WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Platon, l'Egypte et la question de l'à¢me

( Télécharger le fichier original )
par Frédéric Mathieu
Université Montpellier III - Paul Valéry - Master I de philosophie 2013
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

e. Divinité de l'âme

Hormis son immortalité, l'une des thèses majeures de Platon concernant l'âme, et sur laquelle Plotin se fera fort de revenir, atteste de sa dimension divine. Divinité de l'âme maintes fois évoquée à l'occasion de différents dialogues, dont le Timée, le Phèdre et le Théétète. Ainsi, dans le Timée, Platon assimile la partie intellectuelle de l'âme à un daimon, divinité intermédiaire du règne de Kronos :

Au sujet de l'espèce d'âme qui est la principale en nous, il convient d'observer que c'est Dieu qui la donne à chacun comme un daimon, c'est ce Génie dont nous avons dit qu'il habite dans la partie la plus élevée de notre corps. Or, en vertu de son affinité avec le ciel, cette âme, notre Génie, nous tire loin de la terre, car nous sommes une plante non pas terrestre mais céleste. En effet, c'est du côté où, pour la première fois, notre âme a pris naissance, que la divinité a suspendu notre tête, qui est ainsi la racine de tout le corps 499

Si l'âme est composée de trois éléments comme le démiurge l'a constituée : l'une divisible, l'autre indivisible et la troisième intermédiaire comme un mélange des deux, seule la partie supérieure de l'âme, en vertu de son indivisibilité même qui la rend incorruptible, est apparentée au divin et permet à l'homme d'accéder à la vie philosophique. Pour advenir en cet état, elle doit encore se purifier progressivement à la faveur d'un cycle de naissance (cf. Théétète). Alors est libéré de la matière, elle retourne à son origine pour renouer totalement avec sa nature divine. Une telle doctrine,

497 Platon, Phèdre, 246a.

498 Platon, Phèdre, 245c-246 b.

499 Platon, Timée, 90a.

153

surtout sa relecture par le néoplatonisme semble en adéquation avec la doctrine égyptienne5oo Chez ces derniers, effectivement, le défunt ayant passé avec succès l'épreuve de la psychostasie devient un dieu, s'identifie au dieu. Il devient « Dieu en Dieu » pour paraphraser maître Eckhart, et tous les autres dieux en cela que tous les autres dieux ne sont jamais que les diverses représentations d'un seul et unique Dieu. Comme précisé dans le Phèdre de Platon, l'âme ainsi béatifiée se nourrit de vérité et s'alimente de justice (la malt égyptienne). Doit-on alors admettre que Platon a hérité des Égyptiens cette conception divine de l'âme ? Rien n'est moins sûr. Celle-ci existe encore une fois déjà chez les orphiques. Déjà chez les orphiques, la palingénésie exprime le retour de l'âme à sa source de même que le défunt retourne au créateur dans l'eschatologie de l'Égypte antique.

Déjà chez les orphiques, l'initié entend se libérer à terme de son corps putrescible, et des souillures, et des souffrances terrestres pour prétendre à la pureté et à la félicitée divine. D'où l'exigence de bonne conduite qui doit être une préoccupation constante lors de la vie terrestre, en tant qu'elle conditionne la purification et finalement la rédemption. L'effort doit être poursuivi au fil de plusieurs existences, au cours d'une expiation prolongée au gré de nouvelles naissances durant des milliers d'années, interrompue chaque fois par l'injustice qui marque l'âme à fin que, délivrée enfin de ses tourments, l'âme retourne à son origine, point de départ de son voyage. Pur esprit et esprit purifié, elle regagne alors la place qui est la sienne dans le séjour des dieux d'où elle était tombée. « Je me suis enfuie du cercle des peines et des tristesses », lit-on dans l'une des trois tablettes d'or datée du We ou du IIIe s. avant J.-C., qui furent placées en des tombeaux dans le voisinage de l'antique Thurium, contrée qu'on pensait par ailleurs hospitalière aux pythagoriciens. L'âme affranchie se réjouit d'avoir « subi la peine complète de ses oeuvres d'iniquité ». « Implorant son secours », elles avancent désormais vers « la reine des lieux souterrains, la sainte Perséphone, et vers les autres divinités de l'Hadès ». Se glorifiant d'appartenir à leur « race bienheureuse », elle leur demande de l'envoyer maintenant «dans les demeures des innocents », et elle attend d'elles la formule fatidique : «

500 Bien qu'également avec l'orphisme. Selon le mythe orphique, l'homme est un composé des chairs souillées des titans foudroyés par Zeus, et de Zagreus dévoré par ses pairs (pratique d'omophagia). C'est à Zagreus que renvoie l'étincelle divine, le fragment du logos présent en l'homme ; et aux titans, êtres impurs, que réfère ce « tombeau » (sema) en quoi consiste un corps (sôma). Le corps est donc perçu comme le « chiffre du malheur d'exister », gardant par lui la trace d'une faute originelle. Ce motif récurrent de l'exil de l'âme (divine) dans la matière (source d'illusions) pourrait avoir partie liée avec le gnosticisme antique. Il explique, en tout état de cause, que le "soi divin" soit capable de mal et souffre dans des corps mortels : « cela vient des mauvais titans qui s'emparèrent de Dionysos nouveau-né, le déchirèrent, le bouillirent, le rôtirent, le mangèrent, et furent eux-mêmes immédiatement consumés par la foudre de Zeus ; de leurs restes fumant jaillit la race humaine, qui hérite ainsi des tendances horribles des titans, tempérée par une infime portion de la substance de l'âme divine, la substance de Dionysos, qui oeuvre encore en elle comme un "soi occulte" » (E. R. Dodds, op. cit., p. 159).

154

Tu seras déesse et non plus mortelle »501 Ainsi, déjà chez les orphiques, l'initié devient dieu, et le devient par sa proximité sinon par sa fusion avec la déesse Perséphone :

Je viens pur de chez les purs, ô reine des infernaux, ô vous, Euklès, Euboulès et autres dieux immortels. Car je me flatte d'être de votre race bienheureuse. Mais le destin m'a frappé, ou la foudre lancée des étoiles. Je me suis envolé du cycle endeuillé des douleurs et, de mes pieds rapides, j'ai abordé à la couronne désirée. Je me suis plongé dans le sein de la souveraine, la reine souterraine.s°2

L'initié devient dieu en Perséphone de la même manière que le défunt égyptien tout en conservant son nom personnel, devient (un) Osiris en fusionnant avec Osiris5°3 Osiris, dieu des morts et de la végétation comme l'est Perséphone chez les Grecs. La référence à l'Égypte ne serait donc pas requise pour rendre compte de la nature divine et immortelle de l'âme, non plus que de la palingénésie ou de la fusion avec le Dieu.

De l'orphisme archaïque, nous savons peu de choses. Les lamelles d'or gravées datées de la fm du Ve s. avant J.-C nous apprennent qu'à l'orphisme s'associait un certain mode de vie, une «pratique de soi », pour employer ici un terme réhabilité par Foucault504 Par une initiation, aidée d'une véritable ascèse, il s'agissait d'oeuvrer à une purification de l'aspirant5°5 Cette purification passait par une déprise du corps. Ceci, en vue de permettre à son âme de s'affranchir du corps, de réchapper à son exil terrestre et de renouer avec la contemplation divine5°6 Ici s'esquisse une démarche de « conversion à

501 Thurii, II A 2, trad. G. P. Carratelli, op.cit.

502 Thurii, idem, op.cit.

503 Promu au rang de dieu, s'assimilant au dieu, le défunt prend alors le nom d' « Osiris--N », où « N » réfère à son identité terrestre.

5°4 P.-M. Foucault, Dits et Écrits, vol. 2 : 1976-1988, Paris, Gallimard, Quarto », 2001.

5°5 A. Bernabé, F. Graf et alii, The "Orphie." Gold Tablets and Greek Religion. Further Along the Path, Cambridge, Radcliffe G. Edmonds III, 2011.

506 Platon, dans son discours du Phèdre, semble placer dans la bouche de Socrate des conceptions semblables. L'âme, précise-t-il, ne peut revenir au lieu dont elle fut exilée et retrouver ses ailes qu'au terme de dix mille ans d'épreuves passées en diverses existences dans le monde des vivants. Ce qui n'exdut pas que des régimes spéciaux puissent être réservés aux plus méritantes d'entre elles. Ainsi les âmes qui se sont purifiées en menant trois fois d'affilée une vie philosophique et empreinte de justice pourront prétendre à un retour prématuré au bout de trois mille ans (Platon, Phèdre, 249a seq.). Si néanmoins leur cycle de réincarnation pourra être abrégé, il ne paraît pas être question pour ces âmes virginales de béatitude définitive. Cette difficulté pose la question de savoir s'il peut jamais y avoir une prénotion de « fin de l'histoire » ou d'eschatologie dernière au sein d'une conception cyclique de la temporalité. Il y a ici un pas que ne franchit pas Platon, et qui ne sera sans doute franchi qu'avec le judaïsme et son Dieu historique, qu'avec le christianisme et son Dieu créateur, qu'avec l'apparition du temps conçu selon l'analogie d'une droite (cf. E. Kant, Critique de la raison pure, Déduction transcendantale, § 24, trad. A. Renault, Paris, éd. Flammarion,

155

soi » très similaire à l'épistrophè platonicienne. Se constate également chez les orphiques une certaine importance donnée à la mémoire, laquelle s'hypostasie en Mnémosyne qui renvoie à l'origine divine de l'âme et rappelle l'initié au souvenir des existences antérieures. C'est, chez Platon, le rôle de l'anamnèse, tandis que la divinité de l'âme, du nous, est attestée par sa simplicité ; ses réincarnations font l'objet d'une explicitation en bonne et due forme dans le mythe d'Er le Pamphylien, mythe eschatologique qui clôt la République 507. Ce dernier mythe distingue au reste deux fleuves dans l'au-delà : l'une est la source de Mnémosyne, qui donne le souvenir aux initiés ; l'autre est la source du fleuve Léthé, qui donne l'oubli aux profanes. Les lamelles évoquent encore le voyage et l'épreuve de l'âme après la mort. Un autre point fondamental pour ce qui nous concerne, est la nécessité qui se présente pour l'âme de subir un jugement, un examen dès son arrivée dans l'au-delà. Le motif du jugement tel qu'exposé dans le Gorgias, ainsi que la plus grande partie des thèmes développés dans ce

coll. G-F, 2006). Cette conception cyclique du temps était également celle des Égyptiens anciens, comme en témoigne le passage dit de la « cosmotélie », figurant au chap. CLXXV du Livre des Morts. Le défunt, devenu l'« Osiris N », y interpelle le créateur, soucieux de sa longévité dans le séjour des dieux (!) : « -- Mon visage va voir le visage du Seigneur du Tout ! Mais qu'en est-il de ma durée de vie ? ». Et ce dernier de lui répondre « -- Tu es destiné à des millions de millions [d'années], à une durée de vie de millions [d'années]. Mais je vais détruire tout ce que j'ai fait. Ce pays va redevenir Noun et magma, comme lors de son état premier. Car je suis Celui qui subsiste en compagnie d'Osiris après avoir pris la forme d'autres vipères que les hommes ne connaîtront pas et que les dieux ne verront pas » (Le Livre des Morts des anciens Égyptiens, chap. CLXXV, trad. et éd. P. Barguet, Paris, Cerf, 1967, p. 260-263. Nous soulignons). Le dieu annonce ici la fin d'un cycle ; il fait état d'une destruction qui marquera un retour à l'état originel, suivi d'une renaissance, d'une apocatastase, du commencement d'un nouveau cycle. Cette destruction peut faire songer aux cataclysmes qui ravagent périodiquement le cosmos de Platon à chaque passage d'un Âge à l'autre, et qui s'achèvent en apothéose avec la grande conflagration au terme de la Grande année cosmique. La palingénésie serait donc une doctrine égyptienne autant que platonicienne. Platonicienne, en tant que Platon en aurait hérité des traditions orphiques (cf. Proclus, Commentaire sur La République de Platon, L. II, 338. Voir également G. Zuntz, Persephone. Three essays on religion and thought in Magna Graecia, Oxford, Clarendon Press, 1971, p. 321 et 337). Une tradition dont il n'ignorait rien, si l'on en juge par l'exposé qu'il en propose dans le Phédon: « Il existe une antique tradition [l'orphisme], dont nous gardons mémoire, selon laquelle les âmes arrivées d'ici existent là-bas [dans l'Hadès, l'Au-delà], puis à nouveau font retour ici même et naissent à partir des morts. S'il en va de cette façon, c'est à partir de ceux qui moururent un jour que les vivants naissent à nouveau, [...] les vivants ne proviennent d'absolument rien d'autre que des morts [...] Ce point, ne l'examine pas seulement à propos des hommes, mais aussi à propos de tous les animaux, de toutes les plantes et, plus généralement, de toutes les choses comportant un devenir » (Platon, Phédon, 40a). Pour ce qui concerne le terme de « cosmotélie » retenu pour désigner le pendant égyptien de la palingénésie platonicienne, c'est à l'égyptologue J. Assmann que nous devons sa première utilisation dans D. Hellholm (éd.), Apocalypticism in the Mediterranean World and the Near East, Tübingen, Uppsala, 1983, p. 353. Sur cette thématique particulière et sur les rapprochements possibles pouvant être explorés entre ces conceptions et celles admises par l'auteur des Dialogues, cf. S. Schott, « Altâgyptische Vorstellungen vom Weltende », dans Analecta Biblica n°12, Rome, Pontificio Istituto Biblico 1959, p. 319-330 ; G. Lanczkowski, « Eschatology in Ancient Egyptian Religion », dans Proceedings of the He Intern. Congress for the History of Religions, Tokyo, Maruzen, 1960, p. 129-134 et L. Kakosy, « Schüpfung und Weltuntergang in der âgyptischen Religion », dans Studia Aegyptiaca, n°7, Budapest, Acta Antigua Acad. Scient. Hung., 1981, p. 55-68.

507 Platon, République L. X, 614c seq.

156

dialogue, dans l'Apologie de Socrate, dans la République, pourrait bien être par conséquent directement inspiré de la tradition orphico-pythagoricienne. A supposer que Platon ait bien été influencé par l'orphisme ou le pythagorisme, ou par l'orphisme par le pythagorisme, une éventuelle inspiration égyptienne apparaît superflue pour expliquer tout à la fois la thèse de l'immortalité de l'âme et celle de sa divinité. La piste égyptienne semble corrélativement se réduire comme peau de chagrin. Le recours à l'Égypte comme source d'inspiration possible ne semble plus nécessité pour expliquer la présence chez Platon de thématiques qui n'étaient pas partagées par la majorité des Grecs.

Des sources « littéraires »

Après avoir fait cas d'éventuels emprunts doctrinaux à des courants religieux grecs, reste à examiner s'il se trouve également dans la littérature grecque proprement dite -- qu'il s'agisse d'épopée, de tragédie ou d'autres gens lyriques -- des références à un jugement des âmes antérieures à Platon. Cette partition, nous en avons conscience, pourrait paraître artificielle dans la mesure où la littérature ne constitue pas un genre tout à fait exempt de dimension religieuse. Il n'est qu'à prendre pour exemple l'oeuvre d'Homère, oeuvre épique s'il en est, mais saturée de références mythologiques. L'écriture synthétique qu'exige ici notre entreprise ne nous permettra pas de faire un tour complet d'une bibliographie éminemment riche pour ce qu'il nous en reste, et que l'on peut supposer avoir été beaucoup plus abondante encore. Une recension plus complète de ces passages relatifs à l'eschatologie grecque peut néanmoins être consultée dans l'ouvrage de Ludovicus Ruhl, De Mortuorum Judicio 5o8 Nous nous tiendrons, pour nous, à quelques-uns des grands auteurs de l'Antiquité grecque.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore