Section 2 : Acte de naissance en Haïti
L'acte de naissance est la première pièce
d'état civil que doit recevoir tout être humain à la
naissance. D'après les lois haïtiennes, chaque membre de la
société doit être inscrit dans le registre d'état
civil à sa naissance, de manière à être pris en
compte par l'Etat auquel il appartient. Cet acte lui servira tout au long de
son existence, permettant la rédaction d'autres actes d'état
civil à obtenir, pour différentes transactions ou
activités professionnelles et commerciales. Dans cette section de notre
travail nous présentons l'ensemble des prescriptions contenues dans le
formulaire de l'acte de naissance et analysons la portée de l'acte en
lui-même.
1. Etablissement de l'acte de naissance
L'acte de naissance représente, pour reprendre Jobnel
Pierre, le premier document par lequel l'Etat assume qu'il reconnaît une
personne comme son ressortissant. Ce document est une pièce juridique
attestant la déclaration ou l'enregistrement d'un fait d'état
civil (Pierre, 2005). Le système d'enregistrement est complexe et
pose de sérieux problèmes. D'un coté, l'acte est
enregistré par l'officier d'état civil de façon manuscrite
sur des formulaires pré remplis proposés par le Ministère
de la Justice et de la Sécurité Publique. Ces formulaires
laissent beaucoup de possibilités d'erreurs à la personne qui les
remplit. De l'autre, pas de référence d'orthographe
officielle. Étant donné qu'il n'existe pas d'orthographe
officielle pour les noms de famille haïtiens et le système se base
sur simple déclaration, les possibilités d'erreurs paraissent
évidentes. Le système offre à chaque officier de
l'état civil la latitude d'écrire le nom comme il l'entend. Cela
pourrait occasionner qu'au sein d'une même famille, une
variété d'orthographes du patronyme. Cette réalité
pourrait être source de conflits au moment par exemple, de partager des
biens laissés en héritage. Enfin, le système étant
exceptionnellement déclaratif, l'officier de l'état civil, bien
qu'ayant compétence exclusive pour dresser les actes de naissance, n'a
pas le pouvoir de vérifier la réalité de cet
événement. Il doit uniquement se fier aux énonciations du
déclarant. Il n'a qu'un simple rôle de transcription à
tenir, sans vérification aucune. En conséquence, des gens
détenteurs d'acte naissance pourraient sans difficultés aucunes
s'en font délivrer d'autres. Donc, une personne peut se retrouver
détentrice de plusieurs actes de naissance. Toutefois, dans le cadre des
naissances institutionnelles (enfant né à l'hôpital),
l'officier de l'état civil pourrait exige un certificat de naissance. Il
pourrait également demander l'acte de mariage lorsque le
déclarant se dit être marié. Lorsque l'enfant n'est pas
né à l'hôpital, l'acte de naissance est obtenu par
déclaration des parents (ou de l'un d'eux) et de deux témoins
devant l'officier d'état civil. Eu égard à la forme,
l'acte de naissance tel qu'il se présente aujourd'hui, selon un rapport
d'une mission en Haïti, organisée du 26 mars au 7 avril 2017 par
l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides
(OFPRA), est une feuille de papier de format bureautique US letter 8 ½ X
11 pouces (Refworld, 2017). Cette feuille pré imprimé
communément appelée formulaire, provient du Ministère de
Justice et de la Sécurité Publique (MJSP) et est rempli par
l'officier de l'état civil de concert avec le comparant, au moment de la
déclaration faite par ce dernier. Selon la représentante de
l'ambassade d'Haïti à Ottawa a précisé que les
renseignements « de base » qui se trouvent sur l'acte de naissance
sont les suivant :
· l'année de préparation et le jour et l'heure
de comparution
· le nom de l'officier d'état civil et son
identification
· le nom du comparant (père, mère, ou
tiers)
· la profession (parfois), le nom de la ville de son
domicile
· la déclaration en lien avec le type d'union
· le genre de l'enfant et son ou ses prénoms
· le nom de la mère, s'il s'agit d'une
déclaration par le père
· les noms des témoins
· les signatures et sceaux
Le modèle présenté sous la forme de
formulaire, pourrait être se décomposer en plusieurs rubriques
distinctes. Cette présentation semble être faite à la
lumière des conditions fixées par l'article 56 du code civil
haïtien. Il faut le mentionner qu'en matière d'acte de naissance,
trois (3) formulaires distincts peuvent être utilisés pour
déclarer une naissance, selon la qualité du déclarant. Si
c'est le père qui est le déclarant, on parle de
déclaration père et type de formulaire est utilisé. Dans
le cas ou c'est la mère, cas d'un enfant de père inconnu ou qui
ne reconnaît pas la paternité, c'est un autre type de formulaire
qui est utilisé (déclaration mère). La déclaration
est tierce lorsqu'un parent donne mandat à une autre personne de se
présenter devant l'officier de l'état civil pour faire la
déclaration de naissance. En pareil cas le formulaire utilisé
serait la déclaration tierce. Selon notre analyse du formulaire, nous
tentons nous-mêmes dans le cadre de notre travail de les regrouper en
plusieurs rubriques. La première concerne l'officier de l'état
civil lui-même. Elle renferme l'année de déclaration, le
jour et l'heure où la déclaration a été faite. En
outre, elle contient le nom de l'officier de l'état civil et son
identification. La seconde présente des indications permettant de
vérifier l'identité du ou des parents et celle de l'enfant. Le
père ainsi que la mère doivent être identifiés par
l'indication de leur nom(s), prénom(s), profession et domicile. Quant a
l'enfant, les informations relatives à son sexe, sa filiation (naturelle
ou légitime), le lieu, la date et heure de la naissance, enfin le ou les
prénoms qui lui est attribué. L'acte de naissance déclare
l'enfant légitime lorsqu'il est né dans les liens du mariage, et
naturel dans les autres cas. La dernière rubrique identifie les
témoins ainsi que la signature de l'officier de l'état civil, du
déclarant et des témoins. Ce sont ces dernières
formalités qui permettent de clôturer l'acte de naissance,
préalablement soumis à la relecture. Cependant, concernant les
enfants trouvés, l'officier de l'état civil procède
à une double inscription. D'une part du procès-verbal de
découverte, de l'autre, de l'acte de naissance, selon les
modalités prévues par l'article 57. Il est à noter que
dans le cas d'un enfant trouvé, l'officier devra lui-même choisir
les prénoms et noms à attribuer à l'enfant.
2. La portée de l'acte de naissance
Le système juridique haïtien reconnait trois (3)
sortes de filiations : celle dite légitime, celle adoptive et celle
naturelle. La filiation est légitime lorsque ceux que le droit nomme les
père et mère sont mariés lors de la conception ou de la
naissance de l'enfant. Elle est dite naturelle dans le cas contraire. Cette
dernière catégorie n'est pas homogène. Elle pourrait se
subdiviser entre les enfants naturels simples qui sont ceux dont les parents
auraient pu légalement contracter mariage mais ont librement
décidé de ne pas le faire ; les enfants naturels
adultérins qui sont ceux dont l'un au moins des auteurs était,
au moment de la conception, engagé dans une union conjugale avec un
tiers ; les enfants naturels incestueux qui sont ceux dont les père et
mère sont empêchés de s'épouser en raison de leur
lien de parenté à un degré proche. La filiation adoptive
est une relation de filiation juridique existant entre un enfant et des parents
qui ne sont pas du même sang. Il existe deux sortes d'adoption parmi
lesquelles un couple peut choisir : l'adoption simple et l'adoption
plénière. Selon l'article 24 de la loi du 15 novembre 2013
reformant l'adoption en Haïti, l'adoption simple est celle qui
confère le nom de l'adoptant à l'adopté en l'ajoutant au
premier nom de ce dernier. Cette loi précise en outre qu'aucune
modification ne sera apportée quand l'adoptant et l'adopté ont le
même nom patronymique. En cas d'adoption par un couple, l'adopté
prend le nom du mari ou du concubin.
Auparavant, le Code civil traitait séparément de la
« filiation légitime », qui s'inscrit dans le mariage, et de
la « filiation naturelle », qui existe en-dehors de l'union
conjugale. A l'intérieur de ces catégories, il était
édicté des règles différentes selon que l'on
envisageait l'établissement du lien maternel ou du lien paternel, seule
la reconnaissance étant commune à la maternité et à
la paternité hors mariage. Cependant, la loi du 4 juin 2014 a refondu la
présentation du droit de la filiation. L'article 1er de cette
loi établi le principe de l'égalité des filiations
légitime, naturelle, adoptive. Ainsi les enfants issus de l'une ou de
l'autre condition engendrent nécessairement l'égalité
entre tous les droits et les obligations moraux et pécuniaires à
la charge de leurs parents.
Désignant le lien qui unit un enfant à son
père et/ou à sa mère, la filiation n'est donc, comme dit
Gutmann, ni du domaine de l'être, ni du domaine de l'avoir : elle est du
domaine de la relation. Elle n'est pas non plus de l'ordre du fait, mais de
l'ordre de l'artifice en ce qu'elle n'existe pas par elle-même mais est
une création du droit (Gutmann, 2000). Certes, à la base de toute
filiation, il y a l'engendrement, il y a la procréation. Que ce soit par
le biais de relations charnelles ou d'une technique médicale, on
rencontre toujours le phénomène de création, entendu comme
l'action de faire naître et le phénomène d'assemblage,
d'union ou de fusion. Ainsi, la filiation, c'est l'attachement que le droit (et
la société dans son ensemble) considère comme digne
d'être reconnu. Quel que soit le qualificatif apposé au mot
filiation, il n'en demeure pas moins que celle-ci n'existe que parce qu'elle a
été légalement établie, c'est-à-dire
prouvée conformément à la loi. C'est en cela que
Gérard CORNU dit du droit de la filiation qu'il est un droit de la
preuve, un système de preuve (Cornu, 2003).
L'acte de naissance en constituera la preuve par excellence,
telle que l'indique le premier alinéa de l'article 2 de la loi portant
sur la paternité, la maternité et la filiation, publiée
dans le Moniteur, le mercredi 4 juin 2014. Cette article souligne que la
filiation s'établit par l'inscription de la naissance sur les registres
de l'officier de l'état civil ou sur ceux du Consul haïtien
à l'étranger, sur comparution des parents ou de l'un d'eux muni
d'un acte authentique ou d'une procuration spéciale donnée par
l'autre parent, ou d'une décision de justice passée en force de
chose souverainement jugée, résultant d'une action en recherche
de paternité ou de maternité (Moniteu#105, 2014). En
qualité de preuve, il a ses propres particularités. Il peut se
servir tantôt pour établir, tantôt pour anéantir une
filiation. D'abord, l'acte naissance établit donc la preuve de la
filiation de l'enfant à ses parents. En ce sens, il identifie clairement
l'auteur, qui, à défaut d'être certain, est le
géniteur le plus probable. Ensuite, il témoigne en quelque sorte
l'expression d'une volonté du géniteur d'assumer un lien de
filiation. Enfin, il est la manifestation d'un acte de foi, d'une
vérité instituée : je reconnais l'enfant, je suis inscrit
comme père sur l'acte de naissance de l'enfant de ma femme, je suis la
femme qui accouche de l'enfant et dont le nom est porté à l'acte
de naissance.
L'acte de naissance ne traduit pas seulement des preuves de
filiation de son propriétaire. Il est également un outil puissant
qui peut aider à protéger notamment les enfants contre des
changements illicites d'identité, par exemple un changement de nom ou
une falsification des liens familiaux. Cela se situe dans la ligne de l'article
8 de la Convention aux Droits des Enfants, et de l'obligation qu'a l'Etat de
préserver l'identité de l'enfant. Une question
particulièrement préoccupante ici est l'établissement de
faux papiers en vue d'une adoption illégale. Il est à noter que
l'article 8 de la Convention précise que le droit à un nom,
à une nationalité et à des relations familiales font
partie du droit à une identité, et que si un enfant est
illégalement privé des éléments constitutifs de son
identité ou de certains d'entre eux, les États parties doivent
lui accorder une assistance et une protection appropriées, pour que son
identité soit rétablie aussi rapidement que possible.
La démarche réalisée devant l'officier de
l'état civil est une formalité imposant de révéler
à l'État l'existence d'un fait dont on a eu connaissance afin que
l'information qu'il constitue ne reste pas secrète. L'article 56 du Code
civil dispose que doivent figurer dans l'acte de naissance les prénom,
nom, âge, profession et domicile du déclarant lorsque ce dernier
n'est pas le parent de l'enfant. Cela signifie que le déclarant agit en
son propre nom, et non pas en représentation de l'enfant, de la
mère de l'enfant ou de son père. Au sens de l'article 599 du Code
civil, cette démarche constitue un acte strictement personnel qui ne
peut donner lieu : ni à assistance, ni à représentation. A
la différence de la reconnaissance, la déclaration de naissance
n'a pas vocation à retranscrire un acte de volonté et c'est
pourquoi elle peut être faite par toute personne ayant connaissance de la
naissance de l'enfant (Carbonnier, 2004). Conformément à
l'article 7 de la Convention internationale des droits de l'enfant qui
prévoit que l'enfant est enregistré aussitôt sa naissance,
le législateur fait obligation à toute personne ayant eu
connaissance de la naissance d'un enfant d'en faire la déclaration
auprès des services de l'état civil. En effet, le principal
intéressé n'étant pas en mesure de se faire
connaître, il faut remettre entre les mains des tiers l'obligation de
déclarer sa naissance. A cette fin, le législateur charge toute
personne ayant eu connaissance de l'accouchement de procéder à la
déclaration. L'article 55 du Code civil ouvre une vaste liste de
personnes, qui peuvent être : les docteurs en médecine ou en
chirurgie, sages-femmes, officiers de santé ou toute autre personne qui
aurait assisté à l'accouchement. Toutefois, ces personnes ne sont
visées qu'en l'absence du père de l'enfant qui est
prioritairement concerné par l'obligation de déclarer la
naissance, puisque ce même article dispose que la naissance de l'enfant
sera déclaré par le père ou la mère de l'enfant. Le
droit de l'enfant d'être enregistré aussitôt sa naissance
donne à l'enfant le droit d'être connu des services de
l'État. Dans tous les cas, la jouissance effective des droits dont
l'enfant peut bénéficier est soumise à l'enregistrement de
sa naissance. A partir de cet instant il acquiert la personnalité
juridique qui lui donne le statut juridique de personne et de ce fait le
protège.
D'un autre côté, l'acte de naissance est l'un des
éléments importants utilisé par les autorités de
certains pays pour encourager la scolarisation. D'après l'UNICEF,
certains Etats comme le Cameroun, le Lesotho, les Maldives et le Yémen,
les écoles refusent d'inscrire les enfants qui n'ont pas de bulletin de
naissance. En Turquie, ce document est exigé pour l'obtention d'un
diplôme d'études primaires et par conséquent pour le
passage dans l'enseignement secondaire ; en Tanzanie, il faut le fournir pour
s'inscrire à l'université. A Sri Lanka, un certificat de
naissance n'est pas demandé pour l'inscription à l'école,
mais il est nécessaire pour se présenter à des examens.
Enfin, il est prouvé, suivant cette même ligne
d'idées, que cette pièce administrative facilite la jouissance
d'autres droits connexes, comme le droit de voter (une fois majeur) et de se
faire élire, le droit au mariage formel, celui de posséder un
compte bancaire et des propriétés, le droit de détenir
d'autres pièces d'identification d'égale d'importance, comme un
passeport et une carte d'identité.
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