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Sécurité et liberté chez Thomas Hobbes


par Jacob Koara
Université Joseph Ki Zerbo  - Master 2022
  

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CHAPITRE II : DE L'ÉTAT DE NATURE AU CONTRAT POLITIQUE : UNE ANTHROPOLOGIE PESSIMISTE AU FONDEMENT DU CONTRAT POLITIQUE

Selon Thomas Hobbes, « pour se faire une idée claire des éléments du droit naturel et de la politique, il est important de connaître la nature de l'homme »96(*).Aussi comprendre l'hobbisme politique revient-il à sonder les tréfonds de la nature humaine dans la mesure où toute sa philosophie politique repose entièrement sur sa conception de l'homme. En d'autres termes, l'anthropologie est l'édifice sur lequel il bâtit sa pensée politique. Et pour expliciter la nature humaine, il hypostasie une existence présociale de ce dernier, un état anté-politique ; l'homme avant qu'il ne fasse société avec son semblable : l'état de nature. Pour sortir de cet état de nature, les hommes vont passer un contrat. Thomas Hobbes est pour ainsi dire un philosophe contractualiste. La paternité de la théorie contractualiste lui est d'ailleurs attribuée. Le philosophe anglais ainsi que tous les philosophes dit contractualistes estiment que la société serait de façon plausible l'émanation d'un contrat entre les hommes.

En outre, les notions d'état de nature et de contrat se révèlent être les clés de voûte à l'usage de tous ceux qui voudraient pénétrer les arcanes de sa pensée politique. La conception hobbesienne de l'état de nature justifie le type de contrat social qu'il préconise qui, en dernière instance, permet de s'imprégner de sa conception du pouvoir politique. Après l'analyse de ces notions (section 1 et 2) nous nous intéresserons à la compréhension hobbesienne de la politique (section 3).

1. L'état de nature comme postulat d'appréhension de la nature humaine

Si le terme n'apparaît pas explicitement, l'idée d'un état de nature des hommes était déjà présente dans l'antiquité grecque. Épicure, par exemple, était méfiant vis-à-vis de tous « ceux qui font de l'homme un animal essentiellement sociable, comme si tout son développement était guidé par cette harmonieuse finalité »97(*). Lucrèce, élève d'Épicure que Joseph Vialatoux considère comme le Thomas Hobbes de l'antiquité98(*), nous apprend, en effet, qu'il exista une période de l'histoire de l'humanité où les « hommes traînaient une vie vagabonde à la manière des bêtes sauvages »99(*). Ils vivaient de manière éparse dans les champs, les bois, les grottes ainsi que les montagnes100(*), trouvant dans la nature leurs moyens de subsistance101(*). Pour ce qui est de l'expression, elle se retrouve sous la plume du philosophe et juriste hollandais Hugo Grotius mais il n'en tire pas une pensée systématique102(*).

Si l'idée n'est pas nouvelle, cependant c'est véritablement avec Thomas Hobbes que l'expression état de nature devient « un chapitre essentiel de la philosophie politique »103(*).C'est ce dernier, en effet, qui va systématiser et rendre l'expression populaire en philosophie politique avec son ouvrage DeCive104(*). Après lui, toute réflexion sur un quelconque ordre politique juste se verra désormais dans l'obligation, ou ressentira le besoin, de réfléchir sur les origines de la société, cet état pré-politique de l'homme.

Au regard de cela, Pasquale Pasquino estime que ce « concept hobbesien d'état de nature produit un véritable bouleversement dans la tradition politique classique de l'Occident celle qui va d'Aristote jusqu'à Machiavel »105(*). Le bouleversement dont il est question ici est lié au fait que ce concept offre un nouveau cadre systémique pour penser et comprendre l'autorité politique, au-delà du fait qu'il permet de rompre avec la conception gréco-latine de l'homme comme animal politique. Par-delà le fait qu'il permette de remonter aux origines de la société, de saisir la légitimité de l'autorité politique, cette notion révèle la conception de la nature humaine que se font ceux qui l'utilisent comme point d'appui dans leur raisonnement sur le pouvoir politique. La manière dont les contractualistes conçoivent l'état de nature détermine in fine l'idée qu'ils se font du contrat social106(*).

Exception faite de John Locke107(*), Thomas Hobbes et les philosophes qui, après lui, feront usage du concept d'état de nature,considèrent cette situation des hommes avant leur rencontre avec la société, comme une fiction. Ils ne prétendent nullement que l'état de nature ait réellement existé. Sur le sujet Yves Charles Zarka écrit que « l'état de nature ne correspond pas à un moment historique de l'humanité, mais consiste en une simulation théorique des comportements humains soit lorsque l'État n'existe pas encore, soit lorsqu'il est détruit »108(*). L'état de nature jouit simplement d'une valeur épistémologique. C'est une hypothèse de travail échafaudée pour cerner la nature humaine.

L'idée que le philosophe anglais développe de l'homme, à l'état de nature, est peu flatteuse. Pour lui, l'homme à l'état pré-politique, est un individu foncièrement méchant : nous avons affaire à un individu narcissique, égoïste, égocentrique et calculateur incapable d'aucun acte altruiste et désintéressé. À l'état de nature hobbesien, l'homme est un être intelligent mû par le souci constant de « la conservation de soi-même »109(*). Son souci premier est de se maintenir en vie et cela par tous les moyens. À cet effet, il cherche à tirer avantage de toutes les situations qui se présentent à lui. L'individu à l'état de nature hobbesien poursuit toujours seulement que ses propres intérêts.

Les hommes, à l'état de nature hobbesien, sont égaux. Cette égalité n'est pas d'ordre mathématique puisque les hommes n'ont pas la même constitution, ils ne possèdent pas non plus, au même degré, les mêmes qualités. Ils existent des différences physiologiques ; et certains sont plus prudents que d'autres110(*). L'égalité naturelle, dont parle Hobbes, réside au niveau des besoins, des désirs et des moyens de satisfaction de ceux-ci. Les hommes ont, à l'état de nature hobbesien, les mêmes besoins ; ils éprouvent les mêmes désirs ; ils manifestent la volonté d'atteindre les mêmes fins. On peut certes rencontrer dans cet état un individu plus fort qu'un autre, mais les possibilités des hommes s'équivalent. Les individus ont, par exemple, la même capacité de nuisance : si par la force physique le plus fort arrive à prendre le dessus sur celui qui est faible, rien ne lui garantit un repos assuré. Ce n'est qu'une victoire éphémère. Le plus faible, grâce à la ruse ou à son association avec d'autres, peut aussi arriver à reprendre le dessus. La force et la ruse sont les deux vertus cardinales à l'état de nature111(*).

Étant naturellement égaux, les hommes sont soumis aussi aux mêmes affects. Ils sont mus par les passions du moment. C'est de l'expression, sans limite de ces passions primitives que découle la guerre. À l'origine de la guerre, Thomas Hobbes en identifie plus précisément trois : la rivalité, la méfiance, la gloire. La première passion fait prendre les armes pour la recherche du profit. L'homme est un être de désirs. Il est animé du désir de tout s'accaparer et n'est jamais satisfait. À l'état de nature, le désir se trouve à son apogée. Il peut, alors, arriver que deux individus portent leur désir sur un même objet indivis dont le partage est impossible. De là, naît le conflit, dont le but est d'entrer en jouissance de l'objet du désir. Après être entré en possession de l'objet du désir, la seconde passion, pousse à sa conservation. Il y a une méfiance réciproque des hommes. D'où naît la nécessité de prendre des précautions pour dissuader quiconque voudrait le détrousser de son bien. Nous assistons « à une guerre offensive de prévention »112(*). La troisième passion fait prendre les armes en vue de la gloire. L'homme, pour Thomas Hobbes, veut être reconnu et admiré des autres. Il éprouve le désir d'être vu, estimé et reconnu comme étant le meilleur. Par conséquent, il a un penchant naturel à se mesurer aux autres, à toujours s'estimer supérieur, donc celui à qui il incombe naturellement le privilège de tout posséder. Ce dit, il est prêt à prendre les armes, « pour des bagatelles »113(*), « en vue de la réputation »114(*) ou souvent même de la gloriole. En considération de tout ceci, on peut dire que l'hobbisme politique est une véritable étiologie de la guerre dans la mesure où cette philosophie révèle et examine les causes qui peuvent pousser les hommes au conflit.

Dans l'état de nature hobbesien, nous avons affaire à des individus belliqueux, toujours prêts à guerroyer. Ils veulent soumettre les autres à leur diktat. Même les timorés qui préfèreraient éviter l'affrontement ne sont point épargnés115(*). S'il en est ainsi, nous pouvons dire que l'homme y constitue une véritable menace, un loup pour son prochain116(*). À en croire Thomas Hobbes, à l'état de nature, les hommes « sont dans cette condition qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun contre chacun »117(*). Dans cet état, règnent « la crainte et le risque continuels d'une mort violente »118(*). Il en découle que l'homme ne peut jamais être appréhendé comme un fervent partisan de l'irénisme. Aussi, ce portrait froid qu'il fait des hommes à l'état de nature est pour beaucoup inadmissible. Elle contraste avec celle des autres contractualistes, notamment celle de Jean-Jacques Rousseau. Le philosophe genevois, dont la pensée politique est l'envers de la philosophie hobbesienne, pour sa part, estime que le philosophe de Malmesbury, en décrivant l'homme à l'état de nature comme un être toujours sur le qui-vive, dominé par des passions à tendance dominatrice, a en réalité tracé, le portrait de l'homme civil, en croyant dépeindre l'homme sauvage119(*), tant pour lui l'homme est par nature magnanime, débonnaire, porté à l'entente et la paix.

Au regard de l'argumentaire ci-dessus, on peut dire que l'état de nature hobbesien n'est pas propice à une vie paisible. L'homme y mène une existence misérable. Il ne peut s'épanouir ni se réaliser dans un tel environnement. Car, 

dans un tel état, il n'y a pas de place pour une activité industrieuse, parce que le fruit n'est pas assuré ; et conséquemment il ne s'y trouve ni agriculture, ni navigation, ni usage des richesses qui peuvent être importés par mer, pas de constructions commodes120(*).

Il y a donc nécessité et urgence de quitter cet état de confrontation permanente et totale.

Si les passions poussent les hommes au conflit comme nous l'avons indiqué plus haut, il convient de noter que c'est de ces mêmes passions et de la raison, cette autre dimension de l'homme, que la voie de son salut se dessinera. Pour Thomas Hobbes, l'homme a une double dimension : c'est un être à la fois de passions et de raison. Les passions, telles que la crainte de la mort, le souci de conservation des vies, le désir de commodités pour rendre les vies plus agréables vont inciter les hommes à fuir cet état où la vieest « solitaire, besogneuse, pénible, quasi-animale, et brève »121(*).  La raison calculatrice, quant à elle, va entrer en activité pour déterminer les voies et moyens qui peuvent « faire échec au déploiement de ces forces anarchiques que sont les passions »122(*) belliqueuses. Ce moyen idoine pour y parvenir, c'est le contratsocial. Grâce audit contrat les hommes vont se regrouper pour constituer la sociétépolitique. À travers ce contrat fondateur de la société politique, ils vont créer l'État censé alors assurer leur salut. Ce sont les modalités de ce contrat qui seront analysées maintenant.

* 96 Thomas Hobbes, De la nature humaine, trad. baron d'Holbach, p. 1, in www.gallica.bnf.fr, consulté le 20/11/2020.

* 97 Geneviève Rodis-Lewis, Épicure et son école, Paris, Gallimard, 1975, p. 336.

* 98 Joseph Vialatoux, La Cité de Hobbes. Théorie de l'État totalitaire. Essai sur la conception naturaliste de la civilisation, Paris, Librairie Lecoffre et Gabalda, 1935, p. 22.

* 99Lucrèce, La Nature des choses, Chant V, V. 932, trad. Jackie Pigeaud, Paris, Gallimard, 2015.

* 100Lucrèce, Op. Cit., Chant V, V. 955.

* 101 Lucrèce, Op. Cit., Chant V, V. 937-938.

* 102 Pasquino Pasquale, « Thomas Hobbes : la condition naturelle de l'humanité », in Revue française de science politique, Vol. 44, n°2, 1994, p. 294.

* 103 Léo Strauss, Droit naturel et histoire, trad. Monique Nathan et Éric de Dampierre, Paris, Flammarion, 1986,p. 167.

* 104 Thomas Hobbes, Le Citoyen, trad. Samuel Sorbière, Paris, GF Flammarion, 1982,p. 73.

* 105 Pasquino Pasquale, Op. cit., p. 295.

* 106 Pour Charles Edwyn Vaughan, parmi les philosophes dit contractualistes, il n'y a que Rousseau qui échappe à cette logique. Sa conception du contrat social est tout à fait indépendante de son approche de l'état de nature. Cf. Robert Derathé, Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son temps, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1995, p. 130.

* 107 Contrairement aux autres théoriciens de l'état de nature, notamment Thomas Hobbes, Samuel Pufendorf, Jean-Jacques Rousseau et Emmanuel Kant qui conçoivent l'état de nature comme une hypothèse de travail, John Locke admet son existence réelle. L'état de nature aurait bel et bien existé. Aux yeux de Locke, c'est un état dans lequel les hommes ont vécu antérieurement à la société civile. Cf. Simone Goyard-Fabre, « Introduction » in John Locke, Traité du gouvernement civil, trad. David Mazel, Paris, Flammarion, 1992, p. 62. Sur la question, Léo Strauss estime qu'au-delà de la divergence, que l'on constate, dans la conception hobbesienne et lockéenne de l'état de nature (pour Hobbes, l'état de nature est un état de guerre, pour Locke, c'est un état de coexistence pacifique), « Locke est plus catégorique que Hobbes, lorsqu'il pose que les hommes vivent réellement dans l'état de nature ou que l'état de nature n'est pas simplement une hypothèse ». Cf. Léo Strauss, Droit naturel et histoire, trad. Monique Nathan et Éric de Dampierre, Paris, Flammarion, 1986, p. 202.

* 108 Yves Charles Zarka, Hobbes et la pensée politique moderne, Paris, PUF, 1995, p.128.

* 109 Thomas Hobbes, Léviathan, trad. François Tricaud, Paris, Sirey, 1971,p. 123.

* 110 Thomas Hobbes, Léviathan, trad. Gérard Mairet, Paris, Gallimard, 2000, p. 221.

* 111 Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 228.

* 112Yves Charles Zarka, Op. cit., p. 140.

* 113 Thomas Hobbes, Léviathan, trad. François Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 123.

* 114 Thomas Hobbes, Idem.

* 115 Thomas Hobbes, Le Citoyen, trad. Samuel Sorbière, Paris, GF Flammarion, 1982,p. 72.

* 116Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 83.

* 117 Thomas Hobbes, Léviathan, trad. François Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 124.

* 118 Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 125.

* 119 Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Paris, Gallimard, 1985, p. 62.

* 120 Thomas Hobbes, Léviathan, trad. François Tricaud, Paris, Sirey, 1971,p. 124.

* 121 Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 125.

* 122 Janine Chanteur, « Nature humaine et pouvoir politique chez Hobbes et chez Rousseau », in Revue européenne des sciences sociales, t. 20, n° 61, 1982, p. 202.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry