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Redevance incitative et gestion des déchets en habitat social

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par Victor Bailly
Université de Franche-Comté - Master 2 Analyse et gestion des politiques sociales 2012
  

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    Université de Franche-Comté
    Département de sociologie
    MASTER 2 « Analyse et gestion des politiques sociales »
    Spécialité Sociologie

    Redevance incitative et gestion des déchets ménagers en

    habitat social collectif. Le cas de la Communauté

    d'Agglomération du Grand Besançon.

    Victor BAILLY

    "Si notre or est fumier, en revanche, notre fumier est or."

    Victor Hugo, Les misérables, 5e partie, Livre 2e « L'intestin de Léviathan », chapitre I « La terre appauvrie par la mer ».

    Mémoire encadré par Mr Christian Guinchard, McF HDR en sociologie à l'Université de Franche-Comté (Laboratoire de Sociologie et d'Anthropologie, UMR CNRS 5605) et soutenu le Vendredi 28 juin 2013 devant le jury composé de Mr Florent Schepens.

    2

    3

    Remerciements

    Au terme de ce travail qui est le fruit d'un stage de six mois à la direction gestion des déchets de la Communauté d'Agglomération du Grand Besançon (CAGB) et qui s'inscrit dans le prolongement de mes travaux de Master 1, la rédaction des remerciements est un moment plaisant qui symbolise l'achèvement partiel d'un cheminement à la fois intellectuel, relationnel et universitaire.

    J'exprime, en premier lieu, ma gratitude à l'ensemble de mes « collègues » de la direction gestion des déchets : du directeur de service aux ripeurs en passant par les référents territoriaux, tous m'ont accueilli chaleureusement et aidé à saisir des éléments essentiels pour mon travail. Entre autres, je remercie Anne-Sophie d'avoir accepté de partager son bureau avec moi, d'avoir eu la patience de répondre à mes nombreuses questions et surtout de m'avoir fourni un appui solide par ses relectures. Surtout, j'adresse une profonde reconnaissance à Yves, mon maître de stage, qui m'a permis d'intégrer son service et a pris part au « jeu » de la recherche sociologique avec curiosité et enthousiasme. Enfin, les résultats présentés dans ce mémoire seraient bien maigres si les quatre conseillers en habitat collectif - Fabien, Claire, Mathilde et Noémie - n'avaient pas alimenté mon étude en me faisant part de leurs riches observations et en m'emmenant volontiers avec eux sur le terrain. Cette collaboration avec des agents de la CAGB m'a permis d'ancrer ma recherche dans une perspective pragmatique s'éloignant le moins possible des problématiques auxquelles ces acteurs sont confrontés.

    Ensuite, je tiens à remercier mon directeur de mémoire Christian Guinchard qui a su m'apporter les conseils nécessaires lorsque j'exprimais des doutes sur les orientations de mon travail.

    Ma reconnaissance s'adresse également à tous les acteurs de terrain que j'ai rencontré et qui se sont toujours efforcés de prêter une oreille et une parole attentives à mes questionnements. Les gardiens sans qui je n'aurais jamais pu saisir toute la profondeur de mes terrains d'enquête. Mais aussi les habitants qui m'ont ouvert leur porte avec bienveillance et qui se sont efforcés de répondre à mes questions parfois saugrenues. Je n'oublie pas non plus les travailleurs sociaux et les représentants associatifs qui m'ont appuyé dans ma démarche.

    Aussi, je voudrais remercier particulièrement les membres de ma famille qui se sont trouvés impliqués, plus ou moins directement, dans ce travail : ma mère qui, à travers ses relectures, a non seulement contribué à l'élaboration de ce mémoire mais, surtout, m'a apporté un soutien moral infaillible ; mon frère et colocataire Julien qui a également relu quelques parties de ce texte et m'a préparé à manger les soirs où je restais accroché à mon ordinateur pour travailler. Pour finir, je dédie ce travail à ma grand-mère qui, depuis tout petit, m'a transmis des valeurs qui ne sont pas étrangères au choix de mon sujet d'étude.

    4

    5

    Sommaire

    Lexique 8

    Introduction 11

    Chapitre 1 - Méthodologie d'enquête 14

    Chapitre 2 - Contextualisation de l'objet d'étude 25

    I. Le déchet : un indicateur social total ? 25

    II. Rappel historique : le déchet, une invention urbaine 28

    III. Institutionnalisation de la gestion des déchets ménagers 30

    IV. La construction sociale de la figure de l'usager 32

    1. Renversement de la figure de l'usager 32

    2. Dimension processuelle dans la mise en place des politiques de tri et émergence de la

    problématique de l'habitat collectif 34

    3. Comment atteindre l'usager ? Accompagnement, communication de proximité et

    communication de masse. 34

    Chapitre 3 - La gestion des déchets ménagers à Besançon 38

    I. Mémoire locale 38

    II. 1999 : Instauration d'une REOM au volume du bac et mise en place de la collecte sélective 40

    III. 2012 : Instauration d'une redevance incitative avec pesée embarquée 43

    IV. Etat de la collaboration avec les bailleurs sociaux 47

    V. Comment atteindre l'usager en habitat social collectif ? 48

    Chapitre 4 - Le rôle des gardiens dans la gestion des déchets ménagers 51

    I. Les gardiens-concierges : une mission historique de contrôle social 51

    II. Définition du métier et identité professionnelle 53

    III. Valoriser ou subir le sale boulot 55

    IV. Un rôle d'ajustement 60

    Chapitre 5 - Représentations et pratiques des usagers en milieu HLM relégué 65

    I. L'absence de normes partagées pour réguler les modes d'habiter 65

    II. Les différentes pratiques de tri et les discours afférents 69

    1. Typologie des usagers en habitat social relégué 69

    2. Un principe de prévention marginal, des pratiques de réutilisation ancrées dans des valeurs

    populaires 73

    3. Le tri : un processus complexe 74

    III. Les représentations du tri 76

    IV. La carrière de trieur 79

    V. L'interaction directe pour lutter contre l'information en vase clos 82

    6

    Conclusion 85

    Bibliographie 87

    Annexe 1 : photos des sites 91

    Annexe 2 101

    7

    8

    Lexique

    ADEME = Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie

    CAGB = Communauté d'Agglomération du Grand Besançon

    CUCS = Contrat Urbain de Cohésion Sociale

    DEEE = Déchets d'Equipements Electriques et Electroniques

    DGD = Direction Gestion des Déchets

    OMR = Ordures Ménagères Résiduelles

    PAV = Point d'Apport Volontaire

    PRU = Programme de Rénovation Urbaine

    REOM = Redevance d'Enlèvement des Ordures Ménagères

    RI = Redevance Incitative

    SPED = Service Public d'Elimination des Déchets

    SYBERT = Syndicat mixte de Besançon Et de sa Région pour le Traitement des déchets

    TEOM = Taxe d'Enlèvement des Ordures Ménagères

    TGAP = Taxe Générale sur les Activités Polluantes

    Bac gris/bleu = poubelle destinée à recevoir les ordures ménagères résiduelles Bac jaune = poubelle destinée à recevoir les emballages ménagers recyclables

    Redevance incitative et gestion des déchets ménagers en

    habitat social collectif. Le cas de la Communauté

    d'Agglomération du Grand Besançon.

    10

    11

    Introduction

    Ce mémoire de Master 2 s'inscrit dans le prolongement de celui que nous avions réalisé dans le cadre de notre Master 1. Ce dernier portait sur la gestion des déchets ménagers en milieu urbain et s'intéressait plus particulièrement aux opérations de compostage collectif bisontines mises en place par le SYBERT (Syndicat mixte de Besançon Et de sa Région pour le Traitement des déchets) avec l'appui de l'association Trivial Compost. Notre étude des représentations et pratiques des guides composteurs1 avait mis à jour la façon dont ce public renversait la symbolique mortifère habituellement attachée au déchet. En effet, la connaissance de la provenance des déchets organiques traités et l'acquisition de compétences spécifiques sur le compostage permettent d'annihiler les représentations négatives et la charge émotive liées à la manipulation de la matière en décomposition. La symbolique de l'ordure est donc inversée grâce à sa réintégration au cycle des matières : ce n'est plus un objet innommable et répugnant dont il faut à tout prix se débarrasser mais, au contraire, un sous-produit valorisable par le biais d'un processus de transformation maîtrisé. L'immondice passe ainsi d'un pouvoir destructeur associé à la mort à un pouvoir fécond associé à la vie. Cette étude nous avait donc permis d'observer le rapport au déchet d'une population qui répond le « mieux » aux prescriptions émises par les politiques publiques, notamment à travers le Grenelle de l'environnement. Pour élargir notre vision des logiques des usagers, nous avons choisi cette année d'inverser notre angle d'approche en nous focalisant sur la gestion des déchets ménagers en habitat social collectif, type d'habitat où les performances des collectes sélectives sont les moins élevées. Ainsi, le choix de ce sujet d'étude répond à trois enjeux principaux qui sont à la fois théoriques et pratiques.

    Tout d'abord, au niveau théorique, nos travaux cherchent à s'inscrire dans la réflexion transversale relative aux conditions de fabrication de la ville durable. Malgré le consensus qui prend forme autour de la nécessité d'un développement durable urbain, il n'est pas toujours évident de traduire cette position discursive partagée en actions concrètes et, même lorsque c'est le cas, des difficultés se posent pour juger de la « durabilité » de ces actions. Le développement durable reste un concept flou, une notion théorique qui est pourtant supposé pouvoir se matérialiser par des réalisations pratiques. Ainsi, le meilleur moyen pour saisir ses modalités d'application concrètes reste l'étude empirique des politiques environnementales mises en oeuvre à l'échelle d'un territoire. Telle est notre ambition avec l'étude du cas de la

    1 Les guides composteurs sont les habitants référents au sein d'un immeuble qui, après avoir suivi une formation d'une journée, assurent le « bon » fonctionnement de leur site de compostage.

    12

    Communauté d'Agglomération du Grand Besançon (CAGB). Aussi, la gestion des déchets s'inscrivant dans un cadre domestique, nous souhaitons apporté notre maigre contribution aux recherches sociologiques sur les modes d'habiter et les formes de régulation de l'espace résidentiel en les mettant en perspective avec les performances des collectes sélectives.

    Ensuite, le choix de notre terrain d'étude n'est pas anodin : la CAGB fait figure de ville pionnière en matière de gestion des déchets ménagers puisqu'elle est la première collectivité française à dimension urbaine à avoir instauré une redevance incitative pour le financement de son système public d'élimination des déchets (SPED). Par ce biais, elle a même anticipé les prescriptions du Grenelle de l'environnement qui préconise à l'ensemble des collectivités territoriales compétentes l'instauration d'une tarification incitative à l'horizon 2014. Cette tarification incitative peut revêtir deux formes : celle d'une redevance ou celle d'une taxe. Dans tous les cas son montant varie en fonction de l'utilisation réelle du service d'enlèvement des ordures ménagères par l'usager (principe pollueur-payeur), c'est-à-dire généralement en fonction du poids de déchets produits et/ou du volume du bac et/ou du nombre de ramassages. Jusqu'alors, c'est surtout le système de la redevance incitative qui a été expérimenté et qui a largement fait ses preuves en milieu rural2. En revanche, la question de son application en milieu urbain reste en suspens du fait de la prépondérance de l'habitat vertical. Or, ce mode d'habitat ne se prête pas à une individualisation de la facture logement par logement puisque les conteneurs poubelles et les coûts afférents au service public d'élimination des déchets ménagers sont partagés par tous les résidents sur la base d'une répartition au tantième qui ne traduit donc pas l'utilisation réelle du service de chaque ménage. Face aux nombreuses interrogations persistantes quant à la portée d'application de la RI en milieu urbain, de nombreuses collectivités rechignent à instaurer un tel mode de financement du SPED. Notre recherche prétend donc contribuer à la production de retours d'expériences sur la RI en habitat collectif afin d'aider à alimenter la réflexion des collectivités qui s'interrogent sur l'opportunité d'adopter ce système.

    Enfin, notre travail s'inscrivant dans le cadre d'un stage à la Communauté d'Agglomération du Grand Besançon, il est bien évidemment destiné à produire de l'expertise en direction des techniciens et des agents de la direction gestion des déchets (DGD). Par une logique de distanciation, l'analyse sociologique remet en cause certains présupposés et permet aux acteurs institutionnels de saisir avec davantage de profondeur les logiques qui guident les comportements des usagers. Alors que les discours institutionnelles construisent une figure de

    2 Cf. l'exemple de la Communauté de Communes de la Porte d'Alsace.

    l'usager chimérique et singulière (l'éco-citoyen, le consomm'acteur, l'usager trieur), l'investigation du sociologue est en mesure de mettre à jour la variété des profils et des logiques des usagers3.

    Pour répondre à ces différents enjeux nous avons adopté une problématique plurielle qui se décline dans les différentes parties de notre mémoire. Après avoir présenté le cadre méthodologique dans lequel s'inscrit notre enquête, nous commencerons par contextualiser notre objet d'étude, préalable indispensable pour la compréhension des enjeux à la fois techniques et sociaux que sous-tendent la problématique de la gestion des déchets ménagers et les différentes politiques publiques afférentes. Ensuite, nous verrons comment se construisent les politiques de développement durable au niveau local à travers le cas de la gestion des déchets ménagers à Besançon. Puis, nous nous intéresserons de façon plus spécifique à la gestion des déchets ménagers en milieu urbain relégué en nous focalisant sur le rôle d'un acteur clé dans les opérations de collecte sélective en habitat collectif : le gardien. Enfin, nous tenterons de saisir l'articulation entre les représentations et les pratiques des usagers en habitat social collectif.

    13

    3 Nos travaux s'adressent donc à différents publics qui ont peu ou prou l'habitude de dialoguer, c'est pourquoi j'espère que la lecture de ce document ne sera pas trop « technique » pour le sociologue, trop « sociologique » pour le technicien et trop ennuyeuse pour le néophyte.

    14

    Chapitre 1 - Méthodologie d'enquête

    Comme le soulignent Stéphane Beaud et Florence Weber, « les "données" d'enquête ne sont pas analysables en dehors de leur contexte de production »4, qu'il s'agisse du contexte réflexif propre à l'enquêteur, du contexte local qui constitue le terrain d'investigation, ou du contexte des relations d'enquête (c'est-à-dire le rapport enquêteur-enquêtés). C'est pourquoi nous tenterons de restituer, de façon chronologique, la démarche intellectuelle qui a sous-tendu les orientations successives de notre recherche. Ce choix est d'autant plus justifié que nous avons suivi un cheminement d'enquête inductif qui ne peut être mis à jour dans ses grandes étapes qu'a posteriori. Bien qu'un certain cadre réflexif ait joué le rôle de fil conducteur, le recueil des matériaux de terrain s'est fait selon les opportunités et les obstacles qui se sont présentés à nous. Enquêter c'est « saisir des occasions », « saisir des chances »5, sans pour autant que cela s'opère de façon anarchique.

    Cadre théorique et méthodologique : l'approche ethnographique

    La démarche qui a animé notre recherche s'ancre dans une perspective interactionniste qui se situe à la croisée de la démarche ethnographique, de l'échelle microsociologique et de l'ambition de la sociologie pragmatique. Notre objectif était de saisir les représentations et pratiques des usagers en habitat social6 par le bas afin de les rendre intelligibles aux yeux du technicien territorial. Ce cadre, à la fois théorique et méthodologique, se justifie par le fait que l'interactionnisme symbolique « accorde une place théorique à l'acteur social en tant qu'interprète du monde qui l'entoure et, par conséquent, met en oeuvre des méthodes de recherche qui donnent priorité aux points de vue des acteurs. Le but de l'emploi de ces méthodes est d'élucider les significations que les acteurs eux-mêmes mettent en oeuvre pour construire leur monde social. »7.

    Alors que la figure de l'usager apparaît sous une forme relativement homogène et standardisée aux yeux du technicien, l'intérêt de l'investigation sociologique consiste à restituer « les visions d'en bas plus variées qu'on ne le croit »8. Surtout, la microsociologie, en adoptant un point de vue complémentaire à la macrosociologie, permet de confronter des

    4 BEAUD Stéphane, WEBER Florence, Guide de l'enquête de terrain, Paris : La Découverte, avril 2010, p. 17.

    5 Ibid., p. 107.

    6 Nous utiliserons indifféremment les terminologies d'usager, de locataire ou d'habitant pour désigner la population au centre de notre analyse.

    7 COULON Alain, L'école de Chicago, Paris : PUF, Que sais-je ?, 2012 (1992), p. 16.

    8 BEAUD Stéphane, WEBER Florence, op. cit., p. 7.

    15

    enjeux plus larges - tels que la mise en place d'une politique de tri - aux « conditions sociales des micro-changements qui touchent les acteurs de l'espace domestique »9 et qui s'expriment à travers l'apparente trivialité des gestes du quotidien. Ainsi, comme le signale Gérard Bertolini à propos des services urbains, notamment en matière de gestion des déchets ménagers, « la sociologie ne doit pas être tenue à l'écart de l'analyse, ni de l'opérationnel, alors que le génie urbain tend traditionnellement à privilégier les sciences de l'ingénieur, dites "dures", par rapport aux sciences humaines, dites "molles". [...] Le recours au sociologue permet d'élargir le champ de vision ou de porter un regard plus profond, de remettre en cause certains présupposés. »10.

    Néanmoins, l'approche ethnographique n'a pas pour ambition d'obtenir des résultats généralisables sur une large population qui aient valeur de loi universelle mais s'intéresse plutôt à des groupes sociaux circonscrits dans le temps et l'espace dans l'intention de mettre en relief « des "processus" et des "relations" [...] : sous telle et telle condition, dans tel ou tel contexte, si tel événement (action) a lieu, alors tel autre événement (réaction) devrait suivre. »11. En l'occurrence, les processus qui nous intéressent concernent les raisons qui poussent un usager à consentir ou refuser de s'investir dans le tri de ses déchets, à connaître ou méconnaître la problématique de la gestion des déchets ménagers telle qu'elle est définie institutionnellement par la CAGB. De cette façon, l'identification et la compréhension des logiques de l'usager sont susceptibles de provoquer une prise de distance chez le technicien, d'alimenter sa réflexion et ainsi déboucher sur la transformation de son mode d'action à travers la construction d'une approche et d'outils adaptés aux réalités du terrain.

    Familiarisation avec le milieu enquêté

    Toute démarche ethnographique nécessite une phase préparatoire, préliminaire à un investissement plus important sur le terrain, qui consiste à se familiariser avec le milieu enquêté, ses codes, ses spécificités. Avant de s'intéresser aux usagers, il nous a d'abord été indispensable de prendre connaissance des acteurs qui sont régulièrement au contact des usagers afin de mieux appréhender le type de relations qu'ils entretiennent avec ces derniers, leur rôle dans la gestion des déchets et aussi bénéficier de leurs retours d'expérience. De ce fait, les premières semaines de notre stage ont été consacrées à des visites de terrain et de

    9 DESJEUX Dominique, « Post-face. Les espaces sociaux du déchet : une microsociologie du quotidien encastrée dans le macro-social. », in PIERRE Magali [dir.], Les déchets ménagers, entre privé et public. Approches sociologiques., Paris : L'Harmattan, 2002, p. 176.

    10 BERTOLINI Gérard, « Les services urbains : un problème un peu technique, beaucoup économique, et passionnément socioculturel », Rapport pour la communauté urbaine du Grand Lyon, Novembre 2009, p. 13.

    11 BEAUD Stéphane, WEBER Florence, op. cit., p. 249.

    16

    nombreux échanges avec les conseillers en habitat collectif12 et les techniciens de la CAGB, à la participation à des réunions concernant le dispositif d'accompagnement à la mise en place de la RI en habitat collectif, à la rencontre de gardiens et personnels administratifs des bailleurs sociaux. Globalement, les contacts avec tous ces acteurs ont été très riches et instructifs, l'identité de stagiaire étant un atout sur lequel nous nous sommes appuyés. En effet, l'assimilation à ce statut d'étudiant néophyte, à laquelle nous avons volontiers souscrit, a permis de dissiper la domination symbolique que peut exercer le chercheur sur la population enquêtée. L'envie manifeste d'aider le « jeune stagiaire » a rapidement autorisé l'établissement de relations de confiance et de collaborations fructueuses avec les acteurs rencontrés. Mieux, certains techniciens de la CAGB qui disposent d'une formation d'ingénieur se sont littéralement pris au jeu de la recherche sociologique, intrigués et stimulés par une approche scientifique et un matériau avec lesquels ils ont peu l'habitude de composer.

    Définition et présentation du terrain d'enquête

    Cette phase préparatoire a également été l'occasion de réaliser une première ébauche de notre méthodologie d'enquête en nous appuyant sur nos premières observations et nos lectures. Nous avons décidé, d'un commun accord avec notre maître de stage, que l'investigation porterait sur quatre immeubles répondant à des critères de sélection variés, notamment :

    - la densité (nombre de logements par immeuble),

    - la logique de peuplement (taux de rotation, taux de vacance),

    - les résultats au niveau de la collecte sélective (taux de tri),

    - l'aménagement des locaux poubelles (externalisés ou internalisés, dépôt direct ou dépôt par trappe, accès sécurisé ou accès libre, gaine vide-ordures),

    - le bailleur social propriétaire du bâtiment (Grand Besançon Habitat, Habitat 25, Néolia, SAIEM B),

    - la localisation (zones CUCS, différents quartiers).

    Ces critères définis, nous nous sommes appuyés sur les conseillers en habitat collectif et des agents administratifs des bailleurs sociaux pour repérer des immeubles sur lesquels nous

    12 Dans le cadre de son programme d'accompagnement à la mise en place de le redevance incitative en habitat collectif, la CAGB a recruté quatre « conseillers en habitat collectif » chargés de mettre en oeuvre cette opération.

    17

    nous sommes ensuite rendus pour visiter les lieux en compagnie du gardien et échanger avec lui. De cette façon nous avons retenu les quatre sites présentés dans le tableau ci-après13.

    Sites

    Critères

    Immeuble n°1

    Immeuble n°2

    Immeuble n°3

    Immeuble n°4

    Localisation

    Cité Brulard (ZUS)

    Planoise (ZUS)

    Palente (ZUS)

    Battant (zone

    CUCS)

    Densité

    Forte (237

    logements)

    Forte (environ 130 logements)

    Moyenne (30

    logements)

    Faible (13

    logements)

    Logique de
    peuplement

    Taux de
    rotation

    Elevé

    Elevé

    Faible

    Faible

    Taux de
    vacance

    Elevé, progresse

    chaque année

    Moyen, tend à

    diminuer

    Nul

    Nul

    Taux de tri

    Entre 4 et 8 %

    Entre 3 et 7 %

    Entre 20 et 35 %

    Aucune donnée

    Aménagement
    des locaux
    poubelles

    Abris extérieurs

    avec accès libre par trappes.

    Local intérieur

    avec accès libre par

    trappes via
    l'extérieur

    (incorporées à la
    façade du bâtiment)

    Local intérieur

    avec accès sécurisé par badge et gaine

    vide-ordures pour
    les OMR.

    Bacs pour OMR dans cour intérieur.

    Point d'apport

    volontaire (PAV)

    pour les déchets
    recyclables.

    Bailleur social

    Grand Besançon

    Habitat

    Habitat 25

    Néolia

    SAIEM B

    Pour compléter et surtout approfondir cette présentation synthétique des quatre sites retenus, il est primordial d'affiner la description en s'intéressant à ce que Jean-Yves Authier nomme des « effets de quartier »14. Autrement dit, il s'agit de montrer en quoi la logique de peuplement et les spécificités socio-économiques d'un espace urbain influent sur les pratiques et représentations des populations qui y résident.

    La cité Brulard a vu le jour au début des années 1960 et a principalement accueilli des rapatriés de la guerre d'Algérie ainsi que des populations rurales de la région. Quartier confiné, renfermé sur lui-même, coincé entre deux collines (le Fort de Chaudanne et le Fort de Rosemont) et un axe de circulation (rue du Général Brulard), il subit depuis les années 1980

    13 Pour des photos des sites et de l'aménagement des locaux poubelles, cf. Annexe 1.

    14 AUTHIER Jean-Yves, « La question des « effets de quartier » en France. Variations contextuelles et processus de socialisation », in AUTHIER Jean-Yves, BACQUE Marie-Hélène, GUERIN-PACE France [dir.], Le quartier. Enjeux scientifiques, action politique et pratiques sociales, Paris : La Découverte, 2006, p. 206-216.

    18

    un processus de relégation15 qui n'a fait que s'accentuer jusqu'à aujourd'hui. Malgré une opération de rénovation du bâti au milieu des années 1990, le taux de vacances est en constante augmentation depuis plusieurs années, atteignant 37 % de logements inoccupés16 sur une des trois barres d'immeuble, ceci alimentant commérages et rumeurs des locataires sur une possible opération de démolition et poussant les élus à se questionner sur l'avenir du quartier. Les habitants de la cité Brulard sont soit ceux qui ne disposent pas d`autres choix résidentiels, soit ceux qui entretiennent un profond attachement à ce quartier17, soit ceux qui craignent de ne pas retrouver un logement aussi spacieux s'ils font une demande à Grand Besançon Habitat18, ces différentes raisons pouvant se cumuler. Comme nous l'avons entendu à maintes reprises de la bouche des locataires et des travailleurs sociaux, « les gens préfèrent Planoise ». L'enclavement et l'espace restreint du quartier créent une atmosphère pesante dans ce « village » de 1100 habitants qui compte une population fortement précarisée19 composée en grande partie de primo-arrivants, de jeunes et de familles monoparentales.

    Planoise, excroissance de la ville de Besançon située à l'Ouest, a été bâti au milieu des années 1970 et constitue aujourd'hui le quartier le plus peuplé avec ses 20 000 habitants. Il s'agit d'une « ville dans la ville » et, bien qu'étant excentré du centre et clairement délimité par de grands axes routiers (la rue de Dole au Nord et la voie des Montboucons à l'Est) et une colline au Sud (Fort de Planoise), le quartier de Planoise conserve une certaine attractivité avec la zone commerciale de Chateaufarine à l'Ouest, l'hôpital Jean Minjoz et une zone industrielle au Nord, Micropolis à l'Est. Au sein de cet espace aménagé selon les codes de l'architecture fonctionnaliste, les Planoisiens ont développé une identité singulière et, malgré la mauvaise réputation du quartier, ces derniers s'accordent, dans l'ensemble, à dire qu'« on vit plutôt bien à Planoise ». Grâce au relatif dynamisme du quartier, le processus de relégation y est moins accentué qu'à la cité Brulard et se concentre principalement sur certains secteurs

    15 DONZELOT Jacques, « La ville à trois vitesses : relégation, péri-urbanisation, gentrification », in Esprit, mars-avril 2004 : n° 303, p. 14-39.

    16 Chiffres fournis par Grand Besançon Habitat lors de la plateforme Grette-Butte du 15/03/13.

    17 Bien que cet attachement soit fortement empreint d'ambivalence, les populations qui ont été déracinées de leur milieu d'origine (rural ou pays étranger) lorsqu'elles sont arrivées à la Cité Brulard dans les années 1960, 1970 ou 1980, ont peu à peu recréé de nouveaux repères au sein de cet espace. Pour eux, quitter la cité serait donc synonyme d'un nouveau déracinement, d'un nouvel exode, avec tous les chamboulements identitaires que cela implique.

    18 Le taux de vacance permet paradoxalement aux locataires de bénéficier d'une offre de logement plus variée avec des surfaces habitables plus conséquentes qu'ailleurs.

    19 En 2009, le revenu médian par unité de consommation était de 6 260 euros par an, soit un montant presque trois fois inférieur au revenu médian par unité de consommation enregistré sur la ville de Besançon (17 805 euros). Il convient également de noter que ce revenu médian a chuté de 8,9 % entre 2007 et 2009, alors que dans le même temps le revenu médian communal augmentait de 3,1 %. Pis, le premier quartile du revenu par unité de consommation s'élevait seulement à 2 209 euros en 2009 et a connu une baisse de 30,6 % entre 2007 et 2009, ce qui traduit une forte paupérisation de la frange inférieure des habitants de la cité Brulard. Source : Secrétariat général du Comité Interministériel des Villes, système d'information géographique, http://sig.ville.gouv.fr/.

    19

    et certains bâtiments dont fait partie l'immeuble enquêté. La population de Planoise se caractérise par la représentation d'une grande diversité d'origines culturelles, une proportion élevée de primo-arrivants, de jeunes et de familles monoparentales. Elle connait également, pour une grande part, des difficultés économiques liées au fort taux de chômage ainsi qu'à une certaine paupérisation20. La morphologie du quartier est en train de changer profondément avec le programme de rénovation urbain (PRU) et le futur passage du tramway.

    A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la ville de Besançon ne s'étend que timidement en dehors de ses fortifications21. A l'image de la situation nationale - parc immobilier détruit à 20 % durant la guerre, logements vétustes, poussée démographique, exode rural - les besoins en logements sont criants et les projets immobiliers vont peu à peu absorber les campagnes aux alentours. Pour répondre à cette crise aigue du logement, la municipalité bisontine entreprend la construction d'une pléthore de logements HLM sur une zone champêtre au Nord-Est de la ville : c'est ainsi qu'est créé le quartier de Palente. Les immeubles qui sont alors construits forment de longues barres ne dépassant pas quatre étages22. Palente dispose d'une identité forte qui fait la fierté de ses habitants23. Au niveau démographique, la population du quartier se caractérise par une surreprésentation de personnes âgées et n'est pas vraiment sujette à un processus de paupérisation. Le quartier est donc bien intégré à la ville et ne connait pas de phénomène de relégation.

    Enfin, en ce qui concerne Battant, nous ne détaillerons pas les caractéristiques socio-économiques de ce quartier puisque, pour des raisons que nous évoquerons plus loin, nous avons été amenés à exclure l'immeuble n°4 de nos recherches.

    20 Le revenu médian par unité de consommation (8 084 euros) y était plus de deux fois inférieur au revenu médian par unité de consommation enregistré sur la ville de Besançon en 2009 et a connu une baisse de 4,6 % entre 2007 et 2009. Bien qu'elle soit moins marquée qu'à la cité Brulard, on remarque aussi une paupérisation importante de la frange inférieure des Planoisiens.

    21 Jusqu'alors, les zones de construction se limitent aux abords du centre historique (Boucle et Battant) avec notamment les quartiers de la Butte, de Viotte et des Chaprais.

    22 Dans les années 1950, soit au début de la construction des grands ensembles, l'ascenseur n'est pas encore très répandu dans les opérations immobilières, ce qui explique que les constructions ne dépassent guère les trois ou quatre étages à Palente.

    23 C'est notamment à travers le conflit LIP en 1973 que Palente a entériné cette image de quartier populaire disposant d'une force collective et s'est fait connaître dans toute la France. Aujourd'hui cet épisode fait encore la gloire du quartier et est volontiers accaparé par la municipalité ou la région pour promouvoir leur image de « territoire d'innovation sociale ». Cf. JEANNEAU Laurent, « La Franche-Comté, laboratoire d'innovation sociale », in Alternatives économiques Poche, 2010 : n° 44.

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    Limites de la méthodologie d'enquête et dimension heuristique des blocages de terrain

    Concomitamment à la sélection des sites, nous avons été amenés à définir a priori une méthodologie d'enquête sans pour autant figer notre démarche et nos outils d'investigation. Celle-ci s'articulait autour de deux phases d'enquête :

    - Dans un premier temps, des visites répétées sur les immeubles sélectionnés et des échanges réguliers avec les gardiens qui en ont la charge nous ont permis d'acquérir une connaissance plus fine du terrain. Ce travail préalable auprès des gardiens s'est clôturé par la passation d'un entretien semi-directif avec chacun d'eux ;

    - Dans un second temps, nous comptions sur les gardiens pour nous introduire auprès des locataires et ainsi nous donner accès aux logiques des usagers.

    Toute méthodologie ou problématisation initiale, définie a priori, est généralement naïve car elle s'appuie bien souvent sur des représentations erronées (voire fantasmées) du chercheur. Néanmoins, comme nous allons tenter de le démontrer, les blocages de terrain possèdent une dimension heuristique dans le sens où c'est la confrontation et l'écart entre nos présupposés et la réalité du terrain qui nous a permis d'interroger nos cadres de perception, de tirer des enseignements et de faire avancer notre recherche24.

    Lors de la première phase de notre enquête, qui a consisté à comprendre dans quelle mesure et sous quelle forme les gardiens s'investissent dans le bon fonctionnement de la gestion des déchets ménagers sur leurs sites (collectes sélectives, gestion des encombrants, dépôts sauvages), le terrain s'est présenté ouvert, accueillant et même chaleureux. Les gardiens ont su dégager du temps pour nous décrire finement leurs pratiques et nous livrer sans réserve leurs réflexions sur le sujet. S'intéresser au travail des gardiens c'est valoriser leurs compétences, leurs savoir-faire et leurs savoir-être. C'est aussi reconnaitre leur identité de « débrouillard », leur réflexivité face à l'autonomie qui leur est conférée dans leurs missions, leurs perpétuels ajustements pour répondre aux relations et situations variées auxquelles ils sont confrontés quotidiennement25. Les gardiens se situant vers le bas de la hiérarchie dans l'organigramme des bailleurs sociaux, l'oreille attentive du sociologue a aussi été un moyen détourné de faire remonter leurs observations de terrain avec un surcroît de légitimité afin qu'elles soient davantage prises en compte par les personnels administratifs de leur bailleur social et par les agents de la CAGB. Assurément, pour que la collaboration

    24 Comme le relèvent d'ailleurs très justement Stéphane Beaud et Florence Weber à travers les conseils qu'ils prodiguent : « C'est cet écart qui fait sens sociologiquement, c'est cela qu'il vous faudra travailler dans l'analyse. ». BEAUD Stéphane, WEBER Florence, op. cit, p. 233

    25 MARCHAL Hervé, Le petit monde des gardiens concierges. Un métier au coeur de la vie HLM, Paris : L'Harmattan, Logiques sociales, 2006, 228 p.

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    enquêteur-enquêtés fonctionne, il faut toujours qu'il y ait un minimum d'intérêts réciproques. L'utilisation de l'outil d'investigation sociologique qu'est l'entretien semi-directif est venue parachever notre travail auprès des gardiens et nous a permis de consolider les données déjà recueillies à travers nos observations et nos échanges. De fait, les entretiens nous ont autorisé à approfondir notre compréhension du sens que les gardiens confèrent à leurs tâches quotidiennes et aux pratiques, conformes ou déviantes, des locataires26. En outre, les discours recueillis possèdent, dans une certaine mesure, une valeur de « preuve »27 permettant d'illustrer le propos sociologique et d'éviter toute surinterprétation de la part du chercheur.

    Néanmoins, nous avons directement rencontré des blocages de terrain dès qu'il nous a fallu entrer en contact avec des usagers. Tout d'abord, il n'était pas aisé pour les gardiens de nous introduire auprès des locataires et, lorsque cela s'avérait possible, nous n'avions accès qu'à un échantillon d'alignés28, c'est-à-dire des locataires se conformant aux attentes et prescriptions du bailleur. En effet, pour conserver une certaine emprise sur ses locataires, le gardien adopte une position relativement neutre par le réglage de la distance à l'usager29. Dès lors, introduire des locataires non-alignés auprès du sociologue comporte un risque de compromission de sa stratégie d'acteur car cela reviendrait à stigmatiser des individus déviants qui, d'une part, refuseraient surement de se confier au sociologue et, d'autre part, risqueraient d'interpréter cette entreprise comme un affront auquel il faut riposter sous peine de perdre la face. La médiation du gardien ne s'avérait donc pas judicieuse pour avoir accès à la population des non-trieurs car, même si l'un d'entre eux accepte d'ouvrir sa porte à l'enquêteur, il refusera surement d'affirmer devant un émissaire du gardien qu'il ne trie pas ses déchets. En réalité, le gardien est le garant de l'ordre, du respect des règles collectives sur l'immeuble et, en même temps, il est le mieux placé pour apporter une réponse aux petits problèmes du quotidien que rencontrent les locataires et fait ainsi le lien entre les locataires et le « monde des bureaux ». Par conséquent, il est préférable pour l'habitant d'adopter la figure du « bon locataire » en déclarant trier ses déchets pour ne pas être jugé négativement par le gardien et conserver son soutien en cas d'ennuis avec les agents administratifs ou en cas de besoin de menus travaux dans l'appartement. Prenant acte de ces difficultés, nous avons alors tenté d'aller directement à la rencontre des locataires par le biais du porte-à-porte mais, dès

    26 BLANCHET Alain, GOTMAN Anne, L'enquête et ses méthodes : l'entretien, Paris : Armand Colin, 2012, p. 25.

    27 Ibid., p. 111.

    28 MARCHAL Hervé, op. cit., p. 104.

    29 Reprenant les travaux d'Erving Goffman dans Asiles, le réglage de la distance à l'usager peut se définir, dans le cas des gardiens, comme un jeu entre proximité (sans tomber dans le piège de la compassion) et distance (sans perdre l'emprise sur les usagers) vis-à-vis des locataires pour se préserver dans leur « fonction de « tampon », « toujours en première ligne » ». Ibid., p. 111-112.

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    les premières tentatives, nous n'avons connu que des déconvenues. La technique du porte-à-porte n'est adaptée que dans le cas d'une offre d'information à l'usager (comme le conseiller en habitat collectif qui vient sensibiliser les locataires) alors qu'une demande d'information (« Comment gérez-vous vos déchets ? ») renforce la suspicion du locataire face à son interlocuteur et paralyse davantage l'établissement d'une relation de confiance propice à la collecte de données.

    Réorientation de la stratégie d'enquête et diversification des informateurs-relais

    Ces blocages de terrain nous ont donc amené à opérer une réorientation de notre stratégie d'approche des locataires en diversifiant les informateurs-relais. Conséquemment, nous nous sommes appuyés sur des acteurs variés afin d'appréhender le milieu enquêté avec un point de vue plus large qui ne se cantonne pas aux seuls locataires qui daignent nous répondre et qui sont, pour une grande majorité, des trieurs :

    - Des habitants avec qui nous avions tissé des liens, un ripeur Mahorais résidant à Planoise pour aller à la rencontre des habitants originaires de Mayotte et des Comores.

    - Les conseillers en habitat collectif que nous avons suivi dans leurs opérations de sensibilisation en porte-à-porte afin d'observer les réactions des usagers et de prendre contact avec certains d'entre eux.

    - Des animateurs et travailleurs sociaux de la maison de quartier qui nous ont fait part de leurs observations sur le sujet et aidé à rencontrer des habitants.

    - Des représentants d'associations du quartier qui ont une connaissance très fine des lieux puisqu'ils y habitent et s'y investissent.

    Finalement, à une méthodologie stéréotypée (introduction par le biais du gardien, échanges avec des usagers, passation d'entretiens) incapable de répondre aux contingences du terrain a succédé une méthodologie diversifiant largement les angles d'approche et principalement fondée sur l'observation. Seul un entretien a été réalisé avec une locataire - qui nous semblait représenter un cas idéal-typique - afin de pouvoir convoquer son discours et ainsi donner une forme plus concrète à notre propos30. Notons toutefois que ces blocages de terrain ont seulement concerné l'immeuble n°1 (cité Brulard) et l'immeuble n°2 (Planoise) et que ce sont justement ces difficultés qui nous ont poussé à concentrer nos investigations sur ces deux sites, restreignant ainsi le champ de notre étude à la gestion des déchets ménagers en milieux

    30 Bien que l'enquête par entretien soit « utilisée prioritairement dans tout ce qui est investigation des logiques de l'usager », « les pratiques les plus ordinaires se prêtent difficilement » à cet exercice puisque « les enquêtés littéralement ne "voient" pas ce qu'ils font ; le travail reposera alors principalement sur l'observation. ». BLANCHET Alain, GOTMAN Anne, op. cit., p. 25 ; BEAUD Stéphane, WEBER Florence, op. cit., p. 155.

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    relégués31. Ce choix se justifiait par le fait que, notre travail portant sur les logiques de l'usager, étudier les milieux qui sont les plus éloignés des rationalités institutionnelles comporte une dimension plus instructive quant à la compréhension du mode de réception (ou non réception) des politiques publiques par les citoyens.

    De ce fait, nous avons été très vite amenés à exclure l'immeuble n°4 (Battant) de notre enquête pour plusieurs raisons : d'une part, la population résidant dans ce logement collectif n'a pas du tout le même profil socio-économique que dans les deux premiers immeubles (classe moyenne) et, d'autre part, les modalités de pratique du tri diffèrent largement par rapport aux trois autres sites32. Quant à l'immeuble n°3 (Palente), la logique de peuplement à l'oeuvre dans ce logement collectif contraste fortement avec celle observée à la cité Brulard et à Planoise : les locataires sont majoritairement des retraités qui occupent leur logement depuis plus d'une dizaine d'années et ont adopté un mode d'habiter qui se rapproche davantage de la résidence privée en quartier pavillonnaire que du HLM des grands ensembles. Ainsi, une simple après-midi de porte-à-porte nous a permis de rencontrer aisément les locataires et, à travers les discours recueillis, nous nous sommes rapidement aperçus de la prégnance des mécanismes de contrôle à l'oeuvre dans la régulation des comportements collectifs (appropriation des parties communes, stigmatisation et ségrégation des quelques locataires déviants, transmission entre voisins des informations concernant le tri, surveillance des allers et venues au sein de l'immeuble par quelques locataires « gendarmes »). Ainsi, nos investigations sur l'immeuble n°3 nous ont surtout servi, par contraste, à mieux mettre en relief la situation anomique qui règne sur les deux sites de la cité Brulard et de Planoise. C'est d'ailleurs ce constat qui nous a fait promptement abandonner notre approche de terrain initiale qui consistait, dans une perspective microsociologique, à sélectionner une cage d'escalier sur chacun de ces deux immeubles pour mener nos investigations sur une échelle restreinte. En effet, nos observations ont montré que, dans le cas d'espaces qui connaissent un déficit de régulation sociale (immeuble n°1 et n°2), la cage d'escalier ne correspond pas à une réalité sociologique, c'est-à-dire qu'elle ne constitue pas une échelle pertinente dans l'établissement de relations sociales et dans la régulation des comportements. Les mécanismes de

    31 A trop vouloir diversifier l'échantillon, on risque de s'interdire l'étude de liens de causalité plus spécifiques, plus profonds en se cantonnant à une approche comparatiste de surface.

    32 Contrairement au reste de l'agglomération, le centre-ville de Besançon ne dispose pas d'une collecte sélective par bacs. Les habitants de la Boucle et de Battant doivent emmener leurs déchets recyclables jusqu'à des points d'apport volontaire. Nous pouvons présumer que cette différence matérielle dans l'accès au service influence le comportement des usagers. L'étude de l'interférence des dispositifs techniques et des modalités de collecte sur les pratiques des usagers aurait constitué un objet de mémoire singulier. C'est pourquoi nous avons préféré écarter ces aspects pour ne pas nous laisser noyer sous un flot de problématiques hétérogènes.

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    construction d'une identité collective prennent corps sur des échelles plus larges : le bâtiment, le secteur et surtout le quartier.

    Avant de nous intéresser à la gestion des déchets ménagers à Besançon, notamment en habitat social collectif, il est essentiel de rappeler à quel point le déchet est un très bon « révélateur social » en évoquant comment cette thématique est généralement abordée par les sciences sociales. Dans cette perspective, nous verrons que la notion de déchet prise dans son acception moderne est le fruit des processus connexes d'urbanisation et d'industrialisation. Enfin, nous verrons comment les politiques publiques ont opéré une construction sociale de la figure de l'usager et élaboré des stratégies pour emporter son adhésion au tri.

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    Chapitre 2 - Contextualisation de l'objet d'étude

    I. Le déchet : un indicateur social total ?

    De tous temps, l'activité des hommes a produit des déchets, des restes, des chutes. C'est d'ailleurs à travers ces rebuts que l'archéologie, science des restes, « cherche les traces de modes de vie des communautés humaines du passé. »33. Dans la même perspective, la sociologie s'est inspirée de l'approche archéologique afin de montrer que « les déchets pouvaient être utilisés comme des indicateurs sociaux "totaux" laissant voir les dimensions essentielles de la société qui les produit et les consomme. »34. Par conséquent, les matières déchues révèlent certains traits du rapport au monde d'un individu ou d'un groupe social.

    Jacques Soustelle, ethnologue et ancien élève de Marcel Mauss, se souvient d'une phrase que ce dernier aimait répéter à ses étudiants : « Ce qu'il y a de plus important à étudier dans une société, ce sont les tas d'ordures »35. Cet aphorisme nous permet de présumer que notre rapport aux déchets, et plus largement aux rebuts, miasmes, immondices, constitue un phénomène social total au sens maussien, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un phénomène par lequel « s'expriment à la fois et d'un coup toutes sortes d'institutions : religieuses, juridiques et morales - et celles-ci politiques et familiales en même temps ; économiques et celles-ci supposent des formes particulières de la production et de la consommation, ou plutôt de la prestation et de la distribution ; sans compter les phénomènes esthétiques auxquels aboutissent ces faits et les phénomènes morphologiques que manifestent ces institutions »36. Cette définition du phénomène social total reste assez floue et, selon Camille Tarot, qui a consacré une grande partie de ses travaux au décryptage de l'oeuvre de Marcel Mauss, « le fait social total, c'est une curiosité bien maussienne pour les zones de pénombre non fréquentées entre les disciplines, pour les interstices négligés ; c'est aussi le refus des hiérarchies

    33 LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, Des déchets et des hommes, Paris : Desclée de Brouwer, 1999, p. 15. Dans cet ordre d'idée, André Leroi-Gourhan fait remonter la naissance de l'espace domestique à partir de la mise à distance des rebuts : « l'homme de Neandertal était encore un rustre, vivant entouré des carcasses de son gibier, qu'il repoussait à peine autour de lui. Vers trente mille ans avant notre ère, un saut qualitatif considérable se produisit, une véritable révolution, avec le stockage des détritus à l'extérieur du logement : l'espace du chez-soi était radicalement séparé de l'ordure. [...] Ce geste produisit vraiment une extension remarquable du système d'ordre et une sophistication de la pensée qui lui était liée. ». LEROI-GOURHAN André, Le geste et la parole. Tome 2 : La mémoire et les rythmes, Paris : Albin Michel, 1965, p 150.

    34 Ibid.

    35 SOUSTELLE Jacques, Les quatre Soleils, Paris : Plon, Terre Humaine, 1967, p. 22 cité in HARPET Cyrille, Du déchet : philosophie des immondices. Corps, ville, industrie., Paris : L'Harmattan, 1999, p. 21.

    36 MAUSS Marcel, « Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques. », in Sociologie et anthropologie, Paris : PUF, 1950, p. 147.

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    prématurées dans l'explication de phénomènes qu'on ne sait pas encore décrire intégralement »37. Tel est le cas avec la problématique des déchets qui constitue un sujet d'investigation délaissé, rétif à toute systématisation, d'où des travaux assez limités sur cette question et qui sont caractérisés par une multitude d'approches très disparates.

    En sciences sociales, les thèses anthropologiques de Mary Douglas38 constituent souvent le point de départ théorique de la majorité des développements sur les déchets. La curiosité intellectuelle de Mary Douglas sur la notion de souillure a vu le jour pendant son étude de terrain parmi les Leles du Kasai dans l'ex-Congo belge. Elle est alors « frappée par les lourdes règles diététiques qui régissent leur alimentation »39 et est ainsi amenée à porter sa réflexion sur les interdits alimentaires qui caractérisent chaque culture. Pour elle, ces interdits ne sont pas intrinsèquement liés à la nature de l'aliment prohibé mais servent plutôt à définir un ordre symbolique unifiant le groupe en traçant des frontières communes entre le propre et le sale, le pur et l'impur. Finalement, pour reprendre une terminologie empruntée à la sociologie de l'alimentation, au principe d'incorporation40 répond le principe de pollution, c'est-à-dire qu'un individu ou un groupe affirme son identité propre autant par ce qu'il intègre que par ce qu'il rejette. Il n'est d'ailleurs pas anodin que le célèbre dicton de Jean Anthelme Brillat-Savarin - « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es » - se soit transformé en « Dis-moi ce que tu jettes, je te dirai qui tu es » chez les chercheurs en sciences sociales s'intéressant à la problématique des déchets. Ainsi la saleté est un concept relatif qui désigne « ce qui n'est pas à sa place », ce qui est une menace à l'ordre symbolique d'un individu ou d'un groupe déterminé et la lutte contre la saleté est un acte positif, créateur, qui vise à organiser notre milieu, à imposer une unité à notre expérience, à maintenir une cohésion psychique ou sociale.

    Reprenant les postulats de Mary Douglas à travers une approche psycho-sociologique, Dominique Lhuilier et Yann Cochin révèlent que « l'excrément se présente comme le prototype du déchet »41 car celui-ci s'inscrit « dans les toutes premières étapes de la construction du schéma corporel »42. En effet, le nourrisson ne sait pas contrôler son sphincter et ne possède aucune notion du propre et du sale. C'est donc par un processus d'apprentissage

    37 TAROT Camille, « Du fait social de Durkheim au fait social total de Mauss », in Revue du MAUSS, 1996 : n°

    8, p. 78.

    38 DOUGLAS Mary, De la souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou, Paris : La Découverte, 2001 (1966), 206 p.

    39 TEIXIDO Sandrine, « Mary Douglas : anthropologie de l'impur », in Sciences Humaines, 1/2005 : n° 156, p. 51.

    40 FISCHLER Claude, L'homnivore, Paris : Odile Jacob, 1990, 414 p.

    41 LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, op. cit., p. 94.

    42 Ibid.

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    que ses parents lui transmettront les références culturelles qui lui permettront de comprendre le comportement qu'il doit adopter face à l'immondice. En l'occurrence, on lui apprendra que tous ses excréta physiologiques (matière fécale, urine, salive, etc.) sont impurs et que son corps doit constamment être débarrassé de cette souillure. La socialisation primaire nous apprend à faire la distinction entre le sain et le malsain qui seront dès lors naturalisés, c'est-à-dire vécus sur le mode de l'évidence. Au sein de ces oppositions sémantiques binaires (sale / propre, impur / pur...), les ordures ménagères se rangent du côté des excréments car, comme ceux-ci, elles sont le résidu de ce que nous avons incorporé et que l'on rejette à la marge43. Ainsi, la gestion de ces excréta tant physiologiques que matériels, devient un réflexe que l'on accomplit quotidiennement.

    Ce réflexe est d'autant plus complexe à changer que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale les ordures tendent à se dérober à notre vue (généralisation des poubelles, de la collecte en porte à porte, des décharges contrôlées, des incinérateurs...), ce qui en fait une sorte « d'impensé social ». Nos recherches bibliographiques sur ce sujet en fournissent la preuve : une grande partie des articles que nous avons pu trouver sur les sites CAIRN et Persée44 s'intéressent à la problématique des déchets ménagers dans les pays dits « en voie de développement » car dans ces régions les rebuts s'offrent à la vue de tous et ne sont pas dissimulés derrière des poubelles, des camions, des usines ou des centres de stockage. En fait, les chercheurs s'intéressent souvent au problème des déchets dans une perspective hygiéniste, car, si nous raisonnions en termes de taille de gisement ou même de taux de recyclage, le problème des déchets se poserait avant tout dans les « pays développés à économie de marché » plutôt que dans les « pays en voie de développement »45. Bien que les médias et les élus locaux tirent régulièrement la sonnette d'alarme quant à l'envahissement du territoire français par les déchets, la dimension occulte du mode de traitement et de gestion des déchets tend à en faire un sujet de questionnement insipide pour le chercheur en sciences sociales.

    43 « Les rebuts de l'absorption concentrent la charge négative et épurent ainsi la part consommée. Une même opération frappe les contenants des produits alimentaires : chargés de rendre le produit attractif, ils sont, une fois vidés de leur contenu, dégoûtants, repoussants. ». LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, Des déchets et des hommes, Paris : Desclée de Brouwer, 1999, p. 68.

    44 Portails Internet de revues scientifiques en sciences humaines et sociales.

    45 Bénédicte Florin estime que les chiffonniers du Caire recyclaient jusqu'à 80 % des déchets municipaux de la capitale égyptienne avant que le gouvernorat du Caire délègue ce service à des sociétés privés européennes et égyptiennes qui enfouissent désormais la quasi-totalité de ces déchets dans le désert (le taux de recyclage de ces compagnies n'est pas supérieur à 2 %). Au titre de comparaison, l'Agence Européenne pour l'Environnement estimait à 35 % le taux de recyclage français en 2010. FLORIN Bénédicte, « Résister, s'adapter ou disparaître : la corporation des chiffonniers du Caire en question » in CORTEEL Delphine, LE LAY Stéphane [dir.], Les travailleurs des déchets, Toulouse : Érès, 2011, p. 79.

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    Ainsi, nos déchets ont beaucoup de choses à nous enseigner sur nos sociétés mais nous les prenons rarement pour objet d'étude, sûrement parce qu'ils constituent le clair-obscur de notre société productiviste, le revers de notre société de consommation46. Face à un monde qui produit de plus en plus de biens matériels et qui prétend trouver des solutions aux problèmes anthropiques par le biais de la technique, les déchets font tâche et menacent de désavouer la rationalité d'industriels qui peinent à maitriser les externalités négatives inhérentes au processus de production.

    II. Rappel historique : le déchet, une invention urbaine

    « Au plan économique, un déchet peut être défini comme une marchandise à prix négatif »47, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'échange monétaire pour acquérir l'objet mais, au contraire, échange monétaire pour se débarrasser de l'objet (le flux physique et le flux monétaire vont dans le même sens). Cependant, il n'en a pas toujours été ainsi et chacun s'accorde à dire que le gaspillage est un mal inhérent à nos présumées sociétés d'abondance48.

    En France, jusqu'au XXème siècle, la gestion des excréta s'inscrivait, en ce qui concerne le milieu rural, dans une économie domestique au sein de laquelle chaque reste, chaque chute trouvait une réutilisation. Ce n'est qu'à partir du XIXème siècle, que se pose la question de la gestion des résidus en milieu urbain49. Avec la Première Révolution Industrielle (1790-1870), le développement de l'industrie et la forte évolution démographique des grandes villes engendrent des besoins croissants en matières premières et denrées alimentaires. Or, l'absence de gisements naturels de matière première et le faible développement des moyens de transport impliquent la constitution d'une économie de la matière localisée qui s'appuie sur

    46 La notion de « société de consommation » est utilisée pour désigner une société au sein de laquelle les consommateurs sont incités à consommer des biens et services de manière abondante. Elle est apparue dans les années 1950-60, dans les ouvrages de l'économiste américain John Kenneth Galbraith (1908-2006) pour rendre compte de l'émergence des critiques du mode de vie occidental.

    Jean Baudrillard considère que, dans les sociétés occidentales, la consommation est un élément structurant des relations sociales dans le sens où cette dernière n'est plus un moyen de satisfaire des besoins mais plutôt une fin qui permet à l'individu de s'affirmer afin d'exister socialement. BAUDRILLARD Jean, La société de consommation, Paris : Folio essais, 2010 (1970), 318 p.

    47 BERTOLINI Gérard, Économie des déchets, Paris : Technip, 2005, p. 8

    48 Sur ce point, voir Marshall Sahlins qui affirme que les seules sociétés d'abondance qui aient pu exister dans l'histoire de l'Humanité sont les chasseurs-cueillieurs car ils ont beaucoup moins de besoins à satisfaire qu'un homme occidental. SAHLINS Marshall, Âge de pierre, âge d'abondance, Paris : Gallimard, 1976, 415 p.

    49 Notre propos sur l'historique de la gestion des déchets s'appuie principalement sur l'ouvrage de référence de Sabine Barles. BARLES Sabine, L'invention des déchets urbains. France : 1790-1970., Seyssel : Champ Vallon, Milieux, 2005, 297 p.

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    une forte imbrication entre ville, industrie et agriculture : les boues des villes sont transportées jusqu'à la campagne pour servir de puissant fertilisant ; les chiffons sont glanés par les chiffonniers pour servir à la fabrication de la pâte à papier ; les os permettent la fabrication d'une multitude d'objets utiles (peignes, boutons, manches divers) et servent aussi à l'élaboration du noir animal (utilisé dans le raffinage du sucre), de savons, d'engrais et d'allumettes (riche teneur en phosphate) ; etc. Bref, durant cet âge d'or du chiffonnage, rien ne se perdait et l'activité des chiffonniers, dans un premier temps informelle, s'est peu à peu structurée sous les allures d'une corporation à l'organisation relativement complexe.

    Avec la Deuxième Révolution Industrielle (1880-1950), l'intégration des activités à travers un cycle des matières reliant ville, industrie et agriculture tend à s'effriter : les résidus urbains sont concurrencés par les innovations technologiques qui permettent d'extraire des ressources de gisements naturels et les relations villes-campagnes se distendent du fait d'étalement urbain. La saturation progressive des débouchés pour ces matières marque un changement de paradigme que l'on peut comprendre à travers l'évolution de la sémantique attachée au mot « déchet ». Ce terme, qui existe depuis le XIIIe siècle et qui, étymologiquement, provient du verbe déchoir, désigne « ce qui tombe d'une matière travaillée par la main humaine », c'est-à-dire « ce que nous nommerions aujourd'hui des chutes »50. Le basculement de cette sémantique vers le « tout déchet », le « tout résidu est inutile » s'opère à la fin du XIXe siècle avec la deuxième révolution industrielle. Le principe qui est au coeur de la gestion des excréta urbains n'est plus l'optimisation de la réutilisation des matières déchues en circuit fermé mais leur destruction : « l'utilisation se fait traitement ; le traitement se fait destruction, désintégration ou élimination. ». Parallèlement, on voit apparaître une nouvelle catégorie d'excréta urbains que sont les ordures ménagères ou déchets ménagers et qui se distinguent de plus en plus des boues. Ceci peut s'expliquer par « la généralisation des trottoirs [qui] sépare physiquement ce qui vient de la chaussée et de la circulation de ce qui émane de la maison » et « la généralisation du système des boites [...] [qui] permet de distinguer définitivement et partout ce que les ménages produisent de ce qui vient de la rue. »51.

    50 BARLES Sabine, op. cit., p. 229.

    51 Ibid., p. 238.

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    III. Institutionnalisation de la gestion des déchets ménagers

    Le déchet passe ainsi d'une valeur positive (prix pour l'acquérir) à une valeur négative (prix pour s'en débarrasser), d'un état transitoire (en attente de valorisation) à un état définitif d'inutilité, de destitution. Dans ce mouvement, les grandes villes françaises commencent à s'organiser pour prendre en charge l'évacuation et l'élimination de leurs ordures à travers de nouveaux procédés techniques tels que la mise en décharge et l'incinération. Mais ce nouveau service peinera à s'étendre à l'ensemble des villes françaises et, surtout, aux campagnes, les contribuables étant hostiles au paiement d'une taxe finançant l'enlèvement de leurs ordures. Alors que les Trente Glorieuses voient la consommation exploser et, corrélativement, les flux de déchets augmenter considérablement, il faudra attendre les années 1980, c'est-à-dire quelques années après la première loi sur les déchets datant de 1975 et obligeant désormais les communes à mettre en place une collecte et une élimination des ordures ménagères, pour que l'ensemble du territoire français soit desservi au niveau du service de gestion des déchets ménagers. Cette mesure possède un double objectif : d'un part, assurer la salubrité au sein de tout l'espace national ; d'autre part, favoriser l'émergence et la consolidation d'un marché de l'environnement français compétitif sur le plan international à travers la constitution de grands groupes industriels tels que Sita, Veolia, Saur, ou encore Nicollin.

    Cependant, les solutions techniques privilégiées par les collectivités tendent à minimiser les coûts du service public d'élimination des déchets afin de ne pas subir la fronde de leurs contribuables peu enclins à financer ce genre de service52. Ainsi, le recyclage est presque absent de la politique française de gestion des déchets ménagers jusqu'à ce que la directive européenne n° 91-158 du 18 mars 1991 prévoie des objectifs dans ce domaine. Afin de ne pas supporter les contraintes du modèle de recyclage allemand qui impose une prise en charge directe des emballages par le producteur via un système de consignes, les industriels français se fédèrent autour d'Antoine Riboud pour créer un organisme qui aurait en charge de percevoir des contributions des producteurs afin d'aider les collectivités locales dans la mise en place d'une collecte sélective. Il s'agit d'Eco-Emballages qui voit le jour en 1992 avec pour objectif de parvenir à valoriser au moins 75 %, en masse, des déchets d'emballages ménagers à l'horizon 2002. La loi n° 92-646 du 13 juillet 1992 stipule également qu'à compter du 1er juillet 2002 les décharges ne seront autorisées à accueillir que des déchets ultimes, bien que la définition de la notion de déchet ultime prête encore parfois à confusion. Néanmoins, le

    52 S'il paraît normal à l'usager de payer pour acquérir un bien matériel, il lui est beaucoup plus difficile d'admettre de payer pour s'en débarrasser.

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    recyclage n'est pas encore consacré puisque le terme « valorisation » comprend à la fois la valorisation matière (recyclage, compostage) et la valorisation énergétique (incinération avec récupération d'énergie). Or, au cours des années 1990, l'incinération fait l'objet d'un désaveu croissant car l'opinion publique, alertée par des études épidémiologiques, s'aperçoit que les fumées chargées en dioxines sont très polluantes et ont des effets néfastes sur la santé humaine et les milieux naturels. Ceci encourage l'Union Européenne à légiférer en 2000 par le biais d'une directive européenne fixant de nouvelles normes aux unités d'incinération, notamment en ce qui concerne la filtration des fumées, et faisant ainsi exploser les coûts d'exploitation de ce procédé de traitement.

    Ainsi, en l'espace de dix ans, les deux procédés de traitement des déchets ménagers jusqu'alors privilégiés que sont la mise en décharge et l'incinération, sont consécutivement désavoués. Ce déficit de solutions techniques provoque un grand chamboulement dans la politique de gestion des déchets ménagers qui va désormais s'orienter vers une réduction à la source du gisement des déchets ménagers et un développement accru du recyclage. Le bon déchet n'est plus celui qu'on brûle pour produire de l'énergie, ni celui qu'on recycle, mais plutôt celui qu'on ne produit pas. Cette nouvelle orientation est concrétisée par l'article 46 de la loi Grenelle I, votée le 3 août 2009, qui pose des objectifs ambitieux, notamment la réduction de la production d'ordures ménagères de 7 % et la diminution de 15 % des quantités de déchets destinés à l'enfouissement ou à l'incinération à l'horizon 2014. Pour ce faire, des mesures techniques sont mise en place : augmentation de la TGAP53, mise en place de nouvelles filières de récupération et de traitement spécifiques (textiles, DEEE54, mobilier, etc.), incitation à la mise en place d'une tarification incitative au sein des collectivités territoriales compétentes, modulation des contributions des industriels aux éco-organismes en fonction de critères d'éco-conception, harmonisation de la signalétique et des consignes de tri sur le territoire national. De cette législation découle une nouvelle hiérarchie des modes de traitement qui consacre le principe des « 3R » : prévention (Réduction), préparation en vue du Réemploi, valorisation matière (Recyclage), valorisation énergétique (incinération avec récupération d'énergie), élimination (mise en décharge). Une deuxième hiérarchisation apparaît même pour le traitement des déchets résiduels qui doivent être traités prioritairement par incinération ou, à défaut, mis en décharge. Enfin, une troisième hiérarchisation concerne le traitement des déchets organiques : compostage de proximité (domestique ou collectif), méthanisation et compostage industriel.

    53 Taxe Générale sur les Activités Polluantes

    54 Déchets d'Equipements Electriques et Electroniques

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    IV. La construction sociale de la figure de l'usager

    Ces politiques publiques successives concernant la gestion des déchets ménagers dessinent peu à peu un système sociotechnique mobilisant une chaîne d'acteurs au sein de laquelle on assiste à une construction sociale de l'usager.

    1. Renversement de la figure de l'usager

    Les travaux de Lionel Panafit55 sur cette question montrent clairement que la loi de 1975 appréhende l'acteur « ménage » comme un être profondément irrationnel : ce dernier sollicite le recours à l'action publique pour le débarrasser de ses ordures tout en refusant de contribuer au financement d'une taxe qui servirait à cet effet. Ainsi, les usagers sont caractérisés par une irresponsabilité puérile et doivent ainsi rester cantonnés à une simple place de destinataires d'une politique publique « "globale" et "cohérente" »56. Cette conception a également servi à légitimer une réappropriation publique de la gestion des déchets ménagers en vue du développement de grands groupes industriels de l'environnement : en obligeant les collectivités territoriales à mettre en place un système public d'élimination des déchets, le législateur ouvre de nouveaux marchés publics à ces entreprises. La question des ordures ménagères n'est donc abordée que sous un angle technique relevant des sciences de l'ingénieur et « toute connaissance issue du rapport pratique aux déchets est ainsi purement et simplement ignorée ou délégitimée. »57.

    Avec le développement des collectes sélectives suite à la loi de 1992, nous assistons à une redéfinition de la figure de l'usager sur fond de montée en puissance de la question écologique. Parallèlement à l'invention de la notion d'écocitoyenneté émerge la figure de l'usager trieur. D'abord évincé des politiques publiques de gestion des déchets ménagers, l'usager devient le premier acteur à mobiliser dans la chaîne du recyclage alors que, paradoxalement, il est le plus déconnecté des enjeux inhérents à la politique de recyclage qui touchent d'abord les industriels et les collectivités territoriales compétentes. Situé au début de cette chaîne, il doit désormais adapter ses gestes quotidiens aux consignes de tri imposées en bout de chaîne selon les capacités techniques des industriels du recyclage58. Les années 1990

    55 PANAFIT Lionel, « Les déchets, un bien public, un mal privé. » in PIERRE Magali [dir.], Les déchets ménagers, entre privé et public. Approches sociologiques., Paris : L'Harmattan, 2002, p. 19-45.

    56 Ibid., p. 21.

    57 Ibid.

    58 TAPIE-GRIME Muriel, « Coopération et régulation dans les collectes sélectives des ordures ménagères », in Sociologie du travail, 1998 : vol. 40, n°1, p. 67.

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    marquent un mouvement de responsabilisation du citoyen à travers toute une production discursive institutionnelle promouvant l'adoption d'éco-gestes au quotidien. Derrière ce nouveau vocable et ces orientations politiques se cache l'idée selon laquelle la transition écologique59 ne peut s'opérer qu'en modifiant la demande du consommateur qui, conséquemment, obligera les industriels à adapter leur offre à des critères de production plus écologiques. En effet, face à un système de production globalisé revêtant une organisation complexe et défendant ses intérêts propres à travers une intense action de lobbying, il semble qu'agir sur la consommation soit plus aisé.

    Le Grenelle de l'Environnement a achevé la consécration de cette nouvelle figure de l'usager en adoptant des objectifs ambitieux en matière de développement durable, comme la réduction à la source des déchets (principe de décroissance)60, qui peuvent, à certains égards, paraître antithétiques aux logiques économiques à l'oeuvre dans nos sociétés de croissance. Ce paradoxe se résume dans ce que Yannick Rumpala nomme « le dilemme de la consommation durable », c'est-à-dire qu'il faut « arriver à discipliner le consommateur sans toucher à la dynamique de consommation qui est censée nourrir la croissance économique. »61. De fait, à la figure du consomm'acteur responsable (promue par la vision du développement durable) qui effectue des choix de consommation rationnels basés sur une information pure et parfaite accordant autant de considération aux critères économiques, sociaux, environnementaux, s'oppose celle du « consommateur pulsionnel » (promue par le marketing) qui consomme sans discernement pour répondre au despotisme de ses affects alimentant ainsi la croissance économique.

    De façon concomitante à cette construction sociale de la figure de l'usager, qui reste largement chimérique, se pose la question de la mise en place matérielle des collectes sélectives et de la façon de s'attacher l'adhésion de l'usager à ce nouveau système.

    59 JUAN Salvador, La transition écologique, Toulouse : Érès, 2011, 286 p.

    60 Rappelons que la création d'Eco-Emballages en 1992 avait pour objectif de redonner une légitimité à un système de production et un type de consommation de plus en plus critiqués pour le gaspillage qu'il alimente. De fait, le développement des collectes sélectives a permis de prolonger la croyance selon laquelle nos sociétés peuvent connaître une croissance continue du gisement d'ordures ménagères dans la mesure où elle dispose des capacités techniques pour les recycler. Or, le recyclage n'est pas la panacée : la plupart des matières ne sont pas recyclables à l'infini et l'impact énergétique lié à ce mode de traitement est loin d'être moindre. Ainsi, l'objectif de décroissance du flux d'ordures ménagères posé par la Grenelle de l'Environnement peut donc apparaître comme le prélude d'une remise en cause de notre système de production et de nos modes de consommations.

    61 RUMPALA Yannick, « La « consommation durable » comme nouvelle phase d'une gouvernementalisation de la consommation », in Revue française de science politique, 5/2009 : Vol. 59, p. 969-970.

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    2. Dimension processuelle dans la mise en place des politiques de tri et émergence de la problématique de l'habitat collectif.

    Comme tout projet de développement durable urbain, l'instauration du tri en France s'est d'abord inscrit « dans des pratiques expérimentales, à petite échelle et marquées par la dimension processuelle de leur concrétisation. »62. Dans un premier temps, les techniciens municipaux en charge de la mise en place des collectes sélectives se sont attachés à mener des expertises préalables afin de « chiffrer le comportement du trieur à l'occasion de phases expérimentales sur des quartiers-tests »63. Dans cette perspective, des indicateurs techniques (composition des poubelles, taux de présentation) tendent à se stabiliser et la réalisation d'enquêtes par questionnaires traduit un intérêt croissant des techniciens pour les modes de gestion domestique des déchets. Dans un second temps, la mise en place opérationnelle des premières collectes sélectives fait rapidement apparaître les difficultés liées à la gestion des déchets ménagers en habitat vertical. En effet, la plupart des villes françaises ont progressivement instauré le tri selon une hiérarchisation des zones urbaines : la mise en place « débute dans un "secteur pilote" choisi dans une zone pavillonnaire, elle s'étend ensuite aux "petits collectifs" ; les grandes cités sont abordées en dernier lieu. [...] Cette implantation évolutive permet d'aller du plus simple au plus complexe. [...] Les enquêtes (Tec Habitat, Eco-Emballages, 1996) montrent que le taux de participation des immeubles (65 %) est inférieur à celui enregistré dans les maisons individuelles (78 %). »64. Ces écarts s'expliquent alors par deux facteurs : d'une part le manque d'espace de stockage lié à la typologie d'habitat65 et, d'autre part, le manque de sensibilité environnementale qui semble davantage marqué chez les catégories socioprofessionnelles (ouvriers et employés) occupant majoritairement l'habitat collectif, et notamment l'habitat social.

    3. Comment atteindre l'usager ? Accompagnement, communication de proximité et communication de masse.

    Toutefois, il ne suffit pas d'équiper les ménages pour qu'ils coopèrent à la collecte sélective, ce qui oblige les acteurs institutionnels à élaborer des stratégies de communications visant à obtenir l'adhésion de l'usager au geste de tri. Les deux mots d'ordre qui vont orienter

    62 HAMMAN Philippe, BLANC Christine, Sociologie du développement durable urbain. Projets et stratégies métropolitaines françaises, Bruxelles : Peter Lang, 2009, p. 139.

    63 BARBIER Rémi, « La fabrique de l'usager. Le cas de la collecte sélective des déchets. », in Flux, 2/2002 : n°48-49, p. 41.

    64 TAPIE-GRIME Muriel, op. cit., p. 68-69.

    65 L'objet déchu, pour ne pas passer directement dans la catégorie du rebut, doit pouvoir suivre un système de destitution progressive en étant stocké dans les annexes de l'habitation : cave, grenier, garage, jardin...

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    l'action des pouvoirs publics à ce niveau, sous les conseils de l'ADEME (Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie) et d'Eco-Emballages, sont proximité et répétitivité66, c'est-à-dire que l'offre d'information sur le recyclage des déchets ménagers doit s'effectuer par des contacts directs et doit être renouvelée dans le temps. Les ambassadeurs du tri67, émissaires de la collectivité territoriale, sont « chargés de la distribution du matériel mais aussi d'expliquer les consignes, de rassurer, de justifier, provoquant ainsi l'attention minimale nécessaire au changement d'attitude. »68. Cependant, ils ne constituent pas les seuls agents de proximité sur lesquels s'appuient les collectivités et, afin de conférer une plus grande légitimité à leur action, ces dernières cherchent à diversifier les relais de terrain. Cette logique correspond à une « dissémination de la relation de service, au sens d'une multiplication des interfaces par lesquelles pourront transiter consignes, réclamations, interrogations, conseils... »69. Dès 1994, l'ADEME et Eco-Emballages préconisaient, à travers un guide méthodologique, un plan « type » de communication qui insistait également sur l'importance des relais « externes »70, tels que les associations, les commerçants, les enseignants, les enfants, etc., ainsi que sur le rôle prépondérant des relais « internes » que peuvent être les gardiens d'immeuble ou les ripeurs. En habitat collectif, comme le souligne à juste titre Muriel Tapie-Grime, l'adhésion et l'investissement des gardiens est un pré-requis essentiel à la réussite des opérations de collecte sélective. Or, leur place dans la chaîne du tri n'a pas fait l'objet d'une reconnaissance institutionnelle et, généralement, aucune attente ni mission supplémentaire en matière de gestion des déchets ne leur ont été adressées explicitement par leur employeur. Dans le même sens, malgré l'identification des gardiens comme « acteurs clés » dans la réussite du tri en habitat vertical, il semble que, dans les faits, les collectivités n'ont pas ou prou mis en place des dispositifs de coopération stables avec les bailleurs permettant d'impliquer plus finement leurs agents de terrain. Enfin, à terme, le relai d'information idéal, fantasmé par les pouvoirs publics, est l'« usager modèle »71 qui, par son investissement et sa conviction dans le tri, tente de convaincre ses proches et ses voisins.

    66 BARBIER Rémi, op. cit., p. 42-43.

    67 A Besançon, la direction gestion des déchets a très vite préféré la dénomination de « conseillers du tri », insistant par là sur leur rôle de « conseil à l'usager ».

    68 Ibid., p. 43.

    69 Ibid.

    70 Dans le sens où ils ne font pas directement partie de la chaîne du tri.

    71 Rémi Barbier rapporte qu'aux débuts de la collecte sélective dans le Jura, la collectivité avait recruté des « partenaires du tri » qui s'engageaient « à promouvoir dans leur entourage l'idée du tri comme une solution d'avenir ». Dans le même esprit, le SYBERT, s'inspirant des expérimentations jurassiennes, avait lancé en 2010 une « expérience-réalité » intitulée « Le ménage presque parfait de Besançon et sa région », opération consistant à suivre une dizaine de foyers dans l'adoption de pratiques quotidiennes destinées à réduire la production de

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    Cette communication de proximité s'est également accompagnée d'une communication de masse mise en oeuvre « par différentes catégories d'acteurs : les médias, les industriels, les pouvoirs publics, les associations... »72. L'utilisation de cette forme de communication s'est traduite par une inflation des discours sur la question de la gestion des déchets ménagers. Les communicants s'appuient sur deux procédés pour solliciter la coopération des ménages en fonction de leur définition de la figure de l'usager : l'information si l'usager est considéré comme un acteur rationnel, la persuasion si ce dernier est jugé comme un être pulsionnel ; bien que, dans les faits, les plans de communication mêlent souvent ces deux registres. En outre, comme l'expriment Dominique Lhuilier et Yann Cochin, « la diffusion des messages est le plus souvent unilatérale au sens où l'émetteur s'adresse à des cibles considérées comme de purs récepteurs, sur le mode des communications de masse impersonnelles du type publicité ou propagande. »73. Or, dans le cas de l'habitat social et collectif, nos observations empiriques ont démontré que la forme de communication la plus apte à toucher l'usager est l'interaction en face-à-face avec des relais d'informations tels que les conseillers en habitat collectif ou les gardiens. En prime d'une meilleure réception de l'information par l'usager, Muriel Tapie-Grime remarque à juste titre que la communication de proximité est également « productrice d'organisation » dans le sens où, d'une part, les usagers identifient un interlocuteur auquel s'adresser et ne se sentent plus isolés face aux obstacles qu'ils rencontrent dans l'adoption du geste de tri ; d'autre part, les informateurs-relais peuvent faire remonter au sein de leur hiérarchie des informations sur les difficultés pratiques des usagers.

    Aujourd'hui, le passage à la redevance incitative de certaines collectivités pose à nouveau des problématiques similaires à celles rencontrées lors de l'instauration de la collecte sélective : définition de l'usager comme acteur rationnel74, expertises préalables, mise en place processuelle de la redevance incitative75, accompagnement et communication de proximité par des agents de terrain. Cette logique processuelle qui fonctionne par expérimentation est caractéristique des politiques locales de développement durable. Ainsi, en détaillant la façon dont s'est instaurée la redevance incitative à Besançon nous pourrons

    déchets ménagers. Cette démarche se retrouve également dans l'opération de la ville de Besançon « Les familles actives pour le climat » initiée en 2009 et encore en cours aujourd'hui.

    72 LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, op. cit., p. 129.

    73 Ibid., p. 130.

    74 La redevance incitative vise la responsabilisation et l'augmentation de l'effort de prévention et de tri de l'usager en s'appuyant sur sa rationalité économique (principe pollueur-payeur).

    75 Avant de mettre en place une redevance incitative La Roche-sur-Yon Agglomération a lancé, en 2010, une expérimentation sur une dizaine d'immeuble représentant un échantillon mixte de bailleurs sociaux et privés.

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    mieux appréhender comment ces politiques se construisent in situ et rentrent parfois en tension avec d'autres principes de production de la ville.

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    Chapitre 3 - La gestion des déchets ménagers à Besançon

    I. Mémoire locale

    Pour mieux comprendre le contexte institutionnel dans lequel s'ancre la gestion des déchets à Besançon, il est nécessaire de s'intéresser à la « mémoire locale » de la gestion des déchets ménagers76. D'une façon générale, nous pouvons d'abord repérer certains traits caractéristiques non exhaustifs qui dessinent l'ethos de la ville en matière de politiques environnementales :

    · La tradition socialiste de la mairie de Besançon a permis d'assurer un « continuum politique » favorable au développement de projets fédérateurs et novateurs en matière de développement durable77 ;

    · Le rapport très singulier de la ville de Besançon à l'environnement : avec ses sept collines verdoyantes et le Doubs, Besançon est résolument une ville ouverte sur la nature qui promeut son statut de « première ville verte de France » accordé à diverses reprises par des enquêtes de quotidiens français ;

    · La promotion de Besançon comme terre d'innovation, tant sur le plan technique que sur le plan social78.

    En fait, à travers l'instauration de la redevance incitative, nous assistons aussi à la démonstration de l'exemplarité et à l'affirmation de l'identité singulière de la commune de Besançon.

    Afin de retracer, plus spécifiquement, l'émergence et la structuration du SPED bisontin nous nous appuyons principalement sur les travaux de Denis Guigo79. Ce bref rappel

    76 « L'action publique en développement durable s'inscrit dans des espaces de contraintes, qui ne correspondent pas uniquement à des variables socio-politiques (tel le portage des dossiers par les élus) mais aussi à des éléments morphologiques ou socio-économiques, portant la trace d'un certain passé, de longue durée, qui imprègne le territoire. ». HAMMAN Philippe, BLANC Christine, op. cit., p. 195.

    77 La REOM au volume du bac a été instaurée en 1999 lorsque Robert Schwint était maire (1977-2001) et Jean-Louis Fousseret a pris la relève et même prolongé la démarche entamée sous son prédécesseur en instaurant une redevance incitative au poids et à la levée en 2012.

    78 Jusqu'en 2005, le slogan qui figurait sur le logo de la ville était « Besançon l'innovation ». La capitale comtoise, forte de son passé horloger, s'est spécialisée dans les microtechnologies. Elle s'enorgueillit également du terreau d'innovation sociale que constitue son territoire, notamment à travers la création, en 1968, d'un Minimum Social Garanti préfigurant le Revenu Minimum d'Insertion qui ne sera mis en place que 20 ans plus tard au niveau national. Dans le même ordre d'idée, Besançon fait aussi figure de précurseur en matière d'Insertion par l'Activité Economique grâce à l'invention des « Jardins de Cocagne » sur ses terres de Chalezeule en 1991.

    79 GUIGO Denis, « Sisyphe dans la ville. La propreté à Besançon au fil des âges », in Les Annales de la Recherche Urbaine, Décembre 1991 : n° 53, p. 46-57

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    historique nous permettra de mieux appréhender le poids de la « mémoire locale » en matière de gestion des déchets. Jusqu'au milieu du XIXème siècle, le nettoyage des rues de Besançon s'effectue de façon informelle grâce au travail d'indigents employés par la Ville et de paysans collecteurs qui rachètent les boues urbaines pour les revendre en tant que fertilisant à la campagne. La qualité de ces boues se dégradant avec la présence croissante de déchets inertes, elles n'intéressent plus autant les campagnes périphériques et ce système tend à s'effriter pour déboucher sur une gestion en régie de ces excreta urbains à partir de la fin du XIXème siècle. Cependant, une réelle gestion publique, disposant de moyens conséquents, peine à se mettre en place du fait de l'hostilité des bisontins au paiement d'une taxe servant au financement de ce service80. C'est en 1927 qu'une taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) est instaurée en application de la loi du 13 août 1926 qui autorise désormais les communes à prélever le contribuable pour assurer la propreté des rues. Malgré cela, il faudra attendre le lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour que le service municipal de gestion des déchets se modernise enfin avec l'achat de « sept modernes camions-bennes électriques, dont quatre bennes tasseuses de 15m3 »81. Le gisement des ordures, ne faisant plus du tout l'objet d'une valorisation dans l'agriculture, est traité par une mise en décharge. La décharge municipale82 s'apparente à un dépotoir sauvage sur lequel on brûle les monticules de déchets afin de gagner de l'espace de stockage, ce qui faisait dire à Jean Minjoz, alors maire de la ville, que ce brasier produisait « un panache de fumée qui permettait aux aviateurs et à beaucoup d'autres voyageurs de localiser la ville de Besançon »83. En 1966, le site est transformé en « décharge contrôlée », ce qui consiste à entreposer les ordures par couches successives entre lesquelles on parsème de la terre. En 1971, Besançon ouvre sa première usine d'incinération, ce qui conduit à un transfert d'une partie des tonnages de la mise en décharge vers ce nouveau procédé de traitement. Cette unité d'incinération valorise la chaleur produite par la combustion des ordures bisontines en chauffage urbain qui alimente le jeune quartier de Planoise et, à partir de 1984, le nouvel hôpital. Avec la loi de 1975, la ville de

    80 « Une entreprise locale de transport, la société des Monts-Jura, a d'ailleurs proposé en 1921 de prendre en charge l'enlèvement des ordures ménagères, ainsi que le nettoiement de la ville, pour 485 000 F par an. L'importance de la somme - près de 10 % du budget - fait reculer la municipalité qui décide finalement de concéder pour quinze ans aux Monts-Jura l'enlèvement des ordures ménagères par camions-bennes avec couvercle à charnières. Le coût de la prestation, évalué à 185 000 F par an, y compris l'entretien d'une décharge, aurait été couvert par une taxe perçue par poubelle : 50 F par an pour une poubelle de 15 litres correspondant aux besoins d'un ménage (la poubelle étant fournie par la Ville). Mais ce projet ne fut pas mis à exécution ; les variantes proposées ensuite par d'autres sociétés non plus. ». Ibid., p. 53.

    81 Ibid.

    82 Cette décharge se situait sur l'actuel Centre technique municipal où se trouvent aujourd'hui, entre autres, les locaux de la direction gestion des déchets de la CAGB.

    83 Ibid., p. 54.

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    Besançon poursuit la modernisation de son SPED en uniformisant les conteneurs poubelle, jadis très disparates car le choix des récipients était laissé à l'appréciation des riverains. Ces bacs sont loués aux usagers et permettent un gain de temps sur les circuits de collecte grâce au système de basculement dans les camions-bennes. La location de bacs aux usagers constitue en quelque sorte les prémices de la redevance incitative puisque le prix de location varie en fonction du volume choisi par l'usager. La modernisation du SPED marque également l'intronisation du « "service complet" : l'éboueur prend le conteneur dans la cour ou le jardin de l'immeuble, le vide puis le remet en place. »84. Enfin, les grandes orientations données par la ville de Besançon à la problématique de la salubrité urbaine au début des années 1990 sont les suivantes : sensibilisation des usagers sur les enjeux de cette problématique ; amorce d'une réflexion intercommunale sur le traitement des déchets avec la création du Conseil des Communes du Grand Besançon en 1990 ; développement d'un réseau de déchèteries municipales (la première a été ouverte en 1984).

    II. 1999 : Instauration d'une REOM au volume du bac85 et mise en place de la collecte sélective

    A Besançon, la décision du passage d'une TEOM à une REOM au volume du bac en 1999 pour le financement du SPED est directement liée à la volonté de réduire les investissements dans des mises aux normes environnementales de plus en plus onéreuses des usines d'incinération. Clairement, la municipalité souhaite trouver des alternatives à l'incinération d'autant plus que, dans un contexte marqué par la mise en place d'une collecte sélective, le recyclage semble promis à un bel avenir. L'enjeu est donc de transférer une partie des tonnages de l'incinération vers le recyclage afin de maîtriser les coûts croissants de traitement auxquels est confrontée la municipalité. Cependant, le recyclage ne permettant pas de traiter un volume important d'ordures ménagères, surtout dans les premières années de la collecte sélective, la construction d'un nouveau four est rendue nécessaire, d'autant plus que le

    84 Ibid.

    85 Cette redevance d'enlèvement des ordures ménagères (REOM) était déjà incitative dans la mesure où son montant variait en fonction de la production de déchets (volume du bac). Cependant, avec l'instauration en 2012 d'une redevance prenant également en compte le nombre de levées et le poids de déchets produits, nous assistons à un déplacement sémantique opéré par les élus et techniciens de la CAGB quant à la définition de la « redevance incitative ». En effet, selon eux, la REOM au volume du bac instaurée depuis 1999 ne mérite plus aujourd'hui l'appellation « incitative » car elle ne traduit que grossièrement la quantité de déchets produits par chaque ménage par rapport au nouveau système. C'est pourquoi nous utiliserons prioritairement le terme « REOM au volume du bac » pour désigner le mode de financement du SPED appliqué entre 1999 et 2012 et le terme « redevance incitative » pour nommer celui en vigueur depuis le 3 septembre 2012.

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    premier qui a été construit en 1971 arrive en fin de vie. En 2002, la nouvelle Unité d'Incinération des Ordures Ménagères (UIOM) entre en fonctionnement et la plus ancienne est arrêtée. Parallèlement, la loi dite « Chevènement » de 1999 élargit les compétences de l'intercommunalité, ce qui constitue un moment opportun pour mutualiser la réflexion et les décisions avec les territoires voisins concernant les solutions de traitement à privilégier. C'est ainsi qu'est créé le Syndicat mixte de Besançon Et sa Région pour le Traitement des déchets (SYBERT). Cette coopération intercommunale renforce l'impératif de transparence des coûts du SPED, et notamment du traitement. Seul un système de REOM peut assurer cet objectif de transparence via la création d'un budget annexe86. Enfin, l'instauration de la REOM implique un changement de statut du SPED, qui passe d'un Service Public Administratif (SPA) prélevant le coût de la prestation sur les contribuables à un Service Public Industriel et Commercial (SPIC) facturant cette charge aux usagers. Dès lors, il est nécessaire de définir un système de « compteur »87, qui puisse mesurer la quantité de déchets produite par chaque ménage afin de servir d'assiette de facturation, et de mettre en place un système pour recenser l'ensemble des futurs redevables, deux conditions difficiles à satisfaire et qui sont des freins majeurs à l'instauration d'une redevance. Or, la ville disposait déjà d'un fichier des redevables puisqu'elle avait gardé la maîtrise du parc de conteneurs en louant les bacs aux particuliers depuis 1975 et facturait cette location en fonction du volume du bac. C'est donc assez naturellement que la solution d'une redevance au volume du bac fut retenue.

    Cependant, ce basculement vers une REOM n'était pas sans poser un certain nombre de problèmes, notamment au niveau de l'habitat collectif. En plus de l'impossible individualisation de la facture d'ordures ménagères dans ce type d'habitat88, « la redevance modifie le paradigme financier du service en le faisant passer d'un principe d'égalité de la contribution vers un principe d'équité »89. Assurément, la TEOM comportait une dimension d'action sociale puisque celle-ci était assise sur la taxe foncière et donc calculée en fonction de la valeur du logement occupé : une famille nombreuse résidant dans un logement HLM exigu s'acquittait d'une taxe d'un montant moins onéreux qu'une personne seule résidant dans

    86 Le passage à une REOM suppose que le mode de financement du SPED soit dissocié de la taxe foncière, ce qui clarifie les modalités de répartition des coûts et des recettes du SPED.

    87 La métaphore du compteur prend appui sur le fonctionnement d'autres services publics à caractère commercial tels que l'eau ou l'électricité.

    88 En habitat collectif, les bacs sont communs aux résidents d'un même immeuble. L'usager du SPED est donc le bailleur (social ou privé) ou le syndic qui prélève des charges aux habitants selon leur quote-part (généralement au tantième) et non selon leur production d'ordures ménagères. Le caractère incitatif de la redevance est donc dilué.

    89 BÉNARD François, « Gestion des déchets et développement de la redevance incitative : exemple de transformation du modèle économique d'un service public », in Flux, 4/2008 : n° 74, p. 32.

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    une grande maison. En liant directement la facture de l'usager à sa production de déchets, ce sont les ménages les plus fragiles qui risquent d'être pénalisés par ce nouveau système. Cette limite constitue ce que nous pouvons appeler le « dilemme de la RI » et se situe au coeur des enjeux de la construction de la grille tarifaire (conciliation du principe d'équité et du principe d'égalité). En adoptant une grille tarifaire dégressive en fonction du volume du bac de l'usager pour rendre, proportionnellement, moins onéreux les grands conteneurs (utilisés en habitat collectif) par rapport aux petits (utilisés en habitat individuel), les élus conservent une forme de solidarité dans la contribution des usagers au financement du SPED90. L'objectif de cette modulation est de modérer les augmentations de facture que peuvent connaître les usagers lors du passage de la TEOM à la RI et ainsi d'assurer l'acceptabilité sociale du nouveau système. Toutefois, cette modulation atténue le caractère incitatif de la REOM pour l'usager puisque le montant de sa facture risque d'être moins lié à la quantité de déchets produite qu'au type de logement qu'il occupe.

    Simultanément à l'instauration de la REOM au volume du bac, la collecte sélective a été mise en place de façon processuelle, quartier par quartier, par les conseillers du tri. Ceux-ci effectuaient à la fois une mission opérationnelle (enquêtes de terrain auprès des bailleurs sociaux et des gardiens, installation des bacs jaunes) et une mission d'accompagnement (communication écrite via la distribution de « mémotri » et affichage, communication de proximité par le biais de porte-à-porte ou d'animations en pied d'immeuble). Lorsque la collecte sélective a fini d'être développée sur tout le territoire de la ville de Besançon en 2004, les conseillers du tri ont pérennisé leur rôle d'agents de terrain par le suivi d'indicateurs techniques rendant compte des performances du nouveau système (taux de présentation, taux de tri), l'intervention en cas d'incidents de collecte (déchets non conformes, bacs non conformes, bacs vandalisés, manque de volume, difficultés d'accès de la benne à ordures ménagères, etc.), la communication de proximité et la formation d'acteurs concernés par la mise en place du tri (gardiens, personnels scolaires...). Dans les faits, l'action des conseillers du tri s'est partiellement détournée de l'habitat social collectif, faute de collaboration établie entre les services de la ville et les bailleurs sociaux, pour se focaliser davantage sur le logement individuel et les copropriétés plus aptes à coopérer à la collecte sélective. Cette tendance s'est renforcée en 2006 avec le passage à l'échelle communautaire de la compétence « collecte des déchets ». Les conseillers du tri ont alors été mobilisés en tant qu'interface de terrain pour aider à l'harmonisation des modalités de collecte sur les 59 communes que

    90 Cf. Annexe 2, Graphique 1 : Grille tarifaire de la REOM pour l'année 2000. Ville de Besançon.

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    compte le Grand Besançon (enquêtes pour actualiser le fichier des redevables, harmonisation des conteneurs, communication auprès des usagers sur la modification éventuelle du nombre de collectes ou des consignes de tri, etc). Bien que des actions étaient mises en oeuvre en habitat social collectif, celles-ci restaient conditionnées aux possibilités de collaboration avec les bailleurs sociaux et d'ajustements empiriques des gardiens. Souvent, l'adhésion et l'appui des gardiens à l'action de conseillers du tri permettait la mise en place du tri in situ par les agents de terrain pour pallier au manque de formalisation des modalités de collaboration entre les bailleurs sociaux et les services municipaux.

    III. 2012 : Instauration d'une redevance incitative avec pesée embarquée

    A la fin des années 2000, la capacité de traitement par incinération paraît une nouvelle fois menacée par l'arrivée en fin de vie du four construit en 1976. Afin d'éviter le remplacement de ce four qui demanderait encore un investissement conséquent, la préférence est accordée à la réduction à la source et à la valorisation matière anticipant par là les orientations du Grenelle de l'environnement. Pour atteindre cet objectif il est nécessaire d'accentuer le levier incitatif de la redevance pour détourner une part des déchets incinérés vers la collecte sélective, le compostage et les déchèteries. Cette solution paraît d'autant plus justifiée que le Grenelle de l'environnement consacre l'intégration d'une part incitative dans le mode de financement du SPED : la Communauté d'Agglomération du Grand Besançon possède donc une longueur d'avance et compte bien continuer à montrer la voie au niveau national. C'est dans ce contexte qu'est prise la décision d'instaurer une redevance incitative avec pesée embarquée, première expérience de ce type sur un secteur urbain aussi important. Ce nouveau système est d'abord mis en place de façon fictive sur une période test s'étendant de janvier à août 2012 qui permet à l'usager de se familiariser aux nouvelles modalités de facturation, avant d'être rendu effectif à partir du 1er septembre 2012. Il comprend une part fixe (appelée « abonnement ») assise sur le volume du bac « gris » qui, schématiquement, représente environ 50 % de la facture et une part variable calculée selon le poids du contenu du bac « gris » (environ 40 %) ainsi que le nombre de levées (environ 10 %)91. Le passage à la redevance incitative avec pesée embarquée a mobilisé les conseillers du tri qui ont effectué à partir de 2010, en plus de leurs tâches ordinaires, les missions suivantes : rachat/cession et

    91 Cf. Annexe 2, tableau 1 : grille tarifaire de la redevance incitative pour l'année 2013. Communauté d'Agglomération du Grand Besançon.

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    standardisation du parc de conteneurs92, pose de puces électroniques sur les bacs « gris » puis les bacs « jaunes »93. Enfin, la mise en place effective de la redevance incitative au 1er septembre 2012 a entériné les changements organisationnels amorcés depuis plusieurs années chez les conseillers du tri avec le passage d'un rôle d'accompagnement à un rôle de contrôle de l'application du règlement de collecte qui se traduit par leur nouvelle dénomination de « référents territoriaux ».

    Toutefois, la redevance incitative possédant une portée d'application limitée en habitat collectif, les élus ont souhaité surveiller sa mise en place en créant un programme d'accompagnement principalement orienté vers le logement social. Cette initiative a été confortée par l'octroi de financements européens dans le cadre d'un projet « LIFE » destinés à soutenir l'effort de réduction des déchets entamé par la CAGB. Un « programme d'accompagnement à la mise en place de la redevance incitative en habitat collectif » a donc vu le jour en 2012 et s'est matérialisé par l'embauche de quatre conseillers en habitat collectif. Ces derniers accomplissent une mission d'accompagnement plus complète et spécifique que celle qu'effectuaient les conseillers du tri. Leur démarche se fonde sur quatre phases d'action :

    - L'établissement de diagnostics sur les immeubles choisis conjointement par la CAGB et les bailleurs sociaux (organisation et entretien du local et des bacs, qualité du tri, taux de présentation, propositions de réorganisations techniques, etc.)

    - La proposition d'action aux logeurs (modification de la dotation94, animations en pied d'immeuble, communication en porte-à-porte, formation des gardiens)

    - La mise en place des actions retenues

    - L'évaluation des actions menées

    Si les techniciens de la CAGB chargés de coordonner ce programme d'accompagnement s'accordent à souligner les nombreux progrès réalisés depuis ses débuts en janvier 2012 et qui se traduisent par des ressentis qui relèvent plutôt d'un ordre qualitatif (amélioration des relations et de la collaboration avec les bailleurs sociaux, bon accueil des habitants qui sont en

    92 Avec la transmission de la compétence « collecte des déchets » de la ville de Besançon vers la Communauté d'Agglomération du Grand Besançon en 2006, des communes périphériques qui avaient jusqu'alors un système de collecte et de facturation différents ont dû intégrer le mode de fonctionnement intercommunal. Ainsi, avant le passage à la redevance incitative, les conseillers du tri ont mené des enquêtes de terrain pour racheter et standardiser le parc de conteneurs puisque la CAGB est propriétaire des bacs qu'elle loue aux usagers.

    93 Pour que la benne à ordures ménagères puisse identifier l'usager titulaire du contrat attaché à chaque bac et y associer les données sur lesquelles s'appuie la facturation (poids et nombre de levées), il faut nécessairement que chaque conteneur soit muni d'une puce électronique. Cf. annexe 2, schéma 1 : Mode de fonctionnement de la redevance incitative avec pesée embarquée.

    94 La dotation correspond au nombre et au volume des bacs dont est doté un contrat.

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    attente d'informations, etc), des difficultés se posent lorsqu'il s'agit de dégager la valeur ajoutée de l'action des conseillers en habitat collectif à travers la production d'indicateurs quantifiables. En effet, les techniciens, qui « font figure d'experts chargés d'une fonction de médiation entre deux mondes, celui de la science et celui de la politique »95, doivent nécessairement livrer un éclairage « objectif », faisant fi des nombreuses incertitudes et contingences empiriques, pour que les élus puissent prendre des décisions. Alors que nous pourrions penser que la dimension technique introduite par la pesée embarquée dans le recueil de données permet de mesurer précisément la production de déchets de chaque usager, l'interprétation de l'avalanche de chiffres enregistrés quotidiennement par les bennes à ordures ménagères s'avère plus que délicat96. Pour pouvoir s'adonner à des comparaisons, il est tout d'abord nécessaire de disposer d'indicateurs fiables qui s'appuient sur des données rigoureuses parfois difficiles à collecter. Les techniciens de la CAGB retiennent un indicateur principal pour évaluer la production de déchets sur un immeuble, il s'agit de la quantité de déchets (résiduels d'une part et recyclables de l'autre) produite par habitant sur un temps donné. Or, il n'est pas toujours évident d'estimer la population réelle de l'immeuble et, souvent, le bailleur ne dispose que de chiffres officiels qui sont parfois remis en cause par les observations des conseillers en habitat collectif lors de leurs opérations de porte-à-porte. Ensuite, pour pouvoir faire l'objet d'une interprétation, les données obtenues doivent être mises en relation avec leurs différents contextes sociaux de production. Premièrement, en ce qui concerne le titulaire du contrat, s'agit-il de professionnels et/ou de ménages ?97 S'il s'agit de ménages, quelle est leur composition (par exemple, des ménages composés d'enfants en bas âge produisent significativement plus de déchets à cause des couches) ? Quel est leur niveau de revenu et leur type de consommation ? Quelle est la période de production considérée (vacances, période de fêtes, ménage de printemps) ? Quelle est la qualité du tri sur l'immeuble (les erreurs de tri faussent les chiffres puisque des déchets non recyclables, qui ont été enregistrés dans le bac jaunes, auraient normalement dû être comptabilisés dans le bac gris) ? Aussi, il faut savoir comment les acteurs qui se situent en aval des usagers dans la chaîne du tri agissent : Le gardien opère-t-il un tri correctif face aux erreurs des usagers ? Les entreprises de nettoyage mettent-elles les encombrants ou les déchets électroniques dans les

    95 LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, op. cit., p. 34.

    96 Pour illustrer notre propos, nous présentons en Annexe 2 l'exemple de l'immeuble n°3 pour lequel nous avons présenté sous forme de graphiques les poids collectés quotidiennement sur les bacs jaunes et les bacs gris au cours de deux périodes.

    97 Sur certains immeubles, les contrats sont partagés entre les locataires et les professionnels (commerces, bureaux, cabinets, etc.) qui occupent les lieux, ce qui rend impossible l'interprétation des chiffres de la pesée embarquée. Cependant, depuis l'introduction de la redevance incitative, les bailleurs tendent de plus en plus à établir des contrats séparés pour chacune de ces deux catégories d'usagers, souvent sur demande des locataires.

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    bacs gris98 ? Les bacs sont-ils sujets aux dépôts sauvages quand ils sont présentés à la collecte sur le trottoir ? Le ripeur vérifie-t-il la qualité du tri et déclasse-t-il les bacs pollués ? Les bacs sont-ils toujours remis dans le bon local99 ? Tous ces paramètres sont susceptibles de faire varier significativement les résultats des pesées et bloquent les possibilités de comparaisons fines entre plusieurs immeubles. Enfin, il faut savoir à quelle échelle temporelle ramener l'indicateur produit pour pouvoir observer des évolutions notables dans les pratiques des usagers ? Le quadrimestre qui correspond au temps de facturation, le semestre qui correspond à une période d'action dans le programme d'accompagnement ou l'année pour tenter de repérer des tendances sur le plus long terme ?

    Face à ces difficultés d'évaluation de la plus-value du programme d'accompagnement à la mise en place de la RI en habitat collectif, la direction gestion des déchets a choisi en janvier 2013 de lancer une opération spécifique sur quatre sites pilotes paraissant « accessibles » en termes de capacité à produire des résultats mesurables. Chacun des quatre conseillers en habitat collectif s'est vu attribuer un immeuble sur lequel il a accentué ses actions de diagnostic, de communication, d'animation et d'évaluation. Les actions à mettre en place ont été hiérarchisées selon qu'elles étaient susceptibles d'aboutir sur la production d'indicateurs permettant d'évaluer l'intérêt du dispositif d'accompagnement. Ainsi, la priorité a été donnée à l'optimisation de la dotation des sites pilotes, moyen le plus efficace pour agir sur le deuxième indicateur de référence100 que constitue le montant de la redevance par habitant101. Le deuxième objectif visé a été l'amélioration de la qualité du tri permettant un transfert des déchets résiduels (facturés) vers les déchets recyclables (non facturés). Enfin, un troisième objectif, qui relève davantage d'un ordre qualitatif, a été de poursuivre et consolider le partenariat avec les bailleurs sociaux.

    98 C'est le cas sur le secteur de Néolia Palente : l'entreprise chargée du nettoyage des locaux et de la sortie des bacs dépose les petits encombrants dans les poubelles pour éviter de les transporter jusqu'en déchetterie où le dépôt est payant pour les professionnels.

    99 Parfois, les agents de terrain de l'entreprise de nettoyage ou du bailleur échangent involontairement les bacs entre deux cages d'escalier ou deux immeubles.

    100 Cet indicateur répond au premier objectif de la commande politique, à savoir maîtriser les charges d'ordures ménagères en habitat social collectif.

    101 Beaucoup d'immeubles étant surdotés, c'est-à-dire disposant de plus de bacs que nécessaire, leur retirer des bacs est une action simple à mettre en oeuvre qui fait baisser le montant de la redevance de façon notable.

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    IV. Etat de la collaboration avec les bailleurs sociaux

    Malgré des problématiques divergentes auxquelles sont confrontés les bailleurs sociaux et la collectivité102 au niveau de la gestion des déchets, ceux-ci ont su trouver des intérêts communs motivant l'instauration d'une collaboration étroite. D'une part, en logement social, la maîtrise de l'augmentation des charges locatives constitue une preuve de l'efficience du mode de gestion de l'organisme logeur. De ce fait, la redevance incitative est un argument pertinent pour convaincre le logeur de s'investir dans la gestion des déchets ménagers comme en témoigne la gardienne de l'immeuble n°3 : « Ben là, je dis que ça fait deux ans où c'est plein pot, où on rencontre quand même des gens comme vous. Le Grand Besançon il s'intéresse, hein ! Ben je crois qu'on s'intéresse depuis qu'on sait que c'est pucé. ». D'autre part, la CAGB et les bailleurs sociaux sont animés par une même stratégie de « reconquête » du terrain visant à se rapprocher des usagers. Depuis une quinzaine d'années les organismes logeurs mettent en place des politiques de décentralisation en réimplantant leurs locaux administratifs au coeur de leur patrimoine. L'instauration de la redevance incitative par la CAGB correspond au même désir de traiter les usagers au cas par cas en individualisant leur facture. Néanmoins, bien que la collaboration avec les bailleurs sociaux offre des perspectives prometteuses, elle ne revêt pas encore les traits d'une véritable coopération puisque les logeurs demeurent dans une position de destinataires, de bénéficiaires du dispositif d'accompagnement, ce qui questionne les techniciens de la CAGB sur les moyens à mettre en oeuvre pour les impliquer davantage.

    En effet, plusieurs limites apparaissent quant aux possibilités d'une collaboration plus poussée. Tout d'abord, les bailleurs sociaux subissent des contraintes budgétaires qui restreignent les possibilités d'investissement matériels (réfection des locaux poubelles) et humains (suivi du taux de présentation, de la qualité et de la quantité du tri, sensibilisation des locataires) propices à une meilleure gestion des déchets sur leur parc locatif. De surcroît, la délégation par certains organismes logeurs des tâches en rapport avec les ordures ménagères à des sociétés de nettoyage freine leur implication sur cette problématique. Aussi, dans certains immeubles la redevance incitative crée une certaine tension entre les locataires qui prend la forme d'une « chasse aux mauvais trieurs », ce qui peut faire douter certains bailleurs des

    102 Pour les organismes logeurs, la collectivité doit avant tout mettre en place d'un service de collecte fiable assurant la salubrité des locaux et la sécurité des personnes. Ce point a d'ailleurs fait l'objet de frictions avec la CAGB lorsque la direction gestion des déchets est passée de deux à une collecte hebdomadaire avec la mise en place de la collecte sélective. La réduction des déchets et la réussite de la collecte sélective ne sont donc pas des priorités pour les bailleurs sociaux bien que la redevance incitative les pousse de plus en plus à adhérer à ces objectifs.

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    vertus du nouveau système puisqu'ils sont confrontés à la gestion de conflits supplémentaires. Les organismes logeurs ont également l'impression d'être engagés dans une relation schizophrénique avec les services de l'agglomération en charge de la question des déchets : d'un côté ces derniers mettent en place un programme d'accompagnement à leur bénéfice et, de l'autre, ils les rappellent à l'ordre via des courriers de déclassement lorsqu'un ou plusieurs bacs jaunes sont mal triés. Enfin, l'évolution de la répartition des charges d'ordures ménagères vers des plus petites échelles (tel que la cage d'escalier), préconisée et mise en place par la CAGB, n'est pas suivie par les bailleurs sociaux. Les logeurs conservent des clés de répartition sur des échelles plus grandes pour des raisons pratiques : la répartition par cage d'escalier des charges d'ordures ménagères nécessite des calculs complexes alors qu'ils ont pour habitude de mutualiser l'ensemble des charges sur un groupe d'immeubles. De plus, l'externalisation des locaux poubelles sur une grande partie du parc HLM des bailleurs empêche d'opérer un lien direct entre cage d'escalier et facture puisque les bacs sont partagés entre plusieurs cages, voir plusieurs immeubles103.

    V. Comment atteindre l'usager en habitat social collectif ?

    Cette dernière remarque rend compte des difficultés d'application de la redevance incitative en habitat social collectif étant donné que le levier incitatif au coeur de ce nouveau mode de facturation est plus complexe à activer au sein de ce mode d'habitat. Dès lors, une question reste en suspens : comment atteindre les usagers qui résident en logement HLM ? Les techniciens de la direction gestion des déchets réfléchissent à des solutions qui restent, pour le moment, du domaine de l'hypothétique. D'une part, le transfert de l'incitativité vers les usagers pourrait s'opérer par le biais de dispositifs techniques adaptés. A court terme, l'idéal serait que l'accès aux locaux poubelles soient protégés par un accès sécurisé afin d'éviter des dépôts sauvages et de permettre une meilleure appropriation des lieux par les locataires. Sur le moyen terme, la solution d'une individualisation de la redevance par la construction de colonnes enterrées avec accès par badge est parfois évoquée104. Néanmoins, la CAGB émet des réticences sur le fait d'adresser des préconisations quant aux solutions

    103 Cependant, les logeurs intègrent quand même ce principe d'individualisation de la redevance sur leurs nouvelles opérations immobilières.

    104 Ce système est déjà mis en oeuvre à la Roche-sur-Yon : chaque logement est muni d'un badge comportant ses données d'usager que le locataire doit présenter à la colonne enterrée lorsqu'il dépose son sac poubelle. La colonne enterrée reconnait l'usager, ouvre son tambour de 30 litres destiné à accueillir le sac et facture un montant forfaitaire à chaque dépôt.

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    techniques que le bailleur doit mettre en place, cela en raison des décalages existant entre la durée de validité des aménagements urbains liés à la gestion des déchets et les temps d'amortissements des investissements des bailleurs sociaux105. L'évolution rapide des politiques et des systèmes techniques de gestion des déchets rendent vite obsolètes les aménagements que pourrait préconiser la CAGB. Par exemple, il y a quelques années celle-ci incitait les bailleurs à construire des locaux extérieurs qui font aujourd'hui l'objet de dépôts sauvages avec l'arrivée de la redevance incitative. Alors que l'organisme logeur cherche à opérer des aménagements possédant une durée de validité d'au moins 20 ans pour amortir ses investissements dans le temps, la collectivité est susceptible de désirer un changement ou une amélioration des aménagements techniques au bout de 5 ans106.

    D'autre part, la deuxième ressource sur laquelle les techniciens espèrent pouvoir s'appuyer pour inciter les usagers de l'habitat social et collectif à adopter les gestes de tri se situe plutôt à un niveau social. Il s'agirait donc de trouver l'échelle d'interaction sociale qui fasse sens pour les habitants et de s'appuyer sur des locataires référents capables d'influencer leurs pairs et d'impulser une dynamique positive à la gestion des déchets dans chaque immeuble. Dans l'idéal, cette échelle doit être la plus restreinte possible : palier, cage d'escalier ou immeuble. Or, le problème des grands ensembles réside dans l'hétérogénéité socioculturelle qui freine la constitution de groupes localisés107. Nos observations de terrain nous ont prouvé que les mécanismes d'identification collective se structurent sur des espaces plus vastes tels que le quartier ou le secteur. Les seules formes de mobilisations collectives que nous avons pu observer comportent une dimension négative puisqu'elles ont émergées en réaction à des situations de crise, à des péripéties sinistres (c'est le cas de l'immeuble n° 2 où un groupe de locataire s'est constitué suite au grave incendie volontaire provoqué par un pyromane récidiviste dans une cage d'escalier). De ce fait, il ne s'agit pas pour les habitants

    105 « Cette diversité des cadres temporels de l'application du développement durable urbain ne coïncide guère avec les périodes rapprochées qui gouvernent la gestion publique, qu'il s'agisse du temps politique - la durée d'un mandat, les campagnes électorales - ou de la comptabilité publique, suivant un principe d'amortissements des investissements. ». HAMMAN Philippe, BLANC Christine, op. cit., p. 144-145.

    106 Sur l'obsolescence rapide des solutions techniques préconisées, l'exemple des trappes jaunes destinées à accueillir un par un les déchets recyclables (cf. Annexe 1, photos n°3 et 14) est très parlant. Sans ce dispositif, nul doute qu'au début de la collecte sélective une grande part de locataires aurait déposé ses sacs poubelles non triés indifféremment dans la trappe grise ou la trappe jaune. Finalement, cette petite trappe a permis à l'usager de reconnaître l'existence d'un deuxième flux de déchets. Or, au fur et à mesure que les deux catégories distinctes de déchets sont de plus en plus clairement assimilées par les usagers, la trappe jaune devient plus un obstacle qu'une aide technique à la pratique du tri du fait de son exiguïté. C'est ce qu'exprime le gardien de l'immeuble n°2 : « Et sachant que des fois il y a des cartons, lorsqu'ils ont racheté du mobilier ou des choses comme ça, ils rentrent pas dans la trappe donc ils veulent pas s'embêter à mettre en petits morceaux. Et effectivement la trappe n'est pas adaptée parce que l'orifice est trop petit. C'est parti d'un bon état d'esprit pour la gestion du tri mais aujourd'hui ça devient plus un inconvénient qu'un avantage. »

    107 CHAMBOREDON Jean-Claude, LEMAIRE Madeleine, « Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement », in Revue française de sociologie, n° 11-1 : 1970, p. 3-33.

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    de faire corps pour revendiquer l'adoption et la normalisation d'une pratique positive telle que le tri mais plutôt de se mobiliser a minima pour éviter qu`un évènement négatif ne se reproduise.

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    Chapitre 4 - Le rôle des gardiens dans la gestion des déchets

    ménagers

    Les résultats de recherches sociologiques sur la mise en place du tri en habitat collectif, parfois repris sous forme de conseils aux collectivités par l'ADEME, insistent sur le rôle prépondérant des gardiens dans la réussite des collectes sélectives108. En effet, ceux-ci constituent un point nodal dans la chaîne du tri puisqu'ils sont en lien avec l'ensemble des autres maillons mobilisés : usagers, collectivité, ambassadeurs du tri, ripeurs et bailleurs sociaux. Surtout, ils sont chargés de faire respecter les règles du vivre-ensemble au sein de l'immeuble, de réguler les comportements liés aux modes d'habiter, ce qui nous permet de présumer que les résultats des collectes sélectives en habitat collectif ne dépendent pas uniquement du seul bon vouloir des usagers mais découlent également de la posture et des possibilités d'intervention des gardiens.

    I. Les gardiens-concierges : une mission historique de contrôle social

    Historiquement, l'invention de la fonction de concierge dans la première moitié du XIXème siècle résulte d'une volonté de contrôle social des classes laborieuses : « C'est durant le Premier Empire que les promoteurs immobiliers opérant à Paris installent massivement des concierges en vue de rassurer les classes aisées peu enclines à vivre dans des immeubles collectifs où la présence des pauvres dérange et effraie. »109. Parallèlement, les propriétaires d'immeubles avaient jusqu'alors l'habitude de déléguer la gestion locative de leurs biens à des locataires principaux alors chargés de louer les appartements et de récupérer les loyers. Cette solution montrant ses limites, notamment sur le plan de la rentabilité économique, l'invention de la fonction de concierge permet aux bailleurs de s'assurer le paiement des loyers en temps et en heure grâce à l'intervention de ce nouvel intermédiaire. Quant à l'appellation

    108 Pour des travaux sociologiques, cf : TAPIE-GRIME Muriel, « Coopération et régulation dans les collectes sélectives des ordures ménagères », in Sociologie du travail, 1998 : vol. 40, n°1, p. 65-87 ; BOUSSARD Valérie, MERCIER Delphine, TRIPIER Pierre, « La dégradation du tri sélectif des déchets... ou les frontières du cercle du tri », in L'aveuglement organisationnel ou comment lutter contre les malentendus, Paris : Editions CNRS Sociologie, 2004, p. 17-31 ; ETIcs/Université François-Rabelais et Etéicos, DETRITUS / DEchets, TRI eT Usages Sociaux. Gestion des déchets et tri sélectif en habitat collectif HLM, Etude réalisée pour le compte de l'ADEME, Avril 2012, 81 p.

    Pour des conseils de l'ADEME, cf : ADEME, Habitat collectif et tarification incitative. Pourquoi ? Comment ?, ADEME Éditions, Angers : 2012, 148 p.

    109 MARCHAL Hervé, Le petit monde des gardiens concierges. Un métier au coeur de la vie HLM, Paris : L'Harmattan, Logiques sociales, 2006, p. 28.

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    « gardien », elle apparaît en même temps que la construction des premières habitations à bon marché110 au début du XXème siècle et s'inscrit dans les enjeux d'hygiénisme et de moralisation des classes populaires de l'époque : « Le mot gardien exprime clairement le fait qu'il est nécessaire de garder les locataires afin qu'ils ne dévient pas des chemins tracés en fonction des découvertes relatives à l'hygiène. »111. Cependant, c'est à partir de la création des ZUP112 en 1959 que naissent les grands ensembles à travers des programmes de construction de masse et que le besoin de gardiens s'amplifie pour l'entretien de cette pléiade de nouveaux immeubles.

    La crise de 1973 marque les débuts du processus de relégation qui caractérise ces grands ensembles jusqu'à aujourd'hui. D'abord espace de transition destiné à accueillir des populations se trouvant dans les premières étapes de leur ascension sociale et de leur parcours résidentiel, les cités deviennent peu à peu des zones de relégation qui interdisent à la plupart de leurs habitants tout espoir de promotion sociale et de mobilité résidentielle. Face à ce constat auquel s'ajoute la dénonciation de la piètre qualité du cadre bâti et des infrastructures urbaines, les bailleurs sociaux passent « d'une phase d'équipement et de construction à une phase de gestion de l'existant en vue d'améliorer la qualité du cadre de vie. »113. De façon concomitante, la sociabilité néo-urbaine fantasmée par les architectes qui ont conçu ces espaces résidentiels prend plutôt la forme d'un repli progressif sur la sphère privée. La proximité spatiale propre à ce mode d'habitat s'accompagne d'une distance sociale croissante entre les résidents114. Dans ce contexte, les objectifs des bailleurs sociaux s'orientent vers une revitalisation du tissu social des grands ensembles et les gardiens tendent à être investis d'une mission de médiation. Au début des années 1990, la fonction de gardien, qui ne nécessitait auparavant aucune compétence ni aucun apprentissage particulier, se formalise légèrement avec l'apparition de formations, bien que celles-ci restent relativement sommaires et sporadiques. Cette démarche répond à l'adoption des « principes du néolibéralisme gestionnaire »115 par les organismes logeurs (rentabilité économique, logique de marché, idéologie managériale) qui souhaitent rationaliser le métier de gardien dans le cadre de leurs programmes de modernisation.

    110 Les habitations à bon marché (HBM) correspondaient, jusqu'en 1949, aux actuelles HLM (habitations à loyers modérés).

    111 Ibid., p. 32.

    112 Zones à Urbaniser en Priorité

    113 Ibid., p. 35.

    114 CHAMBOREDON Jean-Claude, LEMAIRE Madeleine, « Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement », in Revue française de sociologie, n° 11-1 : 1970, p. 3-33.

    115 MARCHAL Hervé, op. cit., p. 37.

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    Aussi, les premières émeutes urbaines accentuent le rôle de médiation sociale conféré aux gardiens qui doivent désormais tenter d'impliquer au maximum les habitants dans une coproduction de la sécurité. Le décret du 18 décembre 2001 consacre ce rôle en instaurant une obligation de gardiennage ou de surveillance dans les immeubles ou groupes d'immeubles « de plus de 100 logements situées dans des zones urbaines sensibles ou dans des communes dépassant 25 000 habitants. Que ce soit par les décideurs politiques, par les acteurs du Mouvement HLM ou même par des chercheurs en sciences sociales, les gardiens-concierges sont désormais considérés comme l'une des solutions aux problèmes rencontrés dans de nombreuses cités d'habitat social de banlieue. »116. Finalement, qu'il s'agisse du concierge de l'immeuble bourgeois du XIXème siècle ou du gardien d'HLM d'aujourd'hui, c'est toujours une même mission de contrôle social des populations indigentes et/ou déviantes qui se situe au coeur de la mission de gardiennage. Toutefois, il est nécessaire de prendre du recul avec la définition institutionnelle de la fonction de gardien qui reste, somme toute, théorique et largement idéalisée pour tenter de comprendre le rapport singulier à leur métier qu'adoptent ces travailleurs.

    II. Définition du métier et identité professionnelle

    Dans leur exercice quotidien, les gardiens disposent d'une large autonomie qu'ils apprécient et qui constituent la base de leur identité professionnelle. Au vu du manque de formations professionnelles, de la faible formalisation des tâches et de la grande variété des péripéties qu'ils doivent gérer, ils aiment mettre en avant leurs capacités relationnelles, leurs compétences manuelles, leur autonomie et leur sens de la débrouillardise. Ils opposent leur réactivité de terrain à l'inertie des agents de bureau de leur employeur. Toutefois, cet état de fait est à nuancer puisque, avec l'introduction croissante d'une rationalité gestionnaire, les organismes logeurs tendent de plus en plus à diviser le travail qui était auparavant effectué par ces seuls gardiens. Cette division du travail peut, comme c'est le cas chez Néolia117, prendre la forme d'une délégation de certains travaux à des sociétés privées118, d'une création de

    116 Ibid., p. 11-12.

    117 Néolia est l'organisme logeur de l'immeuble n°3.

    118 Les agents de nettoyage des sociétés privées assurent la sortie et le nettoyage des poubelles, l'entretien des locaux poubelles et des caves, la réparation et l'entretien des vide-ordures, la collecte, le stockage et l'évacuation des encombrants.

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    différents profils de gardiens auxquels correspondent des missions plus circonscrites119, ou d'une attribution de certaines tâches de gardiennage aux agents administratifs120. Cette restructuration du métier, qui assigne des tâches plus précisément définies aux gardiens, est surtout engagée dans les Entreprises Sociales pour l'Habitat bien qu'elle touche aussi de plus en plus les Offices Public de l'Habitat121. Elle remet en cause la définition de l'identité professionnelle des gardiens fondée sur la polyvalence et l'autonomie, ce qui alimente chez eux une certaine nostalgie122.

    « Ca a beaucoup changé, en sachant qu'il n'y a plus de relationnel, plus d'états des lieux, ni d'entrée, ni de sortie. Maintenant c'est les conseillers habitat et les agents de gestion [qui font les états des lieux]. Donc il n'y a plus de différences entre un agent de propreté et une gardienne. C'est exactement le même travail sauf que les gardiennes ne s'occupent plus des containers poubelles : il n'y a plus de sorties-rentrées, il n'y a plus de... Voilà, c'est la société de nettoyage qui fait. [...] « On a un grand regret du métier de gardienne. Ca c'est vrai qu'on en parle souvent et on dit : "Tu te rappelles il y a 10 ans, il y a 15 ans"... ». ». (Gardienne de l'immeuble n°3, Néolia, Palente).

    Pour bien comprendre comment les gardiens s'approprient leur métier, il faut insister sur le fait que ce métier ne constitue pas une vocation mais répond plutôt à un concours de circonstances, à une opportunité dans un parcours professionnel parfois tourmenté : « 95 % d'entre eux sont issus d'un autre milieu professionnel »123. Du fait de leur socialisation institutionnelle incomplète (manque de formation et de formalisation des tâches), les ressources convoquées par les gardiens pour assurer leurs missions et bâtir leur identité professionnelle proviennent en grande partie de leurs expériences professionnelles antérieures. La convocation d'anciennes manières de penser et d'agir s'exprime pleinement à travers les gardiens que nous avons pu rencontrer durant notre enquête de terrain. Le gardien de l'immeuble n°1 reproduit une logique d'ordre acquise lors de son passage à l'armée et de

    119 Les différents postes de gardiennage créés à la suite de la restructuration organisationnelle de Néolia sont les suivants : agent médiateur (en charge des aspects relationnels, des conflits de voisinage), agent d'entretien (en charge de la partie la plus visible du nettoyage et de l'entretien, c'est-à-dire les halls et les abords, le reste étant délégué à une société privée), chef de secteur (en charge de la coordination du travail des agents d'entretien).

    120 Concomitamment à la création de différents profils de gardien, les missions attachées aux postes administratifs ont également été redéfinies. Les conseillers habitat s'occupent des tâches administratives (contrat de location, justificatif de domicile, etc) et des états des lieux d'entrée et de sortie. Les agents de gestion gèrent tout ce qui se rapporte aux réparations ou travaux.

    121 Il existe deux types d'organismes HLM réunis au sein de l'Union Social pour l'Habitat (USH) : des établissements publics, sous la bannière des Offices Publics de l'Habitat (OPH), et des sociétés anonymes relevant du droit privé, rassemblées sous le vocable d'Entreprises Sociales pour l'Habitat (ESH).

    122 Les gardiens et gardiennes interviewés n'ont pas ou plus forcément ce titre de « gardien » (celle de l'immeuble n°3 est « chef de secteur », celui de l'immeuble n°1 est « responsable qualité ») mais continuent de se définir spontanément comme tel.

    123 Ibid., p. 14.

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    petits « boulots » dans la restauration. Il utilise des métaphores militaires pour décrire les modalités d'accomplissement des tâches sur son secteur et établit même un parallèle entre l'arsenal d'outils et de produits de nettoyage du gardien et les armes du soldat. Surtout, il insiste sur les notions de respect et de discipline qui lui paraissent indispensables pour pouvoir mener à bien son travail124.

    « Et finalement, avec les années passées aux 408125 tu te rends compte qu'entre l'armée et les 408 c'est semi-disciplinaire quoi [rires], c'est toujours la même chose. C'est un combat du matin au coucher. Les 408 c'est un boulot tendu. Pourtant c'est que du nettoyage ! Mais dans le nettoyage que nous faisons il n'y a pas que du nettoyage, tout simplement parce qu'il y a le lien avec le locataire. Pourquoi ? Parce qu'il faut faire respecter, entre parenthèses, le travail, il faut faire respecter les autres locataires, il faut faire respecter le règlement d'immeuble. C'est que du respect. Je te dis c'est quasiment semi-militarisé. Les 408 c'est l'armée ! ». (Gardien de l'immeuble n°1, Grand Besançon Habitat, cité Brulard)

    III. Valoriser ou subir le sale boulot

    Cette définition du métier s'accompagne d'une production de sens attaché aux différentes missions, ce qui implique que certaines soient valorisées et pleinement investies, et d'autres dépréciées et délaissées. Cette acception est très palpable au niveau de la gestion des déchets ménagers, d'autant plus que ce domaine d'action ne fait l'objet d'aucune prescription de la part du bailleur126 et constitue, en quelques sortes, l'archétype de ce que Everett Hughes nomme sale boulot127. Le sale boulot désigne un travail sans prestige qui ne nécessite pas de compétences techniques particulières et qui, par là même, est délégué, relégué « au plus bas

    124 De même, le gardien de l'immeuble n°2, qui a participé aux expérimentations du dispositif des emplois jeunes dans le cadre du contrat local de sécurité de Planoise avant de devenir gardien chez Habitat 25, définit sa mission actuelle à travers les principes de la médiation et l'impératif de sécurité. Quant à la gardienne de l'immeuble n°3 elle avait occupé différents postes d'ouvrier spécialisé avant d'être embauchée chez Néolia. Ainsi, elle définit son métier de gardienne par rapport à ses expériences professionnelles antérieures : d'une part, elle apprécie le milieu dans lequel elle travaille puisque celui-ci reste marqué par une sociabilité populaire à laquelle elle est très attachée ; d'autre part, elle valorise son métier en insistant sur l'autonomie qui lui est conférée par opposition au travail à la chaîne.

    125 « Les 408 » est la dénomination la plus connue de la Cité Brulard. « 408 » parce que le projet immobilier initial prévoyait la construction de 408 logements sociaux bien que les trois immeubles en comportent 500 depuis l'opération de réhabilitation au milieu des années 1990.

    126 Si les tâches logistiques relatives au nettoyage, aux rotations et à la sortie des bacs ou à la maintenance des locaux poubelles sont clairement consignées dans les missions du gardien, d'autres sont laissées à son bon vouloir (tri correctif, rappels à l'ordre et sensibilisation des locataires).

    127 HUGHES Everett, « Good people and dirty work », in Social Problems, 1962 : vol. X, p. 3-11.

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    dans la hiérarchie des tâches d'une catégorie »128. Aussi, son caractère de « perpétuel recommencement » (mythe de Sisyphe) le rend invisible aux yeux de l'organisation. D'une façon générale, l'ensemble des missions des gardiens s'apparente à un sale boulot : puisqu'ils se situent tout en bas de la hiérarchie du bailleur social129, ils écopent de nombreuses petites tâches déléguées tant par les locataires (nettoyage des parties communes, nettoyage et sortie des poubelles, travaux et réparations) que par les agents administratifs de l'organisme logeur (gestion des conflits entre locataires, états des lieux). Pour faire face à cette besogne déshonorante, les travailleurs disposent d'une solution qui consiste à retourner le stigmate associé à l'acceptation et à la réalisation du sale boulot. Il s'agit alors pour eux de revendiquer un type de compétence particulier que ne possède pas le reste de la hiérarchie, soulignant par là même que leur rôle est fondamental pour le fonctionnement de l'organisation bien qu'il soit peu mis en lumière. La principale ressource sur laquelle les gardiens s'appuient pour valoriser leur fonction est, comme dans le cas des aides-soignantes étudié par Anne-Marie Arborio, la dimension relationnelle130 de leur travail.

    Plus particulièrement, ce sale boulot trouve son paroxysme dans les tâches inhérentes à la maintenance des locaux poubelles et, dans ce cas, d'autres types de ressources sont également convoqués, ou non, pour valoriser leur investissement à ce niveau. Celles-ci prennent appui soit sur une éthique professionnelle, soit sur une sensibilité aux thématiques liées à la préservation de l'environnement, soit sur la dimension technique des opérations réalisées. Par exemple, le gardien de l'immeuble n°1 s'investit pleinement dans son rôle de maillon de la chaîne du tri et reconnait une part de responsabilité dans les résultats de la collecte sélective des immeubles dont il s'occupe.

    « Le gardien lui, maintenant il a une responsabilité sur la réussite du tri dans chaque bâtiment, ce qui veut dire une bonne gestion, une sensibilisation des usagers. C'est sur ça qu'on peut dire qu'il est le maillon fort, par rapport à la discussion avec les usagers, les sensibiliser. C'est lui le

    128 ARBORIO Anne-Marie, « Quand le "sale boulot" fait le métier : les aides-soignantes dans le monde professionnalisé de l'hôpital, in Sciences sociales et santé, 1995 : vol. 13, n°3, p. 108.

    129 La situation est relativement différente lorsqu'il y a délégation de certaines tâches à des entreprises privées. Néanmoins, cette délégation s'opérant en externe elle ne change pas fondamentalement l'équilibre interne à l'oeuvre dans la hiérarchisation des tâches.

    130 « Les agents de terrain profitent de la moindre marque de reconnaissance pour donner une valeur à leur immersion au sein de leur monde quotidien. Ils revendiquent ainsi des compétences relationnelles qu'eux seuls possèderaient grâce à leur proximité avec les locataires. Si le contact direct avec les « clients » est l'apanage des agents de terrain situés en bas de la hiérarchie sociale, il permet à ces derniers de faire valoir un type particulier de compétence. Les gardiens-concierges font ainsi de leur exclusion des « bureaux » un moyen de donner une certaine estime à leur travail. Le sale travail, entendu ici comme une obligation de s'acquitter d'une fonction de service qui suppose une confrontation directe avec des locataires appartenant aux catégories populaires, est susceptible d'être utilisé comme une ressource. En effet, il permet d'acquérir un savoir social que les gardiens-concierges revendiquent fièrement au point de se considérer, pour un certain nombre, comme des quasi-psychologues, éducateurs ou assistants de services sociaux. ». MARCHAL Hervé, op. cit., p. 79.

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    premier. Il sera, on peut dire, le maillon le plus fort pour pouvoir toucher les gens dans son immeuble. [...] Trier, présenter le maximum de poubelles jaunes, si j'y arrive je valorise mon travail et je valorise aussi tous les usagers qui participent au tri. [...] Alors c'est pour ceux là qu'on travaille aussi dur, c'est pour ça qu'on joue le jeu. » (Gardien de l'immeuble n°1, Grand Besançon Habitat, cité Brulard)

    D'une part, il fonde son éthique professionnelle sur une logique d'ordre acquise à l'armée où chaque élément doit se trouver à sa place et se montre ainsi très rigoureux dans la gestion des poubelles sur ses immeubles. De la même manière, le principe de respect étant essentiel pour lui, il tient à encourager les locataires qui se donnent la peine de respecter le tri. Dans cette optique, en contrôlant le contenu des bacs jaunes et en opérant un tri correctif avant de les sortir sur le trottoir pour qu'ils soient collectés, il évite que des erreurs de tri soient constatées par les ripeurs et que les déchets recyclables soient enlevés avec les déchets résiduels, ce qui risquerait de décourager les locataires trieurs. Ainsi, le gardien de l'immeuble n°1 consent à exécuter des tâches non prescrites par son employeur et valorise par ce biais une besogne qui s'apparente à un sale boulot. D'autre part, son action au niveau de la collecte sélective dépend directement de son degré de sensibilisation aux thématiques environnementales : un gardien peu réceptif à de tels arguments et qui, de surcroît, n'opère pas le tri au sein de son propre foyer risque de ne pas s'investir dans la régulation des comportements des usagers sur ses immeubles, et vice versa131. En outre, la dimension technique introduite par la redevance incitative peut également participer à la valorisation du travail des gardiens. Face au risque d'identification cohésive, c'est-à-dire de stigmatisation du travailleur à travers son assimilation à l'objet qu'il traite (en l'occurrence le déchet), la médiation d'un vocabulaire et d'un mode de gestion technicisés permettent de neutraliser la charge négative associé au déchet. Le gardien n'est plus une sorte de domestique moderne qui s'occupe de la souillure des autres mais le gestionnaire d'un gisement d'ordures ménagères potentiellement valorisable. Cette dimension technique s'exacerbe au niveau de sa tâche de rotation et sortie des bacs qui a une incidence directe sur la variable de facturation « levée ». Chaque bac loué par le bailleur disposant d'une levée mensuelle gratuite, le gardien doit s'assurer que tous les bacs disponibles sur l'immeuble soient utilisés et présentés à la collecte au moins une fois chaque mois pour ne pas perdre cette levée gratuite et, de cette façon, maîtriser au maximum le montant de la redevance et faire valoir ses qualités de « bon gestionnaire ».

    131 BOUSSARD Valérie, MERCIER Delphine, TRIPIER Pierre, « La dégradation du tri sélectif des déchets... ou les frontières du cercle du tri », in L'aveuglement organisationnel ou comment lutter contre les malentendus, Paris : Editions CNRS Sociologie, 2004, p. 22.

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    « C'est technique, c'est pour ça, je te dis, c'est très intéressant, c'est pas n'importe qui [qui peut le faire]... [...] Ce qui est valorisant c'est que les statistiques vont sortir. Ils vont dire "Oh purée, sur le bâtiment de Monsieur Untel on voit qu'il y a une bonne gestion, un bon suivi, une bonne rotation.". [...] C'est valorisé le travail. Nous, agents de nettoiement, on dit souvent : "On n'est pas valorisés !". On nous met les outils à la main pour nous valoriser. Même si ça reste dans notre travail quoi, c'est les poubelles. Mais on nous donne les outils pour nous valoriser, gérer nos poubelles. ». (Gardien de l'immeuble n°1, Grand Besançon Habitat, cité Brulard)

    Enfin, ces tâches de maintenance s'accompagnent d'une mission de sensibilisation des locataires qui donne au gardien une nouvelle occasion de faire valoir ses compétences relationnelles. Celles-ci se concrétisent par des mécanismes de réciprocité avec les usagers pour les inciter à adopter certaines pratiques et par l'ajustement de la distance à leur égard, c'est-à-dire qu'il ne faut pas que le gardien soit trop proche du locataire pour ne pas devenir son obligé, ni trop loin pour ne pas perdre l'emprise sur lui. Une nouvelle fois, le gardien de l'immeuble n°1 illustre de façon très parlante la finesse nécessaire pour faire adhérer les usagers à ses prescriptions.

    « Alors tu vas lui dire quoi ? "Monsieur, ton sac poubelle !". Il va te dire quoi ? Il va t'insulter. Qu'est-ce que toi tu vas faire ? Tu vas te défendre. Fini, plus de dialogue. [...] C'est très difficile de discuter avec les gens. Mais, l'art et la manière : jamais couper le dialogue. [...] Moi je me dis une chose : "Il est méchant aujourd'hui mais demain il est gentil.". Il est méchant aujourd'hui parce que tu lui dis "Ta poubelle c'est pas sa place !". Il est gentil demain parce qu'il a pas de courant à la maison. Et là, tu fonds dessus là ! Tu comprends le truc là ? C'est ça. Il faut pas rater l'occasion. Moi c'est comme ça que je travaille : "Aujourd'hui c'est pas grave, il a gagné, j'arrête là. Mais demain...". [...]Il va me dire [sur un ton aimable] : "Gardien, le papier, la boite aux lettres, la vitre, le chauffage, y a pas d'eau...". Je leur souhaite pas ! Mais je sais qu'un jour ou l'autre ils vont faire appel à moi. [...] Ça sert à rien d'être méchant, ça sert à rien de me dire ''J'en ai rien à faire !". Tout ce que je te demande c'est de m'aider à réaliser ce que j'ai envie de faire, comme moi je peux t'aider à résoudre tes problèmes. C'est donnant-donnant. Joues le jeu avec moi, c'est tout. Tu veux pas jouer le jeu avec moi ? C'est pas grave ! Mais moi je vais jouer le jeu avec toi. Tu vas m'appeler ! Et là moi je te glisse dessus. Te montrer que je suis là pour toi, que ce que tu me demandes je t'écoute, ce que tu me dis je t'écoute, je fais pour toi, j'essaye au mieux de t'arranger la chose. Comme ça quand je te dis "Par contre cousin s'il-te-plaît, la poubelle, machin là... C'est là !", tu vas pas le prendre mal là. ». (Gardien de l'immeuble n°1, Grand Besançon Habitat, cité Brulard)

    Cette valorisation du sale boulot par la revendication d'un « savoir social » acquis à travers les interactions quotidiennes de terrain passe par une attitude compréhensive vis-à-vis des locataires. Même ceux qui affichent un mode de gestion déviant de leurs déchets sont

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    supposés connaître des situations difficiles et disposent ainsi de circonstances atténuantes quant au fait qu'ils enfreignent régulièrement les règles collectives liées au vivre-ensemble. Les erreurs que les usagers commettent (erreurs de tri, poubelle au mauvais endroit) ne sont pas imputées à leur négligence ou à leur mauvaise foi132 mais traduisent plutôt une volonté de « bien faire » maladroite qu'il s'agit d'aiguiller.

    A l'inverse, certains gardiens, à l'instar de celui de l'immeuble n°2 qui accorde la prépondérance à sa mission de médiation et à l'objectif de sécurité, tendent à négliger la question de la gestion des déchets et rejettent toute la responsabilité des mauvais résultats de la collecte sélective sur leurs usagers. Ils adoptent un rôle minimal, en se conformant seulement aux prescriptions de leur employeur. Cette posture passive s'illustre par « une rhétorique professionnelle construite sur le refus d'être "l'esclave des locataires" ou "leur larbin" »133 et par des discours disqualifiant une grande majorité de locataires : « personne ne trie », « personne ne respecte », « tout le monde salit ». Cette posture discursive exacerbe le caractère ingrat des tâches de maintenance qu'effectuent les gardiens et souligne l'impossibilité de trouver des rétributions symboliques134 dans une telle besogne. Dès lors, il n'est pas envisageable pour eux de consentir à s'investir au-delà des prescriptions de leur employeur. Le fait d'opérer, à titre gracieux, un tri correctif avant de présenter les conteneurs à la collecte est jugé dégradant, humiliant. L'introduction de la redevance incitative, avec ses aspects techniques, ne change rien à leur vision des tâches de maintenance. La poubelle reste poubelle, la souillure reste souillure et aucun investissement supplémentaire de leur part n'est possible du moment que les locataires ne se montreront pas plus respectueux de leur travail. L'usager est donc forcément négligent et, une bonne part des erreurs qu'il commet dans la gestion de ses déchets n'est pas imputable à son manque d'information mais plutôt à sa mauvaise foi et à la facilité dans laquelle il se complait. Ainsi, un dépôt sauvage ou une grossière erreur de tri sont interprétés par les gardiens comme un manque de respect manifeste, voire une agression, à leur égard.

    132 TAPIE-GRIME Muriel, « Coopération et régulation dans les collectes sélectives des ordures ménagères », in Sociologie du travail, 1998 : vol. 40, n°1, p. 80.

    133 MARCHAL Hervé, op. cit., p. 44.

    134 GAXIE Daniel, « Économie des partis et rétributions du militantisme », in Revue française de sciences politiques, 1/1977 : Vol. 27, p. 123-154.

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    IV. Un rôle d'ajustement

    L'investissement des gardiens dans la gestion des déchets est donc variable et dépend des ressources qu'ils sont susceptibles de convoquer pour valoriser une tâche qui comporte a priori tous les attributs d'un sale boulot. Mais, dans tous les cas, ces derniers assurent au moins une régulation minimale sur les immeubles dont ils ont la charge par l'accomplissement des tâches de maintenance prescrites par leur employeur. Cette régulation peut s'accentuer par la réalisation d'actes destinés à réparer les défaillances matérielles ou humaines constatées dans l'organisation de la chaîne du tri. Par exemple, ces actions peuvent prendre la forme d'un contrôle de la qualité du tri et, si nécessaire, d'une correction des erreurs de tri, comme nous l'avons abordé à travers le cas du gardien de l'immeuble n°1. Il peut aussi s'agir d'arrangements avec les locataires sur le mode d'évacuation des encombrants. En principe, les locataires sont censés amener leurs encombrants et autres déchets spécifiques jusqu'en déchetterie et les organismes logeurs ne devraient pas prendre en charge les monticules d'objets qui sont abandonnés au pied des immeubles. Dans la réalité, peu de locataires respectent cette injonction ce qui oblige les gardiens et les bailleurs sociaux à trouver des compromis pour que ces types de déchets ne soient plus déposés sauvagement et, de ce fait, n'encombrent plus l'espace public. Par exemple, les locataires de l'immeuble n°1 peuvent prendre contact avec leur gardien lorsqu'ils souhaitent se débarrasser d'un meuble. Ce dernier leur indique alors à quel moment ils pourront venir le déposer dans le local destiné au stockage des encombrants. Quand le local est plein, le gardien fait appel à une entreprise pour qu'elle évacue tous ces matériaux en déchetterie. Une dernière action qui illustre les actes de réparation auxquels se livrent les gardiens est l'aménagement des locaux poubelles de façon à éviter le dépôt de déchets résiduels dans les bacs jaunes ou à améliorer l'effort de tri. Toujours sur l'immeuble n°1, l'exiguïté des trappes jaunes dans lesquels les usagers glissent leurs déchets recyclables étant un frein au tri des gros cartons, le gardien a décidé de laisser ouvertes les grilles de l'abri poubelles pour que ceux-ci puissent procéder à un dépôt direct.

    Ces différents actes de réparation sont destinés à assurer l'efficience du mode de gestion des déchets ménagers par « l'assouplissement de règles formelles qui se révèlent inadaptées aux grands ensembles. »135. Ils sont généralement inconnus ou peu pris en considérations par les acteurs institutionnels, notamment la CAGB, qui attendent davantage des gardiens l'établissement d'une communication de proximité qu'une action corrective au

    135 TAPIE-GRIME Muriel, op. cit., p. 84.

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    niveau du mode de gestion des déchets. Cependant, les témoignages des gardiens rencontrés et nos observations prouvent que cette communication de proximité n'est pas toujours aisée à mettre en place pour plusieurs raisons. D'abord, il n'est pas évident pour eux d'identifier clairement quelles sont les pratiques des différents locataires, de savoir qui trie et qui ne trie pas. Or, toute communication de proximité suppose une adaptation du discours à l'interlocuteur. Ainsi, pour pouvoir interpeller un locataire, le gardien doit nécessairement avoir observé sa pratique, de façon fortuite ou non. Ensuite, comme en témoigne la stratégie relationnelle du gardien de l'immeuble n°1, rappeler à l'ordre un locataire ne se fait pas n'importe comment, n'importe quand et n'importe où. Les gardiens opèrent un réglage de la distance à l'usager qui les empêche de s'immiscer trop intimement dans la vie privée de leurs locataires136. Il s'agit pour eux de conserver une certaine neutralité et une confidentialité pour ne pas se compromettre, pour rester en dehors des jeux de commérages entre voisins et ainsi garder une emprise sur tous les locataires. Observer et contrôler de façon trop insistante des pratiques qui relèvent de la sphère privée et révèlent une part de l'intimité des locataires risquerait de briser la stratégie relationnelle qu'adoptent la plupart des gardiens. Il en va de même en ce qui concerne l'émission de recommandations trop abruptes (« Il faut trier ! », etc.) qui sont interprétées par les usagers comme une disqualification de leur qualité de « locataires respectueux ». Dès lors, ceux-ci se sentent rangés dans la « case » des locataires déviants et n'ont plus aucun scrupule à enfreindre, cette fois-ci volontairement, les règles du vivre-ensemble137.

    Les modes d'action privilégiés par les gardiens sont donc ceux qui ne comportent peu ou pas de risques de voir leur stratégie relationnelle désavouée. Tout d'abord, la communication prend une allure formelle imposée par les agents administratifs de l'organisme logeur via la distribution d'un guide de tri à l'entrée du locataire dans le logement. Généralement, l'information transmise à cette occasion se retrouve noyée et

    136 Cette posture se construit en opposition à la figure populaire de la concierge commère qui colore sa vie professionnelle en colportant des ragots sur ses locataires. C'est ce qu'Hervé Marchal nomme une « stratégie de désidentification » : « La posture idéale, aux antipodes des pratiques auxquelles les concierges se prêtaient, réside dans une stricte application de la « politique du singe », c'est-à-dire, comme le diront certains enquêtés, « tout entendre, tout voir et ne rien dire ». ». MARCHAL Hervé, op. cit., p. 48.

    137 « C'est au cours de telles situations qu'un cercle vicieux relationnel peut apparaître. En effet, aux yeux des gardiens-concierges, certains locataires s'apparentent à des non-alignés, dans le sens où ils ne s'alignent pas sur les codes en vigueur et sur les règles élémentaires du savoir-vivre. C'est à ce titre qu'ils feront l'objet d'une mise à distance plus ou moins explicite. Mais ne comprenant pas pourquoi leur gardien les évite, les locataires offensés peuvent à leur tour être enclins à porter des jugements défavorables à son sujet. Pourquoi feraient-ils des efforts alors que leur interlocuteur fait manifestement preuve d'ostracisme à leur égard ? Ainsi, par un effet de miroir, des locataires s'engagent dans une carrière de non-aligné, vis-à-vis de leur gardien en le jugeant de plus en plus négativement. Plus les relations se tendent, plus les identités se durcissent jusqu'à ce que la rupture soit parfois définitivement consommée. Les profanations rituelles initiales, réalisées de façon totalement involontaire ou naïve par les locataires, deviennent désormais les causes manifestes du hiatus. ». Ibid., p. 104.

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    reléguée par « une procédure d'entrée dans le logement déjà longue et fastidieuse »138. Aussi, les gardiens sont amenés à développer, selon leur bon vouloir, une autre forme de communication écrite qui se matérialise par l'affichage des consignes de tri dans les locaux poubelles. Il peut s'agir de supports de communication autoproduits ou d'outils réalisés par la CAGB et transmis par les conseillers en habitat collectif. Parfois, face à l'expérience qu'ils font d'erreurs de tri récurrentes, certains gardiens ajoutent même des consignes négatives (« Il ne faut pas mettre telle matière dans le bac jaune ») pour compléter les consignes institutionnelles qui revêtent seulement une forme positive (« Il faut mettre tel emballage dans le bac jaune »). Surtout, ils mettent en oeuvre une communication orale à condition qu'elle prenne place dans des espaces bien délimités et dans des situations précises. Cette communication orale prend la forme de rappels à l'ordre qui s'effectuent directement en situation, c'est-à-dire lorsque les locataires apportent leurs ordures au local poubelles et que le gardien observe une non-conformité dans le dépôt. En effet, le local poubelle constitue le territoire quasi-exclusif du gardien : les locataires ne revendiquent pas de droits spécifiques sur cet espace connoté négativement, ils se hâtent d'y déposer leurs rebuts et en repartent promptement. Cette absence d'appropriation de l'espace « poubelles » qui est, par conséquent, directement assimilé au gardien, confère un surcroît de légitimité à ce dernier pour interpeller les usagers et veiller au respect des consignes. En revanche, les espaces intermédiaires situés entre la sphère privée et l'espace public sont partagés dans les usages entre les locataires et le gardien, ce qui atténue l'autorité de ce dernier et le bien-fondé de ses remontrances. Enfin, en ce qui concerne l'espace privé de l'appartement, il serait déplacé de la part du gardien de procéder à des rappels à l'ordre sur le territoire des locataires sous peine de provoquer leur indignation et de s'attirer leur hostilité. Il ne dispose donc pas d'une légitimité lui permettant d'interpeller les usagers au sein de cet espace et, pis, il risquerait de se trouver encore plus en porte-à-faux s'il tentait de leur imposer un modèle de gestion domestique de leurs déchets. Finalement, le gardien n'a réellement de prise que sur le dépôt139 : il ne veille donc pas à ce que les locataires trient au sein de leur foyer, il s'assure simplement qu'ils déposent leurs sacs proprement dans les poubelles appropriées.

    Son rôle de communication de proximité se limite donc à certains espaces et à certaines situations qui ne menacent pas son réglage de la distance à l'usager. Bien qu'il soit clairement identifié comme un relais d'information par les usagers trieurs qui expriment des

    138 ETIcs/Université François-Rabelais et Etéicos, DETRITUS / DEchets, TRI eT Usages Sociaux. Gestion des déchets et tri sélectif en habitat collectif HLM, Etude réalisée pour le compte de l'ADEME, Avril 2012, p. 68.

    139 Avant le dépôt, le cheminement du déchet est susceptible de passer par trois phases : la séparation (tri), le stockage, l'évacuation.

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    doutes sur une consigne de tri, il ne se trouve pas en position d'enrôler des usagers non trieurs dans la pratique du tri. Ainsi, la communication de proximité des gardiens est substantiellement différente et complémentaire à celle des conseillers en habitat collectif. Le discours des conseillers vise à délivrer un argumentaire pour convaincre les usagers non trieurs d'adhérer au tri et fournit des informations aux usagers trieurs pour leur permettre de perfectionner leur geste et de conforter le bien-fondé de leur démarche.

    Pour finir, nous pouvons souligner que le rôle essentiel joué par les gardiens dans la régulation de la collecte sélective en habitat collectif est partiellement remis en cause par les politiques des bailleurs sociaux qui tendent de façon croissante à déléguer les tâches les moins valorisantes à des sociétés de nettoyage. Les agents d'entretien de Néolia Palente ont perdu la compétence « gestion des poubelles » depuis le passage au tri, ce qui a bloqué toute possibilité d'investissement à ce niveau de leur part. Toutefois, le renforcement de la collaboration entre cet organisme logeur et la CAGB depuis l'instauration du programme d'accompagnement à la mise en place de la redevance incitative en habitat collectif a permis aux agents de terrain de Néolia de prendre conscience de leur importance dans la chaîne du tri et d'endosser un rôle dans la régulation de la collecte sélective sur leurs immeubles.

    Enquêteur : « Et vous allez faire de la surveillance, vous m'avez dit. Dans quel sens de la surveillance ? »

    Gardienne de l'immeuble n°3 : « Ben si on voit quelqu'un qui trie mal ou voilà, on le dit, on l'aide. »

    Enquêteur : « Parce qu'avant vous ne faisiez pas trop attention à ce qu'ils allaient jeter à la poubelle. »

    Gardienne de l'immeuble n°3 : « Non, non. Mais maintenant... Voilà, ben comme la mamie de l'autre jour : j'étais en train de mettre un courrier, je l'ai vu avec ses médicaments, je lui ai dit "Ah non, il faut pas faire ça !" ».

    Enquêteur : « Mais ça aurait été deux ans auparavant vous ne l'auriez pas interpelé parce que vous n'auriez pas su... »

    Gardienne de l'immeuble n°3 : Non, je l'aurais pas fait parce que d'une part je l'aurais pas su et puis j'aurais dit "Bon ben elle met... [au bon endroit]". Pour nous, dès l'instant où vous mettez dans les bacs c'est déjà bien, vous mettez pas par terre. Voilà. » (Gardienne de l'immeuble n°3, Néolia, Palente)

    Alors que les défaillances des opérations de collecte sélective en habitat collectif sont généralement imputées à des « mauvais » comportements individuels des usagers qu'il s'agit de corriger par une communication pédagogique de masse, elles révèlent surtout des

    déficiences dans l'agencement organisationnel des différents maillons de la chaîne du tri (usagers, gardiens, ripeurs) 140.

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    140 TAPIE-GRIME Muriel, op. cit., p. 85.

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    Chapitre 5 - Représentations et pratiques des usagers en milieu
    HLM relégué

    A travers les discours recueillis auprès des acteurs institutionnels (gardiens, techniciens de la CAGB, conseillers du tri, animateurs et travailleurs sociaux, responsables associatifs) ressort un constat de base au niveau de l'investissement des usagers dans la gestion des leurs déchets en habitat social collectif relégué : le tri n'est pas une question fondamentale pour des populations qui rencontrent des problèmes bien plus aigus au quotidien. Ce propos récurrent traduit à la fois le réalisme et le pessimisme des acteurs institutionnels qui travaillent dans les cités HLM. En énonçant un tel lieu commun on a à la fois tout et rien dit, on s'interdit de saisir la diversité et la profondeur des représentations et pratiques des usagers. Certes, les défaillances des opérations de collecte sélective rendent compte de problématiques plus profondes qui traversent ces quartiers et qui se rapportent tant aux difficultés économiques des ménages qu'à l'absence de normes partagées pour réguler les modes d'habiter. D'ailleurs, lorsqu'on recueille les discours des habitants on s'aperçoit que « la perception de la politique en matière de gestion des déchets s'inscrit dans une perception plus large de gestion et d'entretien du quartier. »141. Le déchet étant un très bon révélateur social, les débats autour de la propreté du quartier cristallisent les tensions entre les différentes populations qui y résident.

    I. L'absence de normes partagées pour réguler les modes d'habiter

    Les faibles performances de la collecte sélective en milieu urbain relégué révèlent l'hétérogénéité socioculturelle des modes de vie qui caractérisent ces quartiers142. Du trieur assidu au « salisseur » qui jette couches et restes de repas par sa fenêtre, la diversité des comportements observés interdit d'appréhender la population sous un angle unique et d'opérer des généralisations hâtives. A cette hétérogénéité socioculturelle s'ajoutent deux facteurs connexes qui renforcent l'absence de régulation collective des modes d'habiter : la trajectoire résidentielle subie par la plupart des habitants et l'échelle de cohabitation. D'une part, la majorité des habitants de cités HLM se sont retrouvés rassemblés au sein d'un même espace résidentiel sans l'avoir choisi, faute de mieux. Par conséquent, l'obligation de vivre

    141 ETIcs/Université François-Rabelais et Etéicos, op. cit., p. 25.

    142 PINÇON Michel, Cohabiter : groupes sociaux et modes de vie dans une cité HLM,, Paris : Plan construction, 1982, 246 p

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    ensemble est ressentie comme une contrainte plus que comme une opportunité de nouer un réseau relationnel étroit et chaleureux. D'autre part, plus l'échelle de cohabitation, c'est-à-dire la taille de l'unité d'habitation, est grande et plus émergent des tensions, des confrontations inhérentes aux différentes définitions des modes d'habiter. Bien qu'il existe des règlements formels établis par les bailleurs sociaux, ceux-ci concernent essentiellement « l'usage des installations et équipements et assez peu, hormis quelques interdictions et obligations positives, les relations proprement dites entre les cohabitants. »143. Or, dans la lignée des travaux de l'Ecole de Chicago sur les spécificités de la sociabilité urbaine, nous pouvons affirmer que la régulation sociale d'un espace « est d'abord l'affaire de tout un réseau, complexe au point d'être presque inconscient, de contrôles et de règles élaborés et mis en oeuvres par les habitants eux-mêmes. »144. Nous pouvons élargir ce propos à la gestion des déchets ménagers en habitat collectif : les performances de la collecte sélective sur un immeuble reflètent les capacités d'autorégulation des comportements du groupe résidentiel.

    Ainsi, la situation de l'immeuble n°3 contraste fortement avec celle des immeubles n°1 et 2. Il s'agit d'une unité d'habitation plus restreinte (seulement 40 logements) que les locataires se sont appropriés sur le mode de la résidence privée. La trajectoire résidentielle de la plupart des locataires de l'immeuble n°3 semble moins subie que choisie. En effet, l'immeuble disposant d'un certain standing (un des rares logements HLM de Palente à disposer d'un ascenseur) et ayant fait l'objet d'une labellisation « génération » (aménagements spécifiques pour accueillir des personnes ne disposant pas d'une autonomie de vie totale, notamment des personnes âgées), Néolia n'installe pas n'importe quel type de locataires dans ces logements. Pour pouvoir intégrer un tel immeuble il faut correspondre à un profil particulier, ce qui exclue de fait les familles nombreuses ou les locataires « à problèmes ». Malgré l'absence d'actes de régulation du gardien au niveau de la gestion des déchets (du fait de la délégation de ces tâches à une société privée), les habitants, pour la plupart des personnes âgées qui occupent leur logement depuis plus d'une dizaine d'années, mettent en oeuvre des mécanismes de contrôle social. Ceux-ci opèrent sur des échelles de cohabitation réduites et peuvent prendre différentes formes. Par exemple, au niveau de chaque étage145, les locataires effectuent eux même le ménage à tour de rôle dans le couloir. Un tel

    143 MOREL Alain, « La civilité à l'épreuve de l'altérité », in HAUMONT Bernard, MOREL Alain [dir.], La société des voisins. Partager un habitat collectif, Paris : Éditions de la Maison des sciences de l'homme, Ethnologie de la France, Cahier 21, 2005, p. 10.

    144 JACOBS Jane, Déclin et survie des grandes villes américaines, Liège : Mardaga, 1991. Cité in JOUENNE Noël, Dans l'ombre du Corbusier. Ethnologie d'un habitat collectif ordinaire, Paris : L'Harmattan, Questions Contemporaines, 2007, p. 36.

    145 Il y a une petite dizaine d'appartements par étage et cinq étages sur l'immeuble.

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    mode de fonctionnement, pour pouvoir perdurer dans le temps sans créer de conflits de voisinage, oblige les locataires à coopérer dans l'exercice de cette tâche, à s'entendre sur une définition commune du « propre » et des modes d'habiter. Aussi, certains locataires assument un rôle moteur au niveau du tri sur leur étage en diffusant de l'information par voie orale (conseils, sensibilisation) ou écrite (prospectus sur le gestion des déchets) à leurs voisins et, parfois, en corrigeant certaines erreurs de tri manifestes dans le bac jaune lorsqu'ils emmènent leurs déchets recyclables jusqu'au local poubelles. De plus, tous les locataires se connaissant plus ou moins personnellement au niveau de l'immeuble et les plus intégrés d'entre eux opèrent une régulation des comportements via la logique du ragot. Des usages moyens146 se dégagent des pratiques des habitants et sont investis d'une valeur normative : le locataire qui s'en écarte subit la foudre de ses voisins, acquiert une mauvaise réputation et est très vite marginalisé au sein du collectif d'habitation147. Cette stigmatisation des locataires déviants se double d'une survalorisation de l'identité collective des locataires alignés qui se matérialise par le zèle affiché dans l'entretien des parties communes et le contrôle des allers-venus dans l'immeuble, puisque les espaces de cohabitation sont censés refléter les qualités morales des habitants148. Cette forme de régulation interne au groupe résidentiel est puissante puisqu'elle autorise une normalisation des comportements dans les espaces intermédiaires qui peut même s'immiscer dans la sphère privée. Tel est le cas en ce qui concerne la gestion des déchets : non seulement le locataire est enjoint à respecter la propreté des parties communes en ne laissant pas trainer ses sacs poubelles dans les couloirs et en les déposants dans le bac approprié mais, en plus, il est fortement incité à trier ses déchets au sein de son espace domestique sous peine de compromettre sa réputation dans l'immeuble. Ainsi, le déploiement d'une forme de contrôle social minimal suppose l'existence d'un groupe dominant capable d'instaurer un usage moyen reconnu et stabilisé. « L'existence d'un tel groupe, qui n'est pas nécessairement

    146 « Jean-Claude Kaufmann (1983), qui a utilisé cette notion pour caractériser les relations dans une cité HLM en Bretagne, remarquait que l'« usage moyen » n'est pas généralisable - il naît d'un rapport de force - et que plus l'ensemble résidentiel est grand, plus il peine à s'établir. Il se construit plus facilement au sein d'un groupe restreint comme celui que forme la cage d'escalier. ». MOREL Alain, op. cit., p. 12.

    147 « Sans chercher l'affrontement direct avec ceux qui dérangent, les habitants disposent néanmoins de moyens pour manifester leur réprobation et faire savoir quelles règles ils voudraient voir respecter : dénonciation et médisances, évitements plus ou moins manifestes et attitudes distantes, regard réprobateur, refus de saluer et refus de fréquentation des enfants, et, plus directement, admonestations, actions démonstratives comme coups au plafond [...] pour promouvoir des usages auxquels ils sont attachés [...].Cette production normative individuelle trouve un prolongement collectif, entre voisins, sous la forme de scènes de justification sur le bien-fondé de la réprobation, de discussions sur la définition de la situation afin que celle-ci fasse sens (ce qui est tolérable à un moment de la journée peut ne plus l'être à un autre), d'un travail de construction des figures de déviants (les jeunes, les immigrés, les chômeurs, les assistés, les gens sales, etc.) ou à l'inverse d'habilitation des gens comme il faut. ». MOREL Alain, op. cit., p. 11.

    148 HONNORAT Annie, « Cohabiter malgré tout », in HAUMONT Bernard, MOREL Alain [dir.], La société des voisins. Partager un habitat collectif, Paris : Éditions de la Maison des sciences de l'homme, Ethnologie de la France, Cahier 21, 2005, p. 298.

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    majoritaire, tient, entre autres, à la stabilité des occupants et à leur commune habitude de considérer leurs propres pratiques, qui se sont accordées avec le temps, comme référence collective. »149.

    En revanche, l'hétérogénéité socioculturelle et le fort taux de rotation locatif qui caractérisent les immeubles n°1 et 2 freinent la constitution d'un groupe d'habitant dominant, légitime et stabilisé en mesure d'asseoir une norme collective régulant les modes d'habiter. De surcroît, l'introduction du tri a élevé le « niveau de la norme du "bon" comportement »150 et a augmenté la difficulté à définir et faire respecter un usage moyen. On observe donc une pléthore de pratiques disparates sans qu'aucune d'entre elles ne triomphe et ne s'impose aux autres. A cela s'ajoute une diversité des cadres interprétatifs qui permettent aux habitants de donner un sens à ces multiples pratiques151. Par exemple, une partie de la population qui s'exécute à trier ses déchets considère ce geste comme « allant de soi » et juge négativement ceux qui n'adoptent pas cette pratique, ce qui les rapproche de la définition normative de l'immeuble n°3. D'autres, qui ne trient pas leurs déchets, confèrent à cette pratique une valeur négative en la rapprochant d'un sale boulot non rémunéré. Bref, non seulement les pratiques diffèrent mais, en plus, elles n'acquièrent pas une signification sociale partagée. Les situations relativement similaires de l'immeuble n°1 et de l'immeuble n°2 laissent transparaître une confrontation insoluble entre de nombreux principes d'action ainsi qu'entre les différents jugements moraux qui leur sont corrélés. Ces décalages entre locataires peuvent être porteurs de conflits, ce qui pousse la plupart d'entre eux à adopter une position de retrait plutôt que de tenter d'intervenir et d'imposer sa définition de la norme. Rappeler à l'ordre son voisin comporte un risque de compromission, c'est-à-dire que les habitants craignent des « représailles » par lesquelles ils pourraient perdre la face publiquement et voir leur réputation piétinée. C'est pourquoi les locataires délèguent presque entièrement la régulation des modes d'habiter au bailleur social et à ses agents de terrain que sont les gardiens. Ainsi, comme nous l'avons déjà détaillé, la forme de régulation alors mise en oeuvre par ces derniers concerne principalement les pratiques qui s'opèrent dans l'espace public ou au sein des parties communes. Les gardiens ne peuvent donc intervenir que sur les comportements qui ont trait à l'évacuation et au dépôt des déchets par les locataires. En aucun cas ils ne peuvent prescrire à

    149 MOREL Alain, op. cit., p. 13.

    150 BODINEAU Martine, « Jeter n'est pas salir : ethnométhodologie d'une enquête sur la propreté des espaces publics », in Cahiers d'ethnométhodologie, 2009 : n° 3, p. 28.

    151 Comme le révèle Howard Becker, il y a une « indépendance logique entre les actes et les jugements que les gens portent sur eux ». BECKER Howard S., Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris : Métailié, 1985, p. 210.

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    leurs locataires un mode de gestion domestique des ordures ménagères en leur imposant par exemple de faire le tri.

    En ce qui concerne les immeubles en situation de relégation aigue, les difficultés éprouvées tant par les habitants que par les organismes logeurs pour réguler les comportements liés aux modes d'habiter constituent un contexte de fond sur lequel il semble difficile d'agir. Par contre, en tentant de capter les représentations des habitants et de saisir les micro-pratiques qu'ils mettent en oeuvre dans la gestion de leurs déchets, il est possible de faire ressortir les rapports au déchet propre aux milieux urbains défavorisés et ainsi d'ajuster les actions de la collectivité en fonction des préoccupations des usagers.

    II. Les différentes pratiques de tri et les discours afférents

    Tout d'abord, contrairement à certains présupposés, tous les usagers ont connaissance de la norme institutionnelle préconisant le tri des déchets via leur confrontation quotidienne au mobilier urbain : au minimum, les usagers remarquent qu'il existe plusieurs types de poubelles (la jaune, la grise, le PAV pour le verre, etc.)152 et donc plusieurs flux de déchets, même si ils ne connaissent pas forcément les modalités d'application du tri. En revanche, tous ne se positionnent pas de la même manière face à l'injonction au tri : certains se trouvent en marge de cette norme, d'autres la méconnaissent et en atténuent la portée, quelques-uns s'efforcent de l'appliquer du mieux qu'ils peuvent.

    1. Typologie des usagers en habitat social relégué

    Malgré l'hétérogénéité socioculturelle qui caractérise les immeubles n°1 et 2, notre enquête de terrain a permis de mettre à jour différents types de pratiques de gestion des déchets auxquels sont liés des discours et des niveaux d'information spécifiques. Nous proposons ainsi de modéliser la population des usagers en habitat social relégué selon trois

    152 « Franchement, mis à part, comme je vous ai dit, j'ai vu il y a quelques années ils ont changé toutes les poubelles en bas, que maintenant il y a du bleu et il y a du jaune, chose qu'il n'y avait pas avant. Ouais, que voilà, comme je vous ai dit les poubelles de verre, les machins, enfin il y a des choses dans la rue bien sûr qui attirent l'oeil et qui fait que tu te poses des questions. Mais j'ai pas été vraiment sensibilisée en fait. [...] Ouais, c'est plus le changement qui a fait que je me suis posée des questions en fait [plutôt] que vraiment les informations, je sais pas moi, aux arrêts de bus ou quoi, machin. J'ai jamais vu des choses comme ça. » (Locataire de l'immeuble n°1,

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    profils - les déconnectés, les perplexes et les trieurs assidus - correspondant à des types idéaux153.

    Les déconnectés

    Il s'agit d'une minorité de la population, principalement constituée de personnes mal intégrées et désignées comme déviantes (primo-arrivants, « cas sociaux »), qui ignorent presque tout de la « bonne » gestion des déchets ménagers au regard des difficultés économiques et sociales auxquelles ils sont confrontés. L'information dont ils disposent sur le sujet est lacunaire, voire inexistante : ils ignorent qu'une redevance incitative a été mise en place et, bien qu'ils perçoivent l'existence d'une collecte sélective, ils n'ont presque aucune notion en matière de tri. Cette population semble tellement « déconnectée » des enjeux inhérents à la gestion des déchets qu'il peut paraître illusoire d'espérer emporter leur adhésion au dispositif mis en place par la CAGB.

    Les perplexes

    Cette typologie comprend une large majorité de la population qui, lorsqu'on l'interroge sur le tri, évoque spontanément les pratiques déviantes de certains déconnectés (jets de déchets par les fenêtres, dépôts sauvages, etc.) sans même aborder son propre mode de gestion domestique. Ce report de la faute sur les populations marginalisées leur permet d'éviter d'avouer à l'enquêteur qu'ils ne trient pas et, par là même, d'admettre qu'ils sont eux-mêmes déviants par rapport à la norme institutionnelle. Les perplexes sauvent leur honneur154 en déplaçant le stigmate dont est victime l'immeuble ou le quartier dans lequel ils résident, en rejetant les mauvais comportements (jets par les fenêtres, dépôts sauvages) sur les populations mal intégrées. Par la dénonciation du désordre provoqué par certains fauteurs de troubles ils tentent ni plus ni moins de recréer de l'ordre au sein d'une situation vécue comme anomique. Ceci passe par un système d'oppositions qui distingue l'habitant intégré de l'habitant non intégré, les comportements conformes des comportements déviants. Ce discours laisse transparaître une définition et une attente de confirmation d'une norme minimale qu'ils s'évertuent à respecter : mettre les ordures au « bon endroit », c'est-à-dire dans un sac qui sera

    153 Nous nous inscrivons dans la définition que Max Weber a donnée de l'idéal-type, c'est-à-dire que cet outil est plus destiné à fournir une grille d'intelligibilité permettant d'approfondir la réflexion sur un phénomène qu'à retranscrire la réalité. La construction d'un idéal-type consiste tout d'abord à relier dans une trame commune, des phénomènes potentiellement disparates de l'expérience, quitte à atténuer ou mettre en avant certains traits de l'objet étudié.

    154 CALOGIROU Claire, Sauver son honneur. Rapports sociaux en milieu urbain défavorisé, Paris : L'Harmattan, Logiques sociales, 1989, 150 p.

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    proprement déposé dans la poubelle prévue à cet effet, sans forcément trier. A travers la construction d'un tel réquisitoire, les perplexes valorisent une forme d'usage qui est la leur et qu'ils aimeraient voir appliquée par tous pour qu'elle devienne un usage moyen capable de réguler les comportements au niveau de la gestion des déchets.

    Par ailleurs, cette population considère que son adhésion au tri est facultative et ne se définit donc pas comme acteur dans la chaîne du tri. Elle entretient une représentation imaginaire selon laquelle les déchets non triés par les ménages sont systématiquement retriées en usine après leur collecte. Néanmoins, une grande partie des perplexes trie ses déchets sporadiquement lorsqu'elle se retrouve dans des situations spécifiques et se situe, dans une certaine mesure, à la croisée des catégories d'usagers que le rapport DETRITUS nomme trieurs partiels et trieurs occasionnels155. Par exemple, une locataire de l'immeuble n°1 témoigne du fait qu'elle triait parfois certaines matières pour des raisons de commodité avant que l'intervention en porte-à-porte d'une conseillère du tri ne l'incite à s'engager dans le tri de façon plus assidue.

    « Si je dois descendre avec un gros carton, je vais pas le mettre dans la poubelle bleue alors que

    juste devant moi il y a l'image pour qu'il rentre dans la poubelle jaune. [...] Le verre c'est pareil. Enfin si j'ai, je sais pas moi, dix bouteilles en verre, j'allais pas les jeter dans la poubelle en bas, je sais que ça va là-bas. Mais c'était pas assez régulier, c'était pas au quotidien en fait. Alors que maintenant c'est un peu plus. ». (Locataire de l'immeuble n°1, 26 ans, au chômage, a toujours vécu à la cité Brulard, partage l'appartement de sa mère)

    Les perplexes ont conscience de payer pour l'enlèvement de leurs ordures ménagères à travers leurs charges locatives mais ils n'ont aucune idée du montant dont ils s'acquittent, ni même du mode de calcul (redevance incitative) et de répartition en vigueur (tantième). Ils ne prêtent guère attention à la communication écrite (affiches, lettres d'information) qu'ils considèrent comme « ne les concernant pas » mais sont sensibles aux interactions directes avec les conseillers du tri. Il s'agit d'une population qui, selon les gardiens, accepte de « jouer le jeu », c'est-à-dire qui fait l'effort de ne pas salir, de ne pas déposer ses déchets n'importe où, de ne pas perturber le système. Les perplexes constituent le public cible pour les opérations de sensibilisation : à travers une communication adaptée il est relativement aisé d'infléchir leurs représentations erronées sur la gestion des déchets et de leur livrer un

    155 Les « trieurs partiels » sont les usagers « qui trient certains déchets et pas d'autres mais avec régularité ». Les critères qui les amènent à inclure ou exclure certaines matières du geste de tri sont au nombre de trois : la taille (par exemple, les gros cartons seront triés pour des raisons pratiques puisqu'ils ne rentrent pas dans la poubelle domestique), le degré de souillure (par exemple, la boite de sardine odorante sera exclue du tri) et la dangerosité (par exemple, la bombe aérosol perçue comme un contenant dangereux ne sera pas triée). Quant aux « trieurs occasionnels », il s'agit d'usagers qui trient de façon discontinue dans le temps et souvent de manière incomplète. ETIcs/Université François-Rabelais et Etéicos, op. cit., p. 7.

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    argumentaire pour qu'ils s'engagent dans une démarche de tri. En revanche, ils sont généralement critiques face aux opérations de compostage collectif, surtout si celles-ci prennent place sur des immeubles « à problèmes ». Ils se montrent même sceptiques et pessimistes vis-à-vis de ces opérations, considérant qu'il s'agit d'un délire technocratique qui ne répond en rien aux difficultés quotidiennes que rencontre la population locale.

    « [Le compostage] j'en vois pas l'utilité. Honnêtement, je pense que c'est plus un truc qui va cramer toutes les semaines, plutôt qu'un truc qui va véritablement servir. Donc non, non. Franchement j'y pense même pas, j'arrive même pas à y croire. [...] Enfin ouais, mettre de l'argent où vraiment on se dit que ça peut être détruit comme ça, bêtement, et jamais réutilisé... Facture inutile j'ai envie de dire. C'est vraiment... C'est bidon. » (Locataire de l'immeuble n°1, 26 ans, au chômage, a toujours vécu à la cité Brulard, partage l'appartement de sa mère)

    Les trieurs assidus

    La catégorie des trieurs assidus, largement minoritaire, est composée d'habitants qui résident dans le quartier depuis longtemps, se sont approprié leur logement sur le mode de la résidence privée et respectent à la lettre les consignes de tri. Ceux-ci trient de façon complète les différents flux de matière : tri des déchets recyclables, fréquentation des PAV verre, des points relais textiles, des déchèteries, etc. Cette population a ancré le geste de tri dans ses habitudes, ce qui se traduit par une minimisation de l'effort consenti pour la mise en oeuvre de cette pratique : « C'est pas compliqué de faire le tri ! », « C'est pas pour le temps que ça prend... ». Elle s'informe par le biais du bouche-à-oreille (voisins, proches), de la presse locale et est réceptive à la communication écrite. De ce fait, il s'agit bien souvent de la seule frange de la population qui ait connaissance de la mise en place de la redevance incitative bien qu'elle ne sache pas vraiment détailler ses modalités d'application et se positionne donc comme étant en attente d'informations supplémentaires sur ce sujet. Les trieurs assidus se disent intéressés par la mise en place de projets de compostage collectif qui constituent pour eux un prolongement logique de leur engagement dans le tri.

    Si les trieurs assidus minimisent l'effort consenti pour pratiquer le tri, force est de reconnaître que ce geste n'est pas donné naturellement et que, par conséquent, il suppose un apprentissage social capable de se concrétiser par la modification du mode d'organisation domestique. Avant d'aborder la question des modalités d'application du geste de tri, détaillons les pratiques qui se réfèrent aux objectifs prioritaires dans la hiérarchie du traitement des déchets consacrée par le Grenelle de l'environnement : la prévention et la réutilisation.

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    2. Un principe de prévention marginal, des pratiques de réutilisation ancrées dans des valeurs populaires

    Au niveau des ménages, le principe de prévention est censé s'intégrer dans la palette de critères qui guident la rationalité de l'éco-consommateur. Il correspond à l'ensemble des actions, ou non action (par exemple, ne pas consommer tel produit), que ce dernier peut mettre en oeuvre pour prévenir ou réduire la production et la nocivité des déchets. En milieu urbain défavorisé, le principe de prévention reste relativement marginal et le critère d'achat des consommateurs reste avant tout économique. Les usagers de l'habitat HLM relégué ne prennent que rarement en compte le suremballage pour orienter leurs choix de consommation. Pour trouver les meilleures offres en termes de prix, une grande partie des ménages s'appuie sur la publicité papier afin de prendre connaissance des différentes promotions en cours, ce qui freine la distribution par les conseillers du tri de leur outil de prévention phare qu'est le fameux autocollant « Stop pub ».

    « Après, les grosses courses en général ça dépend. On est pas vraiment... On est pas une clientèle très très fidèle dans le sens où on va aller selon les promotions. [...] Moi je sais que je fais toujours attention au prix. Si je peux aussi faire attention au produit, faire en sorte qu'il soit recyclable et machin, c'est cool. Mais je vais pas vous cacher que le critère prioritaire c'est le prix. » (Locataire de l'immeuble n°1, 26 ans, au chômage, a toujours vécu à la cité Brulard, partage l'appartement de sa mère)

    La prise en compte du critère « prix » peut aussi s'avérer propice à la réduction, certes involontaire, du volume d'emballage puisque, pour réaliser des économies, les consommateurs privilégient les formats familiaux. Malgré cela, ils ont l'impression de disposer de marges de manoeuvre très réduites pour intégrer le principe de prévention dans leurs critères d'achat. Ce « sentiment d'impuissance voire d'absence de responsabilité » se double d'une « dénonciation d'un système de production qui participe à l'injonction normative mais n'adopte pas de position exemplaire dans les faits »156.

    Par ailleurs, le principe de réutilisation est ancré dans des valeurs populaires limitant le gaspillage. Beaucoup d'emballages réutilisables, tels que les bocaux en verre, sont conservés ou donnés à des proches et connaissent ainsi une seconde vie. Il en va de même pour les textiles qui sont soit donnés lorsqu'ils sont encore en bon état, soit transformés en chiffons.

    156 ETIcs/Université François-Rabelais et Etéicos, op. cit., p. 41.

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    3. Le tri : un processus complexe

    Le tri est un processus complexe qui, pour devenir effectif, suppose l'enchaînement de différentes étapes (séparation, stockage, évacuation, dépôt) et l'harmonisation des gestes des différents individus qui composent le foyer. Au final, c'est une organisation domestique rodée qui doit s'instaurer pour permettre la stabilisation du geste de tri.

    Tout d'abord, au niveau de la séparation, il faut s'assurer que les membres du ménage partagent les mêmes critères de discrimination. Pour cela, les ménages doivent nécessairement définir, organiser et stabiliser des processus spécifiques pour orienter chaque déchet vers son « bon » emplacement. Par exemple, ceux qui disposent d'un « mémotri » le placent à un endroit stratégique qui leur permet de consulter facilement les consignes de tri en cas de doute.

    « La feuille est sur le frigo, il y a ça dans la cuisine où il y a les déchets avant qu'on les ramène dans le balcon, donc non, en général quand je ramène dans le balcon, je sais où ça va parce que je jette un oeil. » (Locataire de l'immeuble n°1, 26 ans, au chômage, a toujours vécu à la cité Brulard, partage l'appartement de sa mère)

    Après avoir séparé les déchets selon leur nature, il faut pouvoir les stocker temporairement avant de les évacuer. En habitat collectif, « le stockage constitue une étape cruciale dans le parcours de tri. C'est une des plus problématiques dans le sens où elle impacte directement les espaces de vie, en particulier la cuisine et l'entrée. L'observation des logements met en évidence l'existence de dispositifs techniques de stockage plus ou moins spontanés et complexes entraînant une modification, parfois importante, dans l'organisation des espaces. »157. C'est ce que traduit l'extrait d'entretien précédent à travers l'usage insolite de la préposition « dans » au lieu de « sur » pour désigner l'espace domestique qu'est le balcon. Ce choix lexical n'est pas une erreur de la part de la locataire mais, au contraire, souligne le fait que le balcon soit utilisé comme une pièce de débarras, comme un espace de stockage, et non comme un espace extérieur destiné à prendre l'air, meublé de tables, de chaises ou de plantes d'ornements158. Cet exemple possède une dimension heuristique au niveau de la compréhension des représentations qu'entretiennent les locataires de logements HLM relégués vis-à-vis des espaces de cohabitation. A ce titre, leurs rapports aux parties communes et aux espaces publics diffèrent largement de ceux qu'on retrouve en habitat pavillonnaire. En effet, ces espaces sont fréquemment utilisés comme des prolongements fonctionnels du logement : ils peuvent servir d'espace de stockage pour certains objets déchus

    157 Ibid., p. 45

    158 Cf. Annexe 1, photo n°9.

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    qui impactent fortement l'espace domestique (encombrants, déchets électroniques, poubelle à couches)159. Ainsi, l'interprétation selon laquelle tous les meubles se trouvant sur les paliers ont été abandonnés par leur propriétaire est erronée. Souvent, ceux-ci sont seulement stockés temporairement hors de l'appartement en attendant de trouver une solution d'évacuation160. Du stockage des déchets recyclables à celui des encombrants, les usagers s'efforcent de trouver une place à ces objets tout en minimisant l'impact sur leurs espaces de vie. Ceci se traduit par la mise en invisibilité du déchet qui est relégué sur le palier, « dans » le balcon ou sous l'évier et par l'invention de dispositifs à la fois pratiques et économes en espace161. « Les dispositifs de stockage se construisent autour d'oppositions classiques entre Propre/Sale, Visible/Invisible, Neutre/Odorant, Valorisable/Rebut. »162.

    Ensuite, l'évacuation des déchets vers leurs lieux de dépôt suppose à nouveau une forme d'organisation domestique stabilisée : « Déplacer les déchets, les rendre transportables, mettre le nouveau dispositif en visibilité (de façon suffisamment ponctuelle pour ne pas provoquer de désordre dans l'espace domestique) et enfin désigner le membre du foyer en charge de son acheminement jusqu'au lieu de dépôt... Elle implique donc une réorganisation spatiale du déchet, une organisation temporelle proche du "juste à temps", enfin lorsque cela est possible une délégation à un tiers (conjoint ou enfant). Il s'agit donc d'un ensemble d'opérations qui doivent s'enchaîner avec fluidité au risque d'engendrer agacements et rancoeurs. Les pratiques de tri sont très largement dépendantes des conditions de circulation des déchets en fin de parcours. Lorsque l'évacuation devient une charge mentale trop importante, lorsqu'elle nécessite des trajets spécifiques, lorsqu'elle concurrence d'autres priorités (en particulier la sécurité et l'hygiène), cela conduit à une discontinuité des pratiques, parfois à leur abandon. »163.

    Enfin, l'évacuation est directement liée à la dernière étape du tri qu'est le dépôt. Pour que celui-ci soit conforme aux attentes des gardiens et de la CAGB il faut, d'une part, que l'usager respecte les consignes de dépôt (déchets résiduels en sac, déchets recyclables en vrac) et, d'autre part, qu'il n'y ait pas de freins potentiels au dépôt empêchant l'usager des mettre ses déchets dans la bonne poubelle (trappe jaune trop exigüe, trappe souillée, dépôts

    159 Cf. Annexe 1, photos n°5, 6, 7, 9, 15, 17, 18.

    160 Il faut noter que les espaces de stockage que sont les caves ont fréquemment été soustraits à l'usage des locataires pour des raisons de sécurité (incendies à répétition, appropriation par des bandes de jeunes, etc.). C'est le cas sur les immeubles n°1 et 2, ce qui restreint les solutions de stockage d'objets volumineux. De fait, les balcons et les paliers sont désormais investis par les locataires pour pallier à la suppression de leur droit d'usage sur les caves (droit d'usage qui était déjà remis en question par l'insécurité qui y régnait).

    161Cf. Annexe 1, photo n°11.

    162 Ibid., p. 47.

    163 Ibid., p. 50.

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    sauvages gênant l'accès aux poubelles, poubelles qui débordent, accès difficile pour les enfants). Certains trieurs assidus connaissant les périodes récurrentes de défaillance du dispositif de dépôt se rendent aux poubelles à des moments stratégiques où les conteneurs sont vides pour ne pas les engorger davantage ou être contraints de procéder à un dépôt non conforme. Aussi, l'observation des bacs par les gardiens révèle que des sacs de déchets bien triés se retrouvent dans les déchets résiduels. En effet, certains locataires séparent, stockent et évacuent de façon différenciée certains flux de déchets, comme par exemple les magazines, mais les déposent dans le bac gris pour des raisons de commodité (trappe jaune trop étroite).

    « J'en ai qui amènent les sacs de prospectus dans le bac gris. Et quand tu prends le sac, il y a que des prospectus dedans. Il y a que du tri, que des cartons. Ils sont pas encore dedans. Ils font pas l'effort de se dire : "Je vais vider mon sac" ou encore "Je vais passer par le bac bleu et jeter". ». (Gardien de l'immeuble n°1, Grand Besançon Habitat, cité Brulard)

    Cet exemple illustre l'« incidence des choix techniques en matière de dispositifs de collecte, sur les motivations à trier mais aussi sur la quantité et la qualité du tri. »164. Néanmoins, remarquons à travers les propos du gardien de l'immeuble n°1 que les freins inhérents à ces rigidités techniques peuvent être partiellement contournés grâce à l'inventivité des locataires. En effet, ceux-ci ont pris l'habitude de glisser les déchets recyclables volumineux dans le bac jaune en passant leur bras par la trappe grise/bleue qui est plus large.

    La complexité du tri réside donc dans la coordination efficace de ces quatre étapes. Si une erreur intervient durant le dépôt, les trois étapes précédentes sont réduites à néant. Aussi, la pratique du tri suppose donc une capacité d'organisation domestique dont les différents foyers que nous avons rencontré durant notre enquête de terrain ne sont pas également dotés165. A ces difficultés pratiques s'ajoutent des représentations sociales du tri propres aux milieux populaires qui ne sont pas réellement propices à la valorisation de ce geste.

    III. Les représentations du tri

    Bien que la grande majorité des usagers ait connaissance de l'injonction au tri, ceux-ci n'ont pas l'impression que leur adhésion au dispositif de collecte sélective constitue un enjeu crucial pour le fonctionnement de la chaîne du tri. Souvent, ils ignorent presque tout du

    164 Ibid., p. 56.

    165 Un locataire rencontré sur l'immeuble n°1 est un réfugié politique veuf qui vit avec ses quatre enfants. Malgré son adhésion de principe au tri due au fait qu'il cherche à se distinguer de la population de la cité Brulard en faisant valoir ses qualités d'« homme instruit » qui a exercé de hautes fonctions dans son pays d'origine, il ne parvient pas à instaurer de façon régulière ce geste au sein de son foyer.

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    devenir des déchets après qu'ils aient été collectés par la benne à ordures ménagères. Face à un système relativement opaque, les usagers bâtissent des représentations déresponsabilisantes qui légitiment leur retrait vis-à-vis des politiques de recyclage.

    « Le porte-à-porte ça marque parce que c'est vrai qu'on a pu parler et vous avez pu m'expliquer dans la vie de tous les jours à quel point c'est important [de trier] en fait. Et on se rend pas compte qu'on est un petit maillon, à vrai dire, de cette chaîne. Et en fait c'est ça, moi je pense que les gens ils se rendent pas compte à quel point [ils ont une importance dans la chaîne]. ». (Locataire de l'immeuble n°1, 26 ans, au chômage, a toujours vécu à la cité Brulard, partage l'appartement de sa mère)

    Certains usagers, notamment les perplexes, développent un imaginaire valorisant davantage le fait de ne pas trier par rapport au fait de trier. En effet, ayant conscience que les déchets peuvent constituer une ressource, ils adoptent des représentations selon lesquelles l'ensemble du gisement d'ordures ménagères collecté est systématiquement retrié par des machines et des travailleurs en usine. Ils appliquent ainsi leurs propres schèmes de perception au système de traitement des déchets et valorisent ainsi leur non engagement dans les opérations de collecte sélective.

    « "On trie mal et on crée des emplois !". [Rires] Sérieusement je me suis dit ça. Je me disais "Bon, je fais la faignante, je trie pas mais bon au moins il y a des gens ils sont payés." » (Locataire de l'immeuble n°1, 26 ans, au chômage, a toujours vécu à la cité Brulard, partage l'appartement de sa mère)

    Ainsi, une grande part des usagers ne se définit pas comme acteur de la chaîne du tri et tend à méconnaitre les enjeux d'une problématique dont ils pensent pouvoir légitimement se désintéresser. Ce désintérêt est accentué par la perte de confiance dans le politique qui alimente une méfiance vis-à-vis des actions institutionnelles.

    Les usagers émettent des suspicions sur les coûts du SPED car, d'une part, ils sont réticents à payer pour faire enlever leurs déchets (dépense négative) et, d'autre part, ne perçoivent pas l'ensemble des coûts afférents à ce service. Généralement, ils perçoivent seulement les coûts de collecte qui constituent la partie visible du service, alors que les coûts de traitements conservent une dimension occulte. Or, depuis la mise en place des politiques de recyclage, les coûts du SPED ont explosé, notamment la part dépensée pour le traitement des déchets (augmentation de la TGAP, mise aux normes des incinérateurs, coûts du recyclage). Selon l'opinion commune, la vente de matières issues des collectes sélectives aurait dû permettre de faire baisser les coûts du SPED alors qu'en réalité c'est l'inverse qui s'est produit. Ainsi, la plupart des usagers se représente le recyclage comme une activité forcément

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    rémunératrice. De ce fait, ils ne comprennent pas que la collectivité leur demande d'opérer gratuitement ce qu'ils considèrent comme un « travail » alors que celle-ci revend par la suite les matières triées166. L'impression qu'ont les usagers d'être toujours davantage sollicités, tant sur le plan financier que sur le plan matériel, s'accompagne d'une critique virulente d'un système de production qui créée « toujours plus d'objets "sans se préoccuper du besoin réel des gens" »167 et qui n'a pas l'air d'être autant mis à contribution que les consommateurs.

    « On peut se dire : "Voilà pourquoi je ne trie pas ! Vous me prenez pour un bleu ! Je paye, je paye, je paye, je paye, je paye. Vous me demandez de vous donner et vous me vendez derrière. Parce que les cartons que j'ai acheté, je vous les ai donné et vous vous me le revendez derrière. Parce que quand je vais acheter ma télévision, c'est mon carton que je vous ai donné et je le rachète mon carton, deux fois." » (Gardien de l'immeuble n°1, Grand Besançon Habitat, cité Brulard)

    Les usagers ont donc l'impression d'être floués, voire exploités par un système perçu comme lucratif qu'ils doivent à la fois financer et faire fonctionner gracieusement en triant. Ce sentiment d'être trompés se ressent de façon encore plus profonde au niveau de la gestion des encombrants : laisser un meuble n'importe où avec insouciance est un comportement admis par de nombreux locataires car c'est un moyen de ne pas être dupe, de ne pas faire profil bas face à des augmentations de charges qui leur paraissent injustifiées. La complexité et l'opacité du détail des charges locatives qu'ils reçoivent chaque année suscitent la méfiance vis-à-vis du bailleur et la méconnaissance de ce que recouvre précisément chaque catégorie de dépenses. A une rationalité économico-administrative promue par les acteurs institutionnels (bailleurs et CAGB) qui préconise un dépôt direct en déchetterie des encombrants par les usagers afin de réduire les charges locatives d'ordures ménagères168, répond une tactique des locataires qui consiste à « profiter » un minimum du service d'enlèvement des encombrants mis en place par le bailleur pour éviter d'avoir l'impression d'être floué. Ceci crée donc un cercle vicieux : plus les locataires déposent des encombrants en pied d'immeuble et plus les

    166 Certes les collectivités encaissent des recettes sur la vente des matériaux et perçoivent des soutiens financiers d'Eco-Emballages, mais ces rentrées d'argent ne compensent pas les dépenses engagées pour collecter les déchets recyclables et les traiter en centre de tri.

    167 LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, op. cit., p. 51.

    168 Le dépôt en déchetterie est gratuit pour les particuliers alors que l'encombrant laissé en pied d'immeuble aura un impact important sur les charges locatives : d'abord, des agents du bailleur ou de l'entreprise de nettoyage sont payés pour collecter ces objets et les stocker dans un local ; ensuite, le bailleur rémunère une entreprise pour qu'elle emmène cet amas d'encombrants en déchetterie ; enfin, le dépôt en déchetterie est payant pour les professionnels, donc l'entreprise facture ce coût au bailleur. Les gardiens et les conseillers en habitat collectif s'évertuent à sensibiliser les locataires sur le fait que la gestion des encombrants par le bailleur alourdit les charges locatives.

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    charges locatives augmentent ; plus les charges locatives augmentent et plus les locataires n'ont aucun remord à déposer des encombrants en pied d'immeuble.

    Alors qu'en milieu urbain relégué le tri est parfois considéré comme un travail, les usagers ne perçoivent aucune contrepartie qui pourrait les inciter à accomplir ce geste. Rappelons d'abord que le mécanisme d'incitation financière au coeur de la redevance ne touche pas directement les usagers en habitat collectif. En plus de cette perte d'incitativité qui empêche toute rétribution économique des comportements « vertueux » des locataires en habitat vertical (baisse de la facture), notre enquête de terrain nous a prouvé que les modes d'habiter et les sociabilités propres à ces milieux bloquent également toute rétribution symbolique. En effet, si les habitants d'une maison individuelle ou le copropriétaire d'une résidence cossue peuvent se prévaloir de leur qualité de « voisins respectueux » ou de « citoyens modèles » lorsqu'ils trient leurs ordures, les ressources symboliques qui permettent de valoriser le geste de tri apparaissent très modestes en logement HLM et plus particulièrement dans les milieux défavorisés. Ceci s'explique par l'absence de régulation collective, donc de définition d'un usage moyen reconnu et valorisé.

    IV. La carrière de trieur

    Reprenant les travaux d'Howard Becker169, nous pouvons faire l'hypothèse que l'adoption du geste de tri se construit à travers une carrière. Elle est le résultat d'un processus social par lequel l'usager apprend à la fois à pratiquer le tri et à reconstruire sa représentation de cette activité afin de lui donner un caractère valorisant qui permette son inscription dans le temps.

    Tout d'abord, nous pouvons repérer deux types majeurs de prédispositions susceptibles de faciliter l'entrée dans la carrière de trieur. D'une part, de nombreux trieurs assidus que nous avons rencontrés affichent une volonté de conformité à la norme institutionnelle qui facilite l'adoption du geste de tri. D'autre part, pour initier une carrière de trieur, certains usagers s'appuient sur des convictions personnelles bâties autour de valeurs qui condamnent le gaspillage. Cependant, ces prédispositions ne suffisent pas toujours à ce que l'usager adhère au tri, comme nous l'avons remarqué avec l'exemple d'une locataire de l'immeuble n°1. Celle-ci défendait des valeurs « anti-gaspillage » mais ne se sentait pas impliquée par le tri car elle pensait que l'ensemble du gisement de déchets était

    169 BECKER Howard S., Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris : Métailié, 1985, 247 p.

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    systématiquement retrié en usine. Lors d'une opération de porte-à-porte, un conseiller en habitat collectif lui a délivré des informations qui lui ont permis de remettre en cause ses représentations erronées sur la chaîne du tri et d'en construire de nouvelles. Sa pratique antérieure, qu'elle croyait valable et valorisait en pensant créer de l'emploi pour les travailleurs des déchets, est tombée en désuétude et elle s'est trouvée confrontée à ses contradictions. Pour ne pas perdre la face et dépasser cette situation de dissonance compromettante, les seuls recours possibles sont le déni ou le passage à l'action afin d'accorder ses pratiques à ses valeurs.

    « Même avant, comme je vous ai dit, par différents moyens on a toujours eu l'habitude de réutiliser. Moi j'ai toujours su qu'on pouvait refaire des choses avec ce qu'on jette en temps normal quoi. [...] Et du coup, ouais, avant j'y portais aucun intérêt même. Mais parce que je le savais pas. Maintenant que vous me dites que les déchets ne sont pas triés, retriés derrière, machin. Ben voilà, j'en ai conclu que c'est à nous de le faire, donc faut le faire. Une sorte de devoir. » (Locataire de l'immeuble n°1, 26 ans, au chômage, a toujours vécu à la cité Brulard, partage l'appartement de sa mère)

    Lorsque l'usager décide de recourir à l'action, il faut qu'il se soumette à un processus d'apprentissage social in situ afin de concrétiser son entrée dans la carrière de trieur. Cet apprentissage est d'autant plus nécessaire que les prescriptions à suivre, notamment les consignes de tri, « ne sont pas immédiatement mémorisables. D'une part, elles ne relèvent pas d'un entendement commun et "naturel", un savoir qu'il suffirait de mobiliser pour agir. D'autre part, les prescriptions ne sont pas toutes "traduisibles" en quelques règles génériques réduisant l'effort de mémoire à faire. [...] Le problème se pose objet par objet et c'est la récurrence de l'objet à jeter qui permet de mémoriser la solution. »170. Ce processus d'apprentissage nécessite, comme tout autre, une certaine rigueur de la part de l'usager. En effet, la situation où l'usager est en condition de se poser la question « Est-ce que ça se recycle ? » correspond au moment où il doit jeter l'objet. Or, une fois le déchet en main, prêt à être jeté, il paraît incongru d'arrêter son geste et de conserver, même temporairement (le temps de trouver la solution), l'objet déchu et souillé dans le monde matériel domestique alors que, par l'intention de le jeter, on venait au contraire de signaler sa destitution en lui associant une charge négative. Souvent, le questionnement « Est-ce que ça se recycle ? » devient redondant pour un ou plusieurs types de déchets (pots de crème ou de yaourt, conserves métalliques, etc) : l'usager peut parfois rester démuni face à ce doute par manque d'accès à des sources d'informations contenant la solution, ou alors considérer que l'effort à fournir

    170 BOUSSARD Valérie, MERCIER Delphine, TRIPIER Pierre, op. cit., p. 20.

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    pour accéder à l'information est trop démesuré par rapport à l'impact « dérisoire » que peut revêtir l'adoption du « bon geste ». Apprendre à trier c'est donc apprendre à déconstruire et reconstruire « des gestes ou des séries de gestes qui, à force de répétition, peuvent être effectués sans effort ni attention particulière, avec efficacité, dans une plus grande économie de moyens »171.

    Enfin, pour maintenir la nouvelle pratique adoptée dans le temps, celle-ci doit pouvoir faire l'objet d'une valorisation sociale. En effet, « si le tri est susceptible, par l'action qu'il permet, de neutraliser les caractéristiques négatives de l'ordure en les inversant (mélange/séparation, non maîtrise/maîtrise, désordre/ordre) et donc de basculer de l'univers de la souillure à celui de la propreté, cela suppose la possibilité de contextualiser cette pratique dans sa signification sociale. Trier n'est envisageable que s'il y a valorisation sociale, et de cette pratique (tri et citoyenneté), et de l'objet récupéré en lui redonnant de diverses manières au moins une valeur d'usage, au mieux une valeur marchande. »172. Or, en habitat social collectif, le geste de tri n'acquiert pas une signification sociale partagée et n'est donc pas susceptible d'être valorisé socialement. De plus, les usagers trieurs n'ont pas la preuve que le déchet trié sera effectivement recyclé et sont contraints de faire confiance à la collectivité173. Ainsi, les résultats de l'action de tri ne sont pas vraiment palpables pour les usagers, que ce soit au niveau économique (maîtrise des charges d'ordures ménagères), au niveau symbolique (valorisation de la figure du « bon voisin », du « bon citoyen ») ou au niveau écologique (préservation de l'environnement).

    « Enfin ouais, au quotidien j'arrive pas à en voir le bon côté encore. Mis à part me dire que derrière, enfin pour les autres personnes, les chaînes derrière, c'est bien pour la planète [sur un ton parodique], pour machin, voilà. Mais c'est vrai que je vois pas de différence pour la maison ou quoi... Pour le poids dans les charges et tout, le poids des poubelles ou quoi, machin... » (Locataire de l'immeuble n°1, 26 ans, au chômage, a toujours vécu à la cité Brulard, partage l'appartement de sa mère)

    L'incorporation totale du geste de tri par l'usager se traduit par des discours minimisant l'effort consenti pour mettre en place cette pratique puisque la série d'actions réalisée est désormais rodée, stabilisée et ne demande donc plus une démarche réflexive. Toutefois, la pratique du tri reste fragile et réversible, notamment à cause des bouleversements susceptibles d'intervenir dans l'organisation de la sphère domestique. Par exemple, un déménagement peut

    171 WARNIER Jean-Pierre, Construire la culture matérielle. L'homme qui pensait avec ses doigts, Paris : PUF, 1999, p. 11.

    172 LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, op. cit., p. 138.

    173 Ceci explique la réaction indignée d'usagers trieurs qui se sentent trompés lorsqu'ils remarquent qu'un bac de déchets recyclables a été collecté par la benne des ordures ménagères résiduelles.

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    rompre la fluidité des habitudes avec lesquelles un usager gérait ses déchets en imposant la familiarisation avec de nouveaux repères. « Même mises en place et éprouvées, les routines de tri sont soumises à un ensemble d'aléas qui peuvent les perturber. Le processus de routinisation est d'autant plus complexe et fragile que la chaîne de gestes de tri à accomplir est longue et inscrite dans un parcours lui-même complexe et construit autour de multiples activités et tâches. L'enjeu se situe entre l'inscription dans une routine et le processus d'apprentissage. Processus d'apprentissage qui n'intervient pas uniquement en amont (information et sensibilisation) et qui doit être régulièrement renouvelé pour inscrire la pratique dans la durée. »174.

    V. L'interaction directe pour lutter contre l'information en vase clos

    La méconnaissance de la problématique de la gestion des déchets ménagers affichée par la plupart des usagers en habitat social collectif questionne directement la portée des dispositifs de communication mis en place par les collectivités. Or, Dominique Lhuilier et Yann Cochin précisent à juste titre que « la méconnaissance n'est pas absence ou défaut de connaissance qu'une information bien conçue suffirait à combler. Elle manifeste plutôt une intention active de n'en rien savoir, un refus de connaissance. »175. D'où ce constat paradoxal : la plupart du temps, ce sont surtout les citoyens les plus impliqués et les mieux informés qui prêtent attention aux informations distillées par les pouvoirs publics. La typologie des usagers que nous avons établie confirme cette assertion : seuls les trieurs assidus se montrent sensibles aux différents supports de communication écrite créés par la CAGB alors que les perplexes ne prêtent aucune attention aux affichages dans les parties communes et aux courriers qu'ils reçoivent.

    « Est-ce que les gens lisent déjà ? Ca j'en suis même pas sûr, parce que c'est plus facile de jeter un papier à la poubelle que de... Enfin, on... Je veux dire qu'on va plus facilement ouvrir la porte quand ça sonne, que lire tout un papier, un prospectus qu'on met à la poubelle. Et franchement on en reçoit des quarantaines. » (Locataire de l'immeuble n°1, 26 ans, au chômage, a toujours vécu à la cité Brulard, partage l'appartement de sa mère)

    N'étant pas engagés dans la gestion de leurs déchets, les perplexes considèrent que les messages reçus de la part de la collectivité sur ce sujet n'intéressent et ne concernent que les

    174 ETIcs/Université François-Rabelais et Etéicos, op. cit., p. 60.

    175 LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, op. cit., p. 90.

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    trieurs assidus. Nous pouvons ainsi présupposer que la communication institutionnelle écrite dessine un système d'information en vase clos et n'est pas en mesure de faire naître l'intérêt de l'usager pour le tri.

    A cet écueil s'ajoute la distance accentuée entre le « monde » des techniciens et celui des usagers. La richesse de la terminologie employée par le technicien et sa culture générale débordante sur les déchets contrastent fortement avec la pauvreté du vocabulaire de l'usager et sa méconnaissance du sujet176. Les erreurs de tri involontaires des usagers s'expliquent d'ailleurs par cette « rencontre entre un monde ordinaire, où les modes de qualification utilisés peuvent rester souples et personnalisés, et l'alignement de type professionnel requis par la collecte sélective. »177. Ainsi, « la catégorisation proposée, produit d'une rationalité technique en adéquation avec les enjeux industriels du recyclage, est alors confrontée à la rationalité domestique et ses principes de hiérarchisation des déchets. »178. Les erreurs récurrentes au niveau du tri des plastiques (pot de yaourt, film ou barquette alimentaire, etc.) révèlent que la taxinomie des usagers est très englobante alors que celle des industriels est très précise et technique (PEHD, PET clair ou foncé, etc.). Aussi, certains usagers, ignorant totalement comment fonctionne la chaîne du tri après la collecte de leurs déchets, ont même tendance à adopter une acception plus large des consignes de tri déposent certains matériaux réutilisables, tels que le bois ou le textile, dans le bac jaune.

    Au sein des immeubles n°1 et 2, l'interaction directe avec les conseillers en habitat collectif est la seule forme de communication susceptible d'atteindre la majorité de perplexes que comprend la population de locataires. Dans les milieux populaires une certaine culture de l'oralité est encore prégnante et le contact direct vaut toujours mieux qu'une communication écrite. Certes, les conseillers en habitat collectif essuient ce qu'ils appellent « des refus » et qui signifie que l'usager à refuser d'ouvrir sa porte ou l'a refermée promptement. Mais, dès lors que le locataire accepte l'interaction avec le conseiller, il est possible de lui transmettre des informations qu'il ignorait ou plutôt méconnaissait jusqu'alors, d'infléchir certaines représentations erronées sur lesquels il s'appuyait pour justifier son retrait vis-à-vis des politiques de tri. De plus, en délivrant des messages adaptés à leurs interlocuteurs, les conseillers en habitat collectif assurent une médiation indispensable entre le monde des

    176 Lors de notre enquête de terrain nous avons relevé de nombreuses terminologies profanes employées par les usagers, par exemple « le machin jaune » pour désigner le bac à déchets recyclables ou « la boîte en bois » pour évoquer le composteur. Pour Dominique Lhuilier et Yann Cochin, « ces processus de requalification, de technicisation et de privatisation du vocabulaire ordinaire sont aussi des procès d'exclusion : en s'arrogeant le droit de redéfinir les mots et donc de se les approprier, les spécialistes du déchet excluent « la masse » de leur pouvoir technocratique et exercent une domination langagière et sociale. »

    177 BARBIER Rémi, op. cit., p. 39.

    178 ETIcs/Université François-Rabelais et Etéicos, op. cit., p. 44.

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    techniciens et celui des usagers. Ce dialogue qu'ils instaurent permet non seulement à certains perplexes de trouver des arguments pour s'investir dans une pratique qu'ils avaient toujours jugée comme inutile mais, aussi, aux trieurs assidus de disposer d'une information plus claire et digne de confiance que celle qu'ils trouvent dans des formes de communication impersonnelles.

    « J'ai deux trois infos par la télé ou, comme je vous ai dit, au travail, machin, nanani. Mais vous la dernière fois quand vous êtes venus, enfin vraiment, - peut être que j'avais mal compris les choses avant ou quoi - ça a été beaucoup, beaucoup plus clair et le fait, comme je vous ai dit, qu'il y ait un contact direct et qu'on puisse reposer des questions et tout, machin, forcément ça clarifie le truc. » (Locataire de l'immeuble n°1, 26 ans, au chômage, a toujours vécu à la cité Brulard, partage l'appartement de sa mère)

    L'information écrite n'acquiert son entière pertinence que lorsqu'elle a été précédée d'une interaction orale permettant à l'usager de s'approprier le support de communication grâce au travail de « traduction » opéré par le conseiller. Elle constitue alors la trace, la mémoire de l'échange.

    « Quand tu reçois un mémotri [dans ta boîte aux lettres] et que tu sais pas que c'est important de trier, j'ai envie de dire, limite tu t'en fous et tu jettes le truc à la poubelle. » (Locataire de l'immeuble n°1, 26 ans, au chômage, a toujours vécu à la cité Brulard, partage l'appartement de sa mère)

    85

    Conclusion

    Pour conclure, si une grande majorité des usagers de l'habitat social collectif se montre très sensible à l'argument économique introduit par la redevance incitative, la dilution de l'incitativité par la mutualisation des charges locatives freine largement la portée du dispositif dans ce type d'habitat. Ce mode de financement du SPED trouve toute sa pertinence dans l'habitat pavillonnaire et dans certaines copropriétés qui font l'objet d'une régulation forte des modes d'habiter où il enclenche un « effet d'aubaine »179. En effet, les usagers qui voyaient déjà leur geste de tri reconnu et valorisé socialement à travers la figure du « voisin respectueux » ou du « bon citoyen » disposent désormais d'un argument supplémentaire pour parfaire leurs pratiques. Dans une certaine mesure, la redevance incitative creuse donc encore plus le fossé entre les pratiques de ces deux grandes catégories d'usagers. Si dans les débuts de la collecte sélective la problématique qui animait les politiques de recyclage se focalisait sur les moyens d'obtenir l'adhésion au tri de l'ensemble des usagers, force est de constater qu'aujourd'hui une large part de la population a répondu positivement aux prescriptions des collectivités. Cependant, certains usagers, notamment en milieux urbains relégués, restent perplexes face à ces politiques de recyclage et les nouveaux leviers développés pour amplifier l'effort de tri (tarification incitative) n'ont pas encore trouvé toute leur puissance pour atteindre ces « derniers réfractaires ».

    179 « Lorsqu'un acteur économique s'efforce d'inciter les autres acteurs à agir de telle manière, il les appâte en général en leur offrant un avantage s'ils se comportent de la façon souhaitée: par exemple baisse de prix, prime, cadeau, etc. Il y a effet d'aubaine si l'acteur qui bénéficie de cet avantage avait eu, de toute façon, l'intention d'agir ainsi même si l'avantage n'avait pas été accordé. ».

    Source : http://www.alternativeseconomiques.fr/Dictionnaire_fr_52__def609.html

    86

    87

    Bibliographie

    Ouvrages :

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    - BAUDRILLARD Jean, La société de consommation, Paris : Folio essais, 2010 (1970), 318 p.

    - BEAUD Stéphane, WEBER Florence, Guide de l'enquête de terrain, Paris : La Découverte, avril 2010, 334 p.

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    - WARNIER Jean-Pierre, Construire la culture matérielle. L'homme qui pensait avec ses doigts, Paris : PUF, 1999, 176 p.

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    Articles :

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    - BODINEAU Martine, « Jeter n'est pas salir : ethnométhodologie d'une enquête sur la propreté des espaces publics », in Cahiers d'ethnométhodologie, 2009 : n° 3, p. 23-33.

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    - DONZELOT Jacques, « La ville à trois vitesses : relégation, péri-urbanisation, gentrification », in Esprit, mars-avril 2004 : n° 303, p. 14-39.

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    - GAXIE Daniel, « Économie des partis et rétributions du militantisme », in Revue française de sciences politiques, 1/1977 : Vol. 27, p. 123-154.

    - GUIGO Denis, « Sisyphe dans la ville. La propreté à Besançon au fil des âges », in Les Annales de la Recherche Urbaine, Décembre 1991 : n° 53, p. 46-57.

    - HUGHES Everett, « Good people and dirty work », in Social Problems, 1962 : vol. X, p. 3-11.

    - JEANNEAU Laurent, « La Franche-Comté, laboratoire d'innovation sociale », in Alternatives économiques Poche, 2010 : n° 44.

    - RUMPALA Yannick, « La « consommation durable » comme nouvelle phase d'une gouvernementalisation de la consommation », in Revue française de science politique, 5/2009 : Vol. 59, p. 967-996.

    - TAPIE-GRIME Muriel, « Coopération et régulation dans les collectes sélectives des ordures ménagères », in Sociologie du travail, 1998 : vol. 40, n°1, p. 65-87.

    - TEIXIDO Sandrine, « Mary Douglas : anthropologie de l'impur », in Sciences Humaines, 1/2005 : n° 156, p. 51-53.

    - UGHETTO Pascal, « Gardien d'immeuble : sentir et ressentir », in Communications, 2011 : n° 89, p. 89-101.

    - UGHETTO Pascal, « Les organismes HLM en lutte contre les dépôts intempestifs d'encombrants et des locataires qui dégradent, une qualité de service impossible ? », in Gérer et comprendre, Septembre 2011 : n° 105, p. 50-58.

    Rapports de recherche :

    - BERTOLINI Gérard, « Les services urbains : un problème un peu technique, beaucoup économique, et passionnément socioculturel », Rapport pour la communauté urbaine du Grand Lyon, Novembre 2009, 16 p.

    - BODINEAU Martine, La propreté des espaces publics à Saint-Denis, Etude réalisée par le Laboratoire d'ethnométhodologie appliquée de l'Université Paris VIII pour le secteur des études locales de la ville de Saint-Denis, 2004, 45 p.

    - ETIcs/Université François-Rabelais et Etéicos, DETRITUS / DEchets, TRI eT Usages Sociaux. Gestion des déchets et tri sélectif en habitat collectif HLM, Etude réalisée pour le compte de l'ADEME, Avril 2012, 81 p.

    Rapports publics :

    - ADEME, Habitat collectif et tarification incitative. Pourquoi ? Comment ?, ADEME Éditions, Angers : 2012, 148 p.

    - DIRECTION DES ETUDES ECONOMIQUES ET DE L'EVALUATION ENVIRONNEMENTALE DU MINISTERE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE, Causes et effets du passage de la TEOM à la REOM, Août 2005, 75 p.

    Sitographie :

    - Secrétariat général du Comité Interministériel des Villes, système d'information géographique : http://sig.ville.gouv.fr/

    90

    - http://www.alternativeseconomiques.fr/Dictionnaire fr 52 def609.html

    Annexe 1 : photos des sites

    Photo n°1 : La
    cité Brulard vue
    depuis la rue du

    Général Brulard en
    travaux pour le
    futur passage du

    tramway.

    Photo n°2 : Abri poubelles avec
    deux trappes pour les déchets
    résiduels et une pour les déchets
    recyclables. Le lundi matin les
    agents de Grand Besançon Habitat
    doivent enlever les dépôts sauvages
    qui ont eu lieu durant le week-end.

    91

    Immeuble n°1, cité Brulard, Grand Besançon Habitat

     

    Photo n°3 : Trappe jaune exigüe
    sur laquelle sont affichées les
    consignes de tri. Ces trappes sont
    considérées comme un obstacle par
    les gardiens et les techniciens de la
    CAGB bien qu'elles permettent
    d'empêcher le dépôt de sac
    d'ordures ménagères résiduelles.

    92

    Photo n°4 : Local
    dans lequel sont
    stockés les
    encombrants
    directement déposés
    par les locataires ou
    ramassés en pied
    d'immeuble par les
    agents de Grand
    Besançon Habitat.
    Lorsque le local est
    rempli, une
    entreprise enlève
    tous ces objets et les
    emmène jusqu'en
    déchetterie.

     
     

    93

    Photos n°5 à 7 : Encombrants ou déchets électroniques laissés temporairement sur le palier
    par des locataires en attendant de trouver une solution de stockage à plus long terme si l'objet
    est encore en bon état ou un exutoire si l'objet est voué à l'abandon (dépôt en déchetterie,
    dans le local à encombrants ou en pied d'immeuble).

    Photo n°8 : Rappel à l'ordre
    rédigé par Grand Besançon
    Habitat et affiché à côté de

    l'ascenseur pour tenter

    d'éradiquer les jets de

    déchets par les fenêtres.

    Photo n°9 : Balcon qui
    sert d'espace de
    stockage des déchets
    d'un ménage. Sur la
    gauche, un sac en
    papier sert à stocker les
    déchets recyclables et,
    sur la droite, une petite
    poubelle est utilisée
    pour les déchets
    résiduels.

    94

    Photo n°10 : Loggia qui sert
    d'espace de stockage pour les
    déchets recyclable d'un usager.

    Photo n°11 : Sac plastique
    réutilisé qui fait office de poubelle.
    Il est accroché à la porte du placard
    de l'évier pour des raisons
    pratiques (gain d'espace au sol et
    facilité d'accès).

    95

    Immeuble n°2, Planoise, Habitat 25

    Photo n°12 : Immeuble
    n°2 vu depuis l'avenue
    Île-de-France en travaux
    pour le futur passage du

    tramway.

    Photos n°13 et 14 : Trappes pour le
    dépôt (deux pour les déchets résiduels
    et une pour les déchets recyclables)
    incorporées à la façade du bâtiment.

    96

    Photo n°15 :
    Encombrants laissés
    dans le couloir par
    des locataires du
    11ème étage en
    attendant de trouver
    une solution
    d'évacuation ou de
    stockage à plus long
    terme.

    Photo n°16 :
    Encombrants
    déposés en pied
    d'immeuble qui
    ont été
    définitivement
    abandonnés par
    leur ancien
    propriétaire.

    97

    Photo n°17 : Poubelle à
    couches placée sur le palier
    pour ne pas être
    incommodé par les odeurs
    au sein de l'espace
    domestique. Espaces
    intermédiaires utilisés
    comme prolongements
    fonctionnels du logement.

    Photo n°18 : Tapis
    étendus sur les
    barrières de l'aire de
    jeu délaissée qui est
    située devant
    l'immeuble. Espaces
    publics utilisés
    comme prolongement
    fonctionnes du
    logement.

    98

    Photo n°19 : Immeuble n°3 avec ses commerces au rez-de-chaussée et sa quarantaine

    d'appartements sur les
    cinq étages. Les poubelles
    grises et jaunes attendent
    d'être collectées sur le
    trottoir. Pour éviter que les
    agents de l'entreprise de
    nettoyage intervertissent
    maladroitement les bacs
    de l'immeuble n°3 avec
    ceux d'autres immeubles,
    elle les a marqué d'un
    point jaune fluorescent.

    Photo n°20 : Espace vide-
    ordures se trouvant à chaque
    étage. Les locataires sont
    autorisés à laisser des objets
    encombrants à côté.

    99

    Immeuble n°3, Palente, Néolia

    Photo n°21 : Arrivée du vide-ordure
    au rez-de-chaussée, dans le local
    poubelles. A priori, le vide-ordure ne
    constitue pas un obstacle au tri. Au
    contraire, il peut parfois améliorer la
    qualité du tri : les non trieurs
    déposent directement leurs déchets
    dans le vide-ordure à leur étage (pas
    de risque de pollution du bac jaune)
    alors que les trieurs font l'effort de
    descendre jusqu'au local poubelles.

    100

    Photo n°21 : Bac gris pollué par des
    encombrants (lattes de bois) et un déchet
    électronique (magnétoscope). Ces objets
    avaient été déposés dans un coin du local
    poubelles et l'entreprise de nettoyage les a
    déposés dans le bac gris pour éviter de les
    déplacer jusqu'à leur point de stockage
    théorique qu'est le local à encombrants.
    On remarque également les déchets du
    bureau de tabac qui occupe le rez-de-
    chaussée/

    101

    Annexe 2

    Graphique 1 : Grille tarifaire de la REOM pour l'année 2000. Ville de Besançon.
    Source : DIRECTION DES ETUDES ECONOMIQUES ET DE L'EVALUATION
    ENVIRONNEMENTALE DU MINISTERE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT
    DURABLE, op. cit., p. 61.

    Tableau 1 : Grille tarifaire de la redevance incitative pour l'année 2013. Communauté
    d'Agglomération du Grand Besançon.

    102

    Schéma 1 : Mode de fonctionnement de la redevance incitative avec pesée embarquée.
    Source : ADEME, Avec la redevance incitative, les usagers paient en fonction de ce qu'ils
    jettent
    , Recueil des interventions de la Journée technique nationale du mercredi 14 juin 2006,
    Angers : ADEME Éditions, 2006.

    Tonnages avant RI

    Kilos

    250

    200

    150

    100

    50

    0

    Jaune Gris

    Dates

    Après RI

    Kilos

    250

    200

    150

    100

    50

    0

    Jaune Gris

    103

    Dates

    Graphiques 2 et 3 : Exemple des relevés de tonnage réalisés avec la pesée embarquée sur l'immeuble n°3.






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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand