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Vie pénitentiaire, liens sociaux et affectivité. Comment les personnes vivent- elles leur vie affective dans un milieu carcéral fermé

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par Rachel Roseline Boulé Schmid Briachetti
Haute école de travail social de Genève - Bachelor  2012
  

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Partie 3 : Analyse

6. Chapitre VI: Présentation des personnes rencontrées

Pour réaliser les entretiens, comme écrit précédemment, nous avons pu contacter un directeur de foyer en semi-liberté.

Un jour par semaine, les résidents et le directeur font un repas en commun et débattent sur des themes divers.

Le directeur a présenté notre démarche aux résidents pour voir s'ils étaient d'accord d'entrer en matiére. Le sujet que nous leur proposions a suscité un vif débat.

La semaine suivante, nous avons été invitées à leur repas.

Le directeur a fait en sorte que nous puissions nous présenter, comprendre et décrire notre démarche.

Il a demandé également aux résidents, s'ils nous trouvaient trop curieuses.

Pour animer le repas, il s'est également appuyé sur certaines de nos questions et chacun de nous a pu exprimer quelques idées sur l'affectivité et la sexualité.

Pour finir, le directeur a demandé confirmation aux résidents s'ils étaient toujours d'accord de nous rencontrer pour un entretien individuel.

Nous avons profité de ce moment pour signer les documents d'informations et engagement de confidentialité ainsi que notre engagement éthique réciproque.

Pour respecter la confidentialité, chaque personne s'est trouvé un prénom, un surnom fictif de son choix. Une personne a opté pour son surnom juste avant l'enregistrement de l'entretien.

Nous avons envoyé plusieurs dates par courrier électronique. Puis les résidents, nous ont téléphoné pour prendre rendez-vous. Ils ont choisi un jour qui leur convenait.

Finalement, nous avons effectué quatre entretiens.

Pour ce travail, nous avons fait le choix de faire un résumé de situation de chaque personne ainsi que des courts instants de leur vécu.

Woody a la cinquantaine. Il vit actuellement en semi-liberté. Il a été marié et a des enfants. Il ne mentionne pas la durée de la peine qu'il a effectuée sans liberté, mais il estime qu'il a été trés longtemps en prison. Il ne dit pas non plus l'acte répréhensible qu'il a commis.

Lors des visites, c'est surtout ses parents et son frére qui sont venus. En prison, il se dit réconcilié avec Dieu.

Il ne peut pas comprendre qu'il existe des relations affectives ou sexuelles entre hommes. Il trouve cela choquant, mais il ne condamne pas les personnes qui vivent une relation homosexuelle.

Il est un fervent défenseur des parloirs intimes pas seulement pour les personnes qui sont mariées ou qui ont des compagnes, mais également pour les personnes qui n'ont pas de relation stable à l'extérieur. Il pense que cela diminuerait la violence interne que chacun peut éprouver lorsqu'on est enfermé.

A l'heure actuelle, il voit de temps en temps mais réguliérement une femme.

Charles a plus de trente-cinq ans, il vit en semi-liberté. Il a une femme et des enfants.

Il ne parle pas de la raison de son incarcération. La détention lui a permis de faire des choix quant à la conduite qu'il souhaitait adopter lors de sa sortie.

Charles fait une différence entre l'affectivité et la sexualité.

La visite de ses proches et de ses enfants lui suffisait pour avoir des moments affectifs, rien que de toucher les cheveux de ses enfants, par exemple, lui procurait de la joie.

Se tenir à côté d'un homme pour lui, n'est absolument pas la même chose que la proximité d'une femme, les émotions éprouvées sont totalement différentes.

Il a demandé de vivre seul dans une cellule.

Aujourd'hui, dit-il : Ç l'incarcération m'a permis d'apprendre à rester fidèle È.

Doe est %ogé de plus de vingt ans. Il vit en semi-liberté. On peut deviner que trés jeune, il a été condamné à la prison. Il dit de lui-même: Ç en rentrant j'étais un jeune con, en sortant j'avais muri È. Lors de son entrée, il était célibataire.

Il s'est, le plus souvent, arrangé pour rester seul soit pour manger etc. malgré le fait qu'ils étaient quatre dans une même cellule. Il n'a jamais fait la demande de vivre seul, malgré qu'il ne veuille pas trop se mêler aux autres détenus.

Il a, par exemple, donné des cigarettes à d'autres prisonniers plus pour Ç avoir la paix È.

Les seuls échanges affectifs importants pour lui, il les vivait lorsque sa famille (parents, sÏur) venait lui rendre visite.

Aujourd'hui, il a une copine.

Raphael a la quarantaine. Il vit en semi-liberté. Il parle librement de son délit et de son parcours de détenu. Il mentionne également les prisons oü il a purgé sa peine.

Lorsqu'il est rentré en prison, il était considéré comme un homme fort par les autres détenus.

Lors de sa première incarcération, il avait une amie. Au départ, elle lui rendait régulièrement visite, puis elle a pu dire à Raphael qu'elle avait une relation avec un autre homme. Raphael était bien conscient qu'il ne pouvait pas lui demander de l'attendre.

Il aime séduire et il ne peut pas concevoir un échange affectif par le toucher, comme des massages ou autre, avec un autre homme.

Les échanges entre hommes pour lui sont virils, une tape sur l'épaule suffit pour montrer qu'il apprécie l'autre.

Les moments de fous rires lorsqu'il travaillait à l'atelier ont été extrêmement importants pour lui.

Aujourd'hui, il garde une certaine méfiance pour aborder ses instants d'incarcération avec les femmes qu'il rencontre.

7. Chapitre VII: Questions générales (suivi du fil rouge) Question 1 : Qu'auriez-vous envie de nous dire de vous?

Ainsi, pour la première question, nous leur avons laissé le soin d'exprimer ce qu'ils avaient envie de nous présenter d'eux. Les quatre ont demandé à être aiguillés, ils voulaient savoir si nous voulions des données précises ou ce qui était bien pour notre travail.

Nous leur avons donc cité par exemple l'%oge puis ils ont pu débuter chacun à leur manière.

Nous avons eu de la chance, car, nous avons pu interroger des personnes entre 20 et plus de 50 ans, ce qui nous a donné un aperçu d'histoires de vie riches en expériences diverses dans les prisons.

Ces personnes ont décrit leur situation familiale. Il y a une personne mariée, une divorcée, deux célibataires qui ont à peu près vingt ans d'écart. Deux d'entre elles ont des enfants.

Les quatre personnes ont passé plus d'une année en prison. Une personne nous a dit exactement le nombre d'années.

Nous ne désirions pas conna»tre le temps exact, notre seul souhait était de savoir sic'était plus d'une année. En effet, lors de détention préventive, les détenus doivent

être seuls vingt-trois-heures sur vingt-quatre-heures et ont droit à une heure de promenade par jour. Au bout d'une année de détention, le régime change, les détenus peuvent plus facilement se côtoyer.

Nous nous en doutions au moment du repas pris en commun , mais comme nous ne voulions pas être intrusives nous ne leur avions pas posé la question à ce momentlà.

Ainsi, toutes les personnes ont fait de la préventive pendant une année , voire plus, oü elles étaient enfermées vingt-trois heures sur vingt-quatre avec une heure de promenade par jour et une fois par semaine le droit de pratiquer du sport pour certaines.

Une seule personne a parlé spontanément de son délit. Encore une fois, notre
recherche ne se basait pas sur leurs actes et nous ne voulions pas conna»tre leurs

méfaits, elles ont été libres d'en parler ou pas puisque l'un de nos principaux objectifs était centré sur l'écoute des vécus, des expériences concernant l'affectivité.

De la sorte, à la fin du questionnaire, nous leur avons demandé comment elles avaient vécu l'entretien. Toutes nous ont répondu qu'elles étaient étonnées que nous ne leur demandions pas de parler de leurs actes, ceci fut trés agréable pour elles.

En effet, lorsqu'elles entrent en prison, quasiment tous les jours, elles doivent se justifier et y travailler notamment avec la psychologue. Et même par la suite , lors de leurs sorties.

Question 2: Quels souvenirs gardez-vous de votre arrivée ou des premiers moments vécus en prison?

Pour la deuxiéme question, nous désirions écouter leurs premiers instants, qui à nos yeux, devaient déjà décrire certains moments pathiques importants.

Woody avec une longue description, a surtout parlé de tout le monde qui regarde, des barreaux partout, des portes métalliques fermées à clé, des portes qui claquent ainsi que le bruit des clés qui vous poursuit encore longtemps aprés la détention.

De plus, Woody dit : Ç (...) alors ca a été le premier choc en arrivant et en voyant toutes ces cages d'escaliers avec toutes ces portes, tous ces trucs. J'ai fondu en larmes, j'étais cassé (...) c'était l'horreur. È. Ce qui nous permet d'entrevoir déjà la suite des expériences vécues avec émotions.

En effet, Woody par la suite insiste sur le fait qu'il a été choqué à de nombreuses reprises.

Quant à Charles, il parle essentiellement de la peur de l'inconnu. Il raconte qu'il se sentait perdu.

Comme Woody, il est choqué par toutes ces portes de sécurité et le nombre impressionnant de gardiens présents.

Dans un premier temps, Charles reste concis quant à la description de ses émotions lors de son arrivée en détention.

Pour Doe, la réalisation de son entrée en prison, s'est effectué le lendemain de son arrivée. Une fois qu'il s'est réveillé. En effet, il dit: Ç (...) quand je me suis réveillé, avec tous les matons qui ouvrent la cellule pour aller faire la promenade à 7h00 alors que ca caille. Ouais, c'est le lendemain matin que oU j'ai vraiment tilté... Le jour même, pas vraiment tilté. C'est le lendemain matin, au réveil, qu'on réalise oU on est È.

Pour Doe, il lui a été également difficile de parler de ses émotions mais aprés quelques questions de relance de notre part, il précise également que le bruit des portes et des clés ainsi que le bruit qui régne dans la prison l'ont marqué. Puis, il précise comme Woody et Charles: Ç (...) on ne fait pas un metre sans être surveillé (...) È.

Selon Raphael pour sa première entrée en prison, il ne décrit pas ses premiers instants, il raconte que c'était supportable car il est arrivé avec plusieurs amis, Ç (...) on était soudé (...) È. Il savait que sa copine du moment le soutenait.

De plus, il précise que le fait de ne pas savoir la durée de la peine lui a permis de garder espoir de sortir rapidement.

Par contre, lors d'autres incarcérations, il était seul et là il dit: Ç (...) c'est différent (...) È.

En effet, à la deuxiéme incarcération il se définit comme Ç parano È. Il précise qu'il s'est isolé par peur d'un complot contre lui. Il dit : Ç (...) j'étais vraiment mal (...), j'allais me promener sur le toit de la maison d'arrêt, ouais là, j'étais vraiment pas bien. C'était tout à fait différent, ouais, ouais. È.

Ainsi, Raphael reste trés factuel quant à sa première arrivée en détention.

En résumé, trois personnes ont plutôt décrit des moments d'expérience sensible et des lieux sensibles.

De cette question, nous constatons que l'arrivée en prison à l'air des plus difficiles. La peur de l'inconnu, tout le monde regarde, les gardiens qui surveillent. Les portes sont toutes fermées à clé et elles claquent. L'univers semble froid.

Certaines expriment des émotions fortes comme le fait d'être Ç cassées È.

En ce qui concerne Raphael, il raconte des le début de l'entretien, plus particuliérement l'expérience de sa deuxiéme détention, celle oü son espace thymique appara»t le plus.

En effet, ce témoignage, illustre, le concept de Binswanger ou l'on voit que c'est la personne qui donne un sens aux mécanismes qui lui arrivent. Pour rappel Binswanger (1998) pense que les pathologies cérébrales ou psychiques sont des modes palliatifs visant à sauvegarder l'intégrité, l'intériorité de ce rapport-au-monde de la personne.

Raphael nous a expliqué son espace thymique du moment. Il est mal, il va se promener sur les toits de la prison.

Son espace thymique, lors de sa deuxiéme détention, a orienté son investissement à Ç habiter È son corps. Les personnes vivant avec une psychose ont souvent des descriptions de leurs expériences en les Ç habillantÈ avec des mots qui illustrent les hauts et les bas vécus. Raphael décrit un comportement de retrait sur lui. Le fait de grimper sur les toits et peut-être d'en tomber témoigne de la part de Raphael une chute envisageable à ce moment-là.

Question 3: Quelles idées des relations entre les gens aviez-vous avant votre détention?

A travers cette question, nous désirions percevoir si des sentiments de peur, d'angoisse, de curiosité etc. avaient été éprouvés dü à une entrée en prison.

Woody, ne s'est pas posé de questions sur les relations humaines, il avait d'autres soucis et répond: Ç (...) Il faut vraiment y être pour y croire. Parce que depuis l'extérieur on n'a pas idée de ce qui se passe là-bas, jamais È. De plus, des les premiers jours, il s'est rendu compte: Ç (...) qu'on nous coupe de toute relation, de tout contact, de toute affectivité (...) È.

Quant à Charles, il répond non, cependant il fait un lien avec l'extérieur. Il précise qu'il n'aurait pas abordé certaines personnes dehors alors que dans la prison cela change tout, car selon ses dires, elles sont Ç dans le même bateau È.

Doe pensait surtout aux relations de violence Ç (...) Les mecs entre nous quand on est enfermé avec tout ce qu'on peut pas faire ou tout ce qu'on doit faire, on se doit de montrer une certaine force entre guillemets. Donc, ouais, relations de violence...un peu conflictuelles. Et ca c'est pas totalement montré faux (...) È.

Il a cité notamment quelques bagarres.

Raphael a vu quelques films américains qu'il trouvait violents mais comme c'était un milieu qui ne l'intéressait pas, il dit qu'il n'y avait jamais pensé.

Malgré notre approche théorique et notre envie de bien faire, la construction de notre question s'avére au premier abord mal formulée et naïve . Les personnes interrogées semblent dans l'incapacité de raconter ce qu'elles n'ont jamais rencontré. Elles disent que c'est seulement en prison qu'elles se sont rendu compte de l'ambiance réelle.

En même temps dans leur récit, nous rejoignons le Réel de Maldiney qui le définit, nous le rappelons, par ce que nous n'attendions pas.

Woody, par ses dires, illustre le concept de Maldiney en disant qu'il faut vraiment être à l'intérieur de la prison pour croire ce qui leur arrive.

Charles pensait ne jamais parler à certaines personnes ce qu'il a pourtant fait.

Quant à Doe, il s'attendait à devoir être fort et cela ne s'est pas relevé totalement faux.

Question 4: Pourriez-vous nous décrire une journée type et quels sont les moments de rencontre importants pour vous?

Pour la suite, nous souhaitions les phases clés des rencontres de leur vie quotidienne, qu'ils nous décrivent les espaces de rencontres plutôt géométriques tout en es pérant qu'ils allaient dans leurs dires illustrer d'autres espaces.

Une journée type est décrite par un réveil trés matinal: petit-déjeuner, atelier, repas, atelier, repas et aller se coucher. Les espaces de rencontres sont les mêmes pour tous. Parfois, ces moments peuvent être ponctués par des rencontres avec le, la psychologue, l'assistant(e) social(e). Les détenus peuvent faire du sport, ont plus de moments de promenade et libres (moments inexistants en préventive).

Woody a dit qu'il a eu de la chance d'être seul dans une cellule (il est important de repréciser que les cellules au départ sont prévues pour un nombre déterminé de détenus mais vu la surpopulation carcérale, ils finissent par être une à deux personnes de plus que prévu initialement).

Il a beaucoup apprécié le travail. A de nombreuses reprises dans ses diverses réponses, Woody décrit avec précision sa difficulté d'entrer en contact.

Nous reprendrons également dès la page 67, la notion d'être seul dans une cellule dans le résumé de tous les phénoménes que Woody a vécu en prison car cela semble être un bienfait pour Woody de vivre sans codétenu mais est-ce vraiment le cas ?

Quant à Charles, dans un premier temps, il est passé par une cellule ou il vivait à deux puis dans un deuxiéme temps dans une cellule oü ils étaient cinq. Puis, Charles a demandé à être seul.

Pourtant, il aime les moments de repas car ce sont des instants ou ils peuvent jouer aux cartes, parler, s'entraider.

Là, également pour Charles, nous écrirons quelques lignes sur la notion de vivre seul.

Doe a toujours vécu dans une cellule ou ils étaient plusieurs. Il n'a jamais demandé de changement malgré le besoin par moment de se retrouver seul. Il n'a jamais rien entrepris même s'il aimait être au calme.

D'ailleurs il raconte: Ç (...) les relations avec les autres détenus, honnétement, j'm'en fous, j'avais pas l'intention, c'était pas des potes, j'avais pas l'intention de revoir les gens apres, c'était juste des gens avec qui je devais vivre le temps que j'étais là et basta (...) È.

Il précise également que les moments importants pour lui sont les instants de parloir avec sa famille.

Raphael, la première fois, était seul dans la cellule puis il a été jusqu'à cinq pairs. Lorsqu'il a vraiment été mal, il vivait seul. Lors de sa derniére détention il a demandé à vivre avec un américain comme cela il pouvait apprendre la langue.

Pour lui, il n'y a pas eu de moments importants de rencontre. C'était surtout dü aux personnes présentes lors de ses incarcérations. En effet, il narre: Ç Cela dépendait, avec qui, quoi. a dépend de la relation, des fois il y a une bonne relation, on était tout content d'aller à la promenade pour le retrouver. (...) È.

Pour nous, lorsqu'il nous dit avoir fait une demande pour pouvoir vivre avec un américain, nous y identifions l'espace pathique de Straus.

Il s'est retrouvé comme imagé par Straus, dans un paysage oü l'horizon s'est déplacé avec lui. Il a favorisé son ouverture et c'est la surprise de pouvoir apprendre l'anglais en prison gr%oce à un autre détenu.

Question 5: Pourriez-vous nous décrire une expérience d'échanges affectifs lors de l'un de ces moments?

Woody décrit un trés beau souvenir. Comme les cellules étaient ouvertes, tous les lundis, il pouvait rencontrer un de ses pairs qui était trés croyant. Cela lui a permis de Ç tenir È.

Charles parle d'une personne extraordinaire, cette derniére avait un probléme psychiatrique et Charles trouvait fabuleux qu'elle puisse le reconna»tre et que quand elle n'était pas bien, les détenus la laissaient tranquille.

Charles, ayant l'obligation de suivre une thérapie, précise que ses moments passés avec la psychologue ont été bénéfiques et lui ont permis une évolution positive.

Quant à Doe, comme pour la question précédente et les suivantes, il en revient fréquemment sur le fait que c'est sa famille qui prime dans les échanges affectifs. Il ne souhaite pas s'investir dans des relations à l'intérieur du milieu pénitencier.

Lors de sa première incarcération, Raphael a vécu des moments affectifs car il y avait la présence de ses amis.

Sa deuxième privation de liberté ne lui permettait pas de créer des liens vu sa situation psychique.

Comme mentionné avant, lors de sa troisième détention, Raphael a demandé à vivre avec un américain ce qui lui a permis d'apprendre l'anglais. De notre point de vue, il s'agit d'un moment pathique vécu par Raphael comme mentionné à la question précédente.

Nous constatons que les expériences sont variées. Elles peuvent se situer aussi bien au niveau des codétenus que des professionnels.

Les détenus ne citent pas forcément que ce sont des relations affectives. Cependant, à nos yeux, c'est déjà une ébauche de la vie affective même si les quatre insistent depuis le début que c'est la rencontre avec des proches qui permet une relation affective.

Dans cette question, la notion de Ç tenir È appara»t, la plupart de temps, avec des mots différents. Les personnes rencontrées n'envisagent pas la prison comme un lieu positif, sauf Charles lorsqu'il décrit l'opportunité qu'il a eu pour changer en ayant l'obligation de suivre un suivi thérapeutique.

Question 6 : Comment en êtes-vous arrivés à créer des liens en prison, était-ce: o de votre initiative?

o des autres?

Concernant Woody, nous ne lui avons pas posé la question proprement dite. Cependant durant l'entretien, malgré qu'il se décrive comme une personne au contact facile, il nous spécifie qu'il est rare pour lui de rencontrer des personnes avec lesquelles il peut créer des liens : Ç (...) c'est trés, trés limité (...) È. En fait, il nous explique qu'il a été limité notamment au niveau de la langue car pour lui, lorsqu'il était en prison peu de personnes parlaient francais en disant : Ç (...) ca été une difficulté majeure je dirais. (...) È.

L'exemple que nous cite Woody par rapport au langage étaye notre corpus théorique (chapitre 4.3, page 32) où nous voyons que le langage permet de faire émerger notre foyer natal en Ç habillant È notre vécu. Effectivement si peu de détenus parlent le francais il doit être difficile d'établir des liens si personne ne se comprend.

De plus, il spécifie qu'il ne souhaitait pas forcément créer des liens avec des détenus qui souffraient de maladies psychiques.

Ce que nous pouvons également illustrer avec cette phrase de Woody: Ç (...) Aprés il y a des énormes problémes de violence, du racisme, y'a des insultes, la moindre petite étincelle, et pis ca explose, on sent, il y a une tension, c'est une poudriére, une vraie poudriére. Les gens sont à cran, toute la journée brimés par les gardiens soit par leur situation, soit par des juges, par des réponses négatives. (...) È, c'est pe ut- être une crainte de relations conflictuelles supplémentaires. En effet, pour lui il y a déjà assez de violence et d'injures vécues tous les jours.

Pour en revenir à Charles, il raconte de manière générale : « (...), parfois cÕest certains qui viennent vers toi, certains cÕest toi qui y va, je ne sais pas comment expliquer, ga ne se programme pas, ga vient comme ca. ». Il rajoute un peu plus loin : « (...) On fait attention aux autres, à soi-meme et peu à peu, il y a des liens qui se creent. (...) ».

Rappelons que Charles a fait une demande pour être seul dans une cellule comme cela il n'a pas à vivre des conflits, nous le citons : Ç (...) Parce que la prison de toute fagon, cÕest rotatif. Quand une personne arrive aujourdÕhui, on sait pas sÕil part demain ou sÕil part dans deux ans. Avec la personne cela peut se passer bien et la personne qui arrive après ga passe mal, je preferais eviter cela. Un moment jÕetais avec une personne et ga se passait tres bien et quand il est parti, la personne qui est arrivee ga a pett (...). JÕai prefere etre seul pour eviter ce problème. (...). ».

Selon Doe, les contacts se font d'eux-mêmes. Les liens se font dès le début. Il ne peut pas expliquer comme Charles qui va en premier vers l'autre. Il spécifie pourtant qu'il se dirige plutTMt vers des personnes calmes comme lui.

Charles et Doe ne peuvent ainsi pas expliquer comment les relations se créent, il semble que nous rejoignons Husserl ou il dit : Ç les sensations tout comme les actes qui les apprehendent, ou les apergoivent, sont en ce cas vecues, mais elles nÕapparaissent pas objectivement ; elles ne sont pas vues, entendues, ni pergues par un sens quelconque.».

Nous y retrouvons également Straus, puisque le pathique pour lui est une communication immédiatement présente, intuitive-sensible, encore pré conceptuelle, que nous avons avec le monde. Ce qui peut expliquer, lors de leur récit, la difficulté qu'ils ont eu à communiquer certaines de leurs impressions.

C'est également pour Heidegger l'être qui ne se montre jamais tel qu'il est. L'être, un « para»tre » qui se joue du Dasein.

Raphael raconte que , lors de sa première détention, ce sont les autres détenus qui sont venus spontanément vers lui car son acte avait été médiatisé. Il avait une aura de rebelle. Les liens se sont fait spontanément.

Nous rappelons que lors de la deuxième détention il n'y a pas eu de liens car il s'isolait de lui-même et selon ses dires il se définit comme « parano ». Il précise qu'il s'est isolé par peur d'un complot contre lui. Il dit : « (...) jÕétais vraiment mal (...), jÕallais me promener sur le toit de , ouais là, jÕétais vraiment pas bien ». Avec cette question Raphael revient à nouveau sur sa deuxième détention qui semble avoir été extrêmement difficile à vivre, o0 il semble qu'il a tout fait pour sauvegarder son intégrité, son intériorité du rapport au monde, à la prison (chapitre 4.3, page 31).

Question 7 : Comment pourriez-vous décrire ces liens.

o superficiel

o convenu ou conditionné par le milieu (servir soupe) o amicaux

o affectif

o intime

Avec cette question nous voulions que les détenus ressortent selon eux, les différents liens qui peuvent exister en prison. Nous précisons que cette question n'a pas été posée telle quelle, toujours dans l'optique que ces entretiens soient un échange.

Woody dit avoir eu quelques liens amicaux mais c'était trés rare. Pour les autres relations, il les décrit, comme un peu, artificielles. Comme par exemple lors de contact entre détenus à l'atelier, durant le sport ou la promenade.

Cependant, lors de la promenade il mentionne également que c'était à ce moment-là qu'il pouvait avec deux-trois Ç bons copains È discuter.

Il précise également qu'il a entretenu un lien fort avec un des détenus avec qui ils échangeaient au sujet de la spiritualité , en s'isolant dans l'une de leurs cellules.

Il ajoute également que lors de départs, c'est là qu'il s'est permis d'enlacer et de presque pleurer. Il dit : Ç (...) c'était trés intense comme relation. È

Il nous semble que ces moments étaient plus proches de liens affectifs qu'amicaux.

Charles mentionne une fois le mot amitié par rapport aux détenus et décrit surtout comment étaient ses liens, ils seront détaillés dans la question suivante.

Il complete qu'il a créé des liens avec l'assistante sociale et un des Ç psy È : Ç (...) Ils sont là pour faire leur travail, c'est un lien, on va pas dire de grande amitié mais quand méme d'amitié. (...) È.

Il précise que les relations affectives sont seulement avec sa famille et ses enfants.

Doe pense que les liens qu'il a vécu en prison se situaient entre le superficiel et l'amitié. Pour lui, c'était des amitiés sur le moment et une fois la détention terminée, il n'y pensait plus , ne voulait plus les revoir.

Ce qu'il décrit nous appara»t comme des amitiés éphéméres, ponctuées par le temps oü il y avait une Ç bonne entente È.

Comme Charles, il dit que les relations affectives se passent avec ses proches.

Selon, Raphael, il croit que c'était de l'amitié sincere et pas superficielle. Pour le citer : Ç (...). Il n'y a pas de petites courbettes pour se dire bonjour, ca n'existe pas, je ne crois pas. È.

Pour conclure, avec cette question, nous constatons que pour les quatre, il y a eu des liens amicaux. Tous décrivent des liens qui se créent sur le moment mais qui ne perdurent pas.

Quand à Woody, il a l'air d'avoir vécu un événement de surprise acceptable, le Ç Réel È s'est fait conna»tre sur un mode affectif. En effet, lors du récit de Woody pour cet item, sa voix faiblit, il a presque les larmes aux yeux. Woody a été le seul à nous décrire un moment pathique pour cette question. Les instants de départ semblent pour lui des moments extrêmement fort s voire douloureux, il n'aurait pas cru que ce soit à ce point-là.

Question 8 : Comment étaient ces liens?

o de confiance

o de respect

o de réciprocité (je te donne, tu me donne, je te raconte, tu me ...) o d'entraide

o de solidarité

o d'échange d'idées

o de discussions

o d'amitié

o d'amour

o sexuels

Woody a peu de liens de confiance mais il parle de réciprocité, d'entraide et de discussions. Quant aux autres liens, pour lui, ils sont superficiels sans confiance et sans respect. << Ouais, ouais. Trés difficile, trés difficile, ah ouais È. Quand il raconte ses liens avec le personnel pénitencier, il les décrit comme mitigés. S elon lui, cela dépend du surveillant. Il trouve difficile le manque de respect, même si cela n'est pas fait par tous les gardiens.

Il évoque également les insultes recues de la part de s autres détenus: <<Non, non pas de respect. Chacun pour soi, égocentrique, les insultes, la violence, le respect alors-là, ca manque terriblement, sauf avec ces deux, trois gars (...) È. Et ajoute un autre exemple: << (...) vous avez une tablée de turcs et chaque fois que vous passez à coté on vous dit: Çsale suisse de merde È (...) È.

Charles parle beaucoup de solidarité: << (...) on est tous dans le même bateau (...) È ainsi que de respect. Il dit également que même s'il y a des conflits entre deux personnes, quand il faut se soutenir, c'est la solidarité qui prime. De plus, il a eu confiance en peu de personnes pour pouvoir raconter ses problèmes mais il a eu des liens de soutien.

Ces liens lui ont permis de ne pas se sentir seul et de ne pas sortir << fou È. Les liens lui ont procuré un sentiment de sécurité.

Pour finir, il a créé un lien avec la psychologue et celle-ci lui a permis d'avancer et de changer comme écrit précédemment.

Doe parle de confiance sans rentrer dans les détails en disant: <<On peut pas avoir une confiance absolue. La confiance absolue, personnellement, moi en prison, elle existe pas. Du moment qu'on est en prison, j'veux dire, on peut pas avoir confiance en qui que ce soit. La seule personne en qui on a confiance, c'est soi-même. (...) È. Il semble que la confiance soit placée pour Doe sous le signe de la confidence et que ce n'était vraiment pas possible pour lui. Le fait de ne pas tout divulguer aux autres détenus était d'une certaine manière une forme de protection.

De temps en temps, il dit pourtant qu'il pouvait compter sur certains codétenus.

Il parle également de solidarité en termes de dépannage à un moment donné et pas entre tout le monde.

Pour lui, comme déjà écrit précédemment, il avait des liens par obligation, il voulait seulement exécuter sa peine sans investissement.

De plus, Doe parle plus de savoir-vivre que de respect. << (...) C'est juste une question de, ouais, c'est même pas une question de respect, c'est du savoir-vivre. (...) È.

Ces réponses seront reprises plus loin dans le développement de notre mémoire afin de mettre en avant les phénoménes qui sont le plus présents lorsque nous évoquons le sensible.

Il est à noter que pour la majorité des personnes interrogées, la confiance est traduite par le dévoilement de son intimit é aux autres détenus.

Nous constatons que tous, dans leur récit, se sont attachés à ne pas se confier, ou un peu, sur leur vie personnelle aux autres détenus. En effet, la plupart du temps ce sont des liens amicaux certes, mais qui sont ponctués dans le temps par la détention et cela n'a pas l'air de favoriser l'échange sur l'histoire de vie vécue à l'extérieur.

Nous pouvons également remarquer que l'idée de respect revient à de nombreuses reprises dans leurs témoignages. Comme nous l'avons écrit dans notre corpus théorique (chapitre 5.6, page 45), elle est associée à l'estime et à l'égard de soi- mê m e, ainsi que des autres , elle est associée à la considération, à la politesse.

Cela peut se traduire avec des gestes simples de la vie quotidienne comme servir à l'autre un verre d'eau avant soi-même, ne pas mettre la télévision trop fortement, etc. Ce qui est intéressant de remarquer c'est que le respect est associé au savoir-vivre comme l'a fait Doe. La demande de savoir-vivre envers lui et les autres nous permet de faire le lien avec la notion

de l'écrasement du pathique que décrit Bernier dans son article sur le pathique de la violence77. En effet, si le respect existe, les actes qui peuvent apparaitre comme violents sont moindres.

Avec l'expérience de Woody, il appara»t clairement que cette notion (l'écrasement du pathique) peut également s'appliquer à lui.

Question 9 : Qu'auriez-vous envie de nous en dire?

Nous n'avons jamais posée cette question de facon équivalente car pendant les entretiens, les personnes, ont largement décrit le comment elles vivaient les liens en prison au point précédent.

Ce qui veut dire que lorsque nous avons construit cette grille d'entretien, nous présupposions qu'elles allaient nous répondre succinctement à la question 8 ce qu'elles n'ont pas fait.

Question 10: Lors des rencontres qui ont compté pour vous, comment le contact s'est-il créé?

En fait, cette question, reprend la question 6, à ceci prés que la question 6 était destinée pour l'arrivée en prison alors que celle-ci était prévue lors de la durée de la détention.

De plus, dans leur récit, ils racontent plus des liens qui perdurent à l'extérieur. Cependant, les personnes ont, des le départ des entretiens, développés largement leurs réponses. La création du lien, les contacts ont pu aussi être expliqués dans d'autres items.

Encore une fois, nous avons certainement eu peur qu'elles restent concises dans
leurs témoignages. Cela faisait sürement partie d'un a priori de notre part puisque

77 http://www.cahiers-ed.org/ftp/cahiers9/C9_bernier.pdf

notre sujet de mémoire a été défini, dès le commencement du module TB1, comme difficile à aborder.

Question 11 : Lorsqu'il existe un moment d'échange des émotions apparaissent, qu'est-ce qu'elles ont permis :

De vous sentir :

o mieux

o paisible

o reconnu

o moins seul

o compris

o triste

o plus isolé

o avoir envie d'avoir un projet de vie

Cette question, nous l'avons posé telle quelle durant les deux premiers entretiens. Pour les deux derniers, nous l'avons adapté avec des questions de relance afin d'obtenir plus précisément les différentes émotions qui peuvent appara»tre. En effet, nous nous sommes apergues que les deux premières personnes ont eu de la difficulté à nous livrer leur sensible.

En fait, nous nous rendons compte qu'au départ nous n'avons pas formulé cette question adéquatement. La tournure de ph rase a empeché leur expression d'émotions. Heureusement, pour nous les émotions sont quand meme apparues mais plus succinctement dans cette question et plus largement dans d'autres items.

Ainsi, Woody dit qu'il était rongé, tendu par des tracas administratifs.

Il a pu dire qu'il se sentait mieux quand il avait des « bons copains », il se sentait plus paisible car il pouvait discuter d'émotions avec eux. Cependant, quand ses quelques amis devaient partir soit pour transfert ou fin de peine, c'était très dur pour lui. Il a également éprouvé des émotions fortes lors des moments de départ de certains codétenus, il en va jusqu'à pleurer et c'est de nouveau le « bas ».

Woody mentionne également le « fond du trou » après la visite de ses proches. C'est plus une tension. Il n'a jamais voulu en parler avec des professionnels pour avoir du soutien. Woody nous a dévoilé son espace thymique du moment lorsqu'il nous parle « dÕau fond du trou », de sa difficulté à en remonter seul puisqu'il ne s'est pas adressé à du personnel pénitencier qui aurait pu l'aider.

Charles mentionne peu d'émotions particulières pendant l'entretien. C'est à la fin de la rencontre qu' il parle de rage, de frustration, de sentiment de culpabilité tout en ne se livrant pas particulièrement sur s es émotions.

Cependant durant l'entretien, de temps en temps une phrase nous a été livrée de son état émotionnel, lors de relations surtout avec les surveillants, comme par exemple : Ç(...) Si je mÕengueulais avec un gardien, je ne disais pas de gros mots, mais je faisais respecter mes droits dÕhumain. (..). (..) mais je haussais la voix.

(---) ».

De plus, il se décrit comme quelqu'un qui n'est pas diplomate. Il a profité d'en
discuter avec les « psys » car il a eu l'obligation de poursuivre un suivi thérapeutique
pendant sa peine : « JÕai di) faire un travail là-dessus, car je dis toujours les choses

vraies mais pas toujours comme il le faut, pas vraiment diplomate. (...) J'ai eu le déclic heureusement (...). (...) J'ai beaucoup changé (...) ».

Charles décrit « l'opportunité » qu'il lui a été imposé pour entrer dans un processus de changement. Il semble que c'est Charles qui a pu donner sens aux mécanismes qui lui sont arrivés et a pu ressentir les forces créatrices qu'il avait en lui (Binswanger 4.3, page 31).

Le suivi thérapeutique a été exigé sürement selon l'acte (la cause) qu'il a commis. Mais selon les dires de Charles, nous pouvons supposer que le spécialiste a été ouvert à la rencontre et était plus dans l'empathie que dans l'interprétation pour préserver la liberté de Charles. Le spécialiste l'a peut-être accueilli dans le moment présent ce qui a peut-être permis à Charles de s'ouvrir aux choses concretes de la vie.

Doe cite les émotions telles que la colere, la rage, l'impatience et l'apaisement quand il y a les parloirs.

Il associe la colere et la rage à l'administration pénitenciere puis il ajoute que l'apaisement appara»t chez lui quand un parloir a lieu. Cependant, l'impatience est une émotion qui est présente tout au long de son incarcération puisqu'il dit : « L'impatience quotidienne d'attendre que l'on sorte (...) ».

Raphael signale des émotions comme la joie, la tristesse. La joie par exemple de jouer aux cartes, d'être avec les codétenus à l'atelier, de se raconter les blagues.

Il nomme aussi la violence et la compassion qui ne sont pas des émotions mais auxquelles nous pouvons associer la colere et la sensibilité à la souffrance des autres.

De nouveau, ces citations nous donnent de précieuses informations sur le concept de l'espace thymique de Binswanger (chapitre 4.3).

Nous pouvons voir que diverses émotions sont apparues selon les détenus. Elles ont été vécues, exprimées, gérées et « habillées » de fagons différentes selon chacun. En effet, les détenus ont décrit avec leurs mots des moments plus faciles ou difficiles à vivre et comment ils ont pu « profiter » ou non du soutien des professionnels.

Question 12 : Comment définiriez-vous la nature de vos contacts ?

o par un contact comme le toucher ?

o par des échanges de mots ?

o non verbal ?

o autre

Woody a décrit un moment très fort que nous avons déjà cité auparavant. Ce sont les moments de départ de ses pairs qui ont eu de l'importance. Ils se serraient dans les bras et ces instants font ressortir les émotions de tristesse par exemple. Il définit la nature de ses contacts par des échanges de mots.

Woody associe aussi les contacts physiques à l'homosexualité et n'accepte pas l'homosexualité, il trouve « choquant ». Il a également peut-être une certaine peur qu'une fois le passage à l'acte franchi, il y a non-retour puisqu'il dit « (...) Mais disons personnellement, une fois qu'ils ont franchi le pas... ». En exprimant cela, peut-être que Woody a peur de vivre une humiliation supplémentaire ?

Charles parle de contacts non-verbaux: Ç Ouais, aussi quand on allait à la promenade, on prenait le soleil et on restait là, une heure sans se parler et on était bien. (...) È. Puis, il raconte ses contacts avec ses enfants durant les visites: (...) l'affection je l'ai avec mes enfants dans les parloirs, je les tiens dans mes bras, je leur donne des bisous, c'est de l'affection. È.

Pour Doe, il définit ses contacts comme verbaux. Prendre quelqu'un dans ses bras ou se faire prendre dans les bras n'était absolument pas envisageable. Donc quand il parle de contact physique c'est par une poignée de main ou une tape sur le dos.

Quand nous lui posons la question Raphael parle de pudeur, il dit qu'il n'aurait jamais osé demander par exemple un massage: Ç (...) méme pas un massage rien, pourtant un massage c'est naturel, masse-moi le dos, non je n'oserais pas, non, c'est trop... je sais pas ca faisait trop, je sais pas moi È. Il rapporte que la nature de ses contacts était principalement verbale même si parfois il y avait des tapes dans le dos. Il raconte également que de temps en temps, il avait des échanges non-verbaux, il donne en exemple les regards de complicité.

A un autre moment du récit Raphael mentionne également qu'il a eu des propositions sexuelles de la part d'un codétenu mais vu qu'il lui est impossible d'avoir un contact physique avec un homme, il a bien sür refusé catégoriquement.

Pour en revenir au phénoméne de contact, lorsque nous avons évoqué le terme de contact, la plupart du temps les personnes vivant en semi-liberté ont immédiatement décrits des expériences de contact physique.

De leur dires, il en ressort que la dimension physique semble être évitée. Il semble qu'ils ne peuvent pas concevoir un échange physique surtout entre eux.

Il n'y a que Woody qui évoque, lors des sorties de ses amis codétenus de prison, avoir eu des contacts physiques en ne nommant pas ces gestes comme affectifs mais c'est le ton de la voix, les larmes aux yeux qui nous font dire que peut-être cela faisait partie du registre de l'affectif.

De plus, nous remarquons que les quatre personnes s'appuient sur la discussion pour établir une relation.

Elles ont ramené le terme de contact sur les liens amicaux ce qui finalement nous améne à la préposition Ç avec È dont nous parlons au paragraphe sur le contact (page 40). C'est-à-dire être dans le Ç Réel È avec le monde.

Ainsi, les détenus nous ont parlé des deux définitions que nous avons évoquées.

Et nous voyons que le contact est tout de même de l'ordre du sensible malgré qu'ils aient abordé en premier lieu les contacts physiques. De plus, pour les personnes interrogées, le lien se crée visiblement sur une longueur et de préférence à l'extérieur de la prison.

Nous pouvons citer Raphael lorsqu'il parle de contact, il dit de lui qu'il a le contact facile mais fait tout de suite une distinction par rapport à conserver un lien. Ce n'est pas du tout la même chose pour lui. En effet, il a rarement gardé un lien avec d'autres détenus une fois sorti.

Pour finir, encore une fois, pour eux, les échanges affectifs y compris les gestes ne se font qu'avec la famille.

Question 13 : Qu'avez-vous apprécié?

Cette question faisait partie du fil rouge de notre questionnaire cependant elle était superflue car tous avaient répondu à cette question bien avant.

Question 14: Qu'est-ce que vos expériences affectives ont permis, dans votre vie de tous les jours?

Cette question a été posée en dernier pour voir si l'expérience de la détention a fait évoluer leurs directions de sens ou leur affectivité à leur sortie.

Woody commence par parler de sa vision de la liberté, il dit: Ç (...) a vaut de l'or la liberté, c'est la première découverte en me promenant tout seul (...) È.

Il poursuit par son angoisse de voir du monde, en précisant que Noël a été une période difficile à digérer.

Il précise qu'il se contente de beaucoup moins de choses.

Pour finir, il se permet de nous raconter qu'aprés deux mois, il est allé à la rencontre d'une prostituée qui lui a apporté de l'affectivité selon lui. C'était son premier contact avec une femme depuis des années de détention. Heureusement pour lui , dit-il, elle a été compréhensive, Çsympa È et gentille et il exprime qu'il a été trés ému.

Il semblerait que Woody une fois la privation de liberté terminée ait pu vivre une expérience affective alors qu'en détention ses expériences apparaissent la plupart du temps comme sensibles.

Charles, s'est rendu compte qu'il voulait rester fidéle. Il explique qu'avant sa détention lorsqu'il avait un probléme conjugal, il allait facilement voir ailleurs en précisant : Ç (...) Et avant, j'étais plus exigeant, ce que je ne pouvais pas avoir à la maison, je vais le chercher dehors (...). (...) c'est de savoir que je peux tenir aussi longtemps sans femme. (...) . È. Maintenant, il ne veut plus aller trouver quelqu'un pour une nuit. Il se dit bien et que depuis sa sortie, il a tout changé. Il ajoute comme mentionné avant qu'il a eu un suivi thérapeutique. Il a utilisé ce dernier en pensant à sa sortie car il souhaitait être un exemple pour ses enfants.

Dans ce témoignage nous retenons le mot Ç tenir È. En prison, le cTMté affectif leur semble imposé et c'est pourquoi il faut Ç tenir È pour ne pas montrer ses sentiments et son affectivité en prison à une autre personne qu'à sa femme.

Doe des le début de l'entretien dit que la prison n'est pas un hTMtel, il le répétera plusieurs fois. Pour la derniére question, il raconte son besoin de renforcement de lui, s'être Çendurci È pour les mauvais moments qu'il pourrait vivre dehors. Il dit : (...) Ç On a toujours des... pas des combats mais toujours moyen de... toujours une petite embrouille, on a toujours quelqu'un qui nous prend la tête, avec qui on s'prend la tête. J'pense ca m'a encore plus renforcé... les mauvais cTMtés de la prison, m'ont bien renforcé. È. Puis il ajoute Ç(...) Faut toujours qu'on se renforce un minimum pour pas s'faire bouffer. Parce qu'y'a toujours des imbéciles qui jouent qu'à ca, c'est de démolir les autres. Donc si on, si on se renforce, ils nous ont pas. È.

Il rajoute à la fin de notre rencontre qu'il doit vérifier sans arrêt s'il a toutes ses affaires sur lui en exprimant : Ç C'est p't'être la méfiance de tout et de tout le monde. (...) È.

Doe pense qu'il a pris certaines habitudes en prison et cela l'énerve car il n'arrive pas à s'en débarrasser.

Il nous semble que Doe doit d'abord s'assurer du lien pour pouvoir exprimer ses besoins, ses émotions. Il semblerait qu'à cause de ses expériences sensibles vécues en prison, il ne se permet pas de se montrer tel qu'il est maintenant qu'il est sorti de prison.

Doe pense qu'il a muri pendant son incarcération, il raconte : « Ben, disons que jÕai enormement muri. JÕsuis rentre là-bas avec une mentalite dÕado et encore... JÕsuis ressorti avec une mentalite dÕhomme de mon %oge. (...) Meme une gardienne, ellememe qui mÕa dit, pÕtÕêtre quoi, pÕtÕetre au bout dÕun an, elle mÕa dit en ouvrant la porte, ben on sÕest mis à parler avec la gardienne, elle mÕa dit : « t'as bien changé toi È. En arrivant, tÕetais un vrai con. ».

Dès le début de son récit, il dit qu'il faut montrer une certaine force aux autres détenus. Ce qu'il semble avoir fait tout au long de son incarcération en se retenant pour ne pas entrer dans des conflits, parce que plusieurs fois, il nous a dit qu'il n'avait pas un tempérament calme mais de Ç foncer dans le tas ».

Il apparait pour Doe que c'était bien de s'endurcir, de « tenir » en prison. Car à l'extérieur quand il existe des situations difficiles, il semble les gérer différemment. En même temps, il se dit être méfiant pour tout maintenant qu'il est dehors.

Cet exemple illustre ce qu'a décrit Maldiney : « C'est l'événement qui exige après coup d'être intégré dans une nouvelle configuration de possibles et non pas nous qui décidons librement de changer la tournure du monde. »78 Doe a pris les Ç mauvais cTMtes de la prison » pour les utiliser en sa faveur à l'extérieur. En même temps, il est énervé de garder des habitudes de détenu.

En ce qui concerne Raphael, il y a eu une incidence dans sa relation avec les femmes.

Il pense qu'il a découvert une dépendance à la relation. Il dit s'être aperçu que si une relation se termine, ce n'est pas grave .

Il nous confie : Ç (...) a veut pas dire que je nÕai pas besoin mais je sais que je peux vivre sans, et donc euh...voilà...si ga doit se casser si jÕai une relation qui casse, je vais moins etre à cran, comme on dit comme un drogue qui...je me dis b on ben voilà je vais retrouver quelquÕun dÕautre, il faut attendre un laps de temps(...) ».

Puis il raconte ses premières sorties, la difficulté de con tenir son corps. Il illustre son expérience avec l'histoire d'une fille rencontrée dans une discothèque et avec qui il danse et se rend compte qu'il n'arrive pas à se contrôler, il parle de son érection et se sent vraiment mal, il no mme cela la honte.

A une de ses sorties de prison, une femme lui a dit qu'elle le trouvait « cochon ». Quant à lui, il ne sait pas si c'est l'%oge ou ses expériences de privation de liberté.

Il précise que lors de sa première libération il était plus facile de rencontrer quelqu'un. Il n'avait pas de problème à raconter son expérience carcérale car son acte avait été médiatisé. Maintenant, c'est plus difficile pour lui d'en parler avec une femme, il dit : « (...) Voilà les deux dernières fois je trouve que cÕest trop, trop.

CÕest ce qui... je veux pas dire qui mÕangoisse mais quand je connais une fille je me demande ce que je vais bien pouvoir lui dire. Déjà, si elle me demande de découcher

78 Texte public dans Les Lettres de la Societe de Psychanalyse Freudienne, Questions d'espace et de temps, n° 20, 2008, p. 45-55. Dastur, F., Temps et espace dans la psychose selon Henri Maldiney. Recupere le 2.03.2012. http://af.bibliotherapie.free.fr/Article%20F.Dastur.htm

un soir de semaine, je ne peux pas, il faut que je mÕarrange avec Monsieur r et

le week-end cÕest limite car je travaille encore le week-end. (..) Mais dÕun autre cTMte, si je lui dis, elle va avoir peur de moi, direct. ». Plus loin, il se dit être dans l'insécurité et trouve que c'est un frein pour sa sexualité et son affectivité.

Quand Raphael dit : « ce nÕest pas que je mÕangoisse » est-ce que peut-être, nous ne nous trouvons pas face à la finitude d'Heidegger (paragraphe 4.2 page 28) ?

Son expression d'une angoisse fondamentale (une angoisse face à la mort) qui le place face au néant. Rappelons-le, le néant n'est pas considéré par Heidegger comme négatif mais plutTMt comme un potentiel « d'Etre ». Raphael est probablement dans cette situation puisqu'il se trouve dans l'insécurité et se demande comment il va pouvoir raconter ses expériences carcérales aux personnes de sexe féminin.

Pour finir avec ce chapitre des questions suivies par un fil rouge, nous rappelons que nous avons vu les personnes interrogées avant les entretiens et que nous avions déjà pu aborder le sujet de l'affectivité et de la sexualité. Nous avons repris certaines questions qui étaient ressorties durant le repas et qui semblaient importantes car elles avaient déjà suscité un vif débat entre les personnes vivant en semi-liberté et nous.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius