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Redevance incitative et gestion des déchets en habitat social

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par Victor Bailly
Université de Franche-Comté - Master 2 Analyse et gestion des politiques sociales 2012
  

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Chapitre 2 - Contextualisation de l'objet d'étude

I. Le déchet : un indicateur social total ?

De tous temps, l'activité des hommes a produit des déchets, des restes, des chutes. C'est d'ailleurs à travers ces rebuts que l'archéologie, science des restes, « cherche les traces de modes de vie des communautés humaines du passé. »33. Dans la même perspective, la sociologie s'est inspirée de l'approche archéologique afin de montrer que « les déchets pouvaient être utilisés comme des indicateurs sociaux "totaux" laissant voir les dimensions essentielles de la société qui les produit et les consomme. »34. Par conséquent, les matières déchues révèlent certains traits du rapport au monde d'un individu ou d'un groupe social.

Jacques Soustelle, ethnologue et ancien élève de Marcel Mauss, se souvient d'une phrase que ce dernier aimait répéter à ses étudiants : « Ce qu'il y a de plus important à étudier dans une société, ce sont les tas d'ordures »35. Cet aphorisme nous permet de présumer que notre rapport aux déchets, et plus largement aux rebuts, miasmes, immondices, constitue un phénomène social total au sens maussien, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un phénomène par lequel « s'expriment à la fois et d'un coup toutes sortes d'institutions : religieuses, juridiques et morales - et celles-ci politiques et familiales en même temps ; économiques et celles-ci supposent des formes particulières de la production et de la consommation, ou plutôt de la prestation et de la distribution ; sans compter les phénomènes esthétiques auxquels aboutissent ces faits et les phénomènes morphologiques que manifestent ces institutions »36. Cette définition du phénomène social total reste assez floue et, selon Camille Tarot, qui a consacré une grande partie de ses travaux au décryptage de l'oeuvre de Marcel Mauss, « le fait social total, c'est une curiosité bien maussienne pour les zones de pénombre non fréquentées entre les disciplines, pour les interstices négligés ; c'est aussi le refus des hiérarchies

33 LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, Des déchets et des hommes, Paris : Desclée de Brouwer, 1999, p. 15. Dans cet ordre d'idée, André Leroi-Gourhan fait remonter la naissance de l'espace domestique à partir de la mise à distance des rebuts : « l'homme de Neandertal était encore un rustre, vivant entouré des carcasses de son gibier, qu'il repoussait à peine autour de lui. Vers trente mille ans avant notre ère, un saut qualitatif considérable se produisit, une véritable révolution, avec le stockage des détritus à l'extérieur du logement : l'espace du chez-soi était radicalement séparé de l'ordure. [...] Ce geste produisit vraiment une extension remarquable du système d'ordre et une sophistication de la pensée qui lui était liée. ». LEROI-GOURHAN André, Le geste et la parole. Tome 2 : La mémoire et les rythmes, Paris : Albin Michel, 1965, p 150.

34 Ibid.

35 SOUSTELLE Jacques, Les quatre Soleils, Paris : Plon, Terre Humaine, 1967, p. 22 cité in HARPET Cyrille, Du déchet : philosophie des immondices. Corps, ville, industrie., Paris : L'Harmattan, 1999, p. 21.

36 MAUSS Marcel, « Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques. », in Sociologie et anthropologie, Paris : PUF, 1950, p. 147.

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prématurées dans l'explication de phénomènes qu'on ne sait pas encore décrire intégralement »37. Tel est le cas avec la problématique des déchets qui constitue un sujet d'investigation délaissé, rétif à toute systématisation, d'où des travaux assez limités sur cette question et qui sont caractérisés par une multitude d'approches très disparates.

En sciences sociales, les thèses anthropologiques de Mary Douglas38 constituent souvent le point de départ théorique de la majorité des développements sur les déchets. La curiosité intellectuelle de Mary Douglas sur la notion de souillure a vu le jour pendant son étude de terrain parmi les Leles du Kasai dans l'ex-Congo belge. Elle est alors « frappée par les lourdes règles diététiques qui régissent leur alimentation »39 et est ainsi amenée à porter sa réflexion sur les interdits alimentaires qui caractérisent chaque culture. Pour elle, ces interdits ne sont pas intrinsèquement liés à la nature de l'aliment prohibé mais servent plutôt à définir un ordre symbolique unifiant le groupe en traçant des frontières communes entre le propre et le sale, le pur et l'impur. Finalement, pour reprendre une terminologie empruntée à la sociologie de l'alimentation, au principe d'incorporation40 répond le principe de pollution, c'est-à-dire qu'un individu ou un groupe affirme son identité propre autant par ce qu'il intègre que par ce qu'il rejette. Il n'est d'ailleurs pas anodin que le célèbre dicton de Jean Anthelme Brillat-Savarin - « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es » - se soit transformé en « Dis-moi ce que tu jettes, je te dirai qui tu es » chez les chercheurs en sciences sociales s'intéressant à la problématique des déchets. Ainsi la saleté est un concept relatif qui désigne « ce qui n'est pas à sa place », ce qui est une menace à l'ordre symbolique d'un individu ou d'un groupe déterminé et la lutte contre la saleté est un acte positif, créateur, qui vise à organiser notre milieu, à imposer une unité à notre expérience, à maintenir une cohésion psychique ou sociale.

Reprenant les postulats de Mary Douglas à travers une approche psycho-sociologique, Dominique Lhuilier et Yann Cochin révèlent que « l'excrément se présente comme le prototype du déchet »41 car celui-ci s'inscrit « dans les toutes premières étapes de la construction du schéma corporel »42. En effet, le nourrisson ne sait pas contrôler son sphincter et ne possède aucune notion du propre et du sale. C'est donc par un processus d'apprentissage

37 TAROT Camille, « Du fait social de Durkheim au fait social total de Mauss », in Revue du MAUSS, 1996 : n°

8, p. 78.

38 DOUGLAS Mary, De la souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou, Paris : La Découverte, 2001 (1966), 206 p.

39 TEIXIDO Sandrine, « Mary Douglas : anthropologie de l'impur », in Sciences Humaines, 1/2005 : n° 156, p. 51.

40 FISCHLER Claude, L'homnivore, Paris : Odile Jacob, 1990, 414 p.

41 LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, op. cit., p. 94.

42 Ibid.

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que ses parents lui transmettront les références culturelles qui lui permettront de comprendre le comportement qu'il doit adopter face à l'immondice. En l'occurrence, on lui apprendra que tous ses excréta physiologiques (matière fécale, urine, salive, etc.) sont impurs et que son corps doit constamment être débarrassé de cette souillure. La socialisation primaire nous apprend à faire la distinction entre le sain et le malsain qui seront dès lors naturalisés, c'est-à-dire vécus sur le mode de l'évidence. Au sein de ces oppositions sémantiques binaires (sale / propre, impur / pur...), les ordures ménagères se rangent du côté des excréments car, comme ceux-ci, elles sont le résidu de ce que nous avons incorporé et que l'on rejette à la marge43. Ainsi, la gestion de ces excréta tant physiologiques que matériels, devient un réflexe que l'on accomplit quotidiennement.

Ce réflexe est d'autant plus complexe à changer que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale les ordures tendent à se dérober à notre vue (généralisation des poubelles, de la collecte en porte à porte, des décharges contrôlées, des incinérateurs...), ce qui en fait une sorte « d'impensé social ». Nos recherches bibliographiques sur ce sujet en fournissent la preuve : une grande partie des articles que nous avons pu trouver sur les sites CAIRN et Persée44 s'intéressent à la problématique des déchets ménagers dans les pays dits « en voie de développement » car dans ces régions les rebuts s'offrent à la vue de tous et ne sont pas dissimulés derrière des poubelles, des camions, des usines ou des centres de stockage. En fait, les chercheurs s'intéressent souvent au problème des déchets dans une perspective hygiéniste, car, si nous raisonnions en termes de taille de gisement ou même de taux de recyclage, le problème des déchets se poserait avant tout dans les « pays développés à économie de marché » plutôt que dans les « pays en voie de développement »45. Bien que les médias et les élus locaux tirent régulièrement la sonnette d'alarme quant à l'envahissement du territoire français par les déchets, la dimension occulte du mode de traitement et de gestion des déchets tend à en faire un sujet de questionnement insipide pour le chercheur en sciences sociales.

43 « Les rebuts de l'absorption concentrent la charge négative et épurent ainsi la part consommée. Une même opération frappe les contenants des produits alimentaires : chargés de rendre le produit attractif, ils sont, une fois vidés de leur contenu, dégoûtants, repoussants. ». LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, Des déchets et des hommes, Paris : Desclée de Brouwer, 1999, p. 68.

44 Portails Internet de revues scientifiques en sciences humaines et sociales.

45 Bénédicte Florin estime que les chiffonniers du Caire recyclaient jusqu'à 80 % des déchets municipaux de la capitale égyptienne avant que le gouvernorat du Caire délègue ce service à des sociétés privés européennes et égyptiennes qui enfouissent désormais la quasi-totalité de ces déchets dans le désert (le taux de recyclage de ces compagnies n'est pas supérieur à 2 %). Au titre de comparaison, l'Agence Européenne pour l'Environnement estimait à 35 % le taux de recyclage français en 2010. FLORIN Bénédicte, « Résister, s'adapter ou disparaître : la corporation des chiffonniers du Caire en question » in CORTEEL Delphine, LE LAY Stéphane [dir.], Les travailleurs des déchets, Toulouse : Érès, 2011, p. 79.

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Ainsi, nos déchets ont beaucoup de choses à nous enseigner sur nos sociétés mais nous les prenons rarement pour objet d'étude, sûrement parce qu'ils constituent le clair-obscur de notre société productiviste, le revers de notre société de consommation46. Face à un monde qui produit de plus en plus de biens matériels et qui prétend trouver des solutions aux problèmes anthropiques par le biais de la technique, les déchets font tâche et menacent de désavouer la rationalité d'industriels qui peinent à maitriser les externalités négatives inhérentes au processus de production.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus