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La valorisation du patrimoine culinaire à  roubaix


par Eloïse Thébaud
Université Lille 2 - Master Relations Interculturelles et Coopération Internationale 2020
  

Disponible en mode multipage

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Mémoire de fin d'études

La valorisation du patrimoine

culinaire à Roubaix

Présenté par Eloïse THEBAUD

Année Universitaire 2019-2020

Université de Lille - Master RICI option Francophonie

Enseignante référente : Gabriella MARONGIU Tutrice de stage : Zaïa BOUSLAH

Mémoire de Master Relations Interculturelles et Coopération Internationale mention

Francophonie

Année universitaire 2019-2020

La valorisation du patrimoine culinaire à

Roubaix

Présenté par Eloïse THEBAUD

N° étudiant : 41904559

Sous la direction de Gabriella Marongiu, enseignante anglais & français langue

étrangère,

et le tutorat de Zaïa Bouslah, Chargée de mission événements culturels et vie associative.

Mémoire présenté devant :

- Gabriella Marongiu
- Delphine Chambolle

Déclaration anti-plagiat

Je, soussignée THEBAUD ELOISE, étudiante inscrite en L.E.A parcours Master 2 - Relation Interculturelle et Coopération Internationale, déclare être pleinement consciente que la reproduction de tout document ou de toute partie d'un document, quel que soit le type de support (papier, électronique, enregistrement) sans en citer explicitement la source, relève du plagiat et constitue une violation des droits d'auteur ainsi qu'une fraude caractérisée. Ceci vaut pour les contenus cités directement comme pour les contenus ayant fait l'objet d'une reformulation.

Par conséquent, je m'engage à citer, dans le corps du texte ainsi que dans la bibliographie en fin de rapport, l'intégralité des sources qui ont été consultées, y compris les sites internet, afin de rédiger ce rapport de stage.

Je reconnais être informée que tout plagiat, quelle qu'en soit l'ampleur, pourra entraîner l'annulation de la soutenance.

Fait à : Lille

Le : 17 décembre 2020

2

Signature

3

Remerciements :

Tout d'abord, je souhaite remercier Gilles Guey de m'avoir accueillie au sein du service culture de la Ville de Roubaix. Je tiens également à lui témoigner ma reconnaissance pour sa confiance et sa disponibilité. Monsieur Guey m'a considérée dès le début de mon stage comme une salariée à part entière, m'a donné des missions importantes et n'a eu de cesse de me donner des opportunités de faire valoir mon travail. Pour toutes ces raisons, cela a été pour moi un véritable honneur de travailler au sein de la Mairie de Roubaix.

Je tiens également à remercier ma tutrice Zaïa Bouslah, chargée de mission événements culturels et vie associative, de m'avoir toujours accompagnée dans mon travail tout en me laissant mon autonomie pour pouvoir progresser davantage. Madame Bouslah a mis un point d'honneur à me faire découvrir le plus de facettes de son métier afin que je puisse être en capacité de m'insérer dans le monde du travail une fois mon stage terminé. Pour cela, et pour l'adaptation et l'attention dont elle a su faire preuve à mon égard malgré la situation sanitaire, je la remercie encore.

Je remercie ma collègue Elodie Réquillart, pour sa bienveillance et sa volonté à partager une réflexion commune tout au long du stage. J'aurai beaucoup appris de ce travail conjoint et cela n'aura fait qu'améliorer cette expérience professionnelle.

En outre, je souhaite remercier ma responsable de stage et de master, Marie-Véronique Martinez, de m'avoir donné la possibilité d'écrire ce mémoire malgré le contexte et d'avoir pu m'aiguiller au début de ma réflexion.

Finalement, je remercie toutes les personnes qui ont directement ou indirectement contribué à la rédaction de mon mémoire de stage (mes professeurs, mes collègues, mes ami.e.s et ma famille) qui ont bien voulu relire mon mémoire et me donner leurs précieux conseils.

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Sommaire

Liste des acronymes 5

Introduction 6

I - Le patrimoine au coeur de la ville 13

Qu'est-ce que le patrimoine ? 13

Les différentes approches de patrimonialisation 16

II - Le contexte interculturel 25

Roubaix, terre de migration 26

Pratiques culturelles des groupes migratoires 31

L' action municipale 35

III - La cuisine, pratique complexe et centrale 38

Une pratique identitaire 38

Retour sur les entretiens 42

Quelles solutions à Roubaix ? 45

Conclusion 51

Bibliographie 55

Sitographie 59

Table des annexes 60

Annexe 1 : Copie d'écran de la barre de recherche « Roubaix, ville ... » 60

Annexe 2 : Recensement des épiceries, supermarchés et restaurants roubaisiens,

Document non publié, 2020. 61

Annexe 3 : Organigramme de la Ville de Roubaix mis à jour en septembre 2020 62

Annexe 4 : La population immigrée à Roubaix, 2016 63

Annexe 5 : Répartition des immigrés à Roubaix 64

Annexe 6 : Les stratégies d'acculturation de Sam et Berry 64

Annexe 8 : Entretien avec Beatriz de Sousa Figueiredo 66

Annexe 9 : Entretien avec Laurène Boulaud 74

Annexe 10: Entretien avec Yingjie Weng 80

Résumé 84

5

Liste des acronymes

ANMT : Archives Nationales du Monde du Travail

CEMPE : Commission Extra-Municipale des Personnes Étrangères CNCDH : Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme CRIC : Conseil Roubaisien de l'Interculturalité et de la Citoyenneté EAC : Education Artistique et Culturelle

EDHEC : Ecoles Des Hautes Etudes Commerciales

ENSAIT : Ecole Nationale Supérieure des Arts et Industries Textiles ESAAT : Ecole Supérieure des Arts Appliqués et Textiles

IMMD : Institut du Marketing et du Management de la Distribution INSEE : Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques IUT : Institut Universitaire de Technologie

LEA : Langues Etrangères Appliquées

RICI : Relations Interculturelles et Coopération Internationale UFR : Unité de Formation et de Recherche

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Introduction

Roubaix éveille toujours une multitude de sentiments. Une simple recherche sur un moteur de recherche nous permet déjà de voir l'ambivalence qui existe. Ville « la plus pauvre de France », ville « arabe », ville « dangereuse » pour certain.e.s... Mais Roubaix est aussi décrite comme ville « étudiante », « zéro déchet », ou plus opposé encore, ville « idéale » par d'autres 1 .

Ce qui est marquant, pourtant, est l'absence de référence à la diversité de la ville. Roubaix, ville-monde comme le disait la municipalité2 , est un territoire où cohabitent un grand nombre de communautés diverses et variées et qui compte une grande ouverture internationale (échanges transfrontaliers, migrations, projets européens, événements sportifs internationaux).

La ville dispose d'un patrimoine extrêmement riche et complet. On retrouve une variété architecturale avec ses bâtiments Art Déco et le street art qui s'est installé dans les rues, mais aussi une diversité naturelle avec les jardins et squares de la ville. Plus récemment a également été valorisé le patrimoine industriel 3 . Cependant, les éléments concrets et le bâti ne reflètent pas la complexité et la diversité des cultures qui cohabitent à Roubaix, ni la diversité des histoires de vies des habitants et habitantes, et par conséquent de leurs mémoires. Pour cela, on peut se tourner vers l'ensemble des commerces et associations interculturelles et communautaires qui illustrent de par leur existence et les projets menés la dimension internationale de la ville.

En effet, on ne compte pas moins de 6 grands supermarchés et épiceries de tous les continents sur le territoire de la Ville, et 51 restaurants de cuisine du monde4 . Et c'est de cet aspect qu'a aussi souhaité s'emparer la municipalité en mettant en place un festival annuel interculturel pour valoriser le patrimoine humain de Roubaix.

La municipalité est représentative de l'histoire de Roubaix et s'est toujours occupée des politiques culturelles de la ville dans leur dimension interculturelle. Elle est chargée d'une partie de l'animation culturelle et il semble donc logique qu'elle s'associe à la promotion de cette mixité qui compose la ville. Elle doit s'appuyer en permanence sur l'histoire et le

1Annexe 1 : Copie d'écran de la barre de recherche « Roubaix, ville ... »

2Mathilde, WYBO, Cultures, Patrimoines et Migrations à Roubaix. Une exploration de l'identité de «

ville-monde » , Mémoire non publié, 2009,
< https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Patrimoine-ethnologique/Soutien-a-la-recherche/Travaux-de-rec herche/Liste-des-travaux-de-recherche-par-mots-cles/Migration >, consulté le 15 juin 2020

3Roubaix Tourisme, Office de Tourisme de Roubaix, Le Patrimoine Industriel, < https://www.roubaixtourisme.com/avoir/patrimoine-industriel/ >, consulté le 22 septembre 2020

4Annexe 2 : Recensement des épiceries, supermarchés et restaurants roubaisiens, Document non publié, 2020

contexte politique et économique pour proposer des politiques pertinentes.

Roubaix, c'est une ville meurtrie au niveau économique. La fermeture progressive et massive des usines textiles et minières au cours de la seconde moitié du XIXème siècle a été fatale pour les emplois ouvriers, et a laissé la ville dépeuplée de sa classe moyenne et dans une très grande précarité. C'est aussi une ville qui a su se renouveler et qui s'est également redynamisée avec l'implantation d'un bon nombre de formations de l'enseignement supérieur telles que l'EDHEC, l'ENSAIT, l'ESAAT, ou encore une partie de l'Université Lille 3 avec l'UFR de Langues Etrangères Appliquées et l'IMMD, ainsi que l'IUT. La Ville de Roubaix a soumis sa candidature pour obtenir un certain nombre de labels et se donner une visibilité au niveau national. En effet, la mise en place du zéro déchet dans la municipalité a par exemple permis d'attirer des entreprises innovantes, ce qui est positif pour l'image de la ville. En se renouvelant économiquement et à travers un ensemble de programmes culturels, elle a pu apporter de nouvelles perspectives au territoire même si de fortes problématiques sociales continuent d'exister.

Concernant la réalisation de mon stage, c'est de par l'implantation du Master RICI (Relations Interculturelles et Coopération Internationale) à Roubaix que j'ai eu la volonté de rechercher un stage dans cette ville. Tout au long du master, nous avons été formé.e.s à analyser et comprendre les enjeux interculturels qui pouvaient exister sur des territoires. En parallèle, un travail était mené sur notre capacité à monter et gérer des projets culturels dans ces contextes. Travailler à Roubaix prenait alors tout son sens puisque si la dimension internationale existe forcément à l'étranger, il me semble intéressant de valoriser la diversité sur un territoire finalement si proche et qui, dans l'imaginaire, n'y est pas forcément rattaché. A priori, c'est une ville de migration pauvre, dans laquelle réside une violence sociale issue de l'histoire coloniale et économique. Mais sa richesse culturelle existe et la valorisation qu'il est nécessaire de mettre en place me semblait tout à fait correspondre à mon envie de travailler localement sur des problématiques internationales.

De fil en aiguille, me voilà chargée de production pour le festival de l'Année Thématique organisé par la municipalité, avec comme thématique 2020, Année des Saveurs du Monde. Le travail de production est complété par un travail autour de la communication pour lequel a été recrutée une autre stagiaire, Elodie Réquillart, en master 2 d'Art et Responsabilité Sociale à l'Université de Lille. Nous avons donc travaillé en équipe pour mener à bien le projet, sous la tutelle de notre encadrante Zaïa Bouslah.

Ce festival a pour objectif la mise en valeur de l'interculturalité au sein de la ville de Roubaix

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à travers différentes thématiques (par le passé, il y a eu les langues, le sport, les femmes, les histoires...). Un des marqueurs de ce festival est qu'il tend à proposer des manifestations culturelles qui incluent une participation citoyenne. En effet, les projets présentés sont portés par des partenaires associatifs qui organisent des ateliers, des conférences ou encore programment des spectacles. Dans le cadre de ce projet, j'ai été chargée d'assurer l'accompagnement des porteurs de projet pour mener à bien l'Année Thématique, ainsi que de gérer les demandes techniques de ces mêmes partenaires. Avec l'arrivée de l'épidémie de COVID-19 dès février 2020, au sein de la Mairie, il nous a vite été communiqué que les premiers événements qui devaient avoir lieu, à savoir deux conférences, ne pourraient être tenus. Par la suite, nous avons dû prendre la décision de reporter l'ensemble des projets associatifs et de les reprogrammer, afin de maintenir une certaine cohérence pour les habitant.e.s. Ce temps de préparation des événements qui devait nous occuper étant libéré, nous avons pu recentrer notre travail sur la détermination de la perception qu'a la Ville de cet aspect interculturel, et de quelle façon nous pourrions améliorer la gestion de cette problématique, tout en y incluant les habitant.e.s.

Faisant le lien avec la thématique déterminée par le Conseil Roubaisien de l'Interculturalité et de la Citoyenneté (CRIC) pour l'année, à savoir les saveurs, j'ai commencé à me questionner sur la perception que les collectivités peuvent avoir de ces « cuisines du monde ».

L'intérêt porté à la question culinaire est survenu suite à une observation simple : il existe à Roubaix une multitude de restaurants et fast-foods proposant de la nourriture de tous les continents. Les associations communautaires, nombreuses, sont également sollicitées de façon régulière par la Ville pour proposer des buffets lors d'événements. La cuisine serait-elle donc une valeur importante à Roubaix ? Que signifie cette diversité et en quoi est-elle liée à l'histoire de la ville ?

Parallèlement, la question de la définition des pratiques culinaires se posent. Selon l'Unesco, « [le] patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d'identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine. » Peut-on considérer la cuisine comme du patrimoine ? Si en effet on considère que la cuisine fait partie du patrimoine culturel, la Ville en tant que municipalité doit-elle s'en emparer ? Quels seraient les enjeux de la patrimonialisation ? Comment les habitants et habitantes perçoivent-ils cette question ?

Ces questions ont été la base de ma réflexion au cours de mon stage, et ont pu être approfondies par les différents travaux de recherche que nous avons réalisés de mars à juillet

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au sein de la Mairie. Au vu du contexte sanitaire, la possibilité d'aller à la rencontre des habitants et habitantes pour recueillir leur parole aura été contrariée. Cependant, les quelques entretiens que j'ai pu réaliser m'auront malgré tout apporté des réponses.

Dans le cadre du festival et des réflexions qui ont pu être menées, nous allons donc nous intéresser plus particulièrement aux questions de valorisation et de patrimonialisation dans le sens où les institutions, telles que les municipalités, orientent leurs politiques culturelles selon les courants idéologiques officiels qui entourent la migration. Cela se reflète dans les choix culturels. Nous questionnerons l'essence même du patrimoine culinaire et comment ce patrimoine est devenu central dans les villes. Nous réfléchirons également aux questions d'immigration, à savoir comment on définit une personne immigrée et quelle a été l'histoire de Roubaix concernant l'immigration. Cette thématique questionne aussi l'interculturalité et les usages de cette notion, parfois utilisée à tort. L'interculturalité comme concept peut exister dans tous les domaines de recherche et du quotidien. Elle symbolise simplement un type d'interaction, de politiques culturelles, de pratiques éducatives... A partir du moment où plusieurs cultures sont invitées à cohabiter et à évoluer dans un environnement commun, on peut parler d'interculturalité. A Roubaix donc, dès lors que les politiques culturelles construites par la municipalité s'emparent de la question de la diversité dans la réalisation de leurs programmes, elles deviennent interculturelles.

La ville de Roubaix, gérée par une municipalité socialiste jusqu'en 2014, est aujourd'hui présidée par M. Guillaume Delbar, étiqueté divers droites, qui a été renouvelé pour un second mandat au second tour des élections municipales du 28 juin 2020. Malgré les différentes orientations politiques des municipalités qui se succèdent, on observe une certaine continuité dans les politiques culturelles et sociales mises en place.

La municipalité est organisée en différents services 5 :

- une direction générale du Centre Communal d'action sociale, qui comprends dix

sous-directions,

- une direction générale des services avec treize sous-directions,

- une direction générale de la qualité de vie avec cinq sous-directions,

- une direction générale du développement des territoires avec cinq sous-directions dont la direction de la culture,

5Annexe 3 : Organigramme de la Ville de Roubaix mis à jour en septembre 2020

- une direction générale de l'éducation, jeunesse et sport qui compte elle aussi cinq

sous-directions.

Le service culture, dirigé par Gilles Guey depuis plusieurs années, est inséré dans la direction du développement des territoires dirigée par Jean-François Broutèle. Il est composé de 6 chargé.e.s de missions. Deux sont en charge du patrimoine, un travaille aux cultures urbaines et à la musique, un autre aux arts plastiques, une s'occupe des jeunes publics et enfin une personne est chargée des événements culturels et de la vie associative. Ces différents chargé.e.s de mission sont amené.e.s à travailler conjointement sur certains projets et en autonomie sur d'autres. Le service culture travaille conjointement à plusieurs équipements culturels : le conservatoire de Roubaix, la bibliothèque municipale et le musée La Piscine. Le service a pour vocation de promouvoir l'ouverture de la culture à tous les publics à travers la mise en place de dispositifs pédagogiques, de valoriser le patrimoine à travers les Journées du Patrimoine, le label Ville d'art et histoire ou encore de proposer des événements musicaux ou d'art plastiques pour mettre en avant la diversité des pratiques artistiques.

Zaïa Bouslah, chargée de mission événement culturels et vie associative, travaille chaque année à la réalisation du festival interculturel l'Année Thématique qui fonctionne en plusieurs temps forts sur l'année. Pour 2020, Année des Saveurs du Monde, Zaïa Bouslah a donc sollicité les associations roubaisiennes et les centres sociaux pour valoriser les projets qui les inspiraient sur cette thématique. Il s'agit ainsi de permettre aux associations de mettre en avant les réalisations des habitants et habitantes et de favoriser la création de liens au sein de la ville. Pour travailler à la réalisation des divers projets et venir en soutien aux associations, nous avons réalisé un travail de recherche sur la situation des cuisines du monde dans la ville : recensement des restaurants, épiceries et associations travaillant autour de la cuisine dans la ville ; rencontre avec l'Office de Tourisme pour la mise en place d'un partenariat pour valoriser les cuisines du monde... Au cours de ces démarches, j'ai pu me questionner sur la forte présence de ces cuisines du monde, sur leurs racines et pourquoi elles continuaient d'occuper une place si importante à Roubaix. En travaillant en parallèle avec mes collègues chargés de mission patrimoine sur ces questions, ma problématique est devenue évidente.

Dans ce mémoire, nous tenterons de répondre à la problématique suivante « la cuisine est-elle un patrimoine pertinent à valoriser sur le territoire roubaisien ? ». Cette problématique est en lien direct avec les événements culturels sur lesquels j'ai été amenée à travailler au cours de mon stage et fait également de lien avec les travaux de recherches menés autour de l'interculturalité et du patrimoine au cours du stage, après que mes missions aient été réorientées suite au confinement national lié à l'épidémie de COVID-19. La volonté de la

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Ville de s'intéresser à ces thématiques et de chercher à comprendre quelles actions seraient efficaces à la création de lien social et de valorisation des différentes mémoires nous montre la pertinence de cette réflexion. L'événementialisation récente des activités culinaires ainsi que le changement de paradigme dans la conception de ce qui relève du patrimoine apportent des nouvelles opportunités dans la réflexion autour de la valorisation et les solutions qui peuvent être apportées.

Pour parvenir à répondre à ces différentes questions, je m'appuie sur les travaux de recherche qui ont été réalisés tout au long de mon stage et m'ont permis de tracer les contours des politiques interculturelles et des manquements existants dans les pratiques actuelles de la municipalité. Au-delà de ce travail réalisé conjointement avec ma collègue et ma tutrice sur ce projet, j'ai également réalisé des entretiens sociologiques avec des personnes issues de l'immigration, des deuxième et troisième générations de migration. Ces entretiens, s'ils n'ont pu être réalisés dans les conditions initialement prévues du fait de la pandémie de COVID-19, me permettent malgré tout de réaliser des comparaisons entre les lectures réalisées et les expériences individuelles vécues. Ils m'ont également permis de souligner des aspects de certaines pratiques qui sont liés à des dynamiques sociales et sont propres aux groupes étrangers. Enfin, j'ai lu de nombreux travaux portant sur les questions historiques et migratoires, la gestion du patrimoine en France et à l'étranger ainsi que la place de la cuisine dans l'identité et la construction sociale.

Ce mémoire de stage cherche à porter un regard sur ce que sont les politiques culturelles municipales à Roubaix et ce qui les constitue au vu de l'histoire de la ville. Dans une optique d'ouverture de la municipalité à de nouveaux types d'événements culturels et à une meilleure intégration de l'ensemble des groupes sociaux ; il devient intéressant de proposer une analyse de ce que représente la pratique culinaire et de voir en quoi elle pourrait contribuer à dynamiser la ville. Aussi, nous cherchons à voir comment il est possible de valoriser ce patrimoine de façon inclusive, en évitant une appropriation culturelle pour permettre aux communautés détentrices de ce patrimoine de le faire vivre, et en s'assurant de proposer des supports et événements suffisamment divers pour toucher les publics de différentes façons.

Nous allons donc chercher à répondre, tout au long de ce travail, à la question de savoir s'il serait pertinent de valoriser le patrimoine culinaire à Roubaix. Aussi, dans l'optique où la réponse serait positive, nous réfléchirons à des manières de donner une place à ce patrimoine sans se l'approprier et dans une dynamique inclusive.

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Pour répondre à cette question, nous commencerons dans un premier temps par observer la place du patrimoine dans la ville en commençant par redéfinir la notion de patrimoine en elle-même. En effet, nous traiterons ses différentes acceptions et les différentes conceptions de valorisation qui en découlent. Nous nous demanderons également en quoi la cuisine peut trouver sa place dans la réflexion patrimoniale. Dans un second temps, nous reviendrons sur les courants migratoires qui ont pu avoir lieu à Roubaix au cours du siècle dernier, et nous redéfinirons la situation démographique de la ville aujourd'hui. Nous verrons pourquoi la migration peut être vectrice de tensions et quelles actions la Ville a mis en place pour pallier le manque de dialogue entre les communautés et les difficultés sociales créées par la précarité. Enfin, dans un troisième et dernier temps, nous nous questionnerons sur le lien qui existe entre pratique culinaire et identité. Nous nous intéresserons donc à la portée politique de la cuisine et aux problématiques raciales qui s'y entremêlent. Nous terminerons par proposer des actions qui pourraient être menées par la ville pour pallier le manque d'action sur cette thématique dans une démarche inclusive et sociale.

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I - Le patrimoine au coeur de la ville

Les Villes peuvent avant tout s'appuyer sur les ressources institutionnelles internationales pour orienter leurs politiques culturelles et patrimoniales. Des organismes tels que l'Unesco produisent de la recherche et concentrent des retours d'expériences concernant l'implémentation de certaines politiques culturelles. Nous allons donc nous intéresser à ces structures et à la conception qu'elles ont du patrimoine, pour comprendre comment le patrimoine culinaire pourrait être valorisé. Le patrimoine de la ville de Roubaix est multiple et abordé de différentes façons par la municipalité et par les citoyens comme nous l'observerons par la suite. Il y a le patrimoine valorisé, et le patrimoine que l'on vit au quotidien, celui que l'on découvre... Mais au fond, qu'est-ce que le patrimoine ?

A) Qu'est-ce que le patrimoine ?

Pour Le Petit Robert, le patrimoine, c'est « ce qui est considéré comme un bien propre, comme une propriété, une richesse transmise par les ancêtres » avec, comme exemples cités, le patrimoine archéologique, architectural et historique 6 . Cette définition est représentative du fait que dans le langage courant, on ne prend en compte que le patrimoine matériel. Sans bâti, sans moyen de toucher, d'assurer l'existence, il n'y a pas de patrimoine. Ainsi les patrimoines architectural et naturel sont ceux qui sont systématiquement mis en avant. Les biens mentionnés dans cette définition appartiennent à une famille donnée et sont transmis de générations en générations, et ce patrimoine est générateur d'identité pour les familles en question7 . C'est au XVIIIème siècle que le premier élargissement de la notion de patrimoine a eu lieu avec la création d'un patrimoine collectif et commun à la société. Il est lui aussi perçu comme un ensemble de biens transmissibles entre les générations, ce qui conserve la dimension filiale 8 .

Comme le souligne Guy Di Méo, spécialiste en géographie sociale et culturelle, le patrimoine « touche aux mythes fondateurs et cristallise l'affect collectif, le religieux et le sacré ». Il souligne également la perspective « future » qui existe à travers le patrimoine, et en cela met en avant son caractère stratégique. Là où son analyse semble pertinente et nous permet de faire le lien avec les procédés de patrimonialisation de l'Unesco, c'est qu'elle rappelle en quoi la patrimonialisation et ses procédés relèvent de critères économiques, idéologiques, culturels et politiques. En cela, il faut toujours prendre en compte le contexte de la naissance de la patrimonialisation d'une pratique. Dans le cas de Roubaix et de la question de la

6Josette, REY-DEBOVE, Alain, REY, Le Petit Robert de la langue française, Paris, Le Robert-SEJER, 2016, p. 1831.

7Guy, DI MEO, « Processus de patrimonialisation et construction des territoires », Colloque « Patrimoine et

industrie en Poitou-Charentes : connaître pour valoriser », 2007, Poitiers-Châtellerault, France.pp.87-109 . 8Ibid

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patrimonialisation de la cuisine, on peut faire un parallèle avec la patrimonialisation antérieure du patrimoine industriel. Si, dans les débuts de la valorisation, le patrimoine industriel était considéré inintéressant, la disparition progressive de l'activité industrielle dans la région Nord a mené à une reconsidération de cette activité. Cela couplé à des actions politiques dans les années 1980 a abouti à une valorisation d'objets industriels. Aujourd'hui, il n'est plus étonnant de trouver dans les institutions culturelles des expositions sur le travail industriel. A Roubaix avait encore lieu jusqu'à début octobre une exposition intitulée « Bleu de Travail » dans les locaux d'une ancienne usine textile 9 . Comme le présente l'association le Non-Lieu, initiatrice de l'exposition, en partenariat avec la Ville de Roubaix, les ANMT, la Villa Cavrois, et l'ESAAT : « Historiens, anthropologues, fabricants, stylistes, se penchent sur la valeur symbolique et la paradoxale longévité de ce vêtement de travail. Interventions aux ANMT, évocations poétiques à la Villa Cavrois » 10 .

La valorisation du patrimoine industriel est la reconnaissance du travail réalisé par les ouvriers dans les usines textiles. Les conditions de travail sont aujourd'hui considérées comme insoutenables avec la dure réalité quotidienne qui était la leur et les maigres salaires. Le prisme politique a changé et c'est cette évolution qui a permis de mettre en lumière ces objets et pratiques aujourd'hui disparus. Le procédé de valorisation du patrimoine étant une construction sociétale, il peut donc avoir lieu avec le patrimoine culinaire.

Un événement majeur dans l'évolution de la conception du patrimoine est la mutation du matériel à l'idéel. La dématérialisation et l'intégration au patrimoine de concepts virtuels reflètent un changement de société plus profond. Depuis les années 1980, plusieurs auteurs et autrices parlent de « prolifération patrimoniale ». Ce phénomène peut en partie s'expliquer par une mutation des sociétés dans leurs rapports à la collectivité, à la nature, et au monde de façon plus générale. Parmi les éléments de patrimonialisation, les institutions internationales, dont l'Unesco, ont par exemple commencé à distinguer le patrimoine culturel comme un patrimoine existant pour lui-même, version élargie du patrimoine bâti.

Mais la définition du patrimoine culturel est évolutive et peut être compliquée à déterminer dans le sens où le patrimoine comprend une multitude d'objets et d'activités. Il est fréquent de trouver des conceptions distinctes du patrimoine, pour autant elles ont tendance à se superposer et à se recouper. Dans notre réflexion, nous allons reprendre la définition de l'Unesco, qui se trouve être l'organisme qui définit le champ du patrimoine et établit les conventions mises en place par les Etats. Cette définition elle-même est critiquable et peut

9Actualités, Le Non-Lieu, 2020, Exposition Bleu de Travail,

< http://non-lieu.fr/exposition-bleu-de-travail-dernier-week-end >, consulté le 2 octobre 2020 10Annexe 7 : Programme de l'exposition Bleu de Travail au Non-Lieu, à Roubaix

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poser quelques questions, comme nous le verrons ultérieurement. Selon cet organisme donc :

« Le patrimoine culturel est, dans son sens le plus large, à la fois un produit et un processus qui fournit aux sociétés un ensemble de ressources héritées du passé, créées dans le présent et mises à disposition pour le bénéfice des générations futures. Il comprend non seulement le patrimoine matériel, mais aussi le patrimoine naturel et immatériel. »11

L'Unesco parle d'emblée de patrimoine culturel, impliquant que le patrimoine est relatif aux aspects intellectuels des sociétés humaines. Cela s'applique donc au patrimoine culinaire qui serait une ressource fondamentale dans le lien intergénérationnel et qui pourrait être une ressource intéressante pour les habitant.e.s et donc par corrélation pour la Ville.

Selon Denis Cerclet, anthropologue, le patrimoine est « une idée à travers laquelle on exprime une conception du monde », ce qui vient rejoindre l'idée de l'Unesco concernant son lien à la société. Dans cette perspective, on ne peut pas vraiment définir ou délimiter le patrimoine à part en interrogeant les groupes sociaux pour observer ce qu'ils déterminent eux-mêmes comme étant important et à transmettre.

L'Unesco exprime également dans ses définitions le fait que :

« Ces ressources constituent des « richesses fragiles » et nécessitent comme telles des politiques et des modèles de développement qui préservent et respectent la diversité et le caractère unique du patrimoine culturel, car une fois perdues, elles ne sont pas renouvelables. » 12

Ce rappel de la précarité du patrimoine nous permet de voir pourquoi il est si important de mettre en place des politiques pour le valoriser et permettre sa transmission. C'est d'ailleurs dans cette dynamique que cet organisme met en place des conventions pour faciliter la mise en place de programmes de transmission et de conservation.

Pour l'Unesco, le patrimoine culturel est un moyen de transmission de l'expertise, des savoirs, et des connaissances entre les générations. Mais au-delà de ça, il permet aussi d'inspirer les jeunes générations pour créer, innover et produire les oeuvres et les pratiques contemporaines et futures 13 . Il doit aussi être valorisé car les impacts positifs qui y sont liés sont nombreux, comme le fait de favoriser l'accès de la diversité culturelle, enrichir le capital social et contribuer à soutenir la cohésion sociale et territoriale (ce qui correspond à des

11Patrimoine immatériel, UNESCO, date inconnue, Qu'est-ce que le Patrimoine culturel immatériel ?, < https://ich.unesco.org/fr/qu-est-ce-que-le-patrimoine-culturel-immateriel-00003 >, consulté le 30 août 2020 12 Dimension patrimoine, UNESCO, date inconnue, Indicateurs Unesco de la culture pour le développement , < https://fr.unesco.org/creativity/sites/creativity/files/digital-library/cdis/Dimension%20Patrimoine.pdf >, consulté le 30 août 2020

13Patrimoine immatériel, UNESCO, date inconnue, Qu'est-ce que le Patrimoine culturel immatériel ?, < https://ich.unesco.org/fr/qu-est-ce-que-le-patrimoine-culturel-immateriel-00003 >, consulté le 30 août 2020

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problématiques territoriales roubaisiennes). Enfin, un dernier impact qui est souvent négligé est l'apport économique. En effet, le patrimoine culturel peut générer des flux touristiques et être un apport important pour la ville, et par conséquent pour certain.e.s habitantes et habitants. Roubaix étant déjà un pôle attractif avec ses divers musées et ses circuits touristiques, y ajouter des attractions culinaires et des actions de valorisation ne ferait que renforcer et dynamiser ses activités touristiques.

La définition du patrimoine culturel englobe donc le patrimoine culturel immatériel, aussi appelé patrimoine vivant. Toutes les étiquettes de définition se superposent ce qui peut mener à une difficulté de compréhension de l'organisation de l'Unesco. Nous allons nous intéresser à présent à la distinction matériel/immatériel si souvent employée et aux approches de protection qui entourent ces patrimoines.

B) Les différentes approches de patrimonialisation

Le patrimoine vivant est assimilé au patrimoine immatériel et a été encadré pour la première fois en 2003 dans une Convention qui en a délimité les contours 14 . C'est donc au début des années 2000 que les organismes internationaux ont commencé à questionner quelles actions devaient encadrer les activités et pratiques du patrimoine vivant 15 . Comme nous l'avons mentionné précédemment, en passant au patrimoine idéel, on arrive dans quelque chose qui n'est pas palpable, et donc difficilement définissable ou quantifiable. Comment alors mettre en place des actions définies pour quelque chose d'impalpable ? Dans sa Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de 2003, l'Unesco a donc commencé par essayer de délimiter les contours de ce patrimoine dans l'article 2 en insistant sur l'importance de ne pas hiérarchiser les pratiques culturelles, et de mobiliser les collectifs dans la détermination du patrimoine, en en donnant la définition suivante :

« On entend par « patrimoine culturel immatériel » les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire - ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés - que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d'identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le

14Notice, UNESCO, 2003, Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, < https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000132540_fre >, consulté le 30 août 2020

15Culture, UNESCO, date inconnue, Sauvegarder le patrimoine vivant des communautés, < http://www.unesco.org/new/fr/culture/resources/in-focus-articles/safeguarding-communities-living-heritage/#to pPage >, consulté le 30 août 2020

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respect de la diversité culturelle et la créativité humaine. Aux fins de la présente Convention, seul sera pris en considération le patrimoine culturel immatériel conforme aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l'homme, ainsi qu'à l'exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus, et d'un développement durable. » 16

Les exemples de patrimonialisation cités précédemment font seulement référence à la valorisation par des collectifs et par les Etats. Mais le patrimoine n'est pas seulement valorisé par les institutions, il peut également être mis à l'honneur par des individus privés qui possèdent les moyens de le valoriser, et crée donc des musées ou autres lieux de valorisation. Au Bénin par exemple, dans la ville de Porto-Novo, un musée de valorisation de l'histoire de l'esclavage et des liens entre le Bénin et le Brésil a été ouvert en 1998 par Urbain-Karim-Elisio da Silva. Ce sont la notoriété de cette personne et ses moyens financiers personnels qui ont rendu possible la création de cette structure 17 .

A Roubaix, il existe également des initiatives associatives et privées pour valoriser l'histoire de l'immigration 18 . On retrouve des associations qui regroupent la parole des habitants et habitantes dans une démarche de conservation des paroles et mémoires, et également des particuliers qui cherchent à valoriser l'histoire de l'immigration (principalement au sein de la communauté de harkis algériens de Roubaix) 19 . On se retrouve donc avec deux cas de figure : dans le premier, c'est le discours officiel des institutions qui est traduit dans les infrastructures muséales et les expositions, de l'autre celui d'individus privés. Dans les deux cas, on est face à un rapport biaisé aux événements, et qui questionne la possibilité même d'un discours objectif. Chaque partie apportera sa lecture propre d'une époque, d'un événement avec sa grille d'analyse particulière. En France, de façon globale, la mémoire tend à être nationalisée comme le souligne Olivier Lazzarotti, géographe qui travaille sur les liens entre le patrimoine et la géographie. Cela implique une certaine construction de la mémoire avec un choix fait selon les envies et besoins politiques. La

16Notice, UNESCO, 2003, Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, < https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000132540_fre >, consulté le 30 août 2020

17Ana Lucia, ARAUJO, « Patrimoine de l'esclavage, mémoire reconstituée : le Musée da Silva », Africultures ,

vol. 70, no. 1, 2007, pp. 75-80 .

18Mathilde, WYBO, Culture, patrimoine et migrations à Roubaix. Une exploration de l'identité « ville-monde » , Mémoire non publié, 2009,

< https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Patrimoine-ethnologique/Soutien-a-la-recherche/Travaux-de-rec herche/Liste-des-travaux-de-recherche-par-mots-cles/Migration >, consulté le 15 juin 2020

19D'un monde à l'autre , répertoire des actions autour de la mémoire dans la région nord. Association Service Social Familial Migrants (Assfam) , projet Mosaïque de vie, Mémoires d'immigrés à partager. Laisse ton empreinte, écriture d'une chanson comme récit d'un parcours d'exil. Riquita , réalisation du documentaire Roubaix-Tourcoing. Vidéorème, production du film Les jardiniers de la rue des martyrs. Association Tam Tam 59 , réalisation de douze portraits d'immigrant.e.s. Association Fatima Zohra, réalisation de l'ouvrage De fil en Aiguilles. Liste non exhaustive.

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conséquence de ce fonctionnement est qu'il peut être difficile d'effectuer un travail de mémoire local, et qu'il y a peu de place pour la parole des populations. Cela contribue également à la construction d'une mémoire unique. En parlant de « la » mémoire, on exclut la possibilité qu'aient pu coexister plusieurs réalités sur une même temporalité, sans qu'elles soient contradictoires. Lazzarotti définit la mémoire de l'Unesco comme « négociée et élective » pour souligner les biais qu'elle comporte20 . Même si d'autre facteurs comme le fait d'être un produit marchandisé sont à prendre en compte, cela peut expliquer pourquoi certains éléments patrimoniaux comme la cuisine ou d'autres pratiques locales ne soient pas du tout valorisées et qu'il soit difficile de mettre en place un travail de mémoire alors que l'organisation même des institutions établit une hiérarchie et un certain contrôle sur ce qui est présenté.

Aussi, les méthodes de valorisation peuvent amener certaines difficultés. En effet, plusieurs problématiques s'opposent : traditionnellement, les municipalités et l'État valorisent le patrimoine dans les structures muséales. De nombreuses études menées sur la question critiquent l'exoticisation des objets étrangers. C'est le cas des objets pratiques du quotidien, comme des objets de cuisine ou d'habillement qui n'ont rien de spécifique en soit pour les communautés et sont présentés comme des objets rares et beaux comme au Musée des arts premiers à Paris. Cela ne fait que conforter les idées préconçues des visiteurs et visiteuses sans replacer les objets dans leur contexte21 . Certains musées africains comme le musée national du Mali, la fondation Zinsou ou l'Ecole du Patrimoine Africain, tous deux au Bénin, tentent de remédier à cette problématique en se réappropriant les objets et en les présentant de façon différente. Ce renouvellement de la muséographie peut nous amener à penser que le patrimoine culinaire doit être valorisé et montré hors des institutions et hors du cadre classique, la volonté sous-jacente étant de stimuler le dialogue interculturel et de motiver les plus jeunes générations héritières de l'histoire.

Enfin, il semble essentiel d'aborder la problématique de la labellisation du patrimoine. Avant la mise en place de la Convention en 2003, il existait un label appelé « trésors vivants » dont Gérard Derèze redonne dans ses travaux la définition suivante :

« Les trésors vivants sont des individus ou des collectivités qui exercent des activités d'une valeur remarquable sur le plan culturel, utile pour

20Olivier, LAZZAROTTI, « Le patrimoine, une mémoire pas comme les autres », L'Information géographique, vol. 81, no. 2, 2017, pp. 12-31.

21Alban, BENSA, Malik, NDIAYE , « Quel renouveau pour la muséographie ? », Africultures , vol. 70, no. 1, 2007, pp. 169-173.

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l'exercice d'un art majeur, caractéristique (d'un mode de vie, d'une localité). Le statut de trésor vivant est assorti de mesures permettant de perpétuer les techniques, savoirs et pratiques d'intérêt ethnologique et d'assurer leur transmission par la formation de nouveaux détenteurs,

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ainsi que la connaissance scientifique détaillée. »

La définition mentionne le fait que ce soit aux collectifs d'individus de déterminer ce qui est utile et remarquable sur le plan culturel. Comme nous le mentionnions précédemment, il peut être intéressant pour les villes de compter sur leur patrimoine pour se développer et devenir plus attractives. Mais, paradoxalement, ce patrimoine touche à la réalité et l'histoire de certaines communautés, et est donc très personnel. Comme le souligne Christine Douxami, les labels « [mettent] en jeu les identités nationales et la construction de la mémoire collective à l'aune d'un regard transnationalisé23 ». Nous avons déjà souligné la nécessité de ne pas figer ce patrimoine pour en faire une vitrine de l'histoire alors qu'il est lui-même en constante évolution. Se pose alors la question des « bonnes pratiques » et cela reste sans réponse, l'Unesco ayant fait face à ces problématiques sans pouvoir déterminer de liste précise, chaque situation ayant ses enjeux propres.

Cependant, on a pu constater qu'au niveau matériel, des bâtiments ou lieux classés Site mondial de l'Unesco se sont retrouvés endommagés par l'affluence touristique. Au niveau immatériel, des pays ont fait vitrine de certaines traditions, les sortant complètement du réel pour en faire un folklore à touristes. Le risque d'exoticisation des pratiques et de dépossession des communautés est un enjeu fort qui mérite d'être traité avec intelligence et responsabilité. Un des exemples positifs qui peut être cité dans des démarches de réappropriation du savoir et de transmission concerne le cas des danses traditionnelles khmères. En effet, le Cambodge a vu une partie de son histoire effacée avec la dictature de Pol Pot entre 1975 et 1979 24 . A la fin du régime autoritaire et meurtrier des Khmers Rouges, la société cambodgienne a dû se reconstruire. Les accords de paix n'ayant été signés qu'au début des années 1990, on peut voir que les préoccupations culturelles sont relativement récentes. La tentative de destruction d'une partie de la société et de ses pratiques culturelles rend encore plus importante la nécessité de transmettre les pratiques en question. Dès lors, la volonté de transmettre aux jeunes générations les pratiques artistiques traditionnelles se manifeste et sont créées des écoles d'arts traditionnels et modernes. Ainsi, les jeunes y sont formé.e.s aux techniques de danses anciennes par une formation à la fois traditionnelle et contemporaine. Les spectacles et

22Gérard, DERÈZE, « De la culture populaire au patrimoine immatériel », Hermès, La Revue, vol. 42, no. 2,

2005, pp. 47-53 .

23Christine, DOUXAMI, « Circulation et transmission des savoirs issus des patrimoines immatériels : le cas afro-brésilien », Autrepart, vol. 82, no. 2, 2017, pp. 51-67.

24Ben, KIERNAN, The Pol Pot regime: race, power, and genocide in Cambodia under the Khmer Rouge, 1975-79, Yale University Press, 2002

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représentations attirent évidemment bon nombre de touristes, ce qui permet de valoriser ce patrimoine tout en créant des bénéfices pour les communautés locales et en transmettant aux jeunes. Ce type de dispositif pourrait se révéler pertinent dans le contexte de la valorisation du patrimoine culinaire, avec un enseignement adapté dans les milieux scolaires spécialisés. Une certaine transmission des pratiques traditionnelles et classiques permettrait aux jeunes d'être formé.e.s et de disposer librement de ces savoirs multiples. Le cas du Cambodge n'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres, mais il est pertinent car les actions instaurées pourraient se voir implémentées à Roubaix.

Il a été ici question du patrimoine vivant et de son périmètre ainsi que des écueils à éviter, nous allons à présent voir comment la cuisine s'inscrit dans le champ du patrimoine immatériel, et comment elle a trouvé sa place comme pratique culturelle. En effet, la perception du grand public autour de cette pratique a grandement évolué et ce phénomène est important à souligner.

C) Quelle place pour la cuisine ?

Les différents auteurs et autrices ayant travaillé sur la question du patrimoine culinaire nous permettent de voir qu'il s'agit d'une pratique sociale qui joue un rôle de mémoire important. Fatéma Hal, cheffe d'un restaurant marocain à Paris, souligne d'ailleurs le fait que si cette transmission est en partie orale, elle compte pourtant beaucoup de littérature. Simplement, cette littérature n'est pas toujours accessible en France. De plus, les sociétés occidentales ont parfois une image erronée des sociétés maghrébines, axée sur la tradition ancienne « orale ». Pourtant, la réalité contemporaine est que le savoir se transmet également à l'écrit dans ces sociétés, et que de très nombreux ouvrages contemporains et plus anciens abordent la question culinaire.

Dans sa déclaration de 2002, l'Unesco écrivait :

« Le patrimoine culturel immatériel constitue un ensemble vivant et en perpétuelle recréation de pratiques, de savoirs et de représentations, qui permet aux individus et aux communautés, à tous les échelons de la société, d'exprimer des manières de concevoir le monde à travers des systèmes de valeurs et des repères éthiques. Il comprend les traditions orales, les coutumes, les langues, la musique, la danse, les rituels, les festivités, la médecine et la pharmacopée traditionnelle, les arts de la table et savoir-faire. »25

25Observations générales, Unesco, 17 septembre 2002, < https://ich.unesco.org/doc/src/00072-FR.pdf >, consulté le 30 août 2020

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Le problème vis-à-vis de ces définitions est qu'elles ne prennent pas en compte l'évolution des pratiques liées à la migration et excluent le réel. On se retrouve alors dans une situation où seule la cuisine traditionnelle est considérée légitime alors que c'est la cuisine contemporaine qui est issue de tous les métissages qui sera finalement transmise aux générations futures.

Ne pas prendre en compte la contemporanéité contribue à fragiliser le patrimoine dans le sens où cela exclut les pratiques quotidiennes, et comme les populations n'ont pas accès à des événements promouvant la tradition ou ne sont pas intéressées, on érige un mur entre la tradition et le monde contemporain. Certes, sans préservation, la tradition pourrait disparaître. Mais sa protection absolue peut également mener à sa réduction, un intermédiaire est donc nécessaire. Christian Bromberger, dans un écrit sur les ambiguïtés du patrimoine, alerte sur les dérives de la patrimonialisation en arguant du fait que la mise en place d'un inventaire patrimonial et le souhait de protection des traditions festives et culinaires peut finalement être vu comme une folklorisation de certaines pratiques. Aussi, à trop vouloir patrimonialiser, on peut tomber dans des excès qui font que l'on préserve des pratiques qui n'ont plus aucun ancrage dans le monde actuel. Christine Douxami ajoute même que figer une pratique ou une manifestation culturelle et essayer de la faire revenir à une certaine authenticité serait une vision « primitiviste » et c'est un écueil à éviter. Cela est d'autant plus problématique que l'Unesco est une organisation supra-nationale qui consulte les Etats et donc pas directement les groupes concernés.

La cuisine n'a pas toujours été valorisée comme elle peut l'être aujourd'hui, ce qui lui a valu d'être une pratique sociale intime, partagée uniquement dans des cercles fermés à l'exception de quelques cuisines reconnues comme ayant un intérêt gustatif. Certaines gastronomies se sont peu à peu développées avec l'ouverture de restaurants, comme ce fut le cas de la cuisine marocaine à Paris. Les restaurateurs et restauratrices deviennent des « porte-drapeaux » de cette cuisine et permettent d'apporter de la visibilité à une certaine culture26 . C'est pour cette raison qu'il est important de les rendre visibles et de les faire connaître, dans une démarche d'intégration de l'ensemble des communautés.

Plusieurs éléments expliquent le manque d'intérêt pour la cuisine. D'abord, les différentes cuisines sont des éléments d'identification par communauté, et donc par conséquent de catégorisation de l'« étranger ». La cuisine se retrouve ainsi présente dans les manifestations xénophobes par exemple. Lors de l'arrivée des Italiens au début du XXème siècle, ils étaient

26Marie, POINSOT, Fatéma, HAL, « Partage et transmission de la cuisine marocaine en France », Hommes & Migrations, vol. 1283, no. 1, 2010, pp. 24-31.

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qualifiés de « macaronis », de façon dépréciative. Aussi, les stéréotypes racistes comptent

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entre-autre les « fortes odeurs » qui sont dites représenter les étrangers . La cuisine peut donc être un moyen d'exclusion.

Enfin, la cuisine était jusqu'à il y a peu une activité principalement domestique et attribuée aux femmes. Par conséquent, elle n'était pas considérée digne d'intérêt ou complexe, du fait des stéréotypes de genre qui construisent la société et se répercutent dans tous les domaines. Pendant longtemps donc, la gastronomie a pu être valorisée lorsqu'elle était considérée comme une pratique de qualité et de luxe (principalement alors aux mains des hommes) mais pas la cuisine quotidienne (alors perçue comme le devoir des femmes). Les liens culinaires qui rattachent les individus à leur pays d'origine restent très forts et très importants en dépit de toutes les hybridations qui peuvent se mettre en place, il est absolument nécessaire de cesser de les négliger et de leur donner la place qui leur revient. La reconnaissance des pratiques permettrait alors une valorisation des savoirs détenus par les femmes et faciliterait leur émancipation.

Au début de cette réflexion autour de la cuisine, un parallèle a été fait avec la valorisation tardive et pourtant cruciale du patrimoine industriel. Comme l'industrie, la cuisine est une pratique banale en soi. C'est une pratique du quotidien, intérieure aux foyers. Pourtant, elle est pratiquée par tous et toutes, elle est essentielle à la vie et elle comporte une forte composante identitaire et émotionnelle.

Pour citer de nouveau Denis Cerclet :

« Ce sont les groupes eux-mêmes qui doivent déterminer ce qu'il est essentiel de transmettre et typiquement, la cuisine et les pratiques qui y sont liées sont vues comme des liens avec les pays d'origine, ont beaucoup de valeur pour les groupes détenteurs de ces pratiques et,

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par conséquent, mériteraient d'être valorisés. »

Comment alors cette pratique intime de la cuisine a-t-elle pu prendre sa place dans l'espace public et devenir une pratique sociale commune ? Pour traiter de ce point, nous pouvons nous pencher sur le phénomène d'événementialisation de la gastronomie. En partant des grands restaurants reconnus pour leur cuisine qui ont commencé à faire des événements centrés sur eux, on en arrive finalement au développement de la street food, et la découverte de nouvelles cuisines devient une activité, reconnue notamment parmi les plus jeunes. A Roubaix, la municipalité fait le choix d'inviter les associations communautaires à se charger des buffets

27Jacky, DURAND, « Le goût de la migration », Libération, 30 novembre 2015, < https://next.liberation.fr/culture/2015/11/30/le-gout-de-la-migration_1411385 >, consulté le 15 juin 2020 28Gérard, DERÈZE, « De la culture populaire au patrimoine immatériel », Hermès, La Revue, vol. 42, no. 2, 2005, pp. 47-53 .

lors de divers événements organisés par la Ville. Cette habitude s'est installée depuis plusieurs années, trouvant son public et une résonance parmi les habitants et les habitantes. Ces dernier.ère.s sont souvent ravi.e.s de pouvoir découvrir une cuisine ou profiter d'un repas qu'ils apprécient particulièrement. Ce premier pas permet de faire connaître leur cuisine et de dynamiser la transmission et le partage. Pour aller plus loin, il pourrait être intéressant d'organiser des événements purement culinaires qui permettraient de mieux parler de cette question et d'aborder les processus de réalisation ou l'histoire de certains plats.

Actuellement, à Roubaix, ce sont les associations qui sont dépositaires des savoirs culinaires et de leur transmission à travers les ateliers qui existent au sein des centres sociaux ou par la nourriture vendue lors de diverses manifestations culturelles. Au Centre Social des 4 Quartiers par exemple, des ateliers culinaires ont lieu régulièrement au sein de la structure. Ces ateliers ont plusieurs visées : d'une part, ils permettent à des personnes de se retrouver et donc à un groupe de femmes de créer du lien social (en l'occurrence, le groupe rencontré était exclusivement féminin). D'autre part, ils permettent de réaliser une action de solidarité. Les repas préparés sont vendus à bas prix et les fonds collectés sont utilisés pour réaliser des actions auprès de personnes en difficulté sociale. Enfin, ces ateliers sont des espaces d'échanges qui permettent de partager des savoirs et de faire appel aux connaissances des unes et des autres pour proposer des repas de qualité (ce sont exclusivement des femmes qui y participent). La valorisation des savoirs individuels contribue à la réinsertion quand les personnes se retrouvent en situation de marginalisation sociale, et apporte de la reconnaissance.

Rendre le champ de la pratique culinaire culturel redonnerait de la voix à certains groupes et pourrait permettre la création de dialogue entre les groupes marginalisés. La cuisine fait partie de ces pratiques exclues des arts classiques car considérée comme subalterne, d'où la nécessité de lui attribuer un processus de valorisation particulier qui mette en avant son hybridité. La patrimonialisation de la cuisine est donc un processus de valorisation et de conservation et de transmission de savoirs, au croisement de la patrimonialisation sociale et de celle de l'immatériel comme le rappellent Amaia Errecart, Philippe Fache, Marien Paris dans leur article intitulé La gastronomie : de l'institutionnalisation à l'événementialisation publié en 2019 dans la revue L'Harmattan. Dans le même article, ils donnent la parole au sociologue Jean Davallon pour qui il est clair que la mise en avant récente de la cuisine exprime la nécessité de « reconstitution d'un lien avec le passé ». Sa puissance serait donc de réussir à toucher les jeunes, à travers lesquels elle pourrait devenir une pratique tout à fait commune et globale. Cela dit, il peut être intéressant de souligner les limites de ces discours.

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La cuisine étant un aspect vital de nos vies, elle permet de créer du lien sans chercher à comprendre l'autre dans son entièreté, ou d'autres pratiques quotidiennes qui pourraient, dans les discours politiques, être montrées du doigt. Elle est un premier pas vers l'autre qui ne présume pas pour autant une réelle réflexion autour des questions migratoires.

En conclusion, on peut noter qu'à l'heure actuelle, les Etats signataires de la Convention de l'Unesco ne sont pas contraints à la mise en place d'actions de valorisation ou au respect de la mobilisation de ressources attribuées à cette protection. Thierry Garcia et Anne Héritier le soulignent dans leur analyse de la Convention établie en 2003, toutes les « obligations » ont été modifiées pour employer le terme « mesures », ce qui dédouane les Etats de tout caractère contraignant. Comment alors s'assurer que les Etats mettent des moyens à disposition ? Et pour les Etats et collectivités qui s'en emparent, quelles sont les stratégies utilisées ?

L'étude des groupes de populations et de leurs activités sur le territoire que nous allons à présent réaliser nous apportera des éléments de compréhension des actions municipales, et constituera la base de réflexion sur les actions de valorisation du patrimoine à mettre en place. Pour mieux comprendre comment le patrimoine a pu être structuré à Roubaix et comment les dynamiques actuelles se sont instaurées ; nous allons réaliser une rétrospective non-exhaustive des migrations sur le territoire du Nord-Pas de Calais, des pratiques à l'oeuvre et des actions instaurées par la municipalité.

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II - Le contexte interculturel

La valorisation du patrimoine interculturel est pertinente à Roubaix, « ville des 100 nationalités29 ». En effet, le nombre de groupes ethniques est plus élevé à Roubaix que sur le reste du territoire, de façon générale, comme nous avons pu le mentionner précédemment. Selon les enquêtes et recensements réalisés par l'INSEE, en 2016, 21,9% de la population roubaisienne est une population immigrée, pour une moyenne nationale de 9,7% 30 . Par « population immigrée », on entend une personne née étrangère à l'étranger et résidant en France. C'est le pays de naissance qui définit l'origine géographique d'une personne immigrée. Elle inclut donc les personnes ayant acquis la nationalité française comme celles étant étrangères en France 31 . Cette définition adoptée par le Haut Conseil à l'Intégration est celle utilisée par l'Insee. La multiculturalité de Roubaix est donc établie, et au-delà des chiffres on retrouve à travers la diversité de commerces, lieux de cultes, et le tissu associatif les traces de cette réalité.

Mais pourquoi peut-on parler de « contexte interculturel » ? L'interculturalité, comme définie par Abdelhafid Hammouche, est « un mouvement par la pensée comme par le geste - d'échange, d'opposition ou de rapprochement, mais se fondant et se redéfinissant relationnellement32 ». Le fonctionnement et les dynamiques établies sur un territoire varient selon les interactions qui s'établissent entre les groupes, les individus et identités. D'après le travail de recherche réalisé au sein de la municipalité sur le second trimestre 2020, nous avons pu constater que cette interculturalité transparaît aux niveaux politique, économique, et sociologique dans les politiques municipales. Au niveau politique, elle s'illustre par un ensemble de politiques municipales qui ont été mises en place selon les mandats, autour de la question migratoire notamment (création de commissions municipales sur la question migratoire, développement culturel des langues de migration). Au niveau économique, on peut lier activité professionnelle et immigration, reconnaissant le fait que les bassins textile et minier ont été la raison première de l'arrivée des populations étrangères comme main d'oeuvre. Aujourd'hui, les jeunes générations de roubaisiens et roubaisiennes sont aussi le fruit de cette histoire et des dynamiques spécifiques s'appliquent. Au niveau sociologique, on voit que la structure de population à Roubaix est issue d'une histoire ouvrière et compte parmi ses

29Sylvie, BRIET, « Roubaix a décollé », Libération, 11 décembre 2004, < https://www.liberation.fr/villes/2004/12/11/roubaix-a-decolle_502484 >, consulté le 7 septembre 2020

30Démographie , L'internaute, 2018, Population à Roubaix,
< http://www.linternaute.com/ville/roubaix/ville-59512/demographie >, consulté le 10 juin 2020

31Définitions, INSEE, 2020, Immigré, < https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1328 >, consulté le 10 juin 2020

32Abdelhafid, HAMMOUCHE, « Définir l'interculturalité par les situations, les rapports pratiques et symboliques », Hommes & Migrations, hors série, 2008, pp. 4-8.

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habitants et habitantes des populations très diverses et inégales en termes de richesse, d'accès aux équipements municipaux, à l'éducation, à la culture. Cela a d'ailleurs amené la ville à créer la Commission Extra Municipale des Populations Etrangères (CEMPE) en 1977 pour pallier certaines difficultés.

La Ville de Roubaix a été et reste un terrain d'expérimentation au développement de politiques interculturelles, réunissant une diversité européenne, africaine, mais aussi asiatique. En cela, ce territoire me paraît pertinent pour parler de la nécessité de valoriser le patrimoine culinaire et tenter de voir quelles actions pourraient être mises en place pour pallier l'absence d'action qui existe actuellement. Roubaix regroupant une multitude de communautés avec des histoires singulières, nous allons commencer par retracer de façon synthétique les migrations majeures qui ont construit le paysage roubaisien tel que nous le connaissons aujourd'hui.

A) Roubaix, terre de migration

La région des Hauts de France anciennement Nord-Pas de Calais et la ville de Roubaix sont des terres de migrations depuis plus d'un siècle de par le développement industriel précoce de la région qui a nécessité une main d'oeuvre nombreuse, comme nous allons le voir ci-après. L'histoire des migrations à Roubaix s'étale sur plusieurs siècles et est composée de courants migratoires spécifiques. Sa population et sa structure ont été définies par les groupes qui ont établi leurs foyers dans la ville. Certaines populations sont plus notables que d'autres en nombre d'individus, et ont donc plus ou moins influencé les habitudes, la structure et le fonctionnement de la ville.

La migration roubaisienne est documentée de façon plus ou moins abondante selon les périodes, mais suffisamment pour que l'on puisse établir une chronologie. Depuis la définition des frontières en 1815 lors du Congrès de Vienne, les mouvements interrégionaux qui existent avec certaines régions belges ont pu être qualifiés et quantifiés. En effet, à la fin du XIXème siècle, la moitié de la population de Roubaix est belge et provient du Hainaut, de Flandre orientale ou de Flandre occidentale 33 . Cette main d'oeuvre est connue pour être d'abord tournée vers le milieu agricole avec des migrations qui peuvent être durables mais aussi hebdomadaires et journalières. Les micro-migrations belges permises par le développement du chemin de fer durent jusqu'au début du XXème siècle. Avec la révolution industrielle et le développement du bassin industriel du Nord, cette main d'oeuvre sera reconvertie au textile (premier bassin d'emploi à l'époque) et à l'extraction minière. Cependant, l'organisation de ces migrations avec des déplacements quotidiens reste une

33Judith, RAINHORN, « Le Nord - Pas-de-Calais, une région frontalière au coeur de l'Europe », Hommes & Migrations , no. 1273, 2008, pp. 18-34.

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réalité jusque dans les années 1950-1960.

Au-delà de la migration belge, la majorité des courants migratoires se sont mis en place pour des raisons géopolitique et économique. On observe donc une augmentation des arrivées dans le nord de la France à des périodes critiques comme la fin de la première guerre mondiale, avec une arrivée massive d'immigrés polonais et italiens dès 1919. Les reconstructions d'après la guerre nécessitaient beaucoup de main d'oeuvre, et les Etats (européens dans un premier temps) ont mis en place des accords politiques pour faciliter la gestion des travailleurs. On peut par exemple citer les accords entre la France et la Pologne mis en place dès 1919 pour organiser le recrutement collectif d'ouvriers dans des régions polonaises dévastées (entre-autre la Silésie) 34 . La majorité des Polonais sont des hommes recrutés pour réaliser les travaux d'extraction minière. Dans les années 1930, le taux d'immigrés dans la population roubaisienne avoisine 11%, pour une moyenne nationale autour de 6.6% 35 .

Dans les années 1930, on note une migration politique des juifs polonais qui viennent s'installer en France pour se protéger d'un climat de tension et fuir les persécutions. Cette migration diffère de la première principalement de par l'origine sociale des migrants. En effet, les arrivants polonais de cette période étaient majoritairement commerçants indépendants. Ils vivaient une réalité différente de celle de leurs compatriotes arrivés précédemment car ils étaient peu intégrés au groupe communautaire et cherchaient à construire des relations commerciales avec les catholiques aisés de la région. Au niveau géographique ils n'étaient pas installés dans les mêmes quartiers que leurs compatriotes.

Comme la première guerre mondiale, la seconde guerre mondiale est initiatrice d'une nouvelle vague migratoire vers la France, formée de populations italiennes. En effet, on observe clairement un courant migratoire italien entre 1945 et 1962, en partie dû à un accord négocié là aussi entre les deux Etats 36 . Parallèlement aux Italiens, la population algérienne devient importante à Roubaix à partir de 1945. Les Algériens peuvent, à l'époque, venir sans contraintes sur le territoire, comme les Martiniquais, Guadeloupéens ou Réunionnais puisque l'Algérie est encore un département français. Les jeunes arrivant sur le territoire sont, pour la plupart, des hommes travailleurs de l'industrie lourde. En 1948, le recensement compte 9500 Algériens. Par la suite, entre 1962 et 1983, la population algérienne va tripler à Roubaix, soit 23400 en 1962 37 .

34Judith, RAINHORN, « Le Nord - Pas-de-Calais, une région frontalière au coeur de l'Europe », Hommes &

Migrations , no. 1273, 2008, pp. 18-34.

35Ibid

36Ibid

37Ibid

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Le bassin méditerranéen devient une région de migration à partir des années 1960. En effet, ce sont principalement des personnes originaires du Maroc, d'Espagne et du Portugal qui viennent s'installer à Roubaix à cette époque. Ils viennent en nombre assez important pour que se créent des communautés définies. Dans le cas des Marocains, un accord d'immigration mis en place en 1963 facilite leur venue.

Cette rétrospective sur les migrations n'est qu'un bref aperçu de toutes les dynamiques qui se sont mises en place, et ne prend en compte que les migrations durables, alors que des migrations temporaires européennes et avec le Maghreb continuent d'exister. Néanmoins, elle présente les courants migratoires qui ont formé la culture du Nord-Pas de Calais et influencé durablement le territoire.

Aujourd'hui, on ne peut plus considérer en termes démographiques que la France soit toujours un pays d'immigration (sauf pour les réfugié.e.s). Comme l'explique Georges Rochcau, en termes démographiques il existe bien un « stock » de personnes immigrées, mais les « flux » sont tellement faibles par rapport à la population qu'ils ne sont pas notables. Le seul flux encore actif est celui lié au regroupement familial, mais ce dernier ne concerne que moins de 1% des étrangers 38 .

Depuis les années 1970, on a assisté à une forte transformation migratoire avec un changement de la structure sociologique des communautés. L'arrivée des familles dans le cadre des programmes de regroupement familial a favorisé un rajeunissement et une féminisation de la population. Cette évolution est à l'origine d'une dispersion géographique des groupes anciennement implantés (belges, polonais et italiens) 39 . Au dernier recensement de l'Insee en 2016, on compte 21,9% d'immigrés à Roubaix, avec parmi eux 49,7% d'hommes et 51,3% de femmes, une relative égalité entre les sexes40 . Ces chiffres restent supérieurs à la moyenne nationale, cette dernière étant en 2016 à 9,7% d'étrangers sur le territoire national41 . La présence de ces groupes sur le territoire a été plus ou moins critiquée, controversée ou acceptée. La volonté de la Mairie et de l'Etat d'accueillir ces populations a évolué, s'est construite avec les différentes théories et doctrines qui sont nées des recherches menées à la même époque. Nous allons maintenant voir quelles ont été ces doctrines et pourquoi le patrimoine et les savoirs dont disposent les groupes étrangers, dont la cuisine fait partie, ont été invisibilisés et sous-estimés si longtemps.

38Georges, ROCHCAU, « Intégration ou assimilation. Migration et patience », Hommes & Migrations, no. 1100, 1987, pp. 38-42.

39Judith, RAINHORN, « Le Nord - Pas-de-Calais, une région frontalière au coeur de l'Europe », Hommes & Migrations , no. 1273, 2008, pp. 18-34.

40Annexe 4 : La population immigrée à Roubaix, 2016

41Annexe 5 : Répartition des immigrés à Roubaix

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L'arrivée d'un groupe de population sur un territoire apporte inévitablement des adaptations et des évolutions, que la population d'accueil le souhaite ou non42 . John W. Powell, anthropologue états-unien, parle dès 1880 de « phénomènes d'acculturation » pour qualifier les transformations culturelles induites par l'arrivée de ces nouveaux groupes de population43 . L'Etat, et à plus petite échelle les collectivités, mettent en place un certain nombre d'actions lorsqu'ils souhaitent contrôler ces flux et gérer l'intégration des populations sur leurs territoires. L'organisation des flux de populations est donc fortement liée aux réflexions politiques et sociologiques qui entourent la question migratoire. En France, on observe plusieurs théories concernant les étrangers, de l'assimilation à l'interculturalité. Cette évolution de la pensée ainsi que l'évolution des contextes politiques va évidemment définir en partie la relation des Français nés en France aux populations étrangères.

Près d'un siècle après les travaux réalisés par Powell, les auteurs John W. Berry et David L. Sam ont mis en place, dans les années 1990, un modèle qui permet de distinguer quatre situations d'acculturation pour des personnes étrangères arrivant dans un nouvel environnement. Ce modèle questionne la volonté et la capacité des individus ainsi que des groupes à garder et développer leur culture d'origine, et la volonté et l'envie d'adopter les codes de la culture d'accueil 44 .

La première situation évoquée par Berry est l'assimilation : l'individu abandonne son identité et sa culture d'origine. Il doit devenir un citoyen « comme les autres », si toutefois il existe une culture standard, et tout semblant de marque d'appartenance à une autre culture devient critiquable et facteur de rejet.

Une autre stratégie définie par Berry et Sam est celle de l'intégration, qui est une dynamique dans laquelle l'individu maintient des aspects de sa culture d'origine tout en ayant des contacts avec la société d'accueil et en adoptant certaines pratiques. Dans cette situation, il devient possible pour les groupes de transmettre des connaissances, des savoirs et des traditions liés au pays d'origine à leurs enfants, comme les savoirs culinaires. Pour Georges Rochcau, l'intégration des étrangers est un phénomène inéluctable, il varie simplement dans sa rapidité à se mettre en place selon les groupes étrangers et selon les pratiques de chaque groupe. Pour cet auteur, un des éléments observables est entre autres l'augmentation des mariages mixtes au fil des générations, ce qui favorise une forte intégration sociale. L'intégration est très variable selon les groupes communautaires ce qui peut expliquer certaines différences selon les régions d'accueil.

42Georges, ROCHCAU, « Intégration ou assimilation. Migration et patience », Hommes & Migrations, no. 1100, 1987, pp. 38-42.

43INCONNU, « Acculturation et interculuralité », Ancrages, no. 11, 2016

44Annexe 6 : Les stratégies d'acculturation de Sam et Berry

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Il reste encore deux situations évoquées par Berry qui elles sont toutes les deux des situations d'éloignement de la société d'accueil, de façon volontaire ou non. La première est celle de la séparation, les communautés d'individus évitent volontairement les interactions avec la société d'accueil. On parle alors de « repli communautaire ». La dernière situation est similaire avec une exclusion des populations qui vient, cette fois, de la part de la société d'accueil. On parle alors de marginalisation. Dans ce cas, la société d'accueil enlève aux individus le droit de participer au fonctionnement des institutions et à la vie sociale. Cette dernière situation s'accompagne de confusion identitaire collective et individuelle, d'angoisse et de stress45 . Dans ces deux situations, il semble évident que le patrimoine culturel et humain qu'apporte ces groupes n'est pas source de dialogue et que la société d'accueil est hermétique à leurs pratiques.

Dans la réalité, ce modèle s'applique de plein de façons et on ne peut choisir une situation précise à laquelle la France corresponde. La variété des situations et des possibilités est réelle car la mise en place d'une situation dépend de facteurs politiques mais aussi de choix individuels. Avec une même politique publique, tous les individus d'un même groupe social ou ethnique n'adoptent pas les même stratégies ou comportements. De même, les stratégies employées par les groupes communautaires sont en retour impactées par les politiques publiques.

Cela dit, on peut observer la situation en France sous le prisme de ce modèle. On identifie alors certains fonctionnement qui révèlent des situations générales. L'assimilation a été pendant longtemps ce que la France attendait de ses populations étrangères. La France a toujours été réfractaire au modèle multiculturaliste de par sa tradition philosophique universaliste, et son refus de prendre en compte les spécificités des communautés vivant sur son territoire. Rapportée à notre questionnement sur la question du patrimoine culinaire, cette situation nous permet de voir que dans certaines situations où l'Etat incite les groupes à se départir de leurs pratiques culturelles, il peut être difficile pour les groupes de transmettre leurs savoirs et ces derniers ne seront pas du tout valorisés dans l'espace public et dans les institutions, compliquant le travail de mémoire et de transmission.

On peut aussi observer des situations de séparation et de marginalisation de certaines communautés. Il peut être difficile de distinguer ces deux situations car chaque partie va en tirer une lecture différente. Là où la classe politique voit un « repli communautaire » (comme le disait le président Emmanuel Macron dans de récentes interventions pour désigner les groupes musulmans), les communautés arguent qu'il s'agit d'une situation volontaire de

45INCONNU, « Acculturation et interculturalité », Ancrages, no. 11, 2016

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marginalisation de la part de l'Etat. Il est alors nécessaire d'observer les politiques publiques et de chercher à voir si un recul des droits a eu lieu pour comprendre la situation et déterminer s'il s'agit d'une exclusion volontaire ou d'un rejet. Dans tous les cas, les situations d'éloignement du groupe communautaire avec la société d'accueil sont encore une problématique contemporaine forte.

Dans les années 1980, la France assimilationniste a tout de même vécu un tournant interculturaliste . Divers facteurs ont mené à cette ouverture, comme l'augmentation des mariages mixtes, mais aussi l'arrivée à l'âge adulte de la première génération de français et françaises né.e.s de parents issus de l'immigration. L'élection de François Mitterrand en 1981 et les événements politiques contestataires comme la Marche pour l'égalité et contre le racisme de 1983 auront été autant d'événements décisifs.

Le terme d'interculturalité est apparu dans les années 1975 dans l'environnement scolaire. Selon Martine Abdallah-Pertceille, historienne et professeure en science de l'éducation et français langue étrangère, le préfixe « inter- » du terme « interculturel » indique une mise en relation et une prise en considération des interactions entre des groupes, des individus, des identités 46 . Selon elle, l'interculturel opère une démarche : une éducation interculturelle, une communication interculturelle. Cela implique des actions menées en ce sens. Dans le cas de la ville de Roubaix, la politique municipale a donc mis en place un ensemble de mesures pour permettre de générer une culture commune dans la ville tout en respectant les particularismes et en appliquant l'interculturalité à l'école, à la communication, à l'action culturelle... Ce changement de paradigme permet aux groupes étrangers d'exister plus simplement dans l'espace et de voir reconnues leurs pratiques culturelles lorsqu'elles diffèrent, ainsi que leurs spécificités, tout en existant dans la société d'accueil dont ils ont finalement adopté les codes. Alors, quelles sont les pratiques les plus courantes et identifiables parmi les groupes, lesquelles ont marqué durablement la ville et le territoire et sont susceptibles d'être à l'origine d'un nouveau patrimoine local ? Pour répondre à ces questions, nous reprendrons des ouvrages sociologiques dont celui de Michèle Tribalat, ainsi que des observations réalisées sur le territoire de Roubaix.

B) Pratiques culturelles des groupes migratoires

Suite à la lecture des travaux de Michèle Tribalat, on peut affirmer qu'il n'existe pas de mode de vie typique commun à tous les groupes étrangers. Au-delà des immigrés, les régions

46Martine, ABDALLAH-PRETCEILLE, « Chapitre III - L'interculturalisme en perspective », Martine Abdallah-Pretceille éd., L'éducation interculturelle. Presses Universitaires de France, 2017, pp. 45-80.

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de France ont leurs propres pratiques culturelles et sociales qui se distinguent les unes des autres. Comme le prône l'interculturalisme, il est essentiel de mettre en valeur tant les points communs que les différences pour cohabiter. Les sociologues s'étant intéressés à la question nous permettent de dresser un tableau des pratiques des groupes immigrés en France.

Tous les groupes de population viennent chargés de leur histoire et leurs habitudes. Dans le cas de l'immigration belge de la fin du XIXème siècle par exemple, de nombreux estaminets et commerces alimentaires ont été ouverts par des Belges, ce qui leur a permis d'importer leur habitudes alimentaires et sociales47 . Chaque groupe va apporter à la ville de Roubaix une identité, une façon d'exister sur le territoire, et de le vivre au quotidien. Cela se confronte toujours à la réalité sociale du moment de l'arrivée en France.

D'après les enquêtes menées par Michèle Tribalat dans son ouvrage De l'immigration à l'assimilation paru en 1996 aux éditions La Découverte, on peut dégager des tendances claires de fonctionnement par courant migratoire et par thématique. Dans notre cas, il est intéressant d'observer dans quelle mesure l'intégration sociale et les interactions se mettent en place. On s'intéressera aux groupes d'Europe du Sud (Espagnols et Portugais) et aux groupes issus d'Afrique subsaharienne, ainsi qu'aux Turcs.

Les pratiques sociales de ces groupes sont analysées à travers des questionnaires réalisés au sein des familles. Les thématiques sur lesquelles ils sont interrogés vont du fonctionnement familial à la relation au milieu scolaire en passant par les relations entretenues à l'extérieur du foyer. Il s'agit de dégager des tendances sans qu'il soit pour autant possible de définir des fonctionnements définitifs, les habitudes de ces groupes étant amenées à évoluer et à se construire au fil des générations et selon divers facteurs tels que le niveau d'études ou la classe sociale.

Concernant les pratiques culinaires, l'autrice a identifié des traits communs aux différents groupes. En effet, la cuisine au sein des foyers tend à être très traditionnelle et liée au pays de départ. Les habitudes culinaires sont d'ailleurs qualifiées d'« extrêmement persistantes »48 . Globalement, tous groupes réunis, les foyers réalisent tous majoritairement de la cuisine traditionnelle du pays d'origine plutôt que de la cuisine française. Les Espagnols sont le groupe au sein duquel le plus de personnes cuisinent selon les traditions du pays d'accueil (47 % du groupe prépare les deux types de cuisine et 39%

47Mathilde, WYBO, Culture, patrimoine et migrations à Roubaix. Une exploration de l'identité « ville-monde » , Mémoire non publié, 2009, < https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Patrimoine-ethnologique/Soutien-a-la-recherche/Travaux-de-rech erche/Liste-des-travaux-de-recherche-par-mots-cles/Migration >, consulté le 15 juin 2020

48Michèle, TRIBALAT, De l'immigration à l'assimilation, Enquête sur les populations d'origine étrangère en France, Paris, La Découverte, 1996

surtout de la cuisine française). Cela s'avère presque similaire chez les Portugais, parmi lesquels 29% des individus préparent de la cuisine française. La proximité géographique et culturelle est ici l'élément principal de cette adaptation.

Il faut aussi prendre en compte la présence des ingrédients sur le territoire. En effet, les groupes asiatiques cuisinent très fortement leurs plats traditionnels, parce qu'ils arrivent à retrouver les produits nécessaires à leur préparation sur le territoire français. Le recensement des épiceries à Roubaix révèle en effet une forte présence des épiceries asiatiques (5 magasins dans la ville, et un supermarché) ce qui facilite la préparation de plats traditionnels.

De ces enquêtes on peut également souligner une tendance de l'ensemble des groupes à réaliser des activités au sein de leur communauté, quelles qu'elles soient, cela étant nécessaire à l'entretien du niveau de langue et de certaines pratiques sociales. Au-delà de ce facteur, les groupes auront plus ou moins tendance à sortir et aller au café que les groupes français mais font somme toute des activités similaires. Là où l'on note une différence, c'est dans le fonctionnement des familles face aux institutions et à l'offre culturelle. A part les groupes espagnols et portugais, les autres groupes disent très peu participer aux actions culturelles qui peuvent avoir lieu sur leur territoire. Cela s'avère surtout vrai pour les groupes avec la plus faible maîtrise de la langue française comme les Turcs.

L'autrice analyse également l'importance de la langue maternelle dans le processus d'intégration. Pour des populations étrangères, la maîtrise du français a une fonction stratégique car elle permet d'accomplir les actions du quotidien. Le niveau de maîtrise du français à l'entrée en France était supérieur pour les Espagnols, les Portugais, et les personnes issues d'Afrique subsaharienne. Elle souligne également que plus un groupe compte d'enfants dans sa communauté, plus la maîtrise du français est élevée (entre autres grâce à la scolarisation). La langue permet de ne pas avoir une socialisation avec exclusivement des membres de la communauté, ce qui contribue à une meilleure intégration. La maîtrise du français couplée à la proximité des pratiques sociales explique par exemple que l'intégration soit beaucoup plus aisée pour les Espagnols et les Portugais que pour d'autres groupes. Globalement, la majorité des étrangers arrivant en France parlent des bases de français dans les enquêtes menées par Michèle Tribalat dans les années 1980.

L'enjeu de l'intégration pourrait donc être d'avoir une bonne maîtrise des deux langues, de la langue maternelle ainsi que de la langue du pays d'accueil. Pour les enfants qui doivent faire cohabiter deux cultures, maîtriser les deux langues leur permet d'acquérir des codes spécifiques et de se faire transmettre l'histoire de leur pays d'origine tout en pouvant connaître celle de la société d'accueil. Ces situations fréquentes sont compliquées pour les familles et

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les jeunes. C'est d'ailleurs pour cette raison que la Ville de Roubaix a mis en place des cours pour des langues arabes qui ne sont pas enseignées pas à l'école publique, afin de permettre aux jeunes de comprendre leur histoire, d'apprendre la culture du pays d'où leurs familles viennent, et de faire le lien avec le lieu où ils vivent. Il a d'ailleurs été montré que les personnes immigrées ayant réussi à transmettre leur « culture d'origine » à leurs enfants ont mieux réussi en termes d'ascension sociale49 .

Cependant, dans la récente loi NOTRe sur les droits culturels 50 , il y est spécifié que chaque minorité devrait pouvoir assister à des manifestations culturelles dans sa langue maternelle. Dans le cas de Roubaix où les groupes existent dans des grandes proportions, il serait intéressant de réussir à valoriser des actions dans des langues maternelles. Cela permettrait non seulement de faire participer et d'intéresser des populations éloignées des manifestations culturelles, mais également de permettre aux enfants de voir la culture familiale et la langue pratiquée au sein du foyer valorisées dans l'espace public, ce qui permet de leur accorder une certaine légitimité et favorise la réussite. Certains pays comme le Canada ou la Belgique ont l'habitude de faire coexister plusieurs langues sur leur territoire. Dans les deux cas, ce sont des langues officielles donc la configuration est différente, mais on voit qu'il est tout à fait possible de proposer des actions en plusieurs langues sans que cela soit problématique.

Permettre une participation des groupes étrangers aux actions culturelles serait une première étape à l'inclusion des connaissances et savoir-faire des populations dans la culture locale. Ces pratiques et savoir-faire sont des outils qui se perdent si leur transmission n'est pas organisée. Comme nous l'avons mentionné précédemment, les pratiques culinaires jouent un rôle essentiel de transmission et conservation de la mémoire, et participent à l'intégration. Etant importantes pour les communautés et perçues comme créatrices de liens avec le pays d'origine, et représentatives de valeurs ; il est impératif de les considérer au même titre que d'autre pratiques culturelles au sein du patrimoine immatériel. On peut donc se demander dans quelle mesure, au-delà du réseau associatif qui participe déjà à leur transmission, la collectivité devrait s'emparer de cet enjeu et s'appuyer dessus pour valoriser l'image de la ville.

La Ville a-t-elle, en tant que municipalité, fait face à ces questions d'intégration ? Comment a-t-elle, ou non, valorisé le patrimoine divers qui s'y trouvait ? La valorisation du

49Mathilde, WYBO, Culture, patrimoine et migrations à Roubaix. Une exploration de l'identité « ville-monde » , Mémoire non publié, 2009, < https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Patrimoine-ethnologique/Soutien-a-la-recherche/Travaux-de-rech erche/Liste-des-travaux-de-recherche-par-mots-cles/Migration >, consulté le 15 juin 2020

50Journal Officiel, Legifrance, 2015, LOI n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, < https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000030985460/ >, consulté le 3 octobre 2020

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patrimoine tel que le patrimoine culinaire apparaît aujourd'hui comme une nécessité. Serait-ce le résultat d'une démarche politique d'intégration démarrée il y a des décennies ?

C) L' action municipale

La politique municipale roubaisienne est orientée depuis les années 1970 vers la gestion du vivre-ensemble et la mise en place d'une démocratie culturelle, le tout accompagné de programmes locaux de développement des quartiers 51 . Cela s'est avéré nécessaire après que la Ville a constaté un réel besoin d'amélioration du contact entre les générations et une restructuration familiale 52 . La tradition politique de Roubaix est de mener des politiques socialistes d'inclusion et de rapprochement entre les différentes cultures qui cohabitent. Pour autant, il est nécessaire de préciser que dans le cas de Roubaix et plus largement dans le bassin industriel du Nord-Pas de Calais, ce ne sont en aucun cas les pouvoirs publics qui ont organisé les flux migratoires mais principalement les patrons industriels 53 . Les municipalités gèrent alors les communautés et leurs relations après que ces flux aient eu lieu (à partir des années 1970). Un exemple parlant est la création de la Commission Extra-Municipale des Populations Etrangères (CEMPE) en 1977 au cours du mandat de Pierre Prouvost, maire socialiste ayant dirigé la Ville de 1977 à 1983. La création d'un organisme qui a pour but de répondre aux difficultés que rencontraient une partie des immigré.e.s, avec pour volonté plus globale d'améliorer leurs conditions de vie et donc leur intégration à la ville, était novateur et ambitieux. Si le débat général était tendu en France dans les années 1980 avec une remise en question très forte des pratiques des communautés musulmanes et étrangères en générale, la ville se devait malgré tout de répondre aux besoins de sa population et d'apaiser les tensions.

Comme le montrent de nombreux écrits dont ceux de Mickael Grelet et Elsa Vivant sur la régénération d'un territoire par la culture 54 , ou celui de Michel David sur la gestion de la diversité culturelle à Roubaix55 , la ville a su profiter de sa situation démographique et de son patrimoine pour se redynamiser. Nous avons précédemment mentionné les diverses stratégies d'accueil des populations, en soulignant le fait que la France avait un modèle assimilationniste. Dans le cas de la Ville de Roubaix, sous le premier mandat d'André Diligent (14 mars 1983 - 27 juin 1994), on observe une nette rupture avec ce modèle et une

51Mathilde, WYBO, Culture, patrimoine et migrations à Roubaix. Une exploration de l'identité « ville-monde » , Mémoire non publié, 2009, < https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Patrimoine-ethnologique/Soutien-a-la-recherche/Travaux-de-rech erche/Liste-des-travaux-de-recherche-par-mots-cles/Migration >, consulté le 15 juin 2020

52Ibid

53Ibid

54Mickael, GRELET, Elsa,VIVANT, « La régénération d'un territoire en crise par la culture : une idéologie mise à l'épreuve », Belgeo , 2014

55Michel, DAVID, « Les enjeux de la diversité culturelle : l'exemple de Roubaix », L'observatoire, no. 29, 2006, pp. 56-57.

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volonté d'inverser les dynamique d'intégration56 . Par cela on parle notamment des actions telles que les rencontres interreligieuses qui favorisent le dialogue social et la connaissance des populations entre elles, par exemple.

L'interculturalité est perçue comme étant seulement liée à l'immigration étrangère et la ville se doit de valoriser toutes les diversités qui existent dans la ville (régionale, européenne, internationale). Le problème que rencontre Roubaix aujourd'hui, et qui s'applique à bien d'autres territoires, est lié à la conception même de cette version de l'interculturel. Le manque d'ouverture des structures institutionnelles sur la diversité de ce que peut être l'interculturalité se traduit dans les actions culturelles mises en place.

Le patrimoine mis en avant par la Ville a eu tendance à s'ouvrir pour élargir son périmètre. Si l'obtention du label Ville d'art et d'histoire en 2001 a permis de valoriser un ensemble de monuments architecturaux et de lieux représentatifs de l'histoire du territoire, il n'en reste pas moins que le patrimoine qualifié d'« immatériel » est dur à encadrer, d'autant plus dans une ville qui compte tant d'histoires et d'influences. Les cultures maghrébines ont pu être valorisées dans certaines institutions culturelles comme récemment à l'Institut de Monde arabe de Tourcoing, ville voisine de Roubaix, où était accessible une exposition sur le Maroc traditionnel et contemporain, pratique et artistique 57 . Les structures permettant de faire le lien entre des cultures étrangères et le pays d'accueil sont essentielles. Il est également essentiel de valoriser les cultures étrangères contemporaines et pas uniquement traditionnelles, pour montrer comment elles évoluent et sont vivantes.

Dans le cas du patrimoine culinaire, la Ville a mis en place un certain nombre de mesures pour valoriser ses structures. L'office de tourisme y a contribué en réalisant un guide des restaurants à Roubaix pour permettre à tous et à toutes de mieux connaître la multitude d'offres. Cependant, ce guide a une vocation commerciale et non informative. Il est donc désormais intéressant que la ville valorise le patrimoine dont disposent les familles et qui, faute d'exposition publique et de travail de recherche et de capitalisation, pourrait être amené à disparaître et à ne plus être transmis. Il continuerait dans tous les cas d'être présent car de nombreuses hybridations se sont mises en place et existent dans la vie quotidienne.

On oppose souvent les cuisines françaises traditionnelles et les autres. Mais la cuisine des territoires du nord est riche d'hybridations depuis plus de deux siècles et cela constitue en soit

56Mathilde, WYBO, Culture, patrimoine et migrations à Roubaix. Une exploration de l'identité « ville-monde » , Mémoire non publié, 2009, < https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Patrimoine-ethnologique/Soutien-a-la-recherche/Travaux-de-rech erche/Liste-des-travaux-de-recherche-par-mots-cles/Migration >, consulté le 15 juin 2020

57Exposition, IMA Tourcoing, 2020, Maroc, une identité moderne,
< https://ima-tourcoing.fr/institut-monde-arabe/exposition-maroc-une-identite-moderne/ >, consulté le 20 mai 2020

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la tradition du lieu : sa capacité à évoluer.

Les actions interculturelles doivent être appliquées à des champs donnés pour apporter une évolution des dynamiques sur le territoire. Elles ne concernent pas uniquement les groupes de populations étrangères ou les générations issues de l'immigration. Le travail de mémoire est essentiel pour assurer une compréhension respective des groupes. Au niveau des institutions et de ce qu'elles proposent, on devra donc observer des actions culturelles contemporaines reflétant des hybridations créées par la diversité. Ainsi, le type de production ou les thématiques choisies reflètent la multitude d'histoires qui composent la ville. Dans le cas de la création du festival de l'Année Thématique, il s'agit de permettre à toutes les personnes de partager leurs savoirs et leur histoire dans des événements gratuits en accès libre. Le choix d'une thématique large comme les histoires du monde ou les saveurs du monde permet de mettre à l'honneur à la fois les histoires locales, les histoires européennes et de plus loin encore, apportées par les personnes arrivées à Roubaix. La diversité est donc soulignée par la ville non seulement en montrant ce que les populations étrangères ou avec des origines étrangères connaissent, mais surtout en croisant les histoires qui ont construit la ville, les histoires françaises classiques traditionnelles, les histoires traditionnelles et contemporaines étrangères. C'est cet ensemble qui permet à la municipalité de valoriser les savoir-faire et les hybridations. Cette valorisation tend généralement à améliorer le sentiment d'appartenance des habitant.e.s et favorise l'investissement sur le territoire. Concernant les pratiques culinaires, nous allons à présent voir comment les habitants et habitantes de Roubaix ayant une histoire internationale perçoivent cette réalité de l'hybridation au quotidien, et comment la Ville en tant que dépositaire de l'autorité peut s'inscrire dans le processus de valorisation.

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III - La cuisine, pratique complexe et centrale

A) Une pratique identitaire

La cuisine est au coeur d'enjeux identitaires et politiques à l'échelle des individus et des sociétés. Sa place grandissante dans le patrimoine a fait entrer cette pratique culturelle dans la liste des outils non-coercitifs d'influence culturelle (« soft power »), et en a fait une thématique politique moderne. Le soft power tel que le définit Jessica Some dans son article Hard power, soft power : quelles différences ? est « [la capacité] d'un acteur politique à influencer le comportement d'un autre par des moyens non coercitifs [...] comme l'opinion, la culture ou la diffusion d'idéologie 58 ». Que ce soit à travers la gastronomie française ou la valorisation des hybridations culinaires, la cuisine est désormais une pratique culturelle synonyme de pouvoir et d'influence.

Comme le souligne le sociologue Jean Davallon59 à propos de la portée du patrimoine culinaire, on peut parler « d'une reconstitution d'un lien avec le passé, qui affecte le statut de l'objet, ainsi que la pratique que l'on va en avoir dans le présent ». Il ajoute également « cette façon de relier le passé au présent, et pose en horizon l'avenir60 ». Ce lien avec le passé est fortement politique. Nous avons déjà abordé la question de la multiplicité des mémoires et de la production des discours historiques qui portent toujours un ou plusieurs biais. Dans le domaine culinaire, le poids historique qui lie cette cuisine contemporaine aux migrations est sensible.

Pour illustrer cette affirmation, j'ai choisi de partager le témoignage de Deb'bo, cheffe cuisinière à Rennes qui allie poésie et cuisine et propose une cuisine qui s'inspire de multiples cultures. Cette femme témoignait récemment à l'occasion du festival Dangereuses Lectrices de Rennes, invitée au podcast Kiffe Ta Race #53 intitulé Cuisine et préjugés : on continue de déguster. A cette occasion, ses origines et sa relation à la cuisine ont été abordées. Elle y fait un lien évident entre la migration, l'histoire mondiale et le patrimoine culinaire. Elle se base sur son histoire familiale : son grand-oncle, militaire français nommé au Sénégal était marié à une vietnamienne rencontrée au Sénégal. Les conflits au Vietnam ont fait que la famille de cette femme est venue la rejoindre. Cette histoire liée à la géopolitique mondiale a donné naissance à la famille de Deb'bo, mixte, complexe. Son arrivée en France s'inscrit dans la perpétuation de cette histoire. Comme elle le souligne, nombre de familles mixtes voient leur histoire liée à des faits historiques et politiques.

58Jessica, SOME, « Hard power, soft power : quelles différences ? », Les Yeux du Monde, 14 novembre 2013, < https://les-yeux-du-monde.fr/ressources/17131-hard-power-soft-power-quelles/>, consulté le 5 novembre 2020 59Amaia, ERRECART, Philippe, FACHE, Marien, PARIS, « La gastronomie : de l'institutionnalisation à l'événementialisation », L'Harmattan , no. 35, 2019, pp. 51-72.

60Ibid

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La portée politique de la thématique culinaire s'est encore illustrée récemment dans la politique française. Le contexte actuel est celui d'une montée forte des groupes politiques extrémistes et, dans leur sillage, une augmentation des actes racistes, antisémites et islamophobes en France depuis 2015. Pour rappel, les chiffres pour l'année 2020 ne sont pas encore disponibles mais ceux pour 2019 étaient déjà alarmants. Pour les faits racistes, la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme (CNCDH) constate une hausse des actes racistes de 11% en 2019 par rapport à 2018 61 . Le ministère de l'intérieur indique également que les actes antisémites ont augmenté de 27% et les actes antimusulmans de 54% en 2019 par rapport à 2018 62 .

Les cuisines des mondes juif et musulman ont récemment fait l'objet de vives critiques de la part du ministre de l'Intérieur actuel, Gérald Darmanin. Ce dernier est familier des villes mixtes avec une forte histoire migratoire, ayant été maire de Tourcoing, Nord (59) pendant trois ans, de 2014 à 2017. Il est également premier adjoint au maire depuis 2017, et sa liste a été réélue au premier tour lors des élections de 2020 63 . Suite au dramatique assassinat à motif terroriste du professeur d'histoire-géographie Samuel Paty, nombre de déclarations ont été faites sur les problèmes causés par le supposé communautarisme des groupes musulmans en France. L'ancien maire de Tourcoing avait alors déclaré :

« Ca m'a toujours choqué de rentrer dans un hypermarché et de voir qu'il y avait en arrivant un rayon de telle cuisine communautaire et de telle autre à côté, [...] c'est comme ça que ça commence le communautarisme. [...] Qu'on aille dans un hypermarché casher ou hallal pour acheter des produits, chacun peut le faire où est le problème ? Je dis juste que des grandes entreprises françaises [...] ont eu envie de gagner de l'argent sur le communautarisme. » 64

Cette déclaration publique ne représente pas la politique de l'Etat mais souligne comment

61INCONNU, « « Le racisme est sous-évalué en France, il y en a mais il est caché », selon Jean-Marie Burguburu, président de la CNCDH », France Info, 18 juin 2020, < https://www.francetvinfo.fr/societe/justice/le-racisme-est-sous-evalue-en-france-il-y-en-a-mais-il-est-cache-selo n-le-president-de-la-cncdh_4013143.html >, consulté le 20 novembre 2020

62Frantz, DURUPT, « Le Collectif contre l'islamophobie alerte sur une aggravation du racisme antimusulman en 2019 », Libération, 25 février 2020, < https://www.liberation.fr/france/2020/02/25/le-collectif-contre-l-islamophobie-alerte-sur-une-aggravation-du-rac isme-antimusulman-en-2019_1779563 >, consulté le 2020 novembre 2020

63Rédaction de LCI, « Résultats Municipales 2020 à Tourcoing : Gérald Darmanin réélu au premier tour », LCI, 15 mars 2020, < https://www.lci.fr/elections/resultats-municipales-2020-a-tourcoing-gerald-darmanin-reelu-au-premier-tour-214 7715.html >

64Hugo, CAPELLI, « Gérald Darmanin : une déclaration polémique sur les rayons communautaires des supermarchés », France Info, 21 octobre 2020, < https://www.francetvinfo.fr/societe/justice/le-racisme-est-sous-evalue-en-france-il-y-en-a-mais-il-est-cache-selo n-le-president-de-la-cncdh_4013143.html >, consulté le 20 novembre 2020

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l'alimentation et la cuisine peuvent être instrumentalisées pour servir des idéologies. Si les alimentations casher et hallal sont particulièrement visées, cela stigmatise l'ensemble des groupes consommant des cuisines asiatiques, arabes... Cela remet en cause leurs pratiques personnelles et individuelles. On notera également que les autres cuisines européennes qui font maintenant partie des produits quotidiennement consommés par les français et les françaises comme la cuisine italienne ne sont nullement problématiques. Cela confirme l'intention de viser les groupes avec des pratiques issues de l'immigration extra-communautaire et de faire de la cuisine un outil de discrimination. Gérald Darmanin insiste sur le communautarisme mais il me semble ici important de souligner que si la cuisine est en effet une pratique communautaire, elle est loin d'être communautariste et tend plutôt à être créatrice de liens et d'hybridations.

La relation des groupes minoritaires à la cuisine a été analysée sur plusieurs continents et dans plusieurs contextes. Il en résulte une hybridation systématique et inéluctable des pratiques culinaires dès que les milieux sont en contact, d'autant plus dans les milieux où les populations étrangères travaillent pour le compte des familles locales plus aisées (on parle entre autres du travail domestique). C'est par exemple le cas au Brésil, comme nous l'explique Jacques Barou65 , où les recettes traditionnelles issues d'Afrique sont devenues des plats quotidiens pour les familles blanches brésiliennes qui employaient des personnes afro-descendantes. Les employées domestiques (majoritairement des femmes) préparaient en effet les repas qu'elles connaissaient, ce qui leur avait été transmis. La transmission est double : celle du patrimoine culinaire et celle du sacré au profane, car les recettes transmises dans les familles afro-descendantes le sont souvent en ce qu'elles représentent des traditions 66 . Enfin, au Brésil, où l'on compte environ 215 ethnies et plus de 180 langues parlées, on peut observer une grande nécessité de transmission des savoirs dans une démarche de préservation de l'identité. En effet, puisqu'il existe une multitude de groupes aux histoires de vie particulières, il est nécessaire d'organiser et d'assurer la transmission par l'apprentissage. Ainsi, les politiques publiques se sont emparées de cette problématique. Des programmes spécifiques ont été lancés, dans lesquels les associations et des entreprises travaillent à la gestion mixte du patrimoine. Des ateliers d'apprentissage ont par exemple été mis en place pour transmettre la cuisine et les traditions qui y sont attachées. La pérennisation des savoirs et la transmission aux jeunes générations assurent la continuité des pratiques, sans en exiger un maintien absolu et rigoureux. Les jeunes générations se réapproprieront évidemment ces

65Jacques, BAROU, « Alimentation et migration : une relation révélatrice », Hommes & Migrations, no. 1283,

2010, 6-11. 66Ibid

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pratiques par leurs prismes et les lieront à leurs propres histoires, mais cela permet d'ouvrir un dialogue et une perspective globale autour de pratiques ethniques exclusives 67 .

A Roubaix, la configuration est évidemment différente puisque le travail domestique n'a absolument pas la même proportion et que la taille et l'histoire de la France font que le nombre d'ethnies est moindre. Cependant, on constate une adaptation des outils au sein de la communauté maghrébine. Une enquête sociologique révèle que la cocotte-minute est devenue un outil indispensable chez bon nombre de familles car elle permet d'avoir le même mode de cuisson que dans la tradition, mais avec des outils adaptés au gaz en France 68 . La thématique culinaire semble importante pour la population au vu du nombre de projets proposés lorsque l'Année Thématique a été choisie pour valoriser les saveurs du monde.

Quant à la dimension émotionnelle de la cuisine, elle est rendue visible dans le travail de synthèse mené par Mariagrazia Margarito. Son étude a été réalisée sur un corpus dans les langues romanes (espagnol, français, italien, portugais) qui regroupe des textes qui parlent de la cuisine. Il nous permet de voir les représentations des individus et du collectif, en faisant appel à la mémoire, au sentiment, et à ce que la cuisine a de l'enfance 69 . Globalement donc, ce corpus qui renvoie par son lexique à l'enfance et aux origines est un exemple de plus montrant pourquoi la cuisine est un facteur de construction de l'identité et en quoi il est important de la valoriser.

Les ateliers d'écriture du centre social des 4 quartiers sont un autre exemple d'action permettant de conclure que la cuisine a une valeur identitaire forte. Ce centre, pour lequel nous avons déjà évoqué des ateliers de cuisine, a également mis à contribution son atelier d'écriture hebdomadaire pour proposer une action culturelle dans le cadre du festival 2020, Année des Saveurs du Monde. L'atelier d'écriture, composé de 7 femmes au cours de l'année 2019-2020 et d'une intervenante qui vient les accompagner dans leur travail, a décidé de participer au festival en proposant un projet autour des souvenirs culinaires. Leur idée a été d'interroger des personnes de Roubaix en leur demandant de raconter un souvenir d'enfance ou quelque chose qui les ramenait au lieu où ils et elles avaient grandi, et que ce souvenir soit lié à la cuisine. Les personnes interrogées sont d'origines diverses et ont donc des expériences personnelles différentes. Dans leur édito, les participantes de l'atelier présentent le projet avec ces mots :

67Jacques, BAROU, « Alimentation et migration : une relation révélatrice », Hommes & Migrations, no. 1283, 2010, 6-11.

68Aurélie, BRAYET, « La Cocotte-minute entre la France et le Maghreb. Regards de femmes sur un objet culinaire », Hommes & Migrations, no. 1283, 2010, pp. 128-134.

69Mariagrazia, MARGARITO, « Cuisines identitaires : remémoration et déclaration d'identité », Éla. Études de linguistique appliquée, vol. 150, no. 2, 2008, pp. 245-255.

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« Nous avons donc réuni sous forme de « je me souviens » les réminiscences de personnes de notre entourage venues de différents pays du monde et avons écrit des récits à partir de fictions, comme la création d'un musée des saveurs à Roubaix...ou sur des échanges avec des amis étrangers. Ce livret est donc tout à la fois, recueil de la parole des habitants et produit de notre imaginaire. »70

Dans le livret de restitution que l'atelier a construit autour de la thématique, on retrouve un vocabulaire intime et lié aux émotions : « les odeurs de l'enfance », « je me souviens », « ce repas en famille », « le manque », « retrouver ce plaisir », « ce plat me rend nostalgique ». Ce livret présente une illustration de la portée émotionnelle et identitaire de la pratique culinaire 71 .

Pour confirmer ou infirmer ces constatations réalisées sur le terrain sur la dimension identitaire de la cuisine et la place de la famille dans la transmission des pratiques, j'ai cherché à comparer les études sociologiques réalisées parmi les groupes étrangers (notamment celles mentionnées en première partie réalisées par Michèle Tribalat) et les pratiques quotidiennes chez les personnes de la région Nord avec lesquelles j'ai eu la chance de m'entretenir.

B) Retour sur les entretiens

Ce qui m'intéresse dans la réalisation des entretiens est de voir si des personnes issues de diverses origines, et qui vivent hors du foyer familial, ont des expériences ou des pratiques similaires dans la cuisine. Pour pouvoir comparer leurs réponses à celles que j'ai analysées précédemment, je les questionne sur les mêmes thématiques. Il s'agit donc de la structure familiale, du rôle de l'école dans leurs apprentissages de la cuisine du pays d'accueil, de l'apprentissage de la cuisine du pays de départ au sein du foyer, des relations autour de cette pratique entre les frères et soeurs et de leurs pratiques quotidiennes après le départ du foyer familial.

Pour avoir un retour de terrain sur le Nord avec des personnes concernées par un parcours migratoire personnel ou familial, j'avais prévu de travailler avec le centre social des 4 quartiers de Roubaix. Ce centre dont j'ai déjà analysé plusieurs activités en lien avec la cuisine, accorde une place à cette question du patrimoine et permet de rassembler un public qui est concerné par mes recherches. En effet, j'avais eu l'occasion de les rencontrer au cours de mon stage et nous avions prévu de réaliser les entretiens à la rentrée 2020 avec des

70Edito du livret de recueil de l'atelier d'écriture, Centre Social des 4 Quartiers, Non publié, juin 2020, disponible au cours de l'édition 2021 de l'Année Thématique.

71Atelier d'écriture, Centre Social des 4 Quartiers, Non publié, juin 2020, disponible au cours de l'édition 2021 de l'Année Thématique.

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personnes plus ou moins proches du centre social. Ces personnes étaient toutes soit françaises avec des origines étrangères dans leur famille, soit étrangères elles-mêmes et résidentes du Nord.

La mise en place du projet et les explications de mes attentes ont été laborieuses. En effet, le centre social a fermé avec le confinement de mars 2020 puis par la suite pour les vacances d'été. A la rentrée de septembre, la reprise des ateliers d'écriture a été repoussée pour des questions sanitaires. Les rencontres prévues sur le temps des ateliers ont donc de nouveau été annulées. L'instauration d'un second confinement national suite à la reprise de l'épidémie de COVID-19 à la mi-octobre 2020 a définitivement mis fin à la possibilité de réaliser les rencontres. La majorité des personnes que je devais interroger sont des personnes en situation précaire, et pour lesquelles il était très inconfortable et compliqué de réaliser des entretiens au téléphone ou à distance. J'avais décidé de rencontrer ces personnes pour apporter de la diversité dans les situations personnelles. Cela m'aurait permis d'avoir des témoignages en dehors de mon cercle de connaissance et donc d'échanger avec des personnes ayant une histoire, un style de vie et des origines sociales différentes des miennes.

Constatant que je n'aurai pas cette possibilité, j'ai décidé de réaliser trois enquêtes malgré tout. Toutes avec des personnes de ma connaissance, trois femmes qui vivent depuis quelques années dans le Nord. L'une est Portugaise de parents portugais et brésilien et a grandi en

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France 72 , la seconde est Française, d'un père Creusois et d'une mère Algérienne , et la troisième est Chinoise et est venue seule en France pour étudier à Lille 74 . Trois histoires différentes mais qui se recoupent sur certains aspects, et qui révèlent que les dynamiques identifiées précédemment sont bien réelles.

Le premier élément que j'ai trouvé intéressant suite à la réalisation de ces entretiens est le lien que ces enquêtées entretiennent avec la cuisine familiale. Comme cela avait été montré par l'étude des corpus, elles y font référence comme à une pratique autour de laquelle existe un sentiment de nostalgie, un rattachement à l'histoire familiale. L'une d'entre elles exprime clairement l'idée que c'est une part évidente de son identité, ce qui corrobore les articles et études sociologiques menées. Pour celles qui ont grandi en France, le lien à la cuisine française est fortement lié aux parents. Dans le premier cas, Laurène a un père Français qui lui a transmis un savoir-faire et une mère Algérienne avec qui elle a pu apprendre des recettes basiques et quelques connaissances. Elle a, au sein du foyer familial,

72Annexe 8 : Entretien avec Beatriz de Sousa Figueiredo 73Annexe 9 : Entretien avec Laurène Boulaud 74Annexe 10 : Entretien avec Yingjie Weng

une alimentation classique française, son père étant celui qui s'occupe en majorité de la préparation des repas. A l'inverse, Béatrice a deux parents étrangers (l'un Brésilien, l'autre Portugais). Cette réalité implique que la cuisine du foyer est exclusivement portugaise. C'est d'ailleurs significatif puisque sa mère est brésilienne et non portugaise. Elle a donc appris la cuisine portugaise dans un souci de conformation et pour répondre aux attendus sociaux. La découverte de la cuisine française passe alors par les structures publiques comme l'école, qui devient un lieu d'apprentissage très important. Dans ce genre de situation, on observe une forte rupture entre la nourriture consommée au sein du foyer et à l'extérieur. C'est alors la cuisine française qui n'est pas forcément maîtrisée à l'âge adulte. La troisième situation est celle de Yingjie, qui, ayant grandi en Chine, a complètement changé d'environnement et de style de vie au quotidien. Malgré tout, de par la présence de magasins asiatiques dans la métropole lilloise, elle peut consommer à la fois de la nourriture chinoise et française. Dans son cas, son apprentissage a été spontané et lié à ses relations amicales en France. L'intérêt apporté à la culture française a favorisé son envie de maîtriser les plats et de consommer des produits locaux.

Dans l'enquête de Michèle Tribalat, l'accès aux produits était un élément important dans la continuité de la pratique culinaire d'origine. Cet élément m'a été confirmé par ces trois enquêtées. Elles sont chacune à la recherche de différents produits (maghrébins, portugais et chinois). Toutes disent avoir accès facilement à des épiceries ou magasins proposant les produits de leur pays d'origine à des prix accessibles. Cela leur permet de pouvoir continuer à cuisiner, sans quoi il serait compliqué de conserver certaines pratiques.

Cependant, elles confirment toutes les trois avoir vu évoluer leur pratique de la cuisine avec l'âge. La distinction qui pouvait exister à un âge plus jeune tend à disparaître puisque étant indépendantes, elles consomment de l'une ou l'autre cuisine à leur rythme, ne dépendant plus du foyer familial. Aussi, l'apparition de pratiques hybrides se fait avec le temps. Ajout d'épices et de condiments étrangers ou français à un plat traditionnel de la culture inverse, modification des parties de viande ou des légumes utilisés à la réalisation de certains plats, changement du rythme du repas... Tous ces éléments surviennent et se répètent, permettant à chacune de faire vivre des patrimoines différents qui font tous partie de leur identité.

La notion de transmission s'est révélée ambiguë et parfois sensible pour ces trois enquêtées. Il s'agit principalement de Laurène et Béatrice, qui disent toutes deux avoir pu observer la préparation des repas à la maison, parfois participer, mais pour qui il existe un sentiment de méconnaissance, encore aujourd'hui alors qu'elles sont adultes. Béatrice souligne une indifférence à l'adolescence, et un intérêt renouvelé pour cet héritage familial

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survenu à l'âge adulte. L'éloignement du foyer familial n'a pas facilité cette transmission. Mais la pratique communautaire permet de continuer à apprendre et à partager ce patrimoine culinaire. Les trois enquêtées soulignent avoir un grand plaisir à cuisiner avec des personnes ayant des origines communes, tout le processus d'apprentissage étant partagé, ainsi que les références culturelles. Laurène souligne même être en recherche de temps de partage, trouvant cela difficile de cuisiner seule. Elles expriment un plaisir évident à faire partager leur cuisine à leurs ami.e.s et relations qui ne connaissent pas, mais la pratique en communauté est plus liée à un confort, une habitude.

Nous avons aussi abordé la question de l'importance des relations amoureuses et de leur influence sur les pratiques culinaires. Selon leurs expériences, elles concluent que si la ou le partenaire est d'origine française ou étrangère, les pratiques seront différentes. Béatrice souligne une facilité à partager son savoir de la cuisine portugaise lorsque la personne en question est également étrangère. S'ajoute donc à l'habitude la nécessité de trouver des personnes qui comprennent cette dualité, avec qui il est possible d'exprimer cette part étrangère et souvent méconnue.

Dans l'ensemble, la relation au patrimoine culinaire est complexe mais souhaiterait être développée par Laurène, Yingjie et Béatrice. Toutes se disent favorables à assister à des événements culturels sur des thématiques culinaires et prendraient plaisir à entendre parler de l'histoire de certains plats, à voir leur cuisine valorisée et rendue plus accessible.

De façon générale, il semblerait que le patrimoine culinaire soit une thématique forte et qui serait fédératrice si elle était développée et valorisée dans l'espace public. Reste alors à établir quelles modalités pourraient être mises en place pour favoriser la transmission et développer l'accès aux ressources autour de ces questions.

C) Quelles solutions à Roubaix ?

Au-delà de l'événement 2020, Année des Saveurs du Monde qui aura lieu en 2021 sur la question des saveurs et de la diversité culinaire, il existe peu de réflexion et pas de ressources sur cette question culinaire au sein de la municipalité et pour les habitants et habitantes. La Ville de Roubaix tend à adresser des thématiques comme le patrimoine culinaire de façon partielle et souvent dans une dynamique d'inclusion des populations éloignées de la culture. Cela touche les personnes en précarité sociale, peu intégrées ou alors avec des difficultés intellectuelles.

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Avec un souhait récent de sortir des anciens modèles de démocratisation culturelle

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élitiste pour amener à une plus grande autonomie des groupes communautaires dans la construction du programme culturel, l'Année Thématique proposée par le service culture fait par exemple partie des programmes à vocation interculturelle qui prônent une participation citoyenne. Ce type d'événement est nécessaire dans un milieu où certains groupes ont parfois du mal à exister dans l'espace public et à faire de leurs pratiques des pratiques légitimes. Mais cette façon de procéder en fait des événements créés à la marge qui sont dénués de recherche de qualité et d'exigence artistique, et qui se basent sur l'oralité sans prendre en compte les écrits et les ressources locales. On peut regretter des événements orientés vers des populations en marge qui ne donnent que peu accès aux structures culturelles, et ne permettent donc pas de valoriser ces savoirs dans les institutions officielles. Cette absence ne permet pas aux publics traditionnels habitués des musées et autres lieux de culture de découvrir les environnements culturels de leurs compatriotes ni de les comprendre. On pourrait attendre de la part de la Ville des expositions dans les musées, ou encore des événements thématiques dans la bibliothèque.

Par ailleurs, la politique culturelle pourrait s'intéresser à créer des événements selon les âges des participants. Selon les observations de la CEMPE dans les années 1980 75 , les jeunes étaient très intéressés pour apprendre l'histoire, les pratiques culturelles et la langue du pays d'origine de leurs parents ou grands-parents. Encore aujourd'hui, proposer des expositions, des films ou des séances de pratique aux jeunes qui mêlent traditions culinaires et pratiques contemporaines serait un moyen pour la ville de recréer du dialogue tout en favorisant les liens familiaux et en ayant une approche interculturelle qui facilite le dialogue sur le territoire. Cela permettrait également de donner aux personnes issues de l'immigration et à leurs descendants différentes perspectives sur les pratiques et les productions culturelles du pays donc ils et elles sont issu.e.s. Ces actions apportait des outils d'autonomisation pour les groupes, offrant par là une possible comparaison entre les cultures qui les nourrissent sans les hiérarchiser.

La municipalité est un acteur fondamental qui doit s'emparer de la question interculturelle car elle représente le pouvoir décisionnaire et l'autorité. Quand la Ville en tant que municipalité crée la CEMPE ou les festivals interculturels comme les Transculturelles et l'Année Thématique, quand elle monte un Conseil Roubaisien de l'Interculturalité et de la Citoyenneté, elle revendique un message de tolérance. Cette revendication de l'importance du vivre ensemble et de la place accordée à toutes les populations est un message fort et

75Mathilde, WYBO, Culture, patrimoine et migrations à Roubaix. Une exploration de l'identité « ville-monde » , Mémoire non publié, 2009, < https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Patrimoine-ethnologique/Soutien-a-la-recherche/Travaux-de-rech erche/Liste-des-travaux-de-recherche-par-mots-cles/Migration >, consulté le 15 juin 2020

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valorisant, et qui a toujours un impact positif sur le territoire et pour la population.

Si le cas de Roubaix est particulier compte tenu de l'ensemble des facteurs politiques, économiques et culturels évoqués auparavant, il n'est pourtant pas unique. La question interculturelle se pose dans de nombreux départements où il existe des langues régionales et une multiplicité des patrimoines. Il est intéressant pour nous d'observer ce qui y a été mis en place et de s'inspirer des outils créés ailleurs en France pour repenser la valorisation du patrimoine culinaire à Roubaix.

La première action que je suggère de mettre en place est le développement d'un centre de documentation et la création de partenariats avec des acteurs privés (acteurs du numérique, restaurateurs et restauratrices, associations) au sein de la ville. Cela serait une façon d'inciter les habitants et habitantes à découvrir les lieux de restauration du monde et les cuisines régionales en faisant un travail d'information sur la question. L'outil numérique ne doit pas être négligé dans les processus de valorisation. Il a une portée large et permet de diversifier les supports pour toucher un ensemble de publics. La région Aquitaine, dans sa « mission de « sauvegarde et transmission du patrimoine oral 76 » » a utilisé l'outil numérique à travers une plateforme appelée « sondaqui ». Comme cela est défini dans l'article de Jean Casteret, Le numérique comme « lieu » de sauvegarde du Patrimoine culturel immatériel, le site sondaqui, mis en ligne en décembre 2006, « aborde des archives à partir du vivant77 ». On peut également lire :

« [Le site] prend pour ligne éditoriale « la fête » sous toutes ses formes comme cadre d'expression privilégié de savoir-faire et de pratiques musicales, chorégraphiques, chansonnières, contées... Le site met alors en regard pratiques contemporaines et illustrations sonores puisées dans les fonds archivistiques. Un double mouvement est ainsi produit. Un document d'archives jusqu'alors inaccessible vient illustrer la pratique contemporaine qu'elle nourrit aussi, tout particulièrement au plan stylistique (modalité musicale, rythmique, ornementation, phrasé...). Et le contemporain restitue la densité sociale perdue du document d'archives, l'éclairant par son contexte et rendant aussi parfois plus agréable l'écoute de ces enregistrements

anciens collectés auprès de personnes âgées. » 78

Le site internet Sondaqui est une bonne illustration de l'importance de valoriser des fêtes et événements qui unissent les habitants et habitantes. Mis en oeuvre sur le territoire roubaisien,

76Jean-Jacques, CASTERET, « le numérique comme « lieu » de sauvegarde du Patrimoine culturel immatériel », In Situ, no. 33, 2017

77Ibid 78Ibid

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on pourrait penser une plateforme qui permette de valoriser les fêtes religieuses des différents groupes communautaires et, plus largement, les fêtes particulières qui donnent lieu à des célébrations. Informer sur les pratiques autour de ces fêtes, qu'elles soient culinaires ou vestimentaires, cela permettrait là encore de créer du dialogue et de démystifier les pratiques des groupes communautaires. Cela permettrait de regrouper ces informations sur une seule plateforme et en simplifierait l'accès. Relier les réseaux sociaux à la plateforme permettrait de toucher les populations les plus jeunes pour les informer et les sensibiliser. Comme le soulignent les résultats d'utilisation de Sondaqui, « le croisement des ressources de tous les acteurs permet aux spécialistes actuels de certaines pratiques de consulter régulièrement le site pour préparer leurs cours, nourrir leurs pratiques 79 ». Dans le cas de Roubaix où l'on compte de nombreuses écoles de l'enseignement supérieur portées sur l'international et l'interculturalité ainsi que des formations professionnalisantes en cuisine, cela semblerait tout à fait pertinent. Transmettre le savoir est un prérequis pour qu'il puisse être matière d'apprentissage et de création.

D'autre part, la municipalité participe au dispositif EAC (Education Artistique et Culturelle), mis en place par le ministère de l'Éducation nationale et de la Recherche avec l'appui du ministère de la Culture et de la Communication depuis 2005. Ces ministères décrivent l'EAC de la façon suivante :

« L'éducation artistique et culturelle (EAC) a pour objectif d'encourager la participation de tous les enfants et les jeunes à la vie artistique et culturelle, par l'acquisition de connaissances, un rapport direct aux oeuvres, la rencontre avec des artistes et professionnels de la culture, une pratique artistique ou culturelle. La généralisation de l'EAC implique la mobilisation de l'ensemble des acteurs ministériels, artistiques, culturels, associatifs, territoriaux pour développer des actions au plus près des territoires. » 80

Dans la perspective où l'EAC doit valoriser les pratiques artistiques, c'est en se basant sur les pratiques culturelles des foyers que l'on amène les enfants à s'intéresser au culturel. Puisque la cuisine fait partie du patrimoine culturel et est une pratique légitime et quotidienne, elle pourrait être une porte d'entrée à la sensibilisation à la culture. Un lien peut être établi entre les ressources mises à disposition sur une plateforme en ligne et ce qui est transmis aux enfants à l'école. Leur donner le goût de la curiosité, des bases d'apprentissage, cela peut

79Jacques, BAROU, « Alimentation et migration : une relation révélatrice », Hommes & Migrations, no. 1283, 2010, 6-11.

80Sites Thématiques, Ministère de la Culture, date inconnue, Education artistique et culturelle, < https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Education-artistique-et-culturelle >, consulté le 21 octobre 2021

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permettre qu'ils continuent à s'y intéresser à l'adolescence. Cela permet également de faire connaître et de légitimer les différentes pratiques intra-communautaires ou intra-familiales qui existent. Rendre des enfants fiers.ères et en possession d'une culture les aide par la suite à s'ouvrir aux différentes pratiques artistiques et aux pratiques des groupes présents sur le territoire

Quant à l'enseignement spécifique de la cuisine, les établissements scolaires proposent un apprentissage très classique de la cuisine française. Si cela est cohérent dans la construction d'un programme d'apprentissage, il serait aussi tout à fait intéressant d'y ajouter un apprentissage de techniques de cuisines traditionnelles ou contemporaines étrangères. Bien sûr, cela impliquerait de trouver des intervenants avec ces connaissances, de pouvoir délimiter quelles pratiques sont pertinentes à enseigner. Ce travail serait pourtant une clé essentielle dans la légitimation des savoirs et la création de liens entre les groupes communautaires.

En lien avec la pratique culinaire et les enseignements dans les établissements scolaires, la municipalité pourrait favoriser un travail d'éducation sur le patrimoine, sa définition, son existence. Expliquer aux plus jeunes de façon simple comment fonctionnent les systèmes d'inventaires, de labels, et comment l'on détermine si une pratique est patrimoniale ou non leur apporterait une meilleure compréhension des cultures qui les entourent. Par la suite, cela leur permettrait de déterminer ce qui leur semble important comme faisant partie de leur identité et de l'identité du groupe auquel ils appartiennent, même si cette conscience de l'identité et du groupe survient dans une temporalité postérieure à celle de l'apprentissage.

Toutefois, il est très important de souligner les écueils que la municipalité doit absolument éviter, qui sont l'exoticisation et la folklorisation des pratiques ainsi que l'appropriation culturelle. Comme nous l'avons évoqué précédemment, l'exoticisation consiste à présenter des objets seulement sous le prisme exotique et la folklorisation rend marginales et anecdotiques des pratiques culturelles. Ces deux mises en scène sont problématiques et donc à proscrire.

Pour l'appropriation culturelle, on peut s'appuyer sur la définition donnée par Deb'bo, cheffe cuisinière à Rennes, invitée dans le podcast Kiffe ta Race pour parler de la question du patrimoine culinaire. La cheffe reprend un élément basique qui s'applique à tous les champs culturels lorsque l'on veut déterminer si une action est de l'appropriation culturelle ou non : « est-ce que ceux qui retirent les bénéfices de cette cuisine sont de la communauté à laquelle ils

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ont emprunté ces pratiques et recettes 81 ? » Pour illustrer sa réponse, elle prend l'exemple suivant : « lorsque des restaurants vendent des bo bun hors de prix à Paris, qui n'ont aucune saveur commune aux saveurs traditionnelles et sont plus chers car supposément « meilleurs », et qu'en plus ils ne bénéficient à personne de la communauté vietnamienne, on est clairement dans de l'appropriation culturelle ». En effet, il est fréquent que des plats d'origine étrangère qui sont revisités par des chefs soient qualifiés de « supérieurs » aux plats d'origine, ce qui revient à rabaisser les traditions culinaires en question. Franciser une cuisine ne la rendra jamais « meilleure ». La cheffe cuisinière contrebalance ses propos en partageant son expérience personnelle : lorsqu'elle apprend à cuisiner des plats traditionnels qu'elle maîtrise moins bien, elle change leur nom et fait quelque chose qui s'en approche sans chercher à revendiquer la maîtrise de ce plat. Cela laisse plus d'espace de création et évite la prétention de maîtriser une culture qui n'est pas sienne 82 .

Pour l'exoticisation et la folklorisation, il est important que les programmes mis en place comptent à la fois des éléments théoriques historiques et des éléments contemporains. Ne pas ramener des pratiques à leur seule caractéristique esthétique est également important. Aussi, dans le cas où des expositions et autres événements seraient présentés dans les structures cultuelles, il serait nécessaire de veiller à ce que des personnes spécialistes des questions aient été consultées et que les groupes communautaires concernés aient voix au chapitre.

En définitive, la municipalité dispose d'une multitude d'outils et de ressources déjà existants desquels elle pourrait s'inspirer pour développer un travail de reconnaissance et d'intégration à long terme du patrimoine culinaire sur le territoire. Les outils se déclinent et se rejoignent, traversant les milieux scolaires, les pratiques individuelles, et s'appuyant sur des écrits comme sur le numérique. Ce travail devra nécessairement être évolutif et prendre en compte les besoins et envies des divers groupes, pour être le reflet de la réalité des pratiques et rester conscient des attentes des citoyens et citoyennes. Une modernisation des outils sera également nécessaire pour toucher un public jeune et permettre de maintenir un lien hors des structures municipales (centres sociaux, médiathèque, écoles).

81Kiffe Ta Race, Youtube, 19 octobre 2020, #53 - Cuisine et préjugés : on continue de déguster, < https://www.youtube.com/watch?v=_3El3xfmfaA >, consulté le 25 octobre 2020

82Kiffe Ta Race, Youtube, 19 octobre 2020, #53 - Cuisine et préjugés : on continue de déguster, < https://www.youtube.com/watch?v=_3El3xfmfaA >, consulté le 25 octobre 2020

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Conclusion

Pour conclure ce mémoire de stage, je peux dire que mon expérience au service culture de la Mairie de Roubaix en tant que chargée de production sur l'événement 2020, Années des Saveurs du Monde m'a permis d'aborder des domaines très variés et très enrichissants. J'ai pu appréhender le fonctionnement d'un événement culturel à chaque étape, de l'appel à projet à l'organisation des événements. Les différentes étapes de construction des projets et de suivi des partenaires m'ont permis de découvrir les acteurs de la vie culturelle roubaisienne et les personnes impliquées par divers biais dans la vie associative. J'ai pu comprendre le fonctionnement des équipements municipaux (médiathèque, musée La Piscine, conservatoire) et leur rôle dans la valorisation du patrimoine local.

Mon stage m'a permis d'en apprendre davantage sur la situation roubaisienne et de mieux comprendre les enjeux qui existent dans le département du Nord. J'ai également eu l'opportunité de constater quels moyens d'action peuvent être mis en place, comment ils sont implémentés, quel est leur rôle. Cette base de réflexion me donne des outils réutilisables par la suite dans d'autres contextes, ce qui s'avère fort utile.

Aussi, les missions qui m'ont été confiées sont en total accord avec mon projet professionnel. Souhaitant travailler dans des associations en tant que chargée de mission à l'interculturalité et à l'organisation d'événements culturels, mon stage m'a complètement préparée au métier que je souhaite exercer. Suite à l'épidémie de COVID-19 et au confinement, les missions de production ont été réorientées vers des missions de recherche, ce qui m'a également beaucoup apporté. La réflexion nécessaire à la construction de documents synthétiques sur la thématique interculturelle et l'importance de chercher des solutions aux problématiques identifiées est un exercice de longue haleine. Mes capacités de synthétisation et de transmission ont été renforcées et me permettent d'être plus efficace et pertinente dans le travail que je réalise désormais.

Ayant pu travailler sur les questions de mobilisation des divers publics, de valorisation des pratiques culturelles ou de l'impact des migrations sur le territoire, j'ai été confortée dans l'idée qu'il est fondamental de prendre en compte la parole des citoyens et des citoyennes dans les processus de création et qu'il est de la responsabilité des structures culturelles de valoriser les pratiques contemporaines diverses et variées.

Finalement, j'ai découvert grâce à mon stage que la valorisation du patrimoine et la prise en compte des questions interculturelles restent des questions larges auxquelles aucune solution fixe et générale ne peut être apportée. La construction de mesures pertinentes selon

les territoires y apporte une réelle dimension réflexive et la diversification de ces mesures en fait une question tout à fait contemporaine et évolutive.

Mes recherches m'ont permis de mesurer à quel point la question des migrations intra-nationales et internationales devrait toujours être prise en compte dans les réflexions liées aux politiques culturelles mises en place sur un territoire. Les éléments décisifs qui mènent aux déplacements des populations sont souvent liés à des questions économiques ou politiques et donc, par conséquent, marquent les foyers de façon importante. Ces éléments sont à souligner dans la construction des mémoires locales et les identifier de façon claire permet de donner des éléments de compréhension à l'ensemble de la population. Dans le cas du Nord, j'ai pu observer que le territoire était particulièrement riche en diversité de population et que son histoire migratoire forte impactait encore aujourd'hui la réalité des villes et la vie culturelle. A Roubaix, cela s'illustre notamment par la diversité de restaurants et de cuisines proposées, ainsi que par la présence d'épiceries et supermarchés de tous les continents. Avoir une bonne connaissance des mouvements migratoires et de l'histoire et des pratiques des populations est essentiel pour s'inscrire dans une dynamique d'intégration. Les pratiques culinaires par exemple peuvent être synonymes de rejet lorsqu'elles sont méconnues, alors qu'une reconnaissance et un travail autour de ces dernières peut apporter de la richesse culturelle et financière au territoire. Il est clair que les dynamiques politiques influencent la place accordée aux groupes étrangers et peuvent générer des situations d'accueil ou de rejet. Accepter l'arrivée de nouveaux groupes avec leurs pratiques culturelles propres et leurs histoires permet de créer des territoires plus inclusifs et donc, par la suite, de favoriser une société fonctionnelle et dynamique où chacun vit en toute légitimité.

Par ailleurs, j'ai pu constater que la gestion du patrimoine devait prendre en compte les questions migratoires. La complexité dans la mise en valeur du patrimoine est de réussir à valoriser des cultures différentes avec des besoins et des techniques de valorisation spécifiques. Aussi, les labels ou programmes de reconnaissance mis en place par les organismes internationaux comme l'Unesco ne correspondent pas forcément aux problématiques locales. La question du discours utilisé dans la production des mémoires est également un élément important autour duquel se questionner. Mes recherches m'ont amené à conclure que la gestion du patrimoine, pour qu'elle soit complète, doit nécessairement être mixte et pas seulement gérée par les municipalités. Les Villes devant produire un discours compatible avec les attentes de l'Etat et du pouvoir en place, elles ne peuvent pas promouvoir n'importe quel discours et doivent respecter certaines limites imposées par les élu.e.s. Les associations ou acteurs privés peuvent, à l'inverse, exprimer un discours plus tranché ou qui leur est propre sans avoir à se caler sur les discours officiels portés par l'Etat. Il ne s'agit pas

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de considérer que les municipalités apportent des discours qui soient systématiquement problématiques, mais de rappeler qu'il faut avoir conscience des biais provoqués par la valorisation officielle et de l'importance d'une diversification des opinions et des mémoires. Concernant le patrimoine culinaire, son histoire et l'usage de certaines pratiques ou certains outils est corrélé avec des faits historiques et des histoires extra-nationales. Il s'agira alors de réussir à familiariser un public avec ces pratiques en fournissant aussi un ensemble d'informations historiques et politiques sur les pays en question. Les expériences de patrimonialisation sur divers territoires ont elles-mêmes subi des évolutions, il n'est pas forcément aisé de mettre en place d'emblée les bonnes pratiques. Cela dit, il existe suffisamment d'expériences et de diversité dans les actions de valorisation pour réussir à construire des politiques ou des actions inclusives et qui soient en mesure d'informer, valoriser et promouvoir sans déposséder les groupes concernés, les exoticiser ou les folkloriser.

Enfin, il est nécessaire de souligner la volonté des individus de travailler à la question du patrimoine et notamment du patrimoine culinaire. Mes recherches sur la question m'ont démontré par de multiples actions l'importance de la thématique culinaire et la volonté de la mettre en avant. Que ce soit à travers les témoignages récoltés par les centres sociaux, les témoignages au cours d'émissions ou les enquêtes que j'ai pu réaliser, la conclusion est sans appel : la cuisine est un marqueur identitaire fort qui évoque des sentiments multiples et qui relie les individus à leur histoire familiale. Elle est une question fondamentale pas seulement sur le territoire roubaisien mais de manière globale, et elle est le reflet incontestable des histoires politiques et migratoires d'un territoire. En ces termes, elle apparaît comme une pratique centrale qu'il devient nécessaire de valoriser. Les enjeux sont toujours les mêmes, éviter les mécanismes d'appropriation culturelle, et permettre une délégation des actions pour ouvrir la parole aux habitant.e.s. Grâce aux actions menées par d'autres départements sur les questions culturelles, il apparaît que l'outil numérique peut être un bon moyen de concentrer des ressources et de les rendre accessibles au plus grand nombre. Aussi, il est important de sensibiliser les enfants aux questions culturelles et de les familiariser à la reconnaissance des pratiques culturelles pour leur donner une certaine autonomie dans la compréhension de ces pratiques et leur transmission.

Ces observations ouvrent la réflexion sur les évolutions futures du concept de patrimoine et la prise en compte du fait que le patrimoine n'est pas un concept figé mais dépend bel et bien de ce qui compte pour les groupes de populations. On pourra s'intéresser aux évolutions des concepts des institutions internationales qui évoluent avec les nouvelles

54

55

pratiques développées localement. Le rôle des municipalités et des acteurs privés dans la construction du patrimoine apparaît primordial dans le sens où la normalisation de certaines actions peut entraîner des changements conceptuels de grande ampleur.

Il sera intéressant de réaliser des études poussées et à long terme sur les populations plus jeunes pour pouvoir observer si, lorsque des politiques inclusives concernant le patrimoine sont mises en place, elles ont un impact dans la construction mentale des enfants et leur relation à leur propre patrimoine. On pourrait enfin tenter d'élargir le champ d'étude autour des questions culinaires et observer les liens qui peuvent exister entre les enjeux de santé publique et la valorisation du patrimoine culinaire. En effet, des études menées sur les populations immigrées font état de problèmes métaboliques liés à un changement d'alimentation et de mode de vie au cours des migrations (ulcères, diabète, cancers des voies digestives, problèmes dentaires...) 83 . Pourtant, il n'y a pas de place dans l'espace public pour montrer la récurrence du phénomène, prévenir et éduquer les individus. Une meilleure connaissance des besoins alimentaires liés à une présentation plus poussée des pratiques culinaires pourrait favoriser l'amélioration de la santé globale. L'interconnexion entre ces questions reste complexe et à approfondir mais semble être un premier pas vers une meilleure compréhension des enjeux sociaux et culturels de la question culinaire.

83Rémi, GALLOU,. « Le vieillissement des immigrés en France. Le cas paroxystique des résidants des foyers », Politix , vol. 72, no. 4, 2005, pp. 57-77.

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61

Table des annexes

Annexe 1 : Copie d'écran de la barre de recherche « Roubaix, ville ... »

62

Annexe 2 : Recensement des épiceries, supermarchés et restaurants roubaisiens, Document non publié, 2020. Réalisé par Elodie REQUILLART et Eloïse THEBAUD.

63

Annexe 3 : Organigramme de la Ville de Roubaix mis à jour en septembre 2020

64

Annexe 4 : La population immigrée à Roubaix, 2016

http://www.linternaute.com/ville/roubaix/ville-59512/demographie

65

Annexe 5 : Répartition des immigrés à Roubaix

http://www.linternaute.com/ville/roubaix/ville-59512/demographie

X

Hommes

Femmes

Ensemble

- de 15 ans

779

707

1486

15 à 24 ans

995

1095

2090

25 à 54 ans

5324

5562

10886

Plus de 54 ans

3464

3299

6763

Ensemble

10562

10663

21225

Statistiques issues du graphique :

10562/21225*100 = 49.7% d'hommes parmi les immigrés 10663/21225*100 = 50,3% de femmes parmi les immigrés Annexe 6 : Les stratégies d'acculturation de Sam et Berry

66

Annexe 7 : Programme de l'exposition Bleu de Travail au Non-Lieu, à Roubaix

67

Annexe 8 : Entretien avec Beatriz de Sousa Figueiredo

Béatriz est une amie que je connais depuis 3 ans maintenant. Je connaissais un peu son

histoire familiale, ce qui m'a donné envie de l'interroger pour mieux comprendre ses ressentis

sur la question de la migration, de la transmission des savoirs. Beatriz est Portugaise, elle y

est née et n'a pas l'identité française sur ses papiers. Pour autant, elle a grandi en France,

considère être française car elle vit dans ce pays depuis 24 ans et en a appris la culture et le

mode de vie. Ce qui va suivre est donc la transcription donc notre conversation autour de son

histoire.

E : J'ai écrit des questions, à la fois sur qui tu es pour situer les données « pratiques »

quelques questions sur tes parents puis, globalement, sur vos habitudes, les trucs de bouffe

etc... Ok ?

B : Ok!

E : Je te connais donc c'est différent mais on va les poser quand même. Alors pour

commencer redonne moi ton nom complet... Du coup, j'écris ton nom en portugais ?!

B : Ouais ! Maria Beatriz De Sousa Figueiredo.

E : Age, bon je vais mettre ta date de naissance

B : 15 septembre 1995

E: Alors, activité ou profession, du coup vu que tu viens d'avoir la thèse t'es en contrat

doctoral c'est bien ça ?

B : Ouais, contrat doctoral.

E : Ton lieu de naissance et de résidence ?

B : Viseu

E : Tu es née à Viseu ?? Donc Portugal, et tu vis à Lille depuis ...

B : Depuis janvier 2019.

E : Donc tu es née à l'étranger, et du coup tu es arrivée en quelle année en France ?

B : 1996

E : Et tu es arrivée direct dans le sud ouest, à Viella ?

B : Oui, Viella, dans le Gers.

E : Et tes parents, ils sont nés où ?

B : Alors, mon père il est né à Viseu. Il s'appelle Julio, il est né le 02 février 1949

E : Et pour ta mère ?

B : Maria Eunice, née à Rio de Janeiro le 5 novembre 1964

E : Et donc ils sont arrivés quand en France tes parents ?

B : En 1996, on est arrivés tous ensemble.

E : Et ta mère a fait une double migration, elle est arrivée quand au Portugal ?

68

B : Elle est partie du Brésil pour venir au Portugal en 1994, pour rejoindre mon père.

E : Et ils font quoi comme activité tes parents ?

B : Mon père il est toujours ouvrier agricole, ma mère maintenant elle est handicapée donc

sans profession mais avant elle était ouvrière agricole, elle a aussi été assistante familiale

pendant un temps...

E : On va parler maintenant de comment ça fonctionnait chez vous. Par exemple, qu'est-ce

que tu mangeais au petit déjeuner quand tu étais petite ?

B : Franchement au petit déjeuner on mangeait des gâteaux avec ma soeur, des croissants et

des chocolatines. On mangeait plutôt Français. Ben après en fait c'était français en France et

portugais au Portugal.

E : Est-ce que toi tu pouvais voir une distinction entre la nourriture que tu allais manger à la

maison et ce que tu mangeais à l'extérieur ?

B : Oui oui oui, clairement.

E : Et tu dirais que certains repas étaient typiques ou non ?

B : Ben disons que le petit déjeuner donc on le prenait français, après le déjeuner et dîner

quand on était à la maison oui c'était cuisine portugaise, par contre le goûter à la française.

E : Pourquoi tu dis que c'était plus portugais ? Les ingrédients ? Des plats qui n'existent pas

chez nous ?

B : ah bah clairement c'était de la morue et des patates (rigole).

E : D'accord ( en rigolant)... Pour toi c'était préparé façon portugais ou c'était juste des

ingrédients de là-bas ?

B : Non non ma mère préparait à la portugais, avec l'huile, les sauces...

E : Et est-ce que dans la cuisine vous aviez ramené du Portugal des ustensiles spécifiques ?

B : Des plats en terre cuite, on les ramenait tous du Portugal.

E : Et donc après quand tu sortais à l'extérieur tu consommais de la cuisine française ? Et

quand vous alliez au restau ?

B : On n'allait pas au restau, en France on allait jamais au restau.

E : Par contre au Portugal oui ?

B : Ouais, pour manger de la bonne cuisine portugaise.

E : Et sur tes goûts, est-ce que tu as un plat préféré ou est-ce que tu aimes des choses vraiment

différentes dans les deux cuisines ?

B : Je distingue les deux, en France je peux raffoler du Bourguignon et au Portugal c'est

cozida portugesa.

E : Y'a vraiment des trucs que tu trouves pas en France ?

B : Bah je trouve toujours dans les magasins portugais mais ouai sinon c'est galère.

E : Bon en l'occurrence on est allées à Nosso l'autre jour, mais y'a d'autres magasins spécialisés dans la région lilloise ? T'arrives à trouver ton bonheur ?

B : Y'a Carlier aussi qui a des produits portugais. Mais Nosso c'est plus vraiment supermarché tout portugais alors que Carlier c'est la petite épicerie, y'a aussi des trucs espagnols, italiens... E : Et tu y vas régulièrement dans ces magasins ?

B : Ouais, ça dépend... En fait c'est plus quand le Portugal me manque, mais vraiment. E : Au quotidien, tu consommes portugais ?

B : Non c'est justement par phase, mais au final ça reste anecdotique. Là je viens de rentrer du Portugal donc je vais pas y aller avant un moment...

E : Ok, et quand on te parle de cuisine française ou portugaise, tu l'associes à deux choses différentes ou bien toi dans ta vie tu mélanges tu manges les deux...

B : Pour moi le contexte fait tout. Après ça se ressemble puisque les ingrédients sont quasiment les mêmes. Mais le contexte change tout. Quand c'est portugais, c'est plus convivial, tu vas faire en grande quantité, etc...

E : Sur la convivialité, est-ce quand dans la vie à Lille tu es en relation avec des gens portugais ou brésiliens avec qui tu vas pouvoir partager ça ? Je pense au groupe de brésiliens que tu as connu au labo, est-ce que la nourriture a une place importante dans votre groupe ? B : Ah bah clairement ! Le premier truc qui a fait qu'on est devenus potes, c'est la langue. Ils parlent brésilien, je parle portugais, c'était cool. Mais oui tu vois je suis allée à son pot de départ l'autre fois, ben y'avait que de la bouffe brésilienne !

E : Donc tu dirais que dès qu'il y a une occasion de se retrouver, la cuisine est présente ? B : Mais c'est aussi tu vois finalement c'est peut être bête à dire mais je vais pas du tout faire de cuisine portugaise quand je suis que entourée de français. Alors que j'ai les compétences, juste je le fais pas. Et tu vois quand j'étais encore à la coloc de Fives je cuisinais pas du tout portugais, et puis sur la fin comme ça me manquait j'ai commencé à ramener des produits et à faire des plats de là-bas et tout.

E : Et comment tu l'expliques?

B : Je pense que spontanément, tu te brides, tu fais des trucs qui ressemblent aux autres. Enfin peut être plus dans le sens ou perso les idées de trucs à préparer me viennent aussi de ce que je vois autour de moi donc forcément quand je vis avec 5 français qui font que de la cuisine française, ben je vais moins être inspirée à cuisiner portugais. Et pareil tu vois c'est ça pour tout genre par exemple toi t'es végétarienne, et ben les phases où on mange ensemble tout le temps après à la maison je vais avoir plus tendance à cuisiner végé.

E : Les influences des autres jouent beaucoup du coup ?

B : Oui, et d'ailleurs quand je traîne beaucoup avec des portugais en France je cuisine tout

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portugais.

E : Et je pense à un truc, typiquement quand t'es allée faire ton stage à Porto y'a deux ans, t'étais au Portugal tout ça, tu mangeais quoi ?

B : Je mangeais tout portugais, j'ai jamais fait un seul plat français. Le seul truc qui me manquait c'était les gnocchis mais c'est même pas français (rigole).

E : Et tu cherchais pas à consommer des viennoiseries ou quoi ?

B : Non, mais ça me manquait. Mais comme je savais que c'était temporaire, je ne cherchais pas particulièrement à compenser.

E : Est-ce que tu considères que le Portugal a sa propre gastronomie ou ça c'est vraiment réservé à la France ?

B : Nan pour le Portugal je parle de cuisine, le côté convivial fait que ça n'est pas très élaboré mais très bon. Ici en France on fait plus mijoter, c'est plus sophistiqué quoi.

E : Et depuis que tu vis seule, est-ce que toi personnellement tu vas aller au restau pour consommer des plats portugais ?

B : Oui mais à Lille y'en a pas... Mais quand on se retrouve avec ma soeur bah tu vois la dernière fois on a mangé brésilien quoi, et quand je vais là-bas ( en région parisienne), on va bouffer portugais.

E : Ok... Pour en revenir à toi qui cuisine, comment est-ce que tu as appris ? Tu considères que tu sais préparer mais qui t'as appris ?

B : Euh... Bah déjà je pense que je suis encore débutante sur la cuisine portugaise, mais c'est vraiment par mes parents à la maison que j'ai appris. Là par exemple justement en y allant au Portugal je me suis dit pourquoi je fais pas plus de portugais, j'ai envie d'apprendre vraiment. E : Et pour le faire, tu comptes t'y prendre comment ? Grâce à ta famille ?

B : Non je pensais... Enfin si en vrai des fois je demande à ma mère pour faire les acras de morue etc je lui demande conseils. Mais sinon oui pour faire des trucs portugais je vais choper des livres de cuisine.

E : Et ton père, il ne cuisine pas du tout ?

B : Oh, non.

E : Mais attend je viens de penser que chez toi il y a donc une double migration de ta mère puisqu'elle est brésilienne, mais tu dis qu'elle fait de la cuisine portugaise?

B : Portugaise oui.

E : Parce que en « bonne épouse » on lui a appris à cuisiner portugais pour son mari tu crois ? B : Oh c'est vrai que j'avais jamais pensé à ça...Mais oui sûrement. C'est ouf hein ! (rigole). Après de temps à autre elle peut cuisiner brésilien quand même.

E : Après, elle a vécu un certain temps au Portugal non ? Je veux dire ça peut être cohérent si

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elle a vécu là bas qu'elle ait adopté cette cuisine.

B : Bah que quelques années hein, trois ans en vrai c'est pas beaucoup. Il faudrait que je lui

demande...

E : Est-ce que toi ça t'intéresserait si des événements culturels autour de la cuisine portugaise

existaient ? Ca te plairait d'y aller ?

B : Moi je pense ça me plairait vraiment, ça me permettrait d'apprendre des choses sur le

Portugal parce que ben...comme j'y ai pas vécu y'a pleins de choses que je connais pas.

E : Tu penses que tu cuisinerais plus portugais et que tu partagerais plus ça s' il y a avait plus

d'événements autour de cette cuisine? Si c'était plus valorisé par des ateliers, des expos etc...

B : Je pense que oui. Parce que ça serait ancré que la cuisine portugais existe et donc ça

donnerait de l'inspiration. C'est comme cette année quand on mangeait beaucoup de sushis, on

s'est intéressées à la cuisine asiatique bah j'ai plus tendance à en faire chez moi. Donc au-delà

de mon lien avec le Portugal je pense que oui dans tous les cas ça jouerait.

E : Chez toi, est-ce que il y a des plats d'origine brésilienne ou portugaise que ta mère fait

avec des ingrédients français ?

B : Non je pense pas, même les épices et condiments en fait comme le Portugal est proche

genre géographiquement ben on fait des stocks. Du coup ils ont tout ce qu'il faut. Après ça je

pense aussi qu'ils le font parce que comme ils vivent à Viella c'est tout petit y'a pas de

magasins où ils peuvent acheter portugais.

En vrai regarde même moi là je me suis fait un stock de vin portugais, j'en ramène à ma soeur,

on ramène toujours les produits qu'on veut pour l'année.

E : Monique (soeur de Beatriz) et toi, vous avez la même relation à la cuisine portugaise ?

B : Pas du tout.

E : Tu saurais me dire pourquoi ?

B : On n'est pas attachées au pays de la même façon. Elle, elle va très peu faire de morue. Ça

lui ferait même pas tant plaisir d'aller manger dans un resto portugais. Par contre brésilien ça

lui fera plus plaisir.

E : Juste pour repréciser, ta soeur Monique est née au Brésil ?

B : Oui, elle y a vécu 10 ans (rigole).

E : Elle est née en 1985 ?

B : Oui, elle est née à Rio le 15 mars 1985.

E : Et elle n'a pas de même nom non plus c'est ça ?

B : Non, elle elle s'appelle Monique Marques de Sousa.

E : Et donc elle a un plus fort attachement au Brésil ?

B : Oui, elle aura plus tendance à faire des trucs brésiliens.

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E : Et maintenant qu'elle a un enfant ( Yaël, née en décembre 2018), est-ce qu'avec Yaël il y a un désir de transmission ?

B : Alors oui elle lui parle en portugais, après pour la cuisine Yaël est un peu jeune elle a un an et demi, donc pour l'instant c'est pas le cas mais il y a une intention oui.

E : Toi, tu penses quoi de cette transmission ?

B : Pour moi clairement ça fait partie de l'identité. De mon côté je l'associe au style de vie donc indissociable. Et puis la cuisine ça nous fait penser à notre enfance. On a des forts souvenirs autour de ça.

E : Mais du coup tu dis que Monique est plus attachée à la cuisine brésilienne donc tous ces souvenirs sont liés au Brésil, mais pour autant elle en consomme peu.

B : Mais c'est biaisé parce que Monique elle est avec Vincent (son mari).

E : Et Vincent il est « franco-français » ?

B : Ben oui, vraiment toute sa famille est française. Du coup euh... Je pense tu vois je serais avec quelqu'un qui est d'origine étrangère, genre ta volonté de faire de la cuisine portugaise elle est....voilà

E : Je ne sais pas ce que tu veux dire, quand tu étais avec Norbert ( une ancienne relation, il est d'origine camerounaise) tu cuisinais plus portugais ?

B : Bah c'est que je sais que lui aussi il faisait des trucs de son pays.

E : Et du coup pour toi comme Monique est avec Vincent qui est français et qui cuisine français, elle ne va pas partager ça. Mais c'est marrant parce que justement vu que Vincent mange seulement français, on pourrait penser qu'il y aurait un certain plaisir à diversifier la cuisine à la maison, non ?

B : Bah pour moi c'est pas la question de diversifier, c'est juste que tu partages et l'autre il partage aussi alors que là tu as pas ce partage réciproque.

E : Ok je comprends c'est intéressant ça.

B : Je pense que le lieu change beaucoup. Tu vois pendant le confinement où j'étais à la coloc avec Adèle, c'est elle qui m'a demandé de préparer brésilien car elle s'est rendue compte que je faisais jamais rien de portugais ou quoi. Mais parce que j'ai pas la même envie quoi, alors que pourtant quand je le fais ça me fait plaisir.

E : Et donc dans tes relations passées c'est quelque chose de systématique ?

B : Oui, assez !

E : Après bon j'ai fini avec les questions là dans l'immédiat y'a rien d'autre qui me vient à l'esprit, mais l'autre jour je lisais que l'UNESCO classait le patrimoine immatériel etc... Et du coup je me disais est-ce que tu penses que la cuisine portugaise pourrait être classée ? Est-ce que ça aurait un intérêt ? Evidemment c'est subjectif hein...

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B : Moi je pense que les traditions culinaires sont extrêmement importantes, que tout le

monde bouffe pas des burger...

E : Oui mais si on réfléchit, regarde la dernière fois qu'on a mangé burger ensemble on a pris

des burgers aux produits français donc c'est une hybridation...

B : Oui, mais du coup ça ne fait pas partie des traditions culinaires françaises ni de la

gastronomie. On a juste revisité un plat étranger.

E : Oui, t'as raison ! Bon ben merci Béa d'avoir répondu à mes questions en tout cas c'est cool

!

B : Bah j'suis contente, mais après fais gaffe tu vas en savoir trop sur moi (rigole).

Le lendemain de notre entretien à la relecture, je trouve qu'il manque des éléments. En plus,

je reçois un appel de Beatriz qui me dit qu'après avoir rediscuté avec sa soeur, elle a repensé

à de nouvelles choses. Nous décidons donc rapidement de compléter notre première

conversation.

E : Pour être sûre, avec tes parents tu parles en quelle langue ?

B : Euh alors eux me parlent en portugais, mais moi je leur réponds en français.

E : Et avec ta soeur ?

B : Avec elle je parle en français.

E : Et même quand vous êtes au Portugal ?

B : Oui, même là-bas. Après là tu vois j'y suis restée un mois et demi cet été, clairement au

bout de trois semaines je leur réponds en portugais.

E : Ok ça marche. Et donc pour en revenir à la cuisine, du coup ta mère t'explique les recettes

en portugais ?

B : Oui c'est ça.

E : Mais toi dans ta tête, tu les assimiles en quelle langue ?

B : En français ! Je pense en français même quand je cuisine portugais.

E : Est-ce que tu étais volontaire pour apprendre à cuisiner ?

B : Ma mère faisait toujours à manger, elle nous apprenait pas spécialement, mais maintenant

j'ai plus personne qui va le faire pour moi donc j'ai envie d'apprendre (rigole).

E : Mais ça veut dire que quand tu étais adolescente, t'étais jamais sollicitée pour faire les

tâches de pelage, découpage etc... ?

B : Ah si si bien sûr, mais jamais une recette entière, non.

E : Et tu le prenais comment ?

B : Alors là clairement ça me faisait chier, parce que j'étais ado et que je voyais pas l'intérêt,

comme pour le jardin. Alors que maintenant j'adore.

E : Et concernant le Brésil, du coup t'as appris aucune recette ?

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B : Bah si tu vois la feijoada que je prépare pour ce soir c'est brésilien. C'est ma mère qui nous a appris mais ma soeur l'a francisée.

E : Elle a fait quoi ?

B : Elle met pas les mêmes pièces de viande. Ma mère elle met du pied de porc, des oreilles de porc, ça me dégoûte ! Monique elle met de la saucisse de Morteau, des pièces qu'on trouve meilleures quoi.

E : Et je repensais à l'école, est-ce que pour toi ça a été un lieu d'apprentissage ?

B : Ouai, carrément. Bah par exemple au Brésil on mange l'avocat sucré. Du coup la première fois où je suis arrivée à la cantine et j'ai vu de l'avocat avec de la sauce j'étais là genre « vraiment, vous avez pas compris que c'est un fruit ? » (rigole). Du coup oui j'ai beaucoup appris à l'école. Par exemple ma mère elle a très rarement fait du bourguignon, et la blanquette alors là jamais. Du coup c'est des plats que j'ai mangé à l'école quoi.

E : Ok je comprends. Une dernière question, est-ce que dans la transmission des plats, est-ce que le fait que tu sois une fille tu dirais que ça a changé quelque chose (s'occuper du mari ?)

B : Oui, si il y a cette idée même sur le ménage etc... mais comme on a grandi en France ça a vraiment fait la différence, même par exemple au Portugal nos cousines ne boivent jamais de vin alors que nous oui... Du coup nous on est plus indépendantes et on s'en fiche un peu plus. Nos parents ils ont beaucoup évolué sur ça, ma soeur elle n'avait pas le droit de boire etc car c'est une fille alors que moi mon père m'a appris, je le conseille sur des vins etc... Aujourd'hui moi j'ai envie d'apprendre la cuisine juste parce que voilà j'adore partager la culture, c'est vraiment agréable.

E : Ok super ben écoute merci d'avoir partagé tout ça avec moi et puis bah écoute je te tiens au courant de l'avancée de mon mémoire, et je t'envoie l'entretien transcrit quand c'est prêt !

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Annexe 9 : Entretien avec Laurène Boulaud

Laurène est une jeune femme que j'ai rencontrée dans le cadre professionnel. Son histoire m'a intéressée car elle est différente de celle des personnes que j'avais pu interroger jusque là. Nous avons donc pris le temps de discuter, pour que je puisse retracer son parcours personnel et familial en lien avec la cuisine. Voici la retranscription de nos échanges :

E : Au début, ce sont des questions sur toi, ton âge etc pour que je puisse resituer et après on

passer à des questions plus personnelles sur toi comment tu cuisines, ta relation à ta famille

etc.

L : D'accord super

E : Alors pour commencer est-ce que tu peux me redonner ton nom complet parce que c'est

vrai que je ne le connais pas.

L : Oui donc c'est Laurène Boulaud, aud à la fin !

E : Et tu as quel âge ?

L : 22, je suis de 1998

E : Et tu es née où ?

L : A Pau, dans le 64 ! Pyrénées Atlantiques.

E : Ok, et donc en ce moment tu fais quoi comme activité ?

L : Je fais mon service civique, mais avant j'ai fait des études. J'ai commencé par quelques

mois de prépa éco et puis une année de LEA, et après au final deux ans de Sciences Politiques

mais j'ai arrêté en cours de route, ça ne me plaisait plus.

E : D'accord je comprends. Et dans ta famille tes parents ils sont nés en France ?

L : Oui, ma mère est née à Courcelles-lès-Lens et mon père il est né, je suis incertaine

(rigole), mais je dirais Montluçon.

E : Donc on est d'accord dans ton cas c'est tes grands parents qui sont arrivés en France.

L : Oui c'est ça c'est mes grands parents qui sont venus s'installer en France. J'ai pas l'année

exacte mais c'était pendant la guerre, je sais qu'ils sont arrivés entre 1958 et 1962. Ils avaient

déjà eu des enfants en Algérie et ils sont arrivés en France et ils ont continué à avoir des

enfants. Donc oui du côté de mon père la famille vient de France et du côté de ma mère ils

sont Algériens mais elle, elle a grandi en France.

E : Et ils font quoi comme activité tes parents ?

L : Mon père il est retraité depuis cette année, il était électricien toute sa carrière. Ma mère

travaille à Total, pendant des années elle était au service achat et maintenant elle est au

service documentaire. Elle s'est réorientée car elle a fait un burn out mais elle est restée là

bas.

E : Pour terminer sur les questions familiales, est-ce que tu as des frères et soeurs ?

L : Oui j'ai un grand frère et une grande soeur. Mon frère il a deux ans de plus que moi donc il a 24 ans et ma soeur elle va avoir 29.

E : Et ils vivent en France ?

L : Ma soeur elle vit dans un bled au sud de Bordeaux qui s'appelle Cudos, 900 habitants, personne connaît (rigole). Mon frère, lui, est toujours étudiant à Toulouse, il devrait finir cette année normalement.

E : Il étudie quoi ?

L : Il étudie l'ingénierie électrique.

E : Et ta soeur ?

L : Euh ma soeur est ingénieure agronome mais elle travaille dans l'associatif elle bosse pour des éleveurs de zébus au Bénin et des producteurs de café à Haïti. Parce qu'elle avait fait une spécialisation pays du sud et bah elle a passé pas mal de temps en Afrique pour travailler sur les systèmes agraires donc ça l'intéressait pas mal.

E : Ok trop intéressant ! Alors maintenant la cuisine, alors j'ai vu que t'adorais les cacahuètes, les curly (rigole)...

L : Ouai globalement c'est mon alimentation (rigole) !

E : Et du coup plus sérieusement, avant que tu habites toute seule (donc quand tu étais petite), est-ce que chez tes parents tu avais des habitudes de cuisine française et des habitudes de cuisine algérienne, ou non?

L : Euh alors moi oui je prends le petit-déjeuner à la française on va dire. Après chez moi je mangeais plus français parce que c'était plus mon père qui cuisinait et il est Creusois donc logique. De temps en temps ma mère prenait plaisir à cuisiner elle-aussi, et c'est à ces occasions qu'elle faisait des plats de chez elle. Elle a appris plein de plats français dans sa vie mais elle aime bien cuisiner algérien.

E : Et toi tu notais une différence entre quand tu mangeais chez toi et quand tu mangeais à l'école ou pas du tout ?

L : Non pas spécialement, comme mon daron est français vraiment j'ai grandi en goûtant la cuisine française.

E : Ma question suivante consistait à demander si tu ressentais une différence par rapport aux autres, un stigmate mais du coup, est-ce que ça s'applique à toi ?

L : Non non vraiment l'école n'a pas été un lieu d'apprentissage ou de découverte pour moi et j'ai jamais été moquée ou autre pour m'intéresser à la cuisine algérienne ou la manger avec ma mère.

E : Donc tu dis que tu mangeais plus français, est-ce que tu as un sentiment d'attachement à la

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cuisine algérienne ou non ? Ou de la fierté ? De la nostalgie ?

L : J'y suis très attachée, c'est une partie de mon identité que j'ai pas eu l'occasion de beaucoup explorer. Comme ma mère est née en France et qu'elle s'est éloignée de sa famille en partant de chez elle loin de sa famille, elle a un peu détaché cette partie de son identité. Sans que ça soit intentionnel quoi mais juste ça c'est fait. Mais du coup les quelques fois ou ma mère écoute des musiques algériennes ou arabe ou alors qu'elle fait la cuisine je me dis « ah c'est mon patrimoine aussi » et du coup forcément je m'y intéresse et j'apprends ses recettes avec plus de fierté que j'apprends les recettes françaises.

E : Ok je note. Et maintenant que tu habites toute seule, tu continues à manger plus de cuisine française ou pas ?

L : Plus française oui, toutes les recettes algériennes que j'ai apprises de ma mère c'est des trucs qui demandent plus de préparation, plus d'ingrédients que j'ai pas forcément, c'est long... Les jours où je les fais je suis trop contente mais là avec mes deux plaques chauffantes et mon four minuscule je peux pas vraiment les faire...

E : Et est-ce que y'a quand même des produits algériens que tu consommes hors des plats cuisinés ?

L : Nan, mais j'aimerai vraiment aimer les pâtisseries orientales mais vraiment tout ce sucre je peux pas.

E : Y'a l'Aziza au coin de la rue en plus (rigole). L'aziza est une boulangerie-pâtisserie orientale du quartier Moulins, à Lille.

L : Ca m'écoeure trop je suis pas très sucré de base. Mais c'est pour ça que les arabes ils ont tous du diabète aussi (rigole), quand tu manges tout ce sucre c'est logique... Mais comme les confitures d'ailleurs. Là c'est pas tant une question d'habitude de cuisine que de goûts tu vois. E : et est-ce que tu trouves que sur Lille tu trouves facilement ce dont t'as besoin ? Par rapport à Pau c'est comment ?

L:Oui alors là c'est l'avantage si j'ai besoin d'un truc je vais à Wazemmes. Quand je suis arrivée sur Lille dès que j'ai su que y'avait un quartier avec pleins d'arabes je me suis dit à bah voilà si j'ai besoin je sais où aller. Y'a pleins d'épiciers qui sont arabes aussi donc c'est top. Mais après à Pau il y avait aussi un quartier comme ça, jme rappelle quand ma mère avait besoin elle allait faire les courses à lous des bois, à lousdeb on disait (rigole). Elle allait m'acheter mon henné et de la menthe fraîche pour faire ses thés.

E : Et tu fais toujours du henné ?

L : Ca fait des mois que je veux en faire mais bon je me suis pas trop motivée. C'est un truc que je fais avec ma mère en général, sa mère lui faisait et elle elle m'a appris et ouai j'aime bien faire ça à la maison donc ici je le fais pas trop.

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E : Et pour revenir à la cuisine, est-ce que tu vas au restaurant pour manger des plats algériens ou maghrébins ?

L : Je vais jamais au restaurant de manière générale. Si je vais au resto ça va être pour aller manger pizzas ou des plats italiens, j'aime trop ça. Rien à voir mais j'adore haha.

E : Et sur tes relations sociales, est-ce que y'a certains potes en particulier avec qui tu vas plus te faire des repas algériens ou quoi ?

L : Pour l'instant non parce que j'ai eu énormément de potes arabes dans ma vie, la ville d'où je venais y'avait pas beaucoup d'arabes. Mais là cette année justement je voulais proposer à Nawell qui travaille au service civique avec moi. Parce que du coup elle je suis sûre elle sait cuisiner. Elle a vécu avec sa famille et tout ...

E : Elle vient d'où Nawell ?

L : D'Algérie, elle a ses deux parents qui sont algériens, elle parle arabe et tout donc elle se considère arabe elle connaît bien la culture. Mais eux jvoulais lui proposer de venir faire des bricks, tiens du coup oui si ça c'est typique algérien et j'adore j'en mange souvent. Il faut juste une poêle à frire et c'est tout. Mais juste ça demande du temps si tu veux bien préparer les garnitures. Genre c'est le truc je me vois trop le faire avec une copine, on passe l'aprem à préparer et puis déguster le truc et tout... Trop bon. Mais sinon nan c'est vrai que c'est pas un truc que j'ai partagé avec d'autres gens que ma mère.

E : Et tu disais que Nawell était « vraiment » algérienne, toi tu connais l'Algérie ? Tu y as habité ?

L : Nan mais moi j'y suis jamais allé en Algérie ! Mais tu sais que même ma mère elle y est jamais allée. Mais on s'est dit vraiment un jour faut qu'on se fasse un voyage là-bas.

E : Et est-ce que tu as habité ailleurs qu'en France dans ta vie ou au cours de tes études ? L : Non jamais, j'ai bougé dans plusieurs villes de France mais pas à l'étranger.

E : Ok, ça marche. Sur un côté plus personnel, est-ce que quand tu a été dans des relations romantiques ça t'as poussé à cuisiner des turcs algériens et que la personne t'as elle aussi fait part de ses recettes familiales etc.

L : La seule relation que j'ai eu avec quelqu'un d'étranger j'étais très jeune (17 ans) et on a été majoritairement à distance donc franchement c'est pas représentatif... Je savais même pas vraiment cuisiner à l'époque.

E : Et si tu étais dans une relation avec une personne arabe ou étrangère, est-ce que ça t'inciterait plus à préparer des plats algériens ?

L : Bah carrément ! Tfaçon si je suis avec quelqu'un ça serait une occasion pour moi d'approfondir parce que même si je cuisine pas beaucoup j'adore faire à manger quand je suis avec des gens etc.

E : Et tu me disais qu'il y a quand même quelques recettes qui t'ont été transmises, comment ça s'est passé?

L : Avec ma mère quand elle prépare je l'ai vue faire, je l'ai aidée, y'a pas grand-chose hein. Couscous, tajine (poulet citron confit ou agneau pruneau). J'aimerai bien d'ailleurs me motiver à faire un tajine un de ces jours.

E : Ton frère et ta soeur, tu dirais qu'ils ont la même relation que toi à cet héritage algérien ou pas du tout ?

L : Alors ma soeur... Elle a appris à la maison mais plus de mon père de manière générale, elle lui voue un peu une admiration donc ouai elle a pas trop appris de ma mère. Et quand j'y pense toutes les fois où je suis allée chez elle j'ai pas vu une seule fois des trucs algériens... Même avec son mec et son fils je pense pas qu'elle fasse trop ça... Et mon frère déjà lui il cuisine pas beaucoup, et lui c'est un gros français (rigole), il est bronzé mais c'est mon père bis il a pas trop pris de ma mère.

E : y'a des plats algériens que t'aurais genre « françisé » ?

L : Non alors là y'a rien qui me vient en tête... Alors si nan y'a un truc mais c'est une hérésie (rigole). C'est que moi je suis pas musulmane donc ça peut m'arriver de mettre des lardons dans le couscous je sais ça se fait pas mais bon (rigole). Nan en vrai je pense je vais plus « arabiser » des plats français. Parce que je mets les épices des plats algériens donc tous les trucs français basiques que je cuisine.

E : Ok ça marche... Et ... Est-ce que tu as déjà entendu parler de la gastronomie algérienne dans un musée, est-ce que tu as déjà pu t'intéresser à ça ?

L : Non jamais...

E : Et s'il y avait un événement autour de la cuisine algérienne ou maghrébine, est-ce que tu serais intéressée pour y aller ?

L : ah bah de ouf, nan vraiment moi ça m'intéresse. Après je voudrais trouver une compatriote avec qui y aller (rigole).

E : Et tu aimerais bien y voir quoi ? Apprendre des choses? Pratiquer ?

L : J'essaie de visualiser ce qui m'est direct venu en tête quand tu as dit ça... Je revois la foire expo à laquelle j'étais quand j'étais petite, avec des gens qui vendent de la bouffe, des gens qui font plein de cuisine, des ateliers pour apprendre... Moi tout de suite j'ai pensé aux odeurs, ça sentirait super bon !

E : Ok super bah merci pour tes réponses parce que ça apporte encore une autre perspective sur cette question par rapport aux autres personnes à qui j'ai pu parler de ça...

L : J'espère que ça va t'aider !

E : Oui carrément de toute façon c'est toujours intéressant de voir votre rapport en tant

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qu'enfant avec des parents étrangers ou grand parents étrangers. Et puis ça met en relief les fonctionnement systématiques c'est bien !

L : C'est vrai que ma mère elle nous a quand même tous donné des prénoms français, franchement elle nous aura pas transmis grand-chose de patrimoine, dans sa volonté d'intégration. Nous c'est Anne-Laure, Etienne et Laurène, très français. Même la langue on la parle pas du tout quoi. J'ai rencontré ma grand-mère quand j'avais 17 ans, j'étais en face genre « bonjour mamie » jme suis dit putain elle doit être déçue d'avoir des petits enfants français. Surtout que vu que ma mère est née en France vraiment on est les français de la famille quoi.

Nous avons continué quelques minutes à discuter des problématiques de transmission au sein des familles mixtes.

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Annexe 10: Entretien avec Yingjie Weng

Nom / Prénom : Yingjie WENG

Âge: 25

Activité ou profession : non

Lieu de naissance et de résidence :

- Si naissance à l'étranger, date d'arrivée sur le territoire français :

Lieu de naissance : Chine

Lieu de résidence : France

Réponses non publiée sur les autres questions portant sur la famille

Frères et soeurs ? /

Concernant la cuisine :

Quelles sont vos habitudes du petit déjeuner ?

Le matin, je prends une viennoiserie ou des biscuits en accompagnement avec un jus de

fruits/ une boisson chaude.

Y'a-t-il un plat (petit déjeuner, déjeuner, dîner ou goûter) qui soit d'un pays ou de

l'autre (ex : déjeuner français au travail mais dîner du pays de départ) ?

Matin : Ça reste très variable. Le repas du matin, comme évoqué dans la dernière question, est

plutôt français. Ce n'est pas une habitude développée en France car j'aime toujours les choses

sucrées, donc depuis toute petite, ma famille prépare souvent des tartines, des viennoiseries

(chinoises), du lait pour moi le matin. Eux, ils en mangent de temps en temps mais ils

préfèrent un petit-déjeuner chinois (plutôt salé).

Midi et soir : Les repas du midi et du soir restent très variables. Ça peut être français, chinois,

italien ou même allemand ! J'ai toujours envie d'essayer de nouvelles recettes d'un pays à

l'autre.

Deux choses qui distinguent le repas français et le repas chinois/ de la plupart de pays

asiatiques :

l Plats à partager. On prépare plusieurs plats, on les met au milieu de la table. Chacun a un bol de riz et on partage les plats ensemble.

l Déroulement du repas : D'ailleurs, on n'a pas le processus du plat d'entrée, plat principal, fromage, dessert... Presque tous les plats sont présentés d'un coup, le dessert n'est pas une habitude dans le repas en famille mais il arrive qu'on le prend au restaurant.

Y'a-t-il une séparation entre la nourriture au sein du foyer et à l'extérieur ? (type à la maison exclusivement cuisine d'origine et hors cuisine française) ?

Non

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Avez-vous déjà été stigmatisé.e, moqué.e, par rapport à vos origines en rapport avec la

cuisine ?

1/ Oui, mais pas de méchanceté. Au début de mon séjour en France, j'ai fait cuire les salades

devant mes voisins (j'habitais dans une résidence de CROUS à l'époque, donc il n'y a qu'une

cuisine commune). Chez nous, on a l'habitude de cuire tous les ingrédients pour une raison

d'hygiène : la chaleur peut tuer les microbes et les bactéries.

Quel est votre plat préféré ?

2/ Les crêpes et la raclette ! Bien sûr qu'il existe des plats qui sont préparés de manière plus

délicate mais on ne peut pas en manger très souvent. Les crêpes et la raclette sont faciles à

préparer. De plus, ils génèrent une ambiance bien conviviale.

Et un plat de ma ville nationale : nouilles faites à la Changshanaise

Quel sentiment cela vous évoque quand on parle de ces deux gastronomie (fierté,

nostalgie, ignorance, tristesse, envie de partage...)?

Gastronomie française : envie d'apprendre, découvrir, essayer et partager avec les autres.

Quand je ne suis pas en France, elle me manque aussi. (Je la considère comme la meilleure

gastronomie dans le monde occidental :)

Gastronomie chinoise : nostalgie. Quand je me sens une baisse de moral, je me fais justement

des nouilles changshanaise (à voir la photo ci-dessous), ce qui me rappelle ma famille et ma

ville. C'est très réconfortant.

Pouvez-vous associer un mot et une idée pour chacune des cuisines ?

Gastronomie française : esthétique / Gastronomie chinoise : diversifiée

Dans votre vie quotidienne, à quelle fréquence estimez-vous consommer chacune des

gastronomies ?

Française : 60% (ex. salade) / Chinoise : 40% (raviolis grillés)

Consommez-vous des produits, au quotidien, issus de votre pays ? Oui

Y'a-t-il, dans la région Lilloise, des magasins spécialisés avec des produits propres à la

cuisine de votre pays d'origine ?

Paris Store et parfois chez certains commerçants au marché de Roubaix.

Allez-vous au restaurant pour déguster cette cuisine ?

Oui, mais il faut un restaurant qui sait bien le faire !

Etes vous en relation avec des personnes ayant les mêmes origines avec lesquelles vous

partagez des moments de convivialité autour de la cuisine de votre pays d'origine ?

Oui. Et souvent avec les Français qui s'intéressent à cette cuisine.

Est-ce que vous considérez manger façon cuisine française ou plutôt cuisine de votre

pays d'origine ?

Plutôt française.

Avez-vous déjà vécu dans un pays étranger (autre que le pays d'accueil) ?

Si ça compte, j'ai vécu deux semaines à Berlin pour apprendre l'allemand.

Si oui quelles étaient vos habitudes ?

Manger localement.

Vie personnelle :

Est-ce que vous entretenez actuellement une relation amoureuse avec une personne ?

Réponse non publiée

Si oui, quelle est sa nationalité ?

Réponse non publiée

Est-ce vous estimez que sa nationalité influence votre alimentation ?

Oui.

Si vous avez une expérience similaire vécue dans le passé, sentez vous libre de raconter

votre ressenti :

réponse non publiée

Apprentissage et transmission :

Connaissez-vous des recettes que réalisaient vos parents dans votre pays de départ ?

Oui

Etes vous capable de les refaire ?

Oui

Si oui, qui vous a appris à les faire ?

Mes parents et mes amis chinois.

Quel a été le rôle de l'école/du travail dans l'apprentissage et la découverte de la cuisine

du pays d'accueil ?

L'école pourrait donner un carnet d'adresse des restaurants locaux ou bien nous mettre en

relation avec les familles françaises qui souhaitent faire découvrir la gastronomie aux

étrangers. J'avais participé à International Students Week, organisé par l'Université, qui m'a

permis d'aller chez une famille française un dimanche pour déguster les très bons plats

français.

Aujourd'hui en tant que personne adulte, avez-vous des pratiques « hybrides » qui

empruntent des habitudes à chacune des cuisines évoquées ?

Carrément oui. Les ingrédients, la façon de préparation et présentation (un plat mixte avec la

carbonade, spaghetti et des choux sautés, à voir la photo ci-dessous) le déroulement du repas,

la durée, les couverts sont souvent mélangés, et aussi les invités.

Avez-vous déjà entendu parler de la gastronomie de votre pays d'origine dans une

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institution (musée, exposition, spectacle) ?

Oui. Un exemple bien frais, la Région Hauts-de-France organisera le 20 novembre une

conférence en ligne sur la gastronomie chinoise.

Ça devrait exister dans les musées mais je ne suis pas au courant.

Qu'en penseriez-vous si un événement culturel était dédié aux pratiques culinaires de

votre pays ?

Ce serait super !

Qu'est-ce que vous aimeriez y voir ?

Une diversité de plats, histoire de certaines spécialités...

Merci beaucoup pour ta participation !

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Résumé

Tout au long de ce mémoire de stage, je me suis intéressée à la gestion de la diversité culturelle et du patrimoine au sein d'une ville. Au travers d'une synthèse des vagues migratoires ayant eu lieu au cours des XIXème et XXème siècles sur le territoire roubaisien ; puis d'une réflexion autour des différents concepts et réglementations qui entourent le patrimoine, j'ai cherché à comprendre si le patrimoine culinaire pouvait avoir sa place dans les processus municipaux de valorisation. Je me suis aussi intéressée à la portée identitaire et donc sociale du patrimoine culinaire, et me suis attachée à montrer que les options de valorisation sont diverses et multiples et peuvent être évolutives. Toutefois, nous voyons bien qu'il est nécessaire de les encadrer et d'en déterminer les objectifs pour permettre une transmission des savoirs entre les générations de roubaisiens et roubaisiennes, et faire perdurer des pratiques ou des connaissances autour de la cuisine. Les savoirs devront être valorisés aussi bien dans leurs traditions que dans leur contemporanéité. Il n'existe pas de solution prédéfinie pour la valorisation de ce patrimoine sur le territoire de Roubaix, mais des idées peuvent émerger et, soutenue par la municipalité, permettre une intégration de ce patrimoine.

Throughout my internship thesis, I studied the management of cultural diversity and all patrimonial practices related to this diversity within a specific municipality. Through a synthesis of various migratory flows that took place during the XIXth and XXth around Roubaix and a reflection on the variety of conceptions and rules surrounding cultural heritage ; I tried to understand if the culinary heritage could belong in municipal programs. I questioned the identity building process and strong social value related to the culinary heritage, and tried to underline the multiplicity changing nature of valorisation programs. Nevertheless, the necessity to regulate their action and to set specific goals to ensure the intergenerational transmission of knowledge among Roubaix's inhabitants is quite obvious. A regulation would also help to perpetuate specific practices and knowledge related to cooking. Those knowledge must be valued as traditions as well as in their contemporary dimension There are no predetermined solutions to valorise heritage on this specific territory of Roubaix. But some ideas can emerge from the people, and if supported by the municipality, enable the integration of the culinary heritage.






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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway