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Les causes de l'insuffisance du crédit bancaire au Sénégal

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par Ngor SECK
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Diplôme d'études approfondies 2010
  

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3- La notion de rationnement du crédit :

Le métier de banque rime avec des facteurs non maîtrisables de façon certaine comme le risque d'où parfois nous observons un rationnement sur le marché du crédit. Dans cette partie, nous montrerons en quoi le marché du crédit est différent des autres marchés. Pour ce, nous réfléchirons sur la notion d'incertitude en mettant en évidence la spécificité du marché du crédit et les différents types de risques auxquels s'expose une banque lorsqu'elle s'engage vis-à-vis d'un client. Dans un dernier point, la notion de rationnement sera définie.

a) L'incertitude :

Le financement de projets est une activité risquée en raison de la possibilité de non remboursement. Selon la théorie néoclassique, dans un univers risqué, toutes les situations possibles sont connues par les agents. Ils sont omniscients et attribuent une probabilité (dite objective) de survenance à chaque éventualité. Le risque est équivalent à celui d'une loterie. Dans ce cadre, la banque et l'emprunteur établissent un contrat

complet, de type Arrow-Debreu7. Ce contrat, appelé contingent contraignant, spécifie les actions des deux parties pour chaque état de la nature. Le problème de l'incertitude sur le comportement de l'autre est donc écarté. Les actions de chaque cocontractant sont vérifiables par un tiers, la justice.

Knight (1921)8 estime que les agents économiques ne connaissent pas les différents états de la nature possibles ni les probabilités d'occurrence associées. Selon son analyse, l'activité bancaire s'inscrit dans un monde incertain plutôt que dans un monde risqué (Voir encadré). Pour faire face à l'incertitude, les banques disposent de deux instruments. Le premier consiste à prévoir la probabilité de survenance du risque à partir de l'observation de fréquences empiriques. C'est ainsi que procèdent les assurances. Le deuxième instrument, suggéré par Knight est de nature complètement différente. Il s'agit de l'utilisation de probabilités subjectives établies par un spécialiste. Celui-ci se distingue des autres agents par la qualité des probabilités subjectives qu'il émet. Chaque agent connaît en effet ses propres compétences à établir des prédictions, mais ignore celles des autres. Il est alors tout à fait possible que deux agents qui possèdent les mêmes informations ne partagent pas les mêmes prédictions.

L'incertitude (cas où on ne fait pas l'hypothèse que le décideur affecte des probabilités aux états du monde) et le risque (cas où on ne fait cette hypothèse) sont souvent distingués.

Cette distinction remonte à l'économiste américain Franck Knight qui l'a proposée en 1921 dans son ouvrage Risk, Uncertainty and Profit. Elle est antérieure à la démonstration de Savage sur les probabilités subjectives (1954). Knight s'intéressait au rapport entre profit et incertitude. Il considérait que ce n'est pas le risque calculable (celui qui peut se traduire par une distribution de probabilité) que le profit rémunérait. Ce risque, disait-il, l'entreprise peut s'en décharger en versant une prime d'assurance, qui s'analyse comme un coût. En revanche, selon lui, le profit rémunérait le risque non calculable et donc non mesurable, qu'il appelait incertitude.

7 Le modèle d'Arrow et Debreu est une théorie générale de l'incertitude sur les états du monde (on appelle état du monde l'évènement qui détermine la conséquence qu'a une action). En tant que généralisation du modèle d'équilibre général d'univers certain, cette théorie ne suppose rien sur le fait que les agents soient capables ou non d'affecter une distribution de probabilité aux états du monde.

8 Knight (1921) : «Risk, Uncertainty and Profit»

b) Les différents risques auxquels sont confrontées les banques :

Les banques sont confrontées à deux types de risque : la réalisation de l'état défavorable de la nature et le comportement de l'emprunteur.

+ Etat défavorable de la nature

Ce type de risque peut être divisé en trois sous-groupes. Le premier sous-groupe concerne les caractéristiques spécifiques du projet (qualité du matériel de production, procédé de fabrication, prévisions financières...). Si, avant même sa mise en oeuvre, le projet n'est pas viable ou a de fortes chances d'échouer, l'état défavorable de la nature a de grandes chances de se réaliser. Il est généralement admis que l'emprunteur connaît les caractéristiques spécifiques du projet. Dans ce cas, il peut cacher ces informations au moment de la signature du contrat. Si la banque désire connaître les caractéristiques spécifiques du projet, elle devra effectuer des démarches coûteuses pour sélectionner les bons projets.

Le deuxième sous-groupe concerne le secteur ou plus exactement les débouchés du projet. On considère en général que la banque est dans ce domaine plus apte que l'entreprise à évaluer les probabilités de réalisation du risque (c'est-à-dire à anticiper correctement la demande). Elle peut en effet tirer des leçons de l'expérience des autres clients. Mais tel n'est pas toujours le cas. Ainsi, au cours de la période de croissance économique au Cameroun, les banques ont surtout financé les secteurs basés sur l'exportation des matières premières, et après l'effondrement de leur cours et le déclenchement de la crise, beaucoup de débiteurs ont été incapables de respecter leurs engagements.

Une banque qui n'a pu identifier que le projet était mal conçu ou que les débouchés étaient limités est confrontée à un risque d'anti-sélection. Le troisième sous-groupe de risques concerne l'environnement économique. Dans ce cas, la réalisation de l'état de la nature est complètement indépendante des actions du prêteur et de l'emprunteur, et, dans les modèles, c'est en général une variable aléatoire indépendante. Dans les pays en développement, il y a des risques accrus que l'environnement macroéconomique se modifie en devenant défavorable à la réussite du projet. Au cas où ce risque se réalise, l'entrepreneur concerné est considéré comme malchanceux.

Le deuxième et le troisième sous-groupe de risques, c'est-à-dire la difficulté à anticiper
la demande et les éventuelles modifications de l'environnement, constituent le risque

macroéconomique, contrairement au premier sous-groupe qui représente le risque microéconomique.

+ Le comportement de l'emprunteur

Le deuxième type de risque est lié au comportement de l'emprunteur. Il peut être divisé en deux sous-groupes. Tout d'abord, le prêteur ne connaît pas les efforts que fournira l'emprunteur pour mener à bien son projet. Au lieu de raisonner en termes d'efforts de l'emprunteur, on peut aussi considérer que l'emprunteur va utiliser le crédit pour entreprendre un projet plus risqué que celui pour lequel il a obtenu le crédit. Ce problème est généralement désigné sous le terme d'aléa moral ex-ante. Le terme ex-ante signifie que le risque se réalise avant que le projet n'aboutisse et ne permette de dégager des revenus pour rembourser la banque. Celle-ci cherchera donc à diriger le comportement de l'emprunteur par "le monitoring".

Si les risques identifiés ci-dessus (état défavorable de la nature et efforts insuffisants fournis par l'emprunteur) ne se réalisent pas et si le projet a dégagé des revenus suffisants pour pouvoir rembourser le prêteur, alors l'emprunteur tiendra ses engagements. Soit il est honnête et révèle le montant réel des revenus dégagés, soit la banque peut observer sans coût les revenus dégagés par le projet. Si l'emprunteur a plus d'informations que la banque sur la probabilité d'échec du projet (sur la réalisation de l'état défavorable de la nature et sur son propre comportement), il est question d'asymétrie d'information ex-ante.

Le deuxième risque lié au comportement de l'emprunteur concerne la communication à la banque des revenus dégagés par le projet. Si les emprunteurs sont malhonnêtes, ils annoncent à la banque des ressources inférieures à celles dégagées pour ne pas honorer leurs engagements. Ce risque est appelé aléa moral ex-post. Cette situation se produira lorsque le non-remboursement procure un gain supérieur à la perte engendrée par les coûts de défaillance, c'est-à-dire par les pénalités pécuniaires ou non-pécuniaires (mise en faillite) ou par la perte de réputation. L'asymétrie dont est victime la banque est dite ex-post car elle est postérieure à la réalisation du projet. Pour éviter ce risque, la banque engage des recherches coûteuses9 afin de connaître les véritables revenus dégagés par l'entreprise.

9 Le parallèle avec le cas du fermier permet de bien cerner les différentes sortes de risques. Le fermier reverse un
certain pourcentage de sa production au propriétaire terrien. Le risque aléatoire (état de la nature) est la météo, le
risque spécifique du projet est la qualité des graines et de la terre. L'aléa moral ex-ante est le travail et les efforts

c) La spécificité du marché du crédit :

Sur les marchés néoclassiques, la livraison du bien par le vendeur et le paiement par l'acheteur sont simultanés, alors que sur le marché du crédit, le prêteur et l'emprunteur échangent une promesse de remboursement. Le risque de défaut s'explique par la différence entre cette promesse et les remboursements effectués. Les prêteurs se préoccupent donc d'évaluer la qualité de la promesse de l'emprunteur, c'est-à-dire sa probabilité de défaillance.

Une des activités principales des banques est de collecter et de traiter des informations sur les emprunteurs potentiels. Les informations ainsi accumulées par chaque banque sont non-transmissibles (elles reposent en partie sur des critères subjectifs) et, de ce fait, l'engagement est irréversible : le contrat de prêt n'est pas négociable10.

De plus, la banque spécifie elle-même les termes du contrat : elle définit le taux d'intérêt et n'est pas un agent "price taker" comme sur les marchés néoclassiques habituels. Le taux d'intérêt défini par la banque comprend une prime de risque censée compenser la perte encourue en cas de défaillance de l'emprunteur. Cependant, la prime de risque ne peut être trop élevée car le taux d'intérêt influence la qualité du crédit, c'est-à-dire la capacité de l'emprunteur à respecter ses engagements.

Contrairement aux prix sur les marchés néoclassiques, le taux d'intérêt ne peut servir de variable d'ajustement entre l'offre et la demande.

d) Définition de la notion de rationnement du crédit :

Le terme rationnement est fréquemment utilisé dans la littérature économique. Il signifie qu'une banque refuse de prêter à un emprunteur potentiel aux conditions demandées (quantités et taux d'intérêt). Il désigne en fait les quatre différents cas de figure suivants11 :

Dans une situation de rationnement de type 2, les banques refusent de s'engager envers
certains emprunteurs alors qu'ils présentent les mêmes caractéristiques que ceux qui
obtiennent le crédit. De plus, ces emprunteurs sont prêts à payer un taux d'intérêt plus

fournis par le fermier. L'aléa moral ex-post se produit lorsque le fermier déclare au propriétaire que la récolte a été très mauvaise (alors que ce n'est pas le cas) afin de ne pas avoir à lui reverser le pourcentage prévu.

10 Les créances hypothécaires font exception, elles peuvent être négociées sur un marché secondaire étant
donné qu'elles sont assorties d'une garantie (hypothèque) proche de la valeur du montant à rembourser.

La titrisation permet également de négocier des titres de créance. Ce phénomène n'est pas encore très

répandu dans les pays en développement, et il concerne certains types de contrats bien spécifiques.

11 La présentation de ces quatre définitions du rationnement est inspirée des travaux de Jaffee et Stiglitz (1990).

élevé et à apporter des collatéraux (c'est-à-dire des garanties) plus importants. La plupart des modèles analytiques s'attachent à expliquer ce phénomène. C'est notamment le cas des modèles de Stiglitz et Weiss (1981) et de Williamson (1987). Le rationnement de type 2 est qualifié de pur rationnement. Dans ce cas, la demande est supérieure à l'offre et, contrairement aux modèles néoclassiques, l'ajustement se fait par les quantités et non par les prix car le taux d'intérêt influence la probabilité de défaut de l'emprunteur. Le rationnement n'est plus simplement considéré comme une situation de déséquilibre ou comme un retard d'ajustement, c'est une situation d'équilibre durable, qui se produit même en situation de concurrence pure et parfaite.

Dans une situation de rationnement, que nous appellerons de type 1, la banque accorde le prêt pour un montant inférieur à celui qui a été demandé. Cette définition repose sur l'hypothèse qu'il existe une relation positive entre montant emprunté et difficultés de remboursement.

Le troisième type de rationnement correspond à un refus de prêter au taux d'intérêt désiré par l'emprunteur. Ce troisième type de rationnement découle de la différence d'anticipations des probabilités de réussite du projet entre l'emprunteur et la banque, celle-ci étant plus pessimiste, et désirant appliquer une prime de risque plus élevée que celle souhaitée par l'emprunteur.

Le quatrième type de rationnement est appelé "red-lining" dans la littérature anglosaxonne. Dans ce cas, les emprunteurs écartés se distinguent de ceux qui ont obtenu le crédit car ils ont été identifiés comme trop risqués par la banque : quel que soit le taux en vigueur, ils sont exclus du marché du crédit. Dans ce cas, le rationnement ne s'explique pas en termes d'apurement du marché et d'adéquation de l'offre et de la demande par les quantités, c'est un refus de prêter. Le "red-lining" correspond au rationnement le plus communément observé dans la réalité ; nous en analyserons les causes au Sénégal dans le chapitre suivant.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo