissement, et le résultat était spectaculaire : elle participait à une grande majorité des activités proposées, et venait voir les spectacles de danse réalisés par les diverses associations qui intervenaient dans la structure. La belle-soeur de Mme A est également venue rendre visite aux animatrices ainsi qu'à l'art-thérapeute stagiaire, en les félicitant du travail qu'elles avaient accompli. C'est à peine si elle reconnaissait Mme A, tant elle avait changé en l'espace de quelques semaines.

Aujourd'hui, Mme A ne se souvient plus de l'art-thérapeute stagiaire, ni de ce qu'elle a fait au cours de la prise en charge, mais ce qui est sûr, c'est qu'elle a retrouvé l'intérêt de se mêler à la collectivité, et cet intérêt est entretenu par elle-même, mais aussi par les autres (le personnel, ainsi que les amis résidents qu'elle a pu se faire). Il arrive encore de temps en temps que Mme A soit triste certains jours, mais elle ne tient plus du tout les propos qu'elle communiquait à l'équipe soignante avant de mettre en place la prise en charge artthérapeutique. Cette expérience a pu montrer l'intérêt, mais aussi la modestie dont doit faire preuve la prise en charge art-thérapeutique dans ce type de structure, car le travail d'équipe a beaucoup apporté à l'atteinte de l'objectif de réinsertion sociale de la patiente.

Nous allons maintenant nous pencher sur l'étude de cas de Mme B, atteinte de la même pénalité mais de troubles pathologiques différents.

B) Mme B, 84 ans, atteinte de troubles neurologiques modérés a été indiquée vis-à-vis d'un retrait relationnel dû à une défaillance des repères spatio-temporels.

2) Il est nécessaire d'expliquer avant tout la situation problématique et les troubles dont est atteinte Mme A. pour mieux comprendre son état physique et psychique au regard de l'expérience art-thérapeutique.

Mme B est une patiente de l'U.S.S.R. depuis 3 mois. C'est l'une des deux assistantes sociales de l'établissement qui est venue à la rencontre des animatrices et de l'art-thérapeute stagiaire afin de réfléchir à un projet qui pourrait permettre à Mme B de se socialiser avec les résidents des autres étages, à travers les activités collectives d'animation. En temps normal, les animatrices n'interviennent que dans l'U.S.L.D. (la partie EHPAD de l'hôpital), mais il arrive de temps à autre d'intégrer quelques patients de l'unité de soins de suite aux activités d'animation. Certaines activités (spectacles, pique-nique) intègrent même les deux unités.

Pourquoi indiquer Mme B ? Sa situation, tant sur le plan psychologique que sur le plan social, est délicate et assez précaire. Mme B vivait dans un appartement d'une

agglomération voisine, et de façon assez recluse. Elle a été hospitalisée à cause d'une chute, heureusement sans séquelle physique sérieuse, puis a été transférée dans cette unité pour effectuer la convalescence. Toutefois, Mme B continue de résider dans l'unité bien après la fin de sa convalescence, et pour plusieurs raisons. Tout d'abord, une raison sanitaire, car Mme A présente des troubles neurologiques modérés, dont les principaux champs atteints concernent ceux de la mémoire autobiographique, spatio-temporelle, ainsi que des troubles du langage (compréhension et expression verbales), qui ne permettent pas son retour au domicile sans une aide tierce quotidienne. Mais il y a aussi une raison socio-juridique : L'établissement ne dispose que de peu d'informations sur Mme B (son identité, sa famille, ses papiers) et aucune piste sur un éventuel contact avec sa famille n'a donné de suite. A cela s'ajoute également une raison financière : Mme B n'a pas les ressources nécessaires pour payer les factures de son séjour en hôpital, qui continuent quotidiennement de s'alourdir ; et la situation est d'autant plus inquiétante qu'il est impossible de joindre la moindre de ses connaissances pour discuter de ce problème, et la patiente n'a pas été en mesure de fournir des informations efficaces. Donc, Mme B se trouve dans une situation extrêmement précaire, bien que l'assistante sociale et ses partenaires fassent le maximum pour mettre un terme à ce problème.

« Mme B ne comprend pas ce qu'elle fait ici, pourquoi elle n'est pas chez elle », a dit l'assistante sociale aux animatrices et à l'art-thérapeute stagiaire. « Toute la journée elle s'ennuie et est terrorisée à l'idée de ne pas savoir où elle sera demain. Nous, nous faisons la maximum pour la garder le plus longtemps possible parmi nous, car vu son état de santé, ce serait irresponsable de la laisser rentrer chez elle. Je vous demande donc, si c'est possible, de l'intégrer aux groupes d'animation, ça lui changerait les idées et pourrait calmer son angoisse. C'est une dame tout à fait charmante, mais qui a beaucoup de mal à comprendre et à s'exprimer sur pas mal de choses. »

Les animatrices et l'art-thérapeute stagiaire se sont mises d'accord pour que cette dernière mette en place une prise en charge art-thérapeutique individuelle, afin d'avoir une relation privilégiée avec la patiente dans un premier temps, et lui permettre de se familiariser en douceur avec l'institution et ce qu'elle est susceptible de lui proposer (nous entendons par là tout ce qui ne relève pas des soins médicaux classiques de l'hôpital), ce qui pourrait calmer l'état d'anxiété et d'ennui dans lequel elle se trouve.

L'art-thérapeute stagiaire a fait part de ce projet au personnel soignant du troisième étage, qui a tout de suite souligné l'intérêt de la prise en charge de cette patiente, et donné leur accord.

Revenons maintenant en détail sur la personnalité de Mme B et de ses troubles. La patiente a énormément travaillé durant sa vie comme femme de ménage ; le travail est d'ailleurs une thématique de discussion récurrente chez elle. Elle a également connu un long passé éthylique, mais elle n'éprouve plus aujourd'hui un quelconque besoin de boire de l'alcool. Mme B aime particulièrement l'ordre, le rangement, et le calme. Cependant, Mme B n'arrive pas à établir de repères stables depuis qu'elle est arrivée à l'hôpital de l'Ermitage. Ses troubles neurologiques sont tels qu'elle n'arrive pas (ou presque pas) à se souvenir de la date du jour, du lieu où elle se trouve, du numéro de sa chambre, des intervenants qui lui rendent visite quelques instants, ou quelques heures auparavant. Une atteinte de la mémoire à court terme a été diagnostiquée, qui peut être expliqué par les effets néfastes dûs à l'abus d'alcool. Mme B est sujette à des troubles nerveux qui se manifestent en légères secousses de la tête et des doigts, très fréquemment quand elle n'arrive pas à formuler de phrase pour communiquer. Mme B occupe une chambre double, elle est donc souvent accompagnée d'une autre patiente ; mais elle ne s'investit dans aucune relation. Elle passe ses journées à regarder nerveusement à travers la fenêtre, en silence. Elle est toutefois capable de se lever et de se déplacer seule sans l'aide d'un tiers, humain ou matériel.

2) Mme B est convaincue, lors des présentations, qu'elle va rentrer chez elle, soulignant l'inutilité d'une prise en charge.

Le lundi 25 janvier 2010, l'art-thérapeute stagiaire est allée a la rencontre de Mme B dans sa chambre, qui regardait, a travers la fenêtre, la pluie tomber sur Tours (l'établissement est situé dans les hauteurs de la ville, offrant une vue particulièrement superbe sur la ville). La patiente était visiblement distraite, puisqu'elle s'est mise a sursauter au moment où l'étudiante lui faisait face a moins d'un demi-mètre pour lui serrer la main. Un petit rire a échappé de Mme B. L'art-thérapeute stagiaire s'est présentée et a fait part a la patiente de sa connaissance sur l'ennui qui la minait depuis plusieurs semaines. Mais Mme B a eu une réaction qui a surpris cette fois l'étudiante : << Oui ça m'arrive de temps en temps, mais ne vous inquiétez pas pour moi, je rentre chez moi demain. Ce ne sera plus un souci. >> L'artthérapeute a joué le jeu et a manifesté son ravissement pour son prochain retour au domicile. Elle a brièvement enchaîné quelques banalités avec Mme B, puis l'a poliment quittée. Cette attitude ne traduisait pas un désemparement de l'art-thérapeute stagiaire face a cette situation inattendue, mais il n'était pas utile de proposer a une patiente, qui était convaincue de quitter l'établissement dans les prochaines 24 heures, un projet qui s'étalerait probablement sur plusieurs semaines et qui se réaliserait ici-même a l'hôpital. L'étudiante s'est donc engagée a revenir la voir le surlendemain matin pour en discuter, et bien évidemment, Mme B ne le savait pas.

Deux jours plus tard donc, l'étudiante est revenue vers Mme B, qui ne se souvenait plus de l'avoir rencontrée. Elle s'est a nouveau présentée, mais n'a guère touché un mot sur son supposé << départ >> qui aurait dû avoir lieu la veille. Mme B n'en a pas parlé non plus, mais elle était aujourd'hui d'une humeur beaucoup plus nerveuse et triste que la première fois. L'art-thérapeute stagiaire lui a demandé si elle s'ennuyait la journée, a rester dans sa chambre et regarder dehors par la fenêtre. Mme B secouait très légèrement la tête, et fixait son interlocutrice sans répondre le moindre mot. L'art-thérapeute stagiaire lui a ensuite demandé si elle savait où elle se trouvait, si elle arrivait a se repérer. Mme B a levé les sourcils, souri et mordu sa lèvre inférieure tout en baissant les yeux vers le bas de la vitre, toujours en silence. << Cela vous inquiète peut-être un peu, >>, a continué l'art-thérapeute stagiaire, << comme vous avez fait une chute il n'y a pas longtemps, vous n'osez peut-être pas vous promener un peu dans l'établissement ...? >>. Mme B a répondu que << c'était tout un travail >> en affichant un petit sourire. L'art-thérapeute a alors proposé de faire toutes les deux un petit tour de l'étage, pour voir comment ça se passe en dehors de la chambre. Mme B a acquiescé d'un mouvement de tête, et toutes deux sont sorties dans le couloir. L'art-thérapeute stagiaire a demandé a la patiente de se tourner face a sa chambre, et de regarder la plaque sur le mur qui indiquait son numéro. << Vous voyez, vous êtes au 309 (pour des raisons de confidentialité, le numéro de chambre a aussi été modifié) . Au 309, côté fenêtre. Mme B acquiesçait de nouveau en levant les sourcils. Quand elles se sont mises a marcher dans le couloir, la patiente a tendu son bras pour que l'étudiante lui serve d'appui. Désormais bras-dessus bras-dessous, les deux dames se baladent doucement, saluant le personnel et les résidents qu'elles croisaient au passage. Au bout de quelques minutes, Mme B s'étonnait du monde qui circulait dans le couloir. << Ça bouge, ça travaille beaucoup par ici ! C'est important de travailler, je sais ce que c'est. >> L'artthérapeute stagiaire expliquait brièvement a Mme B chaque lieu et son rôle, et cette dernière enchaînait toujours par une phrase ou quelques mots qui faisaient référence au travail hospitalier ou ménager. L'étudiante en a profité pour l'accrocher sur la prise en charge : << Si vous aimez tant travailler, Mme B, alors j'aurais quelque chose a vous proposer, mais attention, ça n'a rien a voir avec le ménage ! >> Au vu du timbre de voix chargée d'humour de l'art-thérapeute stagiaire, Mme B s'est mise a rire et manifestait sa curiosité. Comme elle avait

beaucoup de mal a reconstituer sa vie passée, un travail autobiographique similaire a celui proposé a Mme A n'était pas ce qu'il y avait de plus adapté. Ayant fait beaucoup de travaux manuels, l'étudiante a donc proposé a la patiente de faire une activité artistique de confection d'animaux avec divers matériaux. Mme B a répondu que c'était un travail qui lui était inconnu, mais l'étudiante a rétorqué le fait qu'il s'agissait justement de l'occasion de se lancer dans quelque chose qui puisse sortir de son ordinaire, et que cela pouvait être très ludique. Mme B était d'accord pour un essai. < Mais on va faire ça où ? » L'art-thérapeute a proposé la cafétéria du premier étage, qui était également un lieu inconnu de Mme B, qui a alors répondu que c'était l'occasion < de sortir un peu de tout ça ». Le rendez-vous s'est fixé au lendemain matin, soit jeudi, a 10h. L'art-thérapeute stagiaire et Mme B sont allées a la rencontre du personnel soignant de l'étage et cette première les a informées de la mise en place de la prise en charge art-thérapeutique. Ensuite, elle a raccompagnée Mme B dans sa chambre ; elle a eu du mal a reconnaître l'endroit, ce n'est qu'une fois arrivée en face de son fauteuil qu'elle s'est souvenue qu'il s'agissait bien du sien, et de sa fenêtre. Mme B a remercié l'art-thérapeute stagiaire, et lui a serré la main. L'étudiante est ensuite allée retrouver l'assistante sociale et les animatrices pour également les informer de ce qui s'était passé, et du projet qui allait commencer.

3) La prise en charge art-thérapeutique s'est déroulée sur 5 séances.

Comme convenu, l'art-thérapeute stagiaire est venue chercher Mme B pour se rendre a la cafétéria et commencer la séance. Mme B s'est souvenue l'avoir effectivement vue la veille, mais ne se souvenait ni de son nom, ni de ce dont elles avaient discuté. L'étudiante le lui a brièvement rappelé, et la patiente semblait bien décidée a la suivre. < Alors, on va travailler... », disait Mme B sur le chemin.

Arrivées sur place, la patiente a trouvé l'endroit très joli et agréable. Les deux personnes se sont installées, et ont laissé la porte d'entrée du local entrouverte, a cause d'un problème technique du chauffage des radiateurs, qui rendait la chaleur de la pièce insoutenable. Mme B et la stagiaire s'étaient assises a une grande table ronde, presque côte a côte. Devant elles était posé le matériel nécessaire a cette séance, a savoir des planches de carton, de la peinture, des pinceaux, des crayons, des ciseaux, de la colle, des papiers colorés. Mme B regardait silencieusement tous les matériaux.

< Alors, on commence la confection du chat en carton ? » a demandé l'art-thérapeute stagiaire, < À moins que vous ayez envie de faire autre chose ? ». Mais Mme B ne voulait pas changer d'idée, le chat lui convenait très bien. Elle a en revanche demandé a ce qu'on lui explique comment faire, car elle n'avait jamais fait ce genre d'activité auparavant. L'étudiante lui a donc expliqué en créant devant elle un modèle ; on traçait une silhouette simple du corps du chat sur une des planches de carton, qu'on découpait ensuite, puis, au choix, que l'on coloriait ou peignait, en mettant certains détails comme les yeux et la bouche. Mme B a froncé les sourcils, puis a souri a l'art-thérapeute stagiaire. < Pendant que vous faites le vôtre, Mme B, je vais en faire un aussi. Et si vous coincez sur quelque chose, n'hésitez pas a me demander. » Ce qui n'a pas du tout tardé, car Mme B regardait la planche de carton, et le modèle, d'un air fort évocateur de perplexité. L'étudiante lui a demandé ce qui n'allait pas, et Mme B lui a répondu qu'elle était tout a fait incapable de dessiner la forme d'un chat, aussi simple soit-elle supposée. L'art-thérapeute stagiaire a alors proposé de ne dessiner que la forme de la tête d'un chat sur le carton. Elle a demandé a Mme B les éléments principaux qui permettaient de reconnaître un chat parmi les autres animaux. Elle a évoqué les oreilles, les longues moustaches, les yeux, puis les poils. Mais le fait de devoir dessiner quelque chose rebutait Mme B, l'art-thérapeute stagiaire n'a donc pas insisté, et a tracé, puis découpé la

figure à sa place. En revanche, elle souhaitait réellement << donner de la couleur à ce petit chat ». Après les encouragements de l'étudiante envers Mme B pour ne pas hésiter à toucher et manipuler le matériel dont elle disposait, cette dernière a versé un peu de peinture acrylique noire sur les restes de la planche en carton, transformé ainsi en palette, a saisi un pinceau à la brosse assez épaisse, puis à commencer à peindre la figure. Pour ne pas mettre Mme B dans une situation inconfortable, l'art-thérapeute stagiaire a aussi tracé puis découpé une tête, puis la peignait au même rythme que sa voisine. Mme B était très concentrée sur sa tâche, et ne disait mot. Elle faisait régulièrement des pauses de quelques secondes, où elle regardait sa figure, et cherchait les zones restantes à peindre. Quand elle a fini de peindre la figure en noir, elle a choisi (toujours après des encouragements) de prendre de la peinture blanche pour faire les yeux, les moustaches et la bouche. Tout de suite, la difficulté s'est corsée ; Mme B n'arrivait pas à savoir où les peindre sur la figure. L'art-thérapeute stagiaire lui a lancé quelques indices pour stimuler au maximum son autonomie, mais sans succès. L'étudiante a donc peint la moitié droite de la figure (un oeil, les moustaches et une partie de la bouche), et a demandé à Mme B de faire l'autre moitié. Après quelques hésitations, Mme B y est parvenue. La figure faisait une douzaine de centimètres de longueur pour près de dix en largeur, et il a fallu près de 45 minutes pour terminer la peinture. Mme B a bien apprécié l'activité mais est déçue de son travail, et ne souhaite pas conserver la production.

<< Voulez-vous poursuivre avec autre chose, ou bien préférez-vous vous arrêter là pour aujourd'hui ? », a demandé l'art-thérapeute stagiaire. Mme B a préféré en rester là. Elles ont rangé le matériel ensemble dans les sacs et les placards de la cafétéria, puis sont tranquillement reparties vers la chambre de la patiente. Arrivée devant l'entrée, Mme B s'est arrêtée brutalement, les sourcils nettement froncés, et la tête qui se secouait. << C'est ma chambre, là ? » L'étudiante a acquiescé et lui a tenu le bras jusqu'à ce qu'elle soit devant son fauteuil, qu'elle a aussitôt reconnu, apaisant sa nervosité. L'art-thérapeute stagiaire a ensuite proposé à Mme B de se revoir la semaine suivante, le même jour, au même horaire et lieu, ce qu'elle a accepté.

À la deuxième séance, Mme B était très accueillante, et assez énergique. Bien qu'elle soit autonome dans ses déplacements, ses troubles spatiotemporels sont tels qu'elle ne pourrait pas retrouver son chemin, et même oublier où elle doit se rendre ; l'art-thérapeute stagiaire l'accompagne donc pour chaque aller et chaque retour de l'atelier d'art-thérapie.

Mme B était d'accord pour essayer à nouveau de réaliser un chat en carton. Mais il était toujours impossible de la convaincre d'essayer de dessiner la silhouette, même si elle pouvait recommencer autant de fois qu'elle le souhaitait. L'art-thérapeute stagiaire a donc tracé la forme d'un corps de chat complet, ayant la tête de face et le corps dressé de profil. En revanche, Mme B était d'accord pour découper elle-même la figure. Elle s'est bien débrouillée, elle a juste demandé un peu d'aide pour terminer le découpage de la queue.

Avec les encouragements de l'étudiante, Mme B a saisi le matériel qu'elle désirait, et l'a utilisé avec application. Elle était de temps en temps aiguillée par l'art-thérapeute stagiaire sur les zones à peindre, le choix des couleurs et comment s'y prendre << sans faire de bêtises » ; en tous cas, pour ce qui concernait la gestuelle, Mme B était parfaitement autonome. La séance s'est déroulée dans le calme, la patiente restait toujours aussi concentrée dans ses actions.

Au bout d'une 1h10 de séance, Mme B a terminé son chat en carton, qu'elle a qualifié << de très mignon ». L'art-thérapeute stagiaire lui a demandé si elle souhaitait le conserver, et l'emmener dans sa chambre. << Oui », a répondu Mme B avec un léger sourire, << je pourrais le montrer à ma voisine comme ça ». Ces paroles ont rappelé à l'étudiante que Mme B avait eu depuis peu une nouvelle voisine de chambre, cela était l'occasion de la rencontrer et d'en savoir un peu plus sur les liens qu'elles entretiennent toutes les deux.

Mme B restait pensive en regardant sa production. Après un petit silence, elle a émis le regret de ne pas avoir pu faire ce genre de choses avec ses enfants, qu'elle n'en avait pas le temps. Suite à cela son visage s'est fermé, ses yeux devenus tristes. L'art-thérapeute lui a demandé combien d'enfants elle avait, mais Mme B restait mutique. Ce n'est qu'une fois rentrée dans sa chambre que son visage s'est détendu, et qu'elle a salué l'étudiante, en lui donnant son accord pour continuer le travail la semaine prochaine. Mais avant de quitter la chambre, l'art-thérapeute stagiaire a profité de la présence de sa voisine pour engager la conversation. C'était une dame tout à fait charmante, qui était dans le service à cause d'une fracture du bras et de l'épaule. << Oui, je suis arrivée avant-hier, ou bien c'était il y a trois jours, je ne sais plus. J'ai pu faire la connaissance de ma voisine, et on s'entend bien, on parle un peu de tout et de rien. >> La voisine était très curieuse de savoir ce qu'avait fait Mme B, et cette dernière lui a timidement montré le chat noir à queue blanche qu'elle avait faite. << Oh ! Mais qu'il est mignon, avec sa petite queue blanche et ses yeux verts ! Ah les chats, qu'est-ce que c'est beau ! >> Mme B a acquiescé en riant doucement, puis une joyeuse discussion autour de l'univers des félins a germé pendant un petit quart d'heure. L'art-thérapeute stagiaire a demandé aux deux résidentes si elle pouvait utiliser une des chaises présentes pour s'asseoir auprès d'elles, ce qui a été bien sûr autorisé. Se sont enchaînés de petites anecdotes de vie de chacune, les problèmes de la société, quelques recettes de cuisine, le quotidien à l'hôpital... Mme B, qui jusque là ne parlait que peu et sur des thématiques récurrentes, s'est mise à participer activement à la discussion. Toutefois, l'arrivée de la kinésithérapeute, qui avait rendez-vous avec Mme B, a mis fin au débat. Chacune s'est quittée avec le sourire. Il était bon de savoir que Mme B nouait doucement une relation avec sa voisine, ce qui n'avait jamais été le cas auparavant.

Lors de la troisième séance, Mme B a demandé à l'art-thérapeute stagiaire ce qu'elles allaient faire. L'étudiante lui a répondu qu'elle était ouverte à toute suggestion, mais Mme B n'avait pas d'idée particulière. << Aimez-vous les poupées ? >> Mme B a acquiescé ; l'artthérapeute stagiaire lui a alors proposé une activité de confection de poupées avec divers matériaux de récupération. << Ah oui tiens, pourquoi pas ? C'est du travail, ça. >>.

Une fois installées dans la cafétéria, l'atelier a débuté. Mme B a toujours besoin d'un coup de pouce pour démarrer sa production, notamment dans le choix des matières et des couleurs. Les silhouettes de poupées, toujours en carton, ont été préalablement définies et découpées par l'art-thérapeute stagiaire. Quand une étape de la confection était terminée, Mme B ne lançait pas d'elle-même la suite du travail, c'était toujours l'étudiante qui la guidait dans la marche à suivre. Mais au fil de la séance, Mme B demandait de moins en moins l'avis de l'étudiante, et travaillait de plus en plus sereinement ; elle choisissait elle-même les matières pour représenter les cheveux de la poupée, ses vêtements, ses parures, son maquillage. L'atelier a duré près d'une heure, et Mme B a eu le temps de créer deux poupées, rebaptisées << princesses >> d'un commun accord ; les figures étaient très adultes, très féminines.

Lorsque la séance s'est terminée, Marie-Agnès, l'une des deux animatrices de la structure, est entrée dans la cafétéria pour voir comment ça se passait. À la vue des productions, l'animatrice a présenté ses compliments à Mme B, qui l'a remerciée. MarieAgnès a profité de la situation pour demander à Mme B de << partager ses talents >> avec d'autres résidents lors des activités d'animation, et a souligné l'intérêt que cela pourrait avoir pour elle comme pour les autres. << Ça vous permettrait aussi de vous familiariser avec la structure, et de prendre de nouveaux repères. >> Mme B ne répondait pas, elle souriait, mais les secousses nerveuses reprenaient. L'animatrice lui a alors proposé un << essai >> : elle lui a demandé de venir participer à l'activité de revue de presse qui allait avoir lieu l'après-midi même. C'est une activité où l'animatrice passe en revue le journal local auprès d'un petit

groupe de résidents, et que les informations sont ensuite discutées et débattues dans la bonne humeur et autour d'un bon café. Mme B a laissé échapper un petit rire discret, puis lui a donné son accord. L'art-thérapeute stagiaire a ensuite raccompagné Mme B dans sa chambre. Elle a voulu laisser une des << princesses >> dans la cafétéria, et a pris l'autre pour l'offrir à sa voisine ; ce qui a beaucoup touché cette dernière. << Oh, ça me fera un petit souvenir de vous et de l'Ermitage, car je pars lundi prochain >>, a chaleureusement lancé la voisine. Mme B lui a rétorqué que la coïncidence était de taille, car elle rentrait aussi à son domicile lundi (ce qui était, dans la réalité, malheureusement incorrect). L'art-thérapeute ne lui a donc pas donné de rendez-vous pour la semaine suivante, mais reviendra cependant la voir le jeudi suivant.

Après avoir salué les deux résidentes, l'art-thérapeute stagiaire est allée à la rencontre de l'une des infirmières de l'étage, et lui a demandé s'il y avait une raison au fait que Mme B évoquait souvent son retour prochain au domicile. << Oui, mais tu sais, c'est délicat avec Mme B. Elle demande parfois aux filles combien de temps son séjour ici va durer, et comme personne ne le sait, ça l'angoisse, alors certaines filles lui disent simplement qu'elle va << rentrer bientôt >>, pour la détendre. Parfois, elle s'en souvient, et parfois elle oublie. >> L'artthérapeute stagiaire a alors demandé, le jour où elle est sensée quitter l'établissement, comment elle vivait cette incompréhension. << Souvent oui elle est triste, on vient la réconforter, on lui dit qu'on va prendre soin d'elle encore un petit peu, qu'il n'y a pas à s'inquiéter, mais c'est délicat comme situation. >> En effet, pour quelqu'un qui a du mal à se repérer dans le temps et dans l'espace, sa situation sociale et financière n'arrange guère son état. Cela redonne d'autant plus d'intérêt au fait de l'insérer dans la collectivité de l'établissement ; les liens qu'elle se forge avec autrui et les projets que le groupe met en place l'inscrivent dans un repère spatio-temporel solide.

Concernant Mme B, elle s'est effectivement rendue à la revue de presse l'après-midi, et selon l'animatrice, elle s'est progressivement ouverte à la discussion, et a apprécié l'activité ; elle s'est dite prête à revenir pour la prochaine fois.

La quatrième séance n'a eu lieu que deux semaines plus tard. L'assistante sociale avait prévenu l'art-thérapeute stagiaire qu'un événement très contraignant était arrivé dans l'histoire de Mme B, et que cela l'avait complètement démoralisée. L'étudiante était donc allée la voir le jour prévu, mais Mme B restait prisonnière de son chagrin. Elle avait des tics nerveux dans le cou et sur les bras, et ne parlait pas. L'art-thérapeute stagiaire n'a donc pas insisté, et a promis de revenir la voir bientôt pour prendre de ses nouvelles. Son état s'est progressivement amélioré au fil des jours, et le jeudi suivant, elle était d'accord pour faire des activités manuelles à la cafétéria.

Cette fois, l'art-thérapeute stagiaire lui a proposé de faire du scrapbooking. C'est une technique artistique originaire des États-Unis d'Amérique, qui consiste à mettre en page les photos et les images grâce à différentes matières (papiers, tissus, boutons, paillettes...). Depuis quelques années, cette technique est à la mode en France, et passionne autant les enfants que les adultes. L'objectif de l'activité consistait à mettre en valeur une photo d'un chien récupéré sur un ancien calendrier. Mme B aimait beaucoup les animaux, et c'est elle qui a choisi cette photo parmi les autres proposées. L'art-thérapeute stagiaire et Mme B faisaient chacune leur décoration, mais l'étudiante restait toujours disponible si Mme B avait besoin d'aide.

Toutefois, au bout d'un quart d'heure d'activité, une résidente de l'établissement, que nous nommerons Mme C, qui faisait également l'objet d'une prise en charge art-thérapeutique, a observé le travail à travers l'une des baies vitrées, et est entrée pour << voir de plus près >>. L'art-thérapeute stagiaire allait cordialement lui expliquer que le présent atelier se réalisait en binôme, mais Mme B a prié Mme C de se joindre à elles. La situation était très intéressante et montrait l'évolution qu'il y avait entre les débuts timides et silencieux de la patiente, et ce

qu'elle était aujourd'hui. Mme C est donc venue s'asseoir près de Mme B, et très rapidement elles se sont mises à travailler ensemble, sur la proposition de Mme B. Les deux résidentes ne se connaissaient pas, et pourtant elles se sont aisément liées pendant la séance.

Quelques aides-soignantes qui passaient par là sont également entrées dans le local pour les féliciter de leur travail et de les encourager à faire encore mieux. L'une d'entre elles leur a fait remarquer « qu'elle ignorait qu'il y avait de si grandes artistes au sein de l'hôpital », ce qui a beaucoup amusé les deux dames. L'intérêt de cette séance s'en retrouvait doublée car elle permettait de mettre deux patientes en situation de groupe et d'observer le déroulement des événements. Au bout d'1h20, la production a été déclarée achevée d'un accord commun entre Mme B et Mme C. Elles étaient fières du résultat, et l'art-thérapeute stagiaire les en a félicitées. Mme B a voulu offrir la production à Mme C, mais elle a refusé, en jugeant que ce travail méritait davantage d'être conservé par la personne qui l'avait commencée. Mais Mme B ne souhaitait pas garder sa production ; l'art-thérapeute stagiaire a donc proposé de conserver la production à la cafétéria, afin de pouvoir être vu par les visiteurs et les clients. Mme B a timidement donné son accord, et Mme C trouvait l'initiative très bonne. « C'est le début de la gloire », a-t-elle dit en riant.

Les deux dames ont rangé le matériel avec l'étudiante, puis se sont dit au revoir, tout en manifestant leur ravissement quant à leur rencontre. L'art-thérapeute stagiaire a raccompagné Mme B dans sa chambre, et lui a proposé de faire de la création de bijoux pour la prochaine fois, mais dans un groupe d'au moins quatre personnes. « Oui, ça peut être bien ! » Cette prochaine séance a comme objectif thérapeutique de s'assurer que Mme B peut être à l'aise dans un groupe et prendre du plaisir au sein de l'activité.

Pour la cinquième séance, Mme B hésitait à venir. Elle ne se souvenait plus de ce qui était prévu, mais sa curiosité et son énergie habituelles étaient à peine détectables. L'artthérapeute stagiaire l'a encouragée à venir, au moins pour voir comment ça se passerait, et si la patiente n'était pas emballée par l'activité, elle prendrait fin aussitôt. Avec ce genre de compromis, Mme B s'est finalement accordée un essai. L'art-thérapeute avait remarqué qu'elle avait une nouvelle voisine de chambre, mais qui ne parlait pas du tout le français, peut-être que cela avait influencé son moral, car elle aimait beaucoup l'ancienne voisine.

Mme B était la deuxième personne à arriver dans la cafétéria pour l'activité. Une autre résidente de son étage était là (on l'appellera Mme D), mais elles ne s'étaient jamais vues. Les deux autres résidents du premier étage invités à participer sont arrivés peu après (et Mme C en faisait partie). Tout le monde s'est poliment salué. L'art-thérapeute stagiaire a ensuite expliqué le principe de l'activité : chacun a un long morceau de fil élastique dans lequel ils vont enfiler des perles de leur choix parmi les variétés qui leur sont proposées. La réalisation sera soit un bracelet, soit un collier (voire les deux si certains souhaitent en faire d'autres) ; chacun a le droit de conserver pour soi une de leurs créations, les autres seront destinées à être vendues, et dont les bénéfices seront reversés à l'association interne de l'établissement (Les Amis de l'Ermitage), qui permet de financer des spectacles et des sorties pour les résidents. Tout le monde était d'accord avec la consigne, et chacun s'est mis au travail. Mme B a pris un petit tas de perles, puis a commencé à trier celles qu'elle souhaitait utiliser pour son bracelet. Chacun travaillait d'abord en silence, puis, au fil du temps, des discussions sur l'activité ont germé, on regardait le travail de l'autre, on se donnait des conseils, on s'encourageait, on s'entraidait. Durant cette séance, l'art-thérapeute stagiaire est allée aider les autres plus souvent qu'elle ne l'a fait pour Mme B. Cependant, c'était aussi la plus lente dans la cadence de travail, mais elle ne s'est pas découragée, au contraire. Au bout de 45 minutes, l'art-thérapeute stagiaire a proposé une pause « bien méritée » à l'ensemble du groupe, qui s'est lancé dans des discussions « arrosées », accusant gaiement l'art-thérapeute stagiaire de ne pas offrir de verre de vin pour les récompenser de leur dur labeur. Puis on a parlé de la

famille, de la vie quotidienne, de la ville de Tours, et d'un tas d'autres choses, et qui ont continué d'être abordés quand tout le monde s'est remis à la confection de bijoux. L'ambiance était chaleureuse, et Mme B riait beaucoup. La séance a duré un total de deux heures, et le groupe ne cachait pas sa fatigue sur les dernières minutes de l'activité. Chacun a eu le temps de réaliser deux bijoux (deux bracelets sauf pour l'un des résidents qui avait fait un collier et un bracelet), Mme B a tenu à ce qu'ils soient vendus tous les deux. << Je ne suis pas vraiment bijoux, moi, vous savez », a-t-elle dit à l'étudiante. Chacun a donné du sien pour ranger le matériel et les chaises, puis est reparti dans leur chambre. L'art-thérapeute stagiaire a raccompagné Mme B et Mme D en même temps, comme elles étaient au même étage. Mme D a fait part à Mme B du bonheur qu'elle a éprouvé suite à leur rencontre, ce qui a ému Mme B. Arrivées dans la chambre de Mme D, sa voisine d'étage lui a promis de lui rendre visite régulièrement, comme elle n'était qu'à quelques mètres de chez elle, elle se sentait capable de retrouver ses repères. Les deux dames se sont saluées, puis, cette fois, Mme B a accompagné l'art-thérapeute stagiaire jusqu'à l'ascenseur. << Ne vous inquiétez pas pour moi, » a dit Mme B avec le sourire, << Je sais où est ma chambre maintenant. » L'étudiante a acquiescé, et lui a annonçait la fin de la prise en charge ; et que désormais, elle compte sur Mme B pour participer aux activités d'animation. << Maintenant que vous avez votre fan-club, Mme B, il ne va pas falloir rater vos rendez-vous ! ». La résidente s'est mise à rire, et a souhaité une bonne continuation à l'étudiante.

Celle-ci s'est aussitôt rendue auprès du personnel soignant pour leur signaler que la prise en charge était terminée. L'infirmière a félicité l'art-thérapeute stagiaire de son travail, mais cette dernière a modestement souligné l'importance du travail d'équipe qui avait permis ce résultat. << En tous cas, ça nous ravit tous de la voir sortir de sa chambre et de se faire des amis. », a dit l'une des aides-soignantes.

4) Mme B est aujourd'hui une résidente très connue des activités collectives de l'hôpital.

Quand l'étudiante est revenue quelques mois plus tard pour saluer le personnel et prendre des nouvelles des résidents, on l'a informée que Mme B était toujours là et qu'elle participait à une grande majorité des activités dispensées par les animatrices. Elle est aimable et prévenante envers tous, et est très appréciée du personnel autant que des résidents. Quand l'art-thérapeute stagiaire est venue saluer Mme B, celle-ci ne l'a pas reconnue, mais lui a souhaité de << bien se ménager quand on travaille ». Sa situation socio-juridique ne s'est guère améliorée avec le temps, mais au moins, Mme B est aujourd'hui une personne qui s'est bien intégrée au sein des différents groupes de résidents, et qui continue de s'épanouir grâce à la bienveillance des membres de l'équipe de soins.

Nous allons maintenant approcher plus en détail les résultats de ces deux prises en charge, afin de les analyser, puis les synthétiser pour en comprendre clairement les enjeux, les champs d'action mais aussi les limites.

C) L'analyse des résultats met en évidence les points communs et les particularités de chaque patiente au regard de la prise en charge art-thérapeutique.

1) Il est nécessaire d'établir un rappel des deux expériences art-thérapeutiques dans un souci de simplification nécessaire à une compréhension optimale de l'analyse de ces expériences.

Les données observées de ces deux expériences sont assez nombreuses et complexes, et peuvent paraître ambiguës au niveau du lien qu'elles entretiennent avec l'art-thérapie. C'est pour cela que nous allons évoquer de façon synthétique la raison qui a amené la patiente à suivre un travail art-thérapeutique, comment celui-ci a opéré et quel bilan a pu être dressé à la fin de la prise en charge.

Mme A était une patiente atteinte de la maladie d'Alzheimer à un stade modérément avancé. Elle s'était toujours relativement investie dans les activités de l'établissement, mais progressivement, elle s'est détachée de la collectivité, et ne souhaitait plus que rester dans sa chambre << à attendre la fin ». Sa famille qui venait lui rendre visite ne savait plus quoi faire pour lui changer les idées et sortir de son comportement dépressif. Sur indication du personnel soignant du troisième étage, un projet de prise en charge art-thérapeutique en individuel a été envisagé. L'objectif principal était, bien sûr, d'amener Mme A à désirer se réinvestir au sein des groupes de résidents qui participaient aux activités d'animation (et dont certains étaient ses amis) ; toutefois, cet objectif est impossible à obtenir sans atteindre préalablement des objectifs dits << intermédiaires », surtout quand il s'agit de réinsérer socialement une personne exclue. Tout d'abord, il a fallu établir une relation de confiance dans un cadre rassurant ; c'est ce qui s'est passé dans les séances réalisées dans la chambre de Mme A et << à l'abri » des autres, qui angoissaient à ce moment-là la patiente. La maladie d'Alzheimer ne facilite guère l'assimilation de nouveaux repères, la relation est donc très fragile, et doit sans cesse être entretenue d'une façon apaisante et patiente. L'équipe soignante en est également consciente, et s'est investie dans la prise en charge en intervenant entre les séances (stimulation mnésique, nouvelle approche relationnelle...), permettant à Mme A de s'inscrire dans une dynamique qu'elle ne vivait plus à cause de l'exclusion. L'objectif intermédiaire suivant était de montrer à Mme A, à travers des activités qui lui étaient familières ou non (écriture, arts plastiques), qu'elle était toujours capable d'éprouver du plaisir et lui faire prendre conscience de sa sensibilité artistique, qu'elle croyait au départ inexistante. Et pourtant, ce qui au départ était péniblement une once de curiosité pour le travail proposé par l'art-thérapeute, a fini par devenir un réel intérêt et un investissement physique et psychologique notable, même si Mme A faisait toujours preuve d'une élégante discrétion. La dernière séance (modelage à l'argile d'une fleur) a d'ailleurs été un tremplin réussi pour Mme A vis-à-vis du groupe. Les animatrices ont ensuite pris le relais, et depuis, Mme A, malgré l'aggravation de sa maladie, prend beaucoup de plaisir à participer aux ateliers pratiques, aux discussions, et aux spectacles. L'objectif principal de réinsertion a donc été atteint.

Les choses se sont présentées différemment pour Mme B. Si la pénalité était la même (exclusion), les troubles associés ne l'étaient pas. La patiente présentait une déficience importante des repères spatiotemporels et de la mémoire autobiographique, ainsi qu'une déficience légère de la mémoire à court terme ; mais il faut souligner qu'aucune démence n'a été diagnostiquée chez Mme B. De plus, les modalités de l'objectif principal sont également différentes de Mme A ; ici, le but était de lui donner envie de participer aux activités de groupes, à cause de la solitude, de l'ennui, et de l'angoisse provoqués par l'incompréhension du fait qu'elle ne peut pas rentrer chez elle. Avoir envie de s'intégrer pourrait aussi une

accroche intéressante lorsque son retour au domicile serait effectif, cela l'inscrirait dans une dynamique relationnelle qu'elle n'avait a priori pas connu avec ses proches et son voisinage avant son arrivée à l'hôpital. Comme Mme B était souvent convaincue de quitter l'établissement de manière imminente, elle ne voyait pas l'utilité de s'intéresser à ce qui l'entourait dans la structure, y compris sa voisine de chambre. L'approche art-thérapeutique envers Mme B devait donc être adaptée en fonction de tous ces critères. Le premier objectif à atteindre était alors de susciter de l'intérêt chez la patiente envers la structure. Ensuite, par l'activité artistique, montrer à Mme B qu'elle était capable de prendre du plaisir à << travailler >> ; puis à partager ce plaisir avec d'autres personnes. Mme B possédait une gentillesse et une bienveillance naturelles, ce qui a rapidement amélioré la qualité relationnelle qu'elle établissait avec les autres résidents. Et, avec les encouragements et les félicitations du personnel, et de ses nouvelles connaissances, Mme B a pu rapidement se faire une place au sein de la collectivité. Selon elle, la vie active ne lui avait pas vraiment permis de forger des liens durables avec les autres, mais après la découverte des activités artistiques manuelles, le << travail >> pouvait désormais se conjuguer avec le plaisir et la solidarité. La prise en charge art-thérapeutique a été un moyen pour Mme B d'appliquer son énergie, jusque là étouffée par ses troubles neurologiques, au service de son propre bien-être, puis plus tard à celui des autres.

Nous reviendrons dans la dernière partie de ce mémoire sur ce qui justifie l'usage des techniques artistiques employées pour les deux patientes. Nous allons maintenant nous pencher sur les faits observés pendant la prise en charge art-thérapeutique, et leur analyse.

2) Les observations ont été notées et cotées selon une méthode bien précise.

L'art-thérapeute a utilisé la fiche d'observation (cf. annexe 3) pour relever les items* qui permettent de remarquer l'évolution de la patiente au fil des séances. Ces items sont regroupés en catégories logiques que l'on appelle faisceaux d'items, eux-mêmes appartenant à trois catégories de capacités que sont l'expression, la communication et la relation. Ainsi regroupées, il devient plus aisé de noter les informations, et de les consulter.

Chaque faisceau d'items comporte cinq réponses possibles, qui vont, de la première à la dernière, de la plus << mauvaise >> à la plus << adaptée >>. Après chaque grande catégorie de faisceaux d'items, une zone de texte libre est présente pour permettre à l'art-thérapeute de poser des remarques et observations diverses qui lui permettront ultérieurement de repenser son outil et de l'améliorer.

Les items choisis sont cohérents avec les thématiques de l'insertion sociale et de l'autonomie. Par exemple, la fréquence, la netteté et la cohérence du discours de la patiente sont des éléments-clés du rôle qu'elle peut jouer au sein d'un groupe. Un discours abondant mais complètement décousu peut être indicateur d'un facteur inhibiteur de l'insertion sociale, car la discussion aurait beaucoup de mal à susciter l'intérêt des autres, et provoquerait peutêtre même une gène dans le groupe. A contrario, une personne toujours prévenante et appliquée dans son comportement appuierait l'idée d'une stabilité cognitive qui pourrait favoriser une bonne communication avec les autres.

À la fin de la fiche se trouve une liste d'informations qui ont pour but de résumer les événements qui se sont déroulés pendant la séance, et qui permettent à l'art-thérapeute de réfléchir sur sa façon de faire, tant sur le plan technique que relationnel, mais aussi sur des difficultés rencontrées et la façon dont elles ont été traitées, des stratégies potentielles à appliquer pour la future séance. Ensuite l'art-thérapeute dresse un bilan synthétique de la séance, ce qui lui permettra, lors de la rédaction du bilan de prise en charge réalisé à la fin de

celle-ci, de se remémorer facilement les grands événements de la prise en charge et de les synthétiser de façon optimale.

Les informations ont été cotées de deux manières : par ordre de couleur et ordre numérique. L'ordre de couleur est un moyen simple et clair d'observer les évolutions au cours de la prise en charge, néanmoins elle est davantage accessible à l'art-thérapeute car la connaissance du détail des faisceaux d'items est déjà acquise, et cela permet de détecter rapidement les champs les plus en difficulté ; pour le néophyte, cela risque d'être plus compliqué à considérer, car plus « vague ». Tandis que l'ordre numérique est beaucoup plus courant, plus accessible, et permet directement de voir les changements et l'impact des informations observées au cours des séances.

Nous allons justement montrer maintenant quelques exemples de tableaux de cotation et de graphiques illustrant ces deux méthodes, et détaillant clairement l'évolution des patientes au cours de la prise en charge art-thérapeutique.

3) Les tableaux et graphiques constituent d'excellents moyens de communication de résultats envers les autres membres de l'équipe.

Avant de vous montrer ces illustrations, nous tenons à informer que trois faisceaux d'items - le ton de la voix, la nature du discours et la nature des gestes - ne sont pas cotés dans ces schémas car non pertinents vis-à-vis des objectifs de prise en charge.

Tableau comparatif de l'évolution des patientes au cours de la prise en charge.

Les couleurs sont interprétées comme suit :

- le gris signifie l'absence de réponse (la plus mauvaise, qui, dans l'ordre numérique, correspond à 0)

- le rouge signifie une réponse inadaptée (correspond au chiffre 1)

- l'orange, qui traduit une réponse peu adaptée (correspond au chiffre 2)

- le jaune, qui traduit une réponse adaptée (correspond au chiffre 3)

- le vert, qui équivaut à la réponse la mieux adaptée (correspond au chiffre 4).

Les deux graphiques suivants résument l'évolution des patientes sur les critères évalués avec la fiche d'observation.

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Nous pouvons voir grâce au tableau et aux graphiques que les améliorations les plus significatives ne sont pas les mêmes pour Mme A et Mme B. Les relances (fait de ramener la patiente dans le cadre de l'activité) ont considérablement diminué chez Mme A, et l'amélioration du cadre communicatif et relationnel a influé sur la diminution de l'angoisse qu'elle éprouvait pour les autres. Malgré une participation artistique discrète, le plaisir grandissant qu'elle éprouvait lors des séances lui a sans doute donné l'envie de retrouver cette sensation auprès d'autres activités, d'où son envie, en fin de prise en charge, de réitérer ces expériences.

Pour Mme B les améliorations les plus notables concernent la fréquence du discours ; au fil des séances, les contacts se sont multipliés, et Mme B est parvenue à gérer de mieux en mieux ces situations, alors qu'au départ elle ne parlait avec quasiment personne. Le choix des outils est devenu de plus en plus autonome au fur et à mesure qu'elle se sentait apaisée dans le milieu où elle se trouvait (la présence d'autres personnes l'entraînait dans une dynamique d'indépendance).

Cela illustre bien le fait qu'une pénalité est et doit être traitée différemment selon les troubles associés, les pathologies et la personnalité des patients. Toutefois, le but de la prise en charge n'est pas d'atteindre des scores parfaits, la preuve en est que les prises en charge de ces deux patientes ont été une réussite, alors que tout n'est pas au meilleur niveau. La personne a simplement atteint un état de bien-être suffisant pour valider la prise en charge, et « le reste », s'il est nécessaire de l'améliorer, reposera sur les autres professionnels de la structure et des proches, ainsi que sur la volonté propre de la patiente.

L'évolution au cours des séances peut mettre aussi en évidence la pertinence de l'objectif thérapeutique principal et des objectifs intermédiaires fixés (la réalisation de tel ou tel objectif a pu permettre une amélioration dans telle ou telle catégorie) ; mais elle peut très bien soulever le contraire. Certaines stratégies et projets peuvent causer davantage de mal que de bien, il ne faut pas oublier que l'art-thérapeute n'est pas à l'abri d'une erreur.

C'est, entre autre, ce sur quoi nous allons maintenant discuter dans la troisième et dernière partie de ce mémoire : l'expérience art-thérapeutique a pu soulever bon nombre d'interrogations, de remarques et de limites au regard de la méthode, de la population choisie, et des fondements de l'art-thérapie.

III ) Les résultats de ces expériences soulèvent plusieurs limites et interrogations quant à la méthodologie, la population, mais soulèvent aussi de nouvelles pistes de réflexion vis-à-vis de l'art-thérapie.

A ) La méthodologie nécessite d'être abordée avec davantage de profondeur et de précision afin de maximiser sa pertinence.

1) Plusieurs explications sont à fournir vis-à-vis de la « courte » durée ainsi que du nombre des prises en charges réalisées.

On pourrait s'étonner du temps plutôt bref de la prise en charge de Mme A (6 séances) et Mme B (5 séances), surtout vis-à-vis de la majorité des travaux de recherche menés en artthérapie. Toutefois, plusieurs facteurs peuvent justifier cette atteinte des objectifs plus rapide que prévue.

Tout d'abord, l'objectif lui-même ; il faut bien distinguer la différence entre réinsérer une personne exclue, et donner envie à la personne de se réinsérer. Cependant, les stratégies mises en place pour atteindre ce but se retrouvent dans les deux cas de figure, à savoir évoquer, inculquer, de façon explicite ou implicite, des repères, des normes, et des valeurs sociales et relationnelles, et en justifier le bien-fondé*. La personne âgée, par son vécu (famille, travail...), a assimilé plus ou moins consciemment le processus d'insertion (contrairement à un enfant ou pré-adolescent pour qui il faut apprendre tout cela). C'est pour ça que l'art-thérapeute va principalement se pencher sur le bien-fondé ; il va s'agir de redonner à la patiente une saveur agréable de la vie au sein du groupe. Et pour y parvenir, faire usage de l'art se révèle être un moyen intéressant. Pourquoi ?

Comme nous l'avons vu précédemment, l'art implique forcément l'être humain. Et si nous sommes des milliards d'êtres humains semblables sur Terre, chaque être est unique : nous n'avons pas de corps parfaitement identique, nous avons une personnalité propre et une expérience de vie unique. Nous avons, par la simple preuve de notre existence, une identité ; mais comment l'exprimons-nous ? Si personne d'autre ne sait que j'existe, est-ce que j'existe réellement ? Comment affirmer mon identité face au monde ? Nous avons besoin d'être reconnu. Et l'Art, à travers les époques, a toujours été une preuve efficace de l'existence des hommes, et le sera très probablement encore dans le futur. Dans ce contexte, l'Art peut être considéré comme un vecteur identitaire, un moyen original d'affirmer son existence aux autres. Mais pour que l'Art soit ainsi opérant, il doit aussi être reconnu, par d'autres êtres humains, en tant qu'oeuvres d'art. La société, au sens le plus général, a donc un rôle fondamental à jouer dans le processus de reconnaissance de l'être humain en tant qu'être existant, mais aussi en tant qu'être doué d'expression. Nous entendons par là que son existence peut être également reconnue en tant qu'être vivant, hic et nunc, et qu'il exprime et communique le fait d'être en vie à travers et avec les autres (la relation). Et c'est ce qu'on retrouve chez l'artiste ; ses oeuvres reflètent d'une manière peu conventionnelle la trace de son existence, et de sa vie (de son identité). L'Art permet donc de manifester l'empreinte de l'individu dans son savoir-être (sa personnalité, ses pensées, son vécu) et dans son savoir-faire (son style, sa technique), et cela semble être une bonne alternative pour la personne exclue. Cette personne, qui voit son identité fragilisée, dévalorisée par l'isolement, peut à travers l'Art, y voir une façon inhabituelle de s'affirmer au monde, et d'en tirer de la reconnaissance. La recherche de l'idéal esthétique, qui caractérise l'intérêt de l'Art, est un élan physique et psychologique qui amène la personne à donner le meilleur d'elle-même, voire se surpasser, dans le but d'éprouver un plaisir esthétique satisfaisant. Plus grande sera cette gratification,

meilleure sera l'image que la personne aura d'elle-même : << Je suis contente de faire ce que je fais (ce qui est Bon / estime de Soi), ce que je fais correspond à mes attentes (ce qui est Bien / confiance en Soi), ce que je fais me plaît (ce qui est Beau / affirmation de Soi) >>. Et l'être humain, qui est considéré depuis l'Antiquité comme un être social, va progressivement souhaiter transmettre au monde ce qu'il ressent, le partager, l'insuffler à travers la production. Ce sont les retours que le monde émettra, qu'ils soient bons ou mauvais, qui permettra à la personne d'être distinguée, reconnue, valorisée parmi la masse humaine globale.

Pour en revenir à nos patientes, l'usage des techniques artistiques leur a permis non seulement d'affirmer leur existence à travers des activités qui mettaient en valeur leur goût et leur style, mais aussi, à travers le plaisir éprouvé sur le plan esthétique et relationnel, d'engendrer une volonté de se reconstruire une identité au sein de la structure hospitalière qui soit bien plus riche que celle du simple << patient en fin de vie>>.

Cependant, et nous l'avions déjà précisé dans la précédente partie, que la réussite de prise en charge art-thérapeutique ne pouvait se suffire à l'art-thérapie elle-même, surtout dans cet objectif et le cadre institutionnel où elle s'est produite. La collaboration des autres intervenants de l'hôpital (médecins, kinésithérapeutes, aide-soignantes, infirmières, animatrices, assistantes sociales, coiffeuse, socio-esthéticienne, bénévoles, etc.) a été particulièrement importante pour l'amélioration de la qualité de vie des patients ; leur investissement a permis d'établir une qualité relationnelle enrichie du << patient-soignant >> ; les patientes étaient stimulées quant à leur production, leurs opinions sur l'activité, la ponctualité vis-à-vis de la prochaine séance, mais surtout elles étaient encouragées à faire de leur mieux et << d'en profiter >>. Le personnel a fait preuve d'une grande compétence et humanité au regard de la perspective de << mieux-être >> des patients, et cela malgré leur charge de travail considérable, et souvent contraignante. Leur disponibilité a été exemplaire et très touchante dans ce projet.

Il y a une seconde raison qui justifie le peu de prises en charge réalisées, même si elle est à considérer à un degré de moindre importance que le précédent motif. De la fin de l'automne à la moitié de l'hiver, le CHRU de Tours s'est vu attribuer des mesures de sécurité et d'hygiène drastiques qui ont perturbé l'atmosphère de l'Hôpital de l'Ermitage (plan de sécurité contre la grippe A). Ce qui a le plus atteint le moral des patients et du personnel était la réduction importante du nombre de visites (d'ailleurs il était interdit pour les enfants de pénétrer dans la structure) ; mais il y a eu ensuite toute la campagne de vaccination qui, à force d'être discutée, rediscutée et sans cesse remise au goût du jour, a agacé aussi bien le personnel et les patients. Des spectacles ont également dû être annulés à la suite de ces mesures. Les résidents étaient déprimés, et finissaient peu à peu à refuser les activités qui étaient parvenues à se maintenir. Les résidents et le personnel demandaient souvent à l'artthérapeute stagiaire quand les animatrices allaient revenir. Il faut aussi considérer le fait que certains résidents ne souhaitaient faire des activités qu'avec les animatrices, et il fallait l'accepter.

L'état d'esprit* général n'était pas particulièrement enjoué, d'autant plus que le personnel, en sous-effectif impressionnant lors des fêtes de fin d'année, était débordé de travail et n'avait, à leur grand regret, pas beaucoup le temps de se consacrer aux résidents hors du cadre des soins quotidiens (médicaments, alimentation et toilette).

Néanmoins, quelques prises en charge en art-thérapie ont, comme nous l'avons constaté, pu être mises en place et avoir abouti de façon satisfaisante. Mais nous allons voir maintenant que la chance a aussi un rôle à jouer dans ces réussites, et que les choses auraient pu facilement prendre une tournure défavorable.

2) Le choix volontaire de ne pas consulter le dossier médical personnel des patients met en évidence une plus grande sincérité dans la relation, mais aussi des limites qualitatives sur la prise en charge.

Bien que le médecin-chef de service lui en ai donné l'autorisation, l'art-thérapeute stagiaire a choisi de ne pas consulter le D.P.P. (Dossier Patient Partagé) des patients qu'elle prenait en charge. L'argument mis en avant pour justifier cette décision était une préservation de la sincérité de la relation entre la patiente et la thérapeute, qui se serait perdue si elle avait consulté le dossier. Quels avantages peut-on tirer d'une relation << sincère >> avec le patient?

Premièrement, la thérapeute ne peut pas poser de << fausse question >> ; nous entendons par là que lorsqu'elle fait connaissance avec la patiente, elle part de zéro, ou presque ; elle n'a pas d'informations particulières à son sujet, sur sa vie, etc. La patiente a donc le libre pouvoir de dire ce qu'elle souhaite sur elle, tout en sachant que son intimité sera respectée, ce qui est une qualité essentielle de la relation de confiance.

Et deuxièmement, l'absence d' a priori que pourrait établir la thérapeute envers la patiente si elle avait consulté son dossier. Certaines informations, notamment les plus graves sur le passé judiciaire et affectif du patient, peuvent nous émouvoir et nous amener à nous comporter différemment avec la personne, et cela peut mettre en péril le lien relationnel qui tente de s'établir ; le patient peut ne pas le comprendre, et en souffrir. Même si le professionnel fait preuve de compétences remarquables dans l'exercice de son métier, et qu'il entretient une distance suffisamment bonne avec ses patients, il y a tout de même certaines choses qui, selon l'individu, vont lui paraître insupportables, invraisemblables, tristes ou révoltantes, et cela pourra se << lire >> dans ses gestes, ses paroles, ses attitudes ; nous sommes tous des êtres humains et possédons tous certaines zone de fragilité. C'est pourquoi il a semblé important d'aller à la rencontre des patients avec la plus grande neutralité possible, c'est aussi quelque chose qui peut changer de la routine des patients, qui lorsqu'ils consultent le médecin ou l'infirmière, sont au courant que ces derniers savent beaucoup de choses sur leur vie. Pour l'art-thérapeute stagiaire, la préservation de la sincérité de la relation permettait au patient de nouer des liens originaux avec un thérapeute.

Toutefois, on ne peut nier que la non-consultation du D.P.P. est une grave erreur, surtout dans une structure médicale, et pour plusieurs raisons : D'abord, ne pas connaître l'anamnèse du patient peut amener le thérapeute à lui poser des questions ou lui proposer des choses qu'il ne souhaiterait entendre pour rien au monde, car source de souffrance ou d'angoisse. Nous avions eu un bref exemple avec Mme B, lorsque l'art-thérapeute stagiaire lui avait demandé si elle avait des enfants, ce qui l'a enfermé dans un mutisme et une tristesse considérables jusqu'à ce qu'elle soit retournée dans sa chambre. Cette absence de connaissances peut très vite se retourner contre soi, et commettre des maladresses que l'on aurait facilement pu éviter en consultant le dossier.

Ensuite, il y a le fait de ne pas connaître la médication prescrite au patient. Pourquoi cela est-il important ? Les effets secondaires des médicaments peuvent entraîner toutes sortes de troubles chez le patient (somnolence, raideur, ralentissement moteur et psychique...), et peuvent constituer des difficultés dans le bon déroulement de la prise en charge. Et inversement, quand certains médicaments ne sont pas pris (essai, oubli), d'autres effets peuvent apparaître, notamment des douleurs musculaires, nerveuses, osseuses, et troubles migraineux, qui influencent l'humeur et l'état d'esprit du patient. Le thérapeute pourra toujours essayer d'adapter sa stratégie pour mener à bien la séance, mais ces efforts auraient pu être économisés et une alternative aurait pu trouver sa place bien avant si le thérapeute avait pris connaissance de la médication. Nous pouvons également noter les risques d'allergie qui peuvent mettre le patient en danger (exemple. allergie à certains composants chimiques de la peinture), et qui auraient du coup pu facilement être évités.

La connaissance du D.P.P. semblerait donc être vivement recommandée pour ce type de population et ce genre de structure. Même si l'équipe soignante fournit de précieuses données sur les patients, il n'est pas possible de se rappeler de l'intégralité du dossier, surtout certains détails qui n'auraient pas d'importance pour l'infirmière par exemple, mais qui en aurait pour l'art-thérapeute. La médication et l'état de santé du patient sont des données qu'il faut connaître avec précision avant de lui proposer le moindre projet. Toutefois cela impliquerait un mode relationnel conforme à celui que les autres soignants entretiennent avec le patient, enlevant par conséquence l'originalité du lien ; un compromis sans doute nécessaire à la sécurité du malade.

3) La fiche d'observation nécessite des remaniements considérables, en vue d'optimiser la pertinence des résultats.

Nous allons maintenant nous pencher sur la fiche d'observation utilisée par l'artthérapeute stagiaire dans le cadre des prises en charge. Plusieurs remarques sont à soulever. Nous aborderons dans un premier temps les points qui concernent le cadre formel de l'outil, puis le contenu dans un second temps.

Le premier point concerne le volume de l'outil. Entre une heure et une heure et demie étaient nécessaires pour remplir la fiche d'observation après la séance ; cela est bien trop long. Les données à observer doivent bénéficier d'une disposition beaucoup plus simple, comme une grille par exemple, où il suffirait juste de remplir avec un code couleur, ou des abréviations qui caractérisent le fait observé. L'art-thérapeute aura juste un temps d'apprentissage de ces codes, puis, avec l'expérience, pourra compléter sa fiche avec aisance, rapidité et précision. Cependant, les zones de commentaires libres seraient à conserver. Chaque patient est unique et est toujours susceptible de nous amener à de nouvelles idées, réflexions, et corrections qui permettront d'améliorer la fiche d'observation, afin de la rendre plus efficace, et accessible au plus grand nombre. Cela impliquerait un travail régulier de remise en question et d'optimisation des outils de l'art-thérapeute ; ce dernier doit être toujours prêt à gérer les limites de sa méthodologie, et être ouvert à tout remaniement. Il faut aussi prendre conscience qu'une fiche d'observation qui concerne un public âgé dépendant ne sera jamais intégralement compatible avec celle que l'on établira pour des jeunes adultes traumatisés crâniens. L'art-thérapeute doit pouvoir être le plus cohérent et précis possible sur la population avec laquelle il travaille, et ne pas chercher à standardiser son outil à une population trop diversifiée.

Autre point qui concerne la structure de l'outil : le nombre de réponses. Afin d'être le plus cohérent possible dans sa cotation, il est important d'utiliser une norme référentielle de cotation. Dans notre fiche d'observation, chaque proposition comporte cinq réponses possibles, dont une et seulement une peut être validée. Dans un souci de simplicité et de cohérence, les réponses ont été disposées de la plus mauvaise à la meilleure (de haut en bas). Les réponses sont ensuite cotées de 0 à 4 (0 pour l'absence de fait observé, et 4 pour le fait observé le plus adapté). Si l'outil comprenait plusieurs normes référentielles, cela pourrait induire une mauvaise lisibilité, et une mauvaise interprétation des résultats par la suite.

Les points suivants traitent du fond de l'outil. Des remarques importantes sont à soulever. Tout abord, nous allons parler des faisceaux d'items qui n'ont pu être cotés dans la prise en charge. Ils auraient pu faire l'objet d'une cotation, mais l'organisation du faisceau d'items était incorrecte. Prenons l'exemple du faisceau << nature du discours » ; pour que les items puissent être cotables, il aurait fallu plutôt dire << Le sujet a émis des refus dans son

discours : » avec un ordre de fréquence pour les réponses qui, là, auraient pu être quantifiables.

Certains faisceaux d'items ne contenaient pas de réponse d'absence, ce qui est une bête erreur. Cet oubli n'a que pour effet de nuire à la crédibilité de la cotation. Les faisceaux concernés sont ceux qui n'ont pas été cotés, plus le faisceau << cadre de communication ».

<< L'atteinte des objectifs » aurait pu être un élément cotable à la place d'être un champ de commentaire libre. Cela aurait permis, lors de la lecture de la cotation, une compréhension rapide et précise du bilan de la séance.

Les deux dernières remarques concernent des fautes méthodologiques considérables qui ont été traitées en cours de prise en charge, mais dont la pertinence n'a pu être scientifiquement vérifiée. Dans un souci d'honnêteté, nous avons préféré présenter la fiche d'observation telle qu'elle était au départ, avant d'être modifiée. Premièrement, il n'y a aucun faisceau d'item qui ait servi à observer les faits liés au phénomène artistique (à savoir l'intention, l'action et la production), ce qui est assez étonnant lorsqu'on sait que l'art n'est autre que l'outil de prédilection de l'art-thérapeute. Trop préoccupée par l'axe social du projet, l'art-thérapeute stagiaire ne s'est pas tout de suite rendue compte de cet oubli.

Deuxièmement, l'absence d'une fiche d'autoévaluation (voir exemple à la page suivante), qui avait pourtant un grand intérêt vis-à-vis de l'objectif thérapeutique. La fiche d'autoévaluation, aussi appelée << Cube harmonique » mais sous une autre forme, est un ensemble de questions auxquelles le patient doit répondre. Ces questions concernent son intention, son action et sa production, et font référence respectivement au Bon (Estime de Soi), au Bien (Confiance en Soi), et au Beau (Affirmation de Soi). L'autoévaluation cherche donc à mettre en valeur la détermination, le jugement et le goût de la personne. Elle peut être une bonne empreinte pour la personne qui reconstruit son identité, elle voit en cela un repère de certains aspects de sa personnalité. Bien sûr, tout comme la fiche d'observation, la fiche d'autoévaluation est à adapter en fonction du patient (pathologie, pénalité, handicap...).

Exemple de fiche d'autoévaluation

Veuillez entourer, à la suite de chaque phrase, la réponse de votre choix parmi les 5 réponses qui vous sont proposées.

Est-ce que je reviendrai pour la prochaine séance ?

- Oui, certainement - Oui, pourquoi pas

- Non, je ne pense pas - Non, pas du tout

- Je ne sais pas

Ce que j'ai créé pendant la séance était :

- Très beau

- Beau

- Pas très beau

- Vraiment pas beau - Je ne sais pas

Ce que j'ai fait au cours de la séance était :

- Très bien fait - Bien fait

- Pas bien fait

- Vraiment pas bien fait

- Je ne sais pas

L'activité proposée dans la séance m'a :

- Beaucoup plu

- Plu

- Pas vraiment plu - Pas du tout plu

- Je ne sais pas

Les moments que j'ai passé pendant la séance étaient :

- Très bons

- Bons

- Pas très bons

- Vraiment pas bons - Je ne sais pas

Tout professionnel doit effectuer son travail avec une méthodologie précise et rigoureuse, sous peine de discréditer les résultats obtenus, et par conséquent d'altérer l'efficacité du travail pluridisciplinaire. C'est pour cela qu'il doit toujours faire preuve de recul et d'ouverture sur ses outils et l'usage qu'il en fait, et de ne pas hésiter à demander l'avis de ses collègues si un doute venait troubler son travail. Ce n'est pas pour autant qu'il doit être dépendant des autres intervenants, au contraire, la gestion indépendante des responsabilités assure une efficacité de travail optimale et une cohésion du groupe de professionnels équilibrée.

Maintenant que nous avons discuté de la méthodologie, nous allons maintenant nous pencher sur la population étudiée dans ce mémoire à travers l'expérience art-thérapeutique, et traiter plusieurs questions.

B) Certaines remarques au regard de la population choisie sont amenées à être posées vis-à-vis de ce travail.

1) Évoquer l'exclusion de la personne âgée dépendante alors qu'elle vit en institution peut sembler ambigu à comprendre et pose un certain degré d'impertinence sur la réalité des faits.

Dans la première partie de ce mémoire nous parlions de l'exclusion de la personne âgée principalement dans le cadre socio-spatial. L'exclusion se traduisait dans la difficulté d'accès aux soins et aux services dont dispose le milieu fortement urbanisé, mais aussi de l'isolement qui en découle (exode rural). Toutefois, les différentes mesures employées pour lutter contre l'exclusion des personnes âgées prend de l'ampleur, et touche de plus en plus de régions rurales et défavorisées. Même dans le milieu urbain, des réaménagements ont lieu, notamment en terme d'accessibilité (lignes de bus spéciales, escaliers remplacés par des rampes, logements adaptés en centre-ville...). La précarité des personnes âgées gagne de plus en plus d'importance au sein des priorités du gouvernement, mais ce problème est hélas encore bien loin d'être résolu. Si les mesures visent à maintenir le mieux possible une qualité de vie autonome de la personne âgée, qu'en est-il de la qualité de vie offerte aux personnes âgées dépendantes institutionnalisées ? Peut-on vraiment parler d'exclusion ?

En théorie, les personnes âgées dépendantes vivant dans des institutions spécialisées comme les EHPAD ne doivent pas souffrir d'exclusion. Elles vivent avec d'autres résidents, ont un accès permanent aux soins médicaux, et un accès à certains soins de confort, bénéficient d'activités d'animation, etc. Que le placement soit volontaire ou subi, la personne institutionnalisée fait administrativement et humainement partie du groupe institutionnel, on ne peut donc pas justifier l'usage du terme d'exclusion. Il serait dans ce cas plus pertinent d'avancer la notion d'isolement, qui se traduit non pas par l'impossibilité d'être intégré au groupe, mais par un éloignement vis-à-vis du groupe. Cette nuance est importante à comprendre dans le fait que la personne est quotidiennement en contact avec plusieurs personnes (personnel, résidents...), mais ce contact ne s'entretient pas ; alors que dans l'exclusion, on fait clairement référence à une absence de contact avec le groupe, ou la société. Pour résumer simplement, la personne isolée (volontairement ou non) appartient au groupe mais ne le vit pas comme tel, alors que la personne exclue voudrait appartenir au groupe, mais ne le peut pas.

Toutefois l'isolement est aussi envisageable en tant que processus intermédiaire intervenant dans le processus d'exclusion, ce qui peut amener à confondre ces deux termes. Une personne exclue a d'abord et forcément été au préalable une personne isolée, marginalisée, avant d'être coupée de la collectivité. Illustrons cela avec l'exemple du départ à

la retraite : La personne active appartient au groupe de l'entreprise, puis, le départ à la retraite se prépare ; la personne et ses collègues sont conscients qu'elle va bientôt quitter l'entreprise, perdant concrètement et progressivement la qualité relationnelle qu'elle entretenait avec eux, mais aussi le travail en lui-même. Selon l'activité, la personne peut voir sa charge de travail diminuer peu à peu, pour enfin cesser le jour du départ.

L'isolement n'implique pas spécialement une souffrance (l'exemple cité précédemment peut également le montrer ; la personne peut très bien vivre sa préparation à la retraite), mais l'exclusion (et encore, le mot est fort dans cet exemple) de la personne par rapport à l'entreprise entraîne la perte de son identité de << travailleur >> et instaure donc un manque, un manque qu'il faut combler pour pouvoir à nouveau s'épanouir. Le travail à effectuer n'est donc pas le même pour l'isolement et l'exclusion. Il faut donc faire très attention aux subtilités des termes que l'on choisit quand on établit un plan de soins, en institution comme ailleurs.

Comment un individu peut se retrouver isolé dans l'institution ? Lorsque la famille décide de confier leur membre âgé et dépendant à un établissement spécialisé, ils savent que leur proche sera << bien entouré >>. Malheureusement, la réalité se vit bien souvent différemment sur le terrain. Le résident qui arrive dans l'institution sait qu'il est très probable que sa vie va se terminer ici. La personne éprouve déjà le traumatisme de sa séparation avec son domicile (et de tout ce qui touche de près ou de loin au domicile, comme la famille, les biens mobiliers, le patrimoine familial, les voisins...), et elle sait que son nouveau lieu de résidence correspond à celui où d'autres personnes âgées comme elle << attendent la mort >>. L'institution, c'est le contact permanent avec la maladie, les médicaments, les examens, et d'une façon plus implicite, la mort. Certaines personnes récemment installées dans l'institution peuvent décliner à une vitesse fulgurante, ne voyant plus l'intérêt de vivre, coupées de tous les repères qui faisaient d'elles des personnes << dignes >> ; elles perdent toute forme d'appétence* : on appelle cela le syndrome de glissement.

L'appétence sociale est également mise en péril. Le résident peut très bien ne pas vouloir chercher à établir de relation avec les autres, qu'il vit comme une source d'angoisse morbide ; il va s'isoler du reste du groupe institutionnel. Pour citer un exemple concret, une dame récemment arrivée dans l'U.S.L.D. de l'Ermitage avait été amenée par une aidesoignante pour participer à une activité culinaire, et pour l'occasion, de se faire des relations auprès des autres résidents. Mais lorsqu'elle a regardé ses confrères et consoeurs autour des tables de travail, elle s'est tournée vers l'animatrice en grimaçant : << Mais il est hors de question que je me mêle à ces vieilles toupies ! Non mais vous les avez vues ?! >> Cette attitude intolérante est dure, mais elle traduit aussi une souffrance que la personne endure, et n'arrive pas à dépasser vis-à-vis du cadre et du milieu qu'elle doit désormais côtoyer au quotidien.

C'est pour cela que les animations, les soins paramédicaux et socio-esthétiques sont si importants dans ce milieu. Leur rôle est de donner un quotidien de vie agréable et digne à tous, même si le handicap et la maladie les amènent dans une situation de dépendance extrême. Les personnes âgées sont avant tout des êtres humains qui ont des besoins et des envies comme chacun d'entre nous ; il ne faut pas les considérer autrement. Et ces personnes ont au moins autant que nous autres besoin de reconnaissance, une reconnaissance bien plus noble que celle du << patient >>. L'isolement peut aussi subtilement s'installer vis-à-vis de ce mode relationnel, qui n'est que trop courant dans les institutions médicalisées. Mais de récentes formations proposées au personnel soignant mettent l'accent sur le côté humanitaire du milieu de soins et de la prise en charge, et de son importance au sein de la qualité de vie des résidents. C'est, d'une certaine façon, un moyen de lutter contre la marginalisation des personnes âgées dépendantes.

Nous pouvons maintenant comprendre plus aisément, à travers ces quelques exemples, que le terme d'isolement est préférable à celui d'exclusion quand on parle de ce public précis, ainsi que les dégâts tant physiques que psychiques que l'isolement peut causer à la personne qui en est victime ou auteur. Mais, en ce qui concerne la prise en charge art-thérapeutique, si elle a déjà démontré son efficacité à travers de nombreux travaux de recherche, quelles en sont ses limites et pourquoi ?

2) Les différents intergénérationnels au regard de l'art peut amener la personne à refuser la prise en charge art-thérapeutique.

Cela a d'ailleurs été un problème de taille pendant le stage, car l'étudiante artthérapeute avait essuyé un nombre de refus considérable de la part des patients qui pouvaient être potentiellement pris en charge. Pourquoi refusaient-ils ? La raison principale était qu'ils se savaient incapables de faire de l'art. << Je ne sais pas faire ça >> ou << J'en ai jamais fait >> ou encore << À quoi bon faire de l'art ? J'y connais rien >>. L'art-thérapeute stagiaire a d'abord cru qu'elle commettait une maladresse dans son discours, et que cette maladresse avait pour effet de décourager les résidents à entamer un projet artistique. Mais c'est Mme D, au cours de l'atelier de modelage, qui lui a apporté la réponse : << C'est sûr qu'une fois qu'on s'est lancé, c'est pas sorcier au final. Mais c'est vrai que quand on vient nous parler d'art, ça fait toujours un peu peur. Ça intéresse, ça oui, mais ça fait peur car on craint de ne pas être à la hauteur, et d'être jugé par les autres. Jugé en mal, hein. Alors qu'en fait, on apprend tous ensemble, et on s'amuse. >>

Évidemment, tous les résidents n'ont pas la même ouverture d'esprit que Mme D. Mais cela a permis à l'art-thérapeute de réfléchir sur la manière de présenter l'art auprès des patients qui n'ont pas de familiarité artistique. Cela nous renvoie une nouvelle fois sur la manière dont l'art est perçu aujourd'hui ; et il semblerait que pour certaines personnes âgées, l'art n'appartient qu'aux artistes, qu'aux experts en la matière. Une vision plutôt élitiste. Il pourrait être intéressant de façonner un document informatif très accessible pour ce genre de personnes, cela pourrait permettre de lever le voile de certaines idées reçues injustement ancrées dans nos esprits.

En tous cas, cela ne veut pas dire que toutes les personnes âgées seraient enclines à faire de l'art. L'art est un sujet qui n'intéresse pas tout le monde, et nous devons prendre le soin de respecter ce choix.

3) L'écriture et les arts-plastiques ne sont peut-être pas les techniques artistiques les plus adaptées aux pathologies de la personne âgée dépendante vivant en institution.

Avant d'aborder en détail ce que sont précisément l'écriture et les arts plastiques, nous tenons à souligner quelque chose sur le plan de l'intervention de l'art-thérapie auprès du patient. Si, dans ce mémoire, nous nous sommes orientés vers la pénalité de la personne (l'exclusion), nous aurions tout aussi bien pu nous orienter exclusivement sur la pathologie (maladie d'Alzheimer pour Mme A et troubles neurologiques modérés pour Mme B). Les objectifs auraient été adaptés en conséquence, ce qui aurait pu donner pour Mme A, par exemple, le fait de préserver ses capacités résiduelles dans une optique de << frein >> de la maladie, et tout autre chose pour Mme B. Leur insertion sociale aurait pu être perçue comme un objectif intermédiaire. Le rôle fondamental de l'art-thérapeute n'est pas de travailler les parties du corps qui vont mal, mais de stimuler les parties saines, de sorte à << dépasser le

mal ». L'impact du travail d'art-thérapie a certes une incidence sur le plan physique du patient (les sensations), mais elle fait notamment appel à une réflexion psychologique (idées, imagination, émotions). Selon la technique artistique utilisée, le ciblage de l'impact sera évidemment différent. Nous allons étudier cela avec l'écriture et les arts plastiques.

L'écriture, du latin littera (caractère), dans sa définition la plus basique, est l'acte d'écrire. Écrire, c'est tracer un ensemble organisé de signes, le plus souvent linguistiques. Cependant, on appelle aussi «écrire » l'acte de composer une partition musicale. Nous la considérons donc comme la mise en mots des idées.

Par l'usage courant, nous nous servons de notre main pour écrire (préhension et manipulation de l'objet traceur), sur différents supports. Toutefois, pour ceux qui ne peuvent opérer de cette façon, il est possible d'apprendre à écrire en faisant l'usage d'autres parties du corps, comme la bouche ou les pieds. À travers l'avancée technologique que nous connaissons actuellement, nous sommes aussi amenés à écrire en appuyant sur les touches du clavier d'un ordinateur (même si cette technique a trouvé sa source dans des inventions plus anciennes telles que la machine à écrire ou encore l'imprimerie). L'expansion croissante de la technologique dite « tactile » ne requiert plus qu'une pression des doigts ou d'un objet sur une surface interactive pour rédiger un message.

Quelles sont les raisons qui nous poussent à écrire, et qu'écrit-on d'ailleurs ? Dans l'Antiquité, la littérature (et l'écriture par association) appartenait au monde des intellectuels, et oeuvrait dans la transmission des sagesses philosophiques et des textes de loi. La bibliothèque d'Alexandrie était l'un des monuments phares de cette époque, où l'on archivait les ouvrages (traduits en grec) des auteurs de toutes les contrées méditerranéennes. La civilisation gréco-romaine a attaché un intérêt majeur à la création et la sauvegarde des livres, véritables empreintes des savoirs et des cultures. Au Moyen-Âge, l'écriture était très liée à l'Église. Les lettrés étaient les moines et les prêtres, et était notamment chargés de recopier les anciens textes des Saintes-Écritures, et plus tard au XIIIe siècle, lorsque les premières universités sont apparues, les textes des savants. Les textes étaient écrits en latin. Ce n'est que lors de la Révolution Culturelle si caractéristique de l'époque de la Renaissance que l'on a commencé à apprendre obligatoirement à lire et écrire la langue française dans les grandes écoles. Ont émergé en France à cette époque de grands poètes et écrivains français comme Ronsard, Rabelais, le célèbre dramaturge Molière, mais aussi des philosophes comme Descartes. Le siècle des Lumières a connu le génie des intellectuels comme Rousseau, Voltaire, Chateaubriand, ou encore Lamartine, pour ne citer qu'eux. À notre époque actuelle, la politique d'éducation française agit en sorte à ce que chaque enfant scolarisé soit en mesure de lire et d'écrire sa langue maternelle.

À travers l'Histoire, l'écriture s'est enrichie, diversifiée, même si elle conserve son but premier de transmission d'un message, d'une trace. L'écriture possède une branche dont le but recherché est l'esthétique : il s'agit du Bel Écrit. On la retrouve principalement sous la technique de la calligraphie (latine, arabe, chinoise...). Le Bel Écrit se retrouve dans plusieurs civilisations et a émergé presque en même temps que l'apparition de l'écriture « classique ».

Les arts plastiques, quant à eux, constituent l'ensemble des techniques qui élaborent des formes (peinture, sculpture, architecture, dessin, modelage...). Elles ont pour but de tendre vers une harmonie personnalisée de la forme de la production (les matières utilisées et leur organisation, ce que l'on perçoit), avec le fond de cette production (le sens de l'oeuvre, ce que l'on ressent et reconnaît). Ces techniques existent aussi depuis bien longtemps, mais comme nous avions pris ces arts comme référence principale à l'explication de l'art dans la première partie, nous ne reviendrons pas en détail sur son cheminement historique. Nous pouvons tout de même préciser que les arts plastiques ont connu différents grands courants d'application (la

discipline de l'histoire de l'art a d'ailleurs pour but de retracer et d'expliquer ces courants), et que les artistes contemporains de ce courant devaient produire selon les règles et contraintes établies.

Les oeuvres plastiques (entendons ce terme comme correspondant aux arts plastiques) comptent parmi les plus répandues dans notre culture : toiles, statues et monuments, illustrations, graffitis... Elles font l'objet d'un nombre d'expositions considérables, et la plupart des musées d'Art accueillent ce genre d'oeuvres On trouve une diversité et une richesse des productions assez impressionnante aujourd'hui.

L'écriture consiste donc à laisser une trace signifiante de nos pensées, sous différentes formes : l'essai, le poème, le récit, etc. Et les arts plastiques sont un moyen de mettre ces pensées en forme ancrée dans le temps et l'espace. S'il y a bien quelque chose qui lie ces deux grandes catégories artistiques, c'est la trace potentiellement permanente de l'oeuvre En quoi l'usage de ces techniques et ce potentiel peuvent être pertinents chez la personne âgée dépendante souffrant d'exclusion ?

S'il y a bien un terrain d'entente entre la condition de la personne âgée et l'écriture, il s'agit de celui de l'intervention du processus de transmission. La personne âgée, c'est celle qui a l'expérience, un vécu riche, et un savoir que les populations plus jeunes n'ont pas. C'est pour cela qu'il incombe aux parents d'éduquer leurs enfants selon le savoir qu'ils ont acquis au cours de leur vie ; d'ailleurs, les grands-parents ont parfois un rôle éducatif à jouer envers leurs petits-enfants. C'est souvent eux qui connaissent le plus d'histoires, de jeux, de chansons, de connaissances, et leur transmission met en valeur leur importance au sein de la famille. L'apprentissage, l'échange et la transmission de connaissances sont des processus qui nous sont familiers et que nous appliquons au quotidien dans la société. Ils sont comme des moteurs qui nous entraînent dans une dynamique sociable.

Le travail d'écriture trouverait donc une cohérence avec ces processus. Comme son objectif premier est de transmettre une idée par des mots, le texte, une fois couché sur un support (papier par exemple), est amené, de par la nature conservatrice du support, à être relu, partagé, corrigé, voire même détruit. Le texte est ainsi inscrit dans un temps et un espace spécifiques ; il en va de même pour l'oeuvre plastique, mais aussi pour l'être humain pendant sa vie.

La personne âgée dépendante est, par l'atteinte de son autonomie, dans une relation ou c'est l'autre qui lui apporte, et non l'inverse. Cela est très pénalisant, car il serait plus logique que ce soit elle qui ait a apporté aux autres, grâce à son expérience et ses connaissances. Mais la fragilité et la maladie sont des critères qui freinent ou empêchent le développement de cette relation valorisante. Le goût de vivre, vu de cette façon, peut être mis en péril : quel intérêt de vivre si nous ne pouvons plus rien pour nous ni pour les autres ? C'est pour cela que les arts plastiques et l'écriture ont un intérêt avec cette population : la production inscrit la personne âgée dans une dynamique qui tend, en premier lieu, à améliorer l'image d'elle à travers l'exploitation de son potentiel artistique, et dans un second lieu, à présenter sa production au monde et établir ainsi une relation avec les autres. Nous avions pu voir cela avec les retours que Mme A avait eu sur son texte décoré sur les fleurs ; ces retours peuvent sembler si modestes au premier abord, mais ils ont un pouvoir grandement gratifiant pour une personne qui n'attendait plus rien du monde, ni d'elle-même. Mme B, à travers les activités d'arts plastiques, a pu établir une relation privilégiée avec sa voisine, puis avec d'autres résidents, qui aujourd'hui perdure encore, alors qu'au départ, cette dame qui s'ennuyait, en proie au chagrin, qui ne comprenait pas ce qu'elle faisait encore là dans l'établissement, ne s'investissait que dans l'idée fausse et obsédante d'être bientôt de retour à son domicile.

Toutefois, ces techniques artistiques auraient-elles eu le même impact positif si l'on s'était intéressé aux pathologies des patients, et non à << l'isolement social >> ? Les modalités pratiques auraient certainement dû être adaptées. Par exemple, pour un patient atteint de la maladie d'Alzheimer, on se serait davantage concentré sur le maintien du geste d'écriture, ou la thématique aurait pu concerner des souvenirs de vie que le patient aurait parfaitement conservé en sa mémoire (stimulation des parties saines). On aurait pu, concernant les arts plastiques, confectionner une valise décorée et/ou peinte, comprenant à l'intérieur des photos anciennes de la vie du patient. Mais on ne peut trop s'avancer sur ces idées tant que l'on ne connaît pas les caractéristiques du patient (état de santé, anamnèse...) ; l'idée est que le thérapeute doit savoir et pouvoir proposer un travail qui soit cohérent avec la personnalité du patient, ses capacités, et qui ne favorisent pas ses troubles et ses pénalités.

Tout ne peut cependant pas se résumer à l'usage exclusif de l'écriture et des arts plastiques pour cette population. Les excellents travaux de recherche de Jospitre et de Petitpré nous montrent qu'il est possible d'améliorer la qualité de vie des personnes âgées dépendantes atteintes de démence en leur proposant des activités de danse, et de musique. Cela illustre d'ailleurs que l'art-thérapeute ne doit pas, même s'il possède souvent une ou deux spécialités artistiques, se cantonner à ses atouts, et s'ouvrir aux potentiels qu'offrent les autres arts, afin d'être au mieux pour proposer un travail art-thérapeutique adapté aux conditions du patient pris en charge.

Nous allons maintenant nous concentrer sur les remarques et les questionnements qui concernent l'art-thérapie dans ses fondements et son enseignement.

C) Le bilan de ces expériences a, et continue de révéler à l'art-thérapeute de nouveaux questionnements sur l'art-thérapie, ses principes et ses outils.

1) Le métier d'art-thérapeute est difficile à reconnaître par l'équipe de soins, dans la structure hospitalière.

Bien que l'Ermitage commence à être << habitué >> à accueillir des art-thérapeutes stagiaires, le personnel est assez régulièrement renouvelé (mutations, aide-soignantes en apprentissage, élèves infirmiers...), et malgré le fait d'être à Tours, qui est la ville qui a vu naître l'école d'art-thérapie via l'A.F.R.A.T.A.P.E.M. il y a plus de trente ans, l'art-thérapeute est perçu comme un drôle de personnage au regard des autres intervenants. Ce qui revient souvent est l'amalgame que l'on fait avec l'animateur. << En fait tu fais des animations, mais que dans l'Art >>, avait supposé une aide-soignante. D'autres y associent le domaine de la psychothérapie et de la psychanalyse, notamment dans l'interprétation des oeuvres Ce n'est nullement un reproche en soi, mais l'école d'art-thérapie de Tours n'enseigne pas la discipline sous cette forme. Il faut donc expliquer avec simplicité et précision notre enseignement, notre rôle, et les enjeux de notre intervention au sein de la structure. Ce qui pose également problème est la taille de la structure, qui accueille plus de 150 salariés ; il faut donc consacrer un temps considérable dans notre présentation et dans l'investissement au sein de l'équipe. Et malgré cela, l'art-thérapeute est souvent retenu dans les mémoires comme un animateur qui fait des ateliers d'art. Pourquoi ?

Cela peut s'expliquer du point de vue des résidents. La discipline étant jeune, parler d'art-thérapie est un concept totalement nouveau, sinon loufoque, qu'ils doivent assimiler, et ce n'est pas toujours facile. L'équipe de soins, mais aussi parfois l'art-thérapeute stagiaire, a dû (ré)expliquer sa profession en tant que << variante de l'animatrice spécialisée dans les

techniques artistiques », ce qui après réflexion, n'est pas tellement simple à comprendre non plus. Trouver les bons mots s'est révélé être plus difficile que prévu, surtout pour cette population. Et il est important, dans une structure aussi vaste, de se positionner avec clarté au sein de l'équipe pluridisciplinaire, au risque sinon d'être perçu comme un simple stagiaire qui est venu là plus pour apprendre qu'apporter à l'établissement.

Un autre événement est venu « épaissir le brouillard » autour du statut de l'artthérapeute : la création d'un poste d'art-thérapeute au sein de l'U.C.C. (Unité Cognitive et Comportementale) qui va ouvrir ses portes en octobre prochain. L'équipe soignante ne comprenait pas l'intérêt de ce poste dans cette unité d'accueil de jour de personnes âgées démentes et/ou désorientées. Cela a été une occasion intéressante d'en discuter avec l'équipe ; mais malgré tout, affilier l'art-thérapeute à la catégorie des soins paramédicaux et lui reconnaître un intérêt original et complémentaire dans le programme de soins des patients sont des idées qui ont du mal à prendre racine vis-à-vis de certains soignants. Mais le « défi » n'en a que plus d'importance ; la création de ce poste est, en plus d'être une avancée considérable dans le milieu hospitalier public, une aubaine pour l'art-thérapeute de montrer que ses compétences peuvent avoir une place respectueuse parmi les autres professions médicales et paramédicales.

2) Le bagage de l'apprenti art-thérapeute pourrait comprendre de nouveaux impératifs pour prétendre à suivre la formation.

Le point dont nous allons discuter maintenant ne cherche nullement à reprocher les conditions d'admission actuelles, mais à en proposer des supplémentaires, notamment en ce qui concerne les connaissances générale en psychologie, ainsi que du parcours professionnel réalisé dans des structures médicosociales ou humanitaires.

L'art-thérapeute établit un cadre relationnel particulier avec le patient, une relation bien différente de celle qu'on établit entre deux membres d'une même famille, ou de deux amis. Même si nous connaissons plus ou moins le principe de distance professionnelle, le thérapeute qui n'a pas d'expérience professionnelle préalable dans la gestion de cette relation, ou qui ne dispose pas de connaissances théoriques en psychologie générale suffisantes, peut être amené à être intimidé par ladite relation, et commettre des maladresses qui l'abîmeraient. Cela ne doit pas être considéré selon l'âge de l'apprenti, car nous avons tous des parcours différents ; un jeune apprenti tout droit sorti de l'école des Beaux-Arts pourrait se retrouver tout aussi embarrassé qu'un sénior qui a travaillé jusqu'à présent comme fonctionnaire dans les bureaux d'une entreprise de création de logiciels informatiques et qui a appris la peinture et la guitare en autodidacte. L'exemple est bien sûr caricatural, mais il montre que l'âge et le parcours de la personne ne sont pas toujours à mettre en corrélation, et qu'il serait certainement profitable à tous (et même au patient) d'avoir bénéficié d'une certaine expérience relationnelle dans le cadre thérapeutique, ou bien de bénéficier de cours approfondis sur le sujet durant la formation pré-universitaire. Comprendre l'autre, ses réactions, ses comportements, ses défenses, ses faiblesses, ses pensées, n'est pas simple.

Cela est bien entendu à considérer comme un questionnement, car il n'a guère fait l'objet d'une étude empirique personnelle.

3) Le schéma de la sphère opératoire pourrait être présenté comme un préambule à l'assimilation du schéma de l'opération artistique.

Légende

1 = Accident spatio-temporel

2 = Rayonnement

3 = Captation sensorielle

4 = Traitement mental

5 = Élan corporel

6 = Technique

7 = Production

8 = Traitement mondain

1' = Nouvel accident spatio-temporel

Monde extérieur = Ce qui est visible par tous, hors du cadre de l'activité artistique.

Monde intérieur = Ce qui s'opère à l'intérieur de l'artiste.

Impression = Arrivée d'informations du monde extérieur vers le monde intérieur.

Expression = Arrivée d'informations du monde intérieur vers le monde extérieur.

L'opération artistique est un schéma fondamental de l'enseignement de l'école d'artthérapie de Tours. Il nous permet de comprendre les mécanismes mis en oeuvre dans l'activité artistique d'un individu. Nous allons présenter ici un bref rappel de ses composantes : La première étape de l'opération artistique est la présence d'un accident spatio-temporel [1], c'est autrement dit une chose hic et nunc, dont la seule propriété qui nous intéresse est d'exister en cet instant et ce lieu précis. Il peut s'agir de quelqu'un ou d'un objet, un son... peu importe sa nature. Cet accident spatio-temporel va rayonner [2] dans le monde qui l'entoure, et va parvenir jusqu'à nous, à travers notre captation sensorielle [3], devenant ainsi l'objet de notre attention. L'information captée par nos sens arrive jusqu'au cerveau, où celui-ci va décrypter l'information [4], l'assimiler et/ou la reconnaître. Le cerveau prend ensuite une décision, traduite par un signal moteur [5]. Cet élan moteur va ensuite s'organiser d'une façon précise et cohérente [6], de sorte à produire le plus fidèlement possible ce qui correspond à notre idée [7]. Une fois l'oeuvre produite, pour être reconnue en tant que telle, elle doit être soumise au jugement d'autrui, du monde extérieur [8]. L'oeuvre d'art ainsi reconnue peut donc prétendre à exister en elle-même, par elle-même, et pour elle-même [1'], ce qui caractérise l'accident

spatio-temporel qu'elle est susceptible de devenir pour quelqu'un d'autre, l'opération pouvant se répéter ainsi à l'infini.

Illustrons cela avec un exemple pratique : prenons la technique de la danse (accompagnée de musique). L'accident spatio-temporel est caractérisé par la musique qui est en train d'être jouée. Le bruit se diffuse et parvient jusqu'aux capteurs sensoriels du danseur, qui reconnaît le bruit en tant que musique, et qui va lui donner envie de se mouvoir. Mais le mouvement ne sera ni hasardeux ni chaotique, il doit répondre à un savoir-faire précis qui permet de donner une gestuelle harmonieuse au corps du danseur. La production se traduit alors par la chorégraphie qu'il a réalisé en suivant la musique. La mise en place d'un spectacle de danse sera le moyen de présenter aux autres son travail. Ainsi apprécié, cette danse pourra très bien devenir l'accident spatio-temporel d'un autre danseur, d'un musicien, etc.

0 = Stimulus originel

A = Traitement sensoriel

B = Traitement cognitif

C = Traitement moteur

D = Production concrète 1 = Production identifiée

: Rayonnement sensible : Sphère individuelle

: Sphère sociale

Segments noirs : Interconnexions des mécanismes Segments rouges : Interactions entre l'individu et l'extérieur

Légende

Le schéma de la sphère opératoire que nous proposons au sein de ce mémoire reprend les grandes lignes de l'opération artistique ; son but n'est pas de proposer une alternative qui pourrait la remplacer, mais de servir d'introduction générale à la compréhension des mécanismes mis en jeu dans la perception et la manifestation d'un phénomène général chez l'être humain. Nous allons expliquer ce schéma comme nous l'avons fait avec l'opération artistique.

Au point de départ, nous avons un stimulus* [0] dont la propagation potentielle atteint les capteurs sensoriels de l'individu [A], qui vont véhiculer le signal transformé en impulsion électrique jusqu'au cerveau [B]. Le cerveau reçoit l'information, la décode, l'assimile et la reconnaît. Cette reconnaissance, selon la manière dont elle a été précédemment assimilée (par l'expérience), peut engendrer une réponse motrice [B] - [A], ou encore une réponse affective [B] - [A] + [C]. Poursuivons avec le traitement moteur. La réponse motrice va provoquer un effet visible [D], donc perceptible par l'extérieur [sphère individuelle - sphère sociale]. Cette perception répond aux mêmes mécanismes contenus dans la sphère individuelle, puisque nous sommes tous des êtres humains ; nous avons un ensemble de propriétés communes. Elle deviendra donc un stimulus pour l'autre, et ainsi de suite.

Jusque là, nous constatons que le déroulement est très similaire à celui que l'on retrouve dans l'opération artistique. Nous allons observer plus en détail le rôle des interconnexions et de ce qui justifie les positions des sphères et des centres de mécanismes.

La captation d'un stimulus n'aboutit pas toujours par une production concrète de l'individu. L'information traitée et reconnue par le cerveau peut engendrer un feed-back (=retour) sensoriel, ce qui donnera dans l'ordre [0] - [A] - [B] - [A] ; elle peut aussi produire une image mentale [0] - [A] - [B] - [A+B] (l'image mentale renvoie implicitement au traitement sensoriel) ; mais elle peut également provoquer une réponse affective*, ce qui donne [0] - [A] - [B] - [A+C]. À l'exception de l'image mentale, les autres réponses tendent naturellement à être potentiellement perceptibles par le monde extérieur [D]. Les segments noirs qui relient les centres de mécanismes illustrent l'interactivité de ces derniers, et sont communs à chaque individu. Les segments rouges qui mêlent chaque centre de mécanismes dans la sphère sociale sont là pour montrer que l'individu est aussi intégré dans cette sphère et qu'il contribue à l'ensemble des normes et références qui nous permettent d'identifier les phénomènes. C'est pour cela que l'empreinte du stimulus causé par l'individu [couleur rouge du 1] est encerclée par la sphère sociale [cercle bleu]. Les sphères ont une propriété interactive dans leur influence, d'où l'imbrication de la sphère individuelle dans la sphère sociale.

Tentons d'illustrer cette explication par un exemple concret quoique légèrement caricatural. Un bol de céréales et une cuillère font face à l'individu [0]. Celui-ci capte le stimulus sous une forme visuelle [A], et l'identifie comme un bol de céréales [B]. Suite à cela se déclenche une réponse de faim : la sensation et l'organisation motrice de la main qui va prendre la cuillère pour saisir les céréales et les porter à la bouche de l'individu, donc [A+C]. Mais pour que le mouvement soit jugé correct, il faut que le cerveau l'interprète ainsi, donc le [B] sera forcément impliqué durant toute la durée du mouvement moteur. Ce mouvement est accessible à la perception extérieure, mais en le prenant comme un stimulus pur et simple, ce qu'on perçoit, c'est une chose qui bouge. Pour que l'on sache qu'il s'agisse d'un homme qui est en train de manger des céréales dans un bol, les mécanismes des autres individus qui observent agissent de la même façon. « Tu es en train de manger des céréales dans un bol ». L'expression de cette phrase émise par l'individu extérieur confirme ce que le premier individu a perçu et interprété de la réalité, et sa réponse est donc cohérente. « Je suis bien en train de manger des céréales dans un bol ». Les mécanismes s'interconnectent une multitude de fois et à grande vitesse pour parvenir à ce résultat.

À travers un autre exemple sur le plan de la pathologie, nous pouvons voir qu'il nous est possible d'identifier les centres de mécanismes défaillants si la situation s'avérait conflictuelle entre les deux sphères.

Un individu est très gêné d'entendre constamment passer les trains, le bruit est insupportable, il essaie de se boucher les oreilles, mais rien n'y fait. L'ennui, c'est que cette

personne ne se trouve absolument pas à côté d'une gare ou de la moindre ligne de chemin de fer. Les autres individus qui sont avec lui n'entendent pas le bruit des trains. Par déduction, sur qui plaçons nous la vérité ? Bien entendu sur le groupe. L'individu peut alors être atteint d'une hallucination auditive [A+B car reconnaissance du bruit], ou d'acouphènes [A]. Ces deux pistes vont ensuite permettre aux médecins de mettre en place des examens adaptés ; la cause pourrait être une psychopathologie [B], ou une défaillance de l'oreille interne [A]. Cependant, nous notons que les autres centres de mécanismes se manifestent dans cette situation : l'individu tente de se boucher les oreilles [C] et exprime aux autres son inconfort [D]. Si un ou plusieurs centres de mécanismes sont altérés pour quelque raison que ce soit, il est quasi certain que les autres centres de mécanismes réagiront dans un premier temps de manière adaptée au stimulus qui provoque ce dérèglement. Ensuite l'individu, selon le problème, pourra chercher lui même la solution qui lui permettrait de retrouver l'harmonie qu'il avait avant cet événement, et de la mettre en application. Mais cela n'est pas toujours possible, et l'intervention des autres est nécessaire.

L'objectif de ce schéma n'est pas de montrer comment s'opère le phénomène artistique, nous laissons cela à l'opération artistique, qui est bien plus encline à cela. Si nous avons parlé ici de ce schéma, c'est pour l'envisager comme un moyen de « désengorger » les informations que l'on peut tirer de l'opération artistique. Car oui, il est possible d'expliquer les phénomènes généraux dans ce schéma, mais c'est dans un souci de spécialisation du contenu que nous avons pensé à la sphère opératoire. Nous avons dans l'optique que le schéma de la sphère opératoire puisse être un outil de compréhension du phénomène dans son aspect le plus basique et global, et de proposer l'opération artistique comme un outil de compréhension exclusif de l'activité artistique et du lien qu'elle entretient avec les pathologies.

Nous considérons néanmoins ce schéma comme une ébauche modeste d'une volonté de simplification du contenu du schéma de l'opération artistique, et il y a fort à parier que l'auteur de ce mémoire fera l'objet de nombreuses corrections et remaniements pour oser prétendre à un niveau de pertinence acceptable. La recherche en art-thérapie avance et de nouvelles façons de penser l'enseignement germent régulièrement. Nous devons les entendre, les travailler, les discuter, mettre à jour nos connaissances mais surtout rester humble et accepter de nous faire rediriger vers les fondements qui peuvent avoir parfois pris trop de distance par rapport à nos idées et nos façons d'opérer.

CONCLUSION

Cette expérience et ce travail de recherche ont fortement alimenté la curiosité et l'envie de renouveler le travail auprès des personnes âgées dépendantes vivant en institution. Ces personnes qui sont souvent là contre leur gré, qui ont perdu leurs repères, ce qui constituait leur identité et leur dignité, ont malgré leur fragilité, leur faiblesse et la maladie, tant de choses à partager au monde, et tant de choses à se prouver elles-mêmes. Ces hommes et ces femmes qui ont connu une vie indépendante, autonome et riche, parfois dure, violente et solitaire, mais qui ont toujours su se relever et se dépasser, se voient maintenant passer leurs journées dans un lieu qui, en dépit de la qualité croissante des soins médicaux et de confort fournis, côtoie souvent la souffrance, la mort, l'odeur des produits désinfectants et des impératifs horaires des soins ; et nous devons faire preuve du plus grand respect face au calvaire que ces personnes subissent. Les personnes âgées ont tout à nous apprendre, mais il est parfois difficile de trouver le temps de tendre l'oreille et d'écouter leurs leçons. L'artthérapie doit être vue comme une opportunité visant à transmettre une trace de leur savoir, de leur vie face au monde, de le partager, qui permettrait de se redécouvrir et de voir les autres sous un angle plus lumineux. Si l'âge amène parfois la personne a ne plus sentir la faim ou la soif, le plaisir quant à lui est une nourriture dont le délice éprouvé par chaque bouchée ne lui fera jamais perdre son appétit.

BIBLIOGRAPHIE

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Cours magistraux

RIMBAULT, C., Trajectoires de l'exclusion sociale et l'Art-Thérapie (Cours magistral). Tours. 2009.

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Bibliographie informatisée

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Webographie

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www.plan-alzheimer.gouv.fr/

ANNEXE

Annexe n°1 : Espérance de vie à la naissance et taux de mortalité infantile

Espérance de vie à la naissance et taux de mortalité infantile

 

Espérance de vie à la naissance
Hommes (en années) Femmes (en années)

Taux de mortalité
infantile (en %o )

1950

63,4

69,2

52

1960

67

73,6

27,4

1970

68,4

75,9

18,2

1980

70,2

78,4

10

1990

72,7

81

7,3

2000

75,3

82,8

4,4

2007

77,4

84,4

3,6

Champ : France métropolitaine.

Source : Insee, estimations de population et statistiques de l'état civil.

Annexe n°2 : Part des personnes de 60 ans et plus dans la population en 2005.

Champ : France métropolitaine

Source : Retraite et société 2005/2 (no 45). Editions La Doc. Française. 272 pages.

Annexe n°3 : Grille d'observation utilisée pendant le stage

FICHE D'OBSERVATION
(outil propre à l'art-thérapeute)

A) Observations et informations essentielles du « pré-séance »

Informations générales Identité du sujet :

Date et numéro de séance :

Durée estimée de la séance :

Durée effective de la séance :

Lieu de la séance : Objectif principal : Objectif(s) intermédiaire(s) :

Informations particulières De la part du personnel :

De la part du sujet :

De la part de l'art-thérapeute :

B) Observations et informations du « pendant-séance »

Généralités

Le choix du thème de la séance a été décidé :

- aucune décision n'a été prise

- par l'art-thérapeute, le sujet n'ayant pas manifesté de choix précis - par l'art-thérapeute, approuvé par le sujet

- par le sujet, en demandant l'avis de l'art-thérapeute

- par le sujet, de façon déterminée, sans demander l'avis de l'art-thérapeute

Le choix des outils a été décidé :

- aucune décision n'a été prise

- par l'art-thérapeute, le sujet n'ayant pas manifesté de choix précis - par l'art-thérapeute, approuvé par le sujet

- par le sujet, en demandant l'avis de l'art-thérapeute

- par le sujet, de façon déterminée, sans demander l'avis de l'art-thérapeute

Le choix du lieu de la séance a été décidé : - aucune décision n'a été prise

- par l'art-thérapeute, le sujet n'ayant pas manifesté de choix précis

- par l'art-thérapeute, approuvé par le sujet

- par le sujet, en demandant l'avis de l'art-thérapeute

- par le sujet, de façon déterminée, sans demander l'avis de l'art-thérapeute

Items

Relatifs à l'expression verbale

Le ton de la voix est globalement :

agressif

triste

hésitant

doux

chaleureux

La fréquence du discours du sujet peut être qualifiée de :

inexistante

peu fréquente

« en dents de scie »

assez fréquente

très fréquente

La nature du discours du sujet se compose principalement de :

refus

plaintes

hésitations

questions

affirmations

La netteté du discours du sujet peut être qualifiée de :

inexistante

incompréhensible

peu compréhensible

assez compréhensible

compréhensible

La cohérence du discours du sujet peut être qualifiée de :

inexistante

incohérente

peu cohérente

assez cohérente

très cohérente

La durée du discours du sujet est globalement :

inexistante

très brève

brève

longue

très longue

Notes particulières de l'art-thérapeute :

Relatifs à l'expression non-verbale

La nature des gestes est globalement composée de :

inexistant

violence

hésitations

douceur

application

La fréquence des gestes peut etre qualifiée de :

inexistante

peu fréquente

« en dents de scie »

assez fréquente

très fréquente

La cohérence des gestes peut etre qualifiée de :

inexistante

incohérente

peu cohérente

assez cohérente

très cohérente

L'autonomie de la gestuelle peut etre qualifiée de :

inexistante

obligatoirement guidée par l'art-thérapeute

souvent guidée par l'art-thérapeute

peu guidée par l'art-thérapeute

indépendante et autonome

Notes particulières de l'art-thérapeute :

Relatifs à la communication

La communication s'effectue dans un climat :

désintéressé

tendu

neutre

poli

chaleureux

Les échanges sont globalement composés de :

inexistant

ordres

interrogations

propositions

affirmations

La nature des échanges peut etre qualifiée de :

inexistante

verbale ou tactile ou oculo-motrice ou émotionnelle

deux des quatre critères cités ci-dessus

trois des quatre critères cités ci-dessus

verbale,tactile,oculo-motrice et émotionnelle

Le sujet est « relancé » par l'art-thérapeute de manière :

très fréquente

assez fréquente

peu fréquente

rare

inexistante

Notes particulières de l'art-thérapeute :

Relatifs à la relation

La nature de la relation entre le sujet et l'art-thérapeute peut etre qualifiée de :

inexistante

fusionnelle

empathique

amicale

privilégiée

L'implication relationnelle du sujet vis-à-vis de l'activité peut etre qualifiée de :

inexistante

réticente

réservée

manifeste

enthousiaste

L'intention du sujet vis-à-vis de l'activité peut etre qualifiée de :

désintéressée

faire plaisir à l'art-thérapeute

prudente

intéressée

enthousiaste

Le plaisir éprouvé par le sujet vis-à-vis de l'activité peut etre qualifié de :

inexistant

indétectable

léger

manifeste

éclatant

Notes particulières de l'art-thérapeute :

C) Observations et informations du « post-séance » Analyse et évaluation de la séance

Les objectifs ont-ils été atteints ?

Phénomènes associés rencontrés :

Sites d'action rencontrés :

Cibles thérapeutiques définies :

Stratégies employées :

Notes particulières de l'art-thérapeute :

Bilan de séance

UNIVERSITÉ FRANÇOIS RABELAIS
UFR DE MÉDECINE - TOURS
&
AFRATAPEM

Association Française de Recherche & Applications des
Techniques Artistiques en Pédagogie et Médecine

Mémoire de fin d'études du Diplôme Universitaire
d'Art-thérapie

De la Faculté de Médecine de TOURS

Soutenu le : 2010

Par : NOËL Marie

Titre : Expérience d'art-thérapie aux dominantes écriture et arts-plastiques auprès de la personne âgée dépendante souffrant d'exclusion sociale.

Résumé : Ce travail de recherche a pour objectif de tester l'efficacité de la prise en charge artthérapeutique auprès de personnes âgées dépendantes vivant en institution et souffrant d'exclusion sociale. Il s'agit de comprendre les motifs qui amènent le patient à être exclu ou à s'exclure, et de tenter, à travers l'usage des techniques d'écriture et d'arts-plastiques, de lui donner un nouveau souffle qui l'amènera à se voir non comme une personne dépendante des autres, mais comme quelqu'un toujours digne et capable d'apporter et de partager son énergie avec la collectivité.

Mots-clés : art-thérapie, exclusion sociale, personne âgée, écriture, arts-plastiques.

Summary : This research work aims to test the efficiency of an art-therapeutic care with old dependent people who are living in medical institution, and suffering from social exclusion. We must understand the reasons which bring the patient to be excluded or excluding himself, and try to give him a new breath, by using artistic techniques, which will make him discover himself not as a dependent person, but as someone still able and worthy of giving and sharing his energy with the community.






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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus