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Les stratégies politico-économiques du football professionnel dépassent-elles celles des terrains ?

( Télécharger le fichier original )
par Victor PORCHER
Université Pantheon Assas Paris II - Master 2 Commerce et Management International 2016
  

Disponible en mode multipage

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1

UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS
Droit - Économie - Sciences sociales

Les stratégies politico-économiques du football professionnel dépassent-elles celles des

terrains ?

Mémoire pour le Diplôme de Master 2 Professionnel de
Commerce et Management International

Présenté et soutenu par

Monsieur Victor PORCHER le 09/09/2016

Directeur de Recherche

Monsieur le Professeur Jean-François DAGUZAN

JURY

Monsieur le Professeur Jean-François DAGUZAN
Monsieur le Professeur Bruno JÉRÔME

2

L'Université n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les mémoires ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

Ce mémoire a obtenu la note de .../20 ; une note supérieure à 14/20 manifeste qu'il peut éventuellement être diffusé.

3

Remerciements

Je souhaite adresser mes remerciements à mon Directeur de mémoire, Monsieur le Professeur Jean-François DAGUZAN, pour le temps qu'il m'a accordé pour la réalisation de mon mémoire ainsi que pour ses précieux conseils.

Sa connaissance du sujet que je souhaitais traiter et son professionnalisme m'ont été d'une grande utilité. De plus, les deux ouvrages qui m'ont été prêtés par Monsieur DAGUZAN m'ont permis d'aborder les premières directions à suivre, afin de structurer correctement mes idées.

D'autre part, je souhaite grandement remercier mes parents, ma soeur Laura ainsi qu'à mon cher ami Aloua, pour leur grande contribution dans ce mémoire et pour leur aide à la relecture finale.

Enfin, je remercie l'ensemble de mes collègues de travail de la COFACE où je réalise mon apprentissage.

Les conseils de Madame Amandine PETIT ainsi que des anciens étudiants du Master 2 Commerce et Management International de l'Université Panthéon-Assas Paris II, Evelyne UY, Gabrielle DE SEZE et Antoine PACHOUD, m'ont permis de suivre une ligne directrice, facilitant le respect de la méthode de travail demandée.

Résumé

Le mémoire ci-présent vise à analyser l'évolution du football professionnel face à une société de plus en plus mondialisée. L'objectif est d'appréhender sous différents angles les nouveaux enjeux de la « footballisation » et ce, à l'aide d'une démarche en trois temps : économique, en observant les principales activités financières des clubs et qui laisse à supposer que le football est devenu un business plus qu'un sport ; puis sous une vision purement géopolitique/géostratégique, qui traduisent le désir des plus grandes puissances à utiliser le football comme un moyen d'asseoir une forme de domination mondiale. Il est également devenu un enjeu important dans le développement des pays en mal d'investissements à l'image de l'Afrique ; et enfin sous un dernier aspect exclusivement social, pointant du doigt toutes les nouvelles perversions et dérives du football professionnel, qui entraine corruptions, trucages des matchs et esclavages modernes au sein de nos sociétés.

L'objectif de ce travail de recherche est de répondre à la question suivante : les stratégies politico-économiques du football professionnel dépassent-elles celles des terrains ?

Mots clefs : business, argent, perversion, géopolitique, dérive

The main topic of the Memory is to analyze the evolution of professional football in a increasingly globalized society. The goal is to understand the different perspectives of the emerging issues of "footballisation" and through using a three-step approach: economic, observing the main financial activities of clubs leaving to assume that football is become a business more than a sport, then in a purely geopolitical / geo-strategic vision, reflecting the desire of the great powers to use football as a way to satisfy a form of world domination. It has also become a major issue in developing countries in search of investment image of Africa; and finally in a exclusively social aspect, pointing all new perversions and excesses of professional football, which leads to corruption, rigging of games and modern slavery in our societies.

The objective of this research is to answer the question: do the political and economic strategies of professional football exceed those lands?

4

Keywords : Business, money, perversion, géopolitical, slavery.

5

Sommaire

REMERCIEMENTS 3

SOMMAIRE 5

INTRODUCTION 6

CHAPITRE I : LE FOOTBALL MODERNE EST-IL DEVENU UN BUSINESS FLORISSANT ? 10

PARTIE I - ANALYSES ECONOMIQUES DES ACTIVITES DES CLUBS. 10

PARTIE II - JOUEURS ET CLUBS : LE RAPPORT EMPLOYEUR-EMPLOYE PROCHE DU SCHEMA D'ENTREPRISE. 47

CHAPITRE II : LES NOUVEAUX ENJEUX DU FOOTBALL MONDIAL 61

PARTIE I - NOUVELLES STRATEGIES D'INFLUENCES DU QATAR OU LE FOOTBALL N'EST PAS ROI. 61

PARTIE II - OBJECTIF 2050 : FAIRE DE LA CHINE UNE NATION DU FOOTBALL 71

PARTIE III - ENTRE REVE ET DESARROI, QUEL EST L'AVENIR DU FOOTBALL AFRICAIN ? 78

CHAPITRE III : COUPS FRANCS ET COUPS BAS : LES CONTROVERSES DU FOOTBALL

MODERNE 91

PARTIE I - L'ESCLAVAGE MODERNE DANS LE FOOTBALL 91

PARTIE II - LE TRUCAGE DES MATCHS : LES NOUVELLES DERIVES DU FOOTBALL MODERNE 104

CONCLUSION 113

TABLE DES MATIERES 116

BIBLIOGRAPHIE 117

6

Introduction

« Les peuples sans sport sont des peuples tristes » La célèbre maxime byzantine nous renseigne sur ce que peut représenter le sport pour l'être humain.

Alors que le processus d'intégration des marchés pousse l'homme à inventer de nouveaux concepts révolutionnaires, aux dépens de ceux qui disparaissent, on peut considérer que le sport est un phénomène universel qui existe depuis la nuit des temps. Par nature, l'homme est un être disposant de facultés motrices qui lui ont permis de s'adapter à son environnement. Courir, nager, pour les besoins de la chasse et de la pêche, constituèrent les premiers mouvements essentiels de l'homme qui dès le début, lui ont permis d'assurer sa survie, et l'amélioration progressive de ses conditions d'existence.

Mais très vite, l'homme a aussi compris que l'effort physique pouvait devenir une forme de loisir. C'est la raison pour la laquelle l'étymologie du mot « sport » trouve son origine de l'ancien français qui fait référence au terme d'amusement et de divertissement. Le « despote », comme on l'appelait autrefois, procure à chacun d'entre nous des vertus telles que l'audace, le dépassement de soi, mais également la sagesse, qui figurent parmi les indéniables fils conducteurs de notre vie.

Le sport occupait ainsi une place privilégiée dans le coeur des hommes. Les grands philosophes de l'Antiquité s'accordaient à dire que l'activité physique participe à la réussite éducative et spirituelle de l'homme. Le culte du corps et de l'esprit permettaient de rendre l'homme plus fort.

De nos jours, et pour ces raisons, le sport continue d'occuper une place importante dans nos sociétés modernes, constituant à la fois un phénomène culturel et un moyen d'expression d'appartenance identitaire. Un sport en particulier rassemble tous ces critères que nous venons de mentionner. Il s'agit du football.

Alors que des recherches scientifiques prouvent que l'ancêtre du football (le Tsu' Chu) aurait été inventé par la dynastie des Han au IIIème siècle av J-C, ce sport trouve néanmoins ses origines en Grande-Bretagne grâce à la création de la toute première instance dirigeante en

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1863, la Football Association (FA). Véritable succès dans les classes ouvrières anglaises, le football devient officiellement professionnel à partir de 1885. Pour autant, son apogée se fera qu'à partir des années 1960, lorsque les premiers matchs ont pu être retransmis à la télévision.

Comment expliquer le fait que le football puisse-t-il être devenu l'un des sports les plus populaires au monde ? Quelle est la particularité du football que les autres sports n'ont pas ? D'innombrables réponses pourraient expliquer pourquoi ce sport procure autant de ferveur.

Toutefois, un argument semble être l'explication la plus plausible.

Le football rassemble de nombreux adeptes car il s'agit d'un sport très simple. En effet, il ne requiert qu'une seule condition : avoir un ballon ou quelque chose qui y ressemble... Pas besoin d'infrastructure adéquat pour jouer. Une ruelle, un terrain vague, une cour de récréation, le jardin de la maison familiale, il existe une multitude de lieux, plus insolites les uns que les autres pour jouer au football.

En dehors de l'aspect purement sportif, le football est aussi un moment privilégié que l'on partage entre amis, permettant de montrer l'étendue de ses talents et de s'échapper, l'espace d'une partie souvent interminable, où seule la fatigue de l'ensemble des deux équipes justifie la fin du match.

D'autre part, le football a la faculté de réunir les peuples de différentes catégories sociales : Que l'on vienne des Favelas gangrénées par les trafics de drogue de Rio de Janeiro, ou d'un quartier aisé du centre de Londres, en passant par les villages désertiques de l'Afrique Sub-Saharienne, le langage football est toujours le même : solidarité en équipe, respect de l'adversaire, et fair-play.

De surcroît, le football c'est aussi une histoire qui se raconte de génération en génération, procurant à chacun d'entre nous des émotions et des souvenirs qui feront partie intégrante de notre vie.

La description on ne peut plus élogieuse du football pourrait laisser à penser que ce sport ne peut être sujet à de quelconques dérives. Or la réalité semble être tout autre. En effet, le passage du football amateur au football professionnel, l'émergence d'internet et de la

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télévision, des moyens d'information et de communication et bien entendu la prise de conscience que ce sport puisse se transformer en un véritable business, marquent aujourd'hui l'entrée dans une nouvelle ère dans la planète football. De nos jours, le football est très certainement devenu un véritable business où se mêlent argent, manipulations, et stratégies géopolitiques.

Depuis une vingtaine d'années, le football fait couler beaucoup d'encre et anime de nombreux débats dans nos médias.

Montants de transferts des joueurs professionnels à la limite de l'indécence, soupçons de corruption au sein des plus hautes instances mondiales, émergence du trafic de jeunes joueurs africains, font les grands titres de l'actualité sportive, en générant une image négative dont le football a bien du mal à se défaire.

Une partie de l'opinion publique, pense désormais que le football est entré dans une forme de fatalisme voire de perversion, où le business aurait définitivement pris le pas sur le sport.

Ce contexte actuel nous amène ainsi à réaliser une analyse approfondie afin de tenter de répondre à une question : les stratégies politico-économiques du football professionnel dépassent-elles celles des terrains ?

Afin d'appréhender au mieux cette problématique générale, il convient de réaliser notre étude en trois parties distinctes et complémentaires.

Tout d'abord, notre première approche vise à analyser les principales activités financières des clubs en dehors des terrains de football. Ce premier chapitre permettra de vérifier si le football est réellement entré dans une forme de sport business où seuls les gains financiers comptent. Cette partie consistera donc en une analyse exclusivement économique.

Dans un second temps, nous étudierons le football en tant qu'outil géostratégique. Pour ce faire, nous nous concentrerons sur deux puissances mondiales, le Qatar et la Chine pour tenter de comprendre en quoi le football est devenu un réel outil géopolitique dont certains pays ne peuvent se passer aujourd'hui. Nous verrons également que le football reflète les enjeux

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actuels à l'image des maux de l'Afrique, qui peine à trouver des investissements dans ce secteur.

Enfin, le dernier chapitre vise à observer les nouvelles dérives du football moderne. Nous verrons en quoi la capitalisation du football et ses enjeux géopolitiques sont responsables de cette nouvelle forme de perversion qui pousse certains à des actes répréhensibles.

Pour ce faire nous nous pencherons lors d'une première partie, sur le cas du trafic des jeunes joueurs africains, influencés par des réseaux de passeurs peu scrupuleux des sorts de ces enfants, suivis d'une analyse de la préparation de la Coupe du Monde 2022 au Qatar, qui prend parfois des allures que nous pourrions comparer à de l'esclavage moderne. Enfin, l'analyse des trucages des matchs constituera notre dernière partie.

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Chapitre I : Le football moderne est-il devenu un business florissant ?

Partie I - Analyses économiques des activités des clubs.

1.1 Statuts juridiques des clubs et introductions en bourse.

Le football est né en Angleterre au milieu du 19ème siècle. Exporté aux quatre coins du monde, en partie grâce à l'histoire des colonisations, le football était alors un sport à but non lucratif et régi par la loi de 19011. Il deviendra professionnel en 1885 avec la fondation des premiers clubs. La première ligue professionnelle apparaît aux Etats-Unis en 1894.

Néanmoins, la ligue disparaît quelque temps après sa création pour faillite financière. Le football arrive en France dans les années 1870 et c'est en 1932 qu'apparaît le premier championnat français. En 1963, le football connaît un changement important avec l'apparition du Football Association (FA) regroupant différents clubs. L'objectif premier de l'association était de définir des règles communes.

En 1975, le football entre dans une nouvelle ère puisqu'une nouvelle loi permet aux clubs professionnels de créer une société d'économie mixte locale2 dite SEML.

Dès 1984, on observe déjà certains clubs ayant dépassés un seuil financier les obligeant à créer une nouvelle société adaptée aux revenus qu'ils généraient. On parle alors de société anonyme à objet sportif, SAOS ou encore de société d'économie mixte sportive locale SEMSL.

Aujourd'hui, on admet une société sous trois formes :

1- une société à responsabilité limitée, comprenant qu'un associé (EUSRL)

2- une société anonyme à objet sportif, SAOS

3- une société anonyme sportive (SASP)3

1 «La loi du 1er Juillet 1901 et la liberté d'association», association.gouv, 2011

2 La SEML permet de mixer l'actionnariat privée et public.

3 La SASP peut rémunérer les dirigeants et distribuer des dividendes aux actionnaires.

11

Les sociétés EUSRL et SAOS sont apparues avant le statut juridique SASP. Cette dernière est fondée en 1999 et ses caractéristiques se rapprochent très fortement des sociétés anonymes dans la mesure où, les clubs qui en font partie ont la possibilité de rémunérer les dirigeants avec un accès au capital très libre. Les sociétés SASP sont réputées plus flexibles que les deux précédentes sociétés.

Qui plus est, le fonctionnement des sociétés SASP est en faveur des entreprises qui cherchent à s'enrichir. On comprend alors que les clubs se sont tournés un à un vers ce type de structure juridique et pour cause, en prenant l'exemple de la Ligue 1 sur la saison 2011-2012, on constate que tous les clubs ont le statut de SASP sauf deux exceptions : l'AC Ajaccio et l'AJ Auxerre, respectivement sous le statut EUSRL et SAOS.

Actuellement, la plupart des grands clubs sont détenus par des investissements privés. Concernant les clubs français, il convient d'accepter le fait que bon nombre d'entre eux, si ce n'est la totalité, aient profité du changement de statut concernant les associations sportives, pour attirer de nouveaux investisseurs privés.

Concernant les autres statuts juridiques des championnats majeurs en Europe, la plupart des clubs anglais ont le statut juridique de société par action. Même si les clubs anglais furent les précurseurs d'un système de fonctionnement similaire aux entreprises commerciales, de nombreuses règles régissent le football anglais afin d'éviter toute dérive. On peut citer notamment la règle N°34, limitant le versement de dividendes à 15% de la valeur faciale des actions.

L'Espagne n'échappe pas la règle. La loi de 1990 « Sociedad Anonima Deportiva » (SAD) tend à rapprocher les clubs qui adhèrent à ce nouveau statut juridique, à un mode de fonctionnement proche des entreprises commerciales.

Le voisin italien est soumis au statut juridique de « Societa Per Azioni » (SPA). On observe ainsi que trois, des cinq grands championnats majeurs européens se sont tous tournés vers le statut de société par actions et ce, en l'espace d'une dizaine d'années.

En revanche, le cas allemand est particulier. Son évolution s'est faite plus tardivement que les précédents puisque les premiers clubs allemands ne deviennent professionnels qu'à partir de 1962.

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En effet, l'Allemagne prônait un football amateur et à but non lucratif. Ces raisons ont eu pour conséquence une adaptation plus tardive pour les clubs, dans leurs droits de constituer des sociétés par actions.

L'évolution des statuts juridiques de la plupart des grands clubs européens en faveur des sociétés par actions suppose une question subsidiaire. Qui sont les investisseurs privés et quelles sont leurs motivations ?

Les entreprises ont eu un rôle majeur. La plupart des clubs professionnels se sont développés dans les grandes villes industrielles et même si les entreprises ne possédaient juridiquement pas de clubs, elles en contrôlaient une partie. Exemple : en 1929, le club de Sochaux Montbéliard est fondé par le concessionnaire automobile français Peugeot. L'objectif premier était de faire connaître l'entreprise à travers toute la France. Officiellement pour distraire les salariés, officieusement pour les empêcher de lancer des mouvements de contestation contre l'entreprise.

Même exemple4, avec la compagnie minière qui a pris le contrôle du RC Lens et de l'AS Saint-Etienne avec Pierre Guichard, fils de Geoffroy Guichard et fondateur du groupe Casino.

La popularité du mouvement ne s'arrête pas aux seules frontières des entreprises classiques mais touche aussi le secteur audiovisuel, très présent dans les années 90. De nombreuses chaînes TV se sont retrouvées au capital de grands clubs, à l'image de Canal + qui a investi dans le club du Paris-Saint-Germain.

Le mythique club du Milan AC fut détenu par la chaîne italienne Rai.

On peut encore citer l'investissement du groupe M6 dans le club des Girondins de Bordeaux.

Néanmoins, on constate aujourd'hui que de nombreux clubs ont tendances à être rachetés par de multiples milliardaires.

Le magazine FORBES, publia un classement révélant qu'en 2013, plus de 50 milliardaires possédaient des parts dans des clubs de football. Cependant, penser que chaque milliardaire dépense au sein de ces clubs des sommes astronomiques est une erreur. Alors que la stratégie qatarie se tourne vers une stratégie d'investissement massive, injectée directement dans le club du PSG, le club de Rennes, lui aussi détenu par le milliardaire français François Pinault

4 DRUT BASTIEN, Economie du football professionnel, collection repère, 2014, p. 14

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n'a que très peu investi dans son club qu'il possède depuis 1998. Les stratégies peuvent donc être différentes. Néanmoins, nous constaterons que le cas du Paris-Saint-Germain est particulier puisque l'acquisition du club par le Qatar Sport Investment (QSI) est en réalité une acquisition sur fond souverain du Qatar (Qatar Investment Authority) (cf. Chapitre II partie I)

D'une constatation générale, on observe malgré tout que les stratégies des milliardaires sont souvent convergentes. En effet, en dépit d'un investissement de « loisir » pour ces personnes fortunées, bon nombre d'entre elles y voient un véritable enjeu, à la fois sur le plan sportif et économique. C'est la raison pour laquelle, ces investisseurs milliardaires peu regardants sur les sommes qu'ils dépensent, n'hésitent pas à surpayer les indemnités de transfert des joueurs « stars » et en leurs proposant des salaires exorbitants.

Notre développement permet de conclure de la manière suivante : le football est définitivement entré dans une nouvelle ère, notamment depuis que les clubs de football ont acquis un statut quasiment identique aux entreprises classiques. L'objectif est toujours le même : faire du profit.

De toute évidence, les stratégies entrepreneuriales des clubs sont allées encore plus loin. En effet, certains d'entre eux ont fait le choix de la cotation en bourse.

Historiquement, la première cotation boursière d'un club de football professionnel a eu lieu en 1983. Il s'agissait alors du club anglais de Tottenham. Pourquoi les clubs ont-ils commencé à être cotés en bourse ?

Au-delà de l'aspect purement financier, l'intérêt des clubs à être coté en bourse était de contourner cette fameuse règle N°34, concernant les redistributions des salaires et des dividendes des dirigeants.

Environ quarante clubs ont tenté l'expérience pour les mêmes raisons juridiques surtout en Allemagne, au Danemark et en Turquie.

C'est à l'aube des années 2000 que l'on constate l'explosion des entrées en bourse des clubs de football. Cette période correspond bien évidemment à « l'euphorie financière et boursière ». On dénombre près de 25 clubs anglais cotés en bourse alors qu'à partir de la crise des « subprimes » de 2008 jusqu'en 2010, le nombre s'est réduit de 60% pour ne tomber plus

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qu'à une dizaine de clubs. Le graphique « nombre de clubs cotés en Bourse, janvier 1983 à septembre 2009 »5 traduit bien cette tendance à la baisse depuis la crise mondiale.

Un club coté en bourse signifie-t-il qu'il gagnera plus de matchs ? L'issue d'un match a-t-elle des conséquences sur le marché boursier ? D'une part, les études sportives réalisées par Baur et McKeating6 montrent que la cotation en bourse d'un club de football ne signifie en rien de meilleurs résultats sur le plan sportif. D'autre part, les études récentes réalisées en 2009 par l'économiste Palomino7 ont prouvé une corrélation évidente entre les victoires d'une équipe et l'évolution positive de son cours boursier. En revanche, un match perdu ou nul influence négativement le cours.

Il est prouvé statistiquement dans le championnat anglais, qu'une victoire est fréquemment suivie en moyenne d'une hausse de l'action de 0,53% le jour suivant du match gagné. A contrario, une défaite se traduit généralement par une baisse du cours de l'action de 0,28% et -1,01% trois jours suivant la défaite. L'étude montre également que les impacts boursiers sont plus importants lors des matchs de fin de saison car il en va du statut du club de football (relégation, promotion dans un championnat supérieur ou qualification pour une compétition interclubs).

Une seconde étude menée par Edmans8, montre que l'équipe nationale, vainqueur de la Coupe du Monde, aura un impact significatif sur le cours boursier national. Dans le cas contraire, la défaite lors de cette même compétition, engendre négativement le moral des investisseurs ce

5 DRUT BASTIEN, Economie du football professionnel, collection repères, 2014 P.21

6 BAUR D. & McKEATING C. Do football clubs benefit from an IPO? International Journal of Sports Finance, 2011, vol. 6, n°1, p. 40-59.

7 PALOMINO F. Information, investor sentiment, and stock returns: the case of British soccer betting, Journal of Corporate Finance, vol. 15, N°3, p. 368-387

8 EDMANS A. Sport sentiment and stock returns, Journal of Finance, vol 62, p. 1967-1998

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qui a pour conséquence une contraction significative de l'indice boursier. Bien évidemment, l'impact est d'autant plus important s'il s'agit d'un pays où la culture du football est très forte.

L'introduction en bourse d'un club de football permet aussi à ce dernier de détenir un nouveau financement de projet, souvent pour des stades ou pour le recrutement de meilleurs joueurs.

Cependant, croire que ces projets de financement sont gages de réussite serait une erreur. Le sport à une part d'incertitude non négligeable et la qualité d'une équipe ou d'infrastructure n'est pas le garant d'une réussite sportive.

Les clubs de football professionnel français ont la possibilité d'être cotés en bourse depuis la loi du 11 octobre 2006. Pour autant, la loi prévoit que les clubs qui souhaitent faire un appel public à l'épargne doivent présenter un projet « d'acquisition d'actifs destinés à renforcer leur stabilité et leur pérennité, tel que la détention d'un droit réel sur les équipements sportifs utilisés »9. En d'autres termes, pour être coté en bourse il faut un projet d'acquisition d'un stade. C'est en 2014, que deux clubs sont entrés en bourse. Il s'agit de l'Olympique Lyonnais et du FC Istres. 94 millions d'euros ont été déboursés par le club rhodanien pour financer le projet du stade des lumières. Ceci, dans l'optique d'obtenir des revenus plus réguliers et plus importants. Nous y reviendrons plus amplement dans une prochaine partie.

En définitive, le football professionnel semble avoir tourné la page du simple amateurisme. Le changement de statut juridique des clubs, en quête de profit comme les plus grandes entreprises, démontre une stratégie encore inconnue à ce jour dans le football. Qui plus est, l'introduction en bourse de certains clubs n'est que le reflet des nouvelles ambitions financières. L'argent semble avoir une grande importance pour permettre à un club d'accéder à un meilleur classement et d'accéder aux compétitions les plus prestigieuses telles que la Champions League ou l'Europa League.

En effet, les compétitions continentales constituent un bon moyen de faire valoir le prestige d'un club. Beaucoup de grands clubs comme le Real de Madrid, La Juventus de Turin ou encore Arsenal, utilisent les retombées des compétitions que nous venons de citer pour accroître leurs côtes de popularité. La question que l'on peut se poser est la suivante. Après

9 DRUT BASTIEN, Economie du football professionnel, collection repères, 2014 P.26

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notre première étude, nous avons démontré que les ressources financières générées par les clubs professionnels, permettaient d'accéder plus facilement à ces tournois prestigieux. Peut-on donc considérer que les compétitions interclubs sont-elles accélératrices des inégalités entre ceux qui les jouent et ceux qui n'y ont pas accès ?

1.2 Les gains financiers des coupes européennes pour les clubs

La ligue des Champions ou Champions League (en anglais) est considérée en Europe comme le championnat le plus prestigieux. Fondée en 1993, elle remplace la « Coupe des Clubs Européens » qui était une coupe où les vainqueurs des championnats nationaux et le vainqueur en titre de cette coupe de l'édition précédente pouvaient se rencontrer. La Champions League regroupe trente-deux des meilleurs clubs européens.

Ce tournoi est très prisé par les différents clubs car il s'avère être très lucratif financièrement. En effet, l'Union Européenne des Associations de Football (UEFA), qui est la haute instance de régulation du football européen, procède de manière autonome à ses propres appels d'offre pour la vente des droits de retransmission TV des compétitions européennes. Elle génère donc une masse d'argent considérable. De plus, c'est le comité de cette même instance qui décide de la redistribution des recettes. A titre d'exemple, sur la saison 2012-2013, 905 millions d'euros ont été perçus par les 32 clubs ayant disputé la Champions League, le reste des gains ayant été redistribués à diverses associations et à l'UEFA pour les frais administratifs et d'organisations.

Comme le révèle les archives de la haute instance européenne, la seule participation à une phase de poule du tournoi assurait un gain de 8,6 millions d'euros par club. Chaque victoire représentait un million d'euro de gain et 500 000 euros pour des matchs nuls. A cela s'ajoute une prime variable, appelée « market-pool », correspondant aux gains perçus par chaque club grâce aux retransmissions TV, versées par les chaînes de télévision nationales.

Cela a un impact économique considérable. Reprenons l'exemple du Paris-Saint-Germain. Avec un budget annuel estimé à 400 millions d'euros, le PSG est de loin le club français le plus riche de France. Il existe une corrélation entre la richesse d'un club et son classement au championnat, lui assurant l'année suivante une place directe en Champions League et ainsi pouvant profiter des dotations financières juteuses qui lui sont associées.

Comment sont décomposées les dotations financières lorsqu'un club participe à cette compétition ?

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L'équation est simple. Les dotations financières sont composées de l'addition des primes de participation, des primes de performance et du fameux « market-pool ».

Lors de l'édition 2013-2014, le PSG et l'Olympique de Marseille ont perçu respectivement 33,9 et 23,8 millions d'euros de « market-pool » alors que le total des dotations s'élevait à 54,4 millions pour le PSG et 32,4 millions pour l'OM. Il est donc facile de conclure que le « market-pool » constitue la majeure partie des revenues des clubs. De surcroît, on peut facilement conclure que seulement quelques clubs captent la majeure partie des dotations redistribuées par l'UEFA.

Participer à une compétition européenne, telle que la Champions League, résulte d'un mécanisme dit « auto-entretenu ». En effet, participer à ce tournoi permet d'accumuler des gains que d'autres clubs ne peuvent obtenir. A long terme, l'écart financier se creuse entre les clubs et plus riches et ceux qui le sont moins. Ce mécanisme donne ainsi moins de chance aux clubs moins riches de concurrencer les plus forts. C'est pour cette raison que la Champions League réunit quasiment chaque année les mêmes clubs. Les dotations financières provenant de cette compétition sont par la suite reversées aux clubs, permettant d'acheter de nouveaux joueurs ou d'investir dans de nouveaux projets d'infrastructures et donc de donner plus de chance à ces clubs de finir en haut de classement l'année suivante. On peut donc dire que ce mécanisme laisse de côté ceux qui se retrouvent dans une spirale qui ne leurs permettent pas d'accéder à ce genre de compétition. Ces clubs dits de « second plan » sont souvent ceux que l'on retrouve dans le ventre mou du classement du championnat national c'est à dire des clubs qui ne gagnent rien mais ne perdent rien non plus. D'après l'étude menée par l'économiste Pavlovski en 2010, la probabilité de se qualifier pour la Champions League est de 0,84 pour les équipes ayant participé la saison précédente alors qu'elle n'est que de 0,03 pour les clubs n'y ayant pas participé. Cela crée donc des disparités entre les championnats nationaux.

Après avoir analysé ce qu'était la Champions League et son fonctionnement, il semble intéressant de s'attarder sur la puissance financière de cette compétition.

Comme le révèle les récentes publications du site de l'UEFA, les recettes de droit de la Champions League et de l'Europa League se sont accrues de 57 millions d'euros.

Cette hausse considérable doit son explication dans l'avantage des gains de change. D'un point de vue purement financier, l'affaiblissement de l'euro face au dollar américain et de la

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livre sterling sont responsables de cette évolution positive.

De surcroît, les droits de retransmission et les droits commerciaux ont également augmentés. Les recettes ont atteint 1,47 milliards d'euros pour la saison 2013/2014, soit une hausse de 3,3% par rapport à l'édition précédente où les gains s'élevaient à hauteur de 1,42 milliards d'euros.

L'UEFA met en place chaque année une prévision des recettes. Il s'avère que pour l'exercice 2014/2015, un excédent de +83,3 millions était disponible en fin de saison. Ce surplus de gain a permis à l'UEFA de les redistribuer de la manière suivante :

- aux clubs ayant participé à la Champions League.

- aux clubs ayant disputé les matchs de barrages de cette compétition, soit au total 32 clubs.

- aux clubs ayant participé à la Super Coupe de l'UEFA.

Ce résultat qui ne laisse personne indifférent, montre que cette compétition est toujours plus appréciée du grand public.

Les deux clubs qui disputent la Super Coupe de l'UEFA (le gagnant de la Champions League contre le gagnant de l'Europa League) sont également financièrement récompensés par un montant fixe.

Comment se font les versements aux clubs ayant disputé la compétition ?

Selon les règles de l'UEFA « les versements aux clubs de l'UEFA Champions League sont les parts de marchés proportionnels à la valeur des recettes des droits de diffusion au sein des territoires respectifs des associations nationales »10.

Cette règle signifie que chaque club ne recevra pas les mêmes revenus puisque le système de distribution est variable selon chaque pays. Ainsi, il est tout à fait possible que deux clubs ayant atteint le même palier de stade d'une compétition européenne, ne soient pas forcement rémunéré au même montant.

Par ce cheminement analytique, il est même fortement probable que le gagnant de cette compétition ne soit pas celui qui gagne le plus.

10« Rapport financier 2014/2015 », UEFA, février 2015

19

Cependant, on observe que les recettes augmentent continuellement. Le graphique « recette de l'UEFA relative à la Champions League (en million d'euros) »11 retranscrit nos propos.

Il est tout aussi intéressant d'analyser financièrement les gains selon les échelles de la compétition. Le tableau ci-dessous est tiré du livre « Economie du Football professionnel » de Bastien Drut.

Pour ce faire, nous avons retenus deux éditions (2011/2012 et 2014/2015) pour pouvoir comparer ces évolutions de gains selon les paliers atteints lors de la compétition.

En millier d'EUR

Cycle courant 2014/15

Cycle précèdent 2011/2012

Matches de barrage

2100

2100

Montant fixe

8600

7200

Prime de résultat - victoire

1000

800

Prime de résultat - match nul

500

400

Huitième de finale

3500

3000

Quart de finale

3900

3300

Demi-finale

4900

4200

Deuxième de la finale

6500

5600

Vainqueur de la finale

10500

9000

L'interprétation du tableau est simple : Elle ne fait qu'affirmer notre analyse précédente. La compétition de la Champions League est toujours plus profitable puisque l'on constate qu'à chaque palier, les gains ont été plus importants. Le vainqueur de la finale se voit gagner le

11 DRUT BASTIEN, Economie du football professionnel, collection repère, 2014, p. 43

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pactole. En plus de tous les gains déjà récupérés grâce aux précédents paliers, ce dernier remporte en plus près de 10,5 millions d'euros. De quoi réinvestir aisément la saison suivante pour encore plus de profit.

Pour conclure, l'aspect purement sportif et le challenge que propose la Champion League sont bien évidemment la principale motivation des clubs à accéder à ce genre de compétition. De plus, participer à ce tournoi est une forme de reconnaissance à l'échelle internationale et permet de faire de la publicité autour des clubs qui y participent. Néanmoins, il est fort à parier que les clubs prennent aussi en compte l'aspect purement financier de cette compétition.

La question que l'on pourrait se poser est la suivante : Est-il possible pour un club moins prestigieux d'exister sur la scène européenne ?

La réponse est oui. Il existe pour cela une seconde compétition européenne, certes moins prestigieuse mais avec des possibilités de gagner de gros gains. Il s'agit de l'Europa League. Petite soeur de la Champions League, l'Europa League fut créé en 2009 par l'organisme de régulation du football européen, l'UEFA.

L'Europa League succède à la coupe UEFA, aussi connue sous le nom de C3. Le fonctionnement de cette compétition de « second rang » est très similaire à la Champions League. La seule différence réside dans le prestige de la compétition qui accueille des équipes moins connues.

A titre d'exemple, lors de l'édition 2012/2013, c'est près de 209 millions d'euros qui ont été redistribués aux cinquante-six clubs qui ont participés à la phase finale de la compétition.

Le gain financier moyen pour un club qualifié pour la compétition Europa League est de 3,7 millions d'euro. Pour la Champions League la moyenne est autour de 28,3 millions d'euros. Contrairement à la Champions League étudiée précédemment, l'Europa League ne peut contribuer réellement et efficacement au développement d'un club, ce qui explique son prestige moindre comparé à sa grande soeur. Pour autant, la compétition permet à certaines équipes que l'on connaît peu, de se mesurer sur la scène européenne. Pour plusieurs grands clubs européens, se qualifier « que » pour l'Europa League est un manque à gagner voire même une forme de contre-performance. En comparant le train de vie des clubs du Real de Madrid ou du Bayern de Munich et les efforts pour parvenir à gagner cette compétition de

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prestige moindre, il est parfois moins avantageux de participer à cette compétition, tant les recettes seront maigres par rapport à la puissance de ces clubs, habitués à jouer la Champions League.

Prenons l'exemple suivant : lors de la participation à l'Europa League pour la saison 2012/2013, le club du Rapid de Vienne avait touché la dotation la plus faible : 1,9 millions d'euros. Cette somme dérisoire n'a pas permis à l'équipe de subvenir à des impératifs financiers tant on connaît la valeur de transfert et de salaires de certains joueurs de cette équipe.

L'Europa League peut même paradoxalement détériorer les performances d'une équipe. Chaque championnat européen dispute en moyenne trente-cinq matchs par saison. Ajouter ce tournoi dans un calendrier déjà bien chargé peut engendrer des conséquences néfastes pour l'ensemble du club : fatigue des effectifs, blessures, suspensions des joueurs clefs. Ces facteurs peuvent avoir une influence sur les performances en championnat, dont l'objectif premier est de terminer au meilleur classement pour prétendre jouer la coupe aux grandes oreilles (Champions League). Dans une moindre mesure, l'Europa League peut être un frein pour accéder à cette compétition suprême. L'exemple le plus frappant fut sans doute celui du Paris-Saint-Germain : le PSG aurait reçu 1,8 millions d'euros en allant jusqu'en quart de finale de la coupe UEFA 2008/2009 (anciennement Europa League) pour 10 matchs de haute intensité. L'accumulation de la fatigue et des nombreuses blessures peut expliquer le relâchement en fin de saison du club, ayant terminé à la 6e place du classement, ne permettant pas de se qualifier pour une compétition européenne la saison suivante.

Quel est donc l'avantage de cette compétition ? Certains clubs se retrouvent dans cette compétition par contre-performance tel que Liverpool ou Tottenham pour l'année 2015/2016, tandis que pour d'autres, participer à cette compétition est une forme de bonus. On peut citer l'exemple de l'En-Avant Guingamp, qui a eu la chance de disputer ce tournoi après sa victoire en finale de la Coupe de France, synonyme de qualification directe pour la compétition Européenne.

Néanmoins, pour un club plus prestigieux, seule la victoire finale peut être un réel bénéfice.

Ceci nous amène à la conclusion suivante : le football professionnel est un mélange de sport et d'argent. La participation à une compétition européenne telle que la Champions League ou l'Europa League relève autant d'un enjeu sportif que d'un enjeu financier. Gagner des titres

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c'est gagner de l'argent. C'est probablement le nouveau mot d'ordre des plus grandes écuries européennes.

La juxtaposition des termes de recettes financières et de résultats sportifs ne faisant plus aucun doute, il serait intéressant d'en étudier le degré de corrélation. Le football professionnel est-il devenu une multinationale où seuls les gains sont gages de réussite à l'image de nos plus grands leaders d'entreprises ?

Le modèle d'Andreff et Staudohar (2000) permet d'apporter un premier élément de réponse. Comme l'affirment les deux économistes, les clubs sont récemment passés d'un modèle « spectateurs-subventions-sponsors » à un modèle « média-corporate-merchandising-marché-globalisé »12.

Comparons deux saisons :

- saison 1970/1971 : les revenus des clubs français étaient composés de 81% de recettes de billetterie, 18% de subventions municipales et 1% de sponsors.

- saison 2011/2012 : ces mêmes clubs généraient près de 54% de recettes grâce aux droits de retransmission télévisuelles, 16% pour les sponsors, 11% pour les recettes de billetterie et 19% provenant d'autres recettes (exemple : produits dérivés).

En comparant la saison 1996/1997 et 2011/2012, les chiffres d'affaires des cinq plus grands championnats européens (Angleterre, France, Allemagne, Italie et Espagne) sont passés respectivement de 2,5 milliards d'euros à 9,3 milliards d'euros en seulement 16 ans. Cela représente une croissance annuelle de 10%, signe que ce secteur est en voie de développement constant.

Comme le souligne le graphique issue des études de l'agence de consulting Deloitte, le championnat anglais est de loin celui qui génère le plus de revenus avec une recette d'environ 2,9 milliards d'euros pour la saison 2011-2012.

Graphique : Suprématie du football anglais13

12 « Partie 2 : évolution du football français », Institut numérique, 28/02/2013

13 DRUT BASTIEN, Economie du football professionnel, collection repères, 2014 P.48

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Ce graphique suscite plusieurs commentaires. Premièrement, force est d'admettre que les cinq championnats majeurs européens écrasent de manière significative la concurrence par rapport aux autres nations puisqu'ils captent près de 60% des revenus totaux européens.

Le reste des recettes est partagé entre les championnats moins attrayants qui sont la Russie, la Turquie, les Pays-Bas, le Portugal, l'Ukraine et enfin la Belgique. De plus, il est important de mentionner que la majeure partie des recettes ces cinq cadors sont essentiellement dues aux recettes de droits TV. Cependant, il serait imprudent de dire que tous les clubs d'un même championnat attirent les mêmes revenus.

En réalité, seulement 25 clubs contribuent aux recettes faramineuses dont six clubs anglais, quatre italiens, quatre allemands, trois espagnols et un français : le Paris-Saint-Germain.

Le graphique de la page suivante représente la répartition des revenus des clubs professionnels, saison 2012/2013.

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En s'attardant ce sur ce graphique on peut constater une large carence économique des clubs français. Comment expliquer ce déficit des clubs de l'hexagone, comparé aux autres championnats majeurs ?

Selon les analyses de Deloitte, le deuxième club français « phare » en termes de recettes lors de la saison 2012/2013 est l'Olympique de Marseille. Néanmoins, le club phocéen ne se classe que 30e avec 104 millions d'euros de budget annuel. Le club classé à la 29ème place est celui de West Ham, club beaucoup moins en vue dans le championnat anglais. L'Olympique Lyonnais, présent dans ce classement durant sept années consécutives entre 2005 et 2012, correspondant à la période de gloire du club rhodanien, ne figure désormais plus dans ce classement.

Le tableau ci-dessous14 confirme les déséquilibres financiers des clubs au sein de la Ligue 1. Il est possible d'interpréter ce graphique en 3 catégories :

14 ALYCE ANTHONY « Quelle est la répartition des droits TV de Ligue 1 à l'issue de la saison 2014-15 ? », Ecofoot, 19 juin 2015

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- la suprématie du PSG qui fait cavalier seul dans cette catégorie. Les ressources financières du club parisien sont incomparables avec ses concurrents français. Sa dimension stratosphérique est semblable aux plus grands clubs européens tels que le FC Barcelone, le Bayern de Munich ou encore le Real de Madrid.

- La seconde catégorie concentre quelques clubs qui se concurrencent : Marseille, Lyon, Lille, Monaco et Saint-Etienne.

- La dernière catégorie rassemble tous les autres clubs, dont les revenus sont parfois équivalents au salaire d'un seul joueur du Paris Saint Germain...

1.3 Droits de retransmission TV, recettes de billetterie et contrats sponsoring

A) les droits de retransmission télévisuels

L'évolution du football professionnel s'est fait de concert avec l'essor des droits de retransmission télévisées. Bien que les recettes de billetterie ou les contrats de sponsors représentent des profits considérables, l'essentiel des recettes trouve son point d'ancrage dans les retransmissions TV.

Contrairement aux championnats anglais, allemands et espagnols, où les trois principales recettes s'équilibrent, les championnats français et italien dépendent étroitement des droits de retransmission TV. Selon l'étude menée par l'économiste sportif Bastien Drut, ces droits représentent 55 à 60% des budgets des clubs.

Ils dépendent fortement de ce secteur car le moindre affaiblissement de ce dernier pourrait avoir des conséquences importantes pour ces deux championnats.

Voici en quelques chiffres les montants des recettes des droits de retransmission télévisuelles :

B) La France et la ligue 1 :

La Ligue de Football Professionnelle (LFP) se charge des retransmissions de droit TV. On constate une augmentation du chiffre d'affaire sur ces vingt dernières années (31% lors de la saison 1995-1996 à 54% lors de l'exercice 2011-2012).

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Lors de la saison 2016/2017 les ventes des droits de retransmission se sont élevées à hauteur de 726 millions d'euros.

Sur ce même exercice, le montant des recettes pour la Ligue 2 (division inférieure) s'est élevé à 22 millions d'euros.

Sur la saison 2012/2013, 490 millions d'euros ont été versés aux clubs de Ligue 1 contre 88 millions d'euros aux clubs de ligue 2. On constate cependant une baisse des redistributions envers les clubs de Ligue 2 pour favoriser les clubs de Ligue 1 et compenser le retard accumulé par rapport aux autres championnats majeurs européens.

Sur la totalité des droits, 5% sont prélevés pour l'Etat. Il s'agit de la taxe « Buffet »15.

Enfin, le profit restant est redistribué au football amateur, la rémunération des arbitres, le fonctionnement interne de la LFP, aux frais d'organisation des matchs et aux organisations syndicales du football professionnel.

C) l'Angleterre et la Premier League:

L'atout principal de la Premier League est bien évidemment sa notoriété dans le monde entier. L'attractivité de ce championnat, réunissant les plus grandes équipes européennes comme par exemple Arsenal, Manchester United, Manchester City, Chelsea ou encore Liverpool est très apprécié à l'étranger et plus précisément en Chine, ce qui engendre des hausses de droit de retransmission. Grâce à la reconnaissance interplanétaire du championnat anglais, chaque club a perçu un montant agrégé de 2,2 milliards d'euros de droit de retransmission pour les saisons 2013-2014 et 2015-2016, dont le tiers de ce montant provient des droits de retransmission asiatiques.

D) l'Allemagne et la Bundesliga :

Les droits de retransmission du championnat allemand étaient d'environ 385 millions euros avant 2013. La faible concurrence des diffuseurs télévisuels des matchs dans ce championnat explique ce gain moindre par rapport aux autres championnats. Néanmoins, depuis le nouvel accord Sky Deutschland, les recettes devraient atteindre 628 millions d'euros pour la saison 2015-2016.

15 « Retransmissions sportives : la taxe Buffet élargie par les députés », Eurosport, 06/12/2013

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E) l'Italie et la Serie A :

Les recettes du championnat italien ont atteint 950 millions d'euros par saison.

Force est de constater que les recettes via les droits de retransmission TV constituent une part très importante pour les clubs. Dans ce cas de figure on pourrait se demander comment en est-on arrivé à cette nouvelle forme de dépendance économique ?

Bien que les droits TV soient indissociables du football professionnel, cette pratique est en réalité très récente.

Selon les deux économistes Andreff et Staudohar en 2000, cette récente dépendance n'est que la réponse du football moderne. En effet, en 1967, plusieurs clubs anglais avaient refusé de signer un contrat d'un million de livre sterling avec la célèbre chaîne anglaise BBC, de peur que les supporters cessent de venir au stade pour regarder le match à la télévision.

En France, les droits de retransmission TV ne représentaient que 30% des revenus des clubs de Ligue 1 en 1995 et seulement 0,8% des revenus l'année avant la création de Canal + en 1984, qui deviendra le diffuseur officiel des matchs de Ligue 1.

La stratégie commerciale de Canal + était simple : proposer une chaîne payante permettant de retransmettre des films et des matchs de football. C'est grâce aux retransmissions des matchs de football que Canal + connaît son essor, engendrant année après année de plus en plus d'abonnés. Les droits de retransmissions TV peuvent s'opérer de deux manières distinctes :

1- Les droits sont mis en vente par un intermédiaire : la Ligue Professionnelle et pour le compte des clubs (France, Italie, Angleterre, Allemagne)

2- Les droits sont mis en vente directement par les clubs. C'est le cas du championnat espagnol et portugais.

Dans le premier cas, les ligues nationales déterminent la manière dont vont être redistribué les gains. En France par exemple, 50% des profits sont reversés de façon égalitaire entre les clubs, 30% basé sur un critère sportif et 20% sur la notoriété du club.

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En Angleterre, le schéma est un peu différent : 50% des droits TV sont répartis de manière égalitaire, 25% sur le critère de notoriété, et 25% sur le critère sportif.

En Allemagne, c'est un système essentiellement fondé sur le critère sportif.

L'Italie fait figure de cas particulier. D'abord tenté par l'expérience basée sur la vente des droits de retransmission TV par les clubs, les observations faites par les économistes Baroncelli et Lago en 2006 s'avèrent négatives : les clubs italiens avaient complétement dissous les principes de solidarité, se basant exclusivement sur la notoriété de ces derniers. Conséquence : lors de la saison 2007-2008, les écarts étaient trop importants. La Juventus de Turin et le Milan AC, deux clubs emblématiques italiens, ont empochés chacun 110 millions d'euros, tandis que le club de l'Empoli, moins coté dans ce championnat, n'a perçu que 10 millions d'euros. Après avoir constaté ce fait, la délégation italienne a finalement tranchée pour un mode de fonctionnement basé sur des retransmissions collectives, comprenant la répartition suivante : 40% réparti de façon égalitaire entre les clubs, 30% selon le résultat sportif et 30% en fonction de la masse de supporters des clubs.

En définitive, il s'agit d'un pari gagnant puisque sur la saison 2012-2013, les écarts ont nettement diminué. Les clubs récemment promus en Serie A lors de cette saison, ont perçu 24,8 millions d'euros et la Juventus de Turin 103,8 millions d'euros.

Nous pouvons donc conclure de la manière suivante. En France et en Angleterre, le système de versement des droits TV est plutôt basé sur un système de solidarité. A titre d'exemple, l'étude menée par l'agence Deloitte révèle que le mythique club anglais de Manchester United aurait reçu près de 60,8 millions de livres sterling via les droits de retransmission lors de l'exercice 2012-2013 alors que les Queens Park rangers, le club qui a perçu le moins, a empoché 39,7 millions de livres. L'écart n'est donc pas si élevé quand on compare le standing de ces deux clubs.

A contrario, la conclusion est différente pour les clubs vendant eux-mêmes leurs droits. Seuls les clubs populaires détenant les plus grands joueurs et les plus chers du marché des transferts, dégagent des marges de profit conséquentes. Par exemple, lors de la saison 2008/2009 le FC Barcelone et le Real de Madrid ont capté à eux seuls près de 51% des droits de retransmission télévisuels. En d'autres termes, les clubs les plus riches s'enrichissent encore plus aux dépens des plus démunis, qui risquent chaque année d'être reléguer en division inférieure. Il est alors

facile de comprendre qu'il y a un dysfonctionnement dans le jeu de la compétitivité entre les clubs que l'on peut aisément comparer aux batailles des grandes entreprises modernes. Les multinationales qui dégagent des profits rocambolesques restent sur le marché contrairement aux autres firmes moins compétitives qui sont poussées à sortir du marché.

En définitive, le principe de retransmission des droits TV n'est que le reflet d'une concurrence imparfaite. La Ligue se charge de la vente des droits de retransmission TV qu'elle redistribue aux clubs selon des règles précises. On se retrouve donc dans une situation de monopole où il n'y a plus qu'un seul offreur sur le marché. Notre argument est d'autant plus recevable puisqu'il s'agit d'un service très peu substituable. La négociation du prix de vente des retransmissions des droits TV se fera entre l'acheteur (chaîne unique : exemple de Canal +) et le vendeur (la Ligue).

Néanmoins, le schéma s'est quelque peu modifié avec l'apparition de nouvelles chaînes qui viennent concurrencer les précédentes. Exemple : BeinSport. L'augmentation du nombre de diffuseur aboutis à une nouvelle situation.

La concurrence est d'autant plus importante depuis la multiplication des supports pour regarder les matchs. Nous rentrons dans l'ère du Smartphone, tablette et PC portable.

Pour répondre à l'émergence ces nouvelles technologies de d'information et de la communication (NTIC) les Ligues ont donc opté pour les enchères de vente des matchs ce qui signifie que les diffuseurs ont moins de pouvoir de négociation. Les meilleurs payeurs auront les meilleurs matchs. Cela explique la forte corrélation entre l'augmentation des droits de retransmission et la diversification des diffuseurs audiovisuels. Cette situation inédite est apparue il y a quelques années avec l'apparition de la chaîne Qatari, BeinSport (cf. Chapitre II partie I).

Aujourd'hui deux chaînes se font concurrence en France pour les retransmissions des droits TV : Canal + et BeinSport. Néanmoins, les deux chaînes ont fait couler récemment beaucoup d'encre dans les médias. Rivaux voire ennemis, les deux géants ne voient pas d'un si mauvais oeil un possible rapprochement. En effet, les deux leaders français dans la diffusion des évènements sportifs ont entamé des négociations pour constituer une alliance.

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Quelles sont les sources de motivation d'une telle alliance ?

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Quatre éléments de réponse sont à retenir pour comprendre ce nouvel enjeu16 :

1. Les abonnés : selon une étude réalisée par le centre de droit et d'économie du sport, relayé par le journal Le Monde « le sport représente la première motivation d'abonnement pour près de la moitié des 5,9 millions de clients de canal + en France ». Comme le confirmait Maxime Saada, Directeur Général adjoint du groupe Canal +, le sport est incontournable pour la chaine cryptée. Cela constitue la 2e source de motivation d'abonnement après les films.

2. Aspect économique pour Canal + : Depuis l'arrivée en France de BeinSport en 2012, Canal + a perdu 218 000 abonnés au cours des 6 derniers mois de 2015. Selon les statistiques, Canal + perdrait environ 10% de ses clients pour en récupérer à peu près le même nombre. En novembre dernier, la chaine perdait ses droits de retransmission des matchs anglais de Premier League pour les trois prochaines années (2016-2019), ce qui constituait jusqu'ici l'un de ses principaux atouts. Les rediffusions ont été acquises au profit de BeinSport. Ceci n'est pas sans conséquence pour Canal +. On prévoit pour l'année suivante de nombreuses résiliations d'abonnement au profit de son rival direct.

3. Intérêt économique pour BeinSport : la nouvelle chaine augmente ses parts de marchés mais l'augmentation du nombre d'abonnés augmente moins vite que les dépenses globales du groupe Qatari. Conséquence directe : le groupe devrait perdre entre 250 et 300 millions d'euros en 2016 selon la banque d'investissement Natixis.

Les raisons de son déficit sont multiples. En dépit d'une solidité financière, le Qatar est très dépendant de la chute du cours des hydrocarbures, aujourd'hui la principale source de recette pour les qataris. De surcroît, ils sont aussi largement dépendants du cours de la bourse où BeinSport a beaucoup investi. Enfin, l'association directe avec le groupe de Canal + permettrait de réduire ses pertes et de profiter des équipes commerciales de la chaîne cryptée pour trouver de nouveaux clients sur le marché. Par ce jeu d'alliance avec Canal +, la chaîne pourrait récupérer 8% du capital de cette dernière, ce qui lui permettrait d'augmenter sa puissance dans le secteur des médias sachant que Canal + est très présent en Europe et Afrique.

16 « Le possible rapprochement de Canal+ et Bein Sports en quatre questions », 20minutes, 28/01/2016

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4. La pratique d'un nouveau prix serait en défaveur du client puisque ce dernier n'aura aucun choix. Le rapprochement de Canal + et de BeinSport aura la conséquence suivante : une augmentation du prix de consommation. Le consommateur devra s'abonner d'abord à Canal + pour pouvoir regarder les matchs diffusés par BeinSport. Deux abonnements à payer, élevant le prix aux alentours de 53 euros, soit trois fois le prix que paye un consommateur aujourd'hui. Cette alliance risque donc d'alerter l'autorité de la concurrence, tant le consommateur peut se sentir lésé de la situation.

Après avoir analysé le premier type de retransmission des droits TV, il est intéressant de voir le second système de vente des droits par les clubs eux-mêmes.

Prenons le cas de l'Espagne.

Chaque club de Liga Espagnole (division 1) vent ses droits de retransmission aux chaînes de télévision. Nous sommes donc dans un cas de concurrence imparfaite puisque les biens de vente sont très hétérogènes. Un match du FC Barcelone coûte bien plus cher qu'un match d'une équipe de bas de classement. Les chaînes de télévision ont besoin d'audimat leurs permettant de gagner des parts de marchés et se voient dans l'obligation de payer davantage pour avoir les matchs les plus attractifs, susceptibles d'attirer beaucoup de téléspectateurs. Il y a donc une très forte concurrence entre les chaînes de télévision pour acquérir le droit de rediffuser un match de football.

Dans ce cas de figure, on imagine bien que les plus grosses écuries du football européen y voient un intérêt plus important à revendre leurs propres droits de retransmission. Quoi qu'il advienne, ces clubs « mythiques » attireront un large public, leurs garantissant des profits constants. Il n'est donc pas nécessaire pour ces clubs de faire appel à la Ligue. On se retrouve donc dans une démarche individuelle plutôt que collective.

A contrario, un club mal classé, qui n'attire pas un grand public va privilégier plutôt l'aide de la Ligue professionnelle pour vendre les droits de retransmission des matchs.

Pour conclure, nous venons de voir en quoi les droits de retransmission sont les nouveaux leitmotiv des grands clubs européens. Etant la principale source de revenu, chaque club cherche à sortir son épingle du jeu pour développer au mieux les finances du club. Nous

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avons pu constater que certains clubs profitent de leur notoriété pour accroitre plus encore leur part de marché en revendant eux-mêmes les droits TV, sans passer par l'intermédiaire de la Ligue. Bien entendu, les plus riches s'enrichissent aux dépens des clubs qui n'ont pas la chance d'être médiatisé en raison de leur manque d'attractivité. C'est la raison pour laquelle, ces clubs misent sur une stratégie plus ciblée sur les supporters grâce aux ventes de billets au stade. Cela nous amène donc à analyser les recettes de billetterie des clubs.

F) Les recettes de billetterie

Jadis, le football était un moyen pour les ouvriers anglais de se divertir. Le football créé rapidement des adeptes et de plus en plus de monde vient assister à des matchs amateurs. Comprenant l'effervescence de ce sport, certains d'entre eux ont décidés de faire payer les entrées pour assister aux matchs. C'est donc à partir de ce moment que les ventes en billetteries sont apparues.

Aujourd'hui, les ventes de billets ne représentent plus la même part de recette que l'on pouvait constater dans les années 1990, même si ces dernières restent une partie de gain non négligeable pour les clubs.

Les ventes de billet ne sont que la résultante d'un effet volume. En d'autres termes, l'effet prix d'un billet va dépendre du nombre de spectateurs.

D'après les études microéconomiques, réalisées par l'économiste Simmons17 en 2006, il existe six facteurs déterminant une demande de billet.

- Le prix des billets.

- Les revenus réels des spectateurs.

- Le prix des autres biens substituables.

- La taille de marché du club.

- L'enjeu du match en question.

- L'incertitude face aux résultats.

Les ventes de billetterie proposés par les clubs vont trouver preneurs chez les supporters de l'équipe en question. Cependant il est très important de faire une distinction entre un

17 SIMMONS R. the demand for spectator Sports, in handbook of the Economics of sports, 2009 2èmeédition

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spectateur et un supporter. Selon les études menées par Hourcade18 en 2010 : « le spectateur recherche avant tout un spectacle footballistique de qualité, quand la priorité du supporter est la victoire de ses favoris »

On peut caractériser un supporter de la manière suivante : il aime son équipe, idolâtre les joueurs et attiré par une forme de partisannerie, d'une fidélité à son équipe sans faille, qu'importent les résultats sportifs.

Une fois n'est pas coutume, on constate une évolution des supporters.

Avant 1970, on se situait dans une phase plutôt « spectateur ». Depuis que le football est devenu mondial en touchant toutes les catégories sociales notamment grâce au rôle de la télévision qui permet de rediffuser les premiers matchs sur écran, nous sommes passés dans la phase dite de « supporter ».

D'après l'étude menée par Dobson et Goddard19 en 1995 « les spectateurs sont moins nombreux quand les prix des places augmentent mais l'élasticité-prix, c'est à dire le rapport de la variation relative du nombre de places achetées sur la variation relative de prix, est très inférieur à un en valeur absolue ».

A contrario, la loi de la demande de billet des supporters des clubs est quasiment inélastique au prix. Qu'importe le prix d'un billet, la ferveur des supporters est inébranlable pour soutenir leur équipe de coeur. Le proverbe « quand on aime on ne compte pas » prend ici tout son sens. Le facteur fidélité rend donc la demande de place inélastique au prix.

Les travaux économétriques effectués par Czarnitski et Stadtmann en 2002 pour le championnat allemand, de Forrest et Simmons en 2006 pour le championnat anglais, de Madalozzo et Berber Villar en 2009 pour le championnat brésilien, ou encore Garcia et Rodriguez en 2002 pour le championnat espagnol convergent tous vers un même argument :

« L'incertitude mesurée par la différence de place entre les deux équipes n'a pas d'influence significative sur les ventes de billets ».20

18 HOURCADE N. Etat des lieux et propositions d'actions pour le développement du volet préventif de la politique de gestion du supportérisme, Livre vert du supportérisme P. 23-26

19 DOBSON S. ET GODDARD J. The demand for professional league football in England and Wales, the statistician, n°44, 1995 p. 259-277.

20 DRUT BASTIEN, Economie du football professionnel, collection repère, 2014, p. 59

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En revanche, lorsqu'il s'agit des matchs à fort enjeux (Champions League, promotion-relégation, Copa Libertadores etc), on constate une demande plus importante avec l'apparition des reventes des billets à prix d'or sur le marché noir.

Une étude réalisée par la Britanish Broadcasting Corporation BBC21 montre quel est le prix moyen par championnat et par équipe pour assister à un match. Il faut différencier les abonnements (à la saison) des billets de match. Voici les tarifs pratiqués par les principaux clubs européens :

Les deux graphiques22 ci-dessus permettent de faire plusieurs commentaires.

Premièrement, on observe une répartition très étendue entre les principaux clubs européens. Comme nous pouvions nous en douter grâce aux développements antérieurs, le championnat anglais est de loin le plus cher d'Europe. Les dix-sept premiers clubs du classement pour les tarifs de billetterie les plus chers sont tous anglais. Les clubs d'Arsenal, de Tottenham et de Chelsea nécessitent un « droit d'entrée » dont le montant est d'environ 1 000 euros, afin de

21 Société de production et de diffusion de programmes de radio-télévision britannique.

22 LATTA JEROME, « Le football au prix fort pour les spectateurs », Le Monde, 29/10/2015

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pouvoir faire partie des abonnés. Il faut donc casser la tirelire pour assister à un match de Premier League.

Concernant les abonnements les plus chers, on note quelques clubs italiens (la Juventus de Turin à 1 500 euros, et l'Inter de Milan à 2 220 euros).

En France, les abonnements au PSG sont les plus couteux. Voir Angel Di Maria, Javier Pastore ou Thiago Silva fouler la pelouse du Parc des Princes à un prix : 2 832 euros en moyenne.

A titre de comparaison, les abonnements les plus chers pour voir une rencontre de l'AS Monaco ou de l'Olympique de Marseille, deux clubs emblématiques du championnat français, correspondent aux abonnements les moins chers pour le club anglais de West Ham. En d'autres termes, lorsqu'un supporter de West Ham achète un abonnement « premier prix » pour assister aux matchs de son équipe, il aurait assez d'argent pour se payer les places les plus chères et les mieux placées pour assister à des matchs du FC Barcelone, du Borussia Dortmund ou de Shalke 04 en Allemagne, ô combien plus attractifs que les matchs du club londonien...

En comparant les deux tableaux, on peut s'apercevoir que les politiques de prix des clubs sont complétements différentes entre les tarifs « abonnements » et ceux de « billets de match». En reprenant l'exemple du FC Barcelone, dont les prix des abonnements sont relativement bas, un billet à l'unité pour assister à un match coûte très cher.

Autre constat : Un billet de match pour une rencontre anglaise est à prix relativement raisonnable.

Les prix vont d'une trentaine d'euros pour les moins chers à quarante voire cinquante euros pour les plus chers. Sachant que le consommateur cherche à maximiser son utilité et son intérêt personnel, on pourrait se demander s'il n'est pas plus intéressant, dans certains championnats de prendre des billets à l'unité plutôt qu'un abonnement. L'abonnement nécessite d'aller au stade chaque week-end pour rentabiliser son investissement. Certaines affiches de matchs sont moins alléchantes, d'autres peuvent se dérouler en semaine (beaucoup plus contraignant pour le supporter). Le billet unique permet de sélectionner ses matchs préférés et comparativement à l'abonnement à la saison est moins coûteux.

Enfin, il est tout à fait acceptable de dire que l'Allemagne est l'eldorado pour un fan de football, qui souhaite assister à des matchs de championnat sans se ruiner. Le billet le plus cher pour voir un match du Bayern de Munich à l'Allianz Arena est équivalent au moins cher pour voir un match de Chelsea à Stamford Bridge.

Le tableau23 ci-dessous représente les recettes de billetterie des principaux championnats européens.

Ce tableau témoigne (encore une fois) de la suprématie de l'Angleterre : les recettes de billetterie rapportent environ 700 millions d'euros, soit plus que le total des recettes de billetterie réunies pour les pays classés de la 5e à la 15e place (660 millions d'euros en tout). La France totalise des recettes de billetterie d'environ 158 millions d'euros.

Existe-t-il une corrélation évidente entre les recettes de billetterie et les capacités des stades ?

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23 LATTA JEROME, « Le football au prix fort pour les spectateurs », Le Monde, 29/10/2015

37

Comme le souligne le graphique « recettes de billetterie et capacité des stades » 24 ci-dessus, on constate que les clubs qui réalisent le plus de recette en billetterie sont ceux qui possèdent les stades les plus grands. Le facteur déterminant est le suivant : quatre des cinq plus grandes recettes de billetterie sont la conséquence de stades pouvant accueillir au moins 75 000 spectateurs. Bien que les stades de Chelsea, Manchester City et Liverpool soient plutôt à capacité moindre comparé aux autres clubs similaires, l'application de tarifs aussi élevés explique leurs positions dans ce classement.

En définitive, il force est d'admettre que l'évolution du football professionnel et des ventes de billetterie pour assister aux matchs sont la preuve que chaque club tend à se comporter comme les plus grandes entreprises. Nous avons pu constater que la vente des billets est devenue un business dont les clubs ne peuvent se passer, tant les retombées financières sont importantes. Dans un constat général, les prix des billets ont plutôt tendance à augmenter qu'à baisser, excluant ceux qui ne peuvent pas se payer des billets très coûteux. Il est ainsi légitime de croire que nous assistons désormais à une forme de « gentrification » des accès aux stades où seuls les plus riches ont le privilège d'assister à des rencontres footballistiques.

Comme le révèle les études menées par Garcia et Rodriguez25 en 2002, l'affluence dans les stades de football est plus importante pour les clubs situés dans les régions où les revenus sont plus élevés. Les statistiques mises en avant par la chaîne britannique BBC ne sont que le reflet des des clubs, qui cherchent délibérément à attirer une clientèle riche. Pour le club d'Arsenal, dont les prix frôlent l'indécence, il s'agit pour le club de la première source de revenu avant les droits de retransmission et les contrats de sponsoring.

24 LATTA JEROME, « Le football au prix fort pour les spectateurs », Le Monde, 29/10/2015

25 GARCIA J. et RODRIGUEZ P, the determinants of football match attendance revisited: empirical evidence from the spanish football league, Journal of Sport Economics, vol. 3, n°1, p. 13-38

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Ce business juteux et cette volonté d'exclure la « classe moyenne » ne sont pas le fruit du hasard. Les statistiques établies par Euronext ont montré que la région du centre de Londres - où se situe le club d'Arsenal - est de très loin la région la plus riche, avec un PIB par habitant le plus élevé. Il est donc facile de faire le lien entre football et le désir de reconnaissance sociale. Pouvoir avoir le privilège d'accéder au stade peut être un moyen de prouver que l'on appartient à une certaine catégorie sociale.

Après avoir abordé le principe des droits de retransmission TV, suivi d'une analyse sur les recettes de billetterie pour les clubs et des bénéfices qu'ils en tirent, il serait intéressant d'étudier le dernier facteur générant des ressources pour les clubs de football professionnel. Il s'agit des contrats de sponsoring sportif.

D'après la définition du site internet « définition-marketing »26 : « Le sponsoring sportif est un soutien financier ou matériel apporté à un événement, une fédération, une équipe sportive ou un sportif par un partenaire annonceur en échange de différentes formes de visibilité. »

L'objectif de la marque via l'utilisation du sponsoring sportif est de profiter d'un évènement sportif ou de la notoriété d'une équipe sportive afin d'être médiatisé. Lors d'un évènement sportif, l'utilisation des multiples supports publicitaires est la stratégie la plus efficace pour donner de la visibilité à une marque. Le sponsoring sportif, sert aussi à l'annonceur de valoriser sa marque via les valeurs associées au sport ou à l'équipe.

Pour autant, une stratégie de sponsoring n'est pas sans risque. En s'associant à l'image du sportif ou de l'équipe, le sponsor peut indirectement être mis à mal via le ou les comportement(s) négatif(s) des représentants de cette marque (sportifs ou équipes).

Le risque est aussi sportif. Les retombées médiatiques peuvent ne pas avoir l'effet escompté via les mauvais résultats de l'équipe qui représentent l'image de la marque.

Grâce à la rediffusion sur satellite des matchs de football à partir des années 1980, les clubs professionnels ont été attirés par ces fameux annonceurs. Le processus d'achat d'une marque est simple. Avec l'accroissement de la concurrence, il faut tirer son épingle du jeu et se faire connaître. La popularité du football et l'ampleur médiatique autour de ce sport ne peut être

26 http://www.definitions-marketing.com/definition/sponsoring-sportif/

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que bénéfique pour les marques. Conscient de cela, beaucoup de contrats ont été réalisés entre les grandes entreprises et les clubs professionnels. En signant un contrat, les entreprises ont le privilège de voir le nom et le logo de l'entreprise sur le maillot, visible par tous les spectateurs et téléspectateurs du match. C'est également le moyen d'être visible grâce aux nombreuses photos et vidéos prisent pendant le match et relayées par les médias et réseaux sociaux.

En quête d'un gain toujours plus important, ces firmes n'hésitent pas sponsoriser de multiples clubs dans différents pays, afin de maximiser l'impact médiatique à échelle internationale. On pense bien entendu en premier lieu, à la compagnie aérienne Fly Emirates, présent sur les maillots de l'AC Milan, du Real de Madrid, d'Arsenal, du Paris-Saint-Germain, d'Hambourg SV ou de l'Olympiakos, pour ne citer que les plus importants.

Le risque est aussi partagé du côté des équipes de football car la plupart des contrats de sponsoring sportif sont de courte durée. La raison est simple : en raison d'une peur constante de contre-performance, synonyme de mauvaise image pour la marque, les contrats sont établis sur des courtes périodes. Il y a donc une difficulté de fidélisation entre les sponsors et les clubs. Pour les petits clubs moins médiatisés, les contrats de sponsoring sont souvent conclus avec des marques locales.

D'après l'étude réalisée par KantarSport27 en 2012, le profit moyen en sponsoring « maillot » pour un club important de Ligue 1 rapporterait 6 millions d'euros par an et 1 million d'euros pour un club médian.

En moyenne pour les clubs de ligue 2 (division inférieure), le sponsoring « maillot » rapporterait environ 500 000 euros.

En comparant avec notre voisin anglais, le rapport est encore une fois assez déséquilibré. En prenant l'exemple du partenariat entre le club de Manchester United et du constructeur automobile américain Chevrolet, le sponsoring « maillot » aurait rapporté 55 millions28 d'euros pour la saison 2014-2015.

27 1er réseau d'analyses et d'études en relation avec les acteurs directs du sport.

28 JUQUIN ROMAIN, « Manchester United et Chevrolet : le sponsor de la discorde », sportmarketing, 11/11/2014

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Le club de Chelsea a également frappé un grand coup cet été puisqu'un nouveau contrat sponsoring avec le géant fabricant japonais de pneumatique Yokohama Rubber rapporterait au club la même somme, soit 55 millions29 d'euros (40 millions de livre Sterling)

Seul le club du Paris-Saint-Germain rehausse le niveau français, confirmant la nouvelle dimension que prend ce club au fil des années. Le contrat réalisé entre le club parisien et l'entité du Qatar faisant la promotion du tourisme au Qatar, (QTA : Qatar Tourism Authority) rapporterait entre 150 et 200 millions d'euros par an. De quoi pouvoir investir ce surplus financier dans de nouveaux joueurs et concurrencer les plus grandes écuries européennes. D'après Deloitte, sur la saison 2012-2013, le club de la capitale française était le club professionnel avec les recettes les plus élevées du monde.

Le développement ci-dessus laisse donc à penser que seuls les clubs investissant dans des contrats de sponsoring peuvent réellement rivaliser et faire du profit. La réussite passe-t-elle inévitablement par le recours à une stratégie de sponsoring ?

La démonstration du contraire est envisageable. Bien que le sponsoring soit indéniablement moteur de dynamisme pour les clubs de football, certains ont longtemps fait le choix de ne pas privilégier cette pratique. L'exemple le plus probant est celui du FC Barcelone.

Vainqueur à quatre reprises de la prestigieuse compétition européenne - la Champions League - la politique commerciale des Blaugranas ne l'a pas empêché de conserver sa suprématie dans le monde du football. Ce n'est qu'à partir de la saison 2011-2012 que le club espagnol décide d'utiliser un sponsor.

A noter que pour la saison à venir 2016-2017, la club a décidé de retirer une nouvelle fois, tout sponsor du maillot ne laissant apparaître que l'écusson et la marque de l'équipementier du club. Néanmoins, notre exemple est à relativiser. Les clubs n'ayant pas recours aux sponsors sont très peu nombreux et l'exemple du FC Barcelone est particulier. Avec ou sans sponsor, le club catalan est un « cador » du football depuis des siècles et jouit donc d'une autosuffisance.

29 «Le maillot de Chelsea vaut désormais 55 millions par an», Eurosport,

41

D'autre part, il est important de noter que le sponsoring sportif est étroitement dépendant de la conjoncture économique globale. Lors des périodes de creux, certains partenariats ne sont pas reconduits d'une année à l'autre. L'exemple encore une fois du club anglais de Manchester United avec son ex-sponsor, l'assureur américain AIG. Lors de la crise des « subprimes » de 2008, l'entreprise a perdu près de 99,3 milliards d'euros en raison de la dépréciation de son portefeuille de CDS (Credit Default Swap). Il a fallu l'intervention du gouvernement américain pour sauver la multinationale. C'est donc le trésor public américain qui à repris le contrôle de cette dernière afin d'éviter la faillite économique, qui aurait eu de multiples conséquences désastreuses pour le club mancunien.

En toute somme, les stratégies footballistiques semblent avoir une importance sur le terrain mais aussi en dehors. Jusqu'ici nous n'avons en aucun cas énoncé quelconques stratégies en relation avec ce sport. Seules les stratégies économiques et financières des clubs ont été abordées dans cette partie, montrant la nouvelle ère dans laquelle le football professionnel est entré. Les spectateurs ont une vision restreinte du football, s'arrêtant aux simples rencontres sportives entre deux équipes. Or, la réalité est tout autre. Les coulisses du football professionnel regorgent de nombreux enjeux économiques qui font l'objet de nos analyses.

Plus encore, un nouvel enjeu prend de plus en plus d'ampleur depuis quelques décennies. Véritable poumon économique du football, les stades sont au coeur des stratégies des dirigeants de club de football. Depuis peu, la stratégie de « naming » des stades s'est accrue.

1.4 Le naming des stades de football professionnels

Premièrement, il est important de donner une définition claire du naming. D'après Bertrand Bathelot, professeur en marketing, le naming se définit comme étant « une pratique consistant à donner à une enceinte sportive (le plus souvent un stade) ou à une compétition le nom d'une marque ou d'une société sponsor ».30

30 http://www.definitions-marketing.com/definition/naming-en-marketing-sportif/

42

L'intérêt du naming est avant tout financier. Associer le nom d'une entreprise à un stade permet essentiellement de disposer de nouvelles ressources financières, notamment dans la construction de celui-ci.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le naming n'est pas un phénomène complètement nouveau. Il trouve son origine aux Etats-Unis. Les hôpitaux et certaines écoles de quartier reprenaient le nom de celui ou celle qui finançait les locaux. Le naming est une stratégie peu développée par les dirigeants des clubs jusqu'à la construction du stade de l'Emirates Stadium du club anglais d'Arsenal. Le club londonien cède à l'époque les droits de son nouveau stade, Ashburton Grove, à la fameuse compagnie aérienne - Emirates - pour un montant avoisinant les 100 millions de livres sterling sur 15 ans. Aujourd'hui, beaucoup de clubs ont recours au naming, notamment de nombreux clubs allemands dont l'objectif était de construire et/ou rénover des stades allemands lorsque l'Allemagne fut choisie pour organiser de la Coupe du Monde 2006. A l'heure actuelle, 18 clubs allemands ont déjà eu recours au naming des stades. L'Allianz Arena pour le Bayern de Munich, le stade Veltins pour Schalke04 ou encore le Coface Arena, représentant la Compagnie Française d'Assurance pour le Commerce Extérieur, ont leurs noms apposés à l'entrée des stades.

Le tableau ci-joint montre les profits annuels des clubs allemands grâce au naming31.

31 ALYCE ANTHONY «La Bundesliga est adepte du naming des stades», Ecofoot, 02/09/2014

43

D'après l'article tiré de la revue footballistique Ecofoot, le profit des clubs de la Bundesliga s'élève à 41 millions d'euros par an, grâce au naming. En se référant au graphique ci-dessus, l'assureur allemand Allianz Arena verse au club bavarois près de six millions d'euros. Le contrat est prévu jusqu'en 2021 mais l'assureur prévoit déjà d'étendre ce contrat à horizon 2041, confirmant la pérennité de cette pratique sur le long terme. S'ensuit de près le club du Schalke04, avec un profit de cinq millions d'euros par an. Enfin le club du Borussia Dortmund ferme la marche du top 3 des plus gros gains grâce au naming, avec un profit annuel de quatre millions d'euros par an, versé par son partenaire, l'assureur Signal Iduna.

Au total, les quatre premiers clubs de ce classement concentrent près de 50% des revenus de la Bundesliga. La pratique semble bien se portée du côté allemand mais qu'en est-il en France ?

A l'exception de quelques stades, notamment celui du Mans avec un partenariat d'un million d'euro par an pendant dix ans, l'Allianz Riviera et le nouveau stade de l'OGC Nice ou encore du Matmut Atlantique de Bordeaux, le naming n'est pas encore très développé en France. Selon Vincent Chaudel, expert au cabinet de conseil Kurt Salmon, le retard français comparé à ses pays voisins aurait une explication singulièrement culturelle et financière 32 . Premièrement, les clubs français attachent une importance primordiale à leurs stades, appartenant pour la plupart à la municipalité de la ville. C'est la raison pour laquelle le club de Rennes, ayant trouvé un partenaire commercial, s'était vu bloqué toute démarche par la ville. L'exemple du nouveau stade de Lille est aussi à l'image de l'échec du naming en France. En dépit de nombreuses tentatives de rapprochement avec le groupe casino Partouche, l'opération séduction n'a pas eu l'effet escompté puisque finalement le stade n'a pas eu recours à un partenariat. D'autre part, l'argent reste un sujet tabou en France. Mais comme le rappelle Bertrand Avril, consultant en marketing chez Uniteam Sports dans les colonnes du journal le Figaro : « le naming est source d'argent et assure le spectacle avec des joueurs plus cotés sur le terrain ».33

Il serait fort à parier que la tendance puisse s'inverser d'ici quelques années. Pour preuve, cet été 2016, le club de l'Olympique de Marseille a officialisé un accord entre le club phocéen et

32 BRIGAND MAXIME «Infrastructure: la lente percée du naming en France», Le Figaro, 26/09/2015

33 BRIGAND MAXIME «Infrastructure: la lente percée du naming en France», Le Figaro, 26/09/2015

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la société de télécommunication française Orange pour une période de 10 ans. Les gains de ce contrat sont estimés à trois millions d'euros par an, rapporte le quotidien « La Provence »34

Toutefois, le naming est une stratégie multiforme et n'a pas pour seule limite l'attribution d'un nouveau nom pour un stade. En effet, le naming d'une entreprise peut aussi apparaître dans la dénomination d'un championnat. L'exemple le plus concret est celui du championnat anglais, la Barclays Premier League, du nom de la célèbre banque internationale ou encore de la Liga BBVA35

Une seconde pratique tend à se démocratiser. Celle d'acquérir son propre stade.

D'après les chiffres de 2010 de l'UEFA, relayé dans l'ouvrage « économie du football professionnel » de Bastien Drut : « 65% des clubs de 1e division en Europe louent leur stade aux autorités municipales ou nationales et 18% le louent à des tiers. Seul les 17% restants en sont directement propriétaires et disposent par ce biais de revenus décorrélés de leurs performances sportives ».

C'est en Angleterre, en Espagne et en Ecosse que l'on trouve le plus de stades détenus directement par leurs clubs respectifs.

Comme pour le naming, la France est plutôt en retard dans ce domaine. A l'exception de l'AC Ajaccio, de l'AJ Auxerre et depuis 2016 de l'Olympique Lyonnais, tous les clubs français sont locataires du stade dans lequel ils jouent. On parle alors de « concession d'occupation privative du domaine public » qui permet « d'occuper de façon temporaire une parcelle du domaine public moyennant le paiement d'une redevance »36

Acquérir son propre stade est une stratégie très ambitieuse puisqu'en premier lieu, cela permet de diversifier les activités du club grâce à des recettes liées directement aux évènements sportifs mais aussi grâce aux spectacles en tout genre. (Exemple : concert.)

Cela permet également de réduire l'incertitude quant aux revenus du club, bien moins aléatoire, permettant également de disposer directement d'actifs tangibles à son bilan.

34 BONET IVAN «Marseille, tout savoir sur le passage de l'Orange Vélodrome», La Provence, 04/06/2016

35 BBVA España : banque en ligne pour les particuliers.

36 DRUT B. Economie du football professionnel, collection repère, 2014, p. 63

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Cependant, le projet d'acquisition d'un stade est un investissement très long et coûteux. En regardant les bilans comptables de certains clubs de ligue 1, il est très difficile voire impossible de réaliser de tels investissements.

Il est donc assez rare de voir de tels changements sauf si un évènement particulier l'y oblige. L'euro 2016 en est le meilleur exemple. La France étant le pays organisateur, le besoin de rénovation et/ou reconstruction de certaines infrastructures étaient nécessaires. Fin 2013, la commission européenne avait alors conclue que les aides publiques étaient « bien conformes aux règles de l'Union Européenne et n'induisaient pas de distorsions de la concurrence sur le marché interne de l'UE ». 1,05 milliards d'euros étaient alors alloués pour la rénovation des cinq principaux stades accueillant les matchs de l'euro (Lens, Marseille, Paris, Saint-Etienne et Toulouse) et la construction de quatre nouveaux stades (Bordeaux, Lille, Lyon, Nice).

Le recours à ce type de financement est basé sur le principe de Partenariat Public Privé (PPP). L'économiste Bastien Drut montre que « dans le PPP, la personne publique confie la construction et l'exploitation d'un bâtiment assurant ou contribuant au service public à un tiers qui en assure partiellement le financement. La collectivité le rembourse à échéance donnée ».37

Ce type de financement à par exemple permit la réalisation du nouveau stade de Lille, nommé

Pierre-Mauroy, avec un coût total de 324 millions d'euros, décomposé de la manière

suivante :

- Elisa, filiale de la société de construction Eiffage : 60M d'euros.

- La région Nord-Pas-de-Calais : 45M d'euros.

- L'Etat : 30M d'euros.

- Le reste : emprunté à un « pool bancaire »38.

Pour le moment le stade appartient à la société Elisa mais le club en deviendra le propriétaire à 100% en 2043.

Le second exemple du nouveau stade de Lyon.

37 DRUT B. Economie du football professionnel, collection repère, 2014, p. 66

38 pool-bancaire : plusieurs banques se réunissent pour financer un même projet.

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Introduit précédemment dans la partie consacrée aux cotations boursières des clubs de football, le projet de financement du nouveau stade « Parc OL » était assuré à 100% par le secteur privé. L'ambition du club rhodanien était de suivre les grands clubs anglais notamment d'Arsenal avec le stade de l'Emirates Stadium. Livré à la fin de la saison 20152016, le stade peut accueillir jusqu'à 58 000 spectateurs.

Sa construction fut semée d'embûches puisque le club fut confronté à une bataille juridique avec les riverains, largement opposés à ce projet de construction. S'en est suivi des difficultés de financement du projet. Après l'introduction en bourse de l'OL Group (cf. Chapitre I partie I), une partie des fonds collectés devaient servir à financer projet, or des aléas (achats de nouveaux joueurs suivi d'un déficit du club) ont compliqués sérieusement la tâche du club pour trouver ces précieux fonds. Le club a dû renforcer ses fonds propres en émettant près de 78,1 millions d'euros d'obligations de type OSRANE (obligations subordonnées remboursables en actions nouvelles ou existantes).

Le projet a été financé de la manière suivante :

- 135M d'euros de fonds propres comprenant 20M d'euros de subvention de l'Etat.

- 112M d'euros en endettement obligataire.

- 136,5M d'euros d'endettement bancaire

- 8M d'euros dans la location financière de système d'information.

- 13,5M d'euros de résultats d'exploitation d'OL groupe.

D'après les estimations réalisées par le club, la construction de ce nouveau stade devrait rapporter au club environ 70 millions d'euros par an.

Pour résumer, nous nous sommes demandé quelles étaient les activités relatives aux clubs dans un cadre extra-sportif. Nous avons pu constater que les clubs usent de stratégies novatrices afin de donner une impulsion financière, ô combien, importante pour la survie d'un club. Le passage du football amateur au football professionnel a bouleversé les structures organisationnelles des clubs tant sur le plan sportif qu'économique. L'attribution d'un nouveau statut juridique, l'introduction de certaines équipes en bourse, les bénéfices économiques des compétitions européennes, les stratégies de vente des droit TV, les recettes

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de billetterie et des sponsors et enfin, l'accroissement de la pratique du naming des stades, traduisent bien cette tendance des clubs à se comporter comme des entreprises internationales. Il est alors légitime de penser que les rencontres de football ne sont que la partie immergée de l'iceberg, laissant chacun d'entre nous avec l'idée que le football est un sport simple. Or l'analyse que nous venons de faire nous prouve le contraire. Le football se développe dans une complexité économique où le seul critère sportif ne suffit plus. Or, les acteurs du football tels que les joueurs restent les pièces maitresses de l'échiquier. En effet les clubs s'arrachent, parfois à prix d'or, les joueurs les mieux côté du marché. L'objectif est toujours le même : gagner avec les meilleurs joueurs de nouveaux trophées, synonymes d'enrichissement du club.

Cela nous amène donc à étudier les marchés des transferts des joueurs de football professionnel et des nouvelles relations joueur-club.

Pour ce faire, nous observerons dans un premier temps les rémunérations salariales des joueurs, puis nous nous demanderons si les masses salariales des joueurs garantissent-elles de meilleurs résultats. Enfin, dans un dernier temps, nous analyserons en détails des rouages des marchés de transfert.

Partie II - Joueurs et clubs : le rapport employeur-employé proche du schéma d'entreprise.

2.1 Les rémunérations salariales.

Dans notre précédente analyse, nous avons émis l'hypothèse que l'expansion du football moderne et des droits de retransmission TV, poussent ce sport à évoluer et à adopter de nouvelles stratégies efficaces pour élever ses ressources financières et pérenniser, dans une certaine mesure, l'entreprise.

Le football amateur semble bel et bien révolu. De même, il s'est incontestablement développé dans une optique de business où seul le gain financier est gage de durabilité.

Le passage du football amateur au football professionnel amène de nouveaux enjeux. Les clubs sont aujourd'hui confrontés aux dépenses liées au marché des joueurs. Comme pour une entreprise classique, les clubs font face au même dilemme : « Combien cela me coûte et combien cela me rapporte ? ». Les stratégies managériales des clubs sont plus ou moins similaires : l'enjeu premier est d'attirer les plus grands talents, de les faire grandir et de les

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conserver le plus longtemps possible. Depuis l'abaissement des frontières, les clubs ont la possibilité d'attirer des joueurs du monde entier. Comme dans un schéma classique d'offre et de demande, il existe sur le marché du football beaucoup de joueurs mais peu de grands talents. Attirer ses potentiels demande des ressources financières considérables.

Comme le souligne les travaux empiriques de la Direction Nationale du Contrôle de Gestion (DNCG), l'essentiel des charges des clubs de Ligue 1 sont les rémunérations du personnel (47%), les frais généraux (19%), les charges sociales (15%). Il est alors facile de constater que les salaires des employés (joueurs) est le poste de dépense le plus important pour un club de football.

Certains salaires exorbitants, à l'image de celui du grandiose Lionel Messi, du sulfureux Cristiano Ronaldo ou de la nouvelle pépite brésilienne Neymar, font souvent l'objet de débats voire d'une incompréhension globale de la part de l'opinion public.

Quelles sont les raisons qui expliqueraient des salaires aussi élevés ?

Deux études menées succinctement par les économistes Bourg et Gouget en 2001 puis par Poli en 2006 permettent de répondre à cette question.

Dans la première étude, J-F Bourg et J-J Gouget39 mettent en lumière deux catégories distinctes de joueurs :

- Les joueurs d'excellent niveau : très rare, capable de faire gagner des titres aux clubs.

- Les joueurs de niveau moyen : très abondant, dont le niveau est irrégulier avec une efficacité moindre.

Contrairement aux joueurs de niveaux plus faibles, les joueurs les plus talentueux ne souffrent pas de chômage puisqu'ils sont constamment convoités par les plus grands clubs.

La concurrence étant de plus en plus rude, seuls les clubs les plus fortunés peuvent se permettre d'acheter les meilleurs joueurs avec des salaires très élevés. Cette situation fait figure de quasi-monopole pour ces clubs.

39 BOURG J-F et GOUGET J-J (2007), Economie politique du sport professionnel : l'éthique à l'épreuve du marché, Vuibert, Paris.

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La seconde analyse de Poli40 réalisé en 2010, met en avant le constat suivant : 85 des 100 plus grosses déclarations de revenus en Italie pour l'année 2000 provenaient de joueurs de football professionnel.

Une autre raison permettant de comprendre pourquoi les salaires peuvent grimper très rapidement provient des recherches de S. Rosen en 1981. Selon lui, les différences de salaires entre les plus faibles et les plus élevés s'expliquent par la « non-substituabilité des joueurs de grands talents »41. Cette théorie sera par la suite validée par Lucifora et Simmons42 en 2003, qui ajoutent l'idée que le développement des moyens de communication a engendré une explosion des salaires, notamment par des jeux de spéculation. Les salaires de certaines « légende du football professionnel » sont même encore plus élevés grâce aux contrats publicitaires et autres activités extra-sportives.

D'ailleurs, les statistiques réalisées par l'institut National de la Statistique et des Etudes Economique (INSEE) en 2010 vont en ce sens. L'organisme a démontré que les sportifs de haut niveau disposaient des salaires bruts supérieurs en moyenne à ceux des grands dirigeants d'entreprises ou des cadres de la finance. Depuis peu, les salaires moyens versés par les grands clubs ont même devancés ceux versés par les franchises nord-américaines de la NBA (National Basketball Association) et de la MLB (Major League Baseball).

Alors que les salaires sont très élevés dans le football professionnel, conclure uniquement que les salaires des footballeurs seraient homogènes est une fausse idée. Au contraire, c'est dans ce secteur que l'on observe le plus d'inégalités.

Chaque année, l'Union Nationale des Footballeurs Professionnels (UNFP) publie à la fin de la saison les joueurs libres, pouvant signer dans un autre club. En retenant les 40 clubs que composent la Ligue 1 et la Ligue 2, prenant en compte environ 25 joueurs professionnels sous contrat, le taux de chômage s'élève aux environs de 20% ce qui est excessivement élevé et bien supérieur à la moyenne nationale française. Les masses salariales sont donc réparties de manières très inégalitaires et se concentrent seulement sur quelques joueurs très bien payés.

40 POLI R. (2010), Marché de footballeurs, réseaux et circuits dans l'économie globale, Peter Lang, Berne.

41 ROSEN S. (1981) The economics of superstars, American Economic Review, vol. 71, n°5, p. 845-858.

42 LUCIFORA C. ET SIMMONS R. (2003) Superstar effects in sport: evidence from Italian soccer, Journal of Sports Economics, vol 4, n°1, p. 35-55.

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D'après l'article paru dans le « Nouvel observateur »43 en 2013, un joueur de Ligue 1 gagnait en moyenne 47 000 euros bruts par mois sans compter les primes additionnelles. Pour La Ligue 2, la moyenne était estimée à 10 500 euros. L'écart entre les deux championnats est important ce qui nous conforte dans l'idée que seuls les meilleurs championnats sont ceux qui reversent les salaires les plus importants.

La revue met également en avant un second facteur déterminant : la carrière d'un joueur est relativement courte. D'après les études de John Goddard et John Wilson44, « environ 20% des joueurs présents une année donnée dans un des 92 clubs professionnels n'y jouent plus l'année suivante et environ 20% d'entre eux n'y jouaient pas l'année précédente ».

En tenant compte de ses résultats, on constate par exemple qu'un joueur sur cinq est remplacé dans le championnat anglais d'une saison à l'autre.

Enfin, il est important de retenir que les salaires des joueurs ne sont pas si élevés que ce que l'on pourrait croire. En effet, le marché des « stars » ne concerne finalement que très peu de joueurs (entre 5 et 10%) avec des salaires faramineux et une stabilité de l'emploi.

A contrario, le marché secondaire, comprenant les joueurs dont les qualités sportives sont moindres, concentre en réalité la majorité des footballeurs. Ces derniers ont des revenus beaucoup plus faibles. Leurs mobilités sont dites « subies » c'est à dire que le joueur signe dans un club qui l'accepte. Il n'y a donc pas réellement le choix du coeur de la part du joueur. Bien entendu, ceci est synonyme de fragilité de l'emploi.

En tout état de cause, seul les salaires des plus grands talents ont décollé ces dernières décennies, donnant l'impression d'une augmentation salariale globale de tous les sportifs de ce secteur. Or, nous venons de démontrer le contraire.

Il semble pertinent de s'attarder sur le tableau de la page suivante, représentant les parts des revenus en fonction des différents championnats européens.

43 «Messi, Ronaldo, Ibra...le salaire des stars du football augmente? Les inégalités aussi» le Nouvel Observateur, 13/04/2016

44 Goddard J. et Wilson J. (2004), Free agency and employment transitions in professional football, mimeo, in Frick B., Pietzner G. et Prinz J. (2007)

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Une fois n'est pas coutume, la Premier League anglaise est le championnat où les salaires sont les plus élevés. En moyenne 2,850 millions d'euros. Ce montant est plus élevé de 56% du salaire moyen en Bundesliga (championnat allemand), situé 2e du classement avec 1,822 millions d'euros. Bien entendu, ce résultat - aussi élevé soit-il - s'explique en majeure partie par les recettes générées par ces deux championnats, essentiellement dues aux droits de retransmission (cf. Chapitre I partie III).

En revanche, le classement du championnat espagnol est une surprise. Le salaire moyen étant de 1,5 millions d'euros.

Ceci peut trouver son explication par le fait que la Liga espagnole concentre beaucoup de disparités financières. Malgré les deux grosses écuries (FC Barcelone et Real de Madrid), le reste du championnat est en dessous des autres compétitions telles que notre championnat national, la Ligue 1. De plus, nous avons vu précédemment que les droits de retransmission TV espagnols étaient vendus individuellement par les clubs. De ce fait, le Real de Madrid et le FC Barcelone concentrent 50% des recettes TV, laissant le reste aux dix-huit autres clubs de la Liga BBVA.

En tout état de cause, les clubs les plus riches n'hésitent pas à aligner les zéros sur les chèques pour attirer les plus grandes stars. Mais qu'en est-il du retour sur investissement ? Les clubs qui achètent les joueurs les plus chers sont-ils assurés de meilleures performances sportives ?

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Il est évident que pour gagner des titres, chaque club doit miser sur des talents qui feront la différence et qui seront un réel atout pour l'équipe. Dans l'hypothèse que chaque club possède chacun des joueurs de talents similaires, alors nous serions dans une situation d'équilibre compétitif maximal, ce qui signifierait que chacune des équipes auraient sensiblement les mêmes chances de gagner le championnat.

Or, nous nous trouvons plutôt dans une situation de « jeu sur le marché du talent »45 c'est à dire que chaque équipe doit prendre en considération une contrainte budgétaire tout en cherchant à acquérir la perle rare pour constituer un groupe homogène supérieur aux autres équipes.

Cependant, Kuypers et Szymanski démontrent en 1999 qu'il existe une corrélation étroite entre la masse salariale des clubs anglais et leurs positions en championnat. En effet, plus les salaires sont élevés, plus la probabilité d'un meilleur classement pour l'équipe en question est forte. Cela valide donc la théorie « d'efficience des salaires » qui implique que la productivité collective des joueurs va de surcroît avec les salaires qui leurs sont versés.

Méthodologie Kuypers et Szymanski (1999) : corrélation masse salariale et résultat sportif.

Le graphique ci-joint est tiré de la Ligue de Football Professionnelle (LFP). Dans un premier temps, l'intérêt de cette étude est d'analyser l'étroitesse de la corrélation entre salaire et résultat sportif, puis dans un second temps comprendre si cela justifie tous ces investissements colossaux.

Graphique corrélation entre masse salariale et résultat sportif.

45 CAVAGNAC M. ET GOUGUET J-J (2008) Droits de retransmission, équilibre compétitif et profits des clubs, revue d'économie politique, n°118, p. 229-253.

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- L'axe des ordonnées représente le classement en fin de saison de chaque club.

- L'axe des abscisses représente le rapport logarithmique entre la moyenne des salaires du club sur les moyennes des salaires de tous les clubs du championnat.

D'après le graphique, la relation (salaires - résultats sportifs) est clairement identifiable. Les clubs qui dépensent le plus en salaire sont souvent ceux en tête du championnat. Deux hypothèses peuvent être retenues :

1. Le club détient des ressources financières considérables : le budget permet au club d'investir dans de nouveaux joueurs talentueux, ce qui lui donne de la crédibilité supplémentaire pour gagner des titres européens. L'exemple du rachat du Paris-Saint-Germain par le Qatar est le symbole de la nouvelle offensive stratégique du pays (cf. chapitre II partie I).

2. Le club n'est pas forcément le plus riche mais réalise des bons résultats sportifs ce qui lui permet d'améliorer ses recettes annuelles. Ainsi, il sera possible pour le club d'acheter des joueurs de qualité afin d'aspirer encore à de meilleures résultats la saison suivante.

En définitive, être un club riche est un avantage pour gagner des titres. Le football moderne se développe sous une forte concurrence où les meilleurs joueurs rejoignent les clubs qui peuvent assumer des salaires aussi élevés. Néanmoins, il serait imprudent de conclure que seules les grandes écuries peuvent gagner. L'exemple du Leicester City Football Club est sans conteste le contre-exemple parfait, prouvant que l'argent ne fait pas tout. Il y a près de 7 ans, le club jouait en troisième division anglaise, la League One. Avec des résultats impressionnants, le club remonte en 2014 en premier League (1ère division anglaise) et évite de peu cette même année la relégation en division inférieure. La plupart de l'effectif étant inconnu du monde du ballon rond, le club créé la surprise lors de la saison 2015/2016 en terminant premier du classement, devant les plus grandes équipes anglaises, possédant des joueurs de renommée internationale.

Comment peut-on expliquer ce fait exceptionnel ? Premièrement, par la détermination. L'argent permet d'acheter les meilleurs joueurs au monde mais n'achète pas la motivation de ces derniers. Deuxièmement, l'esprit d'équipe et la cohésion d'un groupe, sont les maitres

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mots qui dictent ce sport. Enfin, le succès de ce club comprenant une population totale de 330 000 habitants, trouve sa source dans sa capacité à trouver des talents avant même qu'ils ne soient révélés au grand public. Le club à misé sur des joueurs comme le franco-algérien Riyad Mahrez, l'anglais Jamie Vardy (évoluant en 8ème division il y a 7 ans..) ou encore le français N'golo Kante, tous inconnus de la planète football et aujourd'hui convoités par les plus grands clubs internationaux. La revente de ces joueurs sera une plus-value certaine pour le club.

Ceci nous amène à la conclusion suivante : l'efficience salariale n'est pas parfaite. En observant le graphique précédent, certains points s'écartent de la relation linéaire entre le classement dans le championnat et les salaires des joueurs.

Cela correspond aux cas suivant : les résultats au football sont parfois imprévus par rapport aux moyens financiers. Certains font mieux (cas du Leicester City Club Football : 1er du classement de Premier League - saison 2015/2016), d'autres font moins bien que ce qui était prévu. Les raisons pouvant expliquer ces écarts sont souvent liés à des erreurs de recrutements, de politiques salariales inadaptées, de mauvaises ententes entre les joueurs, ou simplement un problème de gouvernance du club...

Le critère financier n'est pas donc la seule stratégie permettant aux clubs de football de réussir. Certains jouent même la carte purement sportive, laissant de côté l'argent. Quelle est donc la meilleure stratégie pour un club ? Surpayer un joueur ? Parier sur le prochain talent d'un joueur ? Spéculer sur la valeur de ces derniers ? Autant de question qui suggère une étude plus approfondie. C'est donc l'objet de notre seconde sous-partie qui vise à analyser les différentes stratégies opérées par les clubs sur le marché des transferts.

2.2 Les stratégies des clubs sur le marché des transferts

En vingt ans, les stratégies des clubs concernant le marché des transferts des joueurs de football ont significativement évoluées.

Comme le précise l'article d'Eurosport46, l'arrêt Bosman est l'expression utilisée pour définir le football moderne et justifier la fuite des talents vers l'étranger. Véritable révolution dans le

46MORIN CYRIL « l'arrêt Bosman a 20 ans, on vous explique tout en une image », Eurosport, 15/12/2015

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système de transfert des joueurs sur le marché Mercato, il est donc important de s'y attarder un instant.

Remontons 20 ans en arrière. Avant l'arrêt Bosman, le règlement des ligues de football autorisait tout au plus trois joueurs étrangers sur le terrain. A cela s'ajoutait une seconde règle : le club pouvait demander une indemnité financière pour chaque joueur en fin de contrat, si ce dernier souhaitait rejoindre un autre club.

En 1990, Jean-Marc Bosman (plus célèbre par son nom que par ses talents de footballeur) jouait pour le club du RFC Liège. Son contrat arrivant à terme, ce dernier souhaite rejoindre le club de Dunkerque en D2 française. Son club refuse cette demande mais soumet une contre-proposition. Le club français doit verser une compensation financière au club belge. Mécontent de sa situation en raison de l'abus de pouvoir de son ancien club, Jean-Marc Bosman saisit alors la Cours de Justice des Communautés Européennes. Le 15 Décembre 1995, la justice lui donne raison. Après son action en justice, l'arrêt Bosman a révolutionné le football moderne, permettant d'abandonner le principe reposant sur trois joueurs étrangers sur le terrain. Les équipes anglaises, à l'image du club d'Arsenal, ont profité de cette nouvelle règle pour attirer des joueurs de toute l'Europe, ce qui a bien évidemment eu de nombreuses conséquences sur le marché des transferts, aussi appelé « Mercato ».

Il est important de rappeler une règle fondamentale. Si la libre circulation entre les clubs est rendue possible pour les joueurs européens, la règle est cependant différente pour les joueurs extra-communautaires. En effet, les clubs sont toujours soumis à des quotas par équipe pour les joueurs non européens, sauf ceux qui sont rattaché à l'Espace Economique Européen (Suisse, Russie) et ceux ayant ratifié « l'accord Cotonou ». 47 Par exemple en France, le nombre est limité à quatre joueurs extra-communautaires.

C'est donc à partir de cette période que les transferts de joueurs ont explosé avec une augmentation significative de la mobilité de ces derniers.

Comme l'atteste l'étude réalisée par l'Observatoire des footballeurs professionnels (PFPO) en 2009, les attaquants sont les joueurs les plus mobiles. Environ 4,15 transferts en moyenne sur une période de 10 ans. A contrario, la mobilité est plus réduite pour les gardiens : 3,42 ou les défenseurs : 3,14.

47 L'accord rassemble les Etats d'Afrique, Caraïbes et du Pacifique.

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L'arrêt Bosman est ainsi un bouleversement économique dans le monde du football, notamment via des hausses des salaires des joueurs « stars », permettant de les attirer aux dépens des autres équipes. Cela a par ailleurs permit de réorganiser les structures organisationnelles des clubs de football. Comme le soulève le rapport mensuel de l'observatoire du football du CIES48, les clubs les plus fortunés ne se soucient plus des centres de formation, avec la relève des nouvelles générations de footballeurs puisqu'il est possible aujourd'hui d'acheter des joueurs venus de l'étranger.

Une autre conséquence économique de l'arrêt Bosman : l'essor d'un marché noir des joueurs. En effet, la possibilité de recrutement des joueurs n'ayant plus une limite spatiale, certains clubs européens ont saisi cette opportunité pour récupérer des joueurs dans des conditions plus que douteuses notamment dans les pays en voie de développement (Afrique et Amérique latine par exemple). Ceci étant, nous y reviendrons plus amplement prochainement.

Les clubs n'hésitent donc plus à acheter des joueurs qui seront « économiquement rentables » c'est à dire avec un prix d'achat très faible et des salaires différents selon les joueurs africains et européens. L'Afrique et l'Amérique latine possèdent de nombreux talents. La formule pour les clubs est donc simple : l'objectif est d'acheter un joueur sur ces continents à un prix dérisoire et si ce dernier devient une « superstar », le revendre à prix d'or. Cela permettra au club de dégager une plus-value non négligeable.

2.3 Les différentes stratégies de recrutement des clubs.

Au préalable, il est important de noter que les stratégies de recrutement des joueurs sont différentes d'un club à un autre. Comme le montre Kuper et Szymanski49 en 2009, chaque club exerce sa propre politique de transfert à l'image du club londonien d'Arsenal, dont la stratégie est de parier sur des jeunes encore peu connus sur la scène internationale pour les faire grandir, les conserver ou les revendre à prix d'or. Dans le cas contraire, si le jeune joueur

48 http://www.football-observatory.com/Rapport-mensuel-no13-L-utilisation-de-jeunes

49 KUPER S. et SZYNANSKI S. Why England Lose & Other Curious Football Phenomena Explained, HarperCollins Publishers, 2009, Londres.

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ne se révèle pas, les pertes du club seront minimes. Cette politique de recrutement est très proche des stratégies optionnelles sur les marchés financiers50.

L'objectif de chaque club est de réaliser une plus-value : acheter un joueur sous-évalué et le revendre avec une valeur surcotée.

C'est le cas de nombreuses superstars du football professionnel. Franck et Nüesch51 ont simultanément montré en 2008 que la spéculation de la valeur d'un joueur est monnaie courante sur le marché des transferts. Le jeune joueur prometteur, Anthony Martial, récemment transféré de l' AS Monaco en direction de Manchester United pour 100 millions d'euros alors que ce dernier ne totalisait qu'une seule sélection en équipe de France ne manquera pas de faire débat sur sa valeur réelle...En dehors de ces clubs exploitant les inefficiences du marché, d'autres clubs ont une politique totalement différente. Ces clubs achètent les meilleurs joueurs au monde à prix fort. L'exemple du Real de Madrid confirme ces propos. En observant le tableau « les vingt-cinq transferts de joueurs les plus coûteux après le mercato d'hiver 2014 »52 ci-dessous, l'institution madrilène a opéré quatre des cinq plus gros transferts européens.

50 DRUT BASTIEN, Economie du football professionnel, collection repères, 2014 P.86

51 FRANCK E. et NÜESCH S. Mechanisms of superstar formation in German soccer: empirical evidence, European Sport management Quartely, 2008, vol. 8, n°2, p. 145-164

52 DRUT BASTIEN, Economie du football professionnel, collection repères, 2014 P.88

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Il est évident que seuls les clubs dont la renommée est internationale, peuvent se permettre ce genre d'acquisition. On peut rappeler à titre d'exemple la nouvelle politique de recrutement du milliardaire russe Roman Abramovitch53, qui après avoir retiré Chelsea de la bourse, a investi aux alentours de 700 millions d'euros en politique de transfert. L'objectif était de faire du club londonien, l'un des plus grands d'Europe. Bien évidemment, l'homme d'affaire peut aujourd'hui se vanter de son succès.

Toutefois, la vente d'un joueur peut être aussi un motif d'assainissement des comptes du club dans le cas d'une dégradation financière. Bien que l'arrêt Bosman ait permis la mobilité des joueurs à travers toute l'Europe, il n'existe que deux périodes de transfert en hiver et en été, ce qui en toute somme est assez court. A contrario, les procédures de négociation entre le joueur, le club et l'agent sportif sont souvent longues. Or, une situation financière instable pousse souvent les clubs à vendre à un prix décoté, tant l'exposition est forte. Le club peut donc perdre un joueur efficace et régulier à prix dérisoire. Cette perte est synonyme d'échec . il est donc nécessaire que le club revoit tout son système managérial.

En définitive, le football n'est que le reflet d'une mondialisation où la spéculation est le nouveau métronome financier qui poussent les clubs à adopter de nouvelles stratégies de recrutement. L'intérêt de ce premier chapitre était donc de comprendre les nouveaux mécanismes économiques du football moderne et des enjeux auxquels il faisait face. A cela beaucoup de questions sont relatives à la nouvelle interprétation des enjeux réels du football professionnel. En effet, il est tout à fait légitime de se demander si le fonctionnement d'un club de football est similaire à une entreprise classique. Le football est-il encore un sport à part entière ou au contraire un business ? Le football est-il « le » sport, voué à la perversion économique ?

En réponse à notre développement, tout laisse à penser que le jeu du ballon rond évolue en ce sens. « L'argent est le nerf de la guerre » : cette expression est la définition même de ce qu'il est devenu. Réussir dans le football c'est avoir de l'argent, beaucoup d'argent. Le passage du football amateur au football professionnel et l'évolution du statut juridique des clubs nous conforte dans notre idée que les clubs cherchent à se rapprocher des plus grandes sociétés

53 Propriétaire du Chelsea Football Club depuis juin 2003

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commerciales. Il en va de même pour ces grands clubs qui ont opté pour l'introduction en bourse afin de garantir des profits financiers. De surcroît, les activités annexes des clubs de football vont également en ce sens. La guerre des droits de retransmission TV, le branle-bas de combat des contrats de sponsoring, l'émergence du « naming » et la « gentrification » des stades, les stratégies recrutement des joueurs sur le marché des transferts nous prouve que les stratégies des clubs sont aussi en dehors des terrains de football.

Pour autant, conclure de cette manière serait une maladresse. Le football est une histoire d'argent, mais c'est avant tout un véhiculeur d'émotion, de valeur et de joie. Echappatoire pour certains ou simple divertissement pour d'autres, ce sport, qui en fait l'un des plus populaires au monde, à la faculté de réunir les peuples. Chaque acteur du football professionnel est avant tout un passionné. Propriétaires, dirigeants, staffs ou joueurs sont mû par le même rêve : celui de soulever des trophées, d'être reconnu et respecté sur la scène internationale, de procurer des sensations aux supporters et pour tout une population. Le critère sportif est subséquemment un moteur de motivation pour chaque club.

En revanche, force est de constater que le football relève également d'autres aspects qu'il semble pertinent d'étudier. En effet, le critère économique étant une partie importante de la « footballisation » dans laquelle nous évoluons, le football est également un enjeu géopolitique irrécusable. Le football est un moyen de mettre au-devant de la scène sa puissance politique et économique. Tout est bon pour se montrer et diffuser son propre modèle. C'est le cas notamment du Qatar et de la Chine, qui ont décidé de faire du football un outil efficace pour répandre une forme de domination aux quatre coins du monde. Depuis quelques années, le Qatar investi sans compter dans le football professionnel dans l'unique but d'exister sur la scène internationale. L'enjeu est plus ou moins similaire pour la Chine, qui cherche à assouvir un peu plus sa domination mondiale. Le football, c'est aussi le reflet des enjeux mondiaux dans lequel l'homme se développe. Comme dans beaucoup de domaines, le continent africain souffre d'un retard de développement global. Malheureusement, le football africain n'échappe pas à la règle. L'Afrique, mère de nombreux jeunes talents, où le football occupe une place importante dans la vie des populations, est encore tiraillée par de d'innombrables difficultés, tant sur le plan économique que social. Toutefois l'Afrique est une terre qui pourrait accueillir un football moderne, attractif, avec des infrastructures adaptées. C'est la raison pour laquelle il s'agit d'un enjeu géostratégique important qu'il semble nécessaire d'aborder dans ce nouveau chapitre. Pour ce faire, nous analyserons dans un

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premier temps, la nouvelle stratégie d'influence du Qatar dans le milieu du football. Puis nous verrons dans une seconde sous-partie le nouvel amour de la Chine pour le football afin d'en faire une nation compétitive. Enfin, notre chapitre se terminera par l'un des enjeux géostratégiques les plus importants du 21ème siècle : l'avenir du football africain.

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Chapitre II : Les nouveaux enjeux du football mondial

Partie I - Nouvelles stratégies d'influences du Qatar où le football n'est pas roi.

Le Qatar est devenu, en l'espace de cinq années, un pôle incontournable du football mondial. Ce petit pays d'une superficie à peine plus grande que l'Ile-de-France fait couler beaucoup d'encre, tant pour sa richesse pétrolière que ses investissements soudains dans le football. De surcroît, les débats se sont largement intensifiés depuis que le pays ait été choisi pour organiser la Coupe du Monde 2022 au Qatar. Injustice, pots-de-vin ou pouvoir d'influence ? Quoi qu'il en soit, force est d'admettre que ce pays touche du doigt son nouvel objectif : devenir une nouvelle terre du football.

Pour comprendre comment opère le Qatar dans sa nouvelle stratégie, il est important d'appréhender notre étude en trois parties. Dans un premier temps, nous analyserons l'entretien réalisé par Jérôme Champagne, grand spécialiste des relations internationales dans le domaine du football. Son expérience sur le terrain et sa connaissance du sujet nous permettront d'introduire notre seconde sous-partie, qui vise à cibler les stratégies offensives du Qatar. Pour finir, nous nous attarderons sur la puissance du Qatar via son média de diffusion : Al-Jazeera.

1.1 Entretien de Jérôme Champagne sur les stratégies du Qatar.

Conseiller diplomatique et chef du comité français d'organisation de la Coupe du Monde 1998, conseiller international du président de la FIFA en 1999, secrétaire général adjoint (2002-2005) puis délégué de l'ancien président de la FIFA Sepp Blatter (2005-2007) et directeur des relations internationales (2007-2010), Jérôme Champagne quitte la haute instance de régulation du football international pour se consacrer aux enjeux géopolitiques en relation avec le football. En 2010, il est alors nommé commissaire football du festival mondial des arts nègres à Dakar pour ensuite devenir le conseiller de la Fédération

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Palestinienne de Football (PFA), celle du Kosovo et enfin conseiller de la fédération Chypre-Turc.

L'entretien de Monsieur Jérôme Champagne intitulé « la diplomatie sportive du Qatar : instrument d'une nouvelle notoriété internationale » relayé par la revue géoéconomique « Qatar, l'offensive stratégique »54, nous donnes ses impressions quant aux investissements soudain de ce petit pays dans le sport et plus particulièrement dans le football.

L'entretien débute par un discours clair : le Qatar est « une diplomatie par le sport »55. L'ancien directeur de la FIFA affirme que cette forme de diplomatie n'est pas nouvelle et est basée sur trois types d'objectifs :

- Premièrement, « il s'agit de défendre la justesse de choix politiques et /ou de modèles sociétaux ». le sport est un moyen pour les nations de montrer leur supériorité.

- Le sport est un moyen permettant de défendre une cause. C'est également une forme de reconnaissance nationale à laquelle chacun s'identifie. L'exemple donné lors de cette interview fut celui du Front de Libération National (FLN) de 1958 à 1962 durant la guerre d'Algérie ou encore celui des USA dans l'organisation des Jeux Olympiques de 1904 en marquant le centenaire du « Louisiana Purchase », ville française et laissée aux américains par Napoléon en 1804.

- Enfin « la diplomatie par le sport » est un élément de pouvoir d'influence dans un objectif suprême d'étendre celle-ci dans le monde.

Le Qatar répond aujourd'hui à tous ces objectifs, grâce à son dynamisme dans la région du Golfe. Le sport et plus particulièrement le football, est aujourd'hui le nouvel «or noir » du Qatar, conscient des opportunités de faire de nouveaux profits.

Sa puissance financière lui permet d'être un acteur important dans le monde du sport comme par exemple le tennis, l'athlétisme, le cyclisme ou encore les courses de moto GP. En raison de sa forte renommée dans la région de la péninsule arabique, le Qatar organise fréquemment des évènements sportifs, à la seule exception du football... On ne retient que l'organisation d'une Coupe du Monde de la FIFA des moins de 20 ans en 1995, dû à l'abandon de

54 LOROT P. ET DAGUZAN J-F. Qatar, l'offensive stratégique, Géoéconomie, revue trimestrielle - été 2012 n°62. P. 69 - 80

55 LOROT P. ET DAGUZAN J-F. Qatar, l'offensive stratégique, Géoéconomie, revue trimestrielle - été 2012 n°62. P. 69

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l'organisation de cette dernière par le Nigeria pour cause d'une épidémie d'Ebola. Aujourd'hui la tendance tend à s'inverser. Le Qatar tient sa revanche puisqu'en l'espace de cinq ans, le football occupe une place privilégiée dans sa nouvelle stratégie.

L'organisation de la Coupe du Monde en 2022, des championnats du monde de Handball en 2015, l'espoir de pouvoir organiser un jour les jeux Olympiques, le lancement de la chaîne de retransmission d'évènements sportifs Al-Jazeera Sports, démontrent les aspirations de cet Etat à devenir durablement une nation du sport.

Le Qatar mise sur une seule stratégie globale : Développer toutes les activités liées au sport pour répandre son influence à l'échelle internationale. L'achat de chaînes télévisuelles, le rachat des clubs de football professionnels, la création de l'équipementier sportif Burda ou l'élection d'un qatari au sein de l'instance FIFA (M. Mohamed bin Hammam en 2011) ne sont plus de simples rêves, ils sont devenus réalité. De plus, le Qatar peut se vanter d'un avantage en matière de décision. En effet, il est beaucoup plus simple d'entreprendre de nouvelles stratégies lorsque le pouvoir est concentré dans les mains de quelques dirigeants.

Les mots employés par Jérôme CHAMPAGNE sont à l'image des motivations réelles du Qatar. Selon lui, « la méthode globale peut apparaître comme une forme de domination. Et surtout la possibilité de repousser les contraintes de la rentabilité économique en raison de la richesse qatarie, peut de son côté fausser la concurrence avec les autres acteurs sportifs ou industriels »56

Le sport est un moyen pour le Qatar d'ouvrir ses frontières et de dynamiser l'attractivité de son territoire. Trois objectifs sont à énumérer :

- Premièrement, l'investissement massif dans le sport permet au pays d'exposer son « modèle politique et social qui combinerait la tradition et la modernité, un paternalisme généreux mais sans démocratie, une ouverture sur le monde ».

- Le second objectif est d'affirmer sa puissance dans la région du Golfe et pour cause, la région est sujette à de nombreux conflits territoriaux, tant sur le plan politique que

56 LOROT P. ET DAGUZAN J-F. Qatar, l'offensive stratégique, Géoéconomie, revue trimestrielle - été 2012 n°62. P. 73

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religieux. Bien entendu, le sport et plus particulièrement le football est un moyen de concurrencer efficacement le rival de toujours : l'Arabie-Saoudite.

- Enfin, le dernier objectif mais non des moindres : Investir dans le football c'est investir dans l'un des sport les plus populaires au monde permettant au pays de jouer dans la cours des grands. Le football est donc un moyen de donner de la crédibilité à l'échelle internationale. Alors que l'origine du football n'était qu'un divertissement consistant à marquer des buts pour gagner un match, on n'était loin d'imaginer que le football puisse être un jour utilisé à des fins géostratégiques...

Pour autant, dans le pays où les rêves deviennent réalités, il existe quelques limites qu'il semble pertinent d'énumérer :

La première des limites est la taille du pays (1,8 millions d'habitants recensés en 2010) avec seulement 20% de nationaux et beaucoup d'expatriés. Cela constitue donc une barrière non négligeable, empêchant très certainement le Qatar d'être considéré comme une réelle nation du football. En dépit d'investissements conséquents, la « culture football » n'est pas encore ancrée dans ce pays où règne oisiveté et démesure en tout genre. Le désintérêt commun de la population qatarie pour le football engendre des stades quasiment vides et une équipe nationale peut attrayante, oscillant dans le classement FIFA entre la 80ème et la 100ème place.

Ce désintérêt pour le jeu du ballon rond peut trouver son explication dans le fait que le climat ne prête pas à jouer, sous des chaleurs pouvant atteindre 50 degrés Celsius contrairement au handball ou au basketball par exemple, qui se joue en intérieur.

D'autre part, le manque de compétitivité à l'échelle nationale pousse le Qatar à user de stratégies à la limite de la légalité. L'argent étant l'argument le plus péremptoire, les acteurs qataris n'hésitent pas à inciter de plus en plus de jeunes joueurs talentueux d'un autre Etat, à acquérir la nationalité qatarie en contrepartie d'une rémunération. Par ce processus, ces jeunes talents intégreront l'équipe nationale afin que celle-ci réalise de meilleurs résultats, aptes à l'élever au sein de la hiérarchie du football.

De plus, la création en 2004 de l'académie sportive Aspire à Doha, recrutant les nouveaux talents qataris de demain, est sujette à de nombreux débats et contestations. En effet, l'infrastructure digne des plus grands clubs, attire des jeunes de toute la planète et plus

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particulièrement de l'Afrique, avec la mise en place de recruteurs dépêchés sur l'ensemble du continent, pour trouver les perles rares et les attirer au Qatar. Ces agissements se font aux dépens des clubs africains qui peinent à conserver leurs jeunes talents en raison de leur manque d'investissement en infrastructures. (cf. chapitre II, partie III).

En définitive, les investissements qataris dans le football comportent bon nombre de mauvaises pratiques et de limites. A l'heure actuelle, beaucoup d'entre elles restent impunies ou de facto.

A la question : « pensez-vous que le Qatar puisse incarner l'avenir du sport international ? Ou au contraire que son activisme dans ce domaine peut contribuer à modifier l'équilibre géopolitique du sport de façon négative ? »57, La réponse de Jérôme Champagne semble sans équivoque. La durabilité des stratégies offensives du Qatar dans le sport semble instable. Bien que le pays ait été récemment choisi pour organiser de la coupe du monde 2022, de nombreuses limites nous amènent à penser que les ambitions sportives de cette « micro-monarchie » ne soient, à long terme, plus soutenables.

Comme en atteste l'interviewé, si son influence dans le monde ne fait pas l'ombre d'un doute, le Qatar fait néanmoins face à de nombreux échecs. On peut citer l'exemple des championnats du monde d'athlétisme 2017, attribués finalement à Londres ou les jeux Olympiques de 2020 où le Qatar n'a pas fait l'objet d'une retenue de candidature en présélection.

A cela s'ajoute l'échec quant à l'appel d'offres dans le rachat de l'entreprise internationale de marketing sportif : Infront.

En dépit d'une détermination sans faille, le Qatar n'est certainement pas encore devenu une nation du football. Les propos de Jérôme Champagne vont en ce sens puisque selon lui il est encore trop tôt pour tirer quelque conclusion que ce soit, même si beaucoup de signes laissent à penser qu'il est difficile d'acheter la passion du sport...

Notre première sous-partie fut réalisée grâce aux apports de l'ex-directeur des relations internationales de la FIFA, ce qui nous a permis d'appréhender une première réflexion quant

57 LOROT P. ET DAGUZAN J-F. Qatar, l'offensive stratégique, Géoéconomie, revue trimestrielle - été 2012 n°62. P. 76

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aux nouvelles ambitions sportives d'un pays à taille minime mais à la puissance financière colossale.

L'enjeu de cette seconde sous-partie vise à mettre en lumière tous les champs d'actions des investisseurs qataris. L'objectif est de comprendre dans quelle mesure le Qatar cherche à assouvir son pouvoir de domination.

1.2 Les investissements dans le football : le nouvel « or noir » du Qatar.

Contrairement à de nombreux acteurs de la péninsule arabique, le Qatar ne peut jouir d'une puissance par son territoire, qui n'est que de 11 437km2 ainsi que d'une population totale avoisinant 1,5 millions d'habitants58. L'envergure de ce pays, pas plus grand que la région Ile-de-France, s `explique en raison de ses ressources pétrolières qui lui assurent des profits conséquents. Ceci justifie en grande partie le niveau élevé du revenu national brut (RNB) avec 92 200 dollars59 par an et par habitant. Il s'agit Bien entendu du niveau le plus élevé au monde. C'est d'ailleurs cette richesse qui incite le Qatar à investir autant dans le sport et plus particulièrement dans le football. Pour exister et se différencier de ses voisins Iraniens et Saoudiens, le Qatar mise sur la diplomatie sportive et joue aujourd'hui un rôle très important dans le sport. Troisième réserve de gaz au monde mais sans réel poids dans le domaine militaire, le Qatar use de la stratégie dite du « soft power60 » afin de rendre le territoire plus attractif et d'étaler sa puissance financière à travers le monde.

De par sa position géographique (proche de l'Irak et de l'Iran et voisin transfrontalier de l'Arabie Saoudite), le Qatar se doit d'être actif et compétitif, tant la région de la péninsule arabique est minée par de nombreux conflits politiques, militaires, ethniques et religieux.

Nouvel investisseur dans le domaine du football, l'objectif premier de ce pays encore méconnu du grand public est de promouvoir à travers le sport, l'image du Qatar. Comme le soulève Nabil Ennasri, doctorant et auteur de l'ouvrage « l'énigme du Qatar », une feuille de route constitue le fer de lance de la famille royale : « le Qatar National Vision 2030 »61, le programme vise à développer le pays pour y donner de la crédibilité. Afin d'être placé sous

58 http://www.statistiques-mondiales.com/qatar.htm

59 http://fr.actualitix.com/pays/qat/qatar-revenu-national-brut-par-habitant.php Aout 2016

60 http://www.diploweb.com/Qatar-2008-2014-du-soft-au-smart.html

61 ENNASRI NABIL, « Le Qatar et le football : un investissement stratégique en 5 axes », le Nouvel Observateur, 22/12/2012

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les feux des projecteurs et d'exister en tant que « puissance mondiale », le Qatar use parfaitement bien la stratégie du « Sport power »62 pour diffuser sa culture et ses idées, via sa grande influence dans les médias sportifs.

Selon le spécialiste, le football serait gage de stabilité dans nos sociétés. A titre d'exemple, un jour férié est dédié chaque année au Qatar à la pratique d'un exercice physique. Le sport est considéré comme moteur de croissance et d'attractivité. Très dépendant de ses ressources pétrolières, le pays cherche impérativement à trouver de nouvelles ressources. Cette nouvelle démarche vise à réduire la surexploitation d'hydrocarbure, disponible en quantité limitée. Les dirigeants commencent à comprendre que l'avenir se fera sans hydrocarbure. Pour amorcer cette prochaine pénurie signifiant une baisse des ressources financières, un plan stratégique a été mis en place pour diversifier les recettes du pays.

- développer « l'économie de la connaissance ». - développer le tourisme.

- développer l'industrie du sport.

Pour développer l'industrie du sport, le pays peut compter sur le Qatar Sports Investment : crée en 2005, QSI a pour vocation de répandre l'influence du Qatar aux quatre coins du monde. Les investissements astronomiques dans le football professionnel sont à l'image du pays où prédomine la démesure financière. En s'emparant en 2011 du club du Paris-Saint-Germain (football et handball) et du sponsoring du FC Barcelone, le Qatar est entré dans une nouvelle ère. D'après l'étude menée par l'agence Repucom (aujourd'hui acquis par Nielsen), le montant des investissements dans les clubs de football professionnel européen s'élevait à 1,5 milliards d'euros depuis 2007. Depuis, le constat est sans appel. En 2014, les plus gros investisseurs dans les cinq championnats majeurs européens provenaient des Emirats Arabes Unis et du Qatar.

Hormis le club du PSG et du FC Barcelone, les Emirats Arabes Unis se sont aussi installés dans le pays où le football est une institution : l'Angleterre. Manchester City ayant été acquis en 2008 par Abu Dhabi Holding pour 330 millions de dollars.

62 BOUAZZA NADERA, « Le Qatar a besoin de s'afficher pour exister », l'Express, 16/05/2013

68

En Espagne : le club espagnol de Malaga est détenu quant à lui en totalité par le richissime qatari Cheick Abdullah Ben Nasser Al Thani depuis 2010.

On constate donc que les ambitions du Qatar sont aussi convoitées par d'autres grandes puissances de la région. En définitive, cette stratégie du sport power pourrait s'étendre dans le futur sur beaucoup plus de nations, tant on connaît les puissances financières du Koweït, de l'Arabie Saoudite ou du Bahreïn. Il est ainsi légitime de s'inquiéter quant à l'avenir du football sur le vieux contient.

En effet, ce nouvel élan signifie bien évidemment un redynamise du football européen mais à quel prix ? On peut se demander si ces stratégies venues du golfe arabique et de l'Asie du sud ne sont-elles pas préjudiciables pour notre football « Made in Europe » ? Les traditions de notre football doivent-elle être transgressées par des investissements de pays qui ne connaissent rien au football ? Beaucoup de questions qui sous-entendent plusieurs inquiétudes quant à la perte d'identité de notre football européen.

De plus, le doute est permis quant aux réelles volontés des dirigeants qatariens à investir dans le football. Comme l'atteste Vincent Chaudel, directeur de la communication et du marketing de l'agence Kurt Salmon « le phénomène nouveau, en France comme en Europe, avec la reprise du PSG, c'est la dimension étatique. Le sport est une vitrine à dimension domestique et internationale »63.

Comment le Qatar s'est-il affirmé en quelques années comme un acteur incontournable du football européen ? Une partie de la réponse se trouve dans le média de diffusion d'évènements sportifs qatari : Al-Jazeera. Véritable révolution technologique et symbole de la globalisation, la chaîne arabe a restructurée le paysage médiatique de la région. Ce nouvel élan permet à la péninsule de jouer un rôle clef dans les nouvelles technologies d'information et de communication (NTIC). Ce facteur de développement nous pousse à réaliser une étude approfondie sur le sujet.

1.3 Du désert qatari au coeur de Paris : l'ascension d'Al-Jazeera en France.

La force d'un pays est la capacité de ce dernier à s'adapter aux multiples enjeux de la mondialisation. Comprendre les mécanismes toujours plus complexes de la mondialisation est

63 PALIERSE CHISTOPHE, « Pourquoi le Qatar mise tant sur le PSG », les Echos, 25/11/2011

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l'assurance d'une pérennité économique. C'est dans les années 90 que ce bouleversement sème un vent de véritable révolution technologique et médiatique dans la zone du Moyen-Orient puisqu'apparaissent les chaînes par satellite. Concurrence ardue (on dénombre près de deux cents chaînes de télévision dans la région), c'est en 1996 que voit le jour la chaîne qatarie, aujourd'hui acteur incontestable dans le secteur de l'audiovisuel, Al-Jazeera64. La création de cette chaîne de télévision que l'on pourrait traduire par « île » ou « presqu'île », chamboule alors le jeu de la concurrence dans la région du Golfe, tiraillée par un jeu de rivalité avec l'ennemi de toujours : l'Arabie Saoudite.

La création de la chaîne fait figure de révolution du droit d'accès à l'information, le « CNN arabe » comme on peut le retrouver dans beaucoup d'écrits a su adopter une stratégie, ô combien gagnante, en s'attaquant au marché du sport. Renommée depuis 2014 BeinSport afin de mieux appréhender le marché français, la chaîne qatarie remporte aujourd'hui un franc succès puisqu'elle détient les rediffusions des principaux évènements sportifs dont le football.

Les résultats sont à l'image des ambitions qataries. Après seulement trois ans d'activités, la chaîne s'est imposée en France et jouit aujourd'hui d'une reconnaissance nationale. BeinSport enregistre actuellement près de 2,5 millions d'abonnés65. L'objectif est donc atteint : conforter la présence du pays en Europe.

Les ambitions de la chaîne venue tout droit du désert, dont les locaux sont aujourd'hui à Paris, sont fortes et adaptées afin de tirer toujours plus de profit. Comme le soutient l'article du monde66, BeinSport peut se vanter de diffuser quasiment tous les sports (Près d'un vingtaine de disciplines, du football, au tennis en passant par la NBA).

BeinSport connaît alors un tournant en acquérant l'intégralité des rediffusions des matchs de la Coupe du Monde 2014 au Brésil. Le rachat des droits de retransmission de la chaîne arabe à TF1 pour cinquante millions d'euros fut une aubaine pour la chaîne, qui s'est en outre retrouvée seule en course dans cette procédure d'acquisition puisque son concurrent numéro un, Canal +, s'est soudainement retiré de la bataille.

64 Chaîne de télévision arabe diffusant des rencontres sportives.

65 FIFE FRANCK, « Cinq chiffres pour comprendre le rapprochement entre BeinSport et Canal + » , europe1, 2016

66 KESSOUS MUSTAPHA, « BeIN Sports, droit au but », Le Monde, 2015

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Inévitablement, BeinSport a su profiter de cet avantage pour se faire connaître en France puisque beaucoup de téléspectateurs se sont vus obligés de souscrire à la chaîne pour regarder l'intégralité des matchs de cette compétition qui n'a lieu qu'une fois tous les quatre ans.

L'offensive stratégique de la chaîne étant à échelle internationale, le lancement en août 2012 de BeinSport en Amérique, en Asie (Juillet 2013), en Australie (octobre 2014) ou encore plus récemment en Espagne (2015), mettent en lumière les investissements colossaux engagés par les qataris ayant vocation à se traduire en un réel rayonnement planétaire.

Pour conclure, il est évident de dire que les stratégies du Qatar s'avèrent payantes puisque le pays est de plus en plus présent dans nos média. Les rachats successifs des clubs à travers l'Europe et la diffusion de la chaîne qatarie Al-Jazeera (BeinSport) sont à la hauteur des espérances du pays. De surcroît, l'attribution de la Coupe du Monde 2022 (certes houleuse) mais officiellement légale, confirme les ambitions du Qatar de devenir une super puissance dans le monde du football. Néanmoins, le pays ne fait pas l'unanimité. Rongé par les guerres et les nombreuses tensions ethniques et religieuses dans la région du Golfe arabique, le pays pétrolier cherche à trouver de nouvelles ressources post-hydrocarbures, sous peine d'un recul de compétitivité engendrant probablement des conséquences dévastatrice pour le pays, tant on connaît les différends avec son voisin l'Arabie Saoudite. Pour y parvenir, le Qatar jouit d'un avantage en technologie contrairement au retard archaïque saoudien, l'ennemi de toujours malgré l'adhérence commune au wahhabisme. Il y a donc fort à parier que la création de cette chaîne ne fait que raviver les tensions entre les deux pays. Pour autant, le Qatar peut se vanter d'avoir usé de la stratégie du soft power, pour affaiblir l'Arabie Saoudite. Aujourd'hui Al-Jazeera rencontre un franc succès sur la scène internationale. Malgré des chiffres difficiles à vérifier en raison de l'opacité et de la discrétion des autorités qataries à divulguer les statistiques, on estime environ 35 à 50 millions de téléspectateurs par jour. Il est donc clair que la chaîne arabe, issue des stratégies de l'émir cheikh Hamad, est le moyen le plus efficace dont dispose le Qatar pour propager son influence dans la région et dans le monde entier. Contrairement, aux autres puissances de la région, le Qatar ne peut mettre a profit une stratégie basée sur le « Hard power », notamment en raison d'une présence militaire faible. Ceci explique en partie la raison pour laquelle Al-Jazeera est la représentation d'un « soft power » (par extension un « sport power »), qui fonctionne.

Ceci nous amène à étudier un second cas. Il s'agit des nouvelles ambitions gargantuesques du pays qui ne cesse de parler de lui par son modèle économique : La Chine. Empire aux mille et

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une richesse, la Chine déclare depuis peu sa flamme au football. La stratégie engagée par le gouvernement chinois est simple : Faire de la Chine une nation du football d'ici 2050.

Partie II - Objectif 2050 : Faire de la Chine une Nation du football

2.1 Existe-t-il une culture du football en Chine ?

Acteur majeur de la mondialisation, la Chine ne cesse d'impressionner sur la scène internationale. Sa puissance économique lui permet de jouer dans la cours des grands et de concurrencer efficacement le géant Américain. Avec une population avoisinant les 1,375 milliards d'habitants et une superficie de 9 561 000 km2 67, la Chine figure parmi les pays les plus attractifs de la planète. Première puissance manufacturière et premier pays exportateur au monde, le « céleste empire » est un partenaire privilégié avec l'Union Européenne et l'Amérique. La suprématie chinoise lui permet aujourd'hui d'être le métronome de l'économie mondiale. Il est à l'heure actuelle impossible de se passer des chinois tant leurs apports dans les secteurs industriels et bancaires sont conséquents. En bon élève, la Chine poursuit ses ambitions de grande nation dans le but d'être considéré un jour comme le seul pays de référence sur tous les plans. Et elle ne manque pas d'idées. Depuis quelques années, le pays s'est attaqué à la conquête des terrains de football. Sport peu connu et peu pratiqué par les chinois, à l'instar de nombreux autres sports phares comme les arts martiaux ou le tennis de table, le football ne fait pas partie de la culture chinoise. L'intérêt pour ce sport ne connaît donc pas la même envergure que l'on pourrait avoir en Amérique du Sud ou en Afrique, où le football représente une ferveur incommensurable voire une religion. Toutefois, l'heure est à l'offensive stratégique pour la Chine car depuis quelques temps, de nombreuses entreprises investissent sans compter dans le sport du ballon rond. L'objet de cette partie est de comprendre pourquoi la Chine ressent soudainement ce besoin d'investir massivement dans le football. Comment ce sport, très peu développé en Chine (on recense seulement 137 000 licenciés en 2014, soit près de 0,01% de la population)68, où le championnat national est très peu attractif et peu regardé par l'ensemble de la population chinoise, peut-il attiser subitement

67 http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/chine/presentation-de-la-chine/ juillet 2016

68 GODON PIERRE, « Le plan de la Chine pour devenir une superpuissance du football », France info TV, 26/03/2015

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la convoitise de ces derniers ? Le graphique69 « pourcentage de la population intéressée par le football en 2014 » issue d'une étude Repucom en 2014, traduit bien ce désintérêt total. Seulement 30% de la population chinoise semble être intéressée par le football.

En dépit d'un désintérêt flagrant de la population chinoise pour ce port, le football chinois est apparu récemment sous les feux des projecteurs. Pour autant, affirmer qu'il s'agit d'une nation du football serait faux.

Néanmoins, les ambitions d'un seul homme insuffle un nouvel espoir, de voir la Chine en tant que nation du football. Cet homme n'est autre que le président et leader du parti communiste chinois Xi-Jiping.

A ce stade de l'analyse on peut se demander si la Chine utilise-t-elle le football comme un moyen de répandre sa domination ?

La Chine déclare-t-elle un nouvel amour pour le football ou est-ce simplement une stratégie, soigneusement étudiée afin d'être encore plus présent sur le marché mondial ?

2.2 Le plan global de la réforme et du développement du football chinois

Pour ce faire, un plan fut présenté le 16 Mars 2015 par le Conseil des Affaires Etrangères de l'Etat, nommé « le plan global de la réforme et du développement du Football Chinois »70

69 http://www.sports.gouv.fr/IMG/pdf/sporteco_fiche1_marchesemergentsfoot_m9.pdf p6.

73

prenant en compte près de cinquante mesures afin de rendre le football chinois plus compétitif. Actuellement, l'équipe nationale est modestement classée à la 81ème place du classement de la FIFA. L'objectif est donc fixé à 2050 pour faire de la Chine une nation du football à part entière. Le plan de réforme vise principalement à réaliser trois objectifs : « organiser, se qualifier et enfin remporter une coupe du monde71 » sont les propos tenus par le président lui-même lors de la présentation du projet. Le plan est scindé en 3 parties :

- Un objectif de court terme pour 2020

- Un objectif de moyen terme pour 2030 - Un objectif de long terme pour 2050

Le football chinois représente environ 400 milliards de dollars et devrait d'ici 2025, représenter 850 milliards de dollars. Selon le gouvernement chinois, l'allocation d'une telle somme est nécessaire au développement intensif du football. Afin de répondre à cet objectif ambitieux, le plan prévoit sur quatre ans, la mise en place de 20 000 académies de football72, avec environ 30 millions d'élèves chinois qui pratiqueront ce sport dès l'école primaire. La République Populaire de Chine vise donc non seulement à devenir une nation du football mais aussi en amont à former toute une société dès le plus jeune âge.

L'objectif est de s'inscrire dans la durée et de préparer les générations à venir. De surcroît, le gouvernement chinois prévoit de débloquer des fonds afin de construire près de 70 000 stades sur tout le territoire. Une formation de 10 000 entraineurs est prévue à l'horizon 2020. Cette phase vise essentiellement à améliorer l'environnement et l'atmosphère globale du football et de construire un modèle de gestion du football innovant afin d'incorporer ce sport dans la vie quotidienne de la population chinoise.

Une fois ces objectifs préliminaires atteints, la seconde étape vise à faire de la Chine, la nation de football de référence dans la région asiatique. Il est donc primordial d'encadrer les jeunes joueurs afin de les préparer à devenir les champions de demain. En Effet, pour 2030, le football devra être ancré dans la culture chinoise afin que les entreprises puissent investir

70 BOUGON FRANCOIS, « Le nouveau rêve chinois de Xi Jiping : organiser la Coupe du Monde de football », le Monde, 16/03/2015

71 « La Chine veut devenir une des meilleures nations du football d'ici 2050 », l'Equipe, 11/04/2016

72 GODON PIERRE, « Le plan de la Chine pour devenir une superpuissance du football », Francetvinfo, 17/02/2016

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massivement dans ce sport et en faire un business juteux. On prend ainsi conscience des agissements de certains dirigeants à convaincre la population d'aimer un sport en seulement quelques années.

Enfin, l'aspect économique contribue aux nouvelles stratégies établies par le président Xi-Jiping puisque ce dernier, souhaite à moyen terme que le football représente environ 1% du PIB du pays. L'objectif selon Chris Atkins 73 , spécialiste de l'économie chinoise au « Telegraph », est de réduire considérablement la dépendance aux revenus issus du secteur industriel. Le football doit pouvoir rééquilibrer l'économie chinoise, afin qu'il puisse être un réel facteur d'investissement.

Afin de booster la popularité du football en Chine, la bataille des droits de retransmission TV est primordiale. Encore une fois, la Chine peut se satisfaire d'un confort financier, lui permettant d'investir à foison dans ce secteur. D'après l'article publié par Le Monde74 le 29 Janvier 2016, la Super League Chinoise va connaitre une ascension fulgurante puisque les droits de retransmission vont être multipliés par 25...

Alors que ces droits s'élevaient aux alentours de 11,2 millions d'euros en 2015, ils seront de 280 millions d'euros d'ici 2018.

2.3 Une stratégie d'investissement interplanétaire

La stratégie d'investissement des chinois ne se limite pas aux seules frontières de la Chine. « L'empire du milieu » tel que l'on surnomme ce pays aux ambitions effrénées, s'est attaqué au marché européen et sud-américain. En effet, avoir un pied à terre sur deux continents du football permet d'une part, d'opérer un transfert de compétence en Chine qui rapatrie le savoir-faire à l'européenne et sud-américaine, puis d'autre part, de lui donner de la crédibilité quant à son « nouveau » penchant pour le football. Pour ce faire, nombreuses sont les entreprises chinoises qui investissent dans les clubs de football professionnels.

Aujourd'hui, on dénombre deux équipes appartenant à 100% à un groupe chinois. Il s'agit du FC Sochaux détenu par le groupe Ledus et du Salvia Prague en République Tchèque.

73 GODON PIERRE, « Le plan de la Chine pour devenir une superpuissance du football », Francetvinfo, 17/02/2016

74 « Quand le football chinois s'éveillera », Le Monde, 29 janvier 2016

75

De plus, la revue Ecofoot75 soutient dans son édition du 22 Décembre 2015 que le groupe chinoise CMC/Citic Capital a récemment acquis 13% de la maison mère de Manchester City, un des cadors du football anglais. On note également que le célèbre fabricant de jouet Rasta Group, détenu par le richissime Chen Yansheng, à pris une part importante dans l'actionnariat du club de l'Espanyol Barcelone. Enfin, il semble nécessaire de mentionner l'acquisition en partie du groupe chinois Wanda Group à hauteur de 20% du prestigieux club de l'Atlético Madrid, finaliste de la Champions League lors de la saison 2015-2016.

Hormis les investissements au sein des plus grandes écuries européennes, les clubs chinois investissent également massivement dans le recrutement de joueurs issues des cinq championnats majeurs du vieux continent. Alex Teixeira et Ramires ont été transféré respectivement du Shakhtar Donetsk et de Chelsea à Jiangsu pour la somme exorbitante de 50 millions d'euros et 28 millions d'euros selon le site Footmercato76. On note également le transfert de l'attaquant Lavezzi en provenance du PSG pour le club de Heibei China Fortune ou encore Martinez, transféré de l'Atlético Madrid au Guangzhou Evergrande. Les transferts de ces joueurs aux talents incontestables sont à l'image des prétentions de la Chine à concurrencer les autres acteurs majeurs du football mondial. On constate par ailleurs que la pratique s'est étendue jusqu'à l'autre bout de la planète puisqu'au dernier Mercato hivernal, le championnat brésilien s'est vu dépossédé des plus grandes stars brésiliennes, à l'image du club des Coranthians, où quatre titulaires de l'équipe ont fait leurs valises pour la Chine.

Le bilan prête à donner des sueurs froides quant à l'espoir des clubs européens et sud-américains de garder leurs plus grandes stars. En effet, au cours du dernier Mercato, la China Super League (CSL) a dépensé près de 360 millions de dollars, soit 100 millions de plus que la Premier League anglaise, pourtant acteur essentiel du Mercato.

Il en va donc de soi que la stratégie géopolitique de la Chine s'étend aux quatre coins de la planète. Il ne s'agit plus d'un enjeux purement national mais bien interplanétaire.

75 ALYCE ANTHONY, « Pourquoi les entreprises chinoises investissent-elles massivement dans le football ? », Ecofoot, 22 décembre 2015.

76 KAROURI KHALED, « Officiel : Le Jiangsu Suning explose les compteurs pour Alex Teixeira, », Footmercato, 2016

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En réunissant de nombreux articles et études s'intéressant aux motivations chinoises qui les poussent à investir dans le football, il en ressort l'idée principale que la Chine cherche avant tout à assouvir une forme de domination mondiale.

Les propos de Simon Chadwick77 et relayés par la revue Ecofoot78 vont en ce sens. Le recours aux investissements dans le football chinois ne se justifierait que par une volonté d'être reconnu comme une nation gagnante dans tout ce qu'elle entreprend. Le football serait donc un moyen d'affirmer ou de réaffirmer sa suprématie à travers le monde. La célèbre citation « le football n'est que la poursuite de la guerre par d'autres moyens » prend ici tout son sens.

Conformément à l'interview donné par Pascal Boniface, directeur de l'Instituts des Relations Internationale et Stratégiques (IRIS), au quotidien sportif de l'Equipe : « c'est humiliant pour la Chine de ne pas être compétitive dans le football »

Il y a donc fort à parier qu'aujourd'hui nos plus grands dirigeants utilisent le football comme un outil diplomatique.

La Chine semble avoir compris le caractère politique du football et des enjeux qui s'ensuivent. Néanmoins, force est d'admettre que le football asiatique est encore assez peu développé dans la région. Seulement deux pays peuvent se vanter de posséder une équipe compétitive. Il s'agit de la Corée du Sud, organisatrice de la Coupe du Monde 2002 ainsi que du frère ennemi numéro un de la Chine : le Japon. Alors que le baseball est le sport de référence au pays du soleil levant, le football japonais ne cesse de progresser. Il n'est plus rare de voir évoluer quelques joueurs japonais au sein des plus grandes équipes européennes. En prenant en compte les nombreuses tensions historiques entre la Chine et le japon, notamment par le combat que mène ces derniers dans la reconnaissance des îles Kouriles et Senkakus (îles japonaises que la Chine cherche à conquérir depuis plusieurs années). On peut donc supposer que le football chinois est un moyen efficace concurrencer son ennemi japonais.

De surcroît, l'enjeu géopolitique n'est pas restreint à la seule région asiatique. La Chine investit massivement dans le championnat chinois et cherche à constituer une équipe nationale compétitive en vue de jouir un jour d'un rayonnement planétaire. La médiatisation et

77 Enseignant-chercheur en sport business à la Coventry University Business School.

78 ALYCE ANTHONY, « Pourquoi les entreprises chinoises investissent-elles massivement dans le football ? », Ecofoot, 22 décembre 2015.

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l'engouement que génère le football semble être un bon moyen de diffuser le modèle chinois à travers ce sport. Le rêve du président Xi-Jiping d'organiser un jour la coupe du monde dans son propre pays n'est pas anodin. L'euphorie d'une telle compétition à échelle mondiale aurait des retombées positives non négligeables, tant sur le plan économique que politique. Le modèle chinois faisant actuellement l'objet de nombreux débats (dumping social ou l'entrave des droits de l'homme pour ne citer qu'eux), la médiatisation d'un tel évènement serait, sans nul doute, le moyen de pallier cette image négative dont la Chine peine à se défaire.

En tout état de cause, la Chine cherche à s'immiscer durablement dans le football professionnel quoi qu'en pense l'opinion publique. Cependant, il serait intéressant de se demander si cette bulle spéculative liée aux investissements soudains des chinois ne risque-t-elle pas un jour d'éclater ? Le football chinois est-il soutenable à long terme ?

Dans ce pays où le football est loin d'être culturel, les stades chinois peinent à faire venir des spectateurs. Les recettes de billetterie sont très maigres et ne permettent pas aux clubs de rééquilibrer leurs dépenses avec les achats de joueurs européens et sud-américains, souvent transférés à prix d'or.

Le risque serait de voir les investisseurs chinois se retirer du marché pour cause de désintéressement face à un sport qui est encore peu populaire en Chine. Ce scénario, fortement probable, serait un second échec de la Chine. Rappelons que la Chine a connu un premier échec en investissant une première fois dans le football. Or à l'époque, les effets escomptés n'étaient pas à la hauteur des espérances du gouvernement chinois.

Nous avons tenté de démontrer que le football est devenu une forme d'enjeu géopolitique pour les dirigeants des grandes nations. Analyser succinctement le cas du Qatar et de la Chine nous a permis de comprendre pourquoi le football est considéré comme un moyen d'exister sur la scène internationale.

Pour autant, le football est aussi le reflet d'un enjeu plus criant puisqu'il a la faculté de mettre en lumière certaines misères du monde et notamment de l'Afrique. Cela constitue l'objet de notre dernière étude.

78

Partie III - Entre rêve et désarroi, quel est l'avenir du football africain ?

3.1 Le bilan du football africain.

« On dit parfois que le football est un sport né en Europe dont l'Amérique du Sud a fait un art et l'Afrique une religion »79

Cette phrase pleine de sens tire sa source de l'article d'Ufolep, dédié à l'histoire du football Africain et de son évolution. Sport inventé par les britanniques et exporté au cours du 18ème siècles en Afrique, le football reflétait en premier lieu un désir d'affiliation à un mode de vie à l'européenne puis donna lieu à de nombreuses ségrégations raciales entre colonisateurs et colonisés. C'est en partie la raison pour laquelle, le football est devenu un moyen d'affirmation d'identité nationale.

Aujourd'hui, le football occupe une place importante dans le coeur des Africains puisqu'il représente un symbole fort pour la lutte en faveur l'indépendance. Comme l'observait Paul Dietschy80, auteur du livre - le Football et l'Afrique - « les histoires de la décolonisation négligent le fait que le sport ait pu être un instrument de diffusion de la conscience nationale. Or c'est un lieu où un combat symbolique peut être livré, alors même que la domination coloniale empêche toute autre forme de lutte dans le reste de la société ».

Actuellement constituée de 54 Etats souverains et d'une superficie totale de 30 415 873 km2, l'Afrique est incontestablement une terre du football. En dépit d'une ferveur sans précédent pour ce sport, qui a marqué l'histoire du continent Africain, le continent souffre d'un retard dans presque tous les domaines, excepté celui de la production de matière première. Malheureusement, le football africain n'échappe guère à cette règle.

Le continent est en mal d'investissement et manque cruellement de ressources. Ces carences en infrastructures et en équipements empêchent le football africain d'évoluer durablement. Ce fait que l'on ne peut nier explique en partie l'exil de nombreux jeunes africains vers l'Europe où l'enseignement du football est de meilleure qualité

79 GRAVILLON Isabelle, « Le football, une histoire africaine », En jeu une autre idée du sport, n° 437, Juin 2010, p. 10

80 Historien français, spécialisé dans le domaine du football.

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Malgré un amour infaillible envers le football, le sport de haut niveau nécessite des capacités de financement que le continent peine à trouver, hormis quelques efforts financiers de la part de certains Etats (nous pouvons citer par exemple l'Afrique du Sud). En tout état de cause, les clubs ne peuvent subvenir à leurs besoins tant les « recettes de billetterie » sont faibles voire inexistantes pour certains pays.

En tout et pour tout, les ventes de billet constituent au maximum 25% des recettes des « grands clubs » du continent. Cette insuffisance financière combinée à un manque évident de management implique de nombreuses conséquences désastreuses. Parmi les plus importantes, on note :

- Une insécurité globale dans lors des rencontres sportives 81 . L'exemple le plus marquant est sans doute la mésaventure vécue par la sélection nationale du Togo lors de la préparation à la Coupe d'Afrique des Nations lorsque le bus fut pris d'assaut par des assaillants à main armée. L'insécurité pourrait en partie s'expliquer par le manque d'investissement dans les modes de transports. D'après la revue de l'Union française des oeuvres laïques d'éducation sportive (Ufolep)82, le continent Africain est celui qui enregistre le plus d'incidents aux stades et aux abords dû à des rencontres de football. Entre 1991 et 2001 plus des 3/4 des incidents se sont déroulés en Afrique. En 2007 en Zambie, une rencontre a fait près de douze morts. On dénombre treize morts en 2008 au Congo et dix-neuf morts en 2009 en Côte d'ivoire. La première cause de ces évènements tragiques provient du fait que la plupart des stades sont non conformes aux règles de sécurité, mal entretenus, un service d'ordre inadapté ou en sous-effectif face à l'ampleur des certains évènements. Dans un constat général, les stades africains n'ont pas été construits et pensés pour des matchs de football. Ils se rapprochent plutôt des stades omnisports. A titre d'exemple, le stade du Cameroun, construit pour la dernière CAN en 1972, n'est aujourd'hui plus du tout adapté pour accueillir des rencontres footballistiques.

81 LOROT PASCAL et DAGUZAN JEAN-FRANCOIS, « Football, puissance, influence », Géoéconomie, vol n°54, été 2010, P. 27

82 GRAVILLON ISABELLE, « Le football, une histoire africaine », Union française des oeuvres laïques d'éducation sportive, vol n° 437 P. 11- 12.

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Les autres conséquences importantes sont les suivantes :

- Le fléau de la corruption83 (voir chapitre 3, partie III). La corruption est monnaie courante dans la plupart des pays du continent : matchs truqués, volatilisation de subventions, fausses factures, trafic de jeunes joueurs de football sont les pratiques que l'on retrouve très souvent dans la plupart des pays africains, empêchant le continent d'y développer un football sain. De surcroît, nombreux sont les dirigeants des Etats d'Afrique qui semblent réfractaires à tout effort dans ce domaine, minimisant pour quelques-uns d'entre eux, certains évènements tragiques qui se déroulent au sein de ces stades. En dépit d'actions visant à inverser la tendance, beaucoup de délégations africaines ferment les yeux sur des pratiques on ne peut plus calamiteuses.

- Le non-professionnalisme des équipes nationales et des clubs. En effet, « la tutelle politique » au sein des équipes est un fléau incessant dans le football africain. Le football est devenu « une arme de contrôle sociale et de mobilisation nationales ». Pour preuve, nombreuses sont les fédérations africaines où les dirigeants sont issus du pouvoir politique. Le football est donc devenu un moyen d'instrumentaliser un régime autoritaire. On se souvient bien évidemment du sort de la sélection nationale ivoirienne en 2000, lors d'une mauvaise prestation des joueurs, condamnés par le sulfureux président Robert Guei, à effectuer un séjour de quatre jours dans une caserne militaire. Cette peine disproportionnée, n'était que la sanction des contre-performances de l'équipe.

- Enfin, on dénote en Afrique très peu d'agents sportifs. Ceci trouve son explication dans la « quasi » non existence de cadres juridiques solides. De surcroît, les championnats africains ne permettent pas aux joueurs de se doter d'une protection, ce qui décourage bien évidemment les investisseurs et impacte sur le long terme la santé financière des clubs.

Ces conséquences aussi déplorables soient-elles, impliquent un phénomène récent et récurrent qui met en péril le football en Afrique. Il s'agit du « muscle drain », autrement dit l'exode des nouveaux talents africains.

83 LOROT PASCAL et DAGUZAN JEAN-FRANCOIS, « Football, puissance, influence », Géoéconomie, vol n°54, été 2010, P. 27

81

3.2 Le pillage des jeunes talents africains : le « muscle drain »

En raison d'un manque de développement du football africain et des nombreuses conséquences que cela engendre, ce sport voit apparaître au grand jour un nouveau type d'exode similaire au « brain drain » que l'on qualifie de fuite des cerveaux à l'étranger, attirés par les entreprises qui cherchent à se démarquer de leurs concurrents en captant les meilleurs talents. L'objectif premier est bien entendu d'améliorer la productivité globale de l'entreprise grâce aux qualités intrinsèques de ces talents

Le « muscle drain »84 est donc le terme utilisé pour évoquer l'exode des sportifs africains vers Europe avec l'espoir d'un avenir meilleur. Cette pratique est particulièrement monnaie courante en Afrique Subsaharienne. La principale raison de cet exode est essentiellement économique. Comme en témoignent les statistiques de l'Organisation des Nations Unies (ONU) et repris dans la revue « Géoéconomie : Football, puissance, influence », sur les 20 derniers pays au classement de l'indice de développement humain (IDH), 17 proviennent des pays de l'Afrique subsaharienne.

Dans ce contexte peu avantageux pour le développement du football en Afrique, bon nombre de jeunes ayant le rêve de fouler un jour les plus belles pelouses européennes et de jouer pour leurs sélections nationales, se voient dans l'obligation de quitter leurs pays d'origines.

L'étude menée par Afrique Football en 2004 montre que 555 joueurs issus d'Afrique évoluaient dans les championnats majeurs d'Europe. On comptait exactement à cette période : - 105 nigérians (de loin la nation d'Afrique la plus représenté dans le football européen).

- 84 camerounais.

- 59 ivoiriens.

- 58 sénégalais.

- 52 ghanéens.

Le pays accueillant le plus de joueurs issus du continent africain sont dans l'ordre :

84 LOROT Pascal et DAGUZAN Jean-François, Football, puissance, influence, Géoéconomie n°54, Choiseul, revue trimestrielle été 2010, p.22 - 30

82

- La France avec près de 130 joueurs en 2004.

- La Belgique, accueillant 80 joueurs africains.

- L'Angleterre avec 37 joueurs évoluant dans les différentes divisions.

- La Turquie, considérée sur le plan footballistique comme faisant partie de l'Europe

avec près de 35 joueurs.

- Les Pays-Bas avec 31 joueurs.

Le sous-développement du continent africain et l'exode de ces milliers de jeunes, conduits par un mélange de rêve et d'insouciance provoquent de nombreuses dérives notamment de la part des clubs européens qui n'hésitent pas à dénicher de nouveaux talents à prix dérisoire. En réalité, l'Europe profite indirectement du manque de moyens des ligues nationales africaines pour récupérer ses jeunes pépites. Les championnats nationaux n'ayant pas la possibilité d'offrir une formation de qualité aux jeunes joueurs (contrairement aux formations européennes), le choix semble simple pour ces adolescents. En tout état de cause, L'Afrique et l'Europe ne battent pas à armes égales, puisqu'il est très difficile, voire impossible, de retenir ces jeunes talents qui connaissent par coeur les différents championnats européens. Néanmoins, Henri Depireux85 attire l'attention sur le fait que « dans le monde du football, il y a beaucoup d'appelés pour très peu d'élus »86. Les jeunes voient l'Europe comme un eldorado où les chances de réussite sont élevées. Or, la réalité les rattrape tôt ou tard car la concurrence est très forte. Beaucoup croient en leurs rêves et bon nombre d'entre eux sont finalement déçus d'avoir échoué.

Pour autant, l'Afrique fut insufflé d'un nouvel élan grâce à l'organisation de la Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud. Cet événement exceptionnel a permis au continent d'être médiatisé tout au long de la compétition. Cependant, il serait intéressant d'analyser l'après Coupe du Monde et les retombées économiques et sociales sur le football africain. L'attribution de ce tournoi international pour la première fois sur le continent africain aurait dû être l'aubaine du développement du football en Afrique. Or, l'effet escompté d'un tel évènement n'a pas eu le succès qu'on lui prédisait. En effet, le printemps arabe et les nombreux conflits territoriaux ont entaché en partie les espoirs d'un avenir meilleur puisque le football africain stagne encore à l'heure actuelle. Comme l'atteste François Hilbrandt, expert Sport, dans les colonnes de l'Equipe : « la tendance est négative depuis le Mondial.

85 Ancien football et entraineur belge.

86 SAUSSEZ Isabelle, « L'Afrique sur la touche du football mondial », le courrier ACP-UE, Juillet-Aout 2002

83

Le printemps arabe a interrompu le décollage des clubs ». Les tensions ethniques et politiques ont sans doute refroidi les investisseurs notamment chinois et américains qui semblaient pourtant intéressés par des projets d'investissement. Il est donc évident que le lien entre le développement du football et la stabilité économique et politique est très étroit.

On pourrait donc se demander si l'Afrique n'est-elle pas condamnée à une forme de fatalisme qui l'empêcherait toute évolution positive tant sur le plan sportif, politique, économique et social. Doit-t-on considérer l'Afrique comme une cause perdue ? Le reste du monde a-t-il un rôle dans le développement du football africain ? Dans quelle mesure pouvons-nous agir pour aider le continent ? Doit-on privilégier en premier lieu une aide purement financière ou aider socialement les pays à se tourner vers un modernisme qui leur permettraient d'établir de nouvelles bases saines, propices au bon développement du football ?

Pour répondre à ces nombreuses interrogations, il est nécessaire de trouver des solutions.

3.3 Quelles solutions sont envisageables ?

Dans cette troisième sous-partie, il convient d'apporter des solutions réalistes, applicables et durables afin de donner à l'Afrique les armes nécessaires pour y développer son football sur son territoire.

Pour ce faire, plusieurs organisations ont un rôle clef à jouer, notamment la plus haute instance du football mondiale, la FIFA.

Comme le rappelle l'instance, son objectif premier est de « renforcer les compétences et à professionnaliser les acteurs du football ». Pour autant, les actions de la FIFA ne visent pas seulement les acteurs directs du ballon rond tels que les formateurs, les directeurs techniques ou les arbitres mais visent aussi à la création de séminaires et de nouvelles formations pour tous les métiers en lien avec le football comme par exemple la presse écrite, les commentateurs sportifs ou les photographes. Il y a donc une volonté de supervision au-delà des simples frontières du football. Le premier objectif est d'améliorer efficacement la qualité de couverture des grands événements afin d'en donner un rayonnement planétaire.

84

Enfin, la FIFA met un point d'honneur dans la transmission du savoir-faire et des connaissances au profit du football africain grâce à la mise en place en Afrique d'un centre international d'étude du sport (CIES).

Un programme mis en place par la FIFA en 1999 attire tout particulièrement notre attention. Il s'agit du projet « GOAL » qui vise essentiellement à développer le football dans les pays en voie de développement, dépourvus d'infrastructures et d'équipements. Le programme GOAL est décomposé de la manière suivante:

- Le premier objectif est d'assurer l'autonomie des fédérations nationales africaines puis d'apporter un soutien financier aux différentes associations. Depuis sa création, le programme a permis la création de 700 installations. Le projet fut élevé à 100 millions de franc suisses permettant de couvrir entre 80 et 120 projets de développement.

- La Fédération Internationale Football Association (FIFA) redistribue ses fonds aux ligues nationales pour y développer essentiellement :

? Les stades (rénovation et/ou construction).

? Les pelouses.

? Les centres de formations.

? Amélioration de la médecine sportive.

? Apporter une aide d'urgence aux associations touchées par des catastrophes

naturelles (séismes, tsunamis, sécheresses) ou humanitaires

De surcroît, un second programme fut développé à l'initiative de la FIFA. Il s'agit du projet nommé « Gagner en Afrique avec l'Afrique87 ». Mis en place en 2006, un fond de 70 millions de dollars ayant été débloqué par l'instance, afin de développer le football en Afrique. Ce budget pharaonique a permis entre autre de :

- Réaliser 52 terrains en gazon artificiel pour tous les membres de la Confédération Africaine de Football (CAF).

87 http://fr.fifa.com/mm/goalproject/WinAF_F.pdf

85

- Professionnaliser en partie le football africain à l'aide des fonds financier redistribués aux ligues nationales.

- Soutenir le pays organisateur en 2010 de la Coupe du Monde : l'Afrique du Sud.

- D'offrir des formations de qualité en management sportif afin de préparer au mieux

les acteurs directs du football, grâce au centre international d'étude du sport (CIES).

- Mettre en place un réel programme de recherche et de sensibilisation dans le domaine

médical.

On peut donc considérer que la FIFA met un poing d'honneur quant à l'avenir de l'Afrique, qui de toute évidence ne peut s'auto-entretenir. En dépit de bonnes volontés, nous pouvons néanmoins apporter la critique suivante : Les actions menées par la FIFA peuvent paraître parfois obsolètes. A l'image du projet GOAL datant de 1999, il est certain que les problèmes en Afrique ont évolué. A titre d'exemple, aucun des deux programmes ne mentionne des solutions liées aux nombreux problèmes de corruption qui gangrènent le football africain (cf. Chapitre III partie III). Au même titre, les tensions religieuses et les problèmes de terrorisme dans plupart des pays qui composent l'Afrique, semblent être un enjeu majeur auquel il faut trouver de nouvelles solutions. Il est donc nécessaire que la FIFA réadapte ses programmes en prenant en compte ces nouveaux paramètres.

En dehors des multiples actions conduites par la FIFA, d'autres organismes se sont penchés sur la question afin de trouver des solutions en adéquation avec les maux dont souffre le continent africain.

L'étude menée en collaboration par l'agence Kurt Salmon et Euromed Management, intitulé « Finances & Perspectives » vise à émettre des propositions pour améliorer le football local.

Kurt Salmon est un cabinet de conseil visant à élaborer des stratégies et des solutions pertinentes. Membre du Management Consulting Group, le cabinet est spécialisé dans le conseil en management et stratégie des organisations. L'organisation opère aujourd'hui sur cinq continents.

Euromed Management est une grande école en management et entreprenariat. Elle est également un pôle de recherche dans les métiers en management des spectacles sportifs, des loisirs et des média.

86

La contribution de ces deux organes pourrait permettre de régler beaucoup de problèmes et pallier de nombreuses carences.

Dans un premier temps, les travaux empiriques mettent en avant l'importance d'une organisation rigoureuse au sein des championnats africains. Cela passe par une cohérence dans l'organisation et la programmation des matchs. Le développement économique du continent passe inévitablement par la mise en place d'un calendrier à respecter rigoureusement. En effet, comme l'atteste Henri Stambouli, ex-entraineur de la sélection nationale du Togo, du Mali et de la Guinée, « en matière de gestion des calendriers des compétitions, il arrive trop souvent que les intérêts privés l'emportent sur l'intérêt général, ce qui nuit au développement des championnats locaux. » 88

Le second axe de réflexion et qui peut être considéré comme une solution au développement du football africain est le passage des clubs au professionnalisme. Pour ce faire, une importance capitale doit être accordée à la structuration des Ligues. Actuellement, le statut d'un joueur est très imprécis en Afrique, tout comme le marché des transferts des joueurs entre clubs. L'objectif via le programme « GOAL » et « Gagner en Afrique avec l'Afrique » vise à l'homogénéisation des structurations des ligues afin de passer de l'amateurisme au professionnalisme.

Les ligues professionnelles ont donc un rôle important à jouer dans le développement du football africain, notamment en mutualisant les activités des clubs. Comme le souligne les propos de Jean-Luc Gripond, président de SportVision et instructeur à la FIFA, « je crois aux vertus de la mutualisation sur tout ce qui touche le commercial, par exemple en matière de sponsoring au niveau d'une ligue ». Trouver de nouveaux partenariats afin de coopérer avec les clubs permettra sans nul doute le développement du football. La mutualisation peut être aussi au niveau de la communication avec la mise en place, par exemple, d'un site internet afin de diffuser l'image du club via le web et les réseaux sociaux.

Une autre solution retenue par les deux agences est de mettre en place une stratégie de « win-win » (gagnant-gagnant) grâce à une collaboration entre les clubs et les diffuseurs.

88 CHAUDEL Vincent et MALTESE Lionel, « Finance & perspectives », Football Professionnel, Juin 2010 p.57

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Le développement durable du football africain passe indubitablement par la création d'un partenariat entre les clubs et les diffuseurs TV, permettant de créer des revenus. Ces nouveaux profits pourront être ensuite réinvestis dans la formation des joueurs pour les conserver mais aussi dans le déploiement de nouvelles structures du club (infrastructures ou renouvellement de l'effectif par exemple).

Bien évidemment, les revenus football dépendant essentiellement des diffusions de droit TV (cf. Chapitre I, partie I). L'impact serait sans nul doute positif ce qui permettrait de booster les recettes de sponsoring et de publicité.

Pour qu'un partenariat soit conclu entre les clubs et les diffuseurs, il est nécessaire que ce dernier y voit aussi son propre intérêt. Cela signifie que les détenteurs des droits (clubs) doivent prouver leur professionnalisme et la bonne image de leur club. Comme le soutenait Gabriel Bartolini, directeur de l'agence de marketing African Football Factory, « un travail de pédagogie doit être réalisé pour expliquer aux parties prenantes que le succès d'un partenariat repose sur le détenteur de droits qui s'engage à faire un certain nombre d'opérations au profit de l'acquéreur de droits ».

Enfin le dernier axe de réflexion et non des moindres, concerne l'effort de chaque pays à investir dans de nouvelles infrastructures. Pour répondre à cette exigence, qui semble être le moteur du prochain décollage du football africain, il est important de l'analyser sous trois angles :

- Le premier enjeu est de convaincre les Etats à investir dans de nouvelles infrastructures. Le football étant une « religion » en Afrique, beaucoup de dirigeants souhaitent voir des résultats sur le court terme et se soucient peu d'investir dans de nouvelles infrastructures qui supposent des investissements sur le long terme. De toute évidence, ils semblent ne pas faire de lien entre résultats sportifs et les conditions nécessaires pour y parvenir. Or, « les bons outils font les bons ouvriers ». L'objectif est donc de convaincre l'opinion publique que seuls les investissements profonds seront facteurs de développement du football.

- Le second enjeu est de réadapter les stades construits lors des compétitions internationales. Beaucoup de stades, trop grands et mal conçus sont souvent

88

inadéquats aux championnats nationaux. Leurs coûts d'entretien sont très chers et leurs positions géographiques, loin des villes, dissuadent les supporters à se déplacer aux stades pour y soutenir leur équipe.

- Enfin une dernière possibilité serait de mutualiser les stades et les équipements. Dans un constat général, beaucoup de clubs évoluent dans la même agglomération. Utiliser le même stade pour plusieurs équipes serait une solution économique et logistique.

Afin de procéder au développement d'un club, tous les acteurs du football doivent intervenir ensemble. C'est d'ailleurs un des rôles premier de la Confédération Africaine de Football (CAF) ou de la Fédération International Football Association (FIFA) qui ont un rôle majeur dans la professionnalisation des clubs africains. Les pouvoirs de ces deux instances permettraient de mettre en place des fonctions administratives et des statuts juridiques adaptés. Par le biais de l'imposition de « standards administratifs » au sein des clubs, cela poussera ces derniers à se professionnaliser. D'autre part, les clubs eux-mêmes ont un rôle primordial dans leurs propres réussites. En tout état de cause, chaque club doit imposer une rigoureuse politique marketing.

La politique marketing d'un club doit en premier lieu répondre à un objectif : créer et développer une fidélité au club via ses supporters. Ces derniers sont des moteurs de croissance indispensables. Considérés comme le douzième homme d'une équipe, les supporters génèrent beaucoup de profits pour les clubs tels que les recettes de billetteries et les ventes des droits de retransmission TV (cf. Chapitre I partie I).

A l'heure où la digitalisation est l'essence même de notre avenir, chaque club doit développer un outil internet intégrant les activités du club, les dernières infos sur l'équipe, un portail d'accès pour acheter des billets sur internet et même une boutique en ligne permettant d'acheter des produits dérivés. Le but est simple : promouvoir le club. Internet est donc un des outils les plus efficaces pour développer du marketing. Se résoudre à ne pas utiliser ces nouvelles technologies qui révolutionnent un peu plus chaque jour notre monde, serait certainement une grave erreur, tant les manques à gagner seraient importants pour le club. A ce jour le constat est on ne peut plus clair : le nombre de clubs ayant un site internet est très faible en Afrique. D'après la même étude menée par Kurt Salmon et Euromed Management89,

89 CHAUDEL Vincent et MALTESE Lionel, « Finance & perspectives », Football Professionnel, Juin 2010 p.67

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sur les 24 pays africains, seulement 27% des clubs disposaient d'un site internet. Force est de constater qu'un site internet assure des retombées positives pour un club. En effet, la corrélation semble forte puisque les championnats africains les plus développés sont ceux qui possèdent un site internet. Les clubs du championnat sud-africain, ayant investi massivement dans le e-marketing sont les plus attractifs du continent.

En définitive, le retard de développement du football africain n'est une surprise pour personne. Le continent peine à investir, miné par d'innombrables problèmes dont la famine, le sida, le faible indice de développement humain, le taux élevé de mortalité ou encore les maladies infantiles. Pour autant, les perspectives d'un avenir meilleur ne font pas l'ombre d'un doute. Le football africain est vécu avec une véritable ferveur. Toutefois, le branle-bas de combat que doivent mener les clubs et toutes les instances du football, ainsi que les Etat, doivent rendre le football africain compétitif et attractif. Grâce à l'appui de poids de « Football For Hope » mis en place à l'initiative de la FIFA, 93 programmes aident le football africain à se développer. Le chemin est encore long mais comme l'assure le secrétaire général des Nations Unies, Monsieur Ban Ki-moon, lors d'une rencontre annuelle avec l'ex-président de la FIFA Monsieur Sepp Blatter, « le football est un sport tout en simplicité et en finesse. Il touche tout le monde, hommes et femmes, et se joue pratiquement partout. Qu'il s'agisse d'un événement sportif à grande échelle comme la coupe du monde de la FIFA ou d'un match de rue improvisé, le football a le pouvoir d'instiller la confiance, l'espoir et la fierté chez les personnes les moins favorisées, et d'encourager le travail en équipe ainsi que l'aide envers autrui ».

Ces paroles pleines de bons sens et d'humilité raisonnent comme un appel à un renouveau pour le continent africain dont les perspectives d'un avenir meilleur ne font nul doute.

Pour conclure ce chapitre on peut admettre que le football est également devenu un enjeu géostratégique très important. Nos dirigeants s'empressent d'utiliser ce sport pour diffuser leur propre modèle et jouir d'un rayonnement international. Les intérêts politiques et économiques ont-ils pris le pas sur le sport ? Le football est-il victime de son succès entrainant de nombreux vices ? Les hommes politiques utiliseraient-ils le football pour répandre un peu plus leur soif de domination ? Le football est-il le moyen le plus efficace de diffuser son idéologie et son modèle ? L'analyse succincte du Qatar et de la Chine nous pousse à croire que le football est un outil purement géopolitique.

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D'autre part, le football est devenu une forme de retranscription de la misère du monde. Le développement tardif de l'Afrique était l'exemple parfait. Le continent souffre toujours d'un manque d'investissement criant, ne lui laissant aucune chance de se développer. Pour autant, les opportunités de réussite en Afrique ne manquent pas. C'est pour cette raison que le football est devenu un enjeu géostratégique de poids, visant à développer durablement le continent. Au même titre que les aides humanitaires des grandes organisations mondiales tel que l'ONU, le football peut apporter sa pierre à l'édifice dans le développement de l'Afrique. S'armer de patience et d'espoir sont les maitres mots qui rendront ce que l'Afrique a toujours prétendue être : une terre du football.

L'analyse de cette dernière sous-partie avec l'instabilité générale qui y règne en Afrique, incite certains à profiter de cette situation pour enfreindre les règles et créer un véritable business.

En effet, depuis peu une véritable économie souterraine s'est développée autour du football. On note alors divers réseaux criminels. Corruption, trucages des matchs et esclavage moderne sont malheureusement affilié au monde du football.

L'objet de ce chapitre est de comprendre quelles sont les nouvelles pratiques dont le football se serait bien passé. Dans une première partie, nous retournerons en Afrique puis au Qatar pour analyser une pratique que l'on pourrait parfaitement l'assimiler à de l'esclavage moderne : la traite d'être humain.

Pour ce faire, nous analyserons dans un premier temps le destin tragique de ces jeunes talents africains, pour la plupart abandonnés par la société et influencés par des malfrats peu scrupuleux.

D'autre part, nous ferons le point sur les dessous de la prochaine Coupe du Monde 2022 au Qatar, qui exploite des immigrés venus pour la plupart d'Asie et dont les rêves d'un avenir meilleur sont détruits par ces entreprises qui les sous-exploitent.

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Chapitre III : Coups francs et coups bas : les controverses du football moderne

Partie I - L'esclavage moderne dans le football

1.1 Les dérives du football à travers le trafic des joueurs africains

« Le foot est un jeu avant un produit, un spectacle avant un business et un sport avant un marché » tel sont les propos lancé par Michel Platini, ex-président de la plus haute instance du football européen, l'UEFA, et soupçonné depuis peu de corruption. Cette vision idyllique du football reflète-t-elle vraiment la réalité ? Tout laisse à penser que non. En effet, un nouveau fléau bouleverse au plus haut point le football mondial. Pratique répandue en Amérique du Sud et en Afrique, le trafic de jeunes joueurs de football ne surprend plus personne. Elle est même devenue monnaie courante à tel point que bon nombre de joueurs professionnels, évoluant dans les clubs les plus prestigieux d'Europe, sont issus de ce phénomène. A qui profite le crime ? Comment s'organise ce trafic ? Quelles sont les solutions pour éradiquer cette tendance qui gangrène de ce sport ?

L'objet de cette partie est d'apporter une réflexion analytique afin de comprendre comment le football business peut pousser aux vices allant jusqu'au trafic d'humains.

Dans un premier temps, il est important de comprendre pourquoi les jeunes footballeurs africains cherchent à rejoindre l'Europe.

Les raisons de la migration internationale des footballeurs africains sont économiques mais aussi culturelles (nous l'avons développé précédemment). Comme le souligne les travaux réalisés par l'organisation « We are football », le lien entre réussite scolaire et insertion professionnelle n'est pas évident en Afrique. Par conséquent, voir des joueurs africains, ayant grandi en Afrique et évoluant aujourd'hui dans les plus grands clubs européens, pousse la société locale à considérer le football comme un métier à part entière. Nombreuses sont les familles qui poussent leurs enfants à devenir footballeur, au détriment des études. Dans ces pays, le football est considéré comme étant un moyen de départ pour l'Europe avec l'espoir d'un avenir meilleur. D'après Raffaele Poli, géographe spécialisé dans les mouvements migratoires africains, ce facteur expliquerait le nombre rocambolesque de centres de

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formation en Afrique, afin de faire partir ses jeunes prodiges. A cela s'ajoute, bien évidemment, les medias africains, qui ne relatent que les succès des joueurs ayant réussi en Europe, laissant de côté tous ceux qui ont échoué et donnant l'impression que le rêve d'atteindre le « saint graal » européen est bel et bien possible.

Le football n'est donc pas interprété de la même manière dans les différentes sociétés du monde. Simple divertissement pour certaines personnes, échappatoire pour d'autres, le football peut être assimilé à un moyen d'ascension sociale, une perspective d'amélioration du niveau de vie. Ces raisons poussent bien évidemment certaines personnes malhonnêtes au vice, utilisant le football comme un business lucratif aux dépens des jeunes. Le trafic de mineurs footballeurs peut être assimilé à une forme d'esclavage tant le traitement infligé à ces enfants est déplorable.

Pour comprendre les enjeux de ce nouveau phénomène, il est primordial de pouvoir le caractériser à l'aide d'une définition rigoureuse afin d'éviter toute mauvaise interprétation.

D'après le site internet Humanium90, « Le trafic ou la traite des enfants se caractérise par le recrutement, le transport, le transfert et l'hébergement de toute personne par différents procédés. Il peut notamment s'agir de recourir à la force ou à toutes autres formes de contrainte, par l'enlèvement, la tromperie, la fraude, ainsi que l'abus d'autorité».

Les enfants sont détenus par des organisations criminelles, qui agissent dans la plupart du temps, via un réseau international. Ces groupes profitent souvent des instabilités économiques et politiques du pays caractérisés par la pauvreté, les crises humanitaires, le manque d'éducation, les défauts d'enregistrement à la naissance ou encore les législations inadaptées pour agir en toute impunité.

Bien qu'aujourd'hui le phénomène soit universel, le constat est édifiant : les pays du sud sont plus durement touchés par cette tendance que les pays du nord. Nul doute que le rapprochement entre les pays du nord riches et les pays du sud plus pauvres, peut expliquer en partie les droits bafoués des enfants.

90 http://www.humanium.org/fr/focus/exploitation/trafic-enfants/

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La cartographie, ci-dessous, reflète largement ce constat.

L'Afrique bat donc un triste record. Le continent concentre à lui seul les plus graves situations de trafic d'enfants. Le trafic de jeunes joueurs africains est un problème récurrent. D'après les statistiques réalisées par l'association de lutte pour la protection des jeunes joueurs de football « foot solidaire »91, on estime que 15 000 mineurs africains quittent chaque année le continent pour tenter de rejoindre l'Europe. Près de 1,5 millions d'entre eux, s'entrainent dans des académies sans moyens, dans l'unique but de se préparer pour immigrer. Le rêve tourne d'autant plus très souvent à la désillusion puisque environ 70% d'entre eux échouent en Europe.

Il existe trois facteurs pouvant expliquer pourquoi les jeunes talents sont contraints à immigrer vers Europe et donc à être influencés par les réseaux criminels qui tentent de les faire passer. Nous pouvons constater qu'il y a un facteur économique, culturel, moral et médiatique.

- Le premier facteur expliquant le trafic des joueurs africains vers l'Europe et qui fut l'objet d'une étude antérieure (cf. chapitre II partie III) est sans doute le manque de

91 ALBERS MARIE LOUISE, « Fighting for the lost football kids », play the game, 2014

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moyen en infrastructure et équipement. Ce facteur déterminant pousse les jeunes à vouloir partir pour des pays mieux équipés. Or la majorité de ces jeunes n'ont aucune ressource pour atteindre leur rêve. Ils se retournent donc auprès d'un réseau de passeur, qui prétend garantir l'Eldorado.

- Les disparités de richesse entre les pays du nord et les pays du sud avec d'un côté l'Europe industrialisée et moderne qui offre un enseignement de qualité et de l'autre côté l'Afrique et l'Amérique du sud, à l'origine des flux migratoires vers les pays plus riches. Mais ces mouvements, dont l'aspect économique ne fait aucun doute, s'expliquent aussi pour des raisons culturelles. En effet la migration des footballeurs est corrélée à l'histoire coloniale. C'est donc la raison pour laquelle les footballeurs africains sont présents dans la plupart des championnats Européen en fonction de la culture. Le tableau « surreprésentation par rapport à l'indépendance » issu de l'article We are football 92 publié par Raffaele Poli, reflète bien nos propos : il y a plus de joueurs d'Afrique francophone en France et en Belgique et plus de joueurs d'Afrique occidentale ( qui parlent donc anglais) dans les championnats anglais et écossais.

Nous pouvons donc penser que les réseaux prennent en compte ce passé historique entre les pays colonisés et les pays colonisateurs pour influencer ces jeunes à passer les frontières pour atteindre l'Europe.

- Hormis l'importance du trafic de jeunes enfants en Afrique, la pratique est de plus en plus répandue en raison de l'accueil « chaleureux » des clubs Européens envers ces prodiges. Le marché des joueurs est assimilable au marché classique. La quantité offerte (joueurs) n'est que la résultante de la quantité demandée (clubs). Si le

92 POLI. R, « Migration et commerce de footballeurs africains : aspects historique, géographiques et culturels », We are football, p. 9

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phénomène s'est intensifié, c'est en raison de certains clubs peu regardants sur la provenance du joueur. Il est important de distinguer les différentes pratiques : celle d'un mineur, arrivant légalement dans le centre de formation d'un club professionnel et ceux qui sont en marge de la société, manipulés par des agents aux compétences douteuses, qui n'hésitent pas à faire de nombreuses promesses sportives. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle de nombreux scandales ont éclaté dans divers clubs et même au sein de très grandes institutions du football européen à l'image du FC Barcelone, empêchée durant deux années consécutives d'acheter des joueurs sur le mercato hivernal et estival pour cause d'affaires de transferts d'enfants mineurs.

- Le football est lui-même victime de son succès. La mondialisation, la sur médiatisation, la dérégulation aggrave le trafic d'enfant footballeur.

- La propagation de cette « gangrène » qui compromet significativement la beauté du football, s'explique bien évidemment par la non prise de conscience d'un tel phénomène. Alors que les plus hautes instances cherchent des solutions adéquates, le trafic de mineurs africains est encore mal connu du grand public.

- Enfin, un facteur indirect mais aux conséquences certaines : La faible représentation des délégations africaines au sein de la FIFA se traduit par un déséquilibre entre la position hégémonique de l'Europe, d'une part et l'impuissance de l'Afrique, d'autre part. Comme le prouve le rapport établi par l'agence Foot solidaire « L'UEFA1 avec 53 fédérations disposait de 8 membres au comité exécutif de la FIFA2 sur 24 lorsque la CAF3 avec 54 fédérations n'en avait que 4, une situation anormale. »93

1.2 Les solutions pour stopper le trafic d'enfants footballeurs africains.

Aux grands maux les grands remèdes, les solutions à mettre en place par les plus grandes instances du football ne manquent pas. En dépit d'un trafic provenant incontestablement d'un football business où l'argent coule à flot, l'organisation parfois précaire de ce dernier est propice à de nombreuses solutions.

Premièrement, sensibiliser les jeunes africains semble être l'action la plus importante. Il est nécessaire d'exposer la réalité de ce phénomène au grand public par des moyens de prévention. Un enfant est une proie facile pour les agents. Faire prendre conscience à ces

93 http://www.footsolidaire.org/actions-foot-solidaire/conference-2015

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jeunes du sort que leurs réservent ces faussaires mal intentionnés, permettrait de réduire ce phénomène. Le but n'est pas de briser les rêves de ces jeunes, mais de leurs ouvrir les yeux sur les réels dangers qu'ils peuvent subir.

L'Afrique est sans aucun doute le « continent d'avenir », tant les opportunités de réussite sont grandes. Pour autant, elle souffre d'un manque d'institutions, expliquant par exemple des difficultés à obtenir des analyses, des prévisions ou des statistiques fiables. Créer un observatoire permettant d'étudier le problème des trafics des jeunes joueurs de football serait une solution à privilégier. Ce projet, en somme réaliste, permettrait de comprendre plus précisément l'ampleur du problème afin de trouver les solutions les plus adéquates.

La raison évidente expliquant l'ampleur du trafic de jeunes enfants s'explique par la flexibilité du cadre juridique des pays où s'intensifie la pratique. Hormis des actions sportives et préventives, instaurer un cadre juridique adapté dans tous les Etats d'Afrique permettrait de vaincre la pratique. Cette solution repose donc principalement sur la coopération des Etats et des efforts à réaliser pour parvenir à cet objectif commun. Pour ce faire, les différents gouvernements africains ne doivent plus fermer les yeux sur le phénomène.

L'anéantissement du trafic des jeunes joueurs nécessite en amont, l'encadrement des académies dites « privées ». A défaut de posséder des stades salubres et conformes aux règles de sécurité, il existe à chaque coin de rue, des pseudos « académies privées » n'ayant pour la plupart, aucun lien direct avec les clubs ni même les fédérations des pays concernés. Ces académies agissent très souvent contre la loi mais sont rarement sanctionnées. Par ailleurs, à l'heure actuelle, aucune procédure n'a été prise pour contrôler leur fonctionnement. La FIFA étant alertée sur ce nouveau phénomène, la démarche de suppression de ces académies est à prévoir en urgence.

La FIFA, dont le rôle premier est de mettre en place des règlements afin de garantir un développement sain du football, est la pièce maitresse contre la lutte du trafic en Afrique. Celle-ci doit donc mettre en place des règles plus restrictives concernant les transferts des jeunes de moins de 18 ans. Ayant déjà mis au point un règlement sur le marché des transferts en 2001 concernant les jeunes, trois exceptions permettaient de transférer des mineurs selon ces conditions :

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- Si les parents du mineur s'installent dans le pays du club pour des raisons étrangères au football.

- Si le transfert du mineur a eu lieu à l'intérieur de l'Union Européenne ou au sein de l'Espace Economique Européen.

- Si le joueur vit à 50 km au plus d'une frontière nationale et si le club où l'enfant sera intégré est situé à une distance maximum de 50 km de la frontière.

En raison de l'ampleur grandissante du phénomène de trafic des joueurs et de la facilité avec laquelle les « passeurs » transfèrent les mineurs en Europe, le règlement de la FIFA est probablement obsolète. L'instance devrait ainsi revoir le règlement et l'adapter afin que ce dernier soit plus restrictif.

De surcroît, un moyen de contrôle efficace doit être mis en place. La solution retenue est d'appliquer un système de traçabilité des joueurs pour contrôler les flux. Cette solution est en partie réalisée puisque l'association Foot Solidaire a mis en place depuis le 1er Mars 2015 l'opération « Ballon au pied, passeport en main » afin de régulariser la situation des jeunes joueurs.

Enfin un certain nombre de mesures en aval permettraient de réguler plus efficacement le football comme par exemple un programme d'insertion pour les jeunes joueurs africains arrivant dans les clubs européens ou encore que la mise en place d'un moyen de contrôle lors de l'homologation des contrats.

En définitive, l'analyse du trafic de jeunes mineurs africains montre l'évolution du football moderne et des dérives dont il peut être victime. Le football cache d'innombrables méfaits et pratiques qui attisent la colère et l'indignation de l'opinion publique. Les termes assimilés fréquemment à ce sport tel que « argent » « corruption » « trafic » « business » décrédibilisent le football qui pourtant diffuse des valeurs telles que la solidarité, le fair-play et le respect d'autrui. Force est d'admettre que le football que l'on regarde à la télévision ou au stade, entre amis, collègues ou famille n'est que la partie visible de l'iceberg. Assurément victime de son succès, le football est propice à de nombreuses dérives. Faire une étude sur le trafic des joueurs mineurs prenant en compte les raisons expliquant son développement et les solutions qui peuvent être retenues pour éradiquer ce phénomène, permet d'attirer l'attention sur cette pratique trop peu médiatisée, sans doute cachée par la sur-médiatisation des soupçons de

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corruption aux seins des grandes instances du football. Néanmoins, l'objectif n'en est pas moins actuel. Le football a un rôle fondamental dans le développement social de notre planète, qu'il soit sur le terrain ou en dehors.

1.3 La face cachée de la Coupe du Monde 2022 au Qatar.

Depuis la création de la Coupe du Monde, le football fait l'objet de nouveaux débats médiatiques. Premièrement, de nombreuses enquêtes soupçonnent que l'organisation de cette compétition internationale soit au coeur de plusieurs scandales comme par exemple la corruption, les pots-de-vin et des abus de pouvoir. Le nouveau terme de FIFAGATE ne surprend plus personne. Récemment, le Qatar a été choisi pour organiser la prochaine édition en 2022. Bien évidemment, tout laisse à penser que le procédé d'attribution des voix ne s'est pas fait dans les règles de l'art. L'étrange issue de ce vote a provoqué de nombreuses réactions de contestations et d'indignations de la part des plus grands experts du football. Ceci étant, nous exclurons de notre analyse le problème des conditions d'attribution de la Coupe du Monde et des suspicions de corruption en tout genre, tant les informations disponibles sont maigres en raison des enquêtes encore en cours. En revanche, nous analyserons les dessous de l'organisation de la compétition. Comment le Qatar va-t-il relever le défi ? Quels sont les moyens mis en oeuvre ? Le tournoi cacherait-il une réalité que l'on connaît peu ?

Après avoir pointé du doigt l'émergence des trafics d'enfants africains comme nouveau fléau du football moderne, cette seconde sous-partie vise à analyser des nouvelles dérives encore peu connues mais, ô combien déplorables : il s'agit de la traite des travailleurs immigrés au Qatar.

Depuis l'annonce de la nomination du Qatar pour organiser cette prestigieuse compétition, réunissant la planète entière, le Qatar s'est fixé un nouveau un défi gargantuesque : rassembler toutes les conditions nécessaires pour accueillir la compétition.

Nouveaux stades, plus grands et conformes aux règles de sécurité, nouveaux camps d'entrainements pour accueillir les différentes équipes de la compétition, nouveaux hôtels pour réceptionner les supporters étrangers, sont donc les nouveaux objectifs que doivent atteindre le pays en seulement six ans. Ce pari fou, ne fait cependant pas peur au royaume où,

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comme nous l'indiquions précédemment, tous les rêves les plus inimaginables sont possibles. Mais à quel prix ?

Un rapport d'enquête mené par l'organisme militant des droits de l'homme, Amnesty International, nous laisse dubitatifs quant à la bonne préparation de la Coupe du Monde.

En effet, l'étude réalisée rapporte les conditions dans lesquelles les travailleurs immigrés sont confrontés au quotidien. Lors de cette investigation, près d'une centaine de personnes ont été (et sont encore) victimes de violation des droits de l'homme de la part des entreprises qui les emploient, notamment sur les chantiers de rénovation de stades comme celui du stade Khalifa par exemple.

Le rapport révèle que la plupart des travailleurs viennent d'Asie du Sud et vivent illégalement sur le territoire qatari.

Beaucoup d'entre eux ont décidé de quitter leur pays, dans l'espoir d'un avenir meilleur au Qatar. Mais en réalité, la plupart d'entre eux déchantent en découvrant la réalité qui les attend. Et pour preuve, les conditions de détentions sont déplorable, tant le traitement se révèle inhumain.

En premier lieu, il est nécessaire d'évoquer un phénomène que l'on croyait disparu depuis des années : le système de Kafala94, plus connu sous le nom de « parrainage ».

Lorsqu'un immigré arrive au Qatar pour trouver du travail, ce dernier est soumis à un système de surveillance. Cela signifie que l'employé migrant non qualifié dépendra de son employeur. En d'autres termes, le travailleur se retrouve sous la tutelle de son employeur. Pour que le travailleur immigré puisse changer d'emploi, il doit en faire demande auprès de son « parrain », qui bien évidemment refuse la plupart du temps. Un employé qui n'est plus parrainé par son employeur, risque d'être expulsé du territoire.

Le travailleur immigré se retrouve ainsi dans une situation de « non-choix ».

Dans ce contexte, employer le mot « d'esclavage » pour qualifier de tels agissements semble être adéquat étant donné la situation.

94 BARBANCEY PIERRE, « Kafala, ou comment les salariés deviennent esclaves de leur compagnie », l'Humanité, 14 octobre 2013

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D'après l'enquête menée sur place, plusieurs problèmes sont à énumérer. Tout d'abord, lors du recrutement des immigrés dans leurs pays d'origine, beaucoup sont victimes de tromperies quant au travail que l'on leurs proposent. L'escroquerie étant minutieusement élaborée, les immigrés acceptent de partir travailler au Qatar. Sur place, bon nombre d'entre eux gagnent des salaires dérisoires ou ne sont finalement pas payés. Certains d'entre eux ont accumulé des retards de paiement sur six mois. A cela s'ajoute la confiscation systématique des passeports à l'arrivée des nouveaux employés afin d'être certains que ces derniers ne tentent pas de quitter le pays précipitamment.

Les recherches se sont surtout concentrées sur le chantier de rénovation du stade Khalifa et de l'espace urbain autour du stade, appelé l'Aspire Zone.

Sur 234 personnes interviewées, 228 ont été informées à l'arrivée au Qatar que le salaire qui leur était promis n'est en réalité pas celui qu'elles espéraient. N'ayant plus la possibilité de faire marche arrière, les travailleurs ont été contraints d'accepter un salaire revu à la baisse. Lors de la première rencontre entre les militants d'Amnesty International et des ouvriers du chantier du stade Khalifa et des espace verts de l'Aspire Zone, tous vivaient dans des camps insalubres sans installations sanitaires. A cela, s'ajoute des problèmes d'évacuations des eaux usées, dégageant une forte odeur d'égout, le tout exposé sous des chaleurs maximales. Il est clair que le comité suprême, nommé par le gouvernement qatari et en charge du bon déroulement de l'organisation de la coupe du monde, ferme les yeux sur les conditions de vie de ces clandestins.

Les entreprises responsables du mauvais traitement des employés sont pour la plupart qataries : Il s'agit de la société Eversendai et Nakheel landscapes.

Les deux sociétés sont largement pointées du doigt pour avoir manifestement introduit au sein des sites de la Coupe du Monde des entreprises sous-traitantes qui ne respectaient les normes imposées par le comité suprême, notamment concernant les conditions de travail des employés ainsi que de leurs logements.

Pour preuve, une statistique publiée par la Confédération Syndicale Internationale confirme nos propos. D'après l'agence, 1 200 ouvriers ont perdu la vie lors de leur activité sur les

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chantiers des stades. Ce chiffre dépasse largement la moyenne, comme le révèle le graphique ci-dessous.

D'après les chiffres du gouvernement népalais, 191 travailleurs népalais seraient décédés durant l'exercice de leurs fonctions au Qatar en 2013 et 169 en 2012. Depuis que le Qatar ait été élu pour organiser la compétition c'est près de 400 décès népalais.

On dénombre aussi 218 décès indiens en 2013 au Qatar. Ils étaient 237 en 2012 et 239 en 2011. Selon les statistiques, la moyenne des décès indiens par mois était de 20 travailleurs, pouvant atteindre un pic de 27 décès par mois.

Il est important de mentionner que la plupart des décès sont des migrants népalais et indiens ce qui constituent 50% de la force de travail au Qatar.

La traite d'humain est un cataclysme au Qatar, renforcé par les enjeux qu'implique l'organisation de la coupe du monde. Les supporters, qui se réuniront lors de la compétition n'auront sûrement pas conscience des conditions et des mauvais traitements de ceux qui ont oeuvré pour que le tournoi puisse avoir lieu dans les meilleures conditions.

A l'heure actuelle, le branle-bas de combat d'Amnesty International est de mettre chaque acteur face à ses responsabilités. Le premier responsable est bien entendu le gouvernement du Qatar, largement responsable du non-respect des droits de l'homme sur son territoire. Comme évoqué précédemment, le système de parrainage (Kafala) établi au Qatar est un abus, ô combien déplorable, qui n'est autre que l'esclavage des temps modernes. En Octobre 2015, l'Emir du Qatar a approuvé la loi n°21 permettant de remplacer en partie la loi de 2009 sur le système de parrainage, permettant à un travailleur de faire appel de la décision du « parrain » lui refusant de sortir du territoire.

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Cette loi devrait être mise en place d'ici fin 2016.

Néanmoins, il est parfaitement légitime de douter de l'efficacité de cette nouvelle loi tant les moyens de contrôle sont opaques.

Le second responsable et non des moindres, est la Fédération Internationale Football Association (la FIFA) pour son manque d'implication à ce sujet. Premièrement, en acceptant que le Qatar soit le pays organisateur de la Coupe du Monde 2022 et sachant les nombreux travaux que nécessite un tel événement, la FIFA devait se douter que le Qatar utiliserait de la main d'oeuvre bon marché et immigrée et qui plus est, que la main d'oeuvre fasse l'objet de surexploitation grave et endémique. Ceci étant, la FIFA n'a pas certainement pris de mesures efficaces visant à protéger les travailleurs.

Amnesty International a tenté à plusieurs reprises de faire part de ce problème aux dirigeants de la haute instance mais en vain. Seule nouveauté de 2015 : la FIFA promet d'entreprendre une procédure de diligence requise en matière des droits humains au Qatar. Sachant que l'attribution au Qatar de l'organisation de la Coupe du Monde s'est faite en 2010, il a donc fallu attendre cinq ans pour que la FIFA amorce enfin une procédure juridique.

Quelles sont les autres solutions que nous pouvons envisager ?

Comment nous venons de le voir, le gouvernement du Qatar est largement responsable des agissements des sociétés qui emploient ces immigrés. S'attaquer aux entreprises ne dissuadera sûrement pas ces dernières d'agir comme elles le font. En revanche, s'attaquer à l'échelle nationale aurait des répercussions bien meilleures. Les nombreux contrats commerciaux sont engagés entre le Qatar et l'Europe. Menacer le pays par le moyen d'un embargo commercial serait judicieux et efficace pour que le Qatar puisse régler ces problèmes.

Deuxièmement, il semble nécessaire que le Qatar adopte des lois en adéquation avec les intérêts des immigrés. Tout d'abord, le gouvernement doit entreprendre des démarches pour supprimer le système Kafala, donnant donc le droit aux immigrés de circuler librement. D'après le quotidien la Tribune95, le ministre du travail qatari, Abdallah Saleh Moubarak al-

95 JANOVIC PIERRE, « Le Qatar veut conserver la Kafala pour les travailleurs immigrés », La Tribune, 2015

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Khlifi, proposait une solution en ce sens mais le 23 juin dernier, le président du principal conseil consultatif de l'émirat avait indiqué que les démarches n'étaient pas d'actualité. C'est donc la raison pour laquelle la FIFA doit imposer sa force de persuasion, quitte à renoncer finalement à l'attribution de la compétition au Qatar.

Il est primordial que les travailleurs immigrés soient rémunérés à la hauteur de leurs efforts. Pour ce faire, le Qatar doit mettre en place un système de paiement des salaires efficace, pour éviter tout retard de paiement voire de non-paiement.

Enfin, il est aussi primordial de mettre en place un système de traçabilité des migrants. Comme le soutient le journal Libération96, le pays est composé de 1,5 millions d'immigrés pour une population totale de 1,9 millions d'habitants. Pour ce faire, il serait judicieux de mettre en place directement sur le territoire qatari, un organisme dédié aux immigrés via une collaboration entre la FIFA et le gouvernement,.

Cette institut permettra d'aider et de rapporter directement à la FIFA toutes les entreprises qui agiraient à l'encontre des principes des droits de l'homme.

Nous venons donc de voir en quoi ce sport est sujet à de nombreuses dérives en dehors des terrains de football. La traite d'être humain est une réalité dont le football a bien du mal à se défaire. Pour autant, les solutions que nous venons de proposer permettraient sans doute de réduire ces pratiques qui sont le cancer du football mondial.

Néanmoins, une seconde pratique peut faire l'objet d'une analyse plus approfondie. Il s'agit des trucages des matchs de football. Véritable fléaux du football moderne, les trucages des matchs développe une réelle économie souterraine et un enjeu qu'il faut à tout prix stopper.

96 MOUILLARD SYLVAIN, « Au Qatar, ces travailleurs étrangers sous le joug des patrons », Liberation, aout 2013

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Partie II - Le trucage des matchs : les nouvelles dérives du football moderne

2.1 Quels constats peut-on faire ?

« Les lois morales sont les règles d'un jeu auquel chacun triche et cela depuis que le monde est monde » Cette célèbre citation du poète surréaliste et romancier français, Max Jacob, s'apparente bel et bien à notre prochain cas.

L'évolution du football et l'ascension de la « footballisation » de nos sociétés ont inévitablement transformé ce sport qui véhicule pourtant des valeurs de solidarité, de loyauté et de sens de la justice. Les joueurs, véritables héros pour les plus jeunes et modèles à suivre, sont désormais au coeur d'un fléau mondial : les matchs truqués.

Bien plus qu'un sport, le football est le miroir de notre société où prospèrent tricheries, mensonges et malhonnêtetés. Le football est sans doute depuis quelques années en perte de sa propre identité et des valeurs qu'il est censé transmettre. La corruption, l'escroquerie et les paris illégaux sont aujourd'hui monnaies courantes et ne cessent de prendre de l'ampleur. Bien que la FIFA prenne toutes les dispositions pour tenter d'éradiquer les trucages des matchs, le démantèlement d'un réseau est très difficile.

Bien évidemment, une seule motivation pousse les acteurs du football à truquer les matchs de football : l'argent. Le monde dans lequel se développe l'homme est fondé sur le besoin constant de gagner de l'argent. L'argent c'est une sécurité économique. Il est légitime de se demander dans ce cas de figure si l'argent n'est-elle pas le facteur responsable de la perversion du football ? Peut-on parler aujourd'hui de football sans trucage ? Sans argent en jeu ?

Etudier le phénomène des matchs truqués, c'est appréhender la partie sombre du football.

D'après l'organisation internationale de police Interpol, le trucage de matchs de football peut se définir comme étant « la manipulation du déroulement ou du résultat d'une manifestation sportive en vue d'en tirer un bénéfice ».

Il existe différentes motivations poussant les acteurs du football à truquer un match. Réaliser des profits en pariant sur le résultat final d'une compétition, avoir un avantage dans la compétition, éviter une relégation dans une division inférieure à la fin d'une saison, obtenir un

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tirage favorable dans un tournoi. L'objectif est toujours le même : détourner l'issue d'un match pour en tirer ses propres bénéfices.

Bien que les enjeux footballistiques aient évolué récemment, notamment depuis le passage de l'amateur au professionnel, le phénomène de trucage des matchs n'est pas un phénomène nouveau. Cependant, il est possible de faire le lien entre la « démocratisation » de ce sport à échelle mondiale et l'intensification de la pratique. Un second facteur est aussi à l'origine de l'accélération de ce fléau : l'essor des paris sportifs. Comme le révèle le premier rapport trimestriel 2016, réalisé par l'Autorité de Régulation des Jeux en Ligne, l'ARJEL97, le football est de loin le sport qui engage le plus de paris sportifs. Le graphique « répartition des mises du T1 2016 par sport » montre la suprématie du football dans les jeux en ligne. En effet, il génère aujourd'hui près de 58% des paris, devant le basketball et le tennis qui concentrent respectivement 18% et 13% des paris sportifs.

Concernant le volume des mises pour cette période (voir graphique page suivante), on constate qu'elles augmentent de manières significatives puisque l'on enregistre près de 297 millions d'euros soit une progression de 45% par rapport au même trimestre de l'année précédente (2015). En comparant les cinq championnats européens, c'est la Ligue 1 qui draine une mise globale la plus élevée (53M d'euros) suivi de la Liga espagnole (33,7M d'euros).

97 http://www.arjel.fr/IMG/pdf/2016T1.pdf

Le marché des paris sportifs ne s'est jamais aussi bien porté. La bataille fait rage entre les différents sites (Betclic, Bewin, Winamax, Unibet etc.), proposant tous des offres plus attractives les uns que les autres. C'est dans ce contexte que les paris illégaux se sont intensifiés aux dépens de ceux qui jouent en toute légalité.

Le trucage des matchs était auparavant local. Les malfaiteurs passaient par leurs connaissances pour corrompre les joueurs ou les officiels. La mondialisation de ce sport, suivi d'un boom de la technologie et des moyens de communication ont supprimé les barrières spatiales de la corruption. La pratique est maintenant très peu identifiable tant le phénomène est mondial. Les malfaiteurs profitent donc de cet avantage pour organiser un réel réseau criminel international. Le trucage n'est donc plus limité à une seule zone géographique. Bien qu'il soit globalisé, notamment dans les régions où le football occupe une part importante, l'Asie est la plaque tournante en matière de matchs truqués. La majorité des plus grandes organisations criminelles proviennent d'Asie.

La cartographie 98 de la page suivante, issue du rapport annuel de corruption sportive d'Interpol, met en lumière les régions touchées par des problèmes de matchs truqués. Les zones en rouge correspondent aux pays touchés par les trucages de matchs.

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98 « Trucage des matchs de football », rapport annuel Interpol, 2013, P. 12

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Le constat est très inquiétant puisque le phénomène prend une ampleur déconcertante. L'Europe semble être le continent le plus touché par les matchs truqués. Cependant, force est de constater que beaucoup de pays, notamment en Amérique du sud et en Afrique ne possèdent aucune information à ce sujet. Or, il est tout à fait légitime de penser que l'absence d'information et de statistique proviennent essentiellement de l'ampleur de la corruption qui gangrène ces deux continents.

Entre 2008 et 2011, près de 420 joueurs, arbitres et dirigeants de clubs ont été impliqué dans des affaires de corruption dans le monde, comprenant au total le trucage de 680 matchs dont plus de la moitié (380) ont eu lieu en Europe. L'Allemagne concentre à elle seule 70 affaires de matchs truqués, selon le directeur d'Europol, Rob Wainwright. Sur cette période, à peine quatorze malfaiteurs ont été incarcérés pour corruption sportive.

Entre le 1er Juin 2012 et le 31 Mai 2013, au moins soixante-dix pays ont fait l'objet de trucages de matchs durant cette période et aucun continent n'est épargné.

D'après les propos tenus par le directeur de la sécurité de la FIFA, Ralf Mutschke, le trucage des matchs de football via des organisations criminelles, concerne environ cinquante divisions nationales en dehors de l'Europe.

Selon les sources d'Europol, un réseau criminel, basé à Singapour, serait l'acteur principal des plus grandes affaires de trucages de matchs de football.

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En raison de l'ampleur du phénomène et de la difficulté de les cibler, le bilan des arrestations est plutôt médiocre. Seulement 50 personnes ont été arrêtées sur un total de 425 suspects identifiés avec l'émission de 80 mandats d'arrêt internationaux sur une quinzaine de pays. D'après l'enquête menée par Europol, près de 13 000 courriels ont fait l'objet d'analyses poussées.

Quelles sont les difficultés pour mettre un terme à cette fraude ?

- Premièrement, il est très difficile de chiffrer le nombre d'individus qui exercent des activités illicites en lien avec le football. Les précédentes enquêtes ont révélé qu'une seule affaire pouvait concerner une centaine d'individus.

- Deuxièmement, on constate une difficulté à chiffrer le montant des recettes des paris sportifs. La World Lottery Association, une association regroupant 140 loteries gouvernementales dans plus de 70 pays, estime que le football draine 90 milliards d'euros en paris sportifs légaux. Or, on constate que la majeure partie des paris sportifs sont réalisés en toute illégalité, ce qui laisse à supposer que le total des recettes pourrait être multiplié par deux voire par trois.

Afin de contrer la prolifération des matchs truqués et des paris illégaux, Interpol a mis en place en 2007 une opération, nommée SOGA (Soccer GAmbling). L'objectif vise à comprendre les actions des malfrats pour démanteler le réseau. Un travail d'enquête est le principal rôle de l'opération, permettant dans un second temps de procéder aux séries d'arrestations des auteurs.

A titre d'exemple, sur la période de l'Euro 2016, l'opération SOGA99 a permis d'arrêter 4 100 personnes dans le cadre de paris illégaux.

Lors de sa mise en place, le champ d'action de l'opération SOGA visait les activités des phases de poules des deux compétitions européennes : la Champions League et l'Europa League. Alors que l'on pourrait croire que les deux tournois de prestiges puissent être épargnés par la corruption, la réalité est tout autre. Dans un entretien accordé au quotidien néerlandais « Het Algemeen Dagblad », Karl Dhont, commissaire à la corruption de l'organisme européen, affirme détenir des preuves de matchs truqués sur une quarantaine de matchs de Champions League et d'Europa League. Alors que la plupart des suspicions sont

99 « More than 4,000 arrested over illegal gambling on euro 2016 », The Guardian, juillet 2016.

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des matchs de l'Europe de l'est, beaucoup de clubs d'Europe de l'ouest et du sud sont concernés par cette enquête. Néanmoins, on constate toujours un point commun entre ces rencontres : les montants inhabituels joués durant ces matchs provenaient tous d'Asie.

Cependant, le constat pourrait être encore plus inquiétant puisque la corruption aurait aussi atteint les matchs de la Coupe du Monde. Declan Hill, journaliste et consultant spécialisé dans le trucage des matchs de football, affirme qu'il connaissait l'issue de quatre matchs de la Coupe du Monde 2006, avant même que ces derniers n'aient eu lieu.

2.2 Une méthode de plus en plus infaillible.

Le football professionnel est hiérarchisé en différent championnat. Du professionnel, réunissant les plus grandes stars dans un même championnat, jusqu'aux divisions amateurs. Afin de ne pas éveiller le moindre soupçon, les malfaiteurs privilégient les championnats moins populaires. Truquer un match dans un championnat moins côté permet de réduire le risque d'être contrôlé, contrairement aux championnats appréciés par le grand public, où le moindre écart de mise peut être perçu comme une tentative de détournement du jeu. Néanmoins, le trucage des matchs dans les championnats reconnus tend à se développer, en raison de la possibilité d'obtenir des gains très élevés. Les malfrats utilisent constamment la force des médias, seuls diffuseurs des affaires de corruptions, pour mettre en place des leurres. En effet, les fraudeurs attirent l'attention des médias sur des matchs ne faisant pas l'objet de trucage, ce qui permet de détourner l'attention de ces derniers pour exercer avec moins de risque, leurs activités illicites.

Les matchs internationaux sont aussi la cible des escrocs puisqu'ils sont moins contrôlés par la FIFA en raison du caractère moins officiel qu'une compétition continentale ou mondiale.

Pour truquer un match de football, les malfaiteurs usent de leurs talents de persuasion pour convaincre les joueurs, staffs, ou officiels à modifier l'issue du match. Il est important de noter, qu'en règle générale, le succès d'un trucage de match ne provient pas d'une équipe entière, il s'agit souvent d'une action d'un seul ou de deux joueurs ayant été contactés pour modifier l'issue du match. Les joueurs ciblés par les malfrats sont très souvent ceux qui ont un rôle clef dans le match. Une faute grave du gardien entrainant un penalty à la dernière minute du temps règlementaire, une main officiellement involontaire mais officieusement volontaire d'un joueur dans la surface de réparation, un arbitre plutôt laxiste sur certaines

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actions, sont autant de faits qui peuvent être interprétés comme les aléas du football mais qui sont en réalité largement anticipés.

En tout état de cause, le comportement de ces acteurs peuvent influencer sur le résultat final du match.

Au second plan, on retrouve les entraîneurs ou les agents, qui peuvent avoir un rôle dans la corruption des matchs. Les agents sportifs possèdent en général plusieurs joueurs dans différents clubs. Ils ont un réseau très étendu et sont une cible stratégique pour les corrupteurs. Un agent sportif accorde une grande importance à l'argent dont il va pouvoir bénéficier grâce aux transferts de ses joueurs, des victoires et titres gagnés par ces derniers, ce qui est bien évidemment un bon point aux yeux du truqueur, qui cherche lui aussi à gagner un maximum d'argent.

2.3 Les effets d'internet sur la corruption sportive.

La mondialisation des matchs truqués est possible grâce au rôle clef d'internet. Véritable paradis pour le grand banditisme, cauchemar pour les autorités de contrôle et de régulation, internet ne cesse d'alimenter spéculation, désinformation et trafic en tout genre, ce qui s'avère être une aubaine pour les corrupteurs.

Véritable révolution technologique, la corruption via internet rend le contrôle très complexe et minimise le risque d'être démasqué par les autorités internationales.

En revanche, internet permet de cerner plus facilement les mouvements d'argents importants, inhabituels, étranges et permettent aux spécialistes de déceler plus rapidement une tentative de trucage de match. Parier des millions sur la victoire d'une équipe très mal classée au classement général et affrontant le leader du championnat laisse souvent présumer d'un comportement douteux. Il y a donc un moyen d'action.

Comment pourrait-on éradiquer la corruption sportive ? Par la prévention.

Prendre des mesures à la hauteur de l'ampleur du phénomène semble inévitable. Conscient que le football est menacé par ces activités illicites, plusieurs organisations réfléchissent conjointement afin d'affaiblir les réseaux criminels et in fine les dissoudre.

la FIFA et l'UEFA sont au coeur des initiatives mais une autre organisation s'est penchée sur le problème. Il s'agit du centre d'expertise néerlandais, dans le secteur du droit international

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public, la TMC Asser instituut100. L'organisation a présentée récemment un panel de propositions à la commission européenne pour adapter les comportements face à la corruption dans le football.

Elle aborde cinq axes de réflexion pour lutter contre le trucage des matchs de football :

1- L'éducation des acteurs : C'est un axe privilégié. Le but est d'aviser le joueur de football ainsi que l'ensemble du staff et du centre de formation, afin qu'ils ne se laissent pas convaincre par des malfaiteurs. Pour ce faire, ces derniers doivent être pleinement conscients de la gravité et des conséquences de leurs actes. Ils doivent être également conscients des sanctions si un cas de corruption est avéré.

2- La réglementation : l'intérêt est de prendre les mesures juridiques nécessaires afin que le règlement des organisations sportives soit universel. Les corrupteurs profitent largement des différents systèmes juridiques pour agir en toute impunité. L'objectif est donc de rendre la fraude complexe. Pour ce faire, créer des contrats-types, interdire les joueurs de parier dans leur discipline, définir des protocoles avec les sites de paris sportifs en ligne sont autant de solutions qui permettraient de réduire la fraude.

3- S'assurer que les organisations sportives respectent les règles mis en place. L'objectif est aussi de mettre en oeuvre un moyen répressif en cas de non-respect du règlement. Les sanctions doivent être sévères afin d'attirer l'attention et dissuader ceux qui chercheraient à enfreindre la loi.

4- Enfin, il est grand temps que les autorités reconnaissent que la corruption dans le football et le sport en général, prend une ampleur de plus en plus dramatique. Pouvoirs publics, services de polices, mouvements sportifs, doivent entamer une collaboration efficace et durable.

De plus, les organisations sportives peuvent également lutter contre la corruption et le gouvernement peut avoir un rôle de coordinateur. Son influence et son pouvoir de sensibilisation, d'éducation et d'information se révèlerait très efficace pour lutter contre ce fléau.

Dans le cas de manipulation des résultats sportifs, le gouvernement pourrait insérer dans son arsenal législatif une loi visant à punir sévèrement toute personne ayant eu recours à de la corruption à des fins personnelles.

100 http://www.asser.nl

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Pour ce faire, le champ d'intervention de l'Etat peut être considérable :

- Premièrement, il aurait le pouvoir d'ériger en infractions pénales toute tentative de trucage de match.

- Eriger également en infraction pénale tout acte de complicité dans le cadre d'un match truqué.

- Le gouvernement pourrait investir dans des formations de qualité des services de polices afin de traquer efficacement les malfaiteurs.

- Le gouvernement pourrait mettre en place des moyens de stockage d'information des paris sportifs, accessible 24h/24 7j/7 pour soutenir les investigations en cours.

- Comme nous l'évoquions précédemment, la corruption sportive est devenue internationale. Le parieur peut être asiatique, parier sur un site argentin, pour un match en Belgique. Les gouvernements devraient mettre en place une plateforme de partage de l'information, connectée directement avec les organisations sportives et les autres gouvernements afin d'agir rapidement à l'échelle nationale et internationale.

- Une collaboration entre les gouvernements et les opérateurs de paris en ligne pourrait être envisagée, permettant notamment le transfert de données, dans le cadre d'une enquête.

Pour conclure, il convient de noter que la profusion d'argent attire inévitablement l'escroquerie et la corruption. Comme le soutenais Henri Roemer, ex commissaire juridique de la FIFA, « il n'y a pas de mafias du sport, mais les mafias investissent dans le sport ». Ces paroles, ne font que confirmer l'objet même de ce travail de recherche. Le football est devenu un business qui attire vices et malfaiteurs, où seul le gain financier est gage de victoire.

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Conclusion

Pour conclure, l'étude empirique que nous venons de réaliser vise à tenter de répondre à une problématique générale : Est-ce que les stratégies politico-économiques du football professionnel dépassent celles des terrains ?

Notre développement analytique nous a permis d'aborder le sujet sous trois angles : économique, politique et social.

Le premier chapitre visait à comprendre quelles étaient les stratégies des clubs pour réussir. Les recherches succinctes ont démontré que les rencontres sportives ne sont plus les seuls déterminants pour briller dans le football. A l'heure de la « footballisation », les clubs calquent leurs techniques de managements autour du modèle entrepreneurial des plus grandes entreprises internationales. Ce résultat n'est en aucun cas surprenant. Il n'est plus rare d'entendre dans nos conversations au quotidien, que le football est devenu un business où l'argent a pris le pas sur le sport.

Dans ce contexte, il est tout à fait légitime de formuler quelques inquiétudes quant à l'avenir du football professionnel. Par exemple, le transfert record de 120 millions d'euros, conclu entre le club de Manchester United et de la Juventus de Turin pour le retour du jeune français Paul Pogba, peut laisser dubitatif. La folie des grandeurs a-t-elle en effet une limite ? Un club peut-il définir la valeur d'un homme ? En tout état de cause, il peut être parfaitement pertinent de dire que le football peut aller à l'encontre des principes moraux, dans un contexte où chaque club cherche à exposer sa fortune en oubliant ce que peuvent représenter 120 millions d'euros...

Par ailleurs, l'étude de notre second chapitre nous a permis de comprendre qu'en dehors d'un business où l'argent est la pièce maitresse de l'échiquier, le football est aussi devenu en enjeu géopolitique très important. En effet, il semble être devenu un moyen pour les nations d'asseoir une certaine domination mondiale. « Le football c'est la guerre poursuivie par d'autres moyens », on comprend l'ampleur diplomatique qu'a pris le football. On se souvient bien évidemment de la victoire du Salvador contre le Honduras, déclenchant une guerre civile

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sur fond de différends historiques. Le match sous haute tension en quart de finale de la Coupe du Monde, opposant l'Argentine à l'Angleterre au lendemain de la guerre des Malouines. La première rencontre des deux grands ennemis, l'Iran contre les USA lors de la même compétition en 1998. Enfin, la création par Mohandas Gandhi, en 1908, d'une équipe de football pour lutter contre l'apartheid, en Afrique du sud, confirment bien nos propos. En tout état de cause, il est clair que le football est un moyen d'expression d'une appartenance identitaire mais certains Etats y voient la possibilité d'y répandre une idéologie et un modèle. Les analyses succinctes de la Chine et du Qatar nous permettent de concevoir l'idée suivante : La Chine cherche à devenir une nation du football afin de donner plus de crédibilité à l'échelle internationale. C'est la recherche d'une reconnaissance constante qui pousse la Chine à investir dans le football. Comme le soutenait Pascale Boniface, directeur de l'institut IRIS « c'est humiliant pour la Chine de ne pas être compétitive dans le football ». Le critère géopolitique ne fait donc pas l'ombre d'un doute sur ses motivations premières.

Nous pouvons conclure dans ce même sens pour le Qatar. Nos recherches nous amènent à conclure de la manière suivante : le Qatar utilise le football comme un moyen d'exister sur la scène diplomatique et permet d'avoir une meilleure visibilité internationale. Il est légitime de penser que les motivations du Qatar peuvent s'expliquer de deux façons : en utilisant le soft power, le Qatar mène un combat géopolitique sans violence contre l'Arabie Saoudite et toute la région de la péninsule arabique, pourtant minée par de nombreux conflits territoriaux. Ce résultat n'est en rien surprenant. Plutôt que de se battre dans une bataille qu'elle ne gagnera pas en raison d'une force militaire trop faible, le Qatar utilise de sa propre ressource financière (le pétrole) pour investir dans d'autres secteurs afin de diversifier les rentrées d'argents. Pour autant, nos observations nous poussent à croire que les investissements dans le football européen sont aussi une porte d'entrée sur le vieux continent. Investir dans le sport, donne la possibilité au Qatar d'investir dans d'autres secteurs tels que l'immobilier, les hôtels de luxe ou encore au sein d'entreprises cotées au CAC40. On est donc bien loin des stratégies footballistiques que ce sport enseigne...

Enfin, notre investigation nous a permis de comprendre que le football était également un enjeu géostratégique mondial, à l'image d'une Afrique souffrante et grande perdante dans la course aux investissements. Le football a donc un rôle important dans le rattrapage du continent africain. Nous avons démontré, grâce à nos propositions de solutions, que le rêve de voir un jour l'Afrique s'épanouir dans le football reste tout à fait possible.

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Les nouveaux enjeux politico-économiques du football moderne poussent indubitablement certains à la dérive. Les recherches que nous avons menées nous ont permis d'aboutir au résultat suivant : Le football professionnel tend à se pervertir.

Trucages des matchs de football, esclavages modernes, corruption au sein des plus grandes instances du football mondial à l'image de la FIFA ou de l'UEFA, sont autant de fléaux qui détruisent les valeurs de ce sport. Hélas, ce constat global n'est plus une surprise. Bien que certains phénomènes soient encore peu médiatisés, la situation actuelle nous pousse à croire qu'une nouvelle forme d'esclavage s'est développée en marge du football mondial.

En définitive, il ressort de cette étude que le football connaît aujourd'hui de nombreuses mutations mais à quel prix ? Il serait dès lors intéressant d'analyser le revers de la médaille des clubs qui investissent sans compter et dont les probabilités de faillites sont élevées. Les clubs sont-ils obligés de sur-dépenser et d'alimenter ainsi une surenchère sans fin pour rester compétitifs ? Cette question mérite dans l'intérêt du football, et la survie même de certains clubs, d'être un jour clairement posée, et débattue sans fausse pudeur.

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Table des matières

REMERCIEMENTS 3

RESUME 3

SOMMAIRE 5

INTRODUCTION 6

CHAPITRE I : LE FOOTBALL MODERNE EST-IL DEVENU UN BUSINESS FLORISSANT ? 10

PARTIE I - ANALYSES ECONOMIQUES DES ACTIVITES DES CLUBS. 10

1.1 Statuts juridiques des clubs et introductions en bourse. 10

1.2 Les gains financiers des coupes européennes pour les clubs 16

1.3 Droits de retransmission TV, recettes de billetterie et contrats sponsoring 25

1.4 Le naming des stades de football professionnels 41

PARTIE II - JOUEURS ET CLUBS : LE RAPPORT EMPLOYEUR-EMPLOYE PROCHE DU SCHEMA D'ENTREPRISE. 47

2.1 Les rémunérations salariales. 47

2.2 Les stratégies des clubs sur le marché des transferts 54

2.3 Les différentes stratégies de recrutement des clubs. 56

CHAPITRE II : LES NOUVEAUX ENJEUX DU FOOTBALL MONDIAL 61

PARTIE I - NOUVELLES STRATEGIES D'INFLUENCES DU QATAR OU LE FOOTBALL N'EST PAS ROI. 61

1.1 Entretien de Jérôme Champagne sur les stratégies du Qatar. 61

1.2 Les investissements dans le football : le nouvel « or noir » du Qatar. 66

1.3 Du désert qatari au coeur de Paris : l'ascension d'Al-Jazeera en France. 68

PARTIE II - OBJECTIF 2050 : FAIRE DE LA CHINE UNE NATION DU FOOTBALL 71

2.1 Existe-t-il une culture du football en Chine ? 71

2.2 Le plan global de la réforme et du développement du football chinois 72

2.3 Une stratégie d'investissement interplanétaire 74

PARTIE III - ENTRE REVE ET DESARROI, QUEL EST L'AVENIR DU FOOTBALL AFRICAIN ? 78

3.1 Le bilan du football africain. 78

3.2 Le pillage des jeunes talents africains : le « muscle drain » 81

3.3 Quelles solutions sont envisageables ? 83

CHAPITRE III : COUPS FRANCS ET COUPS BAS : LES CONTROVERSES DU FOOTBALL

MODERNE 91

PARTIE I - L'ESCLAVAGE MODERNE DANS LE FOOTBALL 91

1.1 Les dérives du football à travers le trafic des joueurs africains 91

1.2 Les solutions pour stopper le trafic d'enfants footballeurs africains. 95

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1.3 La face cachée de la Coupe du Monde 2022 au Qatar. 98

PARTIE II - LE TRUCAGE DES MATCHS : LES NOUVELLES DERIVES DU FOOTBALL MODERNE 104

2.1 Quels constats peut-on faire ? 104

2.2 Une méthode de plus en plus infaillible. 109

2.3 Les effets d'internet sur la corruption sportive. 110

CONCLUSION 113

TABLE DES MATIERES 116

BIBLIOGRAPHIE 118

118

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