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L'usufruit des droits incorporels

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par Wyao POUWAKA
Université de Lomé Togo - Diplôme d'études approfondies 2011
  

Disponible en mode multipage

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INTRODUCTION

Les droits incorporels peuvent-ils être l'objet d'usufruit ? A priori, la question semble incongrue. Les textes législatifs et surtout la pratique permettent de répondre par l'affirmative à l'interrogation. En effet, la pratique offre quotidiennement des exemples de constitution d'usufruits sur les droits incorporels. Le cas le plus fréquemment rencontré et sans doute celui qui alimente les controverses jurisprudentielles en droit français ces dernières années est certainement l'usufruit des droits sociaux. Indépendamment de l'usufruit successoral1(*), les techniques de gestion du patrimoine usent et parfois abusent du mécanisme de l'usufruit pour organiser, par anticipation, la transmission des biens aux descendants2(*). Elles poursuivent un double objectif : d'une part, ne pas déposséder les ascendants encore en activité de leurs pouvoirs de gestion et de contrôle, d'autre part, économiser le maximum de droits de mutation3(*). L'usufruitier donne à l'un ou à plusieurs de ses enfants la nue-propriété de ses droits sociaux, tout en se réservant l'usufruit afin de maintenir son train de vie au soir de son existence. Les intérêts de l'usufruit des droits incorporels ne laissent donc pas dans l'incertitude.

Que faut-il entendre par l'usufruit des droits incorporels ?

Aux termes de l'article 578 du Code civil français : « L'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, à la charge d'en conserver la substance ». Cette définition reprenait à quelques mots près celle que donnaient déjà les Institutes de Justinien4(*) : « Ususfructus est jus alienis rebus utendi fruendi, salva rerum substantia ».

En ce qui concerne le droit positif togolais, c'est le Code civil dans sa version de 1958 qui s'applique. Au plan régional, l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique (AUSC-GIE)5(*) prévoit l'usufruit des droits sociaux en son article 128.

L'usufruit6(*) est un droit réel, par essence temporaire, dans la majorité des cas viager, qui confère à son titulaire l'usage et la jouissance de toutes sortes de biens appartenant à autrui, mais à charge d'en conserver la substance. Il est présenté comme un démembrement de la propriété, en tant qu'il regroupe deux attributs démembrés du droit de propriété. De la sorte, l'usufruit est constitué de l'usus ou droit d'usage et du fructus ou droit de jouissance. L'usufruit permet à son titulaire d'user de la chose d'autrui en lui donnant la possibilité d'en percevoir les fruits. De cette définition, transparaît clairement l'idée de l'usufruit causal. L'usufruit serait une image réduite de la propriété7(*). A partir de là, les règles applicables à la propriété de même que son domaine intéressent l'usufruit. Il serait dès lors difficile de traiter de l'usufruit en faisant abstraction de la propriété puisque la nature du droit de propriété a un impact certain sur la détermination de la nature de l'usufruit.

A présent, il convient de savoir ce qu'est un droit. Le vocable « droit » recouvre deux acceptions différentes8(*). La première est objective, la seconde subjective. Le premier sens désigne l'ensemble des règles de conduite qui gouvernent les rapports des hommes dans la société et dont le respect est assuré par l'autorité publique. Le second est le pouvoir accordé à une personne d'user9(*) d'une chose ou d'exiger d'un autre individu l'exécution d'une prestation. C'est ce second sens qui est le plus adapté dans le cadre de ce mémoire. Toutefois, une confusion pourrait surgir des termes « droit » et « bien ». Le mot « droit » dans ce travail ne désignerait-il pas simplement l'objet de l'usufruit ? Et dans l'affirmative, ne serait-il pas encore commode d'utiliser plutôt le terme « bien » ? L'interrogation est légitime d'autant plus qu'une partie de la doctrine10(*) utilise plutôt le vocable « bien ». Mais, il est aussi utile de rappeler que le bien n'est bien que par les droits qui lui sont conférés. Autrement dit, le bien est un droit11(*). S'agissant du terme « incorporel », il signifie d'après le vocabulaire juridique12(*), immatériel, impalpable13(*). Un droit est incorporel lorsqu'il échappe à toute appréhension matérielle. De ces définitions terminologiques, le sujet soulève d'emblée la question de son domaine.

Historiquement, le droit de propriété est conçu et présenté comme un droit corporel. Autrement dit, le droit de propriété porte sur une chose corporelle. Lorsque le Code civil parle de propriété, il entend essentiellement la propriété des choses corporelles et il s'intéresse particulièrement aux immeubles. Droit réel par excellence, la propriété avait un domaine qui se limitait aux biens matériels. En effet, le Code civil est apparu à une époque où la société est primitive et les règles qu'il consacre sont beaucoup plus adaptées à une société agraire et pastorale. La société féodale est construite sur le système juridique de la tenure. Le tenancier avait un droit de jouissance sur la chose appartenant au propriétaire, le seigneur. Il y avait donc deux droits de propriété superposés, de nature différente, portant sur la même chose, l'un, pour ainsi dire, en sommeil et l'autre en activité ; le domaine éminent14(*) d'une terre appartenant au seigneur et le domaine utile au tenancier. Dans ce contexte, le droit usufructuaire était un droit réel et ne posait pas de problèmes sérieux. L'usufruitier et le nu-propriétaire exercent des droits concurrents et vivent l'un dans l'ignorance de l'autre. Dès lors, il était facile, voire normal d'appliquer le « rigoureux cantonnement de l'usufruit et de la nue-propriété »15(*). Or, au cours du XlXe siècle, on assiste à un intense développement de la fortune incorporelle. Ces nouveaux biens, à raison de leur valeur économique, demandaient à être protégés. L'adage « res mobilis res vilis » n'est plus adapté à la réalité. Les techniques d'une bonne gestion exigent une collaboration entre l'usufruitier et le nu-propriétaire. Des rapports s'établissent entre les deux partenaires. On assiste de plus en plus à la constitution d'usufruits sur les droits incorporels.

L'usufruit, qui est un démembrement de la propriété, peut-il avoir un domaine plus large que la propriété ? Comment concevoir que l'usufruit puisse avoir pour assiette un droit incorporel ? Et pourtant, le contenu du droit usufructuaire est resté presque inchangé depuis 1804. A ce jour, seulement 47 articles sont consacrés à l'usufruit. Si les dispositions consacrées à l'usufruit dans les législations récentes étrangères ne sont pas plus importantes, elles sont de loin beaucoup mieux adaptées aux besoins de notre temps16(*).

Un autre pan du problème est la diversité de ces droits. La kyrielle des droits incorporels les rend multiforme en ce qui concerne leur jouissance. Comment peut-on organiser un régime juridique homogène face à la diversité de jouissance des droits incorporels ? Finalement, cette situation doublée de la quasi-inexistence de la législation en la matière, pousse les juges à rendre des décisions ex aequo et bono17(*). Par contre, certains auteurs tirent le fondement de l'usufruit de certains droits incorporels du Code civil18(*). Ceci conduit à l'altération du mécanisme de l'usufruit. Aussi, parmi les droits incorporels, les uns sont-ils personnels alors que les autres sont difficilement classifiables. L'exemple des droits sociaux est patent. Au demeurant, une certaine doctrine parle de « catégorie indifférenciée »19(*) des droits de créance. Mais, un autre problème se pose avec acuité en ce qui concerne les droits personnels. Celui-ci est plus doctrinal. La tradition juridique classique consacre une summa divisio des droits patrimoniaux en droits réels et droits personnels. Si la définition de l'usufruit ne soulève guère de difficultés en matière de biens corporels, l'on conçoit moins aisément la constitution d'un usufruit sur les droits incorporels. Quelle est la nature réelle de ce type d'usufruit ? Existe-il réellement ? Comment un droit réel peut-il avoir pour assiette un droit personnel ? En d'autres termes, comment un droit peut-il porter sur un autre droit ? Comme l'écrit le professeur R. Libchaber20(*), il « y a quelque monstruosité à construire un droit réel sur la base d'un rapport personnel ». Cette controverse doctrinale s'est compliquée depuis les travaux de Ginossar établissant la légitimité de la propriété des créances21(*). Le juriste épris de logique devient amorphe devant une telle difficulté.

Depuis la loi française du 03 décembre 1981 portant dématérialisation des titres, l'usufruit des droits sociaux a pris une autre tournure. Les titres sociaux, autrefois, corporels, sont devenus des droits incorporels. Dans cette nouvelle situation, la nature réelle de l'usufruit est démentie. Par ailleurs, les relations nées de l'usufruit ne concernent en général que deux personnes à savoir l'usufruitier et le nu-propriétaire. En revanche, l'usufruit constitué sur les droits sociaux implique l'intervention d'une troisième personne : la société dont les droits sont démembrés.

La durée de l'usufruit est susceptible de poser tout autant des problèmes. L'usufruit est conçu pour les biens qui ont une longue durée. Or, une semblable durée est rare lorsque l'usufruit a pour objet les droits incorporels. La plupart de ces droits qui sont l'objet d'usufruit ne sont que temporaires, de sorte que lorsqu'ils s'éteignent, l'usufruit dont ils étaient grevés, cesse avec eux. C'est le cas par exemple lorsque l'usufruit porte sur un droit de propriété intellectuelle tel que le brevet ou un droit de propriété littéraire ou même sur une créance ou un bail. Le problème s'est posé en jurisprudence en matière d'usufruit d'une sous-location22(*). Le calcul des droits de succession sur ce type d'usufruit se pose avec une particulière acuité.

D'une manière générale, c'est l'existence même de l'usufruit des droits incorporels qui est en jeu. La difficulté réside dans la dichotomie qui existe entre les règles qui gouvernent l'usufruit, et, qui sont épisodiquement contestées pour leur inadéquation aux impératifs d'une bonne gestion des biens et l'obligation justement de respect des mêmes règles.

Le problème de l'usufruit des droits incorporels est relativement neuf aussi bien en doctrine qu'en jurisprudence, ceci à cause de l'apparition récente de ces droits. En effet, si les travaux qui se sont penchés sur le sujet, sont rares, il en est différemment en ce qui concerne la jurisprudence, surtout en matière de droits sociaux.

Le sujet présente un intérêt aussi bien théorique que pratique. Sur le plan théorique, c'est surtout l'usufruit des droits personnels qui a le plus soulevé des controverses en doctrine23(*) bien que le législateur envisageait déjà en 1804 le cas de l'usufruit des rentes viagères. Sur le plan pratique, le sujet révèle que les règles du droit de l'usufruit sont de plus en plus obsolètes pour régir le mouvant domaine de l'incorporel. Ceci ressort des récentes décisions de la Cour de cassation française24(*) qui, sur l'interprétation des textes spécifiques, résout d'une manière originale les conflits relatifs à l'usufruit.

Les diverses difficultés soulevées ont conduit à envisager une refonte du droit des biens en droit français. Une proposition de réforme est issue du groupe de l'association H. Capitant. Elle élargit le domaine de l'usufruit tout en maintenant la distinction droits réels-droits personnels.

Les interrogations relatives à l'usufruit des droits incorporels sont nombreuses eu égard aux enjeux. Celles-ci trouvent leur cause dans la vieillesse des règles qui gouvernent l'institution. Il va falloir la rénover, la proposition ne donnant pas une solution pertinente à l'usufruit des droits incorporels.

Dans la mesure où l'usufruit des droits incorporels n'a pas préoccupé le législateur, ou plutôt supposé comme tel, nous orienterons notre réflexion autour de deux grandes parties : dans une première partie, nous démontrerons que l'usufruit des droits incorporels est ignoré par le législateur de 1804 (Première partie) ; dans une seconde partie, nous finirons par comprendre que le renouveau de l'institution s'impose afin qu'elle puisse suivre la cadence imposée par l'extension des droits incorporels (Deuxième partie).

PREMIERE PARTIE : LA PRETENDUE IGNORANCE DE L'USUFRUIT DES DROITS INCORPORELS PAR LE LEGISLATEUR DE 1804

L'usufruit est cette institution définie et connotée par le Code civil français en son article 57825(*).

Plus qu'une simple définition de l'usufruit, l'article 578 C.civ. accorde à l'usufruitier un droit, `'jouir''26(*) et lui impose un devoir, `'conserver la substance'' et fonde ainsi, en quelques mots, l'entier droit de l'usufruit27(*).

L'usufruit est une institution vivante. Cependant, il présente de nombreux vices dont le plus remarquable se trouve dans sa vieillesse.

Une lecture approfondie de la doctrine et de la jurisprudence modernes incite au trouble. L'usufruit se présente alors comme un dragon aux multiples visages ou encore comme un caméléon toujours changeant ceci en fonction du contexte. Il ressort qu'il s'adapte de moins en moins au mécanisme classique, surtout avec l'expansion de l'incorporel et ce, malgré les termes généraux de l'article 581 C.civ28(*).

Il conviendra donc d'étudier dans un premier mouvement l'institution telle que prévue par le Code civil (Chapitre l) afin de nous rendre compte dans un second mouvement que son mécanisme ne s'adapte guère au mouvant domaine de l'incorporel (Chapitre II).

Chapitre l : L'USUFRUIT DU CODE CIVIL

Outre le droit de propriété, tous les droits réels ont pour objet une chose appartenant à autrui et confèrent à leur titulaire des pouvoirs plus ou moins étendus sur cette chose. Il en est ainsi de l'usufruit qui est un pouvoir de jouir des choses dont un autre a la propriété. Au demeurant, Domat enseignait déjà que l'usufruit est « le droit de jouir d'une chose dont on n'est pas propriétaire »29(*).

Sociologiquement, l'usufruit se constitue dans trois séries d'hypothèses, dont l'aspect est généralement familial et alimentaire :

1-La vente d'immeuble avec réserve d'usufruit, moyennant un prix qui est souvent une rente viagère ;

2-La donation avec réserve d'usufruit, qui est généralement une opération familiale, faite par un ascendant, au soir de sa vie, à ses descendants ;

3-Et enfin l'usufruit du conjoint survivant qu'accorde la loi successorale30(*).

Conçu pour une société agraire et pastorale, l'usufruit emporte un démembrement du droit existant sur la chose entre l'usufruitier et celui qui était auparavant le titulaire, le nu-propriétaire (Section l).

Droit réel, il porte directement sur une chose corporelle. En effet, l'article 578 C.civ. n'avait été édicté que pour les biens matériels. A l'instar de tous les biens meubles, les droits incorporels n'étaient qu'exceptionnellement l'objet de convoitises. Il se déduit donc que l'usufruit au sens du Code civil est la projection réduite de la propriété (Section ll).

Section l : UN DEMEMBREMENT DU DROIT DE PROPRIETE

Si la définition de l'article 578 du Code civil n'est pas suffisamment précise, elle a néanmoins le mérite de ressortir le caractère divisible du droit réel de propriété. En effet, le droit de propriété peut être divisé en deux ou plusieurs parcelles. Ainsi, l'usufruit est-il constitué de deux attributs : le droit d'user et le droit de jouir (Paragraphe l).

En faisant allusion à une jouissance de la chose identique à celle du propriétaire, le texte de l'article 578 C.civ. entend sans doute considérer par là qu'il s'agit d'un droit réel (Paragraphe ll).

Paragraphe l- Les attributs de l'usufruit

Le texte de l'article 578 C.civ. reconnaît à l'usufruitier le droit de jouir. La jouissance visée doit être comprise lato sensu comme englobant le droit d'usage (A) et le droit de jouissance stricto sensu ou le droit de tirer les fruits du bien (B).

A- Le droit d'usage.

Le droit d'usage ou l'usus ou encore jus utendi n'est pas spécifié ni dans la définition du droit de propriété ni dans celle de l'usufruit. Les deux articles utilisent le terme « jouir » pour désigner la jouissance accordée au propriétaire ou à l'usufruitier.

Le droit d'usage peut se définir comme le droit d'utiliser et de se servir d'une chose selon sa destination. Le droit d'usage pour le professeur E. Dockès31(*) s'entend du droit de tirer les premières utilités de la chose.

Comme nous l'avons souligné, l'usufruit est composé de deux attributs distincts que sont le droit d'usage et le droit de jouissance stricto sensu entendu comme le droit de percevoir les fruits de la chose. De ce fait et par la force des choses, il existe des cas où l'usufruit se réduit à l'usage. L'usufruit porte dans ce cas sur une chose qui ne produit pas de fruits ou du moins qui n'est pas susceptible d'en produire si l'on tient compte de sa destination. L'usufruitier d'une bibliothèque ne pourra que se servir des documents qui la composent. Il est donc évident que l'usufruit dans ce cas se réduit à un simple usage. Il ressort de l'article 589 C.civ. que si l'usufruit porte sur des choses qui, sans se consommer de suite, se détériorent peu à peu par l'usage, l'usufruitier a le droit de s'en servir pour l'usage auquel elles sont destinées. C'est le droit d'usage qui est mis en exergue ici.

Toutefois, le jus utendi ne se manifeste pas le plus souvent isolément. Dans la pratique en effet, l'usage s'accompagne du droit aux fruits avec lequel il se confond même si de façon générale, l'usus se distingue du fructus. Le droit d'usage sur un terrain par exemple ne comporterait « que la faculté de circulation et de passage, c'est-à-dire plutôt un agrément qu'un droit proprement dit »32(*).

Il faut toutefois distinguer l'usus, attribut de la propriété du droit d'usage et d'habitation qui, lui est connoté par le Code civil. Planiol et Ripert33(*) qualifient le droit d'usage et d'habitation comme « un dégradé de l'usufruit »34(*). Cependant, il faut retenir que l'usus comme le droit d'usage et d'habitation s'arrête à l'utilisation matérielle de la chose, ce qui exclut l'idée de toute utilisation juridique. C'est ce qui ressort des termes de l'article 631 C.civ. en ce qui concerne le droit d'usage et d'habitation : « L'usager ne peut céder ni louer son droit à un autre »35(*).

Par ailleurs, le Code civil français étend le régime juridique de l'usufruit au droit d'usage et d'habitation. D'ailleurs, les professeurs Ph. Malaurie et L. Aynès trouvent que le droit d'usage est « un petit usufruit ».

Le droit d'usage pose problème sur un autre angle. L'usager a-t-il le droit de se faire mettre en possession de la chose dont il jouit ou a-t-il seulement la faculté de réclamer au propriétaire le versement périodique de la part des fruits qui lui revient ? L'équivoque est entretenue par l'article 630 C.civ. selon laquelle l'usager a le droit d'exiger une certaine portion de fruits. Le problème est résolu par la doctrine qui s'accorde à reconnaître à l'usager le droit à la possession et à l'exploitation directe. Une analyse contraire contrasterait avec l'article 626 C.civ. qui soumet l'usager aux obligations de l'inventaire et de caution.

En définitive, même si le droit d'usage reconnu à l'usager s'étend au jus fruendi, c'est seulement « autant qu'il lui en faut pour ses besoins et ceux de sa famille »36(*).

Si l'usus se confond le plus souvent à la jouissance, il est donc nécessaire d'analyser cette dernière.

B- Le droit de jouissance

D'emblée, la jouissance ici doit être entendue dans son sens strict comme le fructus, le droit pour l'usufruitier de tirer les fruits de la chose, objet d'usufruit.

La notion de fruits a fait l'objet de vives controverses en droit. Le droit civil a fait la distinction entre fruits et produits. Il en est résulté qui si les fruits sont les produits périodiques qu'une chose fournit sans altération ni diminution sensible de sa substance, les produits eux, n'ont pas de périodicité et leur apparition altère la substance même de la chose. Comme on l'a fait remarquer, « quand on perçoit des fruits, on perçoit seulement des revenus, tandis que quand on perçoit les produits d'une chose, on perçoit une fraction du capital, qui se trouve ainsi entamé »37(*). Les fruits comportent deux caractères : la périodicité (plus ou moins régulière) et la conservation de la substance de la chose qui les produit. Le sens juridique du produit est à l'antipode du sens littéral dans la mesure où le propre du produit est de ne pas se reproduire. La différence semble tenir à un critère physique assez facile à mettre en oeuvre. Mais, le critère physique n'a pas toujours une valeur absolue. Les professeurs Ph. Malaurie et L. Aynès parlent « d'un correctif volontaire »38(*). Ainsi, on considérera une carrière régulièrement exploitée comme donnant des fruits non des produits39(*), la périodicité de la production masquant l'épuisement progressif de la substance. Aussi, si le propriétaire d'une forêt l'a aménagée en coupes réglées, les arbres abattus ne seront plus des produits, mais des fruits40(*).

La distinction entre fruits et produits est d'autant plus importante que c'est le nu-propriétaire, non l'usufruitier, qui a droit aux produits. C'est ce qui résulte des termes même des articles 592 et 598 alinéa 2 C.civ. L'usufruitier, lui a droit à tous les fruits et revenus. M. Croisat41(*) le met en exergue en ce qui concerne les bénéfices commerciaux qui sont considérés comme des fruits lorsqu'il s'agit de les attribuer à l'usufruitier.

Pour le doyen Carbonnier, « est fruit tout bien accessoire qui sort périodiquement d'un bien principal, sans que la substance de celui-ci s'en trouve diminuée » et il ajoute que « c'est parce qu'il (fruit) revient périodiquement et qu'il ne diminue pas la substance du capital que le fruit se distingue du produit »42(*). En tout état de cause, la nécessité de conservation du bien constitue le critère déterminant de la qualification de fruit. La chambre commerciale de la Cour de cassation française43(*) l'a récemment confirmé en ce qui concerne les bénéfices du fonds de commerce.

Il faut ajouter qu'un bien ut singuli ne peut être qualifié de fruit. Il est fruit par rapport à un autre bien. Selon l'exemple donné par E. Dockès44(*), l'usufruitier d'une pomme de terre devra à la fin de l'usufruit restituer une autre pomme ; la pomme de terre n'est pas alors un « fruit ». En revanche, l'usufruitier d'un champ ne sera pas tenu de restituer les pommes de terre qui en sont issues, il les fait siens. Les pommes de terre sont ici des « fruits ».

Enfin, il faut ajouter pour finir que le droit civil distingue d'une part les fruits naturels et industriels et d'autre part les fruits civils. Les premiers ont pour caractère de sortir directement du capital sans l'intermédiaire d'autrui soit spontanément (fruits naturels), soit par la culture (fruits industriels) alors que les seconds résultent de la rémunération que les tiers donnent de la jouissance de la chose.

En utilisant les termes « comme le propriétaire lui-même », l'article 578 C.civ. veut implicitement souligner sans doute que l'usufruit est un droit réel.

Paragraphe ll - Un droit réel

L'usufruit est un droit réel de jouissance sur la chose d'autrui. Le Code civil s'en est tenu à une simple évocation à son article 543. C'est à la doctrine qu'il est revenu le soin de définir ce qu'est le droit réel. Il en est résulté que le droit réel est le pouvoir juridique qu'a une personne de retirer directement tout ou partie des utilités d'une chose45(*) (A).

Dans sa conception originaire et la plus claire, l'usufruit apparaît essentiellement comme un démembrement de la propriété des choses corporelles (B).

A- Un pouvoir direct sur la chose

Comme nous l'avons précédemment souligné, l'article 578 C.civ. ne relève pas explicitement le caractère réel de l'usufruit. En tout état de cause, il est unanimement admis que l'usufruit est un droit réel qui porte directement et immédiatement sur la chose d'autrui. Dans l'esprit du Code civil de 1804, la chose est regardée comme assujettie à la personne, obligée de lui obéir. Et la forme la plus appropriée d'accaparement de richesses, c'est de s'emparer des choses qui ont une existence corporelle, la « res »46(*) afin de les soumettre à son pouvoir. En effet, c'est cette soumission de la chose « corpus » au pouvoir de l'usufruitier, sujet du droit, qui caractérise le droit réel. L'usufruitier est donc investi, sur la chose grevée, d'un pouvoir immédiat et direct qui répond à la définition du droit réel. Demolombe47(*) décrit le droit réel en ces termes : « Place au droit réel ! Et que tous les rangs s'ouvrent pour lui faire passage, lorsqu'il s'avance tout-puissant et absolu, par sa propre et seule force, sans l'intermédiaire d'aucun débiteur, vers la chose même sur laquelle il porte directement... ».

L'usufruit, droit réel, entraîne une conséquence : son opposabilité erga omnes. Dans l'exercice de son droit, l'usufruitier est titulaire d'un droit de suite et d'un droit de préférence. Ceci se manifeste par la faculté qu'il a, de revendiquer la chose lorsqu'elle est entre les mains d'un tiers. Autrement dit, il exerce son droit en quelques mains qu'elle se trouve48(*). La troisième chambre civile de la Cour de cassation française l'a solennellement affirmé dans son arrêt du 23 mars 1990 en ces termes : « La vente de la chose d'autrui est nulle ; la vente de la chose sujette à usufruit ne fait aucun changement dans le droit de l'usufruitier »49(*). En l'espèce, le nu-propriétaire avait vendu sa chose nonobstant l'existence de l'usufruit. La question de droit qui se posait était celui de savoir quel est le sort de la vente en pleine propriété d'un immeuble par celui qui n'en est que le nu-propriétaire. La Cour de cassation française répond qu'elle est inopposable à l'usufruitier et casse l'arrêt d'Appel qui avait plutôt parlé de nullité.

Ce pouvoir qu'exerce l'usufruitier sur la chose le distingue du bailleur, qui, également a la jouissance de la chose. Toutefois, l'usufruitier jouit au titre de droit réel alors que le locataire lui, jouit au titre d'un droit personnel. Le droit de ce dernier est relatif et est défini par le contrat qui le lie au bailleur. La nature juridique du droit du preneur à bail a tout de même été l'objet de controverses en droit français. Tirant principalement argument de l'article 1743 C.civ. qui déjà dans sa rédaction originelle déclarait le bail opposable à tous les acquéreurs successifs de l'immeuble, une partie de la doctrine notamment Troplong50(*) analysait les droits des locataires et fermiers comme un véritable droit réel. Il n'avait été suivi ni par la doctrine ni par la jurisprudence. Cependant, la controverse a regagné en intensité avec la loi n° 75-596 du 09 juillet 1975 notamment l'article 2282 alinéa 2 qui est venue « incruster plus fortement les preneurs dans les lieux loués »51(*) en leur accordant l'exercice de l'action possessoire. On pouvait dès lors se demander si cette loi n'avait pas apporté un nouvel argument à la thèse de la réalité. Pour les professeurs L. Aynès et Ph. Malaurie52(*), la différence est toujours d'actualité car si l'usufruitier peut exercer les actions possessoires contre le nu-propriétaire, il ressort des termes de l'article 2282 alinéa 2 du C.civ que le locataire ne peut agir contre le bailleur qu'à titre contractuel et se voit refuser les actions possessoires.

En somme, le locataire n'a pas un droit portant directement sur la chose, mais seulement celui d'en demander la jouissance paisible au bailleur conformément aux termes de l'article 1719 C.civ. En d'autres termes, son droit de jouissance ne porte pas sur la chose, mais s'exerce contre le bailleur.

La force du droit réel dépend de la chose, objet du droit. Cette force est d'autant plus affirmée lorsque le droit porte sur une chose corporelle. Au demeurant, la chose corporelle est celle qui pouvait être l'objet de droit réel du moins selon la conception du Code civil originel.

B- La chose corporelle, objet de l'usufruit

L'idée de base, c'est que le droit réel porte sur une chose53(*).

La chose corporelle à laquelle il faut assimiler la chose matérielle est toute chose qui se manifeste par son existence physique. C'est une chose qui est perceptible par les sens. Pour le doyen G. Cornu, relève du corporel les biens « que l'on peut matériellement toucher »54(*).

A la rédaction du Code civil, le domaine de l'usufruit couvrait exclusivement les biens corporels. Seules les rentes viagères étaient les droits incorporels qui pouvaient être l'objet d'usufruit. C'est pourquoi le Code civil évoquait l'hypothèse d'un tel usufruit comme dérogeant au droit commun de l'usufruit en son article 588.

Sociologiquement, l'usufruit portait sur des choses corporelles55(*). Conçu comme « un démembrement de la propriété des choses corporelles »56(*), l'usufruit en tant que droit réel ne souffrait alors d'aucune difficulté. La notion traditionnelle de droit réel qui, compris comme « un jus in re », un pouvoir direct et immédiat sur une chose, « ne peut s'exercer que sur une réalité palpable »57(*) . C'est cette conception qui a amené les professeurs B. Starck, H. Roland et L. Boyer à affirmer que l'usufruit a pour objet une chose matérielle, immobilière ou mobilière, appartenant à un tiers qui en est le propriétaire58(*).

On ne saurait comprendre cette vision si l'on ne rapproche l'usufruit de la propriété. En effet, l'absolutisme du droit de propriété emportait ses effets sur les autres droits réels. Le droit s'intégrait dans son objet au point de ne faire qu'un avec lui. Comme tous les autres droits réels, il était un droit sur la chose. Une terminologie millénaire traduit encore cette conception absolutiste de l'épuisement du droit dans son objet : on dit souvent « ma maison » au lieu de dire « la maison sur laquelle j'ai un droit de propriété ». Cette vue matérialiste a conduit à faire de la propriété un droit absolu, un droit totalitaire : « plena in re potestat ». Cette souveraineté portait une lourde rançon, représentée surtout par la limitation des biens sur lesquels pouvait s'établir un tel pouvoir59(*). Seuls s'y prêtaient les biens corporels, les choses ; mais les biens incorporels y demeuraient réfractaires. « Pour qu'il eût droit sur une chose encore fallait-il qu'il y eût une chose, un objet corporel », dira le doyen Josserand60(*).

Il ressort de l'analyse précédente que l'usufruit tel que conçu par le Code civil de 1804 n'était concevable que s'il portait sur des choses matérielles. Le corollaire, c'est que les droits incorporels n'avaient aucune place de choix lorsqu'étaient évoqués les droits réels en général. L'usufruit dans sa conception était simplement l'image réduite du droit de propriété.

Section ll : UN USUFRUIT MATERIEL A L'IMAGE DE LA PROPRIETE

Il ressort des développements antérieurs que l'usufruit est un droit réel qui porte sur une chose corporelle, autrement dit une chose tangible et qui a une existence matérielle. Or, la notion de bien a évolué depuis le Code napoléonien originaire de sorte qu'il prend aujourd'hui un sens beaucoup plus large. D'ailleurs, Demolombe définissait-il déjà dans la doctrine classique le bien comme ce qui peut servir à l'homme, ce qui peut être employé à ses besoins61(*), reconnaissant implicitement les biens immatériels comme bien à condition qu'ils remplissent le critère de patrimonialité. Aujourd'hui, sont considérés comme biens tous les droits ayant une valeur patrimoniale. L'étude de l'usufruit des droits incorporels incite à poser le problème de l'incorporel en droit des biens. Il incite également à transposer le problème par rapport à l'usufruit. De la rédaction du Code napoléonien, affirmer que l'incorporel est exclu du domaine de l'usufruit n'est pas totalement dépouillé de tout fondement (Paragraphe l). La division majeure des biens qu'il en a faite le confirme (Paragraphe ll).

Paragraphe l - L'exclusion de l'incorporel du domaine de l'usufruit

L'idée de base qui explique l'exclusion de l'incorporel du domaine de l'usufruit, c'est sans aucun doute le fait qu'il est un droit réel, un démembrement de la propriété. Or, il est de notoriété publique qu'au sens du Code napoléonien, le droit incorporel n'est pas considéré comme source de richesse (A). Corrélativement, le bon vieux droit de la « terre » reconnaissait comme bien quasi-exclusif de richesse, la chose matérielle (B).

A- L'incorporel ignoré comme « bien de propriété »62(*)

Il faut entendre par bien incorporel selon le vocabulaire de l'Association Henri Capitant63(*), un bien ou une valeur qui échappe à toute appréhension matérielle. Pour le professeur D. Martin, relève de l'incorporel, tout ce qui n'est pas tangible64(*). Le doyen Carbonnier fait la distinction entre les droits portant sur les biens corporels qui sont des biens incorporels et des biens incorporels absolus c'est-à-dire les droits absolument détachés de tout support matériel. C'est cette catégorie qui nous intéressera.

L'usufruit du Code napoléonien est celui de la conception du droit de propriété. Le Code civil de 1804 ignore les biens incorporels comme source de richesse et ceci pour plusieurs raisons :

D'abord, l'usufruit du Code civil est un droit réel qui porte directement sur une chose. Or, pour qu'il y ait droit sur une chose, jus in re, encore fallait-il qu'il y ait un corps, une chose corporelle puisque, en dehors des choses matérielles, « le statut de la propriété ne pouvait plus fonctionner »65(*). Selon la tradition classique, un droit réel ne peut avoir pour objet une chose totalement détachée de tout support matériel. Le critère d'existence physique prévalait dans la détermination des biens juridiques.

Ensuite, le droit napoléonien ne s'était guère préoccupé des droits incorporels. Bien que conscient de l'importance qu'avaient déjà pris ces biens, la doctrine alors fondait son argumentation sur le fait que ces biens ne confèrent pas à leur titulaire la plénitude des pouvoirs attachés aux biens corporels. On s'imaginait mal comment le titulaire d'un tel droit peut l'exercer et surtout affirmer son emprise sur une chose immatérielle. Aussi, la propriété d'un bien corporel existe-t-elle en elle-même, que le bien soit ou non exploité ou utilisé alors que les biens immatériels n'ont de consistance que par la participation des tiers. Ils étaient regardés comme appartenant à un domaine distinct ou autonome de celui du droit de propriété. Ils ne pouvaient relever du droit des biens généralement et de l'usufruit particulièrement puisque celui-ci ne porte directement que sur une chose tangible, un corps.

Egalement, ces droits ne remplissent pas les caractères de la propriété. En effet, la propriété au sens classique est perpétuelle et absolue. Or, les droits incorporels excellent-ils dans leur limitation dans le temps pour certains, tandis que d'autres sont relatifs. Conséquemment, le droit napoléonien ne pouvait-il reconnaître comme « biens de propriété », les biens qui ne se définissaient pas dans le schéma classique. La richesse se résumait aux biens corporels mieux aux immeubles. C'est dans ce sens que le professeur D. Fiorina parle de « la primauté de l'immeuble et de la plénitude du droit de propriété comme postulats de l'avènement du code civil »66(*).

Enfin, il faut voir en la diversité et corrélativement en la complexité des droits incorporels un motif de leur marginalisation comme pouvant faire partie du droit des biens. Alors que le droit de propriété et ses démembrements obéissent à des règles bien établies, les droits incorporels eux, n'ont pas d'unité et ne se retrouvent pas dans leur généralité dans la classification traditionnelle entre les droits réels et les droits personnels. En tout état de cause, ils altèrent gravement la définition du droit de propriété ainsi que la notion de droits réels. Certains constituent un droit contre un tiers c'est-à-dire un droit personnel, d'autres un droit d'actionnaire, d'autres encore un monopole d'exploitation et relèvent tantôt de la théorie générale des obligations, tantôt du droit des sociétés et du droit commercial, tantôt encore du droit de la propriété intellectuelle.

Cette vision des biens a sous-tendu la rédaction du Code civil ignorant les droits incorporels comme faisant partie des droits réels et élevant les biens corporels comme source quasi-exclusive de richesse.

B- Les biens corporels, source exclusive de richesse

Rappelons que par bien matériel, il faut assimiler le bien corporel, qui désigne tout bien palpable, tangible, une « chose » comme le disent les anciens. Le doyen Carbonnier67(*) le définit comme un bien qui peut être touché notamment par la main.

Le droit des biens se caractérise par le pouvoir qu'exerce une personne sur une chose ; c'est le droit réel. Sur cette base, le Code napoléonien avait défini le domaine des droits réels qui se limitait aux biens corporels. La propriété étant un droit corporel, l'usufruit ne pouvait être d'une nature différente puisqu'il n'en était que le démembrement. D'ailleurs, les immeubles étaient la source par excellence de richesse. Cette affirmation trouve sa justification dans le fait que le Code civil a concentré la majeure partie de ses règles à les réglementer. Cette place prépondérante des immeubles est encore patente en matière d'usufruit. Depuis l'article 578 jusqu'à l'article 624, le Code civil y a le plus souvent en vue l'usufruit portant sur les immeubles. D. Fiorina68(*) affirme dans cet ordre d'idées que « c'est pour ces biens (immeubles) très stables qu'a été tracée une ligne de droits et d'obligations qui concilie la jouissance des choses et leur conservation ».

La tradition d'après laquelle le bien matériel est la source exclusive de richesse vient du droit romain et porte lourdement le poids de l'histoire. A l'origine, le droit romain faisait la distinction entre les « res corporales » et les « res incorporales », autrement dit entre les choses matérielles et les droits sur ces choses, à savoir le droit de propriété. Par la suite, le domaine des biens corporels s'est étendu parce qu'on y a assimilé la chose matérielle et le droit de propriété portant sur cette chose. Le bien, c'est le droit dit-on puisque le bien n'est bien que par les droits qui lui sont conférés. Le bien corporel sur lequel repose le droit de propriété et ses principaux démembrements au sens du Code civil est ainsi un héritage du droit romain. C'est également cette idée de la propriété que se faisaient les quirites : le droit s'intègre dans son objet ; il est un jus in re, un droit dans la chose, une chose matérielle69(*). Le livre ll du Code civil relatif aux biens est conçu pour une société agraire et pastorale, et les seules sources de richesse, ce sont le « fonds » c'est-à-dire la terre, immeuble par excellence et tout ce qui l'accompagne pour son exploitation, les animaux notamment et plus généralement les biens corporels. En effet, pour affirmer sa souveraineté, le titulaire du droit réel devait établir son emprise sur une chose matérielle. Dans ce sens et comme le remarque le doyen Josserand, la propriété s'affirmait non comme un rapport juridique, mais plutôt comme un pouvoir, comme un dominium, et un tel pouvoir ne pouvait s'exercer que sur une chose corporelle.

De ce qui précède, il ressort que le bien corporel est la source exclusive de toute richesse. Cette assertion est confortée par la division principale des biens qu'en a faite l'article 516 du Code civil.

Paragraphe ll - Le domaine du droit des biens

C'est l'article 516 du Code civil qui définit le domaine du Livre ll intitulé : « Des biens et des différentes modifications de la propriété » (A). Aussi, l'adage « res mobilis res vilis » a t-il enfoncé les droits incorporels parmi les grands inconnus tant la majorité de ces droits est mobilière et donc vile (B).

A- La division principale en droit civil des biens

Aux termes de l'article 516 C.civ. : « Tous les biens sont meubles ou immeubles ». Ce grand texte annonce la division majeure des biens ; division principale parce qu'elle embrasse la totalité des biens et qu'aucun bien ne lui échappe. Summa divisio en droit des biens, cette division première s'applique nécessairement à tous les biens. Le critère que retiennent le Code civil et la tradition pour distinguer les meubles des immeubles est physique, la fixité ou la mobilité. Division critiquée et en recul, elle demeure néanmoins la division majeure du droit des biens70(*). De la sorte, est meuble, tout bien susceptible d'être déplacé et immeuble celui qui se caractérise par sa fixité. Le droit romain connaissait la distinction entre les meubles et les immeubles ; mais celle-ci n'était que secondaire, la classification essentielle étant celle entre les « res mancipi » et les « res nec mancipi »71(*). L'Ancien droit coutumier reconnut à son tour comme bien conférant la richesse et la source de toute puissance économique et politique, la terre encore appelée « héritage ». Le droit napoléonien reçut cette distinction et n'en modifia pas la philosophie qui la sous-tendait. Il ajouta que tout ce qui n'est pas immeuble est meuble. Selon une vieille jurisprudence rendue par la Cour de cassation française, « c'est l'état actuel de la chose qui détermine sa qualité de meuble ou d'immeuble»72(*). Plus récemment, la troisième chambre civile de la Cour de cassation française a jugé que « la nature, immobilière et mobilière, d'un bien est définie par la loi et la convention des parties ne peut avoir d'incidence a cet égard »73(*) rejetant de ce fait sa jurisprudence du XIXe siècle par laquelle elle estimait que « le caractère mobilier ou immobilier des biens se détermine, avant tout, par le point de vue auquel les ont considérés les parties contractantes et par la destination qu'elles leur ont attribuée »74(*).

L'arrêt du 14 février 1899 était rendu dans les circonstances qui suivent. Monsieur Dauban consent le 22 juin 1892 la vente de tout le bois carbonisable à couper dans une forêt aux sieurs Bertozzi et Cagnazzoli. Ceux-ci subissent de graves violences de la part des habitants de Vintiseri dans l'exploitation commencée du fonds. Ils somment le vendeur à faire cesser les troubles. Celui-ci assigne en réintégrande certains des agresseurs, qui persistent à affirmer leurs droits de propriété sur la forêt. S'excipant d'une possession annale à titre de propriétaires, les acquéreurs se portent reconventionnellement demandeurs en complainte. La Cour d'Appel de Bastia les déboutent au motif qu'étant seulement acquéreurs du bois vendu séparément du fonds, ils n'acquièrent aucun droit réel immobilier qui leur soit susceptible d'une possession annale pouvant servir de base à une complainte. Le pourvoi devant la Chambre des Requêtes est rejeté. Pour la Cour de cassation française, les récoltes encore pendantes et les arbres non abattus deviennent meubles par cela même que, dans le contrat dont ils font objet, ils sont envisagés comme déjà détachés du sol. L'arrêt du 26 juin 1991 semble rejeter celui du 14 février 1899 du moins dans son attendu principal. Les juges estiment que la volonté des parties est impuissante à classer un bien dans l'une des catégories définies par le Code civil.

Rigoureusement, la nature incorporelle d'un bien s'oppose à ce qu'il soit classé parmi les meubles ou les immeubles. Seulement, le droit a créé une fiction juridique en classant la plupart des droits incorporels parmi les meubles. Or, à l'analyse des termes de l'article 516 C.civ., il ressort qu'outre les meubles et les immeubles, il n'y a pas de catégorie intermédiaire. C'est ce que relève le professeur C. Atias75(*) en ces termes : « En dehors des meubles et des immeubles, il n'existe ni qualification intermédiaire ou mixte, ni qualification d'un autre ordre ». C'est dans cette philosophie qu'a été rédigé l'article 516 C.civ.

Découlant essentiellement du critère physique, cette distinction trouvait aussi à sa source un trait fondamental, celui de la différence de valeur qui caractérise les immeubles et les meubles. Pour I. Freij-Dalloz76(*), le critère physique paraissait d'autant plus attrayant qu'il coïncidait avec le critère tiré de la valeur économique des immeubles et justifiait une protection particulière. Cette différence de valeur trouve son expression dans l'adage « res mobilis res vilis ».

B - Les conséquences de l'adage « res mobilis res vilis » sur les droits incorporels

Etymologiquement, signifiant « chose mobilière, chose vile », l'adage « res mobilis res vilis » est le postulat d'après lequel les biens mobiliers ont moins de valeur que les immeubles. D'après cette idée constante, l'immeuble est le bien précieux, productif de revenus alors que le meuble a une valeur moindre et est périssable. Deux conséquences découlent de cette distinction : d'une part, la place particulière réservée aux immeubles traduisait l'idée de conservation des biens dans les familles aussi bien dans le régime matrimonial que dans la dévolution successorale et, d'autre part, le principe selon lequel les meubles répondent aux dettes ; « Meubles sont le siège de dettes »77(*), disait-on à cet effet. Or, la plupart des droits incorporels sont d'après la loi de nature mobilière78(*), donc viles et le législateur n'était redevable d'aucune obligation de les protéger par un arsenal juridique poussé.

Le Code civil a, dans cet ordre d'idées, organisé avec minutie le régime des immeubles et consacré peu de place aux meubles. L'essentiel des dispositions sur l'usufruit faut-il le rappeler a en vue l'usufruit des immeubles.

Par ailleurs, et relativement à l'usufruit des droits incorporels, seul celui des rentes viagères avait été saisi par le codificateur du Code civil, qui plus est, ignorait le délicat problème qu'il soulevait alors qu'à l'époque, la distinction entre droits réels et droits personnels connaissait son âge de gloire.

Considéré comme droit réel, l'usufruit au sens napoléonien du terme ne s'adapte plus aux nouveaux biens, qui se sont diversifiés depuis la révolution industrielle. Aussi, il ne faut pas occulter le fait que la fortune mobilière y a pris de l'importance et s'y est diversifiée de telle sorte qu'on assiste de nos jours à un phénomène inverse : si l'immeuble reste et demeure précieux, les droits incorporels l'ont supplanté et sont devenus aujourd'hui les plus précieux. C'est le cas des valeurs mobilières et des propriétés intellectuelles notamment. Dès lors, le constat qui se dégage est clair : l'usufruit du Code napoléonien, le bon vieux droit de le « terre » devient incapable d'embrasser le nouveau et dynamique domaine de l'incorporel, d'où l'inadaptation de l'incorporel au mécanisme classique de l'usufruit.

Chapitre ll : L'INADAPTATION DE L'INCORPOREL AU MECANISME CLASSIQUE DE L'USUFRUIT

L'usufruit classique est un droit réel qui porte directement sur la chose corporelle d'autrui. La notion de bien, objet d'usufruit classique, s'est diversifié de sorte qu'aujourd'hui, les biens recouvrent outre les choses corporelles, les choses immatérielles ; ces dernières sont devenues une importante source de richesse. Cette situation entraîne la mise en échec de l'adage « res mobilis res vilis ».

Cette diversification des droits incorporels a eu des conséquences sur l'usufruit, notamment l'usufruit qui porte sur de tels biens. Des problèmes ont été soulevés à propos de l'existence même d'un tel usufruit que le Code civil de 1804 n'avait pas envisagé. Ces biens ne se retrouvent pas dans le schéma classique de l'usufruit. Droit réel, l'usufruit ne peut porter que sur des biens tangibles79(*), tandis que les droits incorporels eux sont intangibles et ne sont pas susceptibles d'appréhension matérielle.

Droit de jouissance, l'usufruit impose à son titulaire l'obligation80(*) de conservation de la chose. Or, la jouissance des droits incorporels est particulière et il ressort de la jurisprudence récente qu'elle confère les prérogatives de propriétaire à leurs titulaires. De la sorte, le professeur P. Le Cannu a pu parler de « la nudité du nu-propriétaire »81(*). L'inadaptation de l'incorporel au mécanisme classique de l'usufruit se justifie à deux niveaux essentiellement : d'abord au niveau de l'immatérialité des droits incorporels (Section l) et ensuite au niveau du particularisme du droit de jouissance de ces droits (Section ll).

Section l : L'IMMATERIALITE DES DROITS INCORPORLS

Poser que l'usufruit est un droit réel revient à dire qu'il n'est pas concevable qu'il ait pour assiette un droit incorporel82(*). Or, il ressort des termes généraux de l'article 581 du Code civil que l'usufruit peut porter sur toute espèce de biens, autrement dit aussi bien sur les biens matériels que sur les biens immatériels. L'usufruit étant un droit réel qui porte sur une chose corporelle83(*), l'article 581 C.civ. va poser problème (Paragraphe ll).

Les droits incorporels sont divers et leur expansion est effrénée parce qu'ils constituent le mouvant domaine de nouveaux biens. En conséquence, leur classification s'avère difficile, ce qui justifie qu'ils ne se retrouvent pas dans les classifications du droit civil des biens (Paragraphe l).

Paragraphe l - La difficile classification des droits incorporels

« La diversité a toujours suscité chez les juristes la réaction de classification »84(*). Et comme le remarque si bien D. R. Martin85(*), les qualifications juridiques sont affectées par une marge de relativité lorsqu'elles sont confrontées aux confins des figures qu'elles nomment. Ceci étant, il revient à dire que la diversité des droits incorporels mérite qu'on les classe afin de déterminer le régime applicable. Toutefois, en matière de droits incorporels, la classification n'est pas aisée, car ils ne se retrouvent pas dans le schéma classique de la distinction entre les droits réels et les droits personnels. Si certains peuvent s'analyser en droits personnels (A), d'autres en réalité sont mixtes. Il convient de les considérer comme des droits sui generis86(*) (B).

A- Les droits incorporels personnels

Les droits incorporels sont ceux dont l'objet est immatériel87(*).

La première distinction des droits incorporels révèle que certains sont personnels. C'est le cas des créances de sommes d'argent en général. La jurisprudence a également relevé les cas de l'usufruit d'un droit au bail, d'un bail à ferme et surtout d'une sous-location88(*). Le Code civil a connoté l'usufruit de rentes viagères en son article 588. La rente est un revenu périodique versé au crédirentier par le débirentier en échange d'un capital reçu. Elle est viagère lorsque l'obligation de verser les arrérages cesse à la mort du crédirentier ou d'une tierce personne. Comme déjà soulevé, un tel usufruit renferme « une énigme »89(*). C'est ce qui justifie qu'un tel usufruit ait soulevé de vives controverses en doctrine90(*) et les critiques sont restées acerbes à propos de son existence même. L'usufruit du droit au bail, celui des rentes, l'usufruit des obligations sont là autant de circonstances dans lesquelles la pratique laisse apparaître un usufruit des créances.

Le droit civil classe les droits patrimoniaux en droits réels et droits personnels. Cette distinction forme l'arête du droit patrimonial et même est à l'origine de la distinction droit des biens-droit des obligations.

Le droit personnel est le rapport de droit qu'une personne a, à l'encontre d'une autre, d'exiger de celle-ci, l'exécution d'une prestation. C'est le contrat qui l'exprime bien et est défini à l'article 1101 C.civ. Il est relatif, autrement dit, il n'a d'effet qu'entre les parties au contrat. Dans le cas d'une rente viagère, ce rapport met aux prises le crédirentier et le débirentier. C'est à ce dernier que le crédirentier s'adresse pour toucher les intérêts et il ne peut les réclamer qu'à lui. Selon les professeurs R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière91(*), le droit est relatif sous cet aspect, parce qu'il s'agit de l'exercice d'une créance, laquelle est l'objet de l'usufruit. Or, l'usufruit est un droit réel.

En pratique, l'usufruit de cette partie des droits incorporels pose beaucoup plus de problèmes aussi bien en ce qui concerne la nature juridique à la constitution que dans l'exécution. Elle est de loin la moins difficile à classer. La difficulté est encore patente lorsqu'il s'agit de la classification des droits incorporels sui generis.

B- Les droits incorporels sui generis

Les droits incorporels sui generis sont l'objet de vives controverses en doctrine ; ils ont un vocabulaire incertain. En effet, c'est la distinction droits personnels-droits réels qui est reconnue par le droit civil classique puisqu'elle est la summa divisio en la matière.

Une vue entière sur ces droits montre qu'ils se constituent des monopoles d'exploitation (les signes distinctifs et les créations intellectuelles), des droits de clientèle (fonds de commerce, clientèle civile) qui constituent ce que certains auteurs appellent les droits de propriété incorporelles92(*), les valeurs mobilières, notamment les droits sociaux.

Les droits incorporels sui generis sont pour une certaine partie de la doctrine, des droits intellectuels ou des droits de clientèle. Dans tous les cas le constat d'incertitudes en la matière est sans équivoque. Pour J. Carbonnier93(*), l'avènement de ces formes nouvelles de propriété était accompli dès la fin du XIXe siècle. Ces biens sont, dit-on « l'avenir de l'Occident » et sont en extension constante. Ils ne s'identifient pas dans la classification traditionnelle.

Le professeur D.R. Martin qualifie certains de ces droits, notamment le droit qu'exerce l'associé sur les droits sociaux, de droit réel. Il soutient que « l'associé n'est pas créancier social, mais cotitulaire du patrimoine social et, comme tel, subpropriétaire indivis de l'actif social »94(*). Il réfute même l'idée majoritaire selon laquelle les valeurs mobilières sont devenues des droits incorporels depuis leur dématérialisation par la loi du 03 décembre 1981. Il soutient son argumentation par le fait que, le phénomène de la dématérialisation, les valeurs mobilières sont justement passées d'une incorporation dans le titre à une représentation par des écritures en comptes. C'est ce qu'il qualifie de « corporalité novatoire »95(*) . Tout au moins, sa position est corroborée par le fait que les titres « dématérialisés » peuvent faire l'objet d'un don manuel96(*). D'autres auteurs97(*) estiment que la société est dans une certaine mesure un bien sur lequel l'associé exerce des prérogatives.

Les « propriétés incorporelles »98(*) proprement dites, c'est-à-dire les droits de la clientèle et les monopoles d'exploitation n'ont pas une nature définitive. Pour autant certains les ont classées parmi les droits réels. Ces auteurs ont été critiqués parce qu'elles sont temporaires. Leur consistance dépend de la participation des tiers et elles sont généralement liées à la personnalité de leur titulaire. D'autres encore les analysent en monopoles d'exploitation puisqu'ils confèrent à leur titulaire le droit exclusif d'exploitation sur leur création et que l'exercice des actions de protection leur est reconnu. Faut-il ajouter que leur possession demeure problématique. Aujourd'hui cependant, l'analyse dominante99(*) se référant au contenu des droits plutôt qu'à leur fonction les considèrent comme des droits réels qui portent sur des objets incorporels.

Ce qu'il faut retenir, c'est que ces droits sont sans unité et sont soumis à différentes règles qui tant bien que mal se chargent de leur protection.

Les droits incorporels étant très diversifiés, l'article 581 du Code civil va poser le problème de la nature juridique de l'usufruit dont ils sont l'objet.

Paragraphe ll - Le problème posé par l'article 581 du Code civil

En posant depuis 1804 à l'article 581 C.civ. que l'usufruit peut porter sur toute espèce de biens, les codificateurs proclamaient même s'ils ignoraient les conséquences postérieures que toute chose reconnue comme bien est susceptible d'être l'objet d'usufruit. Les droits incorporels sont de ce fait l'objet potentiel d'usufruit (A). Dans ce dernier cas, la nature réelle de l'usufruit des droits incorporels est largement inconcevable (B).

A- Le droit incorporel, objet potentiel de l'usufruit

L'article 581 C.civ. dispose : « ll (l'usufruit) peut être établi sur toute espèce de biens meubles et immeubles. »

Cette formule très générale affirme que tout bien peut être l'objet d'usufruit. Toutefois, il est à signaler que cet article compris dans le contexte de sa rédaction ne concernait que les biens matériels qui, seuls pouvaient être objet d'appropriation. Aussi, faut-il souligner que la notion de bien a évolué et qu'aujourd'hui elle désigne le droit100(*). De la sorte, les choses incorporelles sont des biens dès lors qu'elles sont utiles à l'homme. Etant des biens, les droits incorporels peuvent être désormais objet de l'usufruit puisque l'article susvisé est resté inchangé jusqu'à nos jours et sa substance est d'une affirmation péremptoire.

Même en 1804, il faut relever que le législateur n'écartait pas l'exclusivité des droits incorporels comme objet de l'usufruit dans la mesure où l'usufruit des créances101(*) était connoté même s'il constituait l'exception au droit commun de l'usufruit. Avec l'expansion du domaine de l'incorporel, il est beaucoup de cas de constitution d'usufruit. Les cas les plus courants se retrouvent dans le droit des sociétés. Il est de plus en plus fréquent que les droits sociaux soient démembrés, spécialement quand il s'agit de préparer avec douceur « la transmission de leur entreprise (par les chefs d'entreprise) sans grande inquiétude puisqu'ils conserveront l'usufruit des droits sociaux et laisseront la nue-propriété à leurs successeurs »102(*). Les professeurs M. Cozian et A. Viandier confirment cette situation et estiment que si les apports en usufruit et en nue-propriété étaient autrefois exceptionnels, ils se sont multipliés ces dernières années car s'inscrivant désormais dans une stratégie patrimoniale et fiscale de transmission d'un patrimoine103(*).

Aussi, même si l'usufruit du brevet n'a pas fait l'objet d'une réglementation spécifique, l'usufruit des droits de propriété littéraire et artistique est d'une pratique courante.

Les droits incorporels étant intangibles, la constitution d'un usufruit sur eux est « une situation curieuse »104(*) car il est difficile qu'elle ait toujours une nature réelle comme il est de l'essence de l'institution. La nature réelle de l'usufruit des droits incorporels est donc problématique.

B- L'inconcevable nature réelle

La nature réelle de l'usufruit des droits incorporels est remise en cause surtout en ce qui concerne les droits personnels. Certains auteurs s'étonnent et hésitent105(*). D'autres doutent qu'en pareil cas, l'usufruit soit un droit réel106(*). Les professeurs R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière107(*) dans une série d'interrogations font ressortir la délicatesse de la situation: « Peut-on expliquer qu'un droit, qui, lorsqu'il est complet s'analyse en un droit de créance, donne naissance, par une simple fragmentation, à un droit réel ?»; « La partie peut-elle être d'une autre nature que le tout ?». C'est le cas de l'usufruit d'une rente viagère prévu par le codificateur. B. Starck108(*) simplifie la question de la nature de l'usufruit. Pour lui, la nature de l'usufruit dépend de l'objet qui en est l'assiette. L'usufruit est tantôt un droit réel, tantôt un droit personnel. Si le qualificatif de droit réel convient dans une large mesure à ce droit d'usufruit, il est impossible, dans certains cas particuliers de lui conserver cette qualification, sous peine d'en déformer le sens, écrit-il.

Dans la logique juridique du droit civil, un droit porte sur un objet que ce soit un droit réel ou personnel. Autrement dit, il existe un sujet passif et/ou actif et l'objet de l'obligation. En conséquence, un droit ne peut avoir pour objet un autre droit et c'est le paradoxe de l'usufruit des droits incorporels personnels. Si nous admettons que l'usufruit reste un droit réel, il est contraire à toute logique qu'un droit de créance démembré, donne naissance à un droit réel109(*).

En ce qui concerne les droits incorporels sui generis, la nature de leur usufruit est encore plus équivoque. Le droit réel étant un pouvoir direct sur une chose, on ne peut s'expliquer comment son titulaire exercera son dominium lorsqu'il s'agit des droits incorporels. Au demeurant, la classification de ces droits est improbable car si certains s'analysent en un monopole d'exploitation, d'autres sont acceptés comme des droits réels et même encore comme des droits de créance. Dans son mémoire, M. Alaba110(*) penche pour « l'analyse économique unissant l'associé à la société » en regardant l'associé comme un créancier de la société, autrement dit un rapport de droit personnel lie ce dernier à la société. Dans tous les cas, la jouissance du propriétaire ne s'exerce qu'à travers des prérogatives.

Il est curieux qu'en pratique la nature de l'usufruit des droits incorporels n'inquiète pas. Le problème se pose le plus souvent sous un autre angle : Le particularisme de leur droit de jouissance et l'on se demande si finalement chaque branche du droit n'aurait pas sa conception de l'usufruit.

Section ll : LE PARTICULARISME DU DROIT DE JOUISSANCE

La jouissance des droits incorporels est très particulière. En ce domaine, la jurisprudence et la doctrine s'opposent. La jouissance des droits incorporels confère à son titulaire beaucoup plus de prérogatives de sorte que l'usufruitier de tels droits se transforme quasiment en véritable propriétaire. La jouissance de l'usufruitier est donc problématique (Paragraphe1). En conséquence, l'appréhension unifiée de tels usufruits est corrélativement impossible (Paragraphe 2).

Paragraphe l - La problématique jouissance des droits incorporels

Il ressort de la jurisprudence récente et une partie de la doctrine que la jouissance des droits incorporels transforme l'usufruitier en véritable propriétaire (A), il s'en suit dès lors une altération du mécanisme classique de l'usufruit (B).

A- La transformation de l'usufruitier en véritable propriétaire

Rappelons que l'usufruit confère à son titulaire le droit de jouir de la chose, objet de l'usufruit, mais à charge d'en conserver la substance. Il conviendra d'analyser la jouissance des droits incorporels pour en tirer les conséquences. Nous étudierons, d'une part, les droits personnels et, d'autre part, les droits sui generis.

Partons de l'usufruit d'une rente viagère qui est prévu par l'article 588 Code civil. En effet, l'usufruitier a droit aux arrérages sans être tenu à aucune restitution. Le rapprochement de cette disposition de celle de l'article 578 C.civ. révèle une opposition entre ces deux dispositions. L'usufruit d'une rente viagère a suscité d'énormes controverses dans la doctrine ancienne. D. Fauquet111(*) souligne que « les arrérages d'une rente représentent effectivement le capital et les intérêts de celui-ci ». Et selon Pothier112(*) leur perception épuise la substance de la chose. Or, c'est au propriétaire d'épuiser la substance de la chose autrement dit de l'abuser. Ce qui revient à dire que la situation de l'usufruitier d'un tel droit n'est pas différente de celle du véritable propriétaire, car en définitive, il est propriétaire de la plénitude de la créance113(*). C'est pour éviter ce résultat que les anciens auteurs capitalisaient les arrérages à chaque échéance ; l'usufruitier conservait les intérêts de ce capital, mais devait restituer au propriétaire à la fin de son usufruit le capital lui-même114(*). Cependant, c'est pour éviter les problèmes d'évaluation à la restitution que les rédacteurs du Code civil ont fait des arrérages, les fruits civils dont le titulaire est l'usufruitier. Le constat, c'est qu'en voulant éviter les problèmes d'évaluation, les codificateurs remirent en cause tout le mécanisme de l'usufruit.

Il faut évoquer le cas de l'usufruit des droits incorporels sui generis et surtout l'usufruit des droits sociaux. En effet, si l'on considère les dividendes, selon les termes de l'article 584 C.civ., comme les fruits, l'usufruitier a alors le droit de voter. Or, en lui accordant le droit exclusif de vote, ce dernier peut faire disparaître la substance de la chose. Depuis l'affirmation par la chambre commerciale de la Cour de cassation française qu' « aucune dérogation n'est prévue (par la loi) concernant le droit des associés, et donc du nu-propriétaire, de participer aux décisions collectives, tel qu'il est prévu à l'alinéa 1 de l'article 1884 C.civ. », la situation de l'usufruitier et du nu-propriétaire n'a jamais été réellement discutée. Qui de l'usufruitier ou du nu-propriétaire a la qualité d'associé ? A plusieurs reprises depuis l'arrêt du 4 janvier 1994115(*), la chambre commerciale de la Cour de cassation française ne cesse de répéter qu'en matière d'usufruit et de nue-propriété de parts sociales, la participation aux décisions collectives n'inclut pas nécessairement le droit de vote. Si la chambre commerciale fait du nu-propriétaire un associé116(*), elle garde un mutisme éloquent sur la situation de l'usufruitier.

Les faits de l'espèce du 04 janvier 1994 méritent d'être relevés. Deux époux avaient créé une société civile spéciale, un groupement forestier et avaient donné à leurs enfants la nue-propriété des parts en se réservant l'usufruit. L'article 7 des statuts prévoyait que le nu-propriétaire serait représenté par l'usufruitier qui serait seul convoqué aux assemblées générales et aurait seul le droit d'y assister et de prendre part aux votes quelle que soit la nature de la décision à prendre. Les nus-propriétaires demandaient la nullité de cet article, qui au mépris de leur qualité d'associé, les excluait entièrement de la vie de la société.

Plus tard, vint l'arrêt Société VH Holding117(*) du 31 mars 2004 par lequel la chambre commerciale de la Cour de cassation française invalida la neutralisation statutaire du droit de l'usufruitier de voter l'attribution des bénéfices en estimant que « la clause litigieuse, en ne permettant pas à l'usufruitier de voter les décisions concernant les bénéfices, subordonnait à la seule volonté des nus-propriétaires le droit d'user de la chose grevée d'usufruit et d'en percevoir les fruits, alors que l'article 578 C.civ. attache à l'usufruit ces prérogatives essentielles ». Pour le professeur T. Revet118(*), cet arrêt attestait que « le signe du vent tournait » puisque par son arrêt du 9 février 1999119(*), la Cour de cassation française après avoir posé que « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et de voter, et que les statuts ne peuvent déroger à ces dispositions », avait censuré la décision qui n'avait pas annulé la disposition statutaire privant certains associés du droit de vote dans des hypothèses non légalement prévues.

Dans son arrêt du 29 novembre 2006120(*), la troisième chambre civile de la Cour de cassation française avait cru le temps de la clarification venue. Les faits de l'espèce sont les suivants. Deux copreneuses solidaires d'un bail rural avaient mis les terres louées à la disposition d'une société civile d'exploitation agricole dont elles étaient coassociées et cogérantes, puis l'une d'elle fit cession de la nue-propriété de ses parts à son neveu et à l'épouse de celui-ci. Ultérieurement, la cédante fut présentée, dans une notification adressée aux bailleurs, comme demeurant associée. Puis, à l'occasion d'une demande postérieure d'autorisation judicaire de cession de parts, formée par l'autre colocataire, les bailleurs demandèrent reconventionnellement la résiliation des baux en se fondant sur le fait qu'à partir de la première cession, la copreneuse cédante de la nue-propriété de ses parts avait cessé d'être associée, sans que les bailleurs n'en fussent averties. La Cour d'Appel d'Amiens (3 mai 2005) fit droit à la demande, les locataires formèrent alors pourvoi. La troisième chambre civile le rejette en ces mots : « Mais attendu qu'ayant constaté que madame A... avait procédé le 30 juin 1999 à la cession au profit des époux Z... de la nue propriété de la totalité de ses parts sociales de le société civile d'exploitation agricole et énoncé, à bon droit, que le caractère solidaire des engagements des preneuses stipulé dans les baux litigieux ne permettait pas d'étendre l'effet de la solidarité aux obligations leur incombant à titre personnel, la Cour d'Appel, qui en a exactement déduit qu'il importait peu que madame Z... ait conservé la qualité d'associé de la SCEA et relevé que madame A... avait perdu la sienne, quelle que soit l'étendue du droit de vote accordé à l'usufruitier par les statuts, a souverainement retenu que l'information délivrée le 20 août 1999, qui faisait figurer madame A... au nombre des associés, était de nature à induire en erreur les consorts de B... et à justifier la résiliation des baux ». Pour la troisième chambre civile, l'usufruitier ne peut avoir la qualité d'associé.

Le professeur M. Cozian121(*), dans son commentaire de l'arrêt du 4 janvier 1994 pense que les juges ne refusent pas la qualité d'associé à l'usufruitier et même espère que la Cour de cassation française, « aura l'occasion de proclamer que même privé de vote, l'usufruitier n'en est pas moins associé a fortiori quand il concentre tout ou partie des droits de vote ».

Il semble que la chambre commerciale lui ait donné raison en son arrêt du 02 décembre 2008122(*). En effet, les faits de l'espèce méritent d'être exposés. En 1989, un père de famille consent à ses sept enfants une donation-partage avec réserve d'usufruit portant sur les parts de la société civile Plastholding. Les statuts de la société conférant à l'usufruitier le droit de voter les décisions ordinaires et extraordinaires, les nus-propriétaires doivent être convoqués aux assemblées générales dans tous les cas. Une assemblées générale extraordinaire tenue en septembre 2003 vote l'absorption de Plastholding par la société civile Holding des Boëles, qui prend immédiatement la dénomination de l'absorbée. L'un des nus-propriétaires demande l'annulation des délibérations prises lors de l'assemblée générale.

Elle décide dans son deuxième motif « qu'en statuant ainsi,( la Cour d'Appel de Caen avait estimé que les statuts réservant le droit de vote à l'usufruitier est illicite et a annulé les délibérations adoptées grâce au vote de celui-ci) alors que les statuts peuvent déroger à la règle selon laquelle si une part est grevée d'usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, dès lors qu'il ne déroge pas au droit du nu-propriétaire de participer aux décisions collectives, la Cour d'Appel a violé le texte susvisé( article 1844 C.civ.) ».

Ensuite, dans son quatrième motif, la chambre commerciale de la Cour de cassation française estime « qu'en se déterminant ainsi, sans expliquer en quoi l'usufruitier aurait fait du droit de vote que lui attribuaient les statuts un usage contraire à l'intérêt de la société, dans le destin de favoriser ses intérêts au détriment de ceux des autres associés, la Cour d'Appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».

Il ressort de ces deux motifs que la chambre commerciale de la Cour de cassation française sur le fondement de l'article 1844 C.civ. élève l'usufruitier au rang d'associé. Cette solution nous rend perplexe. Si la chambre commerciale estime que le droit du nu-propriétaire n'est pas violé, alors quelle atteinte plus grave pourrait subir ce dernier? Si l'usufruitier peut commettre un abus du droit de vote, c'est parce qu'il a la qualité d'associé sinon entre le nu-propriétaire et l'usufruitier, lequel pourrait commettre un abus s'il n'est pas associé ? En effet, l'abus en droit des sociétés est bien défini. Il concerne les associés que ce soit l'abus de majorité ou l'abus de minorité.

Cette situation défavorable du nu-propriétaire est bien exprimée par certains auteurs, qui le considèrent comme un associé insolite123(*), qui « peut être durablement dépouillé des prérogatives les plus dynamiques de cet état, alors que celui qui tire profit des utilités concrètes et immédiates des droits sociaux, l'usufruitier, ne voit pas encore sa qualité d'associé consacrée ! » et qu' « au résultat, l'on peut dire que le droit positif `' n'avantage le nu-propriétaire que de façon symbolique, grâce au titre d'associé dont il le pare alors qu'il permet d'en geler presque tous les attributs''124(*) ».

Pour le reste, les réponses données par la chambre commerciale de la Cour de cassation française tranchent en faveur de la qualité d'associé à l'usufruitier des droits sociaux. Or, c'est l'associé qui exerce les prérogatives de propriétaire dans la société125(*), autrement dit, il est « propriétaire de la société »126(*).

En ce qui concerne l'usufruit des droits de propriété littéraire et artistique, le titulaire perçoit tous les droits d'auteur et même autorise les éditions et reproductions dans la mise en valeur de son droit. Seul le droit moral qui, est un droit extrapatrimonial, a pour titulaire le nu-propriétaire. L'usufruit du brevet ne fait pas l'objet de réglementation spécifique. La transposition du droit commun conduit à admettre que l'usufruitier est pleinement titulaire du droit d'exploiter le brevet, par lui-même ou par la concession des licences. Si la durée du brevet est inférieure à celle de l'usufruit, le titulaire est investi de la plénitude des droits conférés par le brevet, ce qui suscite les regrets d'une partie de la doctrine.

L'usufruit, autrefois limité à l'appropriation des fruits du bien, s'étend aux produits. A cette manipulation, il devient plus une propriété temporaire qu'un droit démembré. Pour J.- D. Bredin127(*), le nu-propriétaire est laissé à l'écart et devient « ce personnage deux fois sympathique rassurant parce qu'il est propriétaire, pitoyable parce qu'il est dépouillé ».

La transformation de l'usufruitier en véritable propriétaire entraîne de toute évidence l'altération du mécanisme classique de l'usufruit.

B- L'altération du mécanisme classique de l'usufruit

L'usufruit est une institution du droit civil des biens. Il est connoté des articles 578 à 624 C.civ. Parallèlement, les différentes branches qui l'abordent, n'en donnent point une autre définition. L'usufruitier jouit à charge de conserver la substance.

Toutefois, des problèmes surgissent lorsqu'il s'agit de l'usufruit des droits incorporels. A l'analyse, il ressort que ce type d'usufruit a un régime dérogatoire de droit commun. Or, si c'est l'exception qui le plus souvent confirme la règle, la situation dans notre cas est originale puisque la tendance actuelle d'expansion de l'incorporel tend à marginaliser l'usufruit classique comme constituant une institution vieille et statique. J- L. Bergel128(*) l'éprouve lorsqu'il estime que « dans l'état actuel du droit, l'usufruit est plutôt un outil de stérilisation. En effet, le propriétaire ne fait pas d'investissement sur un bien dont il n'a pas la jouissance et l'usufruitier non plus puisqu'il n'en a pas la propriété ».

L'altération du mécanisme classique de l'usufruit se retrouve aussi bien au niveau des droits incorporels personnels que sui generis. Dans les deux cas, la situation de l'usufruitier est la même dans la mesure où il exerce des prérogatives supérieures à son rang, ce qui nous incite à affirmer qu'il prend la place du propriétaire tant l'article 578 du Code civil lui impose l'obligation de conservation de la substance.

En s'appropriant aussi bien les revenus que le capital, l'usufruitier d'une rente viagère devient titulaire de la créance car logiquement, c'est au nu-propriétaire non à l'usufruitier que revient le capital129(*).

L'altération de l'usufruit des droits sui generis est la plus courante dans la pratique. Manifestement, les décisions de la chambre commerciale de la Cour de cassation française sur l'usufruit des droits sociaux font de cette institution un usufruit spécial dérogeant au droit commun. En se fondant sur l'article 1844 alinéa 4 du Code civil, cette chambre dépouille l'alinéa 1 de toute substance, sinon, que restera t-il des prérogatives attachées au rang d'associé-propriétaire ?

Normalement et comme le pense Y. Guyon130(*), lorsqu'une action est grevée d'usufruit, c'est l'usufruitier qui vote dans les assemblées générales ordinaires, car celles-ci ont pour objet essentiel de fixer les dividendes qui sont les fruits civils. Au contraire le nu-propriétaire participe aux assemblées générales extraordinaires car celles-ci sont susceptibles d'atteindre la substance de l'action. C'est d'ailleurs le principe posé par l'article 225-110 du Code de commerce français. Avec sa décision du 8 décembre 2008, la chambre commerciale de la Cour de cassation française a avalisé le vote de l'usufruitier qui en l'espèce avait entraîné la fusion-absorption de la société, ce qui est une atteinte à la substance du bien. Il convient de revenir sur la portée du vote de l'usufruitier dans le cas d'espèce.

L'absorption est cette opération qui a pour effet de faire disparaître les parts de la société absorbée. Il n'ya plus d'assiette à la nue-propriété. Le nu-propriétaire perd son bien. Ce qui est sûr, c'est qu'il va recevoir un autre bien notamment d'autres droits sociaux dans la société absorbante. Toutefois, il se peut que ses pouvoirs puissent être totalement altérés, le faisant passer du rang d'associé majoritaire à celui d'associé minoritaire. Certains auteurs pensent que cette altération est sans préjudice sur l'usufruit classique et la justifie en tout cas moralement, parce que c'est l'usufruitier, qui, le plus souvent est le créateur de la société. Mais sur le plan juridique, il semble que la plume de la chambre commerciale de la Cour de cassation française n'a pas été en harmonie avec sa religion. Si, dans sa décision du 8 décembre 2008, elle n'a pas raisonné en termes de qualité, elle l'a fait en termes de droit de vote, prérogatives de pouvoir que se disputent l'usufruitier et le nu-propriétaire.

On pourrait également se demander avec le professeur M. Boudot131(*) en ce qui concerne l'usufruitier d'un brevet ou d'une oeuvre de l'esprit, s'il peut accomplir des actes de disposition. Dans l'affirmative, que reste-t-il au nu-propriétaire ? Et dans la négative, quelles sont ses prérogatives ? C'est donc dire que dans ces types d'usufruits, l'usufruitier est véritablement un propriétaire.

En définitive, s'il n'est pas facile de faire en aval une appréhension unifiée de l'usufruit des droits incorporels, c'est justement parce que la cause va être recherchée dans leur diversité en amont.

Paragraphe ll - La difficile appréhension unifiée

La difficile appréhension unifiée de l'usufruit des droits incorporels se justifie d'abord au niveau de leur jouissance diversifiée (A), ce qui a ensuite pour conséquence la perte de l'identité de cet usufruit (B).

A- Le droit de jouissance diversifiée

A l'analyse de ce qui a été dit, la jouissance des droits incorporels est très diversifiée. Si au sens de l'usufruit, la jouissance se compose de l'usus et du fructus, il est assez difficile de faire cette distinction quant à la jouissance de ces droits. Nous analyserons successivement le droit de jouissance en matière des droits incorporels en suivant la classification antérieure.

Si nous reprenons le cas de l'usufruit des droits incorporels personnels, leur jouissance est incomparable avec celle de l'usufruitier classique. Au demeurant, l'usufruitier n'a pas un droit réel sur l'objet de son usufruit puisqu'en définitive, il s'adresse au débiteur pour en retirer son émolument132(*) . L'image majestueuse de l'usufruitier classique laisse place à celui qui doit passer par l'intermédiaire d'un débiteur pour que ses droits soient remplis133(*). A l'intérieur des droits incorporels personnels, la jouissance n'est pas toujours unanime. La jouissance de l'usufruitier des créances est différente de celle d'une rente viagère. Tandis que l'usufruitier d'une créance n'a droit qu'aux intérêts de cette créance, le nu-propriétaire restant seul titulaire de cette créance134(*), l'usufruitier d'une rente viagère a droit de percevoir les arrérages de la rente tant que dure l'usufruit, sans être tenu à ce titre, à aucune restitution. Le constat qui se dégage est clair : La situation de l'usufruitier est flexible selon qu'il s'agit d'une créance ou d'une rente viagère. Or, l'usufruit d'une rente viagère n'est qu'une modalité d'usufruit de créance, autrement dit, d'usufruit d'un droit personnel. En ce qui concerne l'usufruit d'une créance proprement dite, la jouissance de son titulaire est susceptible de le transformer en quasi-usufruitier dès lors que la créance vient à être exigible alors même que l'usufruit court. Il ressort d'une vieille jurisprudence135(*), que l'usufruitier dans ce cas a le devoir sinon l'obligation de procéder au recouvrement de cette créance. Plus récemment, cette jurisprudence a été confirmée par la première chambre civile de la Cour de cassation française136(*).

Quant à l'usufruit des droits incorporels sui generis, nous prendrons l'exemple de la jouissance des droits sociaux. La distinction entre l'usus et le fructus est également problématique. En effet, si l'on comprend que, dans le cas de l'usufruit des valeurs mobilières (cas des actions), le fructus s'entend du droit pour l'usufruitier d'en appréhender les fruits, c'est-à-dire les dividendes générés par ces actions, l'on éprouve davantage de difficultés à visualiser ce en quoi consiste le droit d'usage en cette matière. S'il faut admettre que ce dernier consiste dans le droit d'exercer les prérogatives attachées aux actions et l'on pense notamment au droit de vote, le fait que l'usufruitier soit titulaire de ce droit ne conduit-il pas à dénier au nu-propriétaire tout droit de vote aux assemblées ? Le problème des prérogatives du nu-propriétaire resurgit ici encore. La jouissance des droits sociaux est tributaire des clauses statutaires. On peut voir là, la diversité du droit de jouissance. Quoi qu'il en soit, la jouissance des droits sociaux reste originale. Si les statuts confèrent tout le droit de vote à l'usufruitier, comment le nu-propriétaire pourra t-il exercer son droit ? Et si les statuts répartissent le droit de vote en fonction de l'importance des assemblées générales, on peut y voir une restriction du droit de jouissance exclusive de l'usufruitier. La jouissance de l'usufruitier dans le Code civil français exclut celle du nu-propriétaire, lequel vit dans l'espérance qu'il redeviendra plein propriétaire à l'issue de l'usufruit et, à ce titre, n'a qu'une nue-propriété.

Ayant un droit de jouissance diversifié, il est sûr que l'usufruit des droits incorporels ne peut être appréhendé de façon unitaire ; d'où la perte de l'identité de cette institution.

B - La perte de l'identité de l'usufruit

A l'issue de l'analyse de l'usufruit à l'épreuve des droits incorporels, le principal enseignement qui se dégage est celui de la perte de l'identité de l'institution-usufruit. Corollaire de la diversité dans la jouissance des droits incorporels, cette perte d'identité met en échec la conception de l'usufruit en tant qu'institution autonome du Code civil. Il devient un droit à contenu variable et est malléable, ceci en fonction du contexte et des différentes branches du droit qui l'abordent. Il est différemment appréhendé selon qu'il s'agit du droit des sociétés, du droit commercial ou encore du droit de la propriété intellectuelle. Le droit usufructuaire reconnaît à l'usufruitier le droit de jouir et lui impose l'obligation de conserver la chose. Or, lorsqu'il s'agit des droits incorporels, le mécanisme de l'usufruit se trouve gravement altéré. L'usufruit perd son identité à deux niveaux : D'abord au niveau de sa nature même et ensuite et surtout au niveau de son exercice. En effet, si le Code civil évoquait dès 1804 le cas de l'usufruit d'un droit personnel en l'occurrence l'usufruit d'une rente viagère, c'est qu'à cet instant, le problème de sa nature juridique se posait.

C'est surtout à l'égard des nouveaux biens que l'usufruit se trouve marginalisé. Ces derniers ont réussi à faire échapper l'institution de l'emprise de leur géniteur qu'est le Code civil. Le plus souvent, la jouissance de tels droits emporte le droit de disposer. Le moyen de défense du nu-propriétaire qui découle de l'obligation essentielle de l'usufruitier137(*), va se fragiliser au contact des principes du droit des sociétés. L'usufruitier se voit reconnaître les prérogatives d'un véritable propriétaire. Les schèmes classiques de l'usufruit se trouvent dégradés, détériorés, dévisagés et défigurés. En ce qui concerne le droit des sociétés, la chambre commerciale de la Cour de cassation française à travers ses derniers arrêts ne voile pas son intention d'ignorer l'article 578 C.civ., pour s'en tenir exclusivement aux seules dispositions de l'article 1844 du Code civil alors même que l'interprétation qu'elle en donne altère le mécanisme de l'usufruit tel que nous l'avons déjà évoqué. La question qui se pose est de savoir si à l'analyse de ces décisions, elle ne conduit pas l'usufruit des droits sociaux à un régime spécial par rapport à l'institution telle que déjà construite. En tout cas la réponse est claire s'il suffisait de la déduire des récentes décisions de la chambre commerciale de la Cour de cassation française. Au total, « l'asymétrie est flagrante par rapport à la situation de l'usufruitier titulaire, lui, d'un droit de vote irréductible destiné à préserver directement son fructus »138(*) alors qu'à l'inverse, le droit positif permet de dépouiller totalement le nu-propriétaire de tout droit de vote et même de méconnaître ses droits fondamentaux. Comment ne pas considérer dans ces conditions que « l'heure est à la défense des droits de l'usufruitier de parts sociales, y compris sur le fondement de l'article 578 C.civ. lorsque cela lui est favorable, et non à la défense des droits du nu-propriétaire, à l'aide du même article 578 ? »139(*). Aussi, faut-il se demander si cette situation ne découle pas du libéralisme des textes organisant la répartition du droit de vote entre le nu-propriétaire et l'usufruitier.

L'usufruit des droits incorporels suscite des inquiétudes. D'énormes incohérences l'accompagnent. Il va falloir rénover l'institution.

DEUXIEME PARTIE : LE RENOUVEAU DE L'USUFRUIT

Un rappel des fondamentaux du droit usufructuaire s'avère indispensable. L'usufruit est un droit réel qui porte sur la chose corporelle d'autrui140(*). A l'épreuve des droits incorporels, qui aujourd'hui sont des biens, deux difficultés majeures se posent : d'une part, l'immatérialité de ces droits qui rend problématique la nature réelle de l'usufruit dont ils sont l'assiette et d'autre part, le particularisme de leur droit de jouissance qui altère le mécanisme classique de l'institution. Ces difficultés font aujourd'hui plus que jamais de l'usufruit une institution mal définie, mal organisée avec un régime juridique hétérogène. L'usufruit devient une institution désuète et archaïque qui ne peut plus embrasser les nouvelles formes de richesses. En outre, il se détache du Code civil avec un contenu variable au gré des différentes disciplines juridiques qui l'abordent. Devant une telle situation, des voix se sont élevées et une profonde réforme a été entamée. Une proposition de réforme du livre ll du Code civil relatif aux biens en est résultée depuis le printemps 2008141(*) et est en attente d'adoption. Aussi, le droit positif s'adapte-t-il de plus en plus aux droits incorporels.

Il ressort que le développement des droits incorporels entraîne de profondes mutations dans le droit positif (Chapitre l). Toutefois, une nécessaire redéfinition de l'usufruit s'impose aujourd'hui afin que l'institution puisse embrasser aussi bien les biens corporels que les droits incorporels (Chapitre ll).

Chapitre l : LE DROIT POSITIF A L'EPREUVE DES DROITS INCORPORELS

Le développement rapide des droits incorporels s'impose aujourd'hui comme une réalité évidente et une importante source de richesse. Le droit des biens ne peut dès lors rester en marge devant ce nouvel environnement. Aussi bien la doctrine que la jurisprudence consolident-ils l'idée selon laquelle les droits incorporels sont du domaine du droit des biens. Aussi, l'immense tempête142(*) qui souffle depuis quelque temps sur le droit civil français n'a pas épargné le droit des biens. D'ailleurs, une proposition de réforme du livre ll du Code civil relatif aux biens a été présentée le 12 novembre 2008. Un constat se dégage à la lecture de cette proposition : la reconnaissance des droits incorporels notamment les droits personnels et les propriétés incorporelles comme des biens143(*). A ce propos J.- L. Bergel144(*) estime qu'ils intègrent « comme bien de propriété les biens incorporels et même les créances, tout en maintenant la distinction des droits réels et personnels ». 

Ceci dit, le droit positif se modèle à l'épreuve des droits incorporels par l'extension du domaine du droit des biens (Section l). Cette extension du domaine du droit des biens contraste avec l'incarnation de la volonté de maintenir la distinction droits réels-droits personnels (Section ll). Cette situation n'est pas anodine sur l'usufruit des droits incorporels puisqu'il est à l'image du droit de propriété.

Section l : L'EXTENSION DU DOMAINE DES BIENS

La nouvelle tendance observée de nos jours est la prise en compte des droits incorporels comme « bien de propriété »145(*) (Paragraphe 1). En outre, la summa divisio des droits patrimoniaux est de plus en plus mise en doute (Paragraphe 2).

Paragraphe l - L'incorporel pris en compte comme « bien de propriété »

L'extension du domaine des biens se manifeste par la reconnaissance de l'incorporel comme bien. Cette reconnaissance est l'oeuvre aussi bien de la doctrine (A) que de la jurisprudence (B).

A- La consécration doctrinale

C'est d'abord la doctrine qui est la première à reconnaître aux droits incorporels la qualité de bien. Justement, Demolombe146(*) admettait déjà dans la doctrine classique les droits incorporels comme des biens à travers la définition qu'il donnait de ces derniers. Ses idées ont été reprises et systématisées par S. Ginossar147(*). La thèse récente de Ginossar repose sur les idées suivantes : En matière de droits patrimoniaux, il n'est que des propriétés d'une part, des créances d'autre part ; ces dernières constituent d'ailleurs elles-mêmes des cas de propriété. Le droit de propriété porte indifféremment sur des éléments corporels ou incorporels. Les créances sont donc l'objet de propriété, et de ce fait appartiennent au droit réel. Le droit réel de la propriété doit se comprendre simplement comme la propriété des choses corporelles, laquelle, absorbant la res, se confond avec elle148(*). Cependant, le droit réel disparaît à son tour pour se fondre en une obligation passive universelle. Il reclasse les droits réels sur la chose d'autrui (usufruit, servitude, droit d'usage) dans la catégorie des obligations propter rem, le titulaire d'un droit sur la chose d'autrui étant considéré comme le bénéficiaire d'une telle obligation à la charge du propriétaire ; c'est ce que G. Cornu149(*) qualifie de « rebrassage en chaîne des concepts ».

Cette construction doctrinale est de plus en plus insistante que le législateur a consacré à son tour l'idée de la propriété des droits incorporels. Aujourd'hui, on soutient la propriété des créances150(*). En effet, la notion de propriété de créance est redevenue d'actualité sous l'effet de l'utilisation répétée du concept par le législateur. L'article 1983 C.civ. parle du « propriétaire d'une rente viagère », les articles L. 511-34, L.511-35 et L.511-36 du Code de commerce français parlent de « propriétaire de la lettre de change ». Les mêmes expressions sont utilisées par le règlement N° 15/2002/CM/UEMOA151(*) relatif aux systèmes de paiement dans les Etats membres de l'UEMOA et spécialement sur la lettre de change. Le problème qui se pose est de savoir s'il s'agit d'une approximation du langage, sans conséquence juridique, ou bien si le modèle traditionnel de la propriété n'a pas éclaté. L'idée de propriété des droits personnels purs se généralise. Pour rester sur ce terrain, on peut noter que les forces des prérogatives du commerçant en vue d'obtenir le renouvellement de son bail a conduit le législateur à qualifier le droit du commerçant de propriété commerciale152(*) alors qu'il est titulaire d'un simple droit personnel contre le propriétaire. Aujourd'hui, l'expression « propriété culturale » se répand du fait que la quasi-perpétuité des droits du preneur à bail rural invite à un rapprochement avec les prérogatives du propriétaire. Egalement, la proposition de réforme du droit des biens intègre-il de son côté «les choses incorporelles» dans le domaine des biens à son article 520.

Consacrée par la doctrine et entérinée par le législateur, la propriété des droits incorporels est également reconnue par la jurisprudence.

B- La consécration jurisprudentielle

La consécration de la propriété des droits incorporels par la jurisprudence n'est pas le fruit d'une situation spontanée. La propriété des droits incorporels a d'abord été reconnue dans le cadre de la jurisprudence sur les nationalisations153(*). L'idée selon laquelle les droits personnels particulièrement constituent de véritables objets de propriété s'impose progressivement dans le droit positif, sous l'influence décisive de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Par sa jurisprudence du 09 décembre 1994154(*), la CEDH consacre la propriété des créances.

L'arrêt a été rendu dans les circonstances qui suivent. L'Etat grec confie à une entreprise la construction d'une raffinerie. Alors que celle-ci avait effectué des investissements pour honorer son marché, l'Etat renonce à l'opération qu'il estime finalement non conforme à l'intérêt national. L'entreprise sollicite et obtient réparation du préjudice que lui cause cette résiliation. L'Etat grec attaque cette sentence et en obtient l'annulation par la Cour de cassation grecque sur le fondement d'une loi entre temps votée par le Parlement grec invalidant les sentences relatives à ce type de contrat. Saisie par l'entreprise, la CEDH condamne l'Etat grec à verser l'indemnité accordée à celle-ci sur le fondement de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme garantissant le droit à un procès équitable. Mais la censure est aussi prononcée sur le fondement de l'article 1er du premier protocole additionnel à ladite convention155(*) garantissant le droit de propriété en ce que le législateur a rompu, au détriment des requérants, l'équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de l'intérêt général. L'atteinte au droit de propriété résulte de ce que les intéressés se trouvent dans l'impossibilité d'obtenir l'exécution d'une sentence arbitrale définitive enjoignant à l'Etat de leur verser certains montants pour les frais qu'ils avaient engagés afin d'honorer leur contrat. La Cour utilise ce principe pour sanctionner les atteintes anormales apportées à la propriété. Quelque respectable que fût l'intérêt de l'économie nationale, il ne justifiait pas qu'un cocontractant fût privé de son droit à indemnité.

C'est ce dernier point qui mérite une attention particulière. La théorie classique présente la propriété comme une prérogative portant exclusivement sur les biens corporels. Or, le droit de créance n'est pas un bien corporel. C'est dire qu'elle correspond de moins en moins aux nécessités de l'époque contemporaine.

Plus récemment, le Conseil constitutionnel français156(*) a consacré à son tour la propriété des créances dans sa décision en date du 16 juin 2010 relative à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL). Le Conseil constitutionnel français décide que l'EIRL ne peut créer un sous-patrimoine affecté à la garantie des seules créances nées à l'occasion de l'exercice de son activité professionnelle « qu'à la condition que les créanciers (dont les droits sont nés antérieurement au dépôt de la déclaration d'affectation du patrimoine) soient personnellement informés de la déclaration d'affectation et de leur droit de former opposition ». Cette condition se fonde selon le Conseil constitutionnel français sur la subordination de l'absence d' « atteinte aux conditions d'exercice du droit de propriété des créanciers, garanti par les articles 2 et 4157(*) de la Déclaration des droits de l'homme et du Citoyen de 1789 ». La décision réaffirme nettement la qualité de choses appropriées des créances. Sous ce dernier rapport, la CEDH avait déjà consacré la notion de propriété incorporelle en faisant application de l'article 1er du premier protocole aux clientèles158(*).

La jurisprudence a également considéré que les porteurs de droits sociaux sont des propriétaires justiciables des garanties fondamentales protégeant les personnes contre l'expropriation159(*). A travers la jurisprudence contemporaine, le constat révèle que le droit des biens englobe le droit des obligations dans la mesure où les droits personnels sont devenus aujourd'hui des biens. La proposition de réforme du droit des biens affirme de façon sans équivoque l'intégration de l'incorporel dans le champ du droit des biens. Au demeurant, il ressort des analyses antécédentes que le domaine de l'immatériel est de nos jours la principale source de richesse et sa méconnaissance comme telle serait surprenante. La richesse a dépassé le statique droit de la terre pour devenir un droit de plus en plus immatériel, dynamique et mouvant. Le cas des droits sociaux est plus qu'expressif.

La reconnaissance des droits incorporels comme bien a une incidence évidente sur la division principale des droits patrimoniaux. Cette dernière est de plus en plus mise en doute dans la doctrine contemporaine.

Paragraphe ll - La mise en doute de la summa divisio des droits patrimoniaux

La division traditionnelle droits réels-droits personnels est de plus en plus critiquée dans le droit positif et particulièrement dans la doctrine (A). De plus, des approches d'unification dans un sens ou dans un autre sont de plus en plus insistantes (B).

A- La distinction de plus en plus critiquée

La distinction classique droits réels-droits personnels a fait l'objet de vives critiques dans la doctrine française malgré « ses qualités techniques »160(*) indubitables. Certaines des réflexions ont convergé vers le renouvellement de la distinction.

Le premier constat de la distinction classique est qu'elle n'embrasse pas tous les droits patrimoniaux. Conséquemment, les premières critiques sont relatives à son manque d'exhaustivité en ce sens qu'elle ne constitue pas une summa divisio en la matière. Elle n'est plus adaptée aux données du droit positif, car certaines catégories ne peuvent ni être rangées dans la catégorie des droits réels ni dans celle des droits personnels en raison de leur spécificité. L'exemple le plus récurrent est celui des droits intellectuels. Ils ne présentent ni les caractères des droits réels, ni ceux des droits personnels. Ils ne sont pas des droits réels parce que leur titulaire n'est investi que d'un privilège exclusif d'une exploitation temporaire. La Cour de cassation française en ce qui concerne les droits d'auteurs déclarait que le monopole « qu'ils confèrent sont désignés, à tort, soit dans le langage usuel, soit dans le langage juridique, sous le nom de propriété ; que, loin de constituer une propriété comme celle que le Code civil a définie et organisée pour les biens meubles et immeubles, ils donnent seulement à ceux qui en sont investis le privilège exclusif d'une exploitation temporaire »161(*). De son côté, le doyen Roubier162(*) écrivait que « le droit d'auteur n'atteint pas un objet stable et défini, mais une production à venir et indéfinie. C'est un droit en mouvement, de la fortune en formation et non de la fortune acquise. Tandis que la propriété et la créance se classent dans la statique juridique, les droits de clientèle se classent dans la dynamique juridique. » Aussi, portent-ils sur des choses incorporelles, avec un caractère temporaire et ont un lien avec la personnalité. Le droit moral de l'auteur d'une oeuvre en est l'illustration parfaite. Ils ne sont non plus des droits personnels parce qu'ils sont opposables à tous. Ces droits sont réglementés par des lois spéciales.

Ensuite et selon F. Hage-Chanine163(*), outre le fait que ces catégories ne sont ni des droits réels ni des droits personnels, certaines au contraire présentent à la fois les caractères du droit réel et du droit personnel comme le droit du preneur à bail de faire valoir son droit contre l'acquéreur de l'immeuble loué ou le droit du créancier hypothécaire de poursuivre le tiers acquéreur de l'immeuble hypothéqué ou encore le droit de rétention. Les bases de la distinction classique ne sont donc pas aussi solides qu'elles le laissent penser. La doctrine a même été amenée à dire qu'elle reposait sur des bases fausses. Les principaux traits du droit réel à savoir le droit de suite et le droit de préférence ne sont pas toujours des critères satisfaisants qui le distinguent du droit personnel. En ce qui concerne le droit de suite, il n'est pas propre aux droits réels. Lorsqu'une chose louée est aliénée, le locataire peut faire valoir son droit à l'encontre de l'acquéreur selon l'exemple cité plus haut. Dans la mesure où le locataire suit la chose en quelque patrimoine qu'elle se trouve pour y exercer son droit, on pourrait y voir l'équivalent du droit de suite. Il en est de même du dépositaire ou de l'emprunteur. Aussi, le droit de suite n'existe-t-il que pour les droits réels sur la chose d'autrui. On ne peut parler de droit de suite en ce qui concerne le propriétaire. Pour ce qui est du droit de préférence, il est attaché à la qualité de créance, donc d'un droit personnel puisqu'il permet à son titulaire d'être payé par préférence aux autres créanciers du débiteur. Pour C. Larroumet164(*), c'est une évidence et le droit réel n'a rien à voir avec le droit de préférence. Celui qui a un droit doit être préféré à celui qui n'est pas titulaire d'un tel droit, quelle que soit la nature de ce droit, personnel ou réel.

En somme, il est une réalité que la distinction droits réels-droits personnels domine tout le droit du patrimoine. Toutefois, il n'en demeure pas moins vrai qu'elle est fortement critiquée. Si un pan des critiques a tourné vers le renouvellement de la distinction, l'autre a tenté une approche beaucoup plus unificatrice mais ceci dans deux directions diamétralement opposées. Un premier courant doctrinal ramène le droit réel au droit personnel tandis que le second soutient le phénomène inverse.

B- Les approches d'une unification

Un autre pan de la critique relatif à la distinction des droits réels et des droits personnels a convergé vers une approche unifiée de ces derniers. Deux doctrines se sont farouchement opposées : il s'agit d'une part, de la thèse personnaliste qui, soutient que le droit réel est partie du droit personnel et d'autre part de la thèse objectiviste qui, de son côté, soutient que le droit réel englobe le droit personnel.

Le courant personnaliste165(*) a démontré que le droit réel se ramène au droit personnel. D'abord, ce courant soutient que le rapport entre une personne et une chose n'est pas un droit mais un pur fait, comme la possession. Le droit réel est un rapport de droit entre deux personnes comme le droit personnel ; et non pas un droit direct et immédiat sur une chose, sans l'intermédiaire d'autrui. Comme le droit personnel, le droit réel est donc un rapport interpersonnel qui s'exerce contre un sujet passif. La différence résiderait dans la détermination de ce sujet qui, est déterminé s'agissant du droit de créance alors qu'il est indéterminé en ce qui concerne le droit réel et représente toute l'humanité sauf le titulaire du droit. Les droits personnel et réel sont des obligations, le premier est une obligation individuelle, le second correspond à une obligation passive universelle. De la sorte et de façon schématique, le créancier est le propriétaire dans un droit réel comme le droit de propriété ; le ou les sujets passifs, l'ensemble du groupe tenu de respecter le droit du propriétaire ; la chose, l'objet de l'obligation. Il y a donc une obligation qui est la contrepartie du droit.

La thèse personnaliste a fait à son tour l'objet de critiques bien qu'elle ait connu un certain succès. La personnalisation du droit réel a péché dans la confusion entre obligation et opposabilité. Le sujet passif du droit réel n'est tenu à aucune obligation sinon celle de respecter le droit du propriétaire ce qui relève plutôt de l'opposabilité que de l'obligation. Aussi, cette obligation passive universelle est-elle également présente dans le droit personnel, car le contrat dit-on est opposable aux tiers. Enfin, la différence entre le droit personnel et le droit réel n'est pas une simple différence de degré mais de nature. C'est pour ces raisons que J. Chevallier166(*) écrit que : « Planiol n'entendait pas bannir la distinction des droits réels et des droits de créances. Il proposait seulement une définition nouvelle du droit réel ».

En réaction à cette thèse, les objectivistes167(*) soutiennent que la personne du débiteur est indifférente. L'obligation n'est pas un rapport entre deux personnes mais plutôt un rapport entre deux patrimoines, élément objectif de l'actif du patrimoine. L'engagement du débiteur se traduit dans le patrimoine du créancier par une valeur économique, un bien, et est susceptible de transfert. Le droit de créance est de ce fait un droit sur les choses. La seule différence se trouve dans le fait que le droit de créance au lieu de porter sur un bien déterminé porte plutôt sur tout un patrimoine. De la sorte, le droit personnel serait un droit réel indéterminé quant à l'objet.

Le reproche à cette thèse se trouve dans le fait qu'il est impossible de « dépersonnaliser » le droit personnel. Le bien qu'est la créance ne l'est que par rapport à la personne du débiteur alors que le propriétaire jouit de son droit, abstraction faite de la solvabilité ou de l'insolvabilité des tiers tenus au respect de son droit. La situation du créancier est de ce fait tributaire de la solvabilité et de la moralité du débiteur168(*). Ce constat amène à dire que le droit réel se distingue du droit personnel169(*).

Finalement, les thèses visant à nier la distinction des droits réels et des droits personnels ont échoué non pas parce que la distinction est intangible et sans failles, mais parce qu'elles ne sont pas parvenues à proposer une classification nouvelle satisfaisante des droits patrimoniaux. Il reste que la distinction classique droits réels-droits personnels a survécu.

Section ll : LA SURVIVANCE DE LA DISTINCTION DROITS REELS-DROITS PERSONNELS

Bien que la summa divisio des droits patrimoniaux ait fait l'objet de vives controverses en doctrine, elle demeure la seule valable aujourd'hui. Son maintien entraîne la résurgence du problème de la nature juridique de l'usufruit des droits incorporels tant elle renouvelle le débat à l'aune de l'admission progressive des droits incorporels comme bien (Paragraphe l). En outre, on assiste de nos jours au déplacement des problèmes de l'usufruit des droits incorporels sur le terrain jurisprudentiel où les décisions sont plus qu'instables (Paragraphe ll).

Paragraphe l - La résurgence du problème de la nature juridique de l'usufruit des droits incorporels

La résurgence du problème de la qualification juridique de l'usufruit des droits incorporels est justifiée par l'affirmation de sa nature réelle. Ce problème trouve sa cause dans l'ancrage du critère physique de la division des biens (A). Le renouvellement du débat de l'usufruit à l'épreuve des droits incorporels n'en est que le corollaire (B).

A- L'ancrage du critère physique de la summa divisio des biens

La division des choses corporelles-des choses incorporelles n'a jusqu'à nos jours aucune base légale. Cette situation peut trouver une explication par le fait que dans la rédaction du Code civil de 1804, les choses incorporelles, étaient ignorées, car, elles n'avaient pas encore l'importance qu'elles ont acquise depuis. La distinction est restée depuis lors une construction doctrinale, le législateur étant resté muet sur la question. Toutefois, la première commission de réforme du Code civil proposait en sa séance du 22 mai 1947170(*) d'en faire une summa divisio en biens corporels et biens incorporels ; la division meubles-immeubles restant conservée pour ne s'appliquer qu'aux biens corporels171(*). La proposition de réforme de l'association H. Capitant relative aux biens n'a pas érigé la distinction en summa divisio de façon explicite comme le proposait la commission en 1947. Cependant, elle a, tout de même, dans sa définition des biens, mis en exergue les choses corporelles et les choses incorporelles. C'est dire que même si elle n'en fait pas une summa divisio, la proposition ne nie pas l'existence des biens immatériels comme une catégorie distincte des biens corporels. Une chose est sûre, c'est que les droits incorporels sont admis comme éléments potentiel du patrimoine. En effet, l'article 520 de la proposition se retrouve sous le titre l intitulé « Du patrimoine et des biens qui le composent ». La proposition reprend la classification doctrinale des droits incorporels qui les classe dans la catégorie des meubles. Ce qui est une fiction, car un droit immatériel ne peut se trouver dans une classification dont le critère est physique. Nous pensons que cette réserve constitue véritablement une faiblesse. Elle constitue une faiblesse d'abord parce que l'article 526 de la proposition de réforme dispose que tous les biens sont meubles ou immeubles selon les distinctions suivantes. Or, la tradition juridique classique en faisant cette distinction, tenait spécifiquement compte des choses corporelles. Le critère physique étant l'essence des biens corporels, les droits incorporels y étaient exclus. En reconnaissant les droits incorporels comme biens, le critère physique ne saurait logiquement être retenu pour servir de base à la summa divisio. Si ce critère demeure, l'explication peut se trouver dans le fait que la proposition n'aurait pas définitivement coupé les ponts avec la conception classique du droit français sur la classification des biens. La preuve patente, c'est la réaffirmation de la nature réelle de l'usufruit. Cette réaffirmation renouvelle le débat de la nature de l'usufruit des droits incorporels.

B- Le renouvellement du débat

La consécration de la nature réelle de l'usufruit découle explicitement de l'article 575 alinéa 1 de la proposition de réforme du livre ll relatif aux biens et aux termes duquel : « l'usufruit est le droit réel d'user et de jouir d'un bien appartenant à un autre, à charge d'en conserver la substance. »

Cette consécration vient renouveler le débat devenu classique sur la nature de l'usufruit des droits incorporels. En effet, si la proposition maintient la distinction droits réels-droits personnels, il semble illogique d'affirmer le caractère réel de l'usufruit et ceci d'une manière péremptoire. Le débat devient plus vif et trouve désormais son fondement sur des textes dans la mesure où la nature réelle de l'usufruit est jusqu'à ce jour une déduction de la doctrine. Pour les biens corporels, cette nature se justifie aisément. Mais pour les droits incorporels, on conçoit difficilement comment le titulaire d'un tel usufruit, pourrait exercer son emprise sur l'objet du droit qui, par hypothèse, ne tombe pas sous le sens. C'est tout le problème de l'inadaptation de l'usufruit aux droits incorporels qui resurgit avec toutefois la différence que ces droits sont aujourd'hui reconnus comme des biens. Mais alors, c'est justement en les reconnaissant que le problème devient poignant avec le maintien de la distinction. Comment le titulaire de l'usufruit des droits incorporels peut-il exercer son emprise sur l'objet de son usufruit ? Le mutisme de la proposition de réforme du Livre ll du Code civil à cet imbroglio est-il le signe patent d'une impuissance. J- L. Bergel172(*) se rend bien compte de l'incohérence. Il semble, à notre avis, qu'il y a un problème que la proposition élude et qui résulte de la difficile conciliation entre l'intégration des droits incorporels dans la catégorie des biens et le maintien de la distinction droit des biens-droits des obligations. Le droit réel est l'objet du droit des biens alors que le droit personnel est celui du droit des obligations.

Une certaine doctrine173(*) tente d'expliquer, s'agissant de l'usufruit des créances que le droit de l'usufruitier n'est pas une quote-part de la créance, mais un droit réel sur la créance de sorte qu'en vertu du droit réel, ce dernier retire certaines utilités de la créance. Toutefois, elle convient que c'est uniquement au débiteur que l'usufruitier s'adresse pour toucher son droit. Autrement dit, l'usufruit des créances est relatif ; ce qui contraste avec la définition du droit réel.

En tout état de cause, le constat est à l'impuissance des auteurs face à cette énigme. Les plus réalistes174(*) estiment que l'usufruit est tantôt un droit réel tantôt un droit personnel. Cette position est soutenable. L'usufruit aurait donc un régime dual en fonction de l'objet sur lequel il porte. Il faudra donc essayer de théoriser cette position.

Certains auteurs175(*) estiment, en l'occurrence en matière de droits sociaux, qu'il faut reconnaître à l'usufruitier un double statut : un statut réel tout d'abord, qui, en parfaite orthodoxie avec les lois civiles, accorde à l'usufruitier les prérogatives de jouissance des droits sociaux ; un statut personnel ensuite, qui l'investissant de la qualité d'associé, permet de donner à l'institution une assise solide traduisant juridiquement la place qui est aujourd'hui accordée à l'usufruitier au sein des sociétés. En tout état de cause, cette solution n'embrasse guère toutes les situations d'usufruits des droits incorporels. Le régime de l'usufruit des droits sociaux va être différent de celui des autres types d'usufruit puisque le droit de jouissance de droits incorporels est lui aussi diversifié. Aussi et surtout, c'est sur le terrain jurisprudentiel que les conflits entre propriétaires et usufruitiers sont encore patents.

Paragraphe ll - Les problèmes jurisprudentiels de l'usufruit des droits incorporels

L'usufruit des droits incorporels a fait l'objet de multiples décisions surtout en ce qui concerne les diverses variétés des droits de créance et les décisions récentes en ce qui concernent les droits sociaux. Les droits de propriété intellectuelle ne font pas l'objet de décisions soutenues aussi bien en droit français que dans nos systèmes juridiques. La plupart des décisions sont rendues ex aequo et bono (A). En présence des textes, il arrive même que les décisions rendues soient inconstantes (B).

A- Les décisions rendues ex aequo et bono

Le Code civil n'indique pas comment se réalise la constitution d'usufruit sur une créance. Or, le problème qui se pose est de savoir si, le droit de créance, objet particulier de constitution d'usufruit, doit obéir aux règles édictées pour l'usufruit des choses corporelles. La carence de la législation en ce qui concerne les droits incorporels, notamment les droits personnels a poussé les juges à rendre des décisions en équité. Un arrêt relativement récent nous en donne l'illustration. Il s'agit en l'espèce de l'usufruit d'une sous-location. L'arrêt a été rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 25 avril 1974176(*). Les faits de l'espèce sont les suivants. En 1931, les Hospices civils de la ville de Nice consentent au sieur Bensa un bail sur un ensemble immobilier, à charge pour le locataire d'y édifier des constructions devant revenir sans indemnité au bailleur à l'expiration du contrat. Le bail est conclu pour une durée de 50ans. En 1943, Bensa loue ces constructions au sieur Couverchel, lequel consent à son tour diverses sous-locations. Couverchel décède en 1964 laissant sa veuve donataire en usufruit de la totalité de ses biens, la nue-propriété revenant à Gilbert, héritier par sang. C'est donc le calcul des droits de succession qui donne lieu à un litige. Pour l'usufruitière, dès lors que l'usufruit porte aussi bien sur les droits réels que sur les droits personnels, son évaluation ne saurait être différente, autrement dit, c'est l'article 762 alinéa 2177(*) du Code général des impôts qui prévoit une méthode d'évaluation des usufruits temporaires qui doit être appliqué. Aussi bien le tribunal de grande instance de Nice que la chambre commerciale de la Cour de cassation française donnent acte à l'argument de l'usufruitière selon lequel il n'y a pas de différence de nature entre l'usufruit d'un droit réel et l'usufruit d'un droit personnel. Mais les différentes juridictions déboutent cette dernière en tenant compte de la particularité de la jouissance de l'usufruit d'une sous-location. L'usufruit d'une sous-location étant toute autre chose qu'un simple usufruit, les règles concernant l'évaluation des droits de succession étaient tout autant particulier. Ici, l'usufruit porte sur un droit temporaire et de surcroît épuise la substance du bien au fur et à mesure qu'il avance. Ayant donc tous les droits et tous les avantages, l'usufruitière devra supporter la totalité des droits de succession, comme si elle avait reçu la succession en pleine propriété. Cette décision rendue ex aequo et bono fait sans doute de l'usufruit d'une sous-location, une application particulière, sinon autonome des règles qui régissent l'institution puisque les juges ne se fondent ni sur les règles de l'usufruit du Code civil ni sur les règles prévues par le Code général des impôts.

C'est également à la faveur d'une jurisprudence rendue sans véritable fondement textuel, sinon rendue seulement en considération de l'équité que le régime de l'usufruit d'obligation à primes et lots a été dégagé. C'est un vieil arrêt qui remonte au 14 mars 1877178(*). Dans le silence des textes, la question se posait en l'espèce de savoir quels étaient les droits respectifs de l'usufruitier et du nu-propriétaire sur le lot ou la prime attribués à une obligation grevée d'usufruit. La prime et le lot représentent une portion d'intérêts, qui, au lieu d'être distribués périodiquement, sont mis en réserve, capitalisés, pour être payés en une fois, soit à chaque porteur d'obligation lors de l'amortissement du titre (il s'agit alors de la prime), soit à quelques-uns désignés par tirage au sort (il s'agit du lot). Dès lors, la prime et le lot, ne sont-ils pas un complément d'intérêts, par suite, un fruit ? Non, décide la chambre des Requêtes en ces termes : « La prime forme un surcroît de capital qui appartient au nu-propriétaire de l'obligation, et dont la jouissance seule peut être réclamée par l'usufruitier ». Pour la Cour de cassation française, les fruits capitalisés cessent d'être des fruits et deviennent un capital. La capitalisation résulte donc d'un aménagement donné aux titres par la société, accepté par le souscripteur et qui, par conséquent, s'impose à l'usufruitier. La prime ou le lot participe à la nature du capital et fait corps avec lui car, étant une modalité de remboursement du capital. En vertu de son droit, l'usufruitier exercera son emprise sur la somme ; un droit de quasi-usufruit.

Le problème des décisions ex aequo et bono va se reporter dans le cas de constitution d'usufruits sur les droits de brevet en droit français puisqu'aucune disposition ne prévoit jusqu'alors ce type d'usufruit. En ce qui concerne le droit africain, l'Accord de Bangui révisé étant muet sur l'usufruit des droits de propriété intellectuelle, il est clair que ce sera en considération de l'équité que le juge rendra sa décision si l'occasion lui était donnée d'être saisi. Quoi qu'opportunes, ces décisions peuvent entraîner une certaine inconstance de la jurisprudence. Les juges peuvent rendre deux décisions différentes à un cas similaire, ce qui n'est guère un gage de sécurité juridique. Dans une large mesure toutefois, l'inconstance de la jurisprudence est plutôt le fait de la nature même des droits incorporels.

B - L'inconstance de la jurisprudence sur l'usufruit des droits incorporels

La jurisprudence en matière d'usufruit des droits incorporels est très incertaine surtout en ce qui concerne les droits sociaux. L'inconstance de la jurisprudence est due tantôt à l'application des règles du droit commun de l'usufruit, tantôt à l'application des textes spéciaux du droit des sociétés. L'application alternative du droit commun ou du droit spécial dépend de celui de l'usufruitier ou du nu-propriétaire que le juge veut protéger. Toutefois, la protection de l'un des protagonistes dépend surtout de l'interprétation que les juges font des textes. Le plus souvent, le plus décisif, c'est ce que les juges entendent des articles 578 et 1844 du Code civil. Depuis l'arrêt remarqué de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 12 novembre 1998, la jurisprudence n'a cessé de surprendre par son instabilité. Les circonstances de cet arrêt méritent d'être analysées. Au décès d'un père de famille, la veuve est légataire de l'usufruit de l'universalité des biens de la succession. Trois enfants mineurs sont coïndivisaires chacun pour la nue-propriété. La succession comportait un important portefeuille de valeurs mobilières. Près de trente ans plus tard, l'un des enfants demande le partage. En ce qui concerne le portefeuille, des aliénations étaient survenues dans l'intervalle. Le demandeur cherche à connaître les mouvements enregistrés afin d'en connaître la valeur exacte. Il sollicite à cet effet une expertise. La Cour d'Appel reconnaît que la veuve était titulaire d'un usufruit non d'un quasi-usufruit. Elle décide toutefois que la demande doit être rejetée parce que les portefeuilles de valeurs « constituent une universalité qui est fongible et appartient à celui qui les détient » et c'est à la fin de son usufruit que le titulaire de celui-ci devra justifier que la substance a été conservée. C'est cet arrêt qui a fait l'objet d'un pourvoi. La première chambre civile de la Cour de cassation française casse l'arrêt en ce que si l'usufruitier d'un portefeuille a le pouvoir de « gérer cette universalité en cédant des titres dans la mesure où ils sont remplacés », il est tenu « d'en conserver la substance et de le rendre ». Cette solution avait, en général, été approuvée dans la mesure où elle faisait une juste application de l'usufruit de l'article 578 C.civ. En outre, elle visait la protection du nu-propriétaire.

Plus tard, dans un arrêt Hénaux en date du 31 mars 2004179(*), la Cour de cassation française en sa chambre commerciale annulait une clause statutaire qui avait pour effet de priver l'usufruitier de son droit de vote car, cette situation subordonnait à la seule volonté des nus-propriétaires le droit d'user de la chose grevée d'usufruit. Par cette décision, la Cour était intervenue dans une affaire relative à une société en commandite par actions dont les statuts, usant de la liberté offerte par l'article L. 225-110 du Code de commerce français, avait choisi d'attribuer au nu-propriétaire d'actions démembrées « le droit de vote aux assemblées tant ordinaires qu'extraordinaires ou spéciales ». Cette clause est annulée par la Cour d'appel de Douai. La Cour de cassation française rejette le pourvoi formé contre l'arrêt d'Appel pour les motifs tirés du régime général de l'usufruit et pour la protection du droit aux fruits de l'usufruitier. La stabilité relative de la jurisprudence de la Cour de cassation française a été rompue par son récent arrêt du 02 décembre 2008180(*). Les juges auraient pu suivre le raisonnement de l'arrêt 2004, mais ceci a contrario. En transposant la solution de l'arrêt Hénaux, la Cour de cassation française aurait annulé la clause litigieuse privant le nu-propriétaire de son droit de vote car, « en ne permettant pas au nu-propriétaire de voter les décisions concernant la substance, (elle) subordonnait à la seule volonté de l'usufruitier le droit de conserver la substance de la chose grevée d'usufruit »181(*).

En tout état de cause, il se dégage une tendance à la protection de l'usufruitier dans son conflit avec le nu-propriétaire. Et d'ailleurs, certains imminents commercialistes ont soutenu une répartition des biens entre les différentes branches du droit. Les immeubles et la majorité des meubles corporels sont laissés au droit civil alors que les droits incorporels sont un domaine exclusif, sinon la chasse gardée du droit commercial182(*).

En somme, la jurisprudence récente est résolument très protectrice de l'usufruitier. Elle fait une application spéciale de l'usufruit des droits incorporels. Cette protection peut se justifier par le fait que, c'est le plus souvent l'usufruitier qui a la gestion du bien. Malheureusement, le problème doctrinal de l'usufruit des droits incorporels demeure. La solution au problème de l'usufruit des droits incorporels passe nécessairement par la redéfinition de l'institution.

Chapitre ll - LA NECESSAIRE REDEFINITION DE L'USUFRUIT

Le maintien par le droit positif français et par la proposition de réforme du livre II du Code civil relatif aux biens, de la nature réelle de l'usufruit183(*), constitue un sérieux handicap lorsque l'institution a pour assiette les droits incorporels. Il va sans dire que le problème de l'usufruit des droits incorporels n'est pas définitivement tranché.

Certains auteurs ont soutenu que tous les problèmes liés aux droits incorporels trouvaient leur source dans la mauvaise lecture du Code civil soit dans son article 578184(*) , soit dans l'errance du contexte dans lequel la codification a eu lieu185(*). C'est ainsi qu'ils proposent soit de relire son article 578 s'agissant spécialement de l'usufruit, soit de revisiter le Code civil. Cette vision est louable mais ne règle pas toutes les difficultés. C'est pour cette raison qu'une autre doctrine186(*) propose que la solution à cette embarrassante question puisse se trouver dans la remise en cause de la base de distinction droits réels-droits personnels. En effet, si une solution peut venir de la relecture du Code civil, elle redevient fragile si la distinction est maintenue (Section l). Ceci conduit à réorienter la recherche d'une solution pertinente vers une nouvelle piste. La solution définitive à ce problème se concevrait par une considération nouvelle de l'usufruit soit d'une façon radicale, soit plus sagement d'une manière intermédiaire (Section ll).

Section l : LA NECESSITE DE RELIRE LE CODE CIVIL

Le problème de l'usufruit des droits incorporels trouve sa solution dans la relecture minutieuse du Code civil. E. Dockès et F. Zénati-Castaing soutiennent respectivement que les difficultés que revêt l'usufruit appliqué aux droits incorporels sont dues soit à une mauvaise lecture de l'article 578 du Code civil, soit à la mauvaise compréhension du contexte qui prévalait à la codification. La relecture de l'article 578 C.civ. d'une part (Paragraphe l) et la rénovation de la théorie de la propriété, d'autre part (Paragraphe ll), sont deux approches qui ont tenté de résoudre les problèmes inhérents à l'usufruit des droits incorporels.

Paragraphe l - La relecture de l'article 578 du Code civil.

La relecture de l'article 578 C.civ. vise expressément le terme « substance ». Le terme substance a deux sens187(*) possibles. Le premier, finaliste, vise la destination du bien, objet d'usufruit. Le second, matériel, désigne la matière ou la forme concrète du bien. Un courant doctrinal s'est demandé si le second sens n'était « qu'une illusion d'optique »188(*). Ainsi, verrons-nous que l'éviction du critère matériel de la substance (A) tout en retenant le critère finaliste (B) peut constituer une ébauche de solution au problème de l'usufruit des droits incorporels.

A- L'éviction du critère matériel de la substance

Selon le vocabulaire juridique de l'association H. Capitant, le sens matériel du terme « substance » désigne la composition physico-chimique d'une chose, sa matière. La substance vise simplement le bien, dans son immédiateté concrète. Elle ne vise ni ses qualités, ni sa forme, ni a fortiori sa destination, mais simplement son existence. Si telle est la définition de la substance au sens de l'article 578 du Code civil, la conservation de la substance est donc à relativiser. En effet, si tant est que l'usufruitier a le droit de jouir de la chose à charge pour lui de conserver la matière est le sens de l'article 578 C.civ., l'on sera amené à s'interroger sur l'essence même du droit usufructuaire. Le droit d'usufruit ne serait-il pas atteint d'un vice congénital à sa définition même ? Cette compréhension ne risque- t-elle pas de déboucher sur une aporie dont la source se retrouve dans la définition même de l'usufruit ? En réalité, quelle que soit la substance d'une chose, elle s'épuise par son usage. Si la substance du bien ne s'épuise pas de façon brutale, elle subit un épuisement avec le temps de toute façon. Il suffit de prendre l'exemple de la culture intensive des sols. Ce seul fait les épuise. Les arbres fruitiers vieillissent, les appartements se dégradent normalement. On peut accepter que de telles altérations de la substance matérielle soient considérées comme insignifiantes et par conséquent négligées. Pour autant, le Code civil nous offre par ailleurs les cas d'altérations considérables : les arrérages des rentes viagères. Ils épuisent totalement le capital, objet de rente. Egalement, les pierres et mines extraites d'une carrière sont autant de prélèvements faits aux dépens de la matière du bien grevé. Malgré cela, elles méritent parfois la qualification de fruits. C'est dire qu'il est de nombreux biens qui méritent la qualification de fruits malgré l'altération qu'ils provoquent sur la consistance concrète du bien producteur. Se référant au sens matériel, J-F. Pillebout189(*) va même jusqu'à dire que « tirer les revenus d'un bien, c'est, presque toujours, peu ou prou, en modifier la substance ».

Toutes ces analyses amènent à dénier à la substance le critère matériel. Et pour E. Dockès, le critère finaliste paraît le mieux adapté à la définition donnée par l'article 578 C.civ. Il convient de l'analyser.

B- L'admission du critère finaliste de la substance

Le terme « substance » mérite d'être analysé dans son histoire. La substance, c'est ce qui individualise une chose, qui la définit. C'est l'essence de la chose. Dans la philosophie d'Aristote, « substantia » est ce qui fait qu'une chose est ce qu'elle est. La chose est toujours soumise au changement, mais elle demeure ce qu'elle est. Conséquemment, même si la matière qui la compose subit des altérations ou des dégradations, cette dernière est sauvegardée à partir du moment où sa finalité est respectée. Baudry-Lacantinerie190(*) avait parfaitement perçu, en matière d'usufruit, le sens originel du mot « substance » lorsqu'il soutenait que « le législateur entend ici par substance l'ensemble des qualités constitutives de la chose c'est-à-dire des qualités qui la distinguent des autres, et en l'absence desquelles elle ne mériterait plus de porter le nom substantif qui la désigne. »

Au demeurant, tout usage altère d'une manière ou d'une autre la substance de la chose. Il paraît évident que le Code civil ne puisse commettre l'erreur de la consécration du critère matérialiste. Sinon, on s'aperçoit qu'à chaque fois que la consistance concrète du bien est altérée, conformément à sa destination, à son affectation, la qualification de fruit est retenue pourvu que les autres éléments de définition existent. Le cas de l'usufruit des arbres de haute futaie en est une illustration parfaite. Ces arbres sont qualifiés de fruits par l'article 588 C.civ. alors qu'ils ne peuvent être coupés sans que la consistance concrète du bien grevé soit affectée parce que l'usufruitier respecte justement la destination de la forêt grevée. L'usufruitier est donc contraint à gérer la chose conformément à sa finalité naturelle ou conventionnelle. Il ne peut changer la destination c'est-à-dire la manière d'être, mais doit se référer dans la gestion aux habitudes du propriétaire, qui sont censées révéler la finalité de la chose. La Cour de cassation191(*) française admet traditionnellement que le changement de destination constitue une atteinte justifiant une action fondée sur l'abus de jouissance.

La destination comme critère de la substance trouve également son fondement dans le Code civil. En effet, l'article 589 du Code civil192(*) admet même expressément que l'usage peut détériorer progressivement le bien grevé et que seul importe, le respect de sa destination. En réalité, ce critère mérite davantage d'être généralisé car tout usage a toujours un impact sur le bien.

La jurisprudence fait également très souvent application de ce critère finaliste. C'est dans cette perspective, s'agissant des valeurs mobilières, que la Cour de cassation française193(*) a estimé qu'elles « ne sont pas consomptibles par le premier usage ». En matière de titre, la consomptibilité est civile et s'entend de l'aliénation. Il ressort donc que les considérer ainsi, reviendrait à dire qu'elles n'ont d'autres finalités que d'être vendues. Ce serait aller vite en besogne que de réduire à la négociation, les valeurs mobilières. Bien avant, elle affirmait qu'un usufruitier ne peut permettre au locataire de transformer des locaux d'habitation en locaux commerciaux, car un tel changement de « destination » serait « une altération de la substance » du bien grevé194(*).

La substance entendue comme destination, telle est la position défendue par E. Dockès. De la sorte, l'article 578 C.civ. doit être compris comme le droit de jouir de l'ensemble des utilités du bien, à charge pour l'usufruitier d'en conserver la destination. L'usufruit retrouve ainsi son unité perdue et l'usufruitier apparaît comme le bénéficiaire des utilités du bien, le nu-propriétaire restant le gardien dudit bien.

L'on s'aperçoit finalement qu'autour d'une définition de la substance comme pure destination, comme simple affectation du bien, se dessine une notion d'usufruit unitaire réintégrant en son sein l'usufruit des créances, des droits sociaux, des brevets, et même jusqu'au quasi-usufruit des biens consomptibles. Ainsi défini, l'usufruit pourra avoir pour assiette n'importe quel bien. Mais le problème est loin d'être résolu. Cette définition ne fait pas perdre à l'usufruit tous ses mystères. Sinon, quelle est en définitive sa nature juridique ? Conserve-t-elle la même nature quel que soit le bien sur lequel il porte, corporel ou incorporel, réel ou personnel ? C'est là toute la complexité de la question qui réapparaît. Cette construction s'écroule si la summa divisio droit réel-droit personnel est maintenue. Aussi, la transposition du critère finaliste de la « substance » aux droits incorporels comme les droits sociaux n'est pas évidente195(*). Faudra-t-il trouver le salut dans la rénovation de la théorie de la propriété ?

Paragraphe ll - La rénovation de la théorie du droit de propriété

La doctrine classique de la propriété est défendue par les romanistes médiévaux, dont Bartole196(*) est le porte flambeau. Les fondements historiques de ce postulat sont douteux. C'est pourquoi le professeur F. Zénati197(*) a fondé sa thèse sur une rénovation du droit de propriété. Nous démontrerons d'abord en quoi la conception bartolienne de la propriété est fondée sur une base problématique, ce qui au final doit être rejetée (A). Nous conclurons que l'idée d'un droit de propriété rénové est une piste sérieuse vers la résolution du problème de l'inadaptation de l'incorporel au droit usufructuaire (B).

A- Le rejet de la conception bartolienne de la propriété

La nature corporelle de son objet est le trait qui caractérise le droit de propriété. Il n'est de véritable propriété que celle qui porte sur les objets corporels. Il en va de même des droits sur la chose d'autrui puisqu'ils découlent de la propriété. Bartole justifie sa position par la considération qu'étant un droit, la propriété ne peut porter sur un autre droit. Il confond pour ainsi dire le droit et la chose incorporelle. Cette conception de la propriété doit être rapprochée de la théorie de l'usufruit causal, d'après laquelle l'usufruit gît à l'état latent dans la propriété. Ainsi, l'usufruit qui n'est qu'une partie divisée du droit de propriété ne peut avoir un domaine plus « large que celui du tout sous lequel il est subsumé »198(*). Telle est la conception bartolienne du droit de propriété. F. Zénati rejette cette conception comme non fondée sur aucune règle de droit positif.

Historiquement d'abord, le « dominium » portait aussi bien sur les « res corporales » que sur les « res incorporales ». La conception bartolienne pêche pour avoir confondu dominium et jus de sorte que la propriété se réduit à une chose. Le « dominium » est le pouvoir sur une chose et appartenait au tenancier du fonds alors que le jus est le droit dans la chose et dont le propriétaire, le seigneur était le titulaire. Or, ni le droit romain ni le Code civil ne confondent le droit de propriété avec les choses corporelles. Les droits incorporels deviennent des biens lorsqu'ils présentent cette qualité qui les rend susceptibles d'appropriation. Le cas des droits de créance est révélateur. La propriété est décrite dans le Code civil comme un droit portant sur une chose ou un droit. Nulle part, le Code civil ne réduit les choses aux seuls corps et n'exclut que la propriété puisse avoir une nature incorporelle. Au demeurant, la distinction choses corporelles-choses incorporelles est sans équivoque.

Il faut relever l'argument tiré de la reconnaissance du droit de propriété comme droit de l'homme au même titre que la liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression. Le principe avait été posé depuis l'arrêt du Conseil constitutionnel français en date du 16 janvier 1982 relatif aux nationalisations199(*). La propriété est donc un droit constitutionnellement protégé. La Cour de cassation française200(*) le réaffirme toutes les fois que l'occasion lui est donnée. Si telle est la situation, comment peut-on réduire ce droit au « statut banal de bien » ? Les biens sont par nature dans le commerce juridique. Ils sont saisissables, cessibles et transmissibles. La propriété étant un droit de l'homme donc hors commerce, il est illogique de la réduire aux choses corporelles, qui, elles, sont dans le commerce juridique. Toutefois, le droit de propriété est d'une nature particulière simplement parce qu'il revêt une utilité économique fondamentale. Seulement, le droit de propriété ne peut être confondu au droit réel201(*), mais à un droit subjectif.

Ensuite, F. Zénati trouve que la prétendue incompatibilité du régime des choses corporelles et des biens immatériels procède de l'a priori suivant lequel la propriété repose sur la possession. Or, la propriété se dissocie de la possession. S'il est vrai que l'appréhension matérielle d'un objet en facilite l'appropriation, seule la mentalité archaïque impose d'écarter l'idée que l'appropriation puisse être assurée d'une autre manière.

La conception bartolienne de la propriété, qui, a reçu un écho chez les glossateurs du Code civil, est donc fondée sur des bases douteuses. Cette conception a malheureusement été à l'origine du rétrécissement du domaine de la propriété aux seuls biens matériels. Il résulte que cette théorie doit être rénovée. Rénovée, la propriété pourra porter aussi bien sur les choses corporelles que sur les choses incorporelles.

B- L'admission d'un droit de propriété rénové

La rénovation de la propriété est fondée sur l'idée d'idéalisation du droit de propriété. Le droit de propriété a été confondu à la chose sur des fondements faux. L'objet de la propriété n'était nullement pas un pouvoir du titulaire sur la chose, mais « un rapport juridique objectif »202(*), au reste incorporé dans la terre afin d'être opposable à tous ses acquéreurs successifs. Le Code civil s'est démarqué de cette propriété anachronique qui confond le droit et son objet. Les dispositions ponctuelles du Code civil et même du Code de commerce démentent l'idée selon laquelle le droit de propriété se réduit à une chose corporelle. Cette conception constitue un « dogme purement doctrinal qui résulte de la dénaturation de la loi »203(*). Aussi bien les droits que les choses corporelles ont vocation à être objet de droit réel. L'article 588 C.civ. évoque l'hypothèse de l'usufruit d'une rente viagère ; l'article 2075 C.civ. traite du nantissement de droits de créances et autres meubles incorporels ; l'article 2118 C.civ. admet la possibilité d'hypothéquer un usufruit. L'ensemble de la loi civile est consacré à l'exercice de la propriété. Portalis soutient que la propriété est « l'âme universelle de la législation »204(*) ce qui revient à dire qu'aucun bien ne lui échappe. Les dispositions du Code civil, soutient Locré205(*)« sont toutes consacrées à établir les règles de la propriété : ou bien elles décident à qui les choses appartiennent, comment on les acquiert, comment on en jouit, comment on peut en disposer, ou bien elles règlent les droits que les engagements donnent relativement aux choses, en expliquant comment ces engagements se forment et s'éteignent ». La propriété ne se réduit pas aux prérogatives que l'on a sur les choses, elle est à la base du statut personnel et de l'activité juridique. La propriété est en définitive la clé des rapports de droit privé. Ainsi vue, la propriété a une assiette plus étendue et son domaine s'étend aux droits incorporels. Si cette doctrine reste à ce jour minoritaire, elle n'en est pas moins pertinente. Elle a le mérite d'élargir le domaine du droit de propriété de sorte qu'outre les choses corporelles, les droits incorporels sont objets appropriables.

La thèse de la rénovation du droit de propriété est séduisante. Cependant, elle reste muette sur la question de la distinction droits réels-droits personnels. Et, c'est justement l'évocation de cette distinction qui met à néant l'idée de l'élargissement du champ du droit de propriété et partant de l'usufruit. La nature juridique de l'usufruit n'est pas évoquée. Cette inquiétude est bien partagée par F. Zénati lorsqu'il reconnaît que l'usufruit des créances est « une figure hétérodoxe à la lumière de la théorie classique des biens »206(*). Peut-être l'explication va se trouver dans le fait que cette théorie est consacrée à la propriété non aux droits réels. Il en résulte un constat de non achèvement. La relecture du Code civil se révèle être elle aussi impuissante à régler le problème de la nature juridique de l'usufruit lorsqu'il porte sur les droits incorporels. La solution à cette difficile question ne résiderait-elle pas dans la remise en cause pure et simple de la distinction traditionnelle droits réels-droits personnels ?

Section ll : LA CONSIDERATION NOUVELLE DE L'USUFRUIT

La solution aux problèmes de l'usufruit des droits incorporels peut être envisagée en suivant deux directions : d'abord, la solution radicale, qui consiste à unifier les droits réels et les droits personnels. Unifiés, ces droits formeront la catégorie du droit patrimonial, cette dernière constituant l'assiette de l'usufruit. La solution révolutionnaire (Paragraphe l) est soutenue par certains auteurs. Cependant, elle reste perfectible. Finalement, la solution médiane (Paragraphe ll) consisterait à créer la catégorie de l'usufruit des droits incorporels tout en maintenant la division principale des droits patrimoniaux. 

Paragraphe l - La solution révolutionnaire

Cette solution consiste en la fusion des droits réels et des droits personnels (A) en droit patrimonial. Ce dernier serait l'objet de l'usufruit (B).

A- La fusion droits réels-droits personnels

Les thèses personnaliste et objectiviste n'ont pas suffi à résoudre les difficultés relatives à la summa divisio des droits patrimoniaux. L'unification dans un sens comme dans un autre a échoué. Toutefois, ces controverses ont eu pour mérite d'avoir montré que la summa divisio des droits patrimoniaux n'était pas opportune surtout avec le développement actuel de la fortune incorporelle. Comme nous l'avons relevé, les frontières entre les droits réels et les droits personnels deviennent de plus en plus poreuses et perdent progressivement de leur rigidité proclamée par la doctrine classique. Ces droits se rapprochent à plusieurs égards surtout avec la transformation des moyens de production et de financement207(*). Les moyens de production n'appartiennent plus à un individu, mais à un groupement doté de la personnalité morale, la société. Il va sans dire que les droits des associés sont difficilement conciliables avec les droits du propriétaire sur son bien. Les associés ne sont ni des propriétaires au sens du droit de propriété ni des créanciers dans la mesure où ils ont droit à une part de bénéfices, et, à la liquidation, les biens seront partagés entre eux. Aussi, la structure du droit de créance s'est-elle profondément transformée avec la cession de créance. Le lien strict entre le débiteur et le créancier a fait place à des formes variées de transmission rapide et sûre des créances. C'est l'exemple des titres négociables, des titres à ordre, au porteur, nominatifs. Il faut également comme nous l'avons souligné dire que certains droits empruntent aussi bien les traits des droits réels que ceux des droits personnels, ce qui conduit inexorablement à dire que le rapprochement est plus qu'une réalité, elle s'est imposée.

De l'analyse des développements précédents, il transparaît que nous nous éloignons du schéma traditionnel des droits patrimoniaux. Le rapprochement des deux catégories de droits s'illustre par l'existence des cas où il est difficile de tracer les limites entre elles. L'on pourrait entrevoir dans la fusion des droits réels et personnels en droit patrimonial, une solution au problème de l'usufruit des droits incorporels.

B- Le droit patrimonial, objet de l'usufruit

D'emblée, la thèse personnaliste est une solution au problème de l'usufruit des droits incorporels. D'après cette doctrine, l'usufruit et le droit de propriété constituent des droits personnels. A cette condition, la nature juridique d'un tel usufruit ne pose plus de problème logique. Cependant, cette vue comporte des failles et ne saurait être envisagée comme une solution. Admettre cette thèse serait vider le droit réel essentiel de sa substance208(*).

Bien que la classification209(*) soit le propre du juriste, il existe des situations où la catégorisation à outrance soulève beaucoup plus de problèmes. C'est justement le cas de la distinction droit réel-droit personnel. Cette distinction n'est plus de nos jours aussi rigide. La solution de l'usufruit des droits incorporels se trouve dès lors dans la remise en cause de la distinction droits réels-droits personnels. Cette solution d'après P. Jourdain, est simple. Elle consiste donc à étendre et généraliser la notion d'usufruit en considérant qu'il s'agit d'un démembrement, d'une modalité possible de toute sorte de droit. Corollairement, l'usufruit doit alors nécessairement être redéfini comme un démembrement, non de la propriété, mais plus généralement du droit patrimonial210(*). La propriété dans ce sens et les autres démembrements, doivent être définis en application du droit patrimonial comme les droits subjectifs. L'usufruit des choses corporelles ne sera plus qu'une espèce d'un genre général et l'usufruit des droits incorporels une autre espèce211(*).

Appliquée aux droits incorporels, cette solution va au-delà de la fusion droits réels-droits personnels puisque, aujourd'hui, la doctrine milite en faveur de la division des droits patrimoniaux en trois catégories : les droits réels, les droits personnels et les droits intellectuels212(*). Il s'agit donc de fusionner tous ces droits, car en définitive, le caractère de patrimonialité est le trait qu'ils partagent en commun.

Aussi, puisque les droits immatériels sont des éléments du patrimoine, ils peuvent de ce fait être objet d'usufruit. Si telle n'était pas la réalité dans la conception du Code civil, c'est justement parce que ces droits ne rentraient pas dans le domaine des droits réels, donc du droit des biens. Du moment où les droits incorporels sont des biens, il n'y a plus d'obstacle à ce qu'ils puissent être objet d'usufruit. Cette solution révolutionnaire résout le problème, mais il s'agit là d'une solution de circonstance. Quoi qu'il en soit, et, comme l'affirme F. Hage-Chanine213(*), il y a « une importante différence de structure » entre droits réels et droits personnels. Peut être qu'il faudra envisager la résolution du problème de l'usufruit des droits incorporels autrement et simplement, c'est-à-dire, en le consacrant.

Paragraphe ll - La solution médiane

Cette dernière solution maintient la distinction droits réels-droits personnels. En effet, bien que le droit réel doive être respecté par tout le monde, il ne s'exerce contre personne alors que le droit personnel s'exerce contre une personne. A partir de là, la consécration législative de l'usufruit des droits incorporels est une nécessité (A). Le juge a de même un rôle de premier ordre à jouer : garantir le fonctionnement de l'institution (B).

A - La consécration de l'usufruit des droits incorporels

Le droit usufructuaire est à la croisée des chemins entre droits personnels et droits réels. La complexité du phénomène des droits incorporels ajoutée à la carence législative en ce qui les concerne, nous conduit à les envisager sous un jour nouveau. La consécration de l'usufruit des droits incorporels se révèle aujourd'hui plus qu'une nécessité. Doivent être classés dans cette grande catégorie, tous les droits incorporels sans considération de leur appartenance dans l'une des catégories des droits patrimoniaux. Le problème serait ici de réussir à faire une « juxtaposition harmonieuse du droit positif des biens »214(*) et des autres disciplines qui font appel à l'usufruit des droits incorporels, notamment le droit des sociétés commerciales et le droit de la propriété intellectuelle. Toutefois, la consécration de l'usufruit des droits incorporels doit se faire de sorte à ne pas tomber dans le piège des inflations législatives car, comme on le dit souvent, trop de lois peuvent tuer la loi. Le législateur pourrait consacrer dans un article, un usufruit des droits incorporels ouvert, abstraction faite de la détermination de leur régime juridique. La détermination du régime juridique de l'usufruit des droits incorporels serait alors dévolue au juge. Seulement, ce dernier devra toujours rendre sa décision en considération de la définition de l'article 578 C.civ., ceci sans préjudice de la protection de l'ordre public des affaires. Les conflits relatifs à l'usufruit des droits incorporels seraient pour ce dernier une question de casuistique.

En somme, la consécration de l'usufruit des droits incorporels ne résout pas en soi tous les problèmes. Les conflits peuvent naître de l'essence même de cet usufruit comme des relations entre nu-propriétaire et usufruitier. Compte tenu de la diversité des droits incorporels et de la difficile prévisibilité quant aux situations auxquelles ils peuvent donner lieu, l'honneur reviendra au juge de garantir leur bon fonctionnement.  

B - Le juge, garant du fonctionnement de l'usufruit des droits incorporels

L'usufruit des droits incorporels suscite souvent les problèmes au niveau de son application. C'est à l'occasion des conflits entre nu-propriétaire et usufruitier que l'usufruit des droits incorporels pose de difficiles problèmes. Le juge doit s'imposer une logique afin d'équilibrer les impératifs de gestion saine des affaires et les règles qui les gouvernent. L'approche du professeur E. Dockès215(*) sur la question est édifiante. La destination de la chose grevée d'usufruit doit servir de boussole au juge. Les intérêts du nu-propriétaire et ceux de l'usufruitier doivent équitablement être protégés. Le problème peut se poser d'une autre manière en ce qui concerne la destination de la chose, objet d'usufruit. Il peut arriver qu'un changement de destination soit nécessaire ne serait-ce que pour la préservation de la valeur du bien. Dans ce cas, le refus du nu-propriétaire pourrait être justifié par son intention de nuire. Par exemple, il peut arriver que la fusion-absorption d'une société en difficulté soit l'unique issue de la sauver. L'usufruitier pourra prendre ses responsabilités s'il butte sur le refus du nu-propriétaire de voter la fusion-absorption, et le juge peut intervenir dans ce sens. C'est cette attitude que le professeur E. Dockès qualifie « d'abus du droit de vote »216(*). Le changement de destination ou d'affectation pourrait aussi être justifié par l'article 599 C.civ. aux termes duquel le nu-propriétaire « ne peut, par son fait, ni quelque manière que ce soit, nuire aux droits de l'usufruitier ». Mais, ce fondement est insatisfaisant parce que dans la pratique, il n'est pas toujours aisé de démontrer l'intention de nuire. La preuve de l'intention de nuire pourrait se transformer en une « probatio diabolica »217(*). En effet, démontrer l'intention de nuire du nu-propriétaire peut quelque fois consister à démontrer qu'il se nuit lui-même. C'est pourquoi, en matière d'usufruit des droits incorporels, le juge pourrait être amené à rendre des décisions selon l'équité, le législateur ne pouvant pas prévoir toutes les situations auxquelles ces types d'usufruits seront confrontés. La jurisprudence a pu clairement rejeter l'idée d'un droit de veto discrétionnaire du nu-propriétaire. Et comme l'affirme E. Dockès218(*)« lorsque les circonstances font du changement de destination une modalité de gestion nécessaire à la conservation du bien ou de son utilité, et que celle-ci n'accroît pas les risques de voir la propriété à terme du nu-propriétaire diminuée, le changement de destination peut être autorisé par le juge, ou même être validé a posteriori, même lorsqu'il a été fait sans que le nu-propriétaire l'ait accepté ». Le juge doit donc être perspicace et pragmatique puisqu'il est l'interprétateur par excellence de la loi. Il peut transposer en droit usufructuaire des droits incorporels des solutions déjà retenues en matière de l'usufruit des choses corporelles. Il a pu par exemple autoriser l'usufruitier à transformer une auberge qui n'était plus rentable en teinturerie219(*). De même, un usufruitier a pu valablement, sans accord ni du juge, ni du nu-propriétaire, arracher une vigne atteinte de vétusté et lui substituer une terre labourable pour une meilleure exploitation220(*). Enfin, un usufruitier a pu louer des corps de ferme à une entreprise faisant le commerce du bois : l'immeuble rural à l'ouverture de l'usufruit, était devenu urbain du fait du développement de la ville voisine221(*).

CONCLUSION

La propriété, telle que l'entendaient les rédacteurs du Code civil, portait sur les choses corporelles. Cette vision semble aujourd'hui pour le moins dépassée. Plusieurs manifestations témoignent de l'extension de l'assiette du droit de propriété. L'intellectualisation de la notion de bien222(*) , discernable en ce qui concerne les choses corporelles classiques, se manifeste plus encore en ce qui concerne les biens nouveaux. Ainsi, en est-il du domaine des droits incorporels où s'est en effet progressivement imposée la notion de propriété littéraire et artistique pour les droits d'auteurs et des artistes et celle de la propriété industrielle pour les droits sur les brevets, les marques, les dessins, même si pour certains, il s'agit davantage d'un monopole d'exploitation que d'un véritable droit de propriété. S'il est hasardeux de parler par exemple de droit de propriété sur la clientèle, il n'en demeure pas moins vrai que la valeur que représente cette clientèle semble pouvoir être l'objet d'un droit de propriété223(*). On peut d'ailleurs s'accorder avec le professeur P. Jourdain224(*) que « la notion de chose matérielle tend à passer au second plan et même à s'effacer derrière celle de bien pris comme synonyme de valeur » et de conclure que « la réalité économique prend le pas sur la structure juridique traditionnelle ».

Des difficultés se posent au terme de cette étude sur l'usufruit portant sur les droits incorporels. Et comme le remarque le professeur F. Zénati225(*) : « Il est des questions irritantes que l'on peut considérer comme des apories du droit. L'inconfort qu'elles occasionnent suscite souvent la résignation et l'accommodement, plus rarement la remise en cause et la curiosité». L'usufruit des droits incorporels est une question de cette veine.

La première difficulté tient au fait que les droits incorporels sont très divers. En conséquence, ils ne peuvent être classés dans une catégorie unique. Par exemple, les droits de propriété intellectuelle ne peuvent être classés dans la même catégorie que les droits de créances tels les droits portant sur une rente viagère. Et pourtant, tous sont des droits incorporels.

La seconde difficulté réside dans l'exercice de l'usufruit des droits incorporels. Jusqu'aujourd'hui, l'usufruit est un droit réel, démembrement de la propriété. De la sorte, il ne peut porter que sur les choses corporelles, matérielles. Or, les droits incorporels par essence, ne tombent pas sous le sens physique. Le Code civil d'ailleurs, réserve la presque totalité de ses dispositions, à l'étude de l'usufruit des biens stables, et spécifiquement aux immeubles. Il n'est donc pas évident de continuer à soutenir que l'usufruit est un droit réel lorsqu'il a pour objet un droit incorporel.

La troisième difficulté, la plus doctrinale, est relative aux droits incorporels personnels. La tradition juridique enseigne la summa divisio entre droits réels et droits personnels de sorte qu'un droit ne peut porter sur un autre. La nature juridique de l'usufruit des droits personnels est en conséquence problématique.

Face à ces difficultés, des auteurs ont essayé de résoudre ces énigmes. Mais les solutions apportées ne sont pas toujours exhaustives. Aucune des solutions ne donne un remède efficace au problème de l'usufruit des droits incorporels. Les solutions apportées se sont effritées lorsque la summa divisio surgissait. Certains auteurs ont proposé alors de bousculer la tradition déjà encrée de la distinction droits réels-droits personnels. Autrement dit, ils proposent de la remettre en cause. Les226(*) auteurs, la véritable solution vient seulement de la remise en cause de la division des droits patrimoniaux. Pourtant, il reste que la division principale des droits patrimoniaux entraîne des conséquences que ces auteurs ne peuvent dénier. En clair, cette division doit être maintenue. Ceux des auteurs qui soutiennent une relecture du Code civil sont muets sur le sort de la summa divisio des droits patrimoniaux. La proposition de réforme du Livre ll du Code civil relatif aux biens prête à son tour le flanc aux critiques.

En définitive, l'usufruit des droits incorporels peut trouver une solution qui, sans bousculer la tradition classique, tiendra compte de la nouvelle réalité de l'expansion des droits incorporels : il s'agit de consacrer la catégorie de l'usufruit des droits incorporels en confiant au juge la garde du droit usufructuaire.

BIBLIOGRAPHIE

l : OUVRAGES

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5. DONDERO (B.), « Répartition des pouvoirs en cas de démembrement de droits sociaux... et reconnaissance de la qualité d'associé à l'usufruitier », Rev. sociétés 2009, pp. 780-783.

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7. FAUQUET (D.), « L'héritier réservataire dépouillé au profit du conjoint par une libéralité portant sur une rente viagère », JCP N 1990, l, pp. 413-415.

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10. GOUBEAU (G.), « Personnalité morale, droit des personnes et droit des biens », études offertes à René ROUBLOT, pp. 199-215.

11. HAGE-CHAHINE (F.), « Essai d'une nouvelle classification des droits patrimoniaux », RTD civ. 1982, pp. 705-743.

12. LE CANNU (P.), « La nudité du nu-propriétaire », Rev. Sociétés 2009, pp. 83-90.

13. LIBCHABER (R.), « L'usufruit des créances existe-t-il ?», RTD civ. 1997, pp. 615-629.

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19. PACLOT (Y.), « Nullité des délibérations de l'assemblée générale extraordinaire d'une société civile ayant décidé une fusion en application d'une clause statutaire attribuant l'intégralité des droits de vote à l'usufruitier », JCP E, Janvier-Juin 2009, pp. 35-37.

20. RABREAU (A.), « L'exercice abusif du droit de vote par l'usufruitier de droits sociaux », JCP E Janvier-Juin 2009, pp. 38-40.

21. ZENATI-CASTAING (F.), « La propriété, mécanisme fondamental du droit », RTD civ. 2006, pp 445-466.

22. ZENATI-CASTAING (F.), « Pour une rénovation de la théorie de la propriété », RTD civ. Avril-Juin1993, pp. 305-323.

lll : MEMOIRE

1. ALABA (M.), Le statut juridique de l'associé, Mémoire DEA, 2004-2005, 75 pages.

IV : TEXTES LEGISLATIFS

- Code civil français de 2011.

- Code de commerce français de 2005.

- Code français de la propriété intellectuelle de 2007.

- Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique (AUSC-GIE).

- Avant- projet de réforme du Livre ll relatif aux biens. La commission est présidée par le prof. Hugues PERINET-MARQUET.

- Règlement de N° 15/2002/CM/UEMOA relatif aux systèmes de paiement dans les Etats membres de l'UEMOA.

V : ENCYCLOPEDIES ET PERIODIQUES

- Encyclopédie Dalloz

- Recueil Dalloz Sirey

- Revue trimestrielle de droit civil

- Revue trimestrielle de droit commercial

- La semaine juridique (Juris-classeur périodique)

VI : SITES ET AUTRES DOCUMEMENTS

A : SITES WEB

- www.encyclo.erid.net

- www.ohada.com

- www.eyrolles.com

- www.books.google.fr

- www.lexisnexis.com

- www.memoireonline.com

B : AUTRES DOCUMENTS

CORNU(Gérard), Vocabulaire juridique, Paris, PUF 1987, 1ère éd., 839 pages.

GUILIEN(R), VINCENT(J), GUINCHARD(S), MONTAGNIER(G), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz 2003, 14ème éd., 619 pages.

Le nouveau petit Robert de Paul Robert, 1993.

TABLE DES MATIERES

Titres Pages

INTRODUCTION 1

PREMIERE PARTIE : LA PRETENDUE IGNORANCE DE L'USUFRUIT DES DROITS INCORPORELS PAR LE LEGISLATEUR DE 1804 7

Chapitre l : L'USUFRUIT DU CODE CIVIL 8

Section l : UN DEMEMBREMENT DU DROIT DE PROPRIETE 9

Paragraphe l- Les attributs de l'usufruit 10

A- Le droit d'usage. 10

B- Le droit de jouissance 11

Paragraphe ll - Un droit réel 13

A- Un pouvoir direct sur la chose 13

B- La chose corporelle, objet de l'usufruit 15

Paragraphe l - L'exclusion de l'incorporel du domaine de l'usufruit 17

A- L'incorporel ignoré comme « bien de propriété » 17

B- Les biens corporels, source exclusive de richesse 19

Paragraphe ll - Le domaine du droit des biens 20

A- La division principale en droit civil des biens 20

B - Les conséquences de l'adage « res mobilis res vilis » sur les droits incorporels 22

Chapitre ll : L'INADAPTATION DE L'INCORPOREL AU MECANISME CLASSIQUE DE L'USUFRUIT 23

Section l : L'IMMATERIALITE DES DROITS INCORPORLS 24

Paragraphe l - La difficile classification des droits incorporels 25

A- Les droits incorporels personnels 25

B- Les droits incorporels sui generis 26

Paragraphe ll - Le problème posé par l'article 581 du Code civil 28

A- Le droit incorporel, objet potentiel de l'usufruit 28

B- L'inconcevable nature réelle 29

Section ll : LE PARTICULARISME DU DROIT DE JOUISSANCE 30

Paragraphe l - La problématique jouissance des droits incorporels 31

A- La transformation de l'usufruitier en véritable propriétaire 31

B- L'altération du mécanisme classique de l'usufruit 36

Paragraphe ll - La difficile appréhension unifiée 38

A- Le droit de jouissance diversifiée 38

B - La perte de l'identité de l'usufruit 39

DEUXIEME PARTIE : LE RENOUVEAU DE L'USUFRUIT 41

Chapitre l : LE DROIT POSITIF A L'EPREUVE DES DROITS INCORPORELS 42

Section l : L'EXTENSION DU DOMAINE DES BIENS 43

Paragraphe l - L'incorporel pris en compte comme « bien de propriété » 43

A- La consécration doctrinale 43

B- La consécration jurisprudentielle 44

Paragraphe ll - La mise en doute de la summa divisio des droits patrimoniaux 47

A- La distinction de plus en plus critiquée 47

B- Les approches d'une unification 48

Section ll : LA SURVIVANCE DE LA DISTINCTION DROITS REELS-DROITS PERSONNELS 50

Paragraphe l - La résurgence du problème de la nature juridique de l'usufruit des droits incorporels 51

A- L'ancrage du critère physique de la summa divisio des biens 51

B- Le renouvellement du débat 52

Paragraphe ll - Les problèmes jurisprudentiels de l'usufruit des droits incorporels 53

A- Les décisions rendues ex aequo et bono 54

B - L'inconstance de la jurisprudence sur l'usufruit des droits incorporels 56

Chapitre ll - LA NECESSAIRE REDEFINITION DE L'USUFRUIT 57

Section l : LA NECESSITE DE RELIRE LE CODE CIVIL 58

Paragraphe l - La relecture de l'article 578 du Code civil. 59

A- L'éviction du critère matériel de la substance 59

B- L'admission du critère finaliste de la substance 60

Paragraphe ll - La rénovation de la théorie du droit de propriété 62

A- Le rejet de la conception bartolienne de la propriété 62

B- L'admission d'un droit de propriété rénové 64

Section ll : LA CONSIDERATION NOUVELLE DE L'USUFRUIT 65

Paragraphe l - La solution révolutionnaire 65

A- La fusion droits réels-droits personnels 65

B- Le droit patrimonial, objet de l'usufruit 66

Paragraphe ll - La solution médiane 68

A - La consécration de l'usufruit des droits incorporels 68

B - Le juge, garant du fonctionnement de l'usufruit des droits incorporels 68

CONCLUSION 70

BIBLIOGRAPHIE 72

* 1 Il s'agit de la loi n° 2001-1135 du 03 décembre 2001 qui est venu insérer dans le Code civil certaines dispositions concernant l'usufruit du conjoint survivant. En effet, l'article 757 C.civ. dispose « Si l'époux précédé laisse des enfants ou des descendants, le conjoint survivant recueille, à son choix, l'usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d'un ou plusieurs enfants qui ne sont issus des deux époux». On pense presque toujours à l'usufruit légal (usufruit qui se ramène aux actes gratuits et aux testaments) en oubliant que ce démembrement de la propriété peut être établi par « la volonté de l'homme » (art. 579 C.civ.). L'usufruit se constitue parfaitement entre vifs et à titre onéreux sur tout bien quelconque.

* 2 J- P. Chazal, « L'usufruit d'un fonds de commerce », Defrénois 2001, article 37297, n° 1.

* 3 J- P. Chazal, ibid.

* 4 Institutes, livre III, principium, cité par E. Dockès, « Essai sur la notion d'usufruit », RTD civ. 1995, p. 480. Cette définition a été attribuée à Paul (Juluis Paulus), célèbre jurisconsulte romain mort vers 235 après Jésus Christ. 

* 5 L'article 128 AUSC-GIE dispose : « A défaut de stipulation contraire des statuts, si une action ou une part sociale est grevée d'un usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l'affectation des bénéfices où il est réservé à l'usufruitier». Cette définition reprend celle du Code civil. On peut légitimement craindre que les problèmes nés de l'usufruit des droits sociaux se posent avec la même acuité dans notre paysage dans un futur proche du fait de la fréquence de constitution d'usufruit sur les droits sociaux. Peut-être qu'on aurait plutôt adopté la position de principe de l'article L. 225-110 du Code de commerce français, mais en l'élargissant à tous les types de sociétés. Cet article dispose : « Le droit de vote attaché à l'action appartient à l'usufruitier dans les assemblées générales ordinaires et au nu-propriétaire dans les assemblées générales extraordinaires.» La Cour commune de Justice et d'arbitrage n'a pas encore eu l'occasion de rendre une décision relative aux conflits de pouvoirs entre nu-propriétaire et usufruitier de droits sociaux. Nous attendons la réaction de la Cour lorsqu'elle sera confrontée à une telle situation.

* 6 G. Cornu, Vocabulaire juridique, 1ère éd. 1987, PUF, p. 808.

* 7 J. - P. Chazal, op. cit., n° 2.

* 8 B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Introduction au droit, Paris 1991, 3ème éd., éditée, p. 5, n°1.

* 9 Ici, le terme « usage » doit être compris non comme propre uniquement à l'usager, mais comme attribut de tout titulaire de droit réel.

* 10 Ph. Malaurie et L. Aynès, Droit civil-Les biens, Paris, EJA 2003, p. 240, P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, Paris 1999, 3ème éd., p. 446, n° 293.

* 11 Si tout bien est un droit, tout droit n'est pas un bien. Les droits extrapatrimoniaux en sont l'illustratif.

* 12 G. Cornu, op. cit., p. 409.

* 13 Dans le cadre de ce mémoire, les termes incorporel et immatériel seront utilisés comme des synonymes.

* 14 Encore appelé propriété éminente, le domaine éminent s'oppose au domaine utile et désigne l'ensemble des droits de celui qui exploite le fonds et qui en recueille les fruits. La distinction domaine éminent/domaine utile a disparu en France dans la période révolutionnaire, qui met fin à nombre d'institutions féodales d'abord par l'abolition des privilèges. Ensuite, par la redéfinition du droit de propriété, dans la déclaration des droits de l'homme et du Citoyen de 1789, définition à rapprocher de l'affirmation `'l'homme est libre car il s'appartient à lui-même'', la propriété étant à la base de la liberté, elle était nécessairement `'inviolable et sacrée''. Puis dans le Code civil qui fait de la propriété un droit absolu. La distinction féodale domaine utile/domaine éminent demeure en droit anglo-saxon, essentiellement en Angleterre pour définir les relations entre le propriétaire du sol, celui des bâtiments et des parties communes et celui de l'appartement particulier, et dans une moindre mesure, en droit américain pour, par exemple définir la possibilité pour l'Etat d'user de son autorité pour exproprier une propriété privée, éventuellement au bénéfice d'une autre personne privée. Ceci pose une question délicate : La réconciliation de la constitution républicaine avec une institution du droit féodal.

* 15 Ph. Malaurie et L. Aynès, op. cit., p. 247.

* 16 J.- F. Pillebout, « Réflexions sur le droit d'usufruit », JCP N 1977, p. 173, n° 2. La comparaison avec les législations étrangères est choquante, même si le nombre de dispositions n'est plus grand. Le Code civil allemand contient 54 articles sur l'usufruit, 42 dans le Code civil italien et seulement 27 dans le Code civil suisse.

* 17 Selon le vocabulaire juridique, l'expression latine signifie « selon ce qui est équitable et bon »,et est employée pour désigner le fait pour le juge de trancher le litige en équité, soit en l'absence de règle de droit applicable en l'espèce, soit en écartant la règle de droit normalement applicable parce que les conséquences de son application à l'espèce seraient trop iniques.

* 18 C'est le cas de l'usufruit des brevets. Aucun texte du Code de la propriété intellectuelle n'étant consacré à l'usufruit des brevets, P. Devant, R. Plasseraud, R. Gutmann et M. Lemoine dans leur ouvrage intitulé Brevets d'invention, fondent l'usufruit des brevets sur l'article 589 du C.civ. Cet article dispose « Si l'usufruit comprend des choses qui, sans se consommer de suite, se détériorent peu à peu par l'usage, comme du linge, des meubles meublants, l'usufruitier a le droit de s'en servir pour l'usage auquel elles sont destinées, et n'est obligé de les rendre, à la fin de l'usufruit, que dans l'état où elles se trouvent, non détériorées par son dol ou par sa faute ».

* 19 R. Libchaber, « L'usufruit des créances existe-t-il?», RTD civ. 1997, p. 615.

* 20 R. Libchaber, op. cit., p. 616, n° 3.

* 21 S. Ginossar, Droit réel, propriété et créance. Elaboration d'un système rationnel des droits patrimoniaux, Paris 1960, LGDJ. La propriété pour lui n'est plus considérée comme un droit réel, mais comme une relation, un mode d'appartenance de la créance à son titulaire. « La propriété n'est donc autre chose que la relation par laquelle une chose appartient à une personne, par laquelle elle est à lui, elle est sienne », dit-il.

* 22 En ce qui concerne le calcul des droits de succession sur l'usufruit d'une sous-location, Com., 25 avril 1974, D. 1974, p. 644-646, note M. Cozian.

* 23 Nous pensons notamment aux travaux de A. Françon « L'usufruit des créances », RTD civ. 1957, p. 1 et suiv., R. Libchaber, ibid.

* 24 Cass. com., 2 décembre 2008, RTD civ. 2009, p. 83.

* 25 Article 578 C.civ., ibid.

* 26 La jouissance, seule visée par l'article 578 C.civ. doit être comprise lato sensu comme englobant l'usus et le fructus. Cette interprétation est conforme à la tradition romaine pour laquelle le fructus suppose l'usus.

* 27 E. Dockès, ibid.

* 28 L'article 581 C.civ dispose depuis 1804 : « Il (l'usufruit) peut être établi sur toute espèce de biens meubles ou immeubles. »

* 29 Domat : « Les lois civiles dans leur ordre naturel », t.XI, I, Par.1.

* 30 Ph. Malaurie et L. Aynès, op. cit., pp.240-241.

* 31 E. Dockès, op.cit., p.493.

* 32 R. Beudant, P. Lerebours-Pigeonniere, P. Voirin, Cours de droit civil Français, Paris 1938, t.lV, 2ème éd., p. 494.

* 33 M.Planiol et G.Ripert, Traité pratique du droit civil français, Paris 1952, t.lll, 2ème éd. par Picard, n° 880.

* 34 Ph. Malaurie et L. Aynès, op.cit., p.261.

* 35 Ph. Malaurie et L. Aynès, ibid.

* 36 Article 630 C.civ.

* 37 H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, Paris 1955, t.1, p. 253, n°228.

* 38 Ph. Malaurie et L.Aynès, op. cit., p. 47.

* 39 Art. 598 C.civ.

* 40 Art. 591 C.civ.

* 41 Croisat, la notion de fruits en droit civil, en droit commercial et en droit fiscal, th. Lyon, 1925, cité par R. Saint-Alary, Fruits, Encyclopédie Dalloz, 1972, p. 1.

* 42 J. Carbonnier, Droit civil-Les biens, Paris 1991, t.3, 14ème éd., p.109-110.

* 43 Cass. Com., 5 Octobre 1999, D. 1999, juris., 69.

* 44 E. Dockès, op.cit., p. 482.

* 45 J. Carbonnier, ibid., p 69.

* 46 Terme latin signifiant chose et particulièrement chose corporelle, matérielle.

* 47 C. Demolombe, Cours de Code Napoléon, t.IX, Paris 1881, p. 357, n° 473 cité par R. Libchaber, op. cit., p. 627, n° 19.

* 48 Art. 621 C.civ.

* 49 Civ. 3ème, 28 mars 1990, D. 1991, S., p. 163.

* 50 Troplong, louage, ll, n° 473 et suiv.

* 51 J. Carbonnier, op.cit., p.307.

* 52 L. Aynès et Ph. Malaurie, op. cit., p 243.

* 53 Stricto sensu, le terme « chose » signifie objet sous le rapport du droit. Le bien est toute chose susceptible d'être objet de droit. Ici par chose, il faut entendre bien.

* 54 G. Cornu, Droit civil, Introduction-les personnes-les biens, Paris, Montchrestien 2001, 6ème éd., p. 30, n° 45.

* 55 Ph. Malaurie et L. Aynès, op. cit., pp. 239- 240.

* 56 G Marty, P. Raynaud et P. Raynaud, Droit civil-les biens, Paris, Sirey 1980, 2ème éd., p. 97, n° 64.

* 57 Didier R. Martin, « Du corporel» 2004, Chr. 2285.

* 58 B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Droit civil, les biens, Paris, Litec 1991, 3ème éd., p.459.

* 59 Josserand, « Configuration du droit de propriété dans l'ordre juridique nouveau », cité par H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, Paris, Montchrestien 1968, t.ll, Obligations et biens, 3ème éd., p.1067.

* 60 Josserand, ibid.

* 61 Demolombe cité par R. Rivière, « Bien incorporel », in Encyclopédie juridique des biens informatiques, 1er août 2004, www.encyclo.erid.net.

* 62 J. L. Bergel, Droit et patrimoine, Décembre 2008, p.10.

* 63 G. Cornu, op. cit., p.409.

* 64 D. Martin, ibid.

* 65 Josserand, ibid.

* 66 D. Fiorina, op. cit., p. 43.

* 67 J. Carbonnier, op.cit., p.91.

* 68 D. Fiorina, ibid.

* 69 Josserand, ibid.

* 70 Ph. Malaurie et L. Aynès, op. cit., p.25.

* 71 Ph. Malaurie et L. Aynès, ibid., p.26 ; les « res mancipi » étymologiquement, sont les choses dont le transfert de propriété s'effectuait par l'airain et la balance et dont la liste est limitative car constituant la richesse majeure : fonds de terre, esclaves, bêtes utiles à l'agriculture. Les « res nec mancipi » eux, sont de moindre valeur et constituent les autres biens.

* 72 Civ., 3 juillet 1844, D. Jur.gen. Voir Biens, n° 22, note 3, t.VI, p. 195.

* 73 Civ.3ème, 26 juin 1991, Bull.civ.lll, n° 197 ; RTD Civ., 92. 144, obs. F. Zenati.

* 74 Req. 14 février 1899, DP, 1899, l, 246.

* 75 C. Atias, droit civil, les biens, Paris ,4e éd., p.32.

* 76 I. Freij-Dalloz, D. 1993, p.94, note sous Civ. 3ème , 26 juin 1991.

* 77 Ph. Malaurie et L. Aynès, op. cit., p.27.

* 78 Voir à cet effet l'art.529 c.civ.

* 79 B. Starck, H. Roland, L. Boyer, op. cit., p. 247.

* 80 Ici, le terme «obligation » doit être compris dans son sens littéral comme un devoir et non dans son sens juridique où il est le rapport de droit entre deux personnes en vertu duquel l'une doit quelque chose à l'autre.

* 81 P. Le Cannu, « La nudité du nu-propriétaire », Rev. Sociétés 2009, p.83.

* 82 A. Françon, « L'usufruit des créances », RTD civ. 1957, n° 5. ll soutient que l'appréhension matérielle ne peut plus porter s'agissant d'une créance, sur la chose même objet de l'usufruit, mais tout au plus sur le titre qui la représente et qui permet d'obtenir certaines prestations du débiteur.

* 83 Cette conception est admise par la majorité de la doctrine notamment Ph. Malaurie et L. Aynès, op. cit., p. 247; G. Marty, P. Raynaud, op. cit., p. 106, n° 65-1; D. R. Martin, op. cit., n° 2; B. Starck, op. cit, p. 459, n° 1138.

* 84 F. Hage-Chahine, « Essai d'une nouvelle classification des droits privés », RTD Civ. 1982, p. 706.

* 85 D.R. Martin, op. cit., n°1.

* 86 Le terme « sui generis » signifie littéralement «de son propre genre ». D'après le lexique des termes juridiques, il est la qualification d'une situation juridique dont la nature singulière empêche de la classer dans une catégorie déjà existante. Nous utilisons ce terme pour rendre compte du fait que ces droits ne rentrent pas dans l'une des classifications connues.

* 87 G. Cornu, ibid.

* 88 Cass. com., 25 avril 1974. La Cour de cassation française estime que « le jugement (du tribunal de grande instance de Nice) n'a méconnu ni qu'un usufruit puisse porter sur un droit personnel, ni que le régime fiscal applicable à la transmission d'un usufruit ne diffère pas suivant que celui-ci est établi sur un droit réel ou sur un droit personnel ».

* 89 B. Starck, H. Roland, L. Boyer, op. cit., p. 467.

* 90 L'usufruit des créances a fait l'objet de vives controverses comme en témoigne le nombre d'écrit qui lui a été consacré. Citons entre autres A. Françon, « L'usufruit des créances », RTD Civ. 1957, pp 1 et s ; R. Libchaber, « L'usufruit des créances existe-t-il ?» RTD civ.1997, pp. 615-629 ; D. Fauquet, « L'héritier réservataire dépouillé au profit du conjoint par une libéralité portant sur une rente viagère », JCP éd. N, 1990, l, 414.

* 91 R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière, op. cit. , p. 462.

* 92 B. Starck, H. Roland, L. Boyer, op. cit., p. 471.

* 93 J. Carbonnier, Flexible droit ; Paris, LGDJ 1995, 8e éd., p. 281.

* 94 D.R. Martin, « Usufruit et propriété des droits sociaux», D. 2009, p. 2445.

* 95 D. R. Martin, « Du corporel », D. 2004, Chr. 2285.

* 96 Cass. com., 19 mai 1998, D. 1998, 552.

* 97 G. Goubeaux, « Personnalité morale, droit des personnes et droit des biens », in études dédiées à R. Roblot 1984, p. 214, n° 17 ; S. Schiller, Droit des biens, Paris 2005, 2e éd., Dalloz, p. 11 cité par M. Alaba, Le statut juridique de l'associé, Mémoire DEA, 2004-2005, p. 7.

* 98 Le doyen Roubier dans, Le droit de la propriété industrielle, Paris 1952, t.1, n°22, estime que l'utilisation du mot « propriété » est abusive. Pour Ripert, in Aspects juridiques du capitalisme, n°80, on a eu recours à la notion de propriété parce que le mot donnait confiance. Selon les Travaux de la commission de réforme du Code civil, nous ne sommes pas en présence d'une véritable propriété.

* 99 On pense notamment à MM. Vivant, Mousseron, J. Carbonnier, Cours de Droit de la propriété intellectuelle de Mlle A. Tsakadi, année 2007-2008.

* 100 J. Carbonnier, Droit civil-Les biens, monnaie, immeuble, meuble, Paris, PUF 1956, coll. Thémis, p.71.

* 101 Voir à cet effet l'article 588 C.civ.

* 102 B. Y. Meuke, « Observation sur le démembrement de droits sociaux dans l'espace OHADA », www.ohada.com.

* 103 M. Cozian et A. Viandier, Droit des sociétés, Paris, Litec 1997, 10e éd., p. 67, n° 172.

* 104 Ph. Malaurie et L. Aynès, op. cit., p. 247, n° 814.

* 105 M. Planiol, G. Ripert, Traité pratique du droit civil français, op. cit., n°758.

* 106 Colin et Capitant, Cours élémentaire de droit civil français, Paris, t. l, 8e éd., n° 771.

* 107 R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière, ibid.

* 108 B. Starck, H. Roland, L. Boyer, op. cit., pp. 459-460.

* 109 Colin et Capitant, ibid.

* 110 M. Alaba, Le statut juridique de l'associé, DEA-Droit privé fondamental, 2004-2005, p. 33.

* 111 D. Fauquet, op. cit., p. 414.

* 112 Pothier, Du contrat de constitution de rente, n° 242, cité par D. Fauquet, ibid.

* 113 Le C.civ. qui qualifie expressément les arrérages de rente de fruits civils (article 584), a abandonné sur ce point la solution admise dans l'Ancien droit, qui ne reconnaissait pas à l'usufruitier d'une rente le droit de percevoir et de consommer entièrement les arrérages, en raison de leur nature hybride de revenu et de capital. Il en résultait des difficultés de ventilation, auxquelles, la solution du Code a mis fin d'une manière non dénuée d'arbitraire. La qualification contestable de fruits est d'ailleurs écartée.

* 114 Planiol et Ripert et Picard, t.lll, p 290 et s.

* 115 Cass.com., 4 janvier 1994, Bull.civ.lV, n°10 ; Rev. sociétés 1994,278, note Lecène-Marénaud.

* 116 Très tôt, il a été admis que le nu-propriétaire de droits sociaux est associé. Ce principe est acquis depuis l'arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation française en date du 05 juin 1973 (Civ. 3ème , 05 juin 1973, Bull. civ. lll, n° 403).

* 117 Cass.com., 31 mars 2004, D. 2004, 1167, obs. A. Lienhard.

* 118 RTD civ. 2007, p. 154.

* 119 Cass.com., 9 février 1999, Bull.civ. lV, n° 44 ; JCP E, 1999, ll, 10168, note Blanc.

* 120 Civ 3e, RTD civ. 2007, p. 155.

* 121 M. Cozian, « Du nu-propriétaire ou de l'usufruitier, qui a la qualité d'associe ?» JCP éd. E 1994, p 340.

* 122 RTD civ. 2009, p. 83 et s.

* 123 L. Godon, « Un associé insolite : le nu-propriétaire de droits sociaux », Rev. sociétés 2010, p. 143 et s.

* 124 P. Le Cannu, note sous Civ. 3e , 29 novembre 2006, Defrénois 2007, p. 606.

* 125 B. Dondero, « Répartition des pouvoirs en cas de démembrement de droits sociaux... et reconnaissance de la qualité d'associé à l'usufruitier ?», Rev. sociétés 2009, p. 783, n° 19.

* 126 D. R. Martin, « Usufruit et propriété des droits sociaux », ibid.

* 127 J.-D. Bredin, RTD Civ. 1970, 593 cité par J.-F. Pillebout, « Réflexions sur le droit d'usufruit », JCP N, doctr., p. 175.

* 128 J- L. Bergel, op. cit., p. 10 et s.

* 129 D. Fauquet, ibid.

* 130 Y. Guyon, Droit des affaires, t.1, Droit commercial général et société, Paris 2003,12e éd., p. 305-306.

* 131 M. Boudot, « L'image du démembrement dans la doctrine française », www.books.google.fr

* 132 R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière, ibid.

* 133 R. Libchaber, op. cit., p. 627.

* 134 A. Françon, « l'usufruit des créances», RTD civ. 1957, p. 1 et s.

* 135 Cass. Req., 21 mai 1930, DP 1932, p. 111.

* 136 Civ. 1ère , 4 octobre 1989, JCP G 1990, ll, 21519, note Pillebout. En l'espèce, la chambre civile de la Cour de cassation française a jugé que le conjoint survivant, en sa qualité d'usufruitier de la totalité de la succession, avait seul le droit d'agir en recouvrement d'une créance de la communauté et pouvait se prévaloir des sanctions stipulées en cas de non-paiement de cette créance.

* 137 L'usufruitier a la charge de conserver la substance de la chose grevée d'usufruit.

* 138 L. Godon, op. cit., n° 34.

* 139 B. Mallet-Bricout, obs. sous Cass. com. 2 décembre 2008, D. 2009, pan. 2308.

* 140 C. Larroumet, Doit civil, Les biens-droits réels principaux, Paris, Economica1988, t.ll, 2e éd., p. 281, n°469.

* 141 Proposition de réforme du livre ll du Code civil relatif aux biens, capitant@club-internet.fr. La commission a été présidée par le Professeur Hugues Périnet-Marquet. Le groupe de travail de onze membres a présenté ses travaux le 12 novembre 2008.

* 142 Nous pensons notamment aux différents projets de réformes dans le domaine du droit civil tel le droit des obligations, le droit des sûretés et le droit de la propriété des personnes publiques entre autres.

* 143 En effet, l'article 520 de la proposition dispose : « Sont biens, au sens de l'article précédent, les choses corporelles ou incorporelles faisant l'objet d'une appropriation, ainsi que les droits réels et personnels tels que définis aux articles 522 et 523 ».

* 144 J. - L. Bergel, op. cit., p. 11.

* 145 J. - L. Bergel, op. cit., p. 10.

* 146 Demolombe cité par R. Rivière, ibid.

* 147 S. Ginossar, Droit réel, propriété et créance. Elaboration d'un système rationnel des droits patrimoniaux, Paris, LGDJ 1960, 212 pages.

* 148 J. Dabin, « Une nouvelle définition du droit réel », RTD civ. 1962, p. 20.

* 149 G. Cornu, Droit civil, Introduction-Les personnes-Les biens, Paris, Montchrestien 2001,10e éd., p 413, n° 1000.

* 150 Y. Emerich, « Faut-il condamner la propriété des biens incorporels ? Réflexions autour de la propriété des créances », www.lexisnexis.com.

* 151 De son côté, le législateur de l'UEMOA dans les articles 182 et 183 du règlement utilisent l'expression « le propriétaire de la lettre de change ».

* 152 Art. L 145-1 C.com. français.

* 153 Nous pensons notamment à la jurisprudence du C.C., 16 janvier 1982, D. 1983, 169, note L. Hamon. La nationalisation se définit comme le transfert à la collectivité nationale du contrôle et de la propriété des moyens de production appartenant à une entreprise privée ou de l'exercice de certaines activités. Bien qu'assorties d'une indemnisation préalable, les nationalisations portent atteinte directement au droit de propriété. L'article 27 de la Constitution togolaise du 14 Octobre 1992 ainsi que le Conseil constitutionnel français l'ont admis.

* 154 CEDH, 09 décembre 1944, Raffineries grecques Stran et Stratis andreadis c/ Grèce, RTD civ. 1995, p. 652, obs. F. Zénati-Castaing.

* 155 L'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention dispose que toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. La Cour déduit de ce texte la nécessité d'un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu.

* 156 C.C., 16 juin 2010, RTD civ. Juillet-septembre 2010, p. 584, obs. T. Revet.

* 157 L'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du Citoyen de 1789 dispose : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression.» ; et son article 4 dispose : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.»

* 158 CEDH, 26 juin 1986, Van Marle c/ Pays-Bas, Série A, n° 101.

* 159 CEDH, 9 juillet 1986, JCP E 1987, ll, 14894.

* 160 F. Hage-Chanine, op. cit., p. 710, n°8. Il explique que la distinction se fonde non seulement sur l'objet du droit, mais aussi sur le droit lui même et les conséquences qui en découlent explique le critère de base.

* 161 Civ. 25 juin 1902, D. 1903, 1, 5, note A. Colin.

* 162 Roubier, « Droits intellectuels et droits de clientèle », RTD civ. 1935, p. 285.

* 163 F. Hage-Chanine, ibid., p. 713, n°12.

* 164 C. Larroumet, Droit civil- Introduction à l'étude du droit privé, Paris, Economica 1998, 3e éd., p. 314.

* 165 Ce courant a été représenté en France par M. Planiol (Traité élémentaire de droit civil, 1896, t. I, n° 2158). Il a été précédé en Allemagne par A. Thon et en Suisse par E. Roguin. Ces deux auteurs ont été précédés par E. Kant. Beaucoup d'auteurs en France ont suivi Planiol à l'image de H. Michas (Le droit réel considéré comme une obligation passive universelle, thèse Paris, 1900) ; R. Queru (Synthèse du droit réel et du droit personnel, Essai d'une critique historique et théorique du réalisme juridique, thèse Caen, 1905) ; C. Prodan ( Essai d'une théorie générale des droits réels et de créance, thèse Paris, 1909); Minei ( Essai sur la nature juridique des droits réels et des droits de créance, thèse Paris, 1912); R. Basque (De la distinction des droits réels et des obligations, thèse Montpellier, 1914).

* 166 J. Chevallier, RTD civ. 1960, p. 600. et Cours de droit civil, 1re année, Beyrouth, 1953-1954, p. 258.

* 167 D'origine allemande, la thèse objectiviste a été introduite en France par Saleilles (Essai d'une théorie générale de l'obligation d'après le premier projet du C.civ. allemand, 1889).

* 168 F. Hage-Chanine, ibid, p. 712, n°10.

* 169 Les thèses personnaliste et objectiviste se sont rejointes par l'erreur qu'elles ont commise sur le sujet passif. La première s'était trompée sur son identité (le monde entier ne peut être débiteur), la seconde sur son importance (la personne du débiteur est loin d'être indifférente).

* 170 Travaux de la Commission de réforme du C.civ., 1945-1947, p. 781 cité par B.Starck, H. Roland, L. Boyer, op. cit., p. 501.

* 171 B.Starck, H. Roland, L. Boyer, ibid.

* 172 J.L.Bergel, op. cit., p. 11.

* 173 R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière, op.cit., p. 462.

* 174 Nous pensons notamment à B. Starck, H. Roland, L. Boyer, op. cit., p. 459, n° 1137.

* 175 A. Rabreau, « L'usufruit des droits sociaux », www.eyrolles.com.

* 176 Cass. Com., 25 avril 1974, D. 1974, p. 644-646, note M. Cozian.

* 177 Cet art. qui fut d'ailleurs modifié par la loi n° 2003-1312 du 30 décembre 2003 dispose : « l'usufruit constitué pour une durée fixe est estimé aux deux dixièmes de la valeur de la propriété entière pour chaque période de dix ans de la durée de l'usufruit, sans fraction et sans égard à l'âge de l'usufruit ».

* 178 Req. 14 mars 1877, DP. 1877, l, p. 353.

* 179 Cass.com., 31 mars 2004, ibid.

* 180 A. Lienhard, « Démembrement de droits sociaux : vote abusif de l'usufruitier », D. 2009, pp. 12-14.

* 181 Y. Paclot, « Nullité des délibérations de l'assemblée générale extraordinaire d'une société civile ayant décidé une fusion en application d'une clause statutaire attribuant l'intégralité des droits de vote à l'usufruitier », JCP E, Janvier-Juin 2009, p. 37.

* 182 Y. Guyon, ibid.

* 183 Art. 575 al. 1, op. cit.

* 184 Nous citons entre autres, E. Dockès, op.cit., pp. 479-507, G. Marty et P. Raynaud, op. cit., n° 76, H., L., J. Mazeaud et P. Chabas, op. cit., n° 1680, M. Planiol et G. Ripert, op. cit., n° 832, J. Carbonnier, op. cit., n° 99.

* 185 F. Zénati-Castaing, « Pour une rénovation de la théorie de la propriété », RTD civ. 1993, p. 305-323.

* 186 G. Marty, P. Raynaud, P. Jourdain, op. cit., p.

* 187 G. Cornu, op. cit., pp. 762-763.

* 188 E. Dockès, op. cit., p. 479.

* 189 J.- F. Pillebout, op. cit., p. 175, n°11.

* 190 Baudry-Lacantinerie, Précis de droit civil, 11e éd., t.1, n°1415 cité par J-P. Chazal, op. cit., n° 13.

* 191 Civ. 3ème , 4 juin 1975, Bull. civ. lll, n° 194 ; Civ. 3ème , 5 décembre 1968, D. 1969, 274 ; Soc. 10 février 1955, D. 1955, 379.

* 192 L'article 589 du C.civ. dispose: « Si l'usufruit comprend des choses qui, sans se consommer de suite, se détériorent peu à peu par l'usage, comme le linge des meubles meublants, l'usufruitier a le droit de s'en servir pour l'usage auquel elles sont destinées, et n'est obligé de les rendre, à la fin de l'usufruit, que dans l'état où elles se trouvent, non détériorées par son dol ou par sa faute. »

* 193 Civ. 1ère, 12 novembre 1998, ibid.

* 194 Civ. 3ème , 5 décembre 1968, D. 1969, p. 274 ; Voir aussi, Soc., 10 février 1955, D. 1955, Juris., p. 379 ; RTD Civ.  1955, p. 525, obs. H. Solus. D'après ce dernier arrêt, changer l'affectation d'un local « serait modifier la manière d'être particulière de la chose soumise à usufruit » et ces termes sont ceux-là mêmes par lesquels Aubry et Rau définissent la substance.

* 195 L. Godon, op. cit., n° 34. ll observe que « pour la doctrine, la substance que l'usufruitier doit conserver est définie comme la « destination » de la chose. Or, si l'on voit bien ce que peut être la destination d'un taillis, d'une carrière ou d'un local, la destination des droits sociaux peut varier selon la motivation propre à chaque associé. Schématiquement, la substance de droits sociaux peut alors être appréhendée tantôt sous l'angle de leur utilité financière et de leur propension à augmenter de valeur ou à dégager des bénéfices, tantôt sous l'angle du droit d'intervention dans les affaires de la société et du pouvoir exercé au sein du groupement. La distinction purement terminologique entre titres de placement et titres de participation reflète cette réalité subjective ».

* 196 Bartole est l'un des célèbres post-glossateurs (commentateurs du Code civil).

* 197 F. Zénati-Castaing, op. cit., p. 305.

* 198 J- P. Chazal, op. cit., n°2.

* 199 C.C., 16 Janvier 1982, GAJC, t.1, 11e éd. 2000, n° 1.

* 200 Civ. 1re , 04 janvier 1995, D. 1995, S., p. 328.

* 201 K. S. Cather, « La valeur en droit civil français : Essai sur les biens, la propriété et la créance », www.books.google.fr.

* 202 F. Zénati-Castaing, op.cit., p. 308.

* 203 F. Zénati-Castaing, op. cit., p. 309.

* 204 Portalis, Exposé des motifs du titre de la propriété, Ecrits et discours juridiques et politique, PUAM 1988, p. 126 cité par F. Zénati-Castaing, « La propriété, mécanisme fondamental du droit », RTD civ. 2006, p. 446.

* 205 Locré, Esprit du Code Napoléon, l, p. 66-67 cité par F. Zénati-Castaing, ibid.

* 206 F. Zénati-Castaing, Les biens, Paris 1988, p. 255 cité par R. Libchaber, op. cit., n° 3.

* 207 F. Terré et Ph. Simler, op. cit., p. 55, n° 49.

* 208 G. Marty et P. Raynaud, op. cit., p. 142.

* 209 F. Hage-Chanine, op. ibid.

* 210 F. Terré et P. Simler, p. 645, n° 796.

* 211 F. Terré et P. Simler, ibid.

* 212 B. Starck, H. Roland et L. Boyer, ibid.

* 213 F. Hage-Chanine, op. cit., p. 707-708, n° 4.

* 214 A. Rabreau, ibid.

* 215 E. Dockès, op. cit., p. 506, n° 23.

* 216 E. Dockès, ibid.

* 217 Signifie une preuve diabolique. Se dit d'une preuve presque impossible à rapporter.

* 218 E. Dockès, ibid.

* 219 Req. 1845, D.P. 1845, l, 214.

* 220 CA d'Orléans, 6 janvier 1848, DP. 1848, 2, 107.

* 221 CA de Grenoble, 15 février 1961, D. 1961, 674.

* 222 Josserand, ibid.

* 223 J.- P. Decorps, « Le droit de propriété ; évolutions et adaptations », www.cedroma.usj.edu.lb

* 224 G. Marty, P. Raynaud, P. Jourdain, op. cit., n°3.

* 225 F. Zénati-Castaing, « La nature juridique du quasi-usufruit (ou la métempsychose de la valeur) », in Le droit privé à la fin du XXe siècle, Etudes offertes à P. Catala, Litec 2001, p. 605, n° 1.

* 226 E. Dockès, ibid, G. Marty et P. Raynaud, ibid, H., L., J. Mazeaud et P. Chabas, ibid., n° 1680, M. Planiol et G. Ripert, ibid, J. Carbonnier, ibid, F. Zénati-Castaing, ibid.






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