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La persistance des sciences sociales coloniales en Afrique

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par Jean Barnabé MILALA LUNGALA
Université de Kinshasa RDC - Doctorat 2009
  

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Les faits juridiques et les paradigmes juridiques

Un paradigme du droit pour Jürgen Habermas est justement identifié à la conception implicite qu'on a de la société. Tous les acteurs impliqués doivent se faire une idée de la manière dont le contenu normatif peut être efficacement mis à profit dans l'horizon des structures sociales et des tendances de développement en présence. Les paradigmes du droit doivent en principe déterminer la conscience de tous les acteurs, celle des citoyens et celles des usagers tout autant que celle du Législateur, de la justice et de l'Administration.

La « construction sociale de la réalité » est sous-jacente, dans le discours juridique, aux jugements de fait, c'est-à-dire à la description et à l'évaluation des processus factuels et des modes de fonctionnement des systèmes d'actions sociales. Nous pouvons dire en termes de Talcott Parsons que c'est l'environnement symbolique et culturel qui propose des buts à atteindre et des moyens appropriés, établit les limites à l'action permise et des propriétés, suggère des choix. La fonction symbolique a priori dans l'action sociale est justement de médiatiser les règles de conduite, les normes, les valeurs culturelles qui servent à guider l'action dans l'organisation de l'action.

En fait, les « faits » ou la réalité sociale sont des attentes et des motivations de comportement qui se rapportent les unes aux autres, des interactions humaines, des petites particules dans le grand flux des processus sociaux enchevêtrés. Ces « faits » ne sont pas ces processus eux mêmes, mais l'idée de ces processus. C'est -à- dire, la perception par exemple de (sa structure socio-économique, des modèles d'interaction sociale, des fins morales et des idéologies), des acteurs sociaux (de leurs caractères, de leur comportement et de leur capacité), et des accidents (de leurs causes, de leur ampleur et de leur coût !).

Mais ce système peut aussi s'effondrer. On peut dire que cet effondrement du système juridique , comme l'effondrement de l'acceptation collective de cette réalité sociale, pourrait bien être une crise de confiance collective due à la dislocation du couple salariat /capital, contrat / capital. Ce couple est à la base du développement du droit privé dont la désintégration va appeler l'Etat providence. Un tel système déficient amène à la défaillance de la confiance collective.

En effet, pour Benoit Frudman , « les juristes (ont toujours découvert) non sans inquiétude que l'idée qu'ils se faisaient de leur objet , pour dire vite un ordre juridique national et hiérarchisé , reposant sur la loi, ne permet plus de rendre compte de manière satisfaisante des réalités auxquelles ils sont confrontés et d'apporter des solutions aux problèmes nouveaux que leur pose la pratique ».131(*)

Habermas confirme ces propos en présentant la crise du droit comme double : il s'agit du fait que la loi parlementaire perd de sa force d'obligation et que le principe de séparation des pouvoirs est mis en péril.132(*) Comme réponse, Jürgen Habermas ne restreint pas l'espace public à l'enceinte du Parlement, il propose  la restauration de l'espace public par le respect des conditions d'une discussion gouvernée par "la situation idéale de parole" qui semble essentiel afin de revitaliser les débats parlementaires qui, le plus souvent, restent rivés entre majorité et opposition. D'ailleurs, comment réveiller la conscience citoyenne et mobiliser les acteurs sociaux à s'engager dans le processus démocratique alors même que les assemblées du Peuple se caractérisent par une absence, voire une désertion de plus en plus flagrante de leurs représentants? Même si le Parlement ne représente qu'une strate de l'espace public, il n'en est pas pour autant le lieu le moins important du point de vue de l'effet des décisions qui y sont prises.

Il y a eu l'affaiblissement du législatif devant la prééminence de l'exécutif lors du développement de l'Etat providence, et l'extension du pouvoir judiciaire lors de la crise de ce dernier constituant les principales transformations au niveau de l'évolution de la nature de l'Etat de droit. D'où la question suivante : n'est-il pas dangereux d'observer une délégation de responsabilités croissante laissée aux juges quant à l'interprétation de textes de plus en plus complexes et nombreux, une absence remarquée du législatif et un renforcement de la technocratie ?

L'épistémologie , spécialement l'ontologie juridique vise justement une prise directe du droit sur la réalité sociale actuelle en « intégrant à la norme juridique d'autres normes, (on enrichit) le droit d'une prise directe sur les réalités vivantes du milieu professionnel ou social. La norme juridique ainsi enrichie prend pied dans la réalité sociale évitant (...) la clôture des systèmes juridiques sur eux-mêmes ».133(*)

Quelle est la nature des faits sociaux juridiques ? Nous allons emprunter la réponse Samuel Jerry : « En tant que faits sociaux, les règles juridiques n'ont pas l'existence propre indépendamment de la signification que les individus leur octroient ».134(*) Ici, les faits sociaux juridiques dépendent d'un a priori qui est humain. Cette assertion peut être explicitée comme suite : les règles de droit « sont avant tout des règles mentaux, de contenus de pensées, d'intentionnalité et des croyances individuelles ».135(*)

Cette entrée théorique qui s'opère par la question de signification à octroyer aux faits sociaux juridiques rétablit les liens, non continuels avec Durkheim, entre la société et l'individu.  Les « caractères subjectifs des faits sociaux sont, pour reprendre l'expression de Robert Nadeau, constitués causalement par les croyances et les opinions des gens. Dans les sciences sociales les choses sont ce que les individus pensent qu'elles sont. La monnaie est la monnaie, un mot est un mot. (...) Si et parce que les individus le croient ».136(*)

A propos, allons plus en détails pour signaler que « Hayek opère une distinction entre deux sortes d'idées ou d'opinions : les idées constitutives (ou opinions constituantes) et les idées explicatives (ou vues spéculatives) : celles qui `font partie de leur objet' et celles qui sont ` idées sur cet objet' ».137(*)Il y a « là des idées qui sont réellement constitutives des faits sociaux des autres idées théoriques ».138(*) Cette distinction sera reprise par John Searle.

L'effort qui est poursuivi est l'analyse précisément des faits sociaux en tant qu'ils se distinguent des faits tout simplement physiques. « La plupart des objets de l'action humaine ou sociale sont distincts des « faits objectifs » au sens précis et étroit où ce terme est utilisé par les sciences(...) et ne peuvent être définis en termes physiques. »139(*) Friedrich Hayek insiste donc sur la distinction à établir « entre les sciences de la nature et l'étude (sociale) du langage ou du marché, du droit et de la plupart des autres institutions humaines. Ces faits sont une catégorie particulière des faits car ils sont subjectifs ».140(*)

La dimension significative est centrale dans la démarcation : «  les croyances partagées sont non seulement une condition du fait social mais sa cause. Renoncer à mettre au centre du social l'intentionnalité des agents et leurs croyances subjectives serait alors renoncer aux sciences sociales tout court. On ne verrait plus dans la monnaie par exemple que des « disques ronds de métal ».141(*) Ainsi, « depuis le tournant des années 1960 la théorie générale de droit a été marquée parce que l'on a appelé le tournant herméneutique ».142(*)

Cette idée qui se rapporte à la loi comme fait social est corroborée également par Jules Coleman : « la loi est (...) à comprendre comme un fait social (social fact thesis), écrit Marc Maesschalck, qui incorpore ou inclut une pratique collective de reconnaissance constitutive du système juridique lui-même et de notre compréhension de la règle de droit ».143(*) Ceci participe de la révolution pragmatiste en théorie du droit aujourd'hui et suppose le double dépassement des paradigmes juridique du positivisme juridique et de position herméneutique tel que nous l'explique Marc Maesschalck.

En effet, dit-il, notre conception philosophique actuelle de la loi se situe sur l'horizon d'une coupure épistémologique fondamentale entre positivisme et herméneutique héritée du XX e siècle. (Parce que), alors que le positivisme juridique visait à construire une théorie du droit autonome, fondée sur un concept d'usage des règles à même de réduire l'incertitude des habitudes et prédictions, l'herméneutique tendait à montrer le rôle primordial pour tout jugement interne au droit d'une référence aux standards de moralité de la communauté d'appartenance, c'est-dire d'une référence à un état déterminé des idéaux de régulation sociale du groupe concerné ».144(*)

Les deux positions se cristallisent dans la position herméneutique de Donald Dworkin et dans la position positiviste de Hart : « chez Dworkin (position herméneutique), la moralité individuelle du juge devient la garantie d'un système dont le principe réside dans l'intégrité de la référence à une « morale substantielle supposée homogène au groupe social et à un juge idéalisé capable d'en assumer une réinterprétation constante »145(*), le juge Hercule. «  Chez Hart (position positiviste), l'existence d'un ordre juridique est garantie par la pratique convergente des officiels fondés sur le type de convention de coordination qu'ils adoptent entre eux pour maintenir la cohésion de leurs pratiques ».146(*) Ainsi, « là où Dworkin juge nécessaire l'exclusion d'une forme de coordination préalable des praticiens au profit d'un sens du devoir intériorisé par chaque patricien, Hart renvoie à une forme implicite de convention de coordination supposée garantir la convergence de l'action des praticiens ».147(*)

Finalement quel est l'enjeu du tournant pragmatiste que nous avons annoncé ? C'est, explique Marc Maesscchalck celui « de déterminer la structure normative du type de comportement auquel les différents acteurs concernés s'engagent dans la pratique d'un système juridique. Cette pratique collective, Jules Coleman propose d'en approcher l'unité référentielle à partir du modèle d'action coopérative partagée par Micheal Bratman. Rendre justice constitue une action fondée sur une règle de reconnaissance inhérente à la fonction d'officiel ».148(*) Ce qui fait que « la question de la normativité du droit se déplace alors de la cohérence formelle de son contenu sémantique vers son potentiel pragmatique de gouvernance comme institution sociale. Ce potentiel de gouvernance dépend d'un engagement collectif des acteurs concernés allant au-delà de l'adhésion à des objectifs conjoints : il s'agit de partager une responsabilité (mutuel responsiveness) à l'égard de la réalisation conjointe de ces objectifs, tant au niveau des moyens à mettre en oeuvre qu'au niveau du soutien éventuel à apporter au maintien des différents rôles à remplir (commitment to mutuel support) ».149(*) La loi acquiert une nouvelle mission, celle d'encadrement pédagogique où les vertus de négociation et de concertation doivent s'avérer nécessaires pour « rendre possible un processus d'apprentissage de nouveaux modes d'engagement des acteurs concernés à son égard. »150(*) D'où l'option de l'expérimentalisme démocratique où les compétences d'action collective de groupes eux-mêmes sont en jeu, soutient Marc Maesscchalck.151(*)

Marc Maescchack, au demeurant, présente les limites d'un tel système : « il suppose de la part des acteurs concernés un accroissement de l'intelligence collective ».152(*) C'est ici que nous proposons le récalibrage de tout le système avec des nouvelles formes des ressources, notamment le monde vécu.

* 131 Benoit FRUDMAN, « Le droit à la lumière de la philosophie de l'action », in Pierre LIVET, (DIR.), L'argumentation : droit, philosophie et science sociales, Sainte - Foy(Québec), Presse de l'unversité de Laval, Paris, Montréal, L'Harmattan, 2000, p.146.

* 132Jürgen HABERMAS, Droit et démocratie, p.459.

* 133 Eric CARPANO, Etat de droit et droits européens, évolution du modèle de l'Etat de droit, dans le cadre de l'européanisation de systèmes juridiques, L'Harmattan, Paris, Budapest, Turin,2005,p.352.

* 134 Samuel JERRY, « Economie et le juge : réflexion sur la théorie hayekienne du droit »in Cahier d'économie politique : histoire de la pensée et théorie, N° 54, L'Harmattan, 2008, p.71.

* 135Ibidem.

* 136Ibidem, p.70.

* 137Ibidem.

* 138Ibidem, p.72.

* 139Ibidem, p.70.

* 140Ibidem.

* 141Ibidem, p.71.

* 142Ibidem, p.58.

* 143 Marc MAESSCHALCK, « La loi, entre délibération et apprentissage », dans Philippe ABADIE, Aujourd'hui, lire la Bible, exégèses contemporaines et recherches universitaires, Profac, Bruxelles ,2008, p.297.

* 144Ibidem, p.296.

* 145Ibidem.

* 146Ibidem.

* 147Ibidem.

* 148Ibidem, p.297.

* 149Ibidem, p.298.

* 150Ibidem, p.299.

* 151 Marc MAESSCHALCK, « La loi, entre délibération et apprentissage », p.302.

* 152Ibidem, p.305.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera