WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Enseignant. E. S. et animateur. E. S face à  la socialisation genrée des jeunes

( Télécharger le fichier original )
par Noémie Lequet
Université Bordeaux 2 Segalen - Master sociologie : ingénierie et intervention sociales 2012
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

    E nseignant.e.s et animateur .e.s

    face a la socialisation genrée

    des jeunes

    Mémoire de master 2, parcours « Ingénierie et intervention sociales »,
    Dans le cadre d'un stage au service du Développement Social Urbain à la mairie de Bordeaux
    Par Noémie Lequet
    Sous la direction d'Agnès Villechaise
    Juin 2012

    Illustration : Aurélien Moser

    Remerciements

    Je tiens à remercier l'ensemble des professionnel.le.s qui m'ont accordé de leur temps, et sans qui ce travail aurait été amputé de ses précieux témoignages.

    Merci à Yves Raibaud qui a su se rendre disponible pour me recevoir et me conseiller.

    Je remercie également Agnès Villechaise, directrice de recherche, et Eléonore Bécat, directrice de stage, qui m'ont accompagné et guidé chaque fois que le besoin s'en faisait sentir.

    Une pensée toute particulière à mes proches m'ayant soutenue, relue et conseillée.

    TABLE DES MATIERES

    INTRODUCTION 5

    La commande de la mairie de Bordeaux 5

    Problématique et hypothèses 6

    PARTIE 1 - CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE 8

    I-

     

    Cadre théorique : les « gender studies »

    9

     

    1-

    Le genre : concept issu des luttes féministes

    9

     

    2-

    La socialisation de genre

    11

     

    3-

    Un modèle hétéronormatif

    12

    II-

     

    Description de la méthode et du panel

    13

     

    1-

    Cadre méthodologique

    13

     
     

    Une méthode qualitative

    13

     
     

    Les territoires d'étude

    14

     

    2-

    Description du panel des enquêtés

    15

    PARTIE 2 - PRESENTATION ET ANALYSE DES RESULTATS 17

    I-

     

    L'organisation des structures : mettre en place et gérer la mixité

    18

     

    1-

    Mettre en place la mixité

    18

     
     

    Chantecler et l'espace Lagrange : une organisation genrée non problématisée

    18

     
     

    Les centres sociaux du quartier Bastide : une prise de conscience in-extremis

    21

     

    2-

    Gérer la mixité

    25

     
     
     

    L'école et les lieux de loisirs : des espaces genrés

    25

     
     

    La mixité scolaire de fait : pour ou contre

    27

     
     

    Prévenir et réagir aux situations de sexisme et d'homophobie

    28

    II-

     

    Les représentations genrées des professionnel.le.s

    33

     

    1-

    Une non-sensibilisation au genre

    33

     
     

    Le genre absent des formations initiales

    33

     
     

    Une sensibilisation tardive mal répartie sur le territoire

    36

     

    2-

    Leurs regards sur les jeunes

    38

     
     

    Des différences garçons / filles observables

    38

     
     

    Des relations plus ou moins tendues

    40

     
     

    Un discours sur les représentations des jeunes

    41

     
     

    Le sexisme, l'homophobie : ailleurs, mais pas ici

    43

     
     

    De l'importance de la variable adolescence

    45

     
     

    La pression du groupe à la conformité

    47

     

    3-

    Les représentations de genre : des regards sur l'homme et la femme

    48

     
     

    La répartition des rôles et des tâches : des différences complémentaires

    48

     
     

    Une essentialisation des différences de sexe et de genre

    51

     
     

    L'inné et l'acquis

    52

     
     

    Des valeurs changeantes

    54

     
     
     

    3

    Images de la féminité et de la virilité 55

    Pouvoir et soumission : des sensibilités différentes 58

    Hétéronormativité, homosexualité, homoparentalité 62

    III- Des institutions génératrices de différenciation 64

    1- Produire des hommes et des femmes 65

    2- Sexisme et homophobie 66

    3- Un destin sexué 67

    PARTIE 3 - ENJEUX OPERATIONNELS ET SCIENTIFIQUES 69

    I- Enjeux pour le commanditaire : l'offre de formation 70

    1- Evaluation des participants à « Cet autre que moi » 70

    2- La formation au genre 73

    II- Enjeux scientifiques 74

    1- Intersections 74

    2- « Gender mainstreaming » 77

    CONCLUSION 79

    BIBLIOGRAPHIE 81

    ANNEXES 84

    INTRODUCTION

    Malgré les larges évolutions dans l'égalité entre hommes et femmes - en droit et dans les représentations - qui ont eu lieu au cours du dernier siècle, certaines inégalités existent toujours (salaires, accès au monde politique, accès à certains métiers...), et beaucoup de stéréotypes sont encore présents (sexisme, homophobie...).

    Cette persistance interroge dans le sens où l'égalité de traitement est généralement prônée par une large majorité des individus. Si, finalement, les inégalités persistent « malgré nous », c'est peut-être qu'elles se reproduisent par le biais de ce que l'on peut appeler la socialisation genrée.

    Ainsi, ce travail propose de s'intéresser à la reproduction des inégalités de genre chez les jeunes adolescents dans les espaces de socialisation en groupe que sont l'école et les loisirs organisés en périphérie de l'école. Ils ont en effet reçu une socialisation primaire au sein de leur famille, qui s'articule avec cette socialisation secondaire. Si la famille est hors d'atteinte pour les pouvoirs publics, l'école et les lieux de loisirs peuvent être considérés comme une cible privilégiée de la mise en place de politiques publiques visant à lutter contre le sexisme et l'homophobie.

    Comment sont organisées les structures d'accueil ? Quelles représentations de genre ont les professionnels travaillant auprès des jeunes ? En quoi cela peut-il avoir un effet sur la socialisation des jeunes ? Comment adapter l'offre de formation afin d'éviter le sexisme et l'homophobie ?

    La commande de la mairie de Bordeaux

    Le service du Développement Social Urbain de la mairie de Bordeaux a proposé depuis quelques années des formations sur la thématique du genre pour les enseignants et/ou les professionnels de l'animation socioculturelle, et ce principalement dans les quartiers considérés comme particulièrement sensibles à cette question. Le but de ces formations est de lutter contre le sexisme et l'homophobie chez les jeunes et les adultes qu'ils seront.

    Il s'agissait donc pour le commanditaire à la fois d'évaluer l'impact que peut avoir ce

    genre de formation sur les professionnels, mais aussi de comprendre l'expérience que ceux-ci peuvent avoir du terrain - ou des terrains. En effet, bien que certains quartiers aient été ciblés lors des formations qui ont eu lieu précédemment, il s'agissait également dans cette étude de comparer les expériences des professionnels de deux territoires très différents de la ville de Bordeaux : un quartier dit « sensible » ayant fait l'objet de plusieurs politiques de sensibilisation et un quartier de centre ville favorisé ; le but in fine étant d'adapter et d'étendre l'offre de formation afin de luter contre le sexisme et l'homophobie sur l'ensemble de l'agglomération, en évitant la stigmatisation de certains quartiers.

    Problématique et hypothèses

    · Problématique

    Dans quelle mesure une sensibilisation des professionnels de l'école et des lieux de loisirs aux thématiques du genre peut-elle éviter la reproduction du sexisme et de l'homophobie ?

    · Hypothèses

    H1 : Le sexisme et l'homophobie sont les conséquences de la reproduction des schémas hétéronormatifs à travers la socialisation de genre.

    H2 : L'organisation des structures d'accueil, des enseignements et des activités participe à cette socialisation genrée.

    H3 : La faible sensibilisation à cette thématique et les représentations que peuvent avoir les profesionnel.le.s de l'école et des loisirs encouragent cette reproduction.

    H4 : Former les professionnel.le.s sur les thèmes du genre, de la mixité, et de leur gestion est un moyen de lutter contre le sexisme et l'homophobie.

    Ce rapport est divisé en trois parties. Le cadre théorique et méthodologique sera d'abord donné, afin de placer la présente étude et le lecteur au coeur des réflexions et du

    travail de terrain qui ont permis l'analyse.

    Les résultats seront ensuite présentés et analysés. L'intérêt se portera sur l'organisation des structures étudiées, sur les diverses formations qu'ont pu recevoir les professionnel.le.s rencontré.e.s, sur leurs visions des relations de genre chez les jeunes et dans la société en général afin de déterminer s'ils peuvent être les vecteurs d'une reproduction de la socialisation genrée.

    Enfin, les enjeux opérationnels d'adaptation de l'offre de formation pour la mairie de Bordeaux seront discutés, ainsi que les enjeux scientifiques que ce travail soulève.

    PARTIE 1 - CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE

    « La méthode, c'est le chemin, une fois qu'on l'a parcouru. »

    Marcel Granet

    I- Cadre théorique : les « gender studies »

    Cette étude s'appuie et s'inspire fortement des théories et des réflexions nées des études sur le genre. Il est donc apparu nécessaire d'en donner ici les contours.

    Thomas Laqueur, dans La fabrique du sexe (Bereni et al., 2008), distingue deux formes de patriarcat1. Le patriarcat pré-moderne, ou cosmologique, pour lequel il n'y a qu'un seul sexe, les différences génitales observées seraient alors dues au fait que ce que certains ont dehors, d'autres l'ont dedans. Il s'agit donc plutôt d'un continuum. Le genre définissant alors le sexe, il s'agit de maintenir l'économie de distinction entre les genres.

    La modernité occidentale apporte une rupture avec ce patriarcat cosmologique prémoderne. En effet, les scientifiques inventent la rupture entre nature et culture. La différence entre les sexes s'explique désormais par la science et devient incontestable. Avec cette naturalisation, le sexe devient central puisqu'il fait le genre. Comme le souligne Françoise Héritier, cette binarité essentialisée est hiérarchisée. « Dans le monde entier, les systèmes conceptuels et les systèmes langagiers sont fondés sur ces oppositions binaires, qui opposent des caractères concrets ou abstraits et qui sont marquées toujours du sceau du masculin ou du féminin [...] : chaud/froid, lourd/léger, dur/mou, actif/passif, rapide/lent, fort/faible, [...] rationnel/irrationnel, transcendant/immanent ou même culture/nature... » (Héritier, 2002). C'est avec la volonté de lutter contre cette hiérarchisation que les féministes vont développer le concept de genre.

    1- Le genre : concept issu des luttes féministes

    Le terme de genre est né de la volonté de distinguer le social du biologique, de rendre compte de l'idée de construit social. En effet, les premières études sur le genre entre les années 1930 et 1970 ont développé cette théorie afin que « le "genre" [soit] distingué de la notion commune de "sexe" pour désigner les différences sociales entre hommes et femmes qui n'étaient pas directement liées à la biologie » (Bereni et al., 2008). Il s'agissait donc d'un processus de dénaturalisation des différences. Ainsi, les comportements typiques de l'homme et de la femme deviennent le résultat d'un construit social. L'anthropologue Margaret Mead

    1 « Système de subordination des femmes qui consacre la domination du père sur les membres de la famille » (Bereni et al., 2008)

    montre que dans certaines sociétés océaniennes, les qualités considérées comme naturelles chez l'homme et chez la femme peuvent être très différentes de celles que nous y associons en occident (Mead, 1963). Simone de Beauvoir clame que l' « on ne nait pas femme, on le devient ».

    Cette articulation entre sexe et genre sera ensuite critiquée. Ainsi, dans les années 1990, Judith Butler soulignera que cette conception du rapport entre sexe et genre contribue à renforcer l'apparente naturalité de la division mâle/femelle, en confirmant la binarité naturelle du sexe. Dans la même idée, pour l'historien américain Thomas Laqueur, « non seulement le genre - sexe social - n'est pas déterminé par le sexe, mais le sexe lui-même n'est plus appréhendé comme une réalité naturelle » (Bereni et al., 2008). Il y a donc remise en question d'une base naturelle et biologique du sexe, et de la séparation en deux genres hiérarchisés l'accompagnant.

    Pour les féministes matérialistes2, le genre n'est pas un simple fait social, il est un rapport social dichotomisant. Ainsi, il s'agit d'analyser comment « le genre, non seulement divise l'humanité en deux groupes distincts, mais le fait en outre de manière hiérarchique » (Bereni et al., 2008). Alors, le genre n'est plus une conséquence du sexe mais le précède et le détermine. Le concept de patriarcat est central dans cette analyse, puisqu'il est la réalisation d'une domination non pas naturelle, mais matérielle d'un groupe sur un autre.

    Le post-féminisme queer3, développé par Judith Butler, cherche à déconstruire les catégories de genre, de sexe. Cependant, l'horizon n'est pas l'abolition du genre mais la multiplication des formes de genre. Cette multiplication aurait un effet subversif sortant l'individu de l'obligation d'être conforme à une norme binaire.

    2 Le féminisme matérialiste est un courant du féminisme qui s'est développé dans les années 1970. Pour les féministes matérialistes, « il n'existe pas de dominations naturelles, il n'existe que des dominations matérielles motivées qui expliquent la constitution de groupes dominants et dominés » (Bereni et al., 2008).

    3 « Terme anglais signifiant "étrange", fréquemment utilisé comme une insulte visant à stigmatiser les homosexuels ou toute autre catégorie de personne n'entrant pas dans la norme du genre. C'est par une opération de "retournement du stigmate" qu'avec ironie s'est créé un mouvement politique queer, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, revendiquant un positionnement politique contestataire. Tout en considérant les identités comme non-essentielles, ce mouvement s'affirme par une revendication identitaire stratégique visant à faire des minorités et des identités sexuelles le lieu de la contestation des normes dominantes » (Bereni et al., 2008).

    2- La socialisation de genre

    La sociologie du genre, de son côté, s'est intéressée aux processus d'intériorisation du genre par les individus. La socialisation de genre est une contrainte sur l'individu, mais aussi « le cadre dans lequel les individus sont "produits" et deviennent des "sujets" » (Bereni et al., 2008). De cette manière, le genre traverse l'ensemble de la société. Il est l'apprentissage de gestes, de réflexes, de sentiments, de manières de se tenir, d'éprouver le monde. Il est un construit social, mais pas une réalité fixe et éternelle : le genre appris aujourd'hui n'est pas le même que celui des générations précédentes. Le genre appris ici n'est pas le même qu'ailleurs.

    Le processus de socialisation de genre commence pour un individu avant même sa naissance par le biais d'actions performatives4, lorsque ses parents préparent la chambre qui va l'accueillir ou lui choisissent un nom. Il a également lieu lorsque l'enfant n'est encore qu'un bébé. Par exemple, Elena Gianini Belotti décrit les manières différentes qu'ont les mères d'allaiter leur enfant qu'il soit un garçon ou une fille ; on attendra d'un petit garçon qu'il se nourrisse goulument alors qu'on attendra d'une petite fille beaucoup plus de retenue. Ainsi, « tous les comportements de l'enfant sont, dès son plus jeune âge, "lus" et interprétés différemment selon son sexe, par les adultes » (Elena Gianini Belotti, 1974).

    Le sociologue Pierre Bourdieu étend ses concepts d'habitus, de violence symbolique et de domination au champ du genre dans La domination masculine (Bourdieu, 1998). Ainsi, il met en exergue non seulement la socialisation des femmes en tant que dominées, mais également celle des hommes en tant que dominants : « Si les femmes, soumises à un travail de socialisation qui tend à les diminuer, à les nier, font l'apprentissage des vertus négatives d'abnégation, de résignation et de silence, les hommes sont aussi prisonniers, et sournoisement victimes, de la représentation dominante. Comme les dispositions à la soumission, celles qui portent à revendiquer et à exercer la domination ne sont pas inscrites dans une nature et elles doivent être construites par un long travail de socialisation, c'est-àdire, comme on l'a vu de différenciation active par rapport au sexe opposé » (Bourdieu, 1998). Cependant, et c'est ce qui fait la force de reproduction de ce système de domination, « le propre des dominants est d'être en mesure de faire reconnaître leur manière d'être

    4 Performance de genre : L'établissement d'une exécution de performance « obligatoire » de la féminité et la masculinité produiraient la fiction imaginaire d'un genre « naturel » aussi bien que la distinction entre le sexe extérieur et biologique et le « genre intérieur ».

    particulière comme universelle » (Bourdieu, 1998).

    Dans L'arrangement des sexes, Erving Goffman prend un positionnement de situationnisme méthodologique afin de rendre compte de diverses situations dans lesquelles les performances de genre sont à l'oeuvre. Il s'agit des « matériaux utilisés dans les situations sociales de la vie quotidienne pour signifier le genre, pour mettre en scène le féminin et le masculin ainsi que leurs relations structurelles » (Goffman, 1977). Ainsi, une police de genre se met en place, pour stigmatiser comme déviants ceux qui ne performent pas leur genre conformément à leur sexe.

    3- Un modèle hétéronormatif

    De là, nait un modèle hétéronormé et hétéronormatif. Le sexisme transforme une différence physiologique en une hiérarchie sociale et culturelle. Mais aussi, la sexualité devient l'objet de préoccupations. La société moderne occidentale a créé les catégories d'hétérosexualité et d'homosexualité. Dans ce modèle, l'homosexualité est perçue comme une déviance de genre. En effet, « l' "orientation sexuelle" moderne ne dépend pas entièrement des pratiques : elle est considérée comme une disposition intérieure qui n'a pas besoin de se réaliser pour "exister" » (Bereni et al., 2008). Le genre en arrive alors à être lié à la sexualité, comme si ne pas se plier à la police de genre était révélateur d'une sexualité considérée comme déviante.

    En ce sens, la féminité et la masculinité (ou le virilisme5) apparaissent comme les vecteurs de la persistance du sexisme. Ils sont liés à la norme hétérosexuelle en ce que « les rapports de domination des hommes sur les femmes sont d'abord structurés dans des rapports de domination entre hommes, reposant sur l'hétérosexisme et l'homophobie » (Welzer-Lang, 2010). Finalement, si pour performer leur genre, les femmes doivent apprendre à être dociles, et les hommes à dominer (les femmes, et les hommes moins virils), il n'y a pas de voie de sortie du schéma hétérosexiste sans remise en cause des stéréotypes de genre. Ainsi, le virilisme, le sexisme et l'homophobie qui découlent de ce système hétéronormatif « ne seraient pas les conséquences d'une condition masculine naturelle mais des construits sociaux, encouragés implicitement par la communauté éducative afin de fabriquer des "vrais" garçons » (Ayral et Raibaud, 2009).

    5 « L'exacerbation des attitudes, représentations et pratiques viriles » (Welzer-Lang, 2004)

    II- Description de la méthode et du panel

    1- Cadre méthodologique

    Une méthode qualitative

    La méthode choisie pour cette étude est principalement d'ordre qualitative. En effet, elle s'appuie sur des entretiens semi-directifs menés auprès de professionnels de l'école et des lieux de loisir. Ces entretiens visaient à aborder quatre thèmes principaux avec les personnes interrogées6. Il s'agissait, dans un premier temps, de comprendre l'histoire professionnelle et le parcours de formation initiale des interviewé.e.s ; puis d'accéder à leur expérience des rapports de genre chez les jeunes qu'ils.elles côtoient au quotidien ; de tenter avec eux.elles une évaluation des différentes formations auxquelles ils.elles ont pu participer ; et enfin de recueillir leurs représentations de genre dans une perspective plus large.

    Il faut bien sûr noter que la méthode des entretiens présente un certain nombre de biais, notamment du fait que l'on interroge directement la personne sur ses propres agissements et choix. En effet, l'échange lors de l'entretien formel est basé sur les souvenirs et l'analyse de son propre vécu. Or, on sait que la mémoire présente un risque de reconstruction a posteriori. Ainsi, il faut prendre en compte les logiques et les processus dans lesquels les acteurs peuvent être pris. De même, on peut se demander dans quelle mesure le chercheur doit faire confiance au discours produit par l'acteur. La connaissance de ces biais, loin d'empêcher l'analyse, doit rester présente tout au long de cette dernière afin de les éviter au maximum.

    De la même manière, les caractéristiques du chercheur qui prend place face à la personne enquêtée peuvent entraîner des biais quand au discours que ce dernier produit. Particulièrement lorsqu'on aborde le sujet du genre, le fait que la chercheure ait été une femme a pu induire des formes de discours de la part des personnes interrogées, une forme de connivence avec les femmes parfois, une position défensive de la part des hommes, quelques fois. Comprendre ces mécanismes lors de l'entretien pour les éviter, puis après, dans le but de les analyser, est alors nécessaire.

    6 Voir le guide en annexe 2.

    Cette étude s'est également appuyée sur une méthode de sociologie visuelle, associée aux entretiens. En effet, afin d'accéder aux représentations des personnes interrogées, il leur a été présenté des photographies permettant d'aborder certains sujets d'une manière plus fluide. Ces supports photographiques sont reproduits en annexe 3.

    D'autres outils sociologiques ont également été utilisés pour cette étude, que l'on pourrait regrouper dans une méthodologie d'observation. En effet, la participation à la formation « Cet autre que moi »7 a permis d'observer les professionnel.le.s de l'école et des loisirs organisés en périphérie de l'école lors de temps de réflexion. Venant de différentes structures, ayant des postes très divers, mais appartenant au même quartier, ces professionnel.le.s y ont échangé leurs opinions, leurs cultures professionnelles, leurs avis et différends. De plus, bien que les jeunes n'aient pas été interrogés dans cette étude puisque la volonté était de mettre l'accent sur l'expérience et les représentations des professionnel.le.s, ils sont tout de même présents à travers diverses occasions d'observation. En effet, ayant suivi la formation « Cet autre que moi », il a été possible d'intervenir au sein de la campagne ayant lieu sur le collège Edouard Vaillant de Bordeaux, et donc d'assister aux réactions et à l'expression du discours des jeunes. Le fait que la chercheure travaille depuis plusieurs années en tant qu'assistante d'éducation dans un des collèges enquêtés du quartier Bastide, puis dans un lycée professionnel de l'agglomération bordelaise a également pu être un vecteur de questionnements et d'observation des jeunes en situation.

    Les territoires d'étude

    Le quartier de la Bastide est un quartier traditionnellement populaire et ouvrier, ainsi décrit par le collectif Victoire (Victoire et al., 2007) : « [...] la rive droite de la ville devient une enclave ouvrière que, longtemps, les "vrais" bordelais tiendront pour un peu étrangère à la cité. Ainsi, le fleuve tracera durablement une frontière sociale séparant la ville bourgeoise de la "plèbe" ouvrière [...] ». Depuis peu, le tramway relie les deux rives et redynamise l'artère centrale de la rive droite, mais celle-ci reste encore marquée socialement.

    On peut découper ce quartier en deux zones8, une première s'étendant du long des

    7 Formation au support « Cet autre que moi » de l'association « Je, tu il... », proposée conjointement par la mairie de Bordeaux et l'association Remue-Méninges de Bègles. Elle s'est déroulée en trois séances à l'Athénée municipal de Bordeaux, réparties sur les mois de novembre et décembre 2011.

    8 Voir carte des zones en annexe 1.

    quais de Queyries à l'Eglise Sainte-Marie de la Bastide, que l'on appellera Bastide-Queyries, et une seconde plus à l'intérieur des terres, décrivant un cercle autour du quartier d'habitat social de la Benauge (Bastide-Benauge). Quatre structures ont été enquêtées sur ce quartier. Dans la zone Bastide-Queyries, des entretiens ont été menés au collège Léonard Lenoir et au centre social Queyries. De la même manière, à Bastide-Benauge, le collège Jacques Ellul et le centre social Benauge ont été enquêtés. Ces quatre structures travaillent toutes plus ou moins en partenariat. Les deux collèges sont classés établissements de ZEP. Un entretien a également été mené au sein du lycée professionnel accueillant des élèves du quartier dans une classe de troisième d'insertion professionnelle.

    Le quartier du Jardin Public est un quartier de centre ville aisé, dans la continuité de ce que l'on appelle le Triangle d'Or (Place Gambetta - Allées de Tourny - Grand Théâtre), regroupant historiquement les familles de la bourgeoisie bordelaise. Même si aujourd'hui, il ne s'agit plus de la bourgeoisie marchande qu'à connu Bordeaux autrefois, ce quartier accueille « une classe administrative et politique, un monde composite d'élus, d'entrepreneurs, de fonctionnaires et de professionnels de la médecine et de l'Université » (E. Victoire, 2007).

    Deux structures ont été enquêtées pour ce quartier, le collège Cassignol, établissement favorisé et demandé (la carte scolaire apparait en première page de leur site internet) et la maison de quartier Chantecler, se divisant en plusieurs pôles (le pôle centre de loisir et sports dans les locaux de la maison de quartier, et le pôle culturel à l'Espace Lagrange, bâtiment neuf se trouvant à quelques centaines de mètres de la maison mère). Nous n'avons pas pu y trouver de centre social, sans doute du fait du caractère favorisé de ce quartier.

    2- Description du panel des enquêtés

    Les professionnels interrogés pour cette étude sont répartis équitablement entre trois critères : le quartier (Bastide ou Jardin Public), le secteur « d'activité » (scolaire ou loisir), et le sexe. En effet, malgré une présence majoritaire des femmes dans ces métiers (Djaoui et Large, 2007), il a été décidé d'interroger un même nombre d'hommes et de femmes, afin que les deux points de vue puissent être présents, l'expérience des unes des autres étant tout aussi nécessaire à comprendre. En d'autres termes, 10 professionnels ont été rencontrés sur la Bastide, et 10 sur Jardin Public ; 10 hommes et 10 femmes ; 10 professionnels du secteur

    éducatif, et 10 professionnels de l'animation ; pour un total de 20 entretiens.

    La grande majorité des professionnel.le.s du quartier Bastide ont été rencontré.e.s par le biais de la formation proposée par la mairie de Bordeaux au support « Cet autre que moi ». A la fin de la formation, il leur a été proposé de contribuer à une étude sur leurs expériences des relations de genre. Les professionnel.le.s du quartier Jardin Public, n'étant pas concernés par une formation sur ce thème, ont été plus difficiles à contacter. Au sein du collège Cassignol, une rencontre avec la CPE parrainée par la mairie a pu être à l'origine d'un envoi groupé de mails expliquant le contenu de l'étude à l'ensemble de l'équipe éducative. Deux enseignant.e.s ont alors répondu à cet appel. Les trois autres enseignant.e.s ont accepté l'entretien après qu'une note ait été déposée dans leur casier reprenant le contenu du premier mail. Le contact avec les professionnel.le.s de la maison de quartier Chantecler a été pris par prospection téléphonique au départ, puis par le biais des premier.e.s enquêté.e.s.

    Les entretiens avec les professionnel.le.s ont été menés sur leur lieu de travail. Il est donc parfois arrivé que certaines contraintes interfèrent avec le déroulement de la discussion. D'une part, une contrainte de temps est apparue. En effet, pour les enseignant.e.s, les rendezvous ont été essentiellement pris entre deux heures de cours. De la même manière, les animateur.e.s socioculturel.le.s ont la plupart du temps été rencontré.e.s avant que les jeunes n'arrivent sur la structure le matin ou à la pause méridienne. De ce fait, il était important pour la chercheure de guider peut être plus qu'il ne l'aurait fallu le déroulement de l'entretien afin que tous les thèmes puissent être traités dans le temps imparti. D'autre part, la difficulté de trouver un espace d'isolement au sein des structures a pu parfois entrainer une moins grande liberté de parole. En effet, les entretiens se sont souvent déroulés dans la salle des professeurs pour les enseignant.e.s ou dans une salle d'accueil vide de jeunes pour les animateur.e.s, entraînant pour certains une agitation faite d'allées et venues, ou même une présence permanente de collègues durant la discussion. Cependant, les entretiens ont duré en moyenne environ une heure, et ont été faits d'échanges riches et animés.

    PARTIE 2 - PRESENTATION ET ANALYSE DES RESULTATS

    « Le mystère de l'Autre se trouve résolu. L'Autre est celui que l'Un désigne comme tel. L'Un c'est celui qui a le pouvoir de distinguer, de dire qui est qui : qui est "Un", faisant partie du "Nous", et qui est "Autre" et n'en fait pas partie [...]. »

    Christine Delphy

    I- L'organisation des structures : mettre en place et gérer la mixité

    1- Mettre en place la mixité

    Si l'école est un espace de socialisation des jeunes où une mixité de fait est présente, ce n'est pas le cas pour les lieux de loisirs. En effet, avec les exemples des trois structures réparties sur les deux quartiers d'études, on peut voir que cette mixité n'est pas donnée, et que la mettre en place requiert un vrai travail de réflexion et d'action.

    Chantecler et l'espace Lagrange : une organisation genrée non problématisée

    La maison de quartier Chantecler était à l'origine séparée en de nombreux pôles, du fait d'un manque de place dans le bâtiment de la maison mère. De ce fait, le centre de loisirs et les activités sportives avaient lieu sur place, l'ensemble des autres activités étaient disséminées dans des salles plus ou moins éloignées (dojo, salle de musique, salle de danse...).

    Depuis environ trois ans, l'association a récupéré un bâtiment situé à quelques mètres de la maison de quartier, et formant un second pôle artistique, l'espace Lagrange, regroupant les activités de danse, de gymnastique, de chant et de musique. Depuis l'inauguration de ce nouvel espace, l'organisation de la structure apparait être genrée. En effet, la maison de quartier Chantecler accueille une majorité de garçons, la plupart des animateur.e.s et des entraîneur.e.s sportifs sont des hommes, à l'exception du public et du personnel encadrant l'accueil de la toute petite enfance. Le bâtiment est peint en bleu.

    « Au niveau des entraineurs sportifs, ouais, il y a beaucoup d'hommes, mais enfin, il y a quelques filles quand même, mais enfin oui, c'est une majorité d'hommes. Dans l'animation, on a une grosse sectorisation, c'est-à-dire que chez les 3-5 ans, c'est 95% d'animatrice, chez les grands, ou multi-sport, c'est l'inverse. [...] Ça fait un peu cliché, mais malgré tout, c'est ça, à la salle de gym à côté [l'Espace Lagrange], c'est presque que des filles qui animent les activités. Alors que quand c'est foot, basket, tout ça, c'est plutôt des garçons. » (J4, entraineur badminton)

    A l'inverse, l'espace Lagrange accueille une majorité de filles, et la plupart des professionnel.le.s sont des femmes, à l'exception d'un certain nombre de cours de musique

    (guitare, basse, batterie), qui apparaissent comme une enclave masculine à l'intérieur d'un espace féminin. Les murs extérieurs et les fléchages des salles à l'intérieur du bâtiment sont peints en rose fuchsia.

    « Ici, en gym et en danse, il y a plus de filles. Il y a chorale, où là, effectivement, il y a plus de filles. Bon, après, il y a plus de garçons en guitare électrique, en batterie. Il y a plus de filles en piano que de garçons. [...] Et souvent, ceux qui commencent à avoir envie de faire de la musique à plusieurs, ce sont les groupes de batterie, basse, guitare électrique. » (J1, responsable Espace Lagrange)

    « La prof de chant, c'est une femme. Il y a trois profs de guitare, il se trouve que ce sont trois hommes. Il y a deux profs de piano, une femme, un homme. Le prof de violon, c'est une femme. Le prof de saxo, c'est une femme. Le prof de batterie, c'est un homme. » (J1, responsable Espace Lagrange)

    « C'est surtout des filles les lycéennes, j'ai des hommes mais adultes. Il

    n'y a pas de jeunes hommes qui viennent. » (J5, entraineuse cardio-boxe)

    A partir du moment où elle n'est pas volontaire de la part de la structure, cette polarisation et la non-mixité qui l'accompagne ne sont pas problématisées. Elles ne sont, pour les professionnel.le.s, que le résultat de choix personnels des jeunes accueilli.e.s.

    « (Question) : Est-ce que la mixité est quelque chose de facile à mettre en place ici ? - (Elle) : Oui, puisque la question ne s'est pas posée. Après, vous allez me dire, pour les cours de danse, c'est difficile dans la mesure où c'est les garçons qui ne sont pas intéressés, ce ne sont pas les filles qui ne veulent pas qu'il y ait de garçons. - (Question) : Et en musique alors, en guitare par exemple, les filles ne veulent pas y aller ? - (Elle) : Non, c'est parce qu'elles ont envie de faire autre chose. Il y en a, des filles, hein, mais plus de garçons. Parce que leur trip, c'est quand même d'avoir un groupe de copains et de jouer entre eux. [...] La question ne se pose pas comme ça en fait, ce n'est pas exclusif. Personne n'exclue personne. » (J1, responsable Espace Lagrange)

    « Moi je travaille beaucoup avec les collégiens notamment, ils sont beaucoup dans les rapports, pas de séduction, mais ils commencent à s'amuser, à être là-dedans. Mais par contre ils ne se mélangent pas. Quand on leur demande de faire des groupes, ils font des groupes de garçons et des groupes de filles. » (J4, entraineur badminton)

    Sur le centre de loisirs, l'organisation, malgré un projet pédagogique axé sur la mixité, ne permet pas qu'elle se réalise. En effet, deux activités sont proposées aux enfants et aux jeunes chaque matin : une activité sportive et une activité de « centre de loisirs classique »

    (activités manuelles...). Le choix leur est laissé de participer à l'une ou l'autre des activités. Le fait que l'après-midi soit réservé à une activité unique où l'ensemble des jeunes se retrouvent n'enlève pas le caractère genré de l'organisation :

    « Et j'ai, on va dire, 90% de filles au centre de loisirs classique, et 90% de garçons au multi-sport [...] On est quand même sur un choix, sur une volonté, sur l'envie de l'enfant, on ne va pas forcer. Donc souvent, on se retrouve avec les garçons au sport... enfin, c'est un cliché, mais c'est souvent ça à 90 ou 95%. Mais l'après-midi, on fait une seule activité, soit une sortie, soit un grand jeu, et là ils se retrouvent. Voilà, ça c'est notre projet pédagogique, d'essayer de travailler sur la mixité. » (J4, entraineur badminton)

    Au sein de la structure, parmi les activités dont le public est majoritairement masculin, certaines ont tendance à se masculiniser de plus en plus, et d'autres, au contraire, à s'ouvrir aux filles. Ces tendances inverses semblent être liées principalement aux professionnel.le.s et à leur vision des relations entres filles et garçons et de leurs différences. Ainsi, cet entraineur sportif en football à Chantecler qui explique ne vouloir entraîner que des garçons, car il trouve les filles plus difficiles à entraîner (plus douillettes, moins performantes, réclamant plus d'attention).

    « J'ai entraîné des filles ici, aussi, mais ça ne s'est pas bien passé. Enfin, j'ai entraîné une équipe mixte, dans laquelle se trouvaient les filles et les garçons. Et, c'était difficile pour les filles. [...] On a essayé au premier trimestre, ça n'a pas tellement bien marché, parce que les garçons jouent entre eux, les filles ne sont pas bonnes. [...] J'ai pas mal de filles au collège qui me demandent si je ne veux pas faire une équipe de filles. Mais moi, entraîner des filles... C'est un peu trop féminin, ça revendique trop, il faut s'occuper d'elles... Les garçons n'ont pas besoin que l'on s'occupe d'eux. Les filles ont envie que l'entraîneur les voient, elles sont bien maquillées, elles ont de jolies robes. Mais tout le monde me demande de faire une équipe de filles, même la responsable à la mairie de Bordeaux. Il y a des demandes, mais franchement, ça ne m'intéresse pas. Ce n'est pas le même rapport. » (J7, entraineur football)

    « J'aurais bien aimé entraîner une équipe mixte, mais on passe plus de temps sur l'extra-sportif que sur le sportif. Il faut discuter, les rassurer, elles ont un manque de confiance que les garçons n'ont pas. [...] Bon, si une fille entre en classe sportive au collège, j'essaie de la supporter jusqu'à la fin de la saison ! En lui mettant un peu la pression sur le scolaire. » (J7, entraineur football)

    A l'inverse, un des professeurs de guitare de l'espace Lagrange se réjouit d'accueillir dans son cours plus de filles aujourd'hui qu'hier.

    « Suite à notre conversation, je me demandais combien j'avais de filles. Et donc, j'en ai pas mal en fait. 9. Ça veut dire que je dois avoir 40% de filles, non, 30% de filles à peu près. » (J10, professeure de guitare)

    « Mais je crois que c'est une évolution en fait, puisque j'ai de plus en plus de filles. Et je crois qu'on tend, quand même, à avoir plus d'égalité, à ce que les filles se disent qu'elles peuvent faire des trucs, autant que les garçons, et qu'il n'y a pas de problème, en fait. » (J10, professeur de guitare)

    A la maison de quartier Chantecler, on a donc à faire à une organisation genrée qui n'est pas vécue comme telle puisqu'elle n'est le fait « que » du choix d'activité des jeunes. On remarque cependant que les choix des professionnels quand à la façon dont ils entendent mener leur activité peut accentuer ou infléchir ces tendances.

    Les centres sociaux du quartier Bastide : une prise de conscience in-extremis

    Il est important ici de préciser le déroulement temporel des entretiens. En effet, ceux des animateur.e.s du centre social Bastide-Queyries se sont déroulés pendant les vacances de Noël, ceux des animateur.e.s du centre de la Benauge entre les vacances d'hiver et les vacances de printemps. Or, visiblement, des efforts pour installer la mixité ont été faits et ont porté leurs fruits durant ce laps de temps.

    Le secteur jeune du centre social de Bastide-Queyries est animé par deux animatrices. La direction du centre est occupée par une femme. Les deux animatrices ont été interrogées pour cette étude, et décrivent une polarisation genrée des centres sociaux. En effet, le centre d'animation de la Benauge est montré comme accueillant un public exclusivement masculin ; le centre Queyries comme étant moins marqué mais accueillant tout de même une majorité de filles. Elles expliquent cela à la fois par le caractère genré des équipes d'animation mais aussi par la non prise en compte de la mixité du côté Benauge.

    « Par contre, nous on est deux filles, on a beaucoup plus de public féminin. Eux, ils ont un public plus masculin, mais ce qui est logique, qu'on le veuille ou non, en tant qu'animateur, on a un certain rôle d'exemple. Du coup, forcément, quand tu es un garçon ou une fille et que tu te cherches, tu vas aller plus facilement vers une personne de ton sexe pour discuter. Donc oui, je pense que d'être deux filles sur un secteur jeune, ça implique qu'on ait un public beaucoup plus féminin. » (B7, animatrice)

    « Je me suis interrogée sur le fait d'être une équipe de filles sur un secteur jeune, plus une équipe de filles à la direction. Je me suis dit qu'on n'allait attirer que les filles. Et pas du tout. [...] Je ne sais pas si le fait d'être deux filles, on n'aurait pas une influence complètement inconsciente sur ce que l'on met en place. Il me semble que non. On essaie de s'inscrire dans des choses plutôt près du public que l'on a que spécifiquement auprès de filles ou de garçons. [...] Nous, on a de moins en moins de gamins qui viennent de manière spontanée sur de l'accueil. On a beaucoup d'inscrits sur les animations, sur les projets. Mais sur l'accueil jeune, on en a presque plus. » (B6, animatrice)

    « Là, par exemple, pour Noël, il y a le footsal à la Benauge. On sait que notre petit public habituel ne voudra pas faire un tournoi de foot. Faire du foot, ok, ce n'est pas un problème, fille ou garçon, mais un tournoi tel qu'eux le présentent là-bas, je ne pense pas. La première chose qu'on leur a demandé c'est si c'était mixte. Et personne n'a su nous répondre à la Benauge. Au final, ils nous ont dit pourquoi pas, mais sous-entendu, il n'y aura pas de filles de chez eux. Mais ce n'était pas précisé, pour moi c'était évident que ce soit mixte. » (B6, animatrice)

    Les discours de deux interviewé.e.s sont également intéressants pour comprendre la situation des centres d'animation du quartier Bastide. De la même manière que pour les entretiens menés auprès des animatrices du centre d'animation Queyries, ces entretiens se sont déroulés très en amont des entretiens avec les professionnels du centre de la Benauge. En effet, deux éducateur.e.s de rue (ou éducateur.e.s spécialisé.e.s) interviennent sur le quartier, et principalement au centre social de la Benauge. Si la méthode de travail de l'éducateur ne semble en rien favoriser la mixité, l'éducatrice, quand à elle, dénonce ce fonctionnement.

    « Les filles fréquentent peu le centre social. Et quand nous, on s'adresse à un groupe pour faire des sorties, on s'adresse à un groupe naturel, et donc bien souvent groupe de garçon ou groupe de fille. Je commence à avoir un peu d'expérience en prévention spécialisée et je n'ai quasiment jamais fait de sortie mixte. Alors après, pas forcément parce que les jeunes ne veulent pas, mais aussi parce qu'avoir de la mixité dans un groupe en sortie, ça sous-entends que ça va se travailler, il va y avoir des choses à mettre au travail et qu'on ne va pas pouvoir laisser passer... et que, quand je fais une sortie, j'ai d'autres objectifs derrière. » (B2, éducateur spécialisé)

    « Déjà, on a beaucoup de difficultés à travailler la mixité. Moi je ne travaille que dans la mixité. Mais mon collègue de travail, que tu connais, lui il a beaucoup de mal à travailler dans la mixité. Ça me parait... c'est tellement une évidence. Mais parfois, même les professionnels ont du mal à travailler de cette façon là. Les filles, on a beaucoup de mal à les rencontrer dans l'espace public, mais en même temps c'est à nous d'aller à leur rencontre. [...] Si tu ne les incites pas à

    se mettre en groupe mixte, ça ne se fait pas du tout naturellement. » (B4, éducatrice spécialisée)

    « Nous, on ne travaille pas directement au centre d'animation, mais en partenariat avec eux. Après, même sur le centre, 100% des sorties ce ne sont que des garçons sur le public préados / ados. Ou alors, cet été, il devait y avoir 2 filles sur un groupe de 12. Et ce sont des filles un peu garçon manqué, qui ont du caractère, qui en impose dans le quartier, qu'on ne considère pas comme des filles. [...] Les autres, elles n'y trouvent pas leur place au centre. Si je ne vais pas les chercher, elles ne viendront pas. [...] Mais elles ne seraient pas venues si je ne leur avais pas donné cette place, j'ai l'impression. Du coup, ça ne se fait pas automatiquement. Pour elles, le centre, c'est la place des garçons. Peutêtre le fait aussi qu'il n'y ait que des animateurs hommes pour les ados et préados. » (B4, éducatrice spécialisée)

    Les deux animateurs du secteur jeune au centre social de la Benauge ont été rencontrés lors d'un entretien un peu particulier. En effet, les deux animateurs étaient présents sur le centre au même moment. Après avoir commencé l'entretien avec l'un des deux, le second s'est inséré dans la conversation. Avec le premier d'entre eux, ont été abordés les trois premiers thèmes de l'entretien (soit l'histoire professionnelle, l'expérience des relations de genre sur la structure, et la formation), les deux étaient présents pour le quatrième thème des représentations, mais c'est essentiellement le second animateur qui s'est exprimé.

    Tous deux, des « grands du quartier » en poste dans d'autres centres sociaux de la ville de Bordeaux, ont été appelés en alerte à la Benauge après que le centre ait été « attaqué » par les jeunes, en 2008.

    « C'était des jeunes du quartier qui revendiquaient des choses, comme quoi il n'y avait pas d'espace pour eux, pas d'accueil pour eux, qu'ils étaient abandonnés dans un centre qui ne leur correspondait pas, personne n'avait d'attention pour eux, ils étaient livrés à eux-mêmes dans le centre. » (B8, animateur)

    Alors, le travail de (re)construction du centre et de la mixité a pu commencer. L'entretien suivant a donc été mené après les vacances d'hiver, qui semblent avoir été une étape charnière de cette mise en place.

    « Il y a eu un règlement intérieur qui a été fait avec eux. Donc moi, j'étais responsable du secteur ado, les 12-16, et mon collègue était responsable des plus grands, des 16-25. Il y a eu un gros travail d'écoute des jeunes. Ils voulaient un espace dans le centre, donc on a créé une salle pour l'accueil jeune. Parce qu'en fait, avant, ils n'avaient pas

    d'espace, donc ils étaient partout dans le centre, ils n'étaient nulle part. » (B8, animateur)

    « Il y avait aussi les filles du quartier qui voulaient rentrer dans le centre, qui n'y avaient pas accès. Il n'y avait que des garçons. Nous, dès l'ouverture, on a invité toutes les filles du quartier, on a fait une réunion avec elles. Au début, on a fait les garçons seuls, et les filles seules. On ne pouvait pas arriver du jour au lendemain, et les mettre tous ensemble. Ça n'aurait pas été possible. On les a pris séparément, on a discuté, on a fait deux ou trois sorties avec chaque groupe. Et puis on a commencé à leur dire qu'on ne pourrait plus faire ça, qu'après ce serait des sorties pour les garçons et les filles. Bon, il y a eu des petites réactions. » (B8, animateur)

    « Maintenant, où il n'y a plus de sorties filles et de sorties garçons, comme avant où on était obligé d'avoir deux programmes, un pour les garçons et un pour les filles. Là, sur les vacances de février, un exemple, où on était submergé de personnes, et justement, on a eu plus de filles que de garçons. [...] On a fait un gros travail là-dessus, on a pris sur nous aussi, parce qu'il y avait des parents qui nous disaient que ce n'était pas bien ce qu'on faisait. Il y en a qui mettaient ça au niveau des religions ou des coutumes, aux règles de vie de leur famille. Mais on leur a dit qu'au centre, il y a un règlement qui peut ne pas être le même que celui de leur famille. [...] Et puis, on ne va pas se plaindre, aujourd'hui, il y a 40 gamins qui viennent au centre, c'est que ça marche, c'est que les jeunes ont envie de venir. Et puis, il y a une belle mixité. Ça fait plaisir. On récolte ce qu'on a semé. » (B8, animateur)

    Visiblement, la mixité au centre social de la Benauge est aujourd'hui établie. Cependant, les animateurs en sont conscients, être deux hommes sur un secteur jeune peut se révéler être un handicap.

    Et donc oui, aujourd'hui, je le dis à ma direction, il nous faut une fille. Il faut que l'on recrute une fille. [...] Après, concernant le manque d'animatrice fille, on a quand même la chance d'avoir l'éducatrice du CALK qui est présente pendant toutes les vacances. C'est un appui féminin pour nous. Les filles, maintenant, de plus en plus, se confient à elle, qui n'est pas animatrice, qui est éducateur de rue. Elle comble ce manque que nous on a, c'est pour ça qu'on a créé un partenariat avec le CALK. » (B8, animateur)

    Ainsi, même si des changements et une volonté d'évolution apparaissent parfois, les espaces de loisirs organisés en périphérie de l'école apparaissent comme genrés. Yves Raibaud parle alors des maisons-des-hommes : « La maison-des-hommes est ce lieu où les hommes, les garçons, se livrent à une compétition entre eux qui leur permet de désigner les leaders qui représenteront leur camp, et, par l'intermédiaire de ces "champions", d'assurer

    leur position dominante d'homme et les privilèges qui y sont attachés » (Raibaud, 2011). Ces lieux participent à la construction de genre des individus en créant un entre-soi où les valeurs attachées au sexe sont mises en valeurs et développées chez chaque individu. On pourrait décrire de la même manière certains espaces des lieux de loisirs étudiés (comme les cours de gymnastique de l'Espace Lagrange par exemple) comme des maisons-des-femmes.

    2- Gérer la mixité

    Que ce soit à l'école ou dans les lieux de loisirs, une fois que la mixité (entendre le mélange formel entre jeunes des deux sexes) est mise en place, il s'agit à la fois de la maintenir et de la rendre effective sur le terrain, en évitant les situations de sexisme, d'homophobie, le développement des stéréotypes et autres tensions dans les relations entre les jeunes.

    L'école et les lieux de loisirs : des espaces genrés

    On remarque, au fil des entretiens, que la majorité des professionnel.le.s rencontré.e.s sont conscients de la nature genrée des relations qui se nouent dans leurs structures. Ainsi, la moitié d'entre-eux.elles remarque que les rapports qu'ils.elles ont avec les jeunes ne sont pas forcément de la même nature que ceux.celles-ci soient des garçons ou des filles. Dans la même idée, ils.elles sont conscients que le fait d'être un enseignant ou une enseignante (un animateur ou une animatrice) a des implications dans la manière dont les voient les jeunes et dont ils.elles interagissent avec eux.

    « Les jeunes filles et les jeunes garçons projettent des choses sur moi, qui ne sont pas les mêmes qu'ils projettent sur ma collègue ; et inversement, ce que moi je projette sur les jeunes, ce que je projette sur les garçons n'est pas la même chose que ce que je projette sur les jeunes filles. Donc le travail n'est pas le même. Après, je sais que j'essaie au maximum de ne pas rentrer dans leurs codes et de leur présenter une autre image de ce que peut être un adulte de sexe masculin. Bon, au départ je rentre un peu dans leur jeu, parce qu'il y a quand même un... dans la création du lien, dans les codes. Mais après, j'essaie de m'en écarter. Et, de toute façon, je pense que je leur présente une figure, de par ce que je suis de manière naturelle, qui est différente de ce qu'ils ont l'habitude de voir. » (B2, éducateur spécialisé)

    « Même avec moi, ça joue quand même pas mal, je n'ai pas le même

    rapport avec des garçons qu'avec des filles. » (J2, professeure d'anglais)

    Ce constat est souvent lié à l'idée que, dans les représentations des jeunes, hommes et femmes ont des rôles bien distincts. Les enseignants et animateurs hommes seraient les dépositaires de l'autorité, tandis que les enseignantes et les animatrices femmes seraient plus dans le soutien affectif avec les jeunes. En effet, « l'autorité - du moins celle que l'on confère à une personne - serait donc un attribut, une disposition considérée naturelle chez l'homme, de même nature que la sollicitude, disposition qui serait spécifiquement féminine » (Vari, in Raibaud et al., 2006). Ainsi, les attentes des jeunes divergeraient en fonction du sexe (du genre) de l'adulte qu'il.elle a en face, et il serait difficile de s'en écarter.

    « C'est quand même plus difficile pour une femme d'enseigner que pour un homme. Moi, j'ai plus de mal que mes collègues à asseoir mon autorité. Et pourtant, j'ai plus de 30 ans de carrière. Tous les ans, ce n'est pas facile. [...] Nous, l'autorité, il faut qu'on la gagne. Et ce n'est pas simple. » (J3, professeure de mathématiques)

    « L'équilibre... J'ai presque envie de le comparer à celui d'un foyer mais, en tous cas, dans les attentes des élèves, dans les différences de traitement des différentes situations, que l'on soit un homme ou une femme, on le traite de manière différente, ça équilibre aussi pour les élèves. C'est une sorte de complémentarité. Je pense qu'à un moment donné il y a de fait, malgré tout, une différence de traitement et de sensibilité sur certaines choses que l'on soit un homme ou une femme. » (J6, professeur d'EPS)

    « De manière très simpliste, l'homme représente d'avantage l'autorité, la femme c'est l'affectif. Même si les deux ont des rôles qui se rejoignent, j'ai l'impression que ça reste quand même bien encré. [...] C'est le mode relationnel qu'ils vont avoir avec le professeur qui va être différent. » (J9, professeur de lettres-musique)

    « Même si on est là pour leur transmettre quelque chose et les faire devenir des citoyens, c'est bien que l'on ait différentes approches. Quand vous êtes un enseignant homme, je ne pense pas que vous ayez les mêmes approches que quand vous êtes un enseignant femme. » (J8, professeure d'histoire-géographie)

    Certains professionnel.le.s disent même transgresser ou utiliser les codes de genre afin d'entrer dans leur rôle d'enseignant.e ou d'animateur.e.

    « Moi, quand je fais la cardio-boxe, je dirais que j'ai un rôle un peu plus dans la virilité, même si je ne le suis pas, parce que je dois être assez carré et raide parce que c'est quelque chose qui est difficile. C'est

    ludique, et en même temps c'est un métier d'homme la boxe, donc j'amène quelque chose qui est homme avec moi, il faut que j'ai un peu ce rôle là. » (J5, entraineuse cardio-boxe)

    « C'est là que vous comprenez que vous devez instrumentaliser votre apparence en fait, pour pouvoir gagner en autorité, tout simplement. Un homme, beaucoup moins. » (J8, professeure d'histoire-géographie)

    Ainsi, la plupart des professionnel.le.s sont conscient.e.s que l'école ou le centre d'animation sont des espaces genrés. Cependant, cela n'implique pas forcément qu'ils.elles soient conscients que le fait que ces espaces soient genrés construise en partie les jeunes qu'ils accueillent.

    La mixité scolaire de fait : pour ou contre

    Même si ce n'est parfois plus le cas au lycée, les classes de collège sont mixtes. Cependant, on sait que cette mixité apparente ressemble le plus souvent à une co-présence ou à une co-éducation (Ayral et Raibaud, 2010). De leur côté, les enseignant.e.s de collège interrogé.e.s sur le sujet défendent majoritairement cette mixité de l'école républicaine. Ainsi, elle serait garante du mélange des sexes et permettrait de découvrir et d'apprendre à connaître l'autre, même si les jeunes fréquentent l'école mixte depuis un très jeune âge.

    « La mixité, je pense que c'est indispensable. On ne peut pas, si on veut apprendre à se connaître... Il faut en passer par là, et puis il faut avoir des adultes sur la route qui remettent un peu les choses au point, qui fassent réfléchir en tous cas s'il y a des situations difficiles. Mais je crois qu'il faut en passer par là. Si on n'est pas ensemble, on n'apprendra jamais à se connaître. [...]Le truc où on les met séparément pour pouvoir parler de ci, de ça, moi je n'y suis pas très favorable. Je pense que c'est très bien qu'on entende ce que les garçons pensent et ce que les filles pensent. C'est indispensable. Ce serait un retour en arrière. On travaille bien garçons et filles ensemble. » (B1, infirmière scolaire)

    « La mixité, oui, ça fait partie de la socialisation. C'est une forme de socialisation comme une autre. Il faut que les garçons et les filles se mélangent, pour se dire des choses, pour s'écouter, pour apprendre des autres. Ça fait partie, pour moi, de la socialisation. C'est obligatoire pour moi. C'est comme ça que l'on se construit aussi, la construction ne se fait pas forcément dans la facilité. » (B5, professeur en Segpa)

    Cette entraîneuse de cardio-boxe à l'Espace Lagrange précise même les conditions dans lesquelles cette mixité doit se faire. Racontant une anecdote vécue à travers sont fils, elle

    explique les risques de se voir confronté, à l'âge du collège, à l'autre sexe, de manière individuelle.

    « Et puis bon, il y avait cette fête organisée, et j'ai dit que je ne voulais pas qu'il [son fils] soit isolé en tant que garçon, que toutes les filles lui saute dessus, et puis qu'il le vive mal en fait, parce qu'il n'a pas l'habitude d'être juste avec des filles. Donc la mixité oui, filles et garçons ensemble, mais qu'un garçon avec que des filles, hors de question. Je trouve que ce n'est pas sain en fait, dans ce sens ou dans l'autre, ce n'est pas sain. [...] On a des comportements complètement différents les filles et les garçons, donc il faut apprendre à se connaître en se mélangeant, mais en groupe. On se compare, on se regarde, mais toujours en n'étant pas isolé, je pense que c'est important. » (J5, entraineuse cardio-boxe)

    D'autres, cependant, envisagent l'idée d'une séparation pour remédier aux problèmes d'indiscipline, soit que les filles (sages) soient dérangées par les garçons (agités), soit que les filles empêchent inconsciemment les garçons de se concentrer.

    « (Question) : Qu'est-ce que vous pensez de la remise en cause de la mixité ? - (Elle) : Oui, il faudrait essayer. Il y en a qui disent que les garçons, surtout à l'adolescence commencent à avoir des vues sur les filles, qu'ils commencent à regarder les filles et que du coup, ça les disperseraient. [...] Du côté des filles, ce serait une classe tranquille. Quelques conflits évidemment, mais ça serait facile à gérer. Une classe de garçons, avec une femme enseignante... Je ne sais pas, hein. Ça ne serait pas simple. Non, je n'aimerai pas enseigner dans une classe que de garçons. Ça ne m'est jamais arrivé. » (J3, professeure de mathématiques)

    Même si l'argument mis en avant ici est celui d'un problème de discipline, d'autres arguments, scientifiques cette fois, peuvent être avancés. Ainsi, d'après Marie Duru-Bellat (2010), la mixité renforcerait « l'expression d'un soi dépendant de l'appartenance au groupe de sexe ».

    Prévenir et réagir aux situations de sexisme et d'homophobie

    Quoi qu'il en soit, la mixité est bel et bien présente sur le terrain, dans les collèges et les centres de loisirs étudiés. Comme le décrivent les professionnel.le.s, elle peut créer des situations de sexisme et d'homophobie dans la classe ou dans l'activité. Alors, différents niveau d'action peuvent permettre de prévenir ou de réagir à ces situations.


    · L'organisation de la classe

    Les enseignant.e.s ne se livrent pas facilement sur ce qu'il se passe à l'intérieur de leur salle de classe, lorsqu'ils.elles font leur cours. Cependant, si aucun.e d'entre eux.elles ne dit oeuvrer délibérément à l'effectivité de la mixité dans ses classes, trois d'entre eux.elles décrivent des fonctionnements qui auraient plutôt tendance à renforcer soit une sorte de ségrégation spatiale, soit un sentiment de différence.

    « Alors, au départ, ils s'installent où ils veulent. Après, je les déplace plus ou moins en fonction de comment ça se passe. Ils sont chacun à un bureau, sauf si on fait un travail de groupe. [...] En même temps, si je les changeais de place, ils râleraient pour la forme, mais ça ne poserait aucun problème pour le fonctionnement de la classe. » (B5, professeur en Segpa)

    « Moi, je les mets tout à fait à l'aise. Filles, garçons, je ne vois pas de différence. Ce sont des classes mixtes, donc entre eux, on est le plus neutre possible. C'est sûr que les filles ont tendance à se mettre avec les filles. Je tiens compte de leurs préférences pour faire mon plan de classe. » (J2, professeure d'anglais)

    « Je ne les encourage pas sur les mêmes critères. Un garçon veut se mettre en valeur, donc prendre la parole, se faire remarquer à l'oral. Alors qu'une fille va demander sur quoi elle est notée. » (J2, professeure d'anglais)

    « Mais avant de gérer une mixité, je gère davantage un groupe-classe. La mixité, j'ai toujours vécu avec, elle est dans l'ordre des choses, c'est comme ça. » (B5, professeur en Segpa)

    Le cours d'EPS (Education Physique et Sportive), en ce sens, est un espace particulier de l'école. En effet, « le corps se situant au coeur des processus de construction du genre, les cours d'EPS constituent donc un lieu privilégié d'expression et de production des différences entre les sexes » (Guérandel et Beyria, 2010). Pour cette étude, un seul professeur d'EPS a pu être interrogé, les autres enseignant.e.s des trois collèges étudiés ne souhaitant pas participer. Ainsi, même si tous les élèves suivent les mêmes enseignements, ils.elles sont séparé.e.s par niveaux, ce qui revient, pour l'enseignant, à les séparer par sexe.

    « Ils doivent répondre à une programmation, et chaque élève vit les mêmes activités chaque année, qu'il soit fille ou garçon. [...] Alors, sur les sports collectifs, le prof peut opter pour, ça c'est des stratégies d'enseignements hein, soit des équipes hétérogènes en leur sein avec différents niveaux au sein de la même équipe, auquel cas, là, la mixité

    elle se retrouve assez facilement. Ou après, effectivement, plus on monte dans les niveaux de classe, plus on a quand même une différence physique, et effectivement, si on se retrouve par différence de niveaux, on va souvent se retrouver avec des groupes plus a connotation masculine, et des groupes plus féminins. » (J6, professeur d'EPS)

    Cette constatation vaut pour une majorité de cours d'EPS : « Quel que soit le niveau de la classe et son profil d'options, l'observation des cours d'EPS témoigne de rapports sociaux de sexe structurés autour du principe de séparation, résumé par la formule "ensemble-séparé" empruntée à Goffman » (Guérandel et Beyria, 2010). L'enseignant rencontré justifie d'ailleurs son choix en renforçant l'idée d'une différence naturelle de niveau et de force entre garçons et filles. Par là, il produit une attente de comportement de la part de ceux-ci et de celles-ci qui a toutes les chances de se concrétiser.

    « C'est souvent quelque chose que j'explique aux filles d'ailleurs, pourquoi, à un moment donné, je vais mettre les filles d'un côté et les garçons de l'autre. Dans un premier temps, elles sont un peu véhémentes, mais quand on le fait, elles se rendent vite compte de l'intérêt qu'elles ont à ne pas être avec les garçons, pour évoluer entre elles et pour être à leur niveau. » (J6, professeur d'EPS)

    [Photo 3 : galanterie] « C'est-à-dire que systématiquement, quand on a du matériel à porter, je fais plus appel aux garçons, plutôt les garçons costauds, qu'aux filles. Et quand les filles, paradoxalement, me reprochent de ne pas les mélanger aux garçons, je leur fait remarquer que je fais plus porter le matériel aux garçons. » (J6, professeur d'EPS)


    · Réagir à l'insulte

    De la description que font les professionnel.le.s des jeunes, ce qu'ils.elles remarquent le plus souvent, ce sont les insultes à caractère sexiste ou homophobe qu'ils.elles peuvent s'échanger. Alors, on doit se pencher sur la réaction, qu'en tant qu'adultes, ils.elles apportent à ces insultes. Certains d'entres eux.elles, considèrent que ce n'est pas nécessaire, ou trop compliqué.

    « Après, c'est dur, parfois à chaud, c'est difficile. Se mettre en porte-àfaux par rapport à l'autre, ce n'est pas toujours facile. » (B2, éducateur spécialisé)

    « Ça dépend de la façon dont c'est fait, parce que souvent c'est plus du ressort de la blague, justement pour... qui aime bien châtie bien on dit, donc ils aiment bien se, comme ils diraient, se casser un petit peu, pour

    le contact. Donc voilà, si c'est comme ça, bon voilà... » (J4, entraineur badminton)

    Pour d'autres, l'important est de faire émerger les représentations des jeunes en apportant le débat. Ainsi, ils.elles peuvent comprendre les implications que leurs mots peuvent avoir.

    « J'essaie de faire un travail de médiation. Je rencontre d'abord la jeune fille, ensuite je rencontre le jeune homme. [...] Il faut vraiment que la parole se libère, et que l'autre puisse entendre le ressenti et ce qu'attend l'autre, ce qui n'est pas du tout dans la logique. Et c'est vrai qu'ils n'ont pas vraiment de lieu. » (B3, assistante sociale)

    « C'est-à-dire qu'il y a des fois où c'est vraiment "Sale PD", bon, des fois je vais laisser passer. Après, quand ça va plus loin ou que c'est lié à une situation qui fait que l'on dit "sale PD" parce que, à un moment donné, il a eu un geste affectueux avec un garçon... Donc oui, là je vais réagir. On part sur le débat. Parce que de toute façon, ça les questionne l'homosexualité. Pour eux, ce n'est même pas que ce soit interdit, mais c'est sale. Voilà, ça ne se fait pas, ce n'est pas dans la normalité des choses. Notre boulot, il doit être de pouvoir les rassurer par rapport à ça. » (B6, animatrice)

    Enfin, certains professionnel.le.s ont pour objectif de ne pas « laisser passer » ce genre de comportement de la part des jeunes auprès desquel.le.s ils.elles travaillent.

    « Moi, j'y vais du tac au tac ! Je les mets en face à face. Quand il y a un souci, je suis toujours... Et puis en fait, sur le quartier, les nanas, les petites gamines, elles ont vachement de caractère. Il ne faut pas croire, hein ! [...] Elles ne se laissent pas faire, et tant mieux, et je fais en sorte qu'elles ne se laissent pas faire. Parce que dès qu'il y a un souci, il faut que ça se règle tout de suite. Et puis on peut aussi amener une discussion sur ce qui pourrait les faire ne pas s'entendre. On essaie de désamorcer les conflits. » (B4, éducatrice spécialisée)


    · Une posture

    Certains professionnel.le.s estiment qu'une certaine posture prise par l'enseignant.e ou l'animateur.e peut éviter de créer ce genre de situation. Ainsi, pour certain.e.s, il s'agit de montrer aux jeunes qu'on les traite de la même manière, qu'ils.elles soient des filles ou des garçons.

    « Si on est aussi à l'aise avec les garçons et les filles, si on s'adresse à

    eux de la même manière, si on attend d'eux les mêmes choses, j'ai

    l'impression qu'on se retrouvera moins confronté à ce genre de problèmes. » (B7, animatrice)

    « Après, je pense que c'est un positionnement que l'on peut avoir nous, en tant qu'adultes. Je n'ai pas de difficultés à aller voir des garçons, à être avec un groupe de garçons et à discuter avec eux de choses tout à fait classique, et en même temps à garder mon statut de femme. » (B6, animatrice)

    Il peut aussi s'agir, dans une posture plus militante, de donner à voir aux jeunes d'autres modèles des rôles que peuvent jouer animateurs et animatrices, adolescents et adolescentes, hommes et femmes.

    « En séjour, où la vie quotidienne prend beaucoup de place, je vais être toujours attentive à ce que les garçons et les filles en fassent autant, et à ce que les garçons ne montent pas les tentes et les filles ne fassent pas à manger. Parce que ça ne tient qu'à nous... Mais même moi en tant qu'animatrice, qui représente donc une fille, je ne vais pas me mettre chargée de cuisine. » (B7, animatrice)

    « Et dire qu'une nana elle peut aussi aller au footsal, et qu'un mec peut mener un atelier de cuisine, par exemple. Dès l'instant où les jeunes voient ça... ça ne les choque pas, ils ne se posent pas la question. » (B6, animatrice)

    Enfin, amener les jeunes à avoir une réflexion sur ces rôles et sur les stéréotypes qu'ils peuvent avoir est une posture proposée par une animatrice du centre social de BastideQueyries. Elle précisera par ailleurs avoir justement trouvé dans la formation « Cet autre que moi » des outils lui permettant d'amener les jeunes à cette réflexion.

    « L'adulte, ce n'est pas celui qui détient la vérité, enfin, moi ce n'est pas comme ça que j'ai envie de poser l'autorité. [...] On n'est pas là pour apporter des réponses, on est là pour mener les jeunes vers une réflexion, vers une autonomie. » (B7, animatrice)

    Certaines postures que prennent les professionnel.le.s, on l'a vu, peuvent aller vers une prise de conscience des stéréotypes de genre et une remise en question des rôles habituellement assignés aux deux sexes. A l'inverse, lorsque la mixité n'est pas problématisée et que ces stéréotypes et rôles sexués sont invisibilisés, on peut avancer que l'école et les lieux de loisirs viennent les conforter.

    L'organisation des structures d'animation, ainsi que les manières de gérer la mixité, lorsqu'elle est présente, peuvent donc apparaitre comme des facteurs d'aggravation ou

    d'amenuisement de la construction genrée des jeunes, et donc, des tensions sexistes et homophobes.

    II- Les représentations genrées des professionnel.le.s

    Cette partie cherche à donner à voir les rapports que peuvent entretenir les professionnel.le.s interrogé.e.s avec la thématique du genre dans leur métier, mais aussi d'une manière plus générale. Ainsi, ils.elles ont été interrogé.e.s sur les diverses formations et sensibilisations qu'ils.elles ont pu recevoir au cours de leur vie professionnelle sur ce sujet. Ils.elles ont ensuite pu donner leur point de vue sur leur expérience quotidienne des rapports entre les filles et les garçons qu'ils.elles accueillent dans leur structure, puis, entre les hommes et les femmes dans la société.

    Les pages qui suivent rendent donc compte des regards de ces professionnel.le.s de l'école et des lieux de loisirs, et non forcément de pratiques effectives des jeunes qu'ils.elles accueillent.

    1- Une non-sensibilisation au genre

    Le genre absent des formations initiales

    La grande majorité des professionnel.le.s rencontré.e.s ne sont pas ou très peu formé.e.s ou sensibilisé.e.s à la thématique du genre, dans son acceptation théorique ou pratique. En effet, les formations initiales qu'ils.elles ont suivi ne leur ont pas permis d'avoir une réflexion sur ce sujet ou d'acquérir des connaissances pratiques à mettre en place sur le terrain.

    Certains des professionnel.le.s rencontré.e.s ont tout simplement suivi une formation initiale qui ne correspond pas au poste qu'ils.elles occupent actuellement et qui ne touchait donc pas à la gestion d'adolescents, d'élèves, ou de jeunes en groupes. Cette situation concerne 3 des 20 professionnel.le.s rencontré.e.s. Ainsi, ces deux enseignant.e.s qui ont eu une carrière en entreprise avant de rejoindre l'Education Nationale.

    « Je suis contractuel pour l'éducation nationale, c'est-à-dire que je ne suis pas un véritable professeur. Je suis commerçant à l'origine, j'ai été commerçant pendant plus de 20 ans, chef d'entreprise pendant 11 ans. Et j'ai décidé, pour faire un changement professionnel, d'enseigner mon métier, donc la vente, le commerce en général, le droit et l'économie, qui font partie du même registre. » (B10, professeur principal 3e insertion)

    « Moi, je n'ai pas été professeure toute ma vie puisque j'ai 10 ans de carrière en entreprise avant, en tant que responsable marketing sur des filières internationales. Aujourd'hui, on vous recrute si vous avez un master. Moi, je l'avais déjà. » (J2, professeure d'anglais)

    La majorité des professionnel.le.s rencontré.e.s (13 sur 20) ont bien suivi une formation en adéquation avec leur actuel métier, mais qui ne comportait aucune sensibilisation à la thématique du genre. C'est le cas de l'infirmière scolaire, de l'assistante sociale, de l'ensemble des animateur.e.s socioculturel.le.s et des éducateur.e.s spécialisé.e.s, et d'une très large majorité des enseignant.e.s rencontré.e.s.

    « Quand on veut passer infirmière scolaire, on passe un concours. Une fois que l'on a passé ce concours assez sélectif, on a quinze jours de formation, c'est tout. On y aborde un peu la psychologie de l'adolescent. » (B1, infirmière scolaire)

    « Sur le genre ? Non. Alors moi, ça fait un petit moment que je l'ai fait ma formation, mais très peu. A l'époque, ce n'était pas la priorité. » (B3, assistante sociale)

    « Non, je ne crois pas avoir eu une formation sur les rapports de genre. Mais moi, mon école, je l'ai passée en 2000. Je n'y ai pas trop trouvé ma place d'ailleurs, j'avais l'impression de ne rien apprendre. » (B4, éducatrice spécialisée)

    « Moi, j'ai fait un IUT carrières sociales, je suis partie dans le Nord pour le faire. J'ai eu un prof de philo qui, je pense, était exceptionnel. Il nous a parlé de l'excision une fois. Mais sur le genre, sinon... » (B7, animatrice)

    « Je suis passée par le parcours normal, c'est-à-dire BAC, après j'ai fait une année de maths sup. A la suite de ça, j'ai vu que maths spé, c'était trop difficile, donc j'ai passé le concours des IPES à l'époque. Mais je trouve que ça manque quand même dans la formation. » (J3, professeure de mathématiques)

    « J'ai fait un master 2 recherche, en histoire. Ensuite, j'ai commencé à préparer les concours du CAPES, et en même temps j'ai décidé d'être contractuelle de l'Education Nationale pour pouvoir commencer à

    enseigner. Les IUFM ont été supprimés, donc il n'y a plus aucune formation pédagogique. Il n'y a rien sur les questions de genre, il n'y a rien sur... C'est dommage que les sciences de l'éducation ne soient pas incorporées au concourt, c'est dommage que le concours soit totalement déconnecté de la réalité sur le terrain. » (J8, professeure d'histoiregéographie)

    « J'ai fait une formation professionnelle au CIAM. Non, aucune formation sur le genre. » (J10, professeur de guitare)

    Quelques enquêté.e.s (4 sur 20) ont bénéficié d'une sensibilisation au genre, mais souvent très théorique, et donc particulièrement difficile à lier, dans la pratique, avec leurs actions quotidiennes auprès des jeunes.

    « En fac de sport, il n'y a pas plus éclectique comme formation. Tu fais de la psycho, de la socio, de la psycho-péda, des statistiques, de l'anatomie, de la physiologie... Enfin, tu fais plein de choses. Pendant mes deux premières années, j'ai appris pleins de choses. Donc oui, t'en entends... Dans la psycho, tu fais les stades de développement de l'enfant, les caractéristiques de chaque... Piaget et compagnie. Tu fais de la sociologie, donc les rapports hommes / femmes, et tu étudies tout ce qu'il s'est passé en allant du droit de vote de la femme à... Voilà, ça te place dans un contexte socio-historique, mais tout en parlant de l'homme et de la femme. J'ai eu une disert' à faire en socio où l'on me parlait du statut des femmes de 1940 à nos jours dans le sport. » (B5, professeur en Segpa)

    « J'ai fait des études tout ce qu'il y a de plus classique, de sciences. Après, j'en ai eu marre des sciences donc j'ai fait une licence en sciences de l'éducation pour être instit. Et puis, j'ai découvert ce métier d'éducateur, animateur sportif, et ça m'a plus intéressé, du coup j'ai lâché le côté professoral et je me suis lancé dans l'animation, l'éducation sportive. [...] Quand j'étais en sciences de l'éducation, j'avais fait mon rapport sur la mixité, j'avais un peu travaillé sur ça. Mais c'était sur le milieu scolaire, pas socio-éducatif. C'était plus sur les enseignements, pourquoi les filles sont souvent plus sur les matières littéraires et les garçons sur les matières scientifiques. C'était intéressant. Mais ce n'était pas un gros truc. » (J4, entraîneur badminton)

    « J'avais fait un parcours sociologie, travail social, et finalement, je me suis réorientée vers la danse. [...] J'ai été sensibilisée à ces questions-là, puisque moi j'ai fait une très courte formation en sociologie en relations interethniques et immigration. C'est très fort au Québec, parce que nous on a des grandes vagues d'immigration, beaucoup d'ethnies se sont installées, ça a formé des villages, des ghettos. Nous, c'était ça que l'on étudiait surtout. Et puis, tout ce qui est traditionnel, c'est hyper sexiste, très machiste, donc... » (J5, entraîneuse cardio-boxe)

    « Nous, en EPS, on a une formation très pragmatique, très empirique. Donc effectivement, dès le départ, on est sensibilisé au dé-mixage ou pas, à la gestion des niveaux... Mais pas plus que ça, ce n'est pas un point central, non. » (J6, professeur d'EPS)

    On peut donc noter que la sensibilisation au genre, à la mixité dans les espaces scolaires ou de loisirs est quasiment absente des formations initiales des professionnel.le.s des deux quartiers étudiés.

    Une sensibilisation tardive mal répartie sur le territoire

    Cependant, certains professionnel.le.s ont pu bénéficier de formations continues sur ces thématiques. On remarque d'ailleurs que l'accès à ces formations continues abordant le genre ou la mixité n'est pas équitable selon les territoires. Ainsi, les professionnel.le.s de Bastide sont-ils.elles finalement plus sensibilisé.e.s que les professionnel.le.s du Jardin Public. Ils.elles se voient, en effet, proposer plus de formations courtes par la mairie de Bordeaux ou des organismes de formations, et sont plus enclins à se renseigner par eux.elles-mêmes.

    « Après, à nous de... c'est des colloques, des formations comme ça, des cours du soir. [...] C'est à nous de lire aussi. [...] J'ai été au colloque sur la mixité. J'ai acheté le bouquin mais je n'ais pas eu le temps de le lire. J'ai trouvé ça très intéressant parce qu'ils disaient que même dans l'image des professeurs, il y avait toujours une différence entre les filles et les garçons. » (B1, infirmière scolaire)

    « J'ai participé à la formation "Cet autre que moi", et j'en ai fait une autre. C'était un groupe de travail sur les questions de genre, organisé par la mairie il y a 6 mois. » (B2, éducateur spécialisé)

    « Après, moi j'ai fait une formation sur l'analyse systémique qui m'a permis aussi d'avoir un autre regard des groupes. Ça, c'était vraiment intéressant. Mais autrement, après, ça s'est fait naturellement, j'étais intéressée, j'ai cherché, j'ai bouquiné. Si, j'ai eu une formation sur la vie relationnelle et sexuelle par le centre de formation, c'était il y a 5 ou 6 ans. Mais bon, c'était une journée, c'était léger quand même. » (B3, assistante sociale)

    « Par principe, dès qu'il y a des formations, j'y vais, dans la mesure où je peux. Moi, c'est donc déjà une démarche intellectuelle en premier. [...] Je fais des formations, comme "Cet autre que moi", où là aussi, on va être amené à évoquer l'adolescence et les rapports filles / garçons. » (B5, professeur en Segpa)

    « Par contre, je suis le projet depuis le début dans le quartier. C'est-àdire depuis les première fois où l'on a eu Jean-Philippe Guillemet qui est venu pour dire que dans le cadre du Projet Social, il y avait un travail sur le sexisme. Parce qu'apparemment c'était le quartier qui avait été un peu repéré pour avoir des soucis avec ça. » (B6, animatrice)

    « En tout premier, le DSU avait organisé une formation sur le sexisme qui était vachement intéressante parce qu'on avait eu des intervenants. On avait eu une association de féministes, une ethnologue, un intervenant par le sport. Et du coup, on nous avait présenté l'outil "Cet autre que moi". » (B7, animatrice)

    On peut d'ailleurs noter le cas particulier de cet animateur du secteur jeunes du centre social Bastide-Benauge qui a bénéficié d'une formation assez longue sur la mise en place de la mixité et sa gestion.

    « Moi, je suis entré en formation l'année dernière, et avec ce que j'ai appris... Bon, j'avais déjà du terrain parce que ça fait 8 ans que je fais de l'animation, mais ce que j'ai appris en formation, en théorie, c'était vraiment intéressant. Pour moi, ça a été une superbe expérience. Cette formation a duré un an et demi, 18 mois. Oui, on a été formé par rapport à la mixité. On a eu de la théorie, de la pratique. On a eu des cours avec des sociologues, on a eu aussi un psychologue qui est venu, on a eu des personnes qui travaillaient depuis de longues années dans des territoires où il n'y avait pas de mixité. On a fait des groupes de travail, ça s'est super bien passé. » (B8, animateur)

    En revanche, sur le quartier du Jardin Public, aucun.e professionnel.le n'a participé à une formation sur le genre, la lutte contre le sexisme ou la mixité. Deux cas de figures sont possibles : soit ils.elles ne se sont pas vus proposer ce type de formation, soit ils.elles n'y assistent pas, ne se sentant pas concerné.e.s.

    « Non, on n'a pas du tout eu de formation là-dessus. Sur la mixité intergénérationnelle oui, sur la mixité sociale oui, mais sexuelle non, parce qu'il n'y a pas de problème ici. » (J1, responsable Espace Lagrange)

    « J'avais vu passer des choses sur la mixité, mais je ne sais pas par qui c'était. Mais je n'ai jamais participé. » (J4, entraîneur badminton)

    Finalement, on peut dire que, même si les professionnel.le.s qui ont accepté l'entretien sont surement ceux.celles qui se sentent le plus touché.e.s par ces thématiques, ils.elles ont été très peu sensibilisés à la problématique du genre dans ce qu'elle peut avoir de concret pour eux.elles : la gestion de la mixité, la lutte contre le sexisme et l'homophobie. En ce sens, on

    peut se demander quelle vision ils.elles ont de ces problématiques sur le terrain. La mixité fait-elle problème pour eux.elles au quotidien ? Evaluent-ils.elles le rôle que peut avoir leur structure dans la construction de l'identité genrée des jeunes qu'elle accueille ?

    2- Leurs regards sur les jeunes

    Lorsqu'on les interroge sur les relations entre les garçons et les filles dans leurs structures d'animation ou dans leurs collèges, les professionnel.le.s nous livrent à la fois leurs expériences de terrain et leurs représentations. Comprendre la manière dont ils.elles vivent ces relations au quotidien et le regard qu'ils.elles posent dessus est le but recherché ici.

    Des différences garçons / filles observables

    Au fil des entretiens, les interrogé.e.s nous donnent à voir des jeunes qui ont des comportements ou des sentiments différenciés selon qu'ils sont des garçons ou des filles. En effet, dix entretiens sur les vingt menés comportent une assez longue description des différences observées au quotidien. Il faut noter qu'une majorité de ces discours sont le fait de professionnel.le.s du quartier Jardin Public, les professionnel.le.s de Bastide cherchant probablement à ne pas conforter un stéréotype déjà présent concernant leur quartier. Ces différences notées peuvent être regroupées sous divers registres.

    - Ils sont extravertis, elles sont plus effacées :

    « J'ai remarqué, quand on a fait des tables rondes, les garçons sont très bavards. Les filles ne disent rien au collège, elles sont très effacées. Les garçons, justement, pour parler des rapports filles/garçons autour de la sexualité, alors là, c'est du non-stop, ils sont intarissables. Et les filles sont toujours très en retrait. Donc c'est bien qu'elles entendent. Ce qui serait bien c'est qu'elles puissent elle aussi un peu parler. » (B1, infirmière scolaire)

    - Les garçons sont violents, les filles jouent plus sur la psychologie :

    « Les filles, elles ne dépassent pas le cadre de l'insulte ou du tutoiement. C'est une façon de provoquer l'adulte, le tutoiement. La jeune fille va tutoyer. En même temps, c'est la défense facile chez les jeunes filles. Les garçons vont balancer une trousse, vont se renfermer, baisser la tête, maugréer un peu dans leur barbe. J'ai eu plus souvent à

    faire sortir des filles que des garçons. [...] Les garçons, ils se calment, les filles, elles reviennent à la charge, toujours. Les garçons comprennent mieux. Il y a un clash une fois, et après, c'est terminé, on en parle plus. Les filles, non. » (B5, professeur en Segpa)

    - Elles sont sérieuses, ils sont plus agités :

    « Les filles sont plus sérieuses, plus travailleuses que les garçons. Le garçon, il veut aller droit au but lui. Et puis, pas trop détaillé. La fille est plus studieuse, elle y va pas à pas. Elle a moins confiance en elle que les garçons je trouve. Elles sont plus fragiles que les garçons. Et puis, les garçons, la maturité qui n'est pas du tout la même aussi. » (J3, professeure de mathématiques)

    « Après, dans ce collège là, les élèves qui bougent beaucoup ce sont des garçons. Les filles, elles, sont assez sages on va dire. Mais sur le comportement oui, les garçons sont plus agités en classe, ils ont plus de mal à se concentrer que les filles qui, elles, vont plus papillonner ou être passives, même si elles sont présentes physiquement, mais elles ne sont pas là intellectuellement. Alors qu'un garçon, lui, il est présent, il se manifeste. Ils ont besoin de bouger, de monopoliser l'attention. » (J8, professeure d'histoire-géographie)

    « Les filles sont d'avantage dans une retenue, peut être dans la réflexion. Alors que les garçons, c'est l'impulsivité, et puis éventuellement, on réfléchit après. » (J9, professeur de lettres-musique)

    - Elles sont fragiles, ils sont plus forts :

    « Un garçon va prendre un coup. C'est un sport de contact, c'est normal qu'on prenne des coups. Un garçon, un coup de bombe magique, et ça passe. La fille, il faut la porter, la rassurer... Ce n'est pas moi. Il faut passer beaucoup plus de temps sur les filles que sur les garçons. Nous, on n'a pas ce temps à perdre. C'est pour ça que ça m'embête d'entraîner des filles. » (J7, entraineur football)

    - Elles sont dynamiques, ils sont plus difficiles à convaincre :

    « Moi, j'aime bien quand il y a des filles quand même, parce que je trouve qu'elles sont plus dynamiques que les garçons. Souvent. Et puis, ce n'est pas la même ambiance. Comment je pourrais expliquer ça ? Il faut plus négocier avec les filles pour leur faire faire des choses, quand même. Mais on sent qu'il suffit de pas grand-chose pour qu'elles le fassent. Et les garçons, pour les faire chanter par exemple, ou pour les faire jouer, c'est plus difficile. On y arrive même assez rarement. » (J10, professeure de guitare)

    Finalement, même s'ils.elles précisent souvent que ces descriptions sont des généralités et qu'il existe évidemment des exceptions, ces « profiles types » nous donnent une idée de leur compréhension quotidienne du monde qui les entoure. La distinction entre garçons et filles en fonction du caractère participe donc d'une catégorisation leur permettant d'interagir avec eux. Or, on sait que les différences entre les individus à l'intérieur des catégories de sexe sont souvent plus importantes qu'entre ces catégories.

    Des relations plus ou moins tendues

    Les professionnel.le.s interrogé.e.s décrivent des relations entre les jeunes des deux sexes qu'ils ne qualifient pas de tendues. En effet, s'ils.elles sont parfois mal-à-l'aise par rapport à certaines situations, le sexisme est décrit comme n'appartenant pas à leur monde, mais à celui des adultes.

    « Forcément, ils se jettent des regards quand on parle de l'obésité, des règles des filles. Mais en même temps, il faut bien en parler. Et puis à côté de ça, il faut arrondir les angles. Voilà, des petites insultes... Sexisme, non. C'est plutôt sur l'aspect physique. » (B5, professeur en Segpa)

    « Ils sont quand même plus dans l'envie de plaire, dans ce petit jeu, que dans le truc de dire "va faire la cuisine" ou des choses comme ça. Mais il y a des petits relents parfois... » (J4, entraineur badminton)

    « On sent chez certains garçons... on ne va pas parler de virilité encore à cet âge là, mais le côté masculin qui commence à l'emporter. [...] Mais, sexiste... Je ne sais pas. Non, pour moi, sexiste, ce sont d'avantage des comportements d'adultes, pour lesquels il y a eu un passé ou une sociabilisation particulière. Bon, il peut y avoir, comme ça, des petites réflexions, mais ça reste très limité. » (J9, professeur de lettre-musique)

    Le cas particulier de l'assistante sociale scolaire du quartier Bastide montre des relations plus difficiles, sûrement du fait de ce statut particulier qui lui fait connaitre les histoires les plus délicates qu'ont pu vivre les élèves de l'établissement.

    « Ils ne se connaissent pas, c'est assez tabou. Alors, ils se bousculent, ils passent une petite main de temps en temps comme-ci comme-ça. Bon, il y en a quand même qui sont dans la tendresse mais c'est assez brut de décoffrage leurs relations. Après, j'ai eu une autre situation où des gamines s'étaient retrouvées à la médiathèque et des garçons leur avaient demandé de venir dans les toilettes. Il y en a une qui ne voulait pas, mais l'autre l'a motivée. Elles y sont allées, elles ont été obligées de

    leur faire des fellations. Et après, comme si de rien n'était. C'est ça qui est assez étrange, c'est vraiment de la consommation. Là, j'ai senti dans cette situation que c'était de la consommation, et ils ne voyaient pas la gravité, sauf la petite qui avait subi. » (B3, assistante sociale)

    De ce premier point de vue, la mixité n'apparait donc pas particulièrement difficile à gérer, sauf dans certaines situations exceptionnelles, même si, bien sûr, cette constatation n'empêche pas que l'école et les lieux de loisirs soient le théâtre d'une reproduction de la socialisation genrée.

    Par contre, ce que les professionnel.le.s remarquent souvent, ce sont les insultes à caractère sexiste ou homophobe que peuvent s'échanger assez régulièrement et assez violemment les jeunes. Dans la plupart des cas, ces insultes ne sont vues que comme des problèmes de discipline à gérer comme tels. Or, « pourquoi croire que ce langage n'est que de la vulgarité, alors que les garçons interrogés savent tous expliquer ce dont il s'agit ? Ce vocabulaire participe à la connaissance et à la définition des rapports de sexe » (Ayral et Raibaud, 2010).

    « Des petites choses très basiques, ce sont déjà les insultes entre garçons et filles. [...] Après, il y a souvent des insultes qui deviennent... qui paraissent normales : "Sale pute !", "Espèce de gros pédé !", ces choses là. » (B3, assistante sociale)

    « Les mots, l'autre ne l'entend pas toujours comme ils veulent être dits par le garçon, ou la fille d'ailleurs. Moi, je crois qu'il faut intervenir. On est professionnels quand même, on sait. On ne va pas laisser un garçon traiter une fille de salope. On ne peut pas. Même si pour lui... Même le mot "biatch"... Alors, tout ça parce que c'est dans la bouche de Djamel, alors d'accord, on peut le dire en... mais c'est toujours pareil, comment c'est dit, à quel moment c'est dit ? Si c'est effectivement dans le cadre d'une blague à la Djamel, ok. Mais quand c'est dit : "Ouais, celle-là...", on peut reprendre. » (B1, infirmière scolaire)

    « Après, c'est toujours pareil, quid de la réflexion qui est vraiment censée faire mal, ou la réflexion qui est rentrée dans le langage commun. » (J6, professeur d'EPS)

    Un discours sur les représentations des jeunes

    Cependant, les jeunes sont décrits comme ayant des représentations assez stéréotypées de ce que peuvent être une fille ou un garçon. Sur le quartier de la Bastide, lorsque ces différences de représentation sont évoquées, elles sont souvent liées par les professionnel.le.s

    à la culture, ou à la précarité du public.

    « On travaille avec une population en grande précarité avec des représentations sur les places que peuvent occuper dans la société l'homme et la femme. Et dans le discours quotidien des jeunes, on peut relever des traces de ce que peuvent être les discriminations liées au sexisme. Ça va de la petite chose bête de la réflexion d'un gamin : "Non, je ne fais pas la cuisine, c'est un truc de fille" au regard que posent les jeunes sur leurs soeurs, sur leurs mères, et sur les autres filles. » (B2, éducateur spécialisé)

    « Le manque de respect par rapport aux filles, c'est aussi lié, je pense, à une certaine culture. Enfin, ça accentue. [...] Il y a un truc qui n'est pas du tout accessible, ils ne peuvent pas y accéder ces garçons là, et donc ils ont la haine, quitte à être vachement violents verbalement et physiquement parfois. » (B3, assistante sociale)

    Sur le même quartier, l'assistante sociale scolaire évoque le fait que ces stéréotypes du masculin et du féminin sont aussi bien présents chez les garçons que chez les filles. Ainsi, se construire en tant que femme apparait comme une épreuve.

    « J'ai l'impression que certaines gamines intègrent complètement leur position de femme soumise à accepter la règle du garçon. Ces gamineslà ont complètement intégré le fait qu'il ne faut pas être en jupe parce que sinon on va attirer les garçons, et ce sera bien fait pour nous si on est violée. [...] Une fois, j'ai du virer une gamine d'un groupe de parole parce qu'elle interdisait aux autres de parler parce qu'on ne parle pas de sexe. Elle avait complètement verrouillé toute discussion avec son regard, elle enfermait tout le monde. » (B3, assistante sociale)

    A ces stéréotypes et représentations, les jeunes adaptent leurs comportements en groupe. Ainsi, les garçons, en cours de guitare, évitent de choisir des chansons qu'ils jugent féminines pour affirmer leur virilité.

    « Les choix des morceaux ne sont pas du tout les mêmes. C'est vrai que les garçons vont quand même sur des morceaux un peu plus rock, plus masculins, entre guillemets, que les filles. C'est vrai que dans leur choix, ça va quand même sur des morceaux un peu plus rock, de garçons, plus rentre dedans, avec de la guitare très saturée, un gros son. C'est vrai qu'il y a un petit peu ce côté garçon, où ils font jouer la virilité. Et d'ailleurs, je m'amuse parfois à essayer de leur faire jouer des morceaux avec les filles, et c'est vrai qu'ils ont du mal à faire ça, surtout quand ils sont en groupe, effectivement. » (J10, professeur de guitare)

    Les jeunes sont également décrits comme ayant des stéréotypes sur la sexualité.

    Certain.e.s interviewé.e.s parlent de la pornographie et de l'image de la femme que peuvent en tirer les jeunes garçons. Une animatrice du centre Bastide-Queyries décrit également des jeunes ancré.e.s dans le modèle du couple hétérosexuel.

    « Ou alors des gamins qui sont complètement collés à l'image de la

    sexualité pornographique, et la femme c'est ça. » (B3, assistante sociale)

    « J'ai l'impression que pour eux, la fille, elle est considérée comme un objet. Alors que ce sont des garçons qui ont 12-14 ans. Moi, ça m'a halluciné. » (B4, éducatrice spécialisée)

    « C'est hyper compliqué les rapports garçons / filles sur les quartiers. Cette espèce de sexualité débridée. Ils ont une vision des filles et ils sont capables de tout pour pouvoir coucher avec, c'est un challenge. Les filles sont des proies. » (B2, éducateur spécialisé)

    « Mais de toute façon, ça les questionne l'homosexualité. Pour eux, ce n'est même pas que ce soit interdit, mais c'est sale. Voilà, ça ne se fait pas, parce que c'est à l'encontre, quelque part, quand tu es pré-ado, d'une normalité. Je crois que les pré-ados, ils cherchent aussi ça, à être comme tout le monde, à se fondre dans la masse, à travailler, à être mariés, avec des enfants. Ce n'est pas l'idée du prince charmant, c'est juste l'idée du couple qui est fait comme ça. » (B6, animatrice)

    Ainsi, les jeunes sont décrits comme ayant des stéréotypes de genre, qu'ils.elles projettent nécessairement sur les adultes qui les entourent, notamment les enseignant.e.s et animateur.e.s. Or, « le fait de se représenter les attentes des enfants comme stéréotypées peut venir renforcer la mise en oeuvre de compétences relationnelles différenciées chez les animateurs et les animatrices » (Herman, in Raibaud et al., 2006).

    Le sexisme, l'homophobie : ailleurs, mais pas ici

    Quel que soit le quartier d'intervention des enseignant.e.s et animateur.e.s entretenu.e.s, une grande majorité d'entre-eux.elles a tendance à décrire ce quartier (ou cette zone) comme non touchée par ce phénomène. C'est ce que l'on appelle le « gender blindness », le fait d'être aveugle à l'effectivité des rapports sociaux en termes de genre. Ainsi, les professionnel.le.s du Jardin Public indiquent que leur quartier est très peu touché par les tensions de genre, en comparaison aux quartiers d'habitat social ou aux établissements classés en ZEP, par exemple.

    « On a moins de choses comme ça dans ce secteur là qu'au Grand Parc, où quand même il y a beaucoup de familles maghrébines, et c'est quand même l'image de la femme ce n'est pas toujours très valorisé, donc il y a parfois des reproductions. » (J4, entraineur badminton)

    « Ils se connaissent depuis petits généralement, depuis la maternelle ou la primaire, les familles se connaissent aussi entre elles. Une forme, voilà, de presque de consanguinité comme ça, sans être péjoratif. Du coup, j'ai presque envie de dire que certains ont des rapports fille/garçon qui sont quasiment parfois frère/soeur ou cousin/cousine. C'est vrai qu'ils se connaissent très très bien. C'est un peu comme une grande famille, avec les avantages et les inconvénients que ça peut avoir. Non, ils ne sont pas dans ce conflit sexué je trouve. » (J6, professeur d'EPS)

    « A première vue, du point de vue d'un enseignant, il n'y a pas vraiment de problèmes entre garçons et filles dans cet établissement. [...] A la différence, mettons, quand vous travaillez en ZEP. » (J8, professeure d'histoire-géographie)

    De la même manière, les professionnel.le.s du quartier Bastide-Queyries ont tendance à comparer leur quartier à celui de la Benauge, jugé moins mixte, et plus tendu concernant les relations entre filles et garçons.

    « Pas du tout. Est-ce que c'est parce que c'est Queyries ? Après, je sais un peu d'où ça émanait au départ ce souci, de quel partenaire... Alors, je peux l'entendre, et je trouve ça bien que l'on en parle. Je trouve ça intéressant que l'on se pose la question de la relation filles / garçons, mais de manière générale... Le sexisme, heu... [...] C'est ce quartier peut-être, je pense qu'il y a des quartiers plus difficiles. » (B6, animatrice)

    « Moi, je suis une fille bien dans ma peau, du coup, il y a des choses que peut être d'autres filles verraient, des problèmes de genre, moi, ici, pas du tout. Je ne me sens pas confrontée vraiment sur le quotidien à des problèmes de genre. [...] Non, sur Queyries, je ne peux pas dire que je me sois confrontée à... Mais en essayant de travailler avec la Benauge, où là on s'est trouvé confrontées à certaines représentations. » (B7, animatrice)

    Enfin, les animateur.e.s et enseignant.e.s de Bastide-Benauge, quant à eux.elles, dénoncent l'image sexiste qui colle au quartier et mettent en avant les efforts qui ont été faits.

    « Parce que quand notre directeur général, en réunion devant les 200 salariés, a demandé qui voulait aller à la Benauge en urgence... Moi, je ne voulais pas y aller, parce que je suis né ici, je suis comme leur grand-

    frère avant tout. Mais quand j'ai vu que sur 200 personnes, il n'y en a pas un qui a levé la main. Ils avaient une image de la Benauge comme quoi c'était la racaille, plein de mecs, m'as-tu-vu, plein de sexisme. Personnellement, ça m'a touché. C'est quoi cette image qu'ils ont ? » (B8, animateur)

    Mise à part les quelques cas évoqués plus haut de professionnel.le.s qui mettaient en avant la culture ou la précarité associées à leur quartier pour expliquer les tensions entre filles et garçons, un seul des entretiens décrit un sexisme et des stéréotypes plus fort dans son quartier. Ce qui est à relever, c'est qu'il s'agit d'un professeur de guitare du quartier Jardin Public. Il évoque notamment la place de la religion catholique et le manque d'ouverture du quartier.

    « Ça faisait vraiment une réflexion très archaïque en fait. Il y a quand même ce côté-là qui reste, malgré que ça avance. Et ça, ça arrive souvent quand on propose des morceaux un peu plus... un peu de fille, oui, je suis obligé de dire ça, mais un peu plus pop, un peu plus sucrés, un peu plus soft. [...] Bon, c'est ici que ça s'est passé. Le quartier, on a quand même une population de profs, d'instits... ce n'est pas le milieu le plus rock'n'roll qui soit. C'est ces enfants-là qui viennent quand même. Ici, c'est quand même un quartier où il y a beaucoup de cathos, il y a des écoles cathos... Je pense que ça vient de là. Parce que ce n'est pas des trucs que je retrouve ailleurs ça. » (J10, professeur de guitare)

    Ainsi, les problématiques liées au genre semblent plutôt invisibilisées par les professionnel.le.s. Lorsqu'il.elles sont interrogé.e.s sur la place du genre dans leurs structures, ils.elles se défendent de tout sexisme en soulignant qu'il n'y a que peu de tensions. L'idée que l'école et les lieux de loisirs puissent être des institutions reproductrices d'une socialisation genrée n'est pas problématisée.

    De l'importance de la variable adolescence

    Les professionnel.le.s rencontré.e.s expliquent de deux manières différentes, qui se combinent parfois, pourquoi les jeunes garçons et les jeunes filles peuvent avoir des comportements différenciés, s'éviter, ne pas se comprendre ou s'insulter. Une de ces deux raisons est le fait que ces jeunes entrent dans une période vue comme difficile, celle de l'adolescence. En effet, ce moment de leur vie, perçu comme celui des changements, de l'évolution du corps, de la féminisation ou de la masculinisation explique pour beaucoup de profesionnel.le.s la particularité des rapports entre adolescents et adolescentes. Pour Y.

    Raibaud et S. Ayral (2009), cette « croyance que l'adolescence est un âge indécis sur le plan de la sexualité renforce la crainte que plus tard, l'enfant ne "bascule" dans l'homosexualité, risque pour sa santé psychique et physique [...] ». Les enseignant.e.s et animateur.e.s apparaissent alors comme les garants de la différenciation genrée.

    « On est dans l'âge de la préadolescence. C'est une période fragile, il se passe de plus en plus de choses chez ce genre de public, donc c'est moins facile à gérer. C'est un moment charnière de la scolarité et de l'âge. » (B5, professeur en Segpa)

    Certains mettent en avant l'idée que filles et garçons, à cet âge, ne se connaissent pas, et donc commencent à se découvrir. Les tensions et comportements différenciés seraient alors liés à cette étape de transition.

    « Moi, ce que j'ai pu voir, c'est vraiment cette incompréhension. "Les garçons, ils sont bêtes. Ils ne pensent qu'à ça". Bon, c'est un peu une réalité aussi, les hormones les travaillent peut être plus que les filles, à cette période là en tous cas. » (B3, assistante sociale)

    « Avec les plus petits c'est différent aussi, avant 10 ou 12 ans, on n'est pas dans le besoin de se confronter avec l'autre sexe. » (B6, animatrice)

    « L'incompréhension aussi, ils sont dans des fonctionnements complètement différents souvent, parce qu'ils ne se connaissent pas en réalité. Ils fantasment l'autre, je crois. » (B3, assistante sociale)

    D'autres relèvent que cette période transitoire n'a pas les mêmes conséquences chez les jeunes des deux sexes. La différence de maturité, stéréotype très répandu, est notamment évoquée.

    « L'adolescence ne se caractérise pas de la même manière chez les filles et chez les garçons. » (J8, professeure d'histoire-géographie)

    « Est-ce qu'on est, au niveau du collège, sur une différence de maturité ? Les filles, dès le départ, ont compris qu'il y avait des attentes ici, un règlement qu'il faut respecter. Je pense qu'il y a une part de ça, à un moment donné. Il y a ce petit décalage. Les garçons ont cette maturité souvent un peu plus tard. » (J6, professeur d'EPS)

    Enfin, pour d'autres, c'est l'entrée en jeu de la variable « sexualité » qui fait de l'adolescence ce moment si particulier. Lié à l'idée que filles et garçons ne grandissent pas de la même manière et à la même vitesse, l'innocence des filles et l'apparition des premiers

    désirs sexuels chez les garçons entraîneraient un décalage.

    « Je pense que c'est lié au développement psychologique des garçons et des filles. On a l'habitude de dire que les garçons murissent un peu moins vite que les filles. [...] On va parler d'innocence, mais en même temps il y a ce comportement sexué qui arrive progressivement. Donc il y a décalage. Une fille peut avoir envie de s'habiller avec une jupe très courte tout simplement parce qu'elle se sent bien dedans, et les garçons, à cause de ce comportement sexué, vont avoir un autre regard, moins innocent. » (J9, professeur de lettres-musique)

    La pression du groupe à la conformité

    La deuxième raison invoquée pour expliquer les difficultés entre garçons et filles, directement liée à la première, est l'importance du groupe chez les adolescents et prend une place non négligeable dans le discours des profesionnel.le.s. En effet, les comportements sexistes que l'on remarque chez les adolescent.e.s (insultes, stéréotypes...) ne seraient en fait que le résultat de la volonté de se fondre dans le groupe, de ne pas se démarquer, pour se sentir intégré.

    « Et puis, ils disent ça, mais en même temps le collège c'est les premiers amours, les premiers émois de leur vie d'adolescents. [...] Mais je crois que c'est le propre de l'adolescent, de ne pas se démarquer dans le groupe, d'être dans les idées reçues un peu. » (B1, infirmière scolaire)

    « On a quand même toujours des images en groupe : "Les filles c'est comme ça", "Les garçons c'est comme ça". "Les filles, elles vont être avec les profs, elles sont lèche-culs, elles veulent se faire bien voir, elles racontent des histoires", et puis "Les garçons, ça bouscule, c'est violent, ça se moque". Oui, ces images. [...] Donc, on se moque, mais finalement, derrière, quand on les voit seul, il y a d'autres rapports filles/garçons. » (B1, infirmière scolaire)

    « Au-delà du rapport garçon / fille, c'est plus la dynamique de groupe qui intervient. Même si, de tout temps et à jamais, les relations filles / garçons... [...] La problématique, c'est plus le phénomène de groupe, que le jeune individuellement. » (B5, professeur en Segpa)

    « Après, c'est le problème de l'adolescence, où tu as le poids du groupe. Mais il ne faut pas raisonner sur le groupe... Je ne sais pas comment dire, un groupe, il est en représentation, du coup, quelque part, des fois ils nous donnent ce que l'on attend d'eux. Il ne faut pas hésiter à provoquer ces situations individuelles, où justement, là tu parles vrai. [...] Moi j'arrive à comprendre qu'un ado devant ses potes il veut montrer une image, et nous, on n'a pas à tout démolir, ça peut être très

    dangereux. Ça ne sert à rien de mettre les gens en difficulté pour qu'ils évoluent, je pense. » (B7, animatrice)

    Les garçons et les filles sont donc vus comme différents, comme ayant des représentations et des stéréotypes de ce qu'est l'autre sexe, mais leurs relations ne sont pas décrites comme tendues ou relevant du sexisme ou de l'homophobie (ils.elles ne comprennent pas le sens de leurs insultes...). En même temps, si tensions il y a, elles ont lieu ailleurs, ou sont dues à la difficulté de la période adolescente ou à l'effet de groupe. Sexisme et homophobie semblent être vus comme des comportements pathologisés de l'adulte, mais jamais transposés en latence aux jeunes, comme si le sexisme des adultes n'était pas lié au sexisme des adolescents qu'ils ont été, et inversement.

    3- Les représentations de genre : des regards sur l'homme et la femme

    Cette partie développe les regards que portent les professionnel.le.s sur l'homme et la femme dans la société, leurs positions, leurs différences. Il s'agit, en effet, de comprendre leurs positionnements par rapport à ces différences : Sont-elles innées ou acquises ? Quelle est la place de l'éducation ? Dans quelle mesure adhèrent-ils.elles au schéma hétéronormé ?

    La répartition des rôles et des tâches : des différences complémentaires

    D'une manière générale, l'homme et la femme sont présenté.e.s comme ayant des rôles différents (qu'il s'agisse des tâches qui leur incombent ou des qualités qu'ils.elles peuvent développer), que les professionnel.le.s considèrent cet état de fait comme naturel ou construit.

    L'homme et la femme sont d'abord présenté.e.s comme étant différents, ou plutôt comme ayant quand même quelques différences, qu'elles soient des attributs physiques ou de caractère.

    [Photo 3 : galanterie] « J'aime beaucoup la galanterie. Pour moi, ce n'est pas du sexisme, c'est faire attention à l'autre, comme moi je pourrais faire attention à l'autre aussi. [...] Je ne trouve pas que ce soit s'abaisser à l'homme, on est un peu différents quand même, hein. » (B6, animatrice)

    « Après, moi, je pense que la femme et l'homme ne sont pas égaux, physiquement. Il y a des choses que je trouve normal que ce soit l'homme qui les fasse plutôt que la femme. Je ne suis pas pour l'égalité des sexes... intellectuellement peut-être, mais physiquement, on est quand même différents. » (J3, professeure de mathématiques)

    Pour certains, et notamment lorsque le thème des tâches ménagères est abordé, la répartition doit en être complémentaire. En effet, hommes et femmes sont supposés ne pas avoir les mêmes qualités physiques et psychologiques. La répartition des tâches entre donc dans une logique d'habilités supposées.

    [Photo 10 : fer à repasser] « Je suis de la génération où effectivement toutes les tâches ménagères nous incombent. Mais, pour moi, c'est une harmonie, une entente aussi. Chacun vit sa vie de couple comme il l'entend. [...] Voilà, ça ne me choque pas. Moi, j'ai toujours repassé, mon mari fait autre chose que je ne fais pas. » (B1, infirmière scolaire)

    [Photo 10 : fer à repasser] « Vu les journées que je me tape, il n'est pas question à la maison que j'en fasse plus que l'autre. Mais il y a des trucs tout cons au niveau de la force. On a beau dire, les garçons, ils sont plus forts, ils sont plus forts. Et donc du coup, dans le partage des tâches, s'il y a déplacer des bûches ou faire la vaisselle, je n'irais pas forcément déplacer des bûches où je vais me faire mal au dos. » (B7, animatrice)

    [Photo 10 : fer à repasser] « Non, non, je crois qu'aujourd'hui on est dans une société, pour la classe moyenne, de taches partagées, ou de taches négociées d'ailleurs. » (B2, éducateur spécialisé)

    Certain.e.s professionnel.le.s, en précisant qu'ils.elles dépassent ce lien, rappellent à quel point cette notion de partage des tâches est liée aux idées de féminité et de masculinité.

    [Photo 10 : fer à repasser] « Je suis pour la répartition des tâches. Moi, je cuisine tous les soirs pour ma petite famille. J'aime ça, ce n'est pas un souci. En fait, avec moi, tu es bien tombée pour ton entretien, j'ai une grande part de féminité ! » (B5, professeur en Segpa)

    [Photo 10 : fer à repasser] « Le fer à repasser, ça ne me dérange pas, je me mets devant la télé, je regarde le match, comme quoi ! » (J4, entraîneur badminton)

    Une part importante des femmes interrogées (4 sur 10, dont 3 sur 5 du quartier Jardin Public) indique, toujours concernant les tâches ménagères, en faire bien plus que leur conjoint. Aucune d'entre-elles n'attribue cette situation à un choix volontairement égoïste de la part de celui-ci : il travaille plus, a été mal élevé par sa mère, les femmes sont maniaques...

    L'une d'entre elles considère même qu'elle l'a empêché d'y contribuer.

    [Photo 10 : fer à repasser] « A la maison, je râle parce que c'est souvent moi qui fais le ménage. [...] Ce n'est pas une question de mec. Je n'ai pas ce rapport d'opposition, pour moi c'est une question de personne. [...] Alors, on pourra dire que c'est sexiste, mais les nanas, on a un seuil de tolérance, pour la plupart, beaucoup plus limité à la poussière que les hommes. Et les mecs la voient moins. » (B6, animatrice)

    [Photo 10 : fer à repasser] « Moi, avec mon mari, on s'est partagé les tâches dès le début. Après, lui, il avait un métier qui était très prenant, donc il fallait bien qu'il y en ait un qui fasse un petit peu plus. » (J3, professeure de mathématiques)

    [Photo 10 : fer à repasser] « Chez nous, mon mari est loin d'être macho, mais il s'en fiche. C'est le strict minimum. [...] Et puis chez nous, c'est particulier, parce que mon mari n'est pas le père de mon fils, donc je me suis un peu obligée à faire tout ça, pour pas qu'il n'ait à supporter... Je m'en suis trop mis sur les épaules, j'en suis bien consciente. » (J5, entraîneuse cardio-boxe)

    [Photo 10 : fer à repasser] « Je vis avec quelqu'un qui gagne très bien sa vie, et qui donc n'a pas le temps pour les tâches ménagères. Ça a été très difficile pour moi. Ce n'est pas une question que ce soit un garçon ou que ce soit une fille, parce que sa soeur c'est exactement pareil, leur mère ne voulait pas de conflit, donc du coup, elle les a servi, et elle continue. [...] Au début, vous lui apprenez, et puis en même temps, le soir, il rentre de bosser il est 22h, donc vous n'allez pas lui tendre l'aspirateur. Donc, vous le faites. » (J8, professeure d'histoiregéographie)

    Deux des dix hommes rencontrés (1 sur Bastide, 1 sur Jardin Public) développent un discours clairement axé sur une répartition des tâches entre hommes et femmes liée à la distinction entre public et privé, entre production et reproduction. Les femmes doivent s'occuper de la maison, des enfants, et de leur conjoint - leur mari - lorsqu'il rentre le soir. L'homme doit aller travailler.

    « Je connais des femmes qui disent ce qu'elles veulent à leur mari, qui bavardent, qui font les courses quand elles veulent, qui font à manger quand elles veulent, qui font l'amour quand elles veulent. Non, non ! Pourquoi on ne parle que des femmes maltraitées ? » (J7, entraîneur football)

    « On dit que sur les salaires, il y a une différence de 30% entre

    l'homme et la femme, sauf que nous, on n'a pas 9 mois de maternité

    aussi. On ne porte pas les enfants, donc tous les jours on est au travail. Ça fait depuis 1987 que je travaille ici, je n'ai jamais été absent pendant 1 jour. Une femme ne pourra pas dire la même chose. » (J7, entraîneur football)

    [Photo 10 : fer à repasser] « On est en France, mais on va trouver aussi des femmes qui assument leur position de femme au foyer, qui assument leur ménage, l'entretien de leurs enfants et de leur mari. Ce n'est pas du tout imposé, elles assument. C'est un accord. [...] Il y a des femmes qui aiment bien avoir un homme à la maison, et quand on veut avoir un homme à la maison, il ne faut pas demander à un homme de devenir une femme. Il y a des femmes qui aiment les hommes virils. » (B9, animateur)

    Finalement, si la plupart des professionnel.le.s apparaissent être en faveur d'une certaine égalité de répartition des tâches et des rôles, on voit bien que ce n'est pas toujours le cas dans la réalité de leurs foyers. On peut tout à fait envisager que, dans les équipes d'animations, où il est demandé aux professionnel.le.s de « mettre de soi » (Herman, in Raibaud et al., 2006) dans leurs activités, la même séparation soit produite.

    Une essentialisation des différences de sexe et de genre

    Dans une large majorité d'entretiens, les différences observées entre garçons et filles, entre hommes et femmes sont liées à une différence de nature entre ces derniers, qu'il s'agisse d'une nature physique ou psychologique. L'essentialisation des différences, ou l'illusion naturaliste « vise à trouver coûte que coûte à l'inégalité socialement constatée une justification biologique qui serait tapie dans les corps, et qu'il serait donc illusoire de vouloir nier » (Héritier, 2005).

    « Il y a ça aussi : ces jeunes filles qui interdisent aux autres d'exister en tant que jeunes filles. Elles sont pires que les mecs. Elles sont limite asexuée. Je suis vachement inquiète pour ces filles là, qui sont très en colère. Je pense que c'est le moyen qu'elles ont trouvé aussi pour exister, pour ne pas être embêtées par les garçons. Mais elles sont dans l'extrême. Je ne pense pas qu'elles s'éclatent, je ne pense pas qu'elles soient très heureuses comme ça, à renier une partie d'elles. » (B3, assistante sociale)

    « C'était des hommes robustes qui travaillaient avec leur corps, leurs muscles. C'est le propre de l'homme. On est dans des sociétés modernes aujourd'hui, où toutes les tâches sont réparties et l'homme ne veut plus forcément... a trouvé d'autres terrains qui l'intéressent plus. Mais sa

    propre nature, ce n'était pas ça. » (J2, professeure d'anglais)

    « Physiologiquement, ils sont faits comme ça, point barre. [...] Je pense que c'est dans leur nature quand même, ils ne peuvent pas lutter. » (J5, entraîneuse cardio-boxe)

    « Après, est-ce qu'on parle déjà ici de testostérone et d''hormones qui... Enfin, on sait que les filles et les garçons ont des développements totalement différents, donc ça joue. » (J6, professeur d'EPS)

    « Chez l'homme, c'est le système du trop plein, alors que chez la femme il y a ce cycle, cette période qui revient. Donc les relations ne peuvent pas être égales, identiques. » (J9, professeur de lettres-musique)

    L'inné et l'acquis

    La question de savoir si les différences entre hommes et femmes, entre filles et garçons, dont parlent les professionnel.le.s sont pour eux.elles des caractéristiques innées ou acquises est fondamentale. En effet, si ces différences sont acquises, il convient de se demander à la fois comment, à quel moment, et par qui elles sont transmises. Le rôle du professionnel.le dans cette transmission est alors questionné (même s'ils.elles considèrent généralement que cet apprentissage se fait auprès des parents dans la petite enfance).

    Evidemment, d'un point de vue sociologique, ces différences sont considérées comme acquises au travers de la socialisation de genre (dans la famille, à l'école, dans le groupe de pairs...). Comme le souligne l'anthropologue Françoise Héritier, la seule véritable différence de nature est celle de la reproduction. En effet, « alors que les hommes ne peuvent se reproduire dans leur mêmeté, les femmes ont la capacité incompréhensible de produire des corps différents d'elles-mêmes » (Héritier, 2005).

    Un certain nombre de professionnel.le.s interrogé.e.s, sans forcément soulever la question de l'inné et de l'acquis, relèvent la place de l'éducation dans la différenciation entre garçons et filles. Dans ce cadre, l'action des parents dans la petite enfance est considérée comme déterminante.

    « On n'est pas sorti, de la petite fille qui joue à la poupée et du petit garçon qui joue à la bagarre, ou à des choses viriles en tous cas. On n'est pas encore sorti de tout ça, le rose, le bleu. Et je pense que tout ça, ça ressort aussi. » (B1, infirmière scolaire)

    « Je pense que c'est l'éducation. Je pense que quand on est parent, peut être qu'on est plus patient avec un garçon qui est turbulent en se disant que c'est normal, parce que c'est un garçon. Alors qu'il n'y a aucune raison. Et que quand c'est une fille, on est peut être un peu moins patient, tout simplement. » (J8, professeure d'histoire-géographie)

    [Photo 9 : coeurs d'adolescente] « C'est un peu un truc, bizarrement, que l'on hérite et que l'on transmet sans y faire gaffe. Qu'on soit un garçon ou une fille, on a l'impression d'être élevés de la même manière, mais pas du tout en réalité. [...] Oui, finalement, que l'on transmet malgré nous, parce qu'on est là-dedans nous, et que finalement, le schéma reste quasiment le même. » (J1, responsable Espace Lagrange)

    [Photo 9 : coeurs d'adolescente] « Ah, l'inné et l'acquis là-dessus c'est compliqué parce que je pense aussi que si l'on élève sa fille comme le garçon que l'on n'a jamais eu, et qu'on ne lui fait faire que des choses de garçon, on va la modifier. Je fais partie de ceux qui disent que l'acquis est une part hyper importante de la personnalité d'un individu. Mais globalement, c'est vrai aussi que lorsqu'on élève une petite fille on a plutôt envie, schématiquement, qu'elle fasse de la danse plutôt que de la boxe. Et ça, que l'on soit un homme ou une femme. Donc, une fois que l'on a induit ces choix pour elle, elle va s'imprégner et donc elle va se "fillifier" de plus en plus. » (B6, professeur d'EPS)

    Nombre de professionnel.le.s avouent tout simplement ne pas savoir quelle est la part d'inné et d'acquis dans les différences de genre qu'ils.elles observent au quotidien. Il est alors impossible pour eux.elles de déterminer la place que leur institution - et donc eux.ellesmêmes - peut prendre dans la construction du genre.

    [Photo 9 : coeurs d'adolescente] « La question serait : est-ce que c'est de l'acquis ou de l'inné ? Est-ce que c'est la société qui amène à faire penser aux jeunes filles qu'elles ont le droit de pleurer, qu'elles doivent être romantiques, faire des petits coeurs, tomber amoureuse, que la sexualité... qu'elles n'ont pas accès à la sexualité des garçons, qu'elles n'ont pas le même désir ? Je ne sais pas trop. J'aurais tendance à dire que oui, les filles sont plus fleur-bleue que les garçons, la question c'est de savoir si elles le sont de façon intrinsèque ou si elles le sont devenues parce que la société les a fait grandir au milieu d'histoires de princesses et de princes charmants. Je n'en sais trop rien. Après, il y a plein de garçons qui aujourd'hui sont aussi romantiques. Et puis il y a des filles qui sont aussi prédatrices. » (B2, éducateur spécialisé)

    « Il y a une histoire de père et de mère. Ça doit être daté de... C'est inconscient à mon avis et puis ça vient de notre culture où le père, au début, c'est lui qui travaillait. La mère, elle était là pour organiser la famille. On pensait que le père avait des connaissances et que la mère en avait moins. Peut-être que ça vient de là. Mais je n'en sais rien. Je pense

    qu'il y a des choses qui sont dans la culture et qui sont ancrées depuis très longtemps, qui sont inconscientes. » (J3, professeure de mathématiques)

    « Il y a une différence, je pense, qui est plus profonde, je dirais sociétale, dans l'éducation familiale entre la fille, caricaturalement, que l'on va faire jouer à la poupée et le petit garçon que l'on va faire jouer au petit soldat. Voilà, l'éternel cliché, que l'on va retrouver dans l'expansion d'énergie et dans le fait de savoir se tenir ou pas en société ou dans un groupe, et s'insérer dans un cadre. » (J6, professeur d'EPS)

    [Photo 10 : fer à repasser] « Normalement, ça ne devrait pas être lié au sexe. Mais ça l'est, même de ma part. Est-ce que c'est quelque chose d'inné qui est lié au sexe, est-ce que c'est quelque chose d'acquis ? » (J9, professeur de lettres-musique)

    Une seule des personnes interrogées, une animatrice du quartier Bastide, affirme que les différences de sensibilité et de caractère qu'elle observe chez les jeunes et dans la société entre femmes et hommes sont déterminées par le sexe.

    [Photo 9 : coeurs d'adolescente] « Je ne pense pas qu'on apprenne à être des filles. On ferait des coeurs quand même, on ramasserait des coquillages sur la plage, et on attendrait le prince charmant pareil. Je me dis que c'est ce qui fait qu'on est une fille ou un garçon. [...] Je reste persuadée qu'il y a des choses qui sont innées. Ce côté un peu gnangnan de la fille, et le garçon un peu plus dur. Je pense que ça, ça peut être déterminé par ton sexe. » (B7, animatrice)

    Les professionnel.le.s qui s'expriment ici semblent donc être assez partagé.e.s et indécis quand à la part de l'inné et de l'acquis dans les différences de sexe et de genre qu'ils.elles observent au quotidien. En effet, soit qu'ils.elles soient convaincu.e.s de la place de l'inné, soit qu'ils.elles se retrouvent perdus face à ce dilemme, soit qu'ils.elles considèrent que l'acquis a bien une place, mais que cela se joue bien avant que les jeunes entrent dans leur classe ou dans leur centre d'animation, les enseignant.e.s et animateur.e.s ne se sentent pas acteur.e.s d'une socialisation genrée.

    Des valeurs changeantes

    Quelques unes des photographies présentées aux professionnel.le.s leur ont permis d'exprimer une forme d'insécurité quant aux valeurs liées aux différences de sexe. Ainsi, certain.e.s sont perdu.e.s quant aux codes de la galanterie : s'agit-il d'une forme de

    reconnaissance des femmes, ou, au contraire, de leur relégation séculaire à un statut de plus grande faiblesse ?

    [Photo 3 : galanterie] « C'est vrai, on est mal à l'aise par rapport à ça. Parce qu'en fait on veut aussi cette égalité un petit peu et puis en même temps on s'offusquerait presque qu'un homme nous passe devant. Alors, je ne sais pas trop, je n'arrive pas trop à me situer. L'air du temps... » (B1, infirmière scolaire)

    [Photo 3 : galanterie] « Il y a quelque chose de désuet dans la galanterie, et en même temps qui fait partie je pense des symboles de la séduction. Oui, ça interroge sur la place de la femme, et en même temps j'ai l'impression que c'est dans les codes, dans nos codes. [...] Je pense que ça se perd, mais ça se perd aussi parce que la place de l'homme et de la femme bougent. » (B2, éducateur spécialisé)

    [Photo 3 : galanterie] « C'est quand même laisser la femme dans une position de nunuche et le mec dans le pouvoir. Et à côté de ça, c'est complètement ambivalent, c'est agréable aussi. » (B3, assistante sociale)

    Un professionnel du quartier Bastide confie même ses doutes quant aux identités et places respectives des hommes - donc, la sienne - et des femmes dans la société.

    [Photo 6 : mariage homosexuel] « Quand on parle de la place de l'homme dans la société, c'est intéressant de le lier à l'homosexualité, aux représentations. Parce que l'homme s'est en partie féminisé, dans nos représentations de ce qu'est la féminité, c'est-à-dire qu'il prend soin de lui physiquement, dans ses habits, ce qui jusque là était un attribut de la femme mais pas de l'homme. [...] Et dans mes représentations, l'homme a tellement bougé que les femmes aujourd'hui sont un peu perdues. Et du coup, j'ai l'impression que l'homme a une place un peu compliquée aujourd'hui parce qu'il ne sait plus très bien où se situer. Est-ce qu'il doit être doux et tendre ou quand même cet arbre solidement ancré qui résiste au vent, qui sécurise la famille, la femme. » (B2, éducateur spécialisé)

    Finalement, cette partie et la précédente ne font que refléter l'idée que les professionnel.le.s ne sont pas sensibilisé.e.s aux questions du genre et qui donc, ayant été socialisé.e.s dans une société où les normes de genre évoluent et se multiplient, ont peu de repères.

    Images de la féminité et de la virilité

    Sont explorées ici les représentations des professionnel.le.s quant à la féminité et la

    masculinité. Comment faut-il se comporter, se vêtir lorsqu'on est un homme ou une femme ?


    · Etre pudique et séduire : la femme sous le regard du « male gaze »

    Un nombre important de professionnel.le.s rencontré.e.s s'expriment, lorsque, le plus souvent, les photographies d'une femme en burqa, d'une prostituée, ou du collectif Femen9 leur sont présentées, sur les façons de s'habiller et de se présenter des femmes. Il s'agit de cet aspect capital de la domination masculine qui est de constituer « les femmes en objets symboliques dont l'être est un être perçu », puiqu' « elles existent par et pour le regard des autres » (Bourdieu, 1998).

    Duits et Van Zoonen (2006) parlent de « regulation of female sexuality » à travers le « male gaze », ce regard de l'homme auquel la femme ne doit ni trop se soumettre, ni trop se soustraire. « The task for a girl is to find a place somewhere in the middle of this decency continuum, between visible G-strings and headscarfs, in order to satisfy the contradictory requirements of western modernity and feminism. » (Duits and van Zoonen, 2006).

    [Photo 2 : action du collectif Femen] « Parce que quand les filles sont voilées, c'est une chose, mais quand les nanas sont en string, ça me choque tout autant. » (B3, assistante sociale)

    Ainsi, les femmes doivent se plier à des critères de décence, ne pas trop montrer leur corps, au risque qu'il soit sexualisé par ce « male gaze ».

    [Photo 2 : action du collectif Femen] « Mais ça ressemble à quoi ? A rien. Non, honnêtement, c'est provoquer pour provoquer. » (B1, infirmière scolaire)

    [Photo 2 : action du collectif Femen] « Qu'est-ce qu'elles donnent à voir là ? Cette photo est quand même assez hallucinante, on voit la moitié des fesses des deux jeunes filles et heureusement que la troisième a de longs cheveux sinon on verrait son décolleté... [...] Elles donnent à voir une position de femme qui va à l'encontre de... » (B2, éducateur spécialisé)

    [Photo 2 : action du collectif Femen] « Outre l'aspect plutôt sympathique de voir des seins nus exhibés, c'est aussi une réaction qui me semble extrêmement excessive et qui, je dirais brutalement, défavorise la condition féminine. » (B10, professeur 3e insertion)

    9 Voir photographies en annexe 3.

    [Photo 2 : action du collectif Femen] « Je trouve ça nul ! Franchement, c'est honteux. C'est choquant en plus.[...] Elles montrent une image de la femme dégradante. » (J3, professeure de mathématiques)

    [Photo 4 : Ilham Moussaïd] « Les décolletés aussi... A partir de quel moment, nous, on doit considérer que le décolleté est trop plongeant ? Par rapport à nous, adultes, hommes en plus ou à leurs camarades, congénères, par rapport aux filles qui ne sont pas encore développées, qui ne sont pas encore pubères. Oui, ça pose souci. C'est délicat d'intervenir là-dessus. » (J6, professeur d'EPS)

    A l'inverse, elles ne doivent pas non plus se cacher, se soustraire au regard des hommes, et des autres femmes.

    [Photo 5 : femme en burqa] « Ah ça ! Là, je ne comprends pas. Je ne supporte pas, je ne peux pas. Alors pour moi, elle se cache, ce n'est pas possible. (...) Il y a des moments où l'on n'est pas tolérant, je suis honnête. Je ne peux pas. Pour moi, c'est une façon de se cacher. Ça représente quoi ça ? Non. J'ai écouté leurs témoignages à la télé. Non. Cette soumission aux hommes... » (B1, infirmière scolaire)

    [Photo 5 : femme en burqa] "Comme je t'ai dit, je suis musulmane, et je ne comprends pas qu'on puisse vouloir absolument se protéger ou se cacher de cette manière là. » (B4, éducatrice spécialisée)

    [Photo 5 : femme en burqa] « Je me dis mince, elle est cachée de tout, elle se cache. Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi on ne cache pas l'homme, à la limite ? Pourquoi que la femme ? » (B6, animatrice)

    [Photo 5 : femme en burqa] « J'aime les belles femmes, alors quand je vois une femme, comme ça, qui cache son visage, une partie que l'on doit admirer, que l'on doit adorer, je me dis qu'il manque quelque chose. [...] Il manque quelque chose, il manque sa beauté. Je me demande si elle se méfie de moi. [...] J'aime draguer les femmes, mais quand je vois une femme comme ça, je n'ose même pas. » (J7, entraîneur football)

    Une des animatrices du quartier Bastide interviewée dénonce cet état de fait en rappelant la catégorisation en deux types de femmes (la mère et la putain), en substituant au modèle de la mère celui de la bonne musulmane.

    [Photo 4 : Ilham Moussaïd] « Quand tu le vois comme ça, tu te dis que c'est plutôt sympa aussi, de ne pas tout montrer, de se réserver à un milieu intime et familial. Ce qu'il y a, c'est que c'est très mal perçu. Dès l'instant où tu te dis que telle personne elle est habillée comme ça, donc... Ouais, tu portes une mini-jupe, t'es une pute. Tu portes un foulard, t'es une bonne musulmane. » (B6, animatrice)


    · De la virilité

    La virilité semble plus difficile à définir pour les interviewé.e.s, sûrement du fait de l' « androcentrisme qui nous fait penser le masculin comme le normal, le général, et les femmes comme le particulier, le spécifique » (Welzer-Lang, 2010). Les descriptions de la virilité qui suivent parlent d'une façon d'être, d'une physionomie. L'homme est viril parce qu'il est homme, parce qu'il est lui-même.

    [Photo 7 : Sébastien Chabal] « Ce n'est même pas de l'autorité, ce n'est même pas de l'apparence, c'est surement une impression plutôt, une façon d'être. » (J1, responsable Espace Lagrange)

    [Photo 7 : Sébastien Chabal] « Il est viril parce que nous on n'a pas autant de poils, nous on n'est pas viriles, donc oui, forcément c'est le contraire de nous. [...] C'est quelqu'un qui est bien avec lui-même. L'homme, de toute façon, va être viril dans ses comportements, s'il est ce qu'il est, bon ben voilà. » (J5, entraîneuse cardio-boxe)

    [Photo 7 : Sébastien Chabal] « Je ne me suis jamais posé la question de ce que c'est être viril. Après, il y a peut-être une question de puissance aussi liée à la virilité, mais bon, c'est induit de fait par la morphologie. » (J4, entraîneur badminton)

    [Photo 7 : Sébastien Chabal] « Je pense que c'est plus dur pour un homme que pour une femme de répondre à ça. Est-ce qu'il est viril ? Moi, je suis hétérosexuel, et c'est vrai que ce n'est pas forcément évident pour moi de dire s'il est viril ou pas. [...] C'est quoi être un homme pour moi ou pour une femme qui veut être séduite par un homme ? [...] Pilosité, masse musculaire, carrure, force physique. C'est peut-être ça la virilité. » (J6, professeur d'EPS)

    Pouvoir et soumission : des sensibilités différentes

    Directement liées aux images de la féminité et de la masculinité dans le discours des interviewé.e.s, se trouvent les représentations qu'ils.elles ont de leur « tempérament ». Ainsi, l'homme serait un prédateur sexuel avide de pouvoir, et la femme un être à protéger, même si, bien sûr, les professionne.le.s, pour la plupart d'entre eux.elles, apportent des nuances à cette première description.


    · Pouvoir et prédation sexuelle de l'homme

    Ainsi, si la régulation de la sexualité féminine contraint les femmes à ne se montrer ni trop, ni trop peu, ce serait du fait d'une sexualité masculine débordante, incontrôlable, nécessaire.

    [Photo 5 : femme en burqa] : « J'ai envie de dire non, question de respect pour la femme, de sa place dans la société, ce n'est pas possible. Et même, vis-à-vis de l'homme, parce que la burqa est présente sur les femmes parce que les hommes sont des animaux et qu'ils ne sont pas capables de se contenir. » (B2, éducateur spécialisé)

    [Photo 8: prostituée] « Ça interroge sur la place de la femme et aussi de l'homme du coup... Parce que ça ramène quand même l'homme à une place de prédateur qui a besoin de sexualité, qui est prêt à payer pour le faire, et la femme qui, elle, n'est pas du tout là-dedans. » (B2, éducateur spécialisé)

    [Photo 8: prostituée] « Peut-être parce que la personnalité masculine, cet aspect qu'on a évoqué de puissance, passe aussi par cette puissance sexuelle. Alors, outre le fait de satisfaire des besoins ou des envies, cette puissance passe aussi par la puissance sexuelle. Et peut être que l'homme a besoin, sexuellement, de s'épancher plus que la femme. Ils n'ont pas forcément les mêmes besoins. » (B10, professeur 3e insertion)

    [Photo 8 : prostituée] « Je pense qu'il y a des hommes qui en ont besoin, parce qu'ils n'ont pas d'autres moyens. Donc je pense que... je l'ai entendu dire par des psychologues ça, mais bon, je le pense aussi... je pense que ça peut empêcher des choses un peu plus... des viols, des choses comme ça. » (J4, entraîneur badminton)

    [Photo 5 : femme en burqa] « Le fait de cacher la femme... Ça sous entend que l'homme n'est pas capable de maîtriser ses pulsions, donc il doit absolument cacher ces objets de désir. » (J9, professeur de lettresmusique)

    Cette sexualité débordante est liée à la notion de pouvoir. En effet, l'homme qui a du pouvoir dans son travail aurait besoin de se défouler, de trouver un exutoire. A l'inverse, l'homme qui manque de pouvoir - et qui a donc du mal à asseoir sa masculinité - aurait besoin de cette sexualité abondante pour se sentir homme.

    [Photo 1 : DSK] « On ne sait pas ce que c'est d'avoir ce genre de responsabilités. J'aurais autant de pouvoir de décision, je ne sais pas de quoi j'aurais besoin pour décompresser. [...] Mais je crois que les gens qui ont énormément de responsabilités, la société fait que ce sont les hommes, mais je suis sûre que si c'était les femmes ce serait pareil, ce n'est pas vraiment lié au sexe... Le sexe, c'est quand même un rapport de

    force, c'est quand même un exutoire, il y a une notion de plaisir, et ce n'est pas de la drogue, dont on sait que c'est mauvais pour la santé. » (B7, animatrice)

    [Photo 1 : DSK] « Je pense que des hommes comme lui sont de toute façon mégalos, sont de toute façon des gens à fort caractère, et pourquoi pas avec une forte libido directement liée à toutes ces capacités à encaisser ce stress, cette vie incroyable. » (J6, professeur d'EPS)

    [Photo 8: prostituée] « Et je pense que les hommes, ils sont dans cette recherche de pouvoir, qu'ils ne peuvent pas forcément trouver ou dans leur boulot parce que peut-être qu'ils sont subalternes, ou à la maison parce que leur femme a pris une position... Et ce pouvoir, ils le trouvent dans les prostituées, et ils payent, et ils trouvent naturel de payer. » (B3, assistante sociale)

    Ce « caractère » de l'homme est bien sur un effet de la socialisation de genre, où les garçons apprennent, parfois dans la douleur, à se positionner en tant que dominants. C'est ce que Daniel Welzer-Lang (2007) appelle le « dressage à la libido dominandi ».


    · Soumission de la femme, désir de sécurité

    Le pouvoir et la sexualité débridée de l'homme est souvent associé au risque de soumission pour la femme et à un désir de sécurité. Ainsi, la femme serait quelqu'un - ou quelque chose - à protéger (de cette sexualité masculine, en fondant un foyer où un homme assurerait cette protection).

    [Photo 3 : galanterie] « Il y a ce côté protecteur. Forcément, on est fait différents, et ça, ça va toujours rester, la femme un peu plus faible, entre guillemets, que l'homme. » (J5, entraîneuse en cardio-boxe)

    Ainsi, on en revient au contrôle de la sexualité et de l'apparence des femmes. Porter la burqa pour une musulmane est vu comme un acte de soumission (et jamais comme un acte de parole).

    [Photo 5 : femme en burqa] « C'est le manque de connaissance qui fait qu'elles se soumettent. Elles n'ont pas de sens critique, elles n'ont pas assez d'ouverture sur le monde, donc le premier qui va leur dire de se mettre ça, et bien elles vont le mettre. » (J3, professeure de mathématiques)

    [Photo 5 : femme en burqa] « Je ne suis pas sûr qu'une femme prenne

    la décision de s'habiller comme ça d'elle-même. Elle doit subir certaines pressions qui font qu'elle s'habille comme ça pour ne pas plaire à d'autres, elle doit appartenir à... C'est une femme objet. » (J7, entraineur football)

    Se prostituer, vendre son corps, qui devrait être protégé, est vu comme un acte de soumission.

    [Photo 8: prostituée] « L'image de la femme, la façon dont elle traite son corps qui nous renvoie à quelque chose de dégradant que l'on a envie de protéger. [...] J'ai envie de dire non, pas de prostitution pour protéger les femmes. » (B2, éducateur spécialisé)

    Dans le même ordre d'idée, et pour justifier cette nécessité de protéger la femme, certains des interviewé.e.s rappellent qu'hommes et femmes ont des caractères et des attentes bien différents : si l'un, comme on l'a vu, recherche la sexualité, l'autre attend amour et protection.

    [Photo 8: prostituée] « La femme, avant tout, c'est une douceur. L'homme, il va consommer comme si, je ne sais pas, il allait voir une pièce de théâtre ou voir un film. Là, il va passer un moment avec une femme. [...] Une femme qui fait de la prostitution, je dirais que c'est par obligation financière. L'homme, il peut consommer sans amour. Mais la femme, normale, qui n'a pas de problèmes, elle ne peut pas consommer sans amour. La femme, qu'on le veuille ou non, elle a quand même cette dignité en elle. Elle vend son corps, mais au fond d'elle, elle est dégoutée. Lui, le désir, il l'a, avec amour ou sans amour, c'est le désir. C'est pour ça qu'on parle de viol. Un homme qui viole, il a un désir, la femme qui se fait violer, non. Parce que la femme, elle a une pudeur par rapport à son corps qui est plus valorisante. » (B9, animateur)

    [Photo 9 : coeurs d'adolescente] « Les filles sont romantiques... Je ne sais pas pourquoi. On a un cerveau qui réfléchit en pensant à la protection parce qu'on est formatées pour avoir des enfants aussi. On imagine un foyer, on imagine une maison, et de l'amour. » (J2, professeure d'anglais)

    Or, ces désirs, lorsqu'ils existent, chez les femmes, sont le résultat de la socialisation genrée. Comme l'explique Daniel Welzer-Lang (2007) : « les filles sont socialisées dans le travail de la beauté, la quête du Prince Charmant, les apprentissages à leur (futur) rôle de mère par l'incorporation de la maternitude, de la libido maternadi [...] ».

    Hétéronormativité, homosexualité, homoparentalité

    Lorsque l'on s'intéresse au genre, à la construction des normes genrées, l'homosexualité et l'hétéronormativité ont une place particulière. En effet, comme le précise Welzer-Lang (2007) : « j'ai proposé de définir l'homophobie comme la discrimination envers les personnes qui montrent, ou à qui l'on prête, certaines qualités (ou défauts) attribués à l'autre genre. L'homophobie bétonne les frontières de genre. »

    Parmi le panel des interrogé.e.s, un quart se dit favorable au mariage homosexuel et à l'homoparentalité. Pour eux, il s'agit d'un droit.

    [Photo 6 : mariage homosexuel] « Au niveau civil, je n'y vois aucun inconvénient. Je crois que la société, il faut inévitablement qu'elle soit plus ouverte à ça. Ce n'est pas une maladie, l'homosexualité. [...] Je crois que quand ils ont cette dynamique là de vraiment avoir envie de donner, d'élever un enfant, ils sont encore beaucoup plus motivés qu'un couple hétérosexuel. Alors oui, ça ne me gêne pas du tout. » (B1, infirmière scolaire)

    [Photo 6 : mariage homosexuel] Super, moi je suis pour le mariage des homosexuels. [...] Voilà, il a deux papas. Mais ce n'est pas pour autant que l'enfant sera en danger moral, sexuel ou éducatif. » (B3, assistante sociale)

    [Photo 6 : mariage homosexuel] Alors ça, moi, je suis archi-pour. C'est con, déjà, de devoir se marier pour justifier que l'on soit un couple. [...] Moi, je suis pour l'adoption, pour que des homosexuels puissent adopter. Franchement, pour moi, c'est évident. Je suis d'accord pour dire qu'il faut qu'un enfant ait une relation avec un homme et une relation avec une femme, mais dans un environnement, on a tout ça. » (B6, animatrice)

    [Photo 6 : mariage homosexuel] « Quand on dit mariage, on dit adoption, ça ne me pose pas de problème non plus. En plus, eux, ils savent qu'ils sont regardés, donc je pense qu'ils feront plus attention que n'importe quels parents. [...] Il y a un moment où il y a des enfants qui n'ont pas de parents, et ce dont a besoin un enfant, c'est de parents. Je préfère qu'ils soient adoptés par des homosexuels plutôt qu'ils restent croupir dans un foyer. » (B7, animatrice)

    [Photo 6 : mariage homosexuel] « Je trouve ça bien qu'ils aient les mêmes droits. Je pense même qu'ils peuvent adopter des enfants, comme tout le monde, qu'ils ont exactement les mêmes droits que les hétérosexuels en fait. » (J10, professeur de guitare)

    Cependant, au moins autant de professionnel.le.s rencontré.e.s s'opposent à l'idée de

    l'adoption. Pour eux.elles, elle remet en cause la norme du couple hétérosexuel comme seul modèle de parentalité, et, en ce sens, met en danger la stabilité de la construction des enfants, puisque cette construction est liée à l'apprentissage des normes de genre, données en exemple par les rôles du père et de la mère.

    [Photo 6 : mariage homosexuel] « L'homosexualité, c'est un comportement qui personnellement ne me choque pas. [...] Par contre, je suis père de famille, j'ai une idée assez définie de la conception de l'enfant et de la manière dont il doit être élevé, de son équilibre. » (B10, professeur 3e insertion)

    [Photo 6 : mariage homosexuel] « S'ils ont le droit d'être ensemble, ils ont le droit de se marier, ils ont le droit d'adopter. Alors après, au niveau des enfants, il y a peut être un souci qui se pose. Après, moi, je ne suis pas psychologue. Il y a peut-être un souci qui se pose au niveau de la psychologie. » (J4, entraîneur en badminton)

    [Photo 6 : mariage homosexuel] « Ils sont bien mignons mais... J'accepte ça, je veux dire... je les comprends, de s'aimer, de vouloir sceller leur union... Mais au point de se marier, je ne sais pas. Je ne trouve pas ça... Je ne dis pas que c'est réservé juste aux femmes et aux hommes, mais... je ne sais pas, c'est l'aspect homme-homme ou femme-femme carrément, c'est un peu... Je ne sais pas, je suis un peu mitigée sur l'homosexualité de toute façon. [...] - (Question) : Et l'adoption ? - (Elle) : Ah, encore moins, ça je trouve ça aberrant complètement. Tu imagines les repères ? Complètement faussés ! Déjà que c'est difficile avec cette société capitaliste trop sexuée, tu imagines là ? Le flop total. » (J5, entraîneuse cardio-boxe)

    [Photo 6 : mariage homosexuel] « Est-ce qu'on n'a pas quand même intérêt à avoir comme référent encore la bulle, le foyer nucléaire avec un homme et une femme, ou est-ce qu'on peut se permettre de proposer un couple homosexuel pour l'éducation d'enfants ? » (J6, professeur d'EPS)

    [Photo 6 : mariage homosexuel] « Pour avoir l'équilibre d'un enfant, je crois qu'il faut qu'il ait un papa et une maman. Quand même, je m'occupe d'enfants, et je connais pas mal de gamins qui sont un peu déboussolés, ne serait-ce que par le divorce des parents. Si maintenant, à la maison, ils ont pour parents naturels deux hommes, franchement, ils ne s'en sortent pas, je ne crois pas. » (J7, entraineur football)

    Deux des enseignant.e.s et animateur.e.s interviewé.e.s exposent, quant à eux, des propos clairement homophobes. En effet, pour eux, la sexualité et l'union homosexuelles vont à l'encontre d'une nature des relations sexuelles qui serait nécessairement hétérosexuelle et menace donc l'ordre établi.

    [Photo 6 : mariage homosexuel] « Moi, je ne cautionne pas ça, parce qu'en fait, derrière ça, il y a autre chose, l'adoption. Ça, ça me gêne. Après, que leur boite à caca fasse commerce, c'est leur problème. Qu'ils se marient, ça ne me dérange pas, mais après, il faut s'arrêter là. Il faut s'arrêter au sexe, il ne faut pas aller au-delà. Il ne faut pas confondre une famille normale avec des homosexuels. [...] Depuis la nuit des temps, depuis que l'homme et la femme existent, ça a toujours été un homme avec une femme, une famille. C'est ça, la société. Sinon, il n'y a plus de société. » (B9, animateur)

    [Photo 6 : mariage homosexuel] « Alors, les homosexuels. Moi, tant qu'ils ne m'embêtent pas, ils font ce qu'ils veulent. Dès qu'ils vont venir influer sur ma façon de vivre, je ne serais pas d'accord. Mais là, je m'en fiche. Qu'ils vivent entre eux. » (J3, professeure de mathématiques)

    S'il faut relever qu'un quart des professionnel.le.s adopte une position progressiste sur l'homosexualité, plus nombreux sont ceux qui adhèrent au modèle hétéronormé, surtout lorsqu'on aborde l'éventualité de l'homoparentalité.

    Les représentations qu'ont les professionnel.le.s des différences et des rapports entre hommes et femmes apparaissent donc comme fortement ancrées dans les schémas hétéronormés et hétérosexistes, même s'ils revendiquent généralement un idéal d'égalité, et que certains d'entre-eux.elles semblent, sur certains points, chercher à s'en détacher.

    III- Des institutions génératrices de différenciation

    Les professionnel.ls.s de l'école et des lieux de loisirs ont donc des représentations genrées qui entrent dans le cadre de l'hétéronormativité et de la naturalité. De plus, ils.elles considèrent généralement que les filles et les garçons qu'ils.elles côtoient au quotidien, même si les relations ne sont que relativement tendues, ont des façons de se comporter, de penser, et d'agir qui sont différentes.

    Cependant, la grande majorité de ces professionnel.le.s considère qu'aller vers une plus grande égalité entre les sexes et vers des relations moins sexistes et moins homophobes est un but pour la société, et plus particulièrement pour l'institution dont ils.elles font partie.

    Il s'agit ici d'exposer en quoi le fonctionnement de l'école et des lieux de loisirs peut participer au maintien du système catégoriel asymétrique des sexes, malgré le fait que les

    professionnel.le.s prônent une égalité de traitement et de considération, et de comprendre ce que cela produit chez les jeunes filles et les jeunes garçons qui fréquentent ces institutions socialisatrices.

    1- Produire des hommes et des femmes

    Si l'école, et par extension, les lieux de loisirs organisés à sa périphérie, ont pour rôle d'éduquer, d'instruire, de produire des individus, on peut penser qu'ils produisent en réalité des hommes et des femmes, sans que cela ne soit un choix délibéré des acteur.e.s qui les composent. Pour Marie Duru-Bellat (2008), « dans ses routines quotidiennes, il suffit que l'école fonctionne comme un milieu social "normal", où s'expriment par des voies multiples les rapports de "domination ordinaire" qui prévalent dans la société, pour que des inégalités sexuées (comme d'ailleurs sociales) y soient continûment fabriquées. »

    Ainsi, à travers les attentes des adultes, les interactions pédagogiques, les contacts avec les pairs ou la confrontation aux contenus des programmes et des manuels, les jeunes continuent d'apprendre chaque jours qu'ils.elles sont soit un garçon, soit une fille, et que cela a des implications sur ce que la société attend d'eux.elles et sur ce qu'ils.elles doivent être dans leurs interactions au quotidien. En effet, « à l'école comme dans les familles ou dans la société toute entière, les attentes envers chaque sexe sont différentes ; or l'attente fait advenir son objet » (Ayral, 2011).

    Cela explique en partie le constat de plus grande réussite scolaire des filles fait depuis quelques années. En effet, pour les filles, « les comportements féminins prescrits étant en adéquation avec les attentes de l'institution (obéissance, soumission, calme, conformisme, attention...), elles exercent correctement leur métier d'élève ». En revanche, « les garçons se heurtent, quant à eux, à une contradiction entre les caractéristiques masculines socialement reconnues (indépendance, comportements moteurs...) et les attentes scolaires » (CourtinatCamps et Prêteur, 2010).

    Sylvie Ayral (2011) donne à voir le caractère paradoxal de cette socialisation différenciée à l'école. En effet, elle s'intéresse aux sanctions données aux élèves de collège et constate que les garçons représentent environ 80 % des élèves punis, et ce quel que soit le type d'établissement étudié. Ces derniers, moins bien préparés à la discipline scolaire que

    leurs consoeurs, et socialisés à la violence et à la domination, franchissent beaucoup plus facilement les règles, et se voient sanctionnés plus souvent. La sanction se transformerait alors en une sorte de « médaille de virilité » et participerait des rites d'initiation à devenir un homme.

    Il a également été constaté dans cette étude que l'organisation genrée des centres sociaux et de la maison de quartier étudiés en fait des maisons-des-hommes et des maisonsdes-femmes. Or, étant entendu que le masculin est toujours vu comme neutre, et ceci probablement du fait de la quasi absence d'études sur la construction du masculin et son pendant, la victimologie à propos des femmes qui existe parfois dans le social et ailleurs dans la société, l'école et les lieux de loisirs, sous l'égide de la neutralité républicaine, cherchent à produire des hommes, et non pas des individus. « Cet entre soi des garçons dans la maisondes-hommes est fortement encouragé et soutenu par les institutions, à l'école ou dans les lieux de loisirs périphériques à l'école où l'on met un soin considérable à donner des moyens aux garçons d'être eux-mêmes, c'est-à-dire de "ne pas être des homosexuels". On voit bien qu'il y a une continuité (c'est donc bien un problème politique) entre un système androcentrique, hiérarchique, patriarcal, et un système d'éducation qui vise à faire des "vrais" garçons » (Raibaud, 2011).

    2- Sexisme et homophobie

    Parce que cette identité genrée se construit justement sur la naturalisation des différences et la hiérarchisation des sexes, elle ne peut qu'être à l'origine de stéréotypes et de comportements tels que le sexisme et l'homophobie. En effet, ces identités font partie de ce que Bourdieu appelle la violence symbolique liée à la domination masculine. « Alors que, loin d'affirmer que les structures de dominations sont anhistoriques, j'essaierai d'établir qu'elles sont le produit d'un travail incessant (donc historique) de reproduction auquel contribuent des agents singuliers (dont les hommes, avec des armes comme la violence physique et la violence symbolique) et des institutions, familles, Eglise, Ecole, Etat » (Bourdieu, 1998).

    Si le sexisme est le fait de considérer qu'hommes et femmes sont différents par nature et de ce fait de leur accorder un traitement différencié, l'homophobie s'inscrit dans la même économie de la domination masculine puisqu'elle remet en cause les attributions de genre. Ainsi, l'école et les lieux de loisirs, en produisant des filles et des garçons genré.e.s,

    encouragent les attitudes de défiance vis-à-vis de ceux.celles qui sont assigné.e.s à être dominé.e.s, les individu.e.s vu.e.s comme femmes, et de ceux.celles qui subvertissent les normes du genre, les individu.e.s vu.e.s comme homosexuel.le.s, entre autres.

    La participation de ces institutions à la socialisation genrée des garçons a une place importante dans ce phénomène. En effet, comme il a été souligné plus haut, l'apprentissage de la masculinité se construit par le rejet de tout ce qui n'est pas viril : femmes, homosexuel.le.s, hommes pas assez masculins.

    3- Un destin sexué

    Si les filles réussissent généralement mieux à l'école, elles n'accèdent pas à tous les domaines du savoir et rentabilisent moins bien leur bagage scolaire que les garçons. Marie Duru-Bellat (2008) souligne le handicap appris des filles, celui de développer une plus grande dépendance vis-à-vis des adultes. « Le ver de la confiance en soi (inégale) est donc dans le fruit, et même si, à court terme, les filles réussissent mieux à l'école, on peut estimer que les inégalités ne sont que différées [...] ».

    Ainsi, les différences de socialisation entrainent des différences de volonté d'orientation et de degrés d'ambition, ou d'objectif à atteindre pour les filles et pour les garçons. Il en découle une reproduction des positions sexuées, l'école étant « l' "agence d'orientation" qui fabrique des itinéraires masculins et féminins » (Duru-Bellat, 2008). Bien sûr, ce n'est pas l'école qui décide que certains métiers ou secteurs sont difficilement accessibles pour une fille, ni même que les professions les plus valorisées sont généralement réservées aux hommes, mais le marché du travail.

    Dans une autre mesure, Sylvie Ayral montre que, parce que les sanctions scolaires sont des rites différenciateurs de sexe qui consacrent la virilité, elles ont pour effet d'encourager les garçons dans « une identité masculine caricaturale qui s'exprime par le défi, la transgression, les conduites sexistes, homophobes et violentes » (Ayral, 2011), ce qui a nécessairement des conséquences au-delà de l'école.

    Finalement, si les stéréotypes hétérosexistes sont reproduits par l'école et les lieux de loisirs, cela encourage les représentations et les comportements sexistes et homophobes dans ces institutions, mais aussi en dehors d'elles, et a des implications tout au long de la vie des

    individu.e.s qui y sont socialisé.e.s.

    PARTIE 3 - ENJEUX OPERATIONNELS ET SCIENTIFIQUES

    « La seule manière de sortir de la violence consisterait à prendre conscience des mécanismes de répulsion, d'exclusion, de haine ou encore de mépris afin de les réduire à néant grâce à une éducation de l'enfant relayée par tous. »

    Françoise Héritier

    I- Enjeux pour le commanditaire : l'offre de formation

    L'ensemble des professionnel.le.s entretenu.e.s apparaît donc comme très peu sensibilisé aux effets de leurs actions (même passives et inconscientes) sur l'entretien et la reproduction des stéréotypes de genre chez les jeunes qu'ils.elles côtoient au quotidien. Dans la perspective d'une formation courte que pourrait proposer la mairie de Bordeaux afin de luter contre le sexisme et l'homophobie, il faut alors se demander comment leur permettre de prendre conscience de cette responsabilité et de leur offrir les moyens de modifier leurs pratiques dans ce sens.

    Il ne s'agit pas ici de remettre en cause complètement la socialisation genrée et la différenciation entre garçons et filles, mais d'en comprendre les conséquences pour l'un et l'autre sexe afin d'atténuer les stéréotypes et les inégalités.

    1- Evaluation des participants à « Cet autre que moi »

    Sept des vingt professionnel.le.s rencontré.e.s pour cette étude ont pu participer à la formation à l'outil « Cet autre que moi », organisée par la mairie de Bordeaux en fin d'année 2011. Cette formation se déroule sur trois séances d'une journée chacune. L'outil présenté est à la fois un DVD comportant quatre courts métrages mettant en scène des adolescent.e.s (des collégien.ne.s) dans diverses situations concernant la vie sexuelle et affective, et une méthode d'utilisation de ces supports vidéo avec les jeunes. En effet, l'accent est mis sur la discussion, sur l'expression des différents points de vue des adolescent.e.s, sans l'intervention d'une éventuelle autorité porteuse et garante d'une vérité. L'animateur.e ( le.la professionnel.le formé.e), en organisateur du débat, questionne les jeunes pour les encourager à s'exprimer, mais ne doit pas se positionner en juge.

    En formant ces professionnel.le.s, le but est à la fois qu'ils.elles puissent mettre en place l'outil sur leur structure ou leur quartier, mais qu'ils.elles puissent également intervenir lors de l'animation du support sur d'autres quartiers ou structure de la ville de Bordeaux, afin de permettre aux jeunes d'échanger et de réfléchir sur leurs représentations.

    Les entretiens menés pour cette recherche ont tous eu lieu après que la chercheure ait participé, en tant qu'assistante d'éducation dans un lycée professionnel de l'agglomération

    bordelaise, au même groupe de formation que les interviewé.e.s. Ils.elles livrent donc ici leur avis sur la formation à une co-membre de la communauté éducative plus qu'à une étudiante en sociologie.

    Pour deux des professionnel.le.s interrogé.e.s, cette formation et cet outil leur ont apporté une réflexion, un échange avec d'autres professionnel.le.s, chose qu'ils.elles attendaient. Il faut noter que ces deux professionnelles sont l'assistante sociale et l'infirmière scolaire, qui ont un statut un peu particulier à ce niveau-là à l'intérieur de l'école.

    « (Question) : Est-ce que tu y trouves ce que tu attends à ce colloque ou à la formation ? - (Elle) : Oui, quand même, parce que ça fait réfléchir. [...] Mais ce qui est intéressant dans ces formations, c'est que tu n'es pas tout seul dans ton coin à essayer de régler tes petits problèmes. On est dans une autre réflexion. Ça nous donne une autre dimension. Non, c'est super intéressant, surtout quand on est dans son petit environnement. Moi, je suis soute seule professionnelle. [...] Ça m'aide à comprendre certaines réactions des élèves, et puis la façon de l'aborder. » (B1, infirmière scolaire)

    « Je me rends compte avec cette formation que la mixité peut être vraiment très importante, à part justement si elle bloque, moi c'est ce qui m'inquiète. Nous, on a toujours travaillé avec les garçons d'un côté et les filles de l'autre. Et je me rends compte que ça manque qu'il y ait cet échange. [...] Je pense que, quelque part, j'étais dans la non-mixité. Je me cachais en me disant que ça leur permettait de parler, que la parole se libère d'avantage. Mais en même temps, c'était peut être un moyen d'être moins en difficulté. [...] Ça faisait plusieurs années que je recherchais vraiment un autre outil. C'était important pour moi. » (B3, assistante sociale)

    Pour deux autres, la formation leur a apporté quelque chose, mais pas concernant le genre ou la mixité. En effet, c'est par la méthode de discussion avec les adolescents que ces deux animatrices ont été convaincues. Toute deux précisent justement qu'elles cherchaient un outil pour le débat, sans jugement.

    « Moi, j'ai trouvé ça super, ça m'a fait du bien de savoir que l'on pouvait avoir des débats comme ça, depuis le temps que... Moi, je crois en ça. Et quand tu ne peux pas le faire, c'était plutôt la frustration qu'autre chose. C'est plutôt dans la discussion que je trouve que l'on construit. Donc là, on a des outils. C'est une bonne formation. Ça manque un peu d'entrainement évidemment, mais ce n'est que quand on se jettera à l'eau qu'on y arrivera... » (B6, animatrice)

    « Et du coup, on nous avait présenté l'outil "Cet autre que moi". Ce qui

    m'a plu, direct, dans cet outil, c'est ce côté... Parce que moi, dans le monde du travail social, je souffre de cette idée selon laquelle l'adulte détient l'autorité, la vérité. [...] Ça, c'est quelque chose qui a fait tilt tout de suite dans ma tête. Et donc, c'est vraiment ça que je venais chercher dans l'outil "Cet autre que moi". J'aurais des tas de gens à y envoyer ! » (B7, animatrice)

    Enfin, trois des sept personnes interrogées sur la formation « Cet autre que moi », n'y ont pas trouvé ce qu'ils.elles étaient venu.e.s y chercher. Pour deux d'entres eux.elles, la formation ne les aide pas assez à comprendre les questions et les problèmes que pose le genre aujourd'hui et à adapter leurs pratiques sur le terrain. Le troisième professionnel, en tant qu'enseignant, ne se sent pas concerné.

    « Ça n'a répondu à aucune de mes questions. La difficulté quand on travaille la question de genre... Pour moi, la question de genre, c'est la place de l'homme et de la femme dans la société et ce n'est pas la même chose que les discriminations liées à la sexualité, que le féminisme... Voilà, dans nos société à l'heure actuelle, les femmes ont un rôle qui n'est pas le même que ce qu'il a été par le passé, que ce qu'il sera dans le futur. Et c'est ça, la question de genre. Quelle est la place de l'homme aujourd'hui ? Comment est-ce qu'il peut reprendre un rôle dans la cellule familiale ? Quel est ce rôle ? Voilà, c'est toutes ces questions là. Moi, ce que j'ai ressenti à la formation... Il y a aussi plein de choses à dire sur ce que les gens vivent à titre personnel en tant qu'homme et en tant que femme dans cette société. Et d'abord, il faut balayer ça, pour ensuite travailler les représentations que l'on a, et ensuite travailler la question de genre. C'est assez compliqué. Même là, j'essaie de la définir, et je n'y arrive pas. Est-ce qu'on autorise un garçon à jouer à la dinette ? Voilà, c'est vraiment ça la question de genre pour moi. Et du coup, on n'a pas parlé de la question de genre, on a parlé de la place de la femme compliquée dans la société, de la place prédominante de l'homme dans la société. Alors, certes, on a travaillé des choses, à titre personnel ce n'est pas inintéressant, mais ça n'a pas été assez loin pour, moi, m'aider à travailler quelles sont les représentations de la société aujourd'hui vis-à-vis de l'homme et de la femme, et dieu sait qu'elles ont bougées. Et ça, j'ai l'impression qu'on n'a pas réussit à le travailler. Et pourtant, c'est ce qu'il faut qu'on arrive à travailler avec les jeunes. » (B2, éducateur spécialisé)

    « Moi, je préfère que l'on travaille sur des cas pratiques. Qu'est-ce qu'on pourrait dire, comment on pourrait répondre face à cette situation là ? Moi voilà, je préfère qu'on nous forme sur vraiment des cas pratiques. Moi je ne m'y retrouve pas, non, dans la formation. » (B4, éducatrice spécialisée)

    « Par principe, dès qu'il y a des formations, j'y vais, dans la mesure je peux. Moi, c'est donc déjà une démarche intellectuelle en premier.

    Après, oui, le contenu... [...] - (Question) : Et t'en es satisfait de ce contenu ? - (Lui) : Est-ce que je vais m'en servir au quotidien dans mon activité d'enseignement, non, parce que les supports, ce sont des situations de l'extérieur, et moi je gère du collège. Ça me concerne moins, en tant qu'enseignant. » (B5, professeur en Segpa)

    Finalement, les avis sur la formation à l'outil « Cet autre que moi » sont mitigés. Ce qu'il est important de noter, c'est que la plupart des professionnel.le.s ayant suivi cette formation développent une demande par rapport à d'éventuelles autres formations sur le genre. En d'autres termes, les déçus et les non satisfaits le sont plutôt parce qu'ils avaient de nombreuses attentes. Les professionnel.le.s satisfaits sont d'autant plus curieux d'en apprendre plus.

    2- La formation au genre

    Les entretiens effectués pour cette étude montrent que les professionnel.le.s ne sont pas sensibilisé.e.s et ne sont pas à l'aise avec la thématique du genre. Or, les formations qui leur ont été proposées jusque là - lorsque des formations leur ont effectivement été proposées - ne leur permettent pas d'améliorer leur compréhension du monde genré. En effet, ces formations, et notamment la formation à l'outil « Cet autre que moi », même si elles leur proposent d'apporter le débat auprès des jeunes, supposent que certaines notions, certaines représentations et certaines valeurs font consensus auprès des professionnel.le.s et que le sexisme et l'homophobie ne font pas partie du monde des adultes.

    En ce sens, une formation cherchant à diminuer les comportements sexistes et homophobes passerait d'abord et avant tout par la sensibilisation des adultes qui travaillent auprès des jeunes. Elle comporterait deux phases, deux points essentiels afin que les professionnel.le.s s'interrogent sur les notions de socialisation genrée et de reproduction des inégalités et qu'ils.elles apprennent des méthodes, des outils qui leur permettraient de faire évoluer leurs pratiques dans le sens d'une moins grande reproduction de cette socialisation et de ces inégalités.

    Une telle formation s'adresserait à l'ensemble de la communauté éducative et aux professionnel.le.s du loisir. En effet, « les représentations sexuées et genrées traversent les élèves, comme les enseignants ou les responsables pédagogiques. La résolution de difficultés ne peut qu'être interactive, intégrant tous les acteurs du système scolaire, institution totale

    s'il en est. » (Welzer-Lang, 2010). Evidemment, le même principe s'applique pour les centres sociaux et les maisons de quartiers, tant leur organisation participe de cette reproduction.

    En ce sens, une telle formation devrait s'adapter aux divers enjeux et problématiques que peuvent rencontrer les professionnel.le.s selon leur rôle, leur position, leur poste. En effet, même si les réflexions théoriques à la base de la formation seraient les mêmes, un.e directeur.e de centre de loisirs, un.e éducateur.e spécialisé.e dans un quartier d'habitat social, un.e professeur.e de français et un.e professeur.e d'EPS n'ont pas les mêmes besoins d'apprentissages pratiques. Dans les loisirs, si les un.e.s devront se concentrer sur la mise en place de la mixité et l'évitement d'une organisation genrée, les autres devront travailler sur les représentations - les leurs, et celles des jeunes. A l'école, si les un.e.s devront se questionner sur le contenu des lectures de référence (Brugeilles, Cromer et Panissal, 2009), les autres devront remettre en cause l'organisation sexuée des groupes de niveau (Guérandel et Beyria, 2010). A ce titre, des études plus poussées cherchant à adapter le contenu de la formation à chaque situation seraient les bienvenues.

    Dans une perspective à plus long terme, on peut également espérer que les formations initiales que suivront les différents futur.e.s professionnel.le.s de l'école et des loisirs intègrent cette thématique afin qu'un véritable consensus se crée au sein de la communauté éducative et de loisir autour de la notion de genre et de la reproduction de la différenciation inégalitaire. Cela impliquerait une véritable prise de conscience au sein des institutions concernées.

    II- Enjeux scientifiques

    1- Intersections

    Si les politiques de lutte contre le sexisme et l'homophobie se sont dans un premier temps tournées vers les quartiers d'habitat social ou populaires, c'est bien parce que les jeunes hommes de ces territoires sont considérés comme plus sexistes et ayant des comportements à risques vis-à-vis des jeunes femmes et des autres hommes (monopolisation de l'espace public, virilité exacerbée, viols collectifs...). Or, on peut penser qu'il s'agit partiellement d'une construction de l'imaginaire collectif, largement relayée par les médias sensationnalistes (Mucchielli, 2001).

    Bien sur, il ne s'agit pas de nier la recherche du « capital guerrier » que décrit Thomas Sauvadet (2006) : « les groupes de jeunes de cité constituent des univers hautement concurrentiels où le mode principal de hiérarchisation renvoie à l'intimidation et à l'affrontement physiques. Dans ce contexte, l'accumulation de capital guerrier rend accessibles toutes sortes de ressources symboliques et matérielles ». En ce sens, le capital guerrier peut être vu comme un capital de masculinité.

    Si cette course à la virilité décrite par Thomas Sauvadet peut-être expliquée par le contexte difficile de la cité, elle peut également être liée à la socialisation genrée et à « l'appel » à devenir un homme. Ainsi, dans un contexte social paupérisé, où nombre de ces jeunes hommes se retrouvent au chômage, ils chercheraient à construire et à revendiquer leur identité de mâle par d'autres moyens que le travail ou l'indépendance financière. Daniel Welzer-Lang décrit ce phénomène : « D'autres, en particulier ceux exclus des privilèges de virilité, ceux qui ne peuvent afficher les signes et les grades de virilité (argent, belle compagne, grosse voiture, pouvoir.), ceux qui n'apparaissent pas désirants dans les injonctions de séduction qui guident nos rapports de genre... ceux-là, ont tendance à se replier dans des comportements virilistes qui se traduisent par des violences, souvent suicidaires, entre eux, contre eux et envers les femmes » (Welzer-Lang, 2007).

    De plus, la recherche d'une masculinité chez les jeunes de banlieue peut être considérée comme un retour du stigmate de la colonisation. En effet, si une part importante des jeunes vivant dans les quartiers populaires est d'origine immigrée (le plus souvent, des pays du Maghreb), ces quartiers et les jeunes qui s'y trouvent s'en sont trouvés « orientalisés »10 (Said, 1978), c'est-à-dire vus comme différents du référentiel neutre qu'est le reste de la société, cette différence étant largement associée à la religion musulmane ou à la descendance d'immigré.e.s maghrébin.e.s. Ainsi, les jeunes des cités, même lorsqu'ils.elles ne sont pas d'origine « orientale » se retrouvent dans ce sentiment d'être « Autre », avant tout parce qu'ils.elles sont perçus comme tel.le.s.

    A cela s'ajoute l'idée défendue par Christine Delphy et Christelle Hamel qu'à travers la colonisation, l'homme oriental a été construit comme sexiste. En effet, « dès le début de la colonisation, la question du sexe, ou du genre, est posée comme la ligne de partage entre les deux "communautés" ainsi créées. Dans le stéréotype raciste créé par le colonisateur, les

    10 Orientalisme : Idée que l'Orient ait été créé par l'Occident comme différent, notamment par le biais de la colonisation, l'Occident et ses valeurs étant vus comme le référentiel neutre.

    indigènes ne "traitent pas bien les femmes" » (Delphy, 2008). Le sexisme que développeraient les jeunes arabes de cité, et par extension, les jeunes hommes des cités, serait « un sexisme exacerbé par le contre-racisme, c'est-à-dire la revendication par les garçons du machisme qu'on leur reproche » (Hamel, 2005).

    Ces processus sont décrits par nombre de chercheurs comme des effets d'intersections race/classe/genre. Didier Lapeyronnie (2008), en dépeint les effets : « chez ces jeunes garçons arabes, le racisme et la discrimination cumulent le genre et la race mais aussi l'âge (la jeunesse) et en font le signe d'une sexualité agressive et d'une masculinité violente ».

    Quelques professionnel.le.s, majoritairement provenant du quartier Bastide, montrent qu'ils.elles sont conscient.e.s de ces enjeux, qu'il s'agisse de l'intersection entre genre et race ou entre genre et classe sociale.

    [Photo 7 : Sébastien Chabal] « Quand c'est Chabal la barbe, c'est de la virilité, et quand c'est un jeune de banlieue avec la barbe, on parle de terrorisme. Ça dépend qui la porte. A l'époque des Vikings, c'était des combattants, c'était viril. Et aujourd'hui, quand c'est des maghrébins, c'est des Djihadistes. Ce n'est pas vu pareil par les gens. » (B9, animateur)

    [Photo 1 : DSK] « J'espère que sa position sociale ne fera pas oublier cette affaire. » (B1, infirmière scolaire)

    [Photo 1 : DSK] « Et les sanctions, pareil, que ce soit lui ou pas, que ce soit les mêmes sanctions que ce soit le petit arabe de cité, ou le petit français qui n'a rien. Comme, c'est pareil, là, il est sorti. Si ça avait été un jeune, il serait resté en prison, en attendant. » (B8, animateur)

    [Photo 1 : DSK] « Mais c'est plus sur après ce qui se passe, les moyens qu'ils ont de se protéger, d'avoir des avocats très forts... Un lambda, pour la même chose sera très vite accusé. » (B4, entraîneur en badminton)

    [Photo 1 : DSK] « J'ai l'impression quand même qu'il y a une culpabilité évidente et qu'il y a des passe-droits, qu'il y a le tout puissant politique, ou en tout cas homme en général, ou femme en général, avec des passe-droits terribles et qu'il n'y a pas une justice qui soit la même pour tout le monde. » (J6, professeur d'EPS)

    Finalement, ne vouloir luter contre le sexisme et l'homophobie que dans les quartiers populaires renforce la stigmatisation de ces quartiers, des jeunes hommes qui y grandissent, des jeunes femmes également, et donne à penser que le reste de la société française (dont ils

    ne font pas réellement partie, étant relégués dans ces quartiers orientalisés) est exempte de tout sexisme.

    En ce sens, la volonté de la mairie de Bordeaux de s'intéresser à d'autres quartiers que les quartiers populaires quant il s'agit de sexisme et d'homophobie participe d'une déstigmatisation des jeunes hommes des cités. En ce qui concerne les jeunes, filles et garçons, cette étude ne permet pas de déterminer s'il y a de véritables différences dans les représentations qu'ils.elles peuvent avoir des rapports entre hommes et femmes selon les quartiers. En revanche, elle montre que, concernant les professionnel.le.s qui travaillent à leur côté au quotidien et qui participent donc de leur socialisation de genre, les représentations et les stéréotypes sont sensiblement les mêmes : l'idéal d'égalité prédomine largement, même si les valeurs sont floues et ancrées dans le schéma hétéronormé et essentialiste.

    Si l'on veut espérer luter contre le sexisme et l'homophobie, quel que soit le « degré de sexisme » des jeunes considéré, l'école et les lieux de loisirs sont les institutions les plus à même de faire l'objet de politiques publiques allant dans ce sens, les autres instances de socialisation (famille, groupe de pairs,...) n'étant pas accessibles. Alors, que ces politiques publiques ne se concentrent pas uniquement sur les quartiers de relégation apparaît comme une nécessité.

    2- « Gender mainstreaming »

    Dans une perspective plus globale, l'école et les lieux de loisirs sont un des domaines, parmi d'autres, où les rapports de genre sont construits, reproduits et réaffirmés. En ce sens, ils peuvent également être un des domaines de leur reconfiguration et de leur contestation.

    Alors, une réflexion menée sur la problématique du genre dans ces institutions dans le but d'adapter les politiques publiques - et, par là, les formations - à une volonté d'égalité entre les sexes pourrait être intégrée dans une politique plus générale de « gender mainstreaming ». Le gender mainstreaming, en politique, est le « principe selon lequel l'égalité des sexes doit devenir une préoccupation de tous les responsables politiques, et pas seulement des instances spécifiquement chargées de cette question. Puisque toutes les politiques publiques ont une incidence sur les rapports de genre, il s'agit d'intégrer de façon systématique, dans l'élaboration des politiques, une analyse de leurs effets attendus du point

    de vue du genre [...] » (Bereni et al., 2008).

    Malgré un risque de remise en cause de l'utilité et de la légitimité des instances spécifiques que peut amener la mise en place d'une telle politique de préoccupation transversale, elle permettrait un réel changement cognitif sur le long terme, dont on peut espérer une diminution des inégalités entre hommes et femmes, du sexisme et de l'homophobie.

    CONCLUSION

    Avec cette étude, il s'agissait de répondre à la problématique suivante : Dans quelle mesure une sensibilisation des professionnel.le.s de l'école et des lieux de loisirs aux thématiques du genre peut-elle éviter la reproduction du sexisme et de l'homophobie ?

    Il a été préalablement établit que la notion de genre a d'abord été utilisée pour différencier les caractéristiques construites socialement du sexe, variable anatomique (sexe social) puis pour désigner l'essentialisation et la hiérarchisation construite des sexes. Cette notion permet donc d'éclairer et d'analyser un rapport social, celui qui existe entre les hommes et les femmes. L'apprentissage de cette différentiation par les individu.e.s se fait au travers de la socialisation de genre, processus d'intériorisation d'une police et d'une performance de genre, se préparant dès avant la naissance, se réalisant pleinement pendant l'enfance au sein de la famille, et se consolidant à l'adolescence à l'école, dans les lieux de loisirs, et au contact des pairs. En ce sens, les comportement et représentations sexistes et homophobes des adolescents au sein de ces institutions sont les conséquences de la reproduction des schémas hétérosexistes à travers la socialisation de genre.

    Il a ensuite été montré que l'organisation des structures de loisirs étudiées était genrée. En effet, on remarque qu'au niveau de la maison de quartier du Jardin Public, les activités sont réparties sur deux lieux qui sont finalement polarisés en fonction du genre. De la même manière, à la Bastide, les deux centres sociaux accueillent chacun respectivement un public largement masculin ou un public largement féminin, notamment du fait que les équipes d'animation sont elles-mêmes non mixtes et polarisées en fonction du genre selon les centres. Cette « séparation » - involontaire - entre garçons et filles crée ce que l'on peut appeler des maisons-des-hommes et des maisons-des-femmes, lieux privilégiés d'apprentissage des codes de genre. De plus, ce qu'il se passe à l'intérieur des activités ou des cours de collège peut renforcer cet apprentissage (séparation en cours d'EPS, stéréotypes de genre dans les lectures de référence...). Finalement, l'organisation des structures d'accueil, des enseignements et des activités participe à la socialisation genrée.

    Les représentations de genre des professionnel.le.s de l'école et des loisirs ont ensuite été interrogées. Ainsi, malgré le fait qu'ils.elles prônent généralement une égalité en droit et

    de traitement entre les garçons et les filles, ils.elles restent largement ancré.e.s dans le schéma hétérosexiste, probablement du fait qu'ils.elles soient très peu sensibilisé.e.s à ces thématiques. En effet, ils.elles considèrent majoritairement que les garçons et les filles, mais aussi les hommes et les femmes, sont différents dans leurs comportements et dans leurs modes de pensée. Même si quelqu'un.e.s considèrent que ces différences sont acquises, ils.elles assument généralement que cet apprentissage se fait dans la famille, et donc que l'école ou les lieux de loisirs n'ont pas leur place dans cette construction. La faible sensibilisation à cette thématique et les représentations que peuvent avoir les profesionnel.le.s encouragent donc la reproduction de la socialisation genrée. Ces institutions seraient finalement sexistes par abstention.

    Il apparait donc important de pouvoir former les professionnel.le.s sur les thèmes du genre, de la mixité, et de leur gestion dans le but de pouvoir lutter contre le sexisme et l'homophobie, conséquences directes de la socialisation différenciée de genre, et de la reproduction du schéma hétérosexiste qui l'accompagne, et ce quel que soit le territoire concerné.

    Dans ce sens, une poursuite de la recherche dans le but de comprendre les enjeux liés à chaque situation (territoires, nature de la structure, garçons et filles, poste et rôle du professionnel.le...) est envisageable et souhaitable.

    On peut également espérer que cette politique de formation des professionnel.le.s de l'école et des lieux de loisirs des jeunes s'inscrive dans une volonté plus large d'intégrer un questionnement sur le genre à l'ensemble des politiques publiques et au fonctionnement de chaque institution.

    BIBLIOGRAPHIE

    AYRAL S., RAIBAUD Y., « Les garçons, la mixité et l'animation », Agora Débats Jeunesse, n°51, 2009.

    AYRAL S., La fabrique des garçons : Sanctions et genre au collège, PUF, 2011.

    BACOU M., RAIBAUD Y., « Mixité dans les activités de loisir : la question du genre dans le champ de l'animation. Introduction », Agora Débats/Jeunesse, n°59, 2011 (3).

    BERENI L., CHAUVIN S., JAUNAIT A., REVILLARD A., Introduction aux gender studies : manuel des études sur le genre, 2008, De Boeck.

    BEYRIA F., GUERANDEL C., « La mixité dans les cours d'EPS d'un collège en ZEP : entre
    distance et rapprochement des sexes », Revue Française de Pédagogie, n°70, 2010.

    BOURDIEU P., La domination masculine, 1998, Seuil.

    BRUGEILLES C., CROMER S., PANISSAL N., « Le sexisme au programme ? Représentations sexuées dans les lectures de référence à l'école », Travail genre et société, 21(1), 2009.

    CLAIR I., « France : des filles en liberté surveillée dans les espaces ruraux et périurbains aujourd'hui », in Les jeunes et la sexualité, 2010, Autrement.

    COURTINAT-CAMPS A., PRETEUR Y., « Expérience scolaire à l'adolescence : quelles différences entre les filles et les garçons ? », in CROITY-BELZ S., Genre et socialisation de l'enfance à l'âge adulte : expliquer les différences, penser l'égalité, 2010, Erès.

    COUTRAS J., Les peurs urbaines et l'autre sexe, 2003, L'Harmattan.

    CRESSON G., « Indicible mais omniprésent : le genre dans les lieux d'accueil de la petite enfance », Cahiers du genre, 49(2), 2010.

    CROMER S., DAUPHIN S., NAUDIER D., « L'enfance, laboratoire du genre. Introduction », Cahiers du genre, 49(2), 2010.

    DELPHY C., Classer, dominer, qui sont les "autres" ?, 2008, La Fabrique.

    DE SINGLY F., PASSERON J.-C., « Différences dans la différence : socialisation de classe et

    socialisation sexuelle », Revue Française de Science Politique, 34e année, n°1, 1984.

    DEVILLE J., « Jeunes filles "invisibles" dans les quartiers populaires », Espaces et sociétés, 2007/1-2 (n°128-129).

    DJAOUI E., LARGE P.-F., « L'imaginaire dans les rapports de genre dans le champ du travail social », Sociologies pratiques, 14(1), 2007.

    DUITS L., VAN ZOONEN L., « Headscarves and Porno-Chic: Disciplining Girls' Bodies in the European Multicultural Society », European Journal of Women's Studies, 13(2), 2006.

    DURU-BELLAT M., « La reproduction des rapports sociaux de sexe : quelle place pour l'institution scolaire ? », Travail, genre et société, 19(1), 2008.

    DURU-BELLAT M., « Ce que la mixité fait aux élèves », Revue de l'OFCE, 114(3), 2010.

    FASSIN D., FASSIN E. (dir.), De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, 2006, La Découverte.

    FAURE S., GARCIA M.-C., Culture hip-hop, jeunes de cités et politiques publiques, 2005, La Dispute.

    FOUCAULT M., Histoire de la sexualité, 1976, Gallimard.

    GIANINI BELLOTTI E., Du côté des petites filles, 1973, Des femmes.

    GILLET J.-C., RAIBAUD Y., Mixité, parité, genre dans les métiers de l'animation, 2006, l'Harmattan.

    GOFFMAN E., L'arrangement des sexes, 2002, La Dispute. GUENIF SOUILAMAS N., Des beurettes, 2000, Hachette.

    HAMEL C., « De la racialisation du sexisme au sexisme identitaire », Migrations Société, vol. 17, 2005.

    HAMMOUCHE A., « Rapports de genre et de génération dans des "quartiers en transition" de la région lyonnaise », Espaces et sociétés, 2008/3 (n°134).

    HERITIER F., Masculin, féminin, 2002, Odile Jacob.

    KEBABZA H., « "Invisibles ou parias" : filles et garçons des quartiers de relégation », Empan,

    2007/3 (n°67).

    LAPEYRONNIE D., Ghetto urbain : ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd'hui, 2008, Robert Laffont.

    MONGENOT C., « Prince(sse), ogre(sse), auteur(e), lecteur ou lectrice : sexe et enseignement de la littérature à l'école », Le français aujourd'hui, 163(4), 2008.

    MORHAIN Y., PROIA S., « Féminin et féminité à l'épreuve de la banlieue », Adolescence, 2009/4 (n° 70).

    MUCCHIELLI L., Violences et insécurité : fantasmes et réalités dans le débat français, 2001, La Découverte.

    OBLET T., « Le nouvel esprit du travail social », Empan, n°312, 1998. PERROT M., Mon histoire des femmes, 2006, Seuil.

    RAIBAUD Y., « Le masculin est-il soluble dans la mixité ? Réflexion sur les hommes et le féminisme », Vie Diversité, n°165, 2011.

    RAUCH A., « Menaces viriles sur les banlieues françaises : 1989-2005 », in Hommes et masculinités de 1789 à nos jours, 2007, Autrement.

    RUBI S., « Des adolescentes et des quartiers populaires : quelle(s) visibilité(s) pour quelle(s) identité(s) ? », Les cahiers de la sécurité, 2006/1 (n°60).

    SAID E.W., L'orientalisme : l'Orient créé par l'Occident, 1978, Seuil.

    SAUVADET T., Le capital guerrier : concurrence et solidarité entre jeunes de cité, 2006, Armand Colin.

    VICTOIRE E. (dir.), Sociologie de Bordeaux, 2007, La Découverte.

    VIGARELLO G., Histoire du viol : XVIe - XXe siècle, 1998, Seuil.

    WELZER-LANG D., Les hommes aussi changent, 2004, Payot.

    WELZER-LANG D., « L'intervention auprès des hommes... aussi... », Empan, 65(1), 2007.

    WELZER-LANG D., « La mixité non ségrégative confrontée aux constructions sociales du masculin », Revue française de pédagogie, n°171, 2010.

    ANNEXES

    Table des annexes

    Annexe 1 : Plan de la ville de Bordeaux 86

    Annexe 2 : Guide d'entretien 88

    Annexe 3 : Supports photographiques aux entretiens 91

    Annexe 4 : Illustrations photographiques 97

    Annexe 1 : Plan de la ville de Bordeaux

    Annexe 2 : Guide d'entretien

    1. Parcours professionnel et personnel

    Enjeux : On tente ici de comprendre quel parcours personnel et professionnel a suivi la personne interrogée.

    ? Pourquoi avoir choisi le travail social / ce métier ? Pourquoi auprès de ce public en particulier ? Quelles études ou formation ont été suivies ? Quels choix d'orientation et de carrière ont-ils été faits ? Pour quelles raisons ? Quelles projets / rêves d'évolution professionnelle ? Sont-ils fiers d'exercer ce métier ? Pourquoi ?

    2. Expérience quotidienne des rapports de genre

    Enjeux : Le but est ici d'accéder à l'expérience de la personne interrogée de ce que sont les rapports de genre au quotidien et de la manière dont elle y est confrontée dans son travail auprès des jeunes.

    ? Comment se passent les relations entre filles et garçon de votre public ? Avez-vous déjà été témoin de scènes que vous avez jugé inégalitaires / sexistes / injustes concernant les rapports entres hommes et femmes ? Si c'est le cas, comment avez-vous réagi ? Pensez-vous que vous avez les « armes » nécessaires pour lutter contre ce genre de comportements ? La mixité sexuelle est-elle facile à mettre en place ? Dans votre quartier en particulier ?

    ? Votre équipe est-elle mixte ? Est-ce une bonne chose ? Que pensez-vous d'une équipe nonmixte / mixte ? Quel rôle avez-vous dans votre équipe ? Est-ce la même chose d'être un animateur ou une animatrice ? Un professeur ou une professeure ?

    3. Les effets de la politique mise en place

    Enjeux : Si la personne interrogée a été en contact avec la politique de sensibilisation mise en place, on cherche à comprendre en quoi cela à fait évoluer ses pratiques et représentations. Si elle n'a pas été en contact avec cette sensibilisation, on interroge sa sensibilité par rapport à cette problématique.

    ? Avez-vous été concerné par la politique de sensibilisation au sexisme mise en place ? Si

    oui, que vous a-t-elle apporté ? Vous sentez-vous mieux armé ? Des choses ont-elles évoluées depuis ? Si non, auriez-vous aimé ? Pourquoi ?

    ? Avez-vous été formé à la problématique du genre lors de votre formation initiale ? Ensuite ?

    4. Représentations des identités genrées (photographies)

    Enjeux : On questionne les représentations des identités genrées et le positionnement personnel de l'interrogé face à ces identités.

    ? Que pensez-vous des rapports entre hommes et femmes chez votre public de jeunes ? Et avec vos collègues ? Dans la société en général ? Pensez-vous que cela peut évoluer ? Comment et à quelles conditions ? Que pensez-vous de l'enseignement de la théorie du genre dans les manuels de SVT ? Qu'est-ce qu'un homme, une femme ?

    5. Infos : âge, sexe, poste occupé, public, structure, quartier, temps passé à ce poste, dans cette structure, sur ce quartier, coordonnées.

    Annexe 3 : Supports photographiques aux entretiens

    Dominique Strauss-Kahn,

    Les féministes de FEMEN devant chez D

    Le baisemain , la galanterie.

    Ilham Moussaïd, candidate NPA aux élections régionales de 2010.

    Femme en burqa.

    Le mariage homosexuel.

    Sébastien Chabal, image de la virilité.

    Prostituée dans la rue.

    Adolescente dessinant des coeurs.

    Fer à repasser, les tâches ménagères.

    Annexe 4 : Illustrations photographiques

    QUARTIER BASTIDE

    Place Stalingrad, porte du quartier

    Habitat social de la Benauge.

    Collège Léonard Lenoir, Bastide

    Collège Jacques Ellul, Bastide

    Centre social Bastide-Benauge.

    Centre social Bastide-Queyries.

    QUARTIER JARDIN PUBLIC

    Rue du quartier.

    Entrée de l'espace Lagrange, annexe de la maison de quartier.

    Maison de quartier Chantecler.

    Collège Cassignol, Jardin Public.






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon