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La dialectique de la reconnaissance chez Hegel

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par Dominique Mvogo Mvogo
Université Catholique d'Afrique Centrale - Maîtrise en Philosophie 2005
  

Disponible en mode multipage

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PRESENTATION DU MEMOIRE

Honorables membres du Jury,

A travers l'étude du thème La dialectique de la reconnaissance chez Hegel, nous avons voulu montrer comment l'homme part de la nature et aboutit à la culture et par ce fait accède à l'humanité. Le modèle hégélien de lutte pour la reconnaissance nous a ainsi servi de cadre d'essai. Ce projet nous a été suggéré par le professeur Gabriel Ndinga avec pour objectifs de :

- Nous réintroduire dans le rationalisme moderne et l'idéalisme allemand,

- Acquérir une connaissance articulée du système dialectique de Hegel et de pouvoir en rendre compte,

- Comprendre l'impact philosophique et intellectuel de l'hégélianisme sur la modernité et les débats que suscite son oeuvre.

Avant de nous appesantir sur l'objet de notre étude, il nous semble nécessaire de donner un ramassis de la pensée de Hegel.

Disons d'entrée de jeu que Hegel est partisan de l'idéalisme absolu. Son ambition est de concilier la pensée et la réalité, l'universel et le particulier, sous les auspices d'une logique : la dialectique.

`'Ce qui est rationnel est réel et ce qui est réel est rationnel'' (Préface de Principes de la Philosophie du droit, paris, Gallimard, 1972). Tel est à notre avis l'idée maîtresse chez Hegel. C'est à cet effet que la Phénoménologie de l'esprit décrit l'évolution progressive de la conscience. Elle va de l'opposition première d'avec le monde sensible jusqu'au savoir absolu qui est savoir de l'être dans sa totalité. Dans cette oeuvre, la dialectique hégélienne (dialectique de la reconnaissance) se veut être le mouvement même de la pensée et de la réalité. Elle postule que toute chose se développe par contradiction surmontée (synthèse), en dépassant la négation (antithèse), qu'elle oppose à elle-même (thèse). La raison, loin de proscrire la contradiction, se nourrit ici de l'unité des contraires. Ainsi l'affirmation de la conscience comme conscience de soi passe par l'affrontement d'avec l'autre. Il s'ensuit un combat pour la mort et pour la vie dont l'issue heureuse est la reconnaissance mutuelle des adversaires. Le premier nommé maître préfère la liberté à la vie et le second esclave, préfère la vie à la liberté.

Dans cette perspective, Hegel nous introduit dans l'histoire. Celle-ci doit être comprise comme l'épopée de la raison. Car, les individus, en poursuivant leurs passions particulières, réalisent à leur insu les grands desseins de l'Esprit universel qui gouverne le monde (Dieu).

Dans un second point, nous présentons l'intérêt de ce travail et le problème que pose la dialectique hégélienne.

La dialectique de la domination et de la servitude vulgairement connue par dialectique du maître et de l'esclave (A. Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, Gallimard, 1947), est et reste d'actualité. Elle est valable en tout temps pour que l'homme soit homme, dira Abel Jeannière (Anthropologie sociale et politique, 1989, p.102). C'est dans ce sens qu'elle peut s'appliquer au passage de la nature à la culture, mieux de l'animalité à l'humanité. Ceci a suscité en nous une question qui est au fondement de l'histoire humaine : comment l'homme émerge-t-il actuellement, comment a-t-il toujours émergé de la nature pour s'inscrire à la culture et par-là même accède à l'humanité ?

La recherche de réponse à cette question nous fait poser le problème du rapport dialectique entre deux consciences. Le noeud de ce problème est le conflit. Celui-ci implique les libertés, car il s'agit de la conquête de l'humanité s'exprimant à un double niveau spirituel et historique. Et dans cet affrontement nécessaire des libertés, peut-on dépasser l'antagonisme pour accéder à une certaine forme d'identité caractérisée par le dialogue, l'ouverture à l'autre, l'accueil de l'altérité ?

L'essai de solution que nous nous proposons s'inscrit à l'intérieur du processus de la reconnaissance mutuelle des parties en conflit. Hegel pour le faire va dépasser le premier niveau qui est purement gnoséologique. Il nous fait arriver à un second niveau qui est la considération de `'l'individu universel, l'esprit conscient de soi dans son processus de culture'' (Phénoménologie de l'esprit, 1941, T. 1, p.25).

Nous avons divisé ce travail en trois parties :

Dans la première, nous restituons ce que Hegel lui-même prescrit `'pour parvenir au savoir proprement dit ou engendrer l'élément de la science qui est son pur concept, le savoir doit parcourir laborieusement un long chemin'' (Préface de la phénoménologie de l'esprit, 1966, p.69). Ce chemin est celui qui va de la conscience à l'autoconscience.

Comment s'effectue ce passage ?

C'est le désir qui permet de passer réellement de la conscience à l'autoconscience. Quand deux consciences se rencontrent, elles tendent à entrer en conflit pour se faire reconnaître. Et tandis que le maître accepte le risque de la mort, l'esclave reste attache à la vie. C'est en risquant sa vie que l'on parvient à la conscience authentique de soi-même. Telle est cette négativité hégélienne, pensée et assomption de la mort qui donne sens a la vie.

La seconde partie est le développement de la relation du maître et de l'esclave. Il s'agit de restituer la relation humaine dans son principe et en ressortir le thème majeur qui est celui de la reconnaissance. Le chemin que nous montre Hegel est constitué de trois moments fondamentaux qui sont aussi trois impasses. Il y a le stoïcisme où l'on se contente d'une liberté abstraite et indépendante du monde. Le scepticisme où la liberté demeure encore illusoire et intérieure. La conscience malheureuse qui ne peut connaître l'apaisement et le repos. Cette conscience est malheureuse parce qu'elle se découvre elle-même comme déchirée. D'où sa douleur. Ici, la dialectique hégélienne trouve sa véritable expression tragique et existentielle. La négativité est le mouvement même d'un esprit allant au-delà de lui-même et souffrant. Ainsi donc, la conscience malheureuse nous fait accéder non seulement au déséquilibre profond de l'âme humaine, mais aussi celui de toute l'humanité. Au-delà de ces figures, Hegel en vient à une synthèse de la conscience et de la conscience de soi au moyen de la raison.

La troisième partie concerne notre apport personnel en qualité de limites et contributions à la dialectique de Hegel. A travers Abel Jeannière et Francis Fukuyama, nous avons montré que le travail est source de libération. On accède à l'humanité par le travail et la culture. Ainsi, l'esclave qui a cesse d'être mu par les désirs accède à l'humanité. `'Il devient homme de façon plus radicale que le maître, qui suivant les mots de Kojève, n'aura été que le catalyseur indispensable de l'humanité. Il apprend une sagesse que le maître ignore'' (A. Jeannière, Anthropologie sociale et politique, 1989, p.112).

Avec la dialectique de Hegel, nous découvrons que les choses changent, et non pas seulement d'un changement calme et paisible, mais en opposition et rupture. Ainsi, tout progrès de la connaissance exige le niveau logique précédent pour se constituer comme objet. Ce n'est qu'après cela que la connaissance est possible. Nous constatons aussi que la supériorité de la dialectique n'est pas dans son épistémologie historiciste, mais son enseignement moral et politique. C'est le processus par lequel le positif jaillit de la négation de la négation.

Partant du thème de notre recherche, nous retenons que la philosophie de Hegel n'est pas une sorte de quintessence d'intelligibilité abstraite. Elle n'est pas non plus une exaltation du concept. A travers elle ce qui est en cause n'est pas la simple représentation, mais l'idée considérée comme concept concret. Il se met en place un mouvement de cette réalité qui réalise du même coup le savoir. Il en ressort une logique dialectique qui épouse l'histoire. Et puisque l'idée est l'histoire, il n'y a aucune opposition entre ce qui intelligible et ce qui est réel : `'tout ce qui est réel est rationnel, tout ce qui est rationnel est réel'', avons-nous dit, et `'l'histoire n'est que la manifestation de la raison'' (Hegel, Préface de la philosophie de droit, 1972 : 12).

Les difficultés n'ont pas manqué dans l'élaboration de ce travail. Voila pourquoi nous devons vous avouer que nous avons peiné. Sous les auspices de notre Directeur, sur à peine cinquante pages du texte hégélien que nous avons du relire plusieurs fois avant de pouvoir prétendre à une compréhension même minimale. Nous avons entretenu une propension à abonder dans le sens de Jean-Luc Gouin qui dit : `'Lire Hegel jusqu'à ce qu'on le comprenne est une discipline qui équivaut à se flageller jusqu'à ce qu'on devienne possédé par le Saint-Esprit'' (Hegel ou de la raison intégrale, Bellarmin, Montréal, 1999, p.84).

Nous vous remercions...

SOMMAIRE

SOMMAIRE i

DEDICACE ii

REMERCIEMENTS iii

INTRODUCTION GENERALE 1

PARTIE  I : PASSAGE DE LA CONSCIENCE 7

A L'AUTOCONSCIENCE. 7

CHAPITRE I : DE LA CERTITUDE SENSIBLE A L'INTELLECT 9

CHAPITRE 2 : L'AUTOCONSCIENCE 26

PARTIE II : LA RELATION MAITRE / ESCLAVE :

la reconnaissance 35

CHAPITRE I : Mouvement de la Reconnaissance 36

CHAPITRE II : RECONNAISSANCE EFFECTIVE 48

PARTIE III : LIMITES ET CONTINUITE DE LA DIALECTIQUE DE LA RECONNAISSANCE 57

CHAPITRE I : Critiques 57

CHAPITRE II : La reconnaissance dans la vie éthique 62

CONCLUSION GENERALE 71

BIBLIOGRAPHIE 74

TABLE DES MATIERES 77

DEDICACE

L'homme intégral, absolument libre, définitivement et complètement satisfait par ce qu'il est,

l'homme qui se parfait et s'achève dans et par cette satisfaction,

est l'esclave qui a « supprimé » sa servitude.

Si la maîtrise oisive est une impasse,

La servitude laborieuse est au contraire

la source de tout progrès humain, social, historique.

L'histoire est l'histoire de l'esclave travailleur.

Alexandre Kojève,

Introduction à la lecture de Hegel,

1947, p.26.

A tous les miens...

REMERCIEMENTS

Notre travail est le fruit d'un cheminement qui ne s'est réalisé que

grâce à la générosité et les encouragements

de plusieurs personnes.

Qu'elles en soient toutes remerciées !

De manière très particulière,

Nous remercions Monsieur le Professeur

l'Abbé Gabriel NDINGA BOUNDAR

Qui en a assuré la direction.

A lui nous exprimons notre profonde gratitude.

Nous remercions également le décanat et le corps professoral

de la faculté de philosophie pour

leurs enseignements, soutiens et encouragements.

Notre gratitude s'adresse enfin à tous nos bienfaiteurs,

sans oublier tous les camarades de classe

dont la compagnie aura été d'un grand profit.

INTRODUCTION GENERALE

Primitivement, la dialectique est considérée comme l'art du dialogue. Lorsque deux individus d'opinions contraires se rencontrent, un dialogue survient : chacun tente de réfuter l'opinion de l'autre. C'est l'opposition de thèses qui est le moteur de la discussion. Tout dialogue est de ce point de vue dialectique1(*). De cette simple expérience il se distingue un double aspect : positif et négatif. Aristote s'arrête à l'aspect négatif lorsqu'il définit la dialectique comme l'art d'argumenter et de réfuter, d'opposer simplement les thèses contradictoires. Pour Kant la dialectique est « la théorie des erreurs naturelles de l'esprit humain » (1786 : 50). En un sens positif, la dialectique est l'art de construire une connaissance vraie : il faut avoir été certain d'une opinion (thèse), puis avoir reconnu le bien fondé de l'opinion contraire (antithèse), pour connaître la vérité totale d'une chose (synthèse). C'est parce que l'homme ne peut pas comprendre du premier coup que son savoir est progressif et dialectique. La dialectique n'est pas seulement une manière de comprendre, mais une manière d'être. De là se dégage la notion de dialectique réelle ou dialectique de la réalité. Dans ce sens, Hegel pose le problème d'une dialectique basée sur toute la réalité humaine non seulement au niveau de l'individu, mais de l'histoire de l'humanité2(*).

La dialectique maître / esclave dans sa figure de domination et servitude s'inscrit dans la dialectique d'ensemble. Et le thème de notre recherche s'intitule : La dialectique de la reconnaissance chez Hegel. Ce thème est traité dans le chapitre quatrième de son oeuvre La phénoménologie de l'Esprit3(*). Si nous avons choisi cette figure d'esprit plutôt qu'une autre, c'est parce qu'elle permet une compréhension décisive de la pensée de cet auteur. Les quelques paragraphes ainsi choisis nous paraissent fondamentaux pour notre recherche. C'est par ces derniers que nous pouvons saisir ce que Karl Marx appelait le fait historique premier. Il s'agit du fondement historique de l'homme, car l'histoire a un fondement.

Chez Hegel il est question de la manière dont l'individu s'élève (ou peut s'élever) de son état inculte à l'expérience philosophique de la connaissance.

« Ce devenir de la science en général ou du savoir est ce que présente [la] phénoménologie de l'esprit. Le savoir comme il est d'abord, ou l'esprit immédiat, est ce qui est dépourvu de l'activité spirituelle, la conscience sensible. Pour parvenir au savoir proprement dit ou pour engendrer l'élément de la science, qui est pour la science son pur concept, ce savoir doit parcourir péniblement un long chemin. - Ce devenir, tel qu'il se présente dans son contenu, avec les figures qui se montreront en lui, ne seront pas ce qu'on imagine tout d'abord sous le titre d'introduction de la conscience non-scientifique dans la science, il sera autre chose aussi que l'établissement des fondations de la science ; - et bien autre chose que l'enthousiasme qui, comme un coup de pistolet, commence immédiatement avec le savoir absolu et se débarrasse des positions différentes en déclarant en veut rien savoir » (1941, I : 25).

Hegel ne s'arrête pas à ce premier niveau qui est purement gnoséologique, il nous mène à un second niveau qui est de «considérer l'individu universel, l'esprit conscient de soi dans son processus de culture » (t.1, p. 25). Il ne s'agit pas d'une connaissance abstraite, mais de l'établissement de l'homme dans l'universel concret. A cet effet, le chemin de l'expérience concrète débouche sur l'universel. Et ainsi, la conscience de l'humanité dans son histoire est mise en branle.

La dialectique en ce sens est donc non seulement une méthode4(*) mais aussi et surtout une phénoménologie5(*). Elle se veut être une expérience de la conscience où la conscience naturelle à travers les différentes figures d'elle-même arrive à la science, au savoir et de la philosophie. Et il n'y a de science de la conscience que pour autant que cette expérience est dite phénoménologique de l'esprit. « Ce mouvement dialectique que la conscience exerce en elle-même, en son savoir aussi bien qu'en son objet, en tant devant elle le nouvel objet vrai en jaillit, est proprement ce qu'on nomme expérience » (t.1, p.75).

La phénoménologie se présente alors comme une nécessité vivante dans la conscience. Dans celle-ci et selon Jean Hyppolite dans un commentaire en note explicative (t.1, p. 77), il y a deux dialectiques. Dans la première, la conscience est plongée dans l'expérience. Dans la seconde, qui est seulement pour nous, il y a un développement considéré comme nécessaire de toutes les figures de la conscience. « C'est par cette nécessité qu'un tel chemin vers la science est lui-même déjà science, et, selon son contenu est science de l'expérience de la conscience » (Ibidem).

Il y a donc dialectique parce que Hegel part d'un conflit entre deux consciences opposées pour accéder à l'humanité (reconnaissance mutuelle). De ce fait, l'on sort de l'état de nature pour accéder à l'humanité, à la culture. Ce mouvement passe par des phases que sont : la violence, le désir et la reconnaissance.

Pour Hegel, sans violence primordiale, sans lutte entre deux consciences, on ne peut passer de la nature à la culture.

La philosophie de Hegel reste d'actualité. « On peut dire sans paradoxe que donner une interprétation de Hegel, c'est prendre position sur tous les problèmes philosophiques, politiques et religieux de notre siècle » (P.-J. Labarrière, 1968 : 9). Et par conséquent, la dialectique de la reconnaissance est et reste d'actualité. Elle est valable en tout temps et en tout lieu pour que l'homme soit homme. C'est dans ce sens qu'elle peut s'appliquer au passage de la nature à la culture, mieux de l'animalité à l'humanité. Elle se veut être un mouvement de la pensée et de la réalité. Et la question que nous posons est au fondement de toute l'histoire humaine.  Comment l'homme émerge-t-il actuellement, comment a-t-il toujours émergé de la nature pour s'inscrire à la culture et par-là même accède à l'humanité ?

Notre étude se donne pour objectif à partir de Hegel de ressortir le rapport dialectique entre deux consciences. Le problème sous-jacent ici est donc le conflit latent. Il s'agit de la conquête de l'humanité s'exprimant à un double niveau spirituel et historique. Au niveau spirituel c'est la conquête de l'autoconscience ; et au niveau historique, il s'agit de la reconnaissance.

Lorsqu'il s'agit de l'homme le confit ne peut ne pas impliquer les libertés. Il est nécessairement affrontement des libertés. Et dans le champ où elles se rencontrent, ne sont-elles pas appelées, à dépasser l'antagonisme suscité par le rapport de domination (la tendance à l'élimination de l'autre) pour accéder à une certaine forme d'identité à elles-mêmes, caractérisée par le dialogue, l'ouverture à l'autre, l'accueil de l'altérité ?

La réponse à ces questions nous laisse entrevoir le problème de la reconnaissance mutuelle. Nous travaillerons à partir du texte de Hegel dans La Phénoménologie de l'Esprit. A cet effet, nous adopterons la méthode d'analyse propre a notre auteur a savoir l'approche herméneutique. Cette approche est a la fois explicative et interprétative. Il s'avère à cet effet opportun, dialectiquement, de rendre le texte en présentant sa structure interne de manière claire pour en faciliter la compréhension. La compréhension de notre auteur au travers de l'étude de notre texte de base nous aidera a situer la problématique centrale de notre étude. Ces présupposés nous donneront d'entrevoir si possible une critique à notre auteur.

Ce travail se divise ainsi en trois parties :

La première partie traite du passage de la conscience à l'autoconscience. Il s'agit de la première partie du système de la science.

« Le système de la science consiste en ceci qu'elle doit elle-même saisir le concept de la science et, ce faisant, le concept premier, et puisqu'il est premier, il inclut la séparation consistant en ce que le penser est objet pour un sujet » (Hegel, 1970 : 90).

L'esprit immédiat (conscience sensible) est ce qui est dépourvu d'esprit. Ainsi : « pour parvenir au savoir proprement dit ou pour engendrer l'élément de la science qui est son pur concept, le savoir doit parcourir laborieusement un long chemin » (Hegel, 1966 : 69). Ce chemin est celui qui va de la conscience à l'autoconscience. Et si nous commençons par-là, c'est pour restituer la dialectique Maître / Esclave dans la dialectique d'ensemble.

La deuxième partie met en exergue la relation du maître et de l'esclave. Il s'agit d'exprimer la relation humaine dans son principe. Le thème majeur dont nous traitons ici est celui de la reconnaissance. Elle n'est pas un simple signe du rapport social entre deux consciences de soi, mais la conscience de soi dans son dédoublement. Ceci laisse entrevoir le concept de l'esprit ; il s'agit de la spiritualisation de la nature

La troisième partie s'intitule : « limites et continuité de la dialectique de Hegel ». il s'agit de la critique et d'une contribution aux intuitions de Hegel, de même q'un dépassement de sa dialectique.

PARTIE  I : PASSAGE DE LA CONSCIENCE

A L'AUTOCONSCIENCE6(*).

La phénoménologie de l'Esprit retrace l'expérience de la conscience dans son développement progressif (conscience, conscience de soi, raison, religion, esprit), jusqu'à son accomplissement comme raison ou savoir absolu. Pour montrer cette progression, Hegel à travers des considérations géographiques, historiques, esthétiques, religieuses et philosophiques, pose sa conception de la dialectique, de l'histoire et de l'Absolu.

Ainsi, dans la première partie de cette oeuvre, Hegel traite de l'éducation ou de la formation de la conscience individuelle. Pour ce faire, il se propose une double tâche : conduire la conscience commune au savoir philosophique et élever la conscience individuelle enfermée en elle-même dans son isolement à la communauté spirituelle (t.1, p.V). Il s'en suit une mise en évidence de la dialectique de l'inquiétude humaine qui va sous-tendre toute l'oeuvre. C'est le chemin du doute où la conscience conçue comme négativité et angoisse, ne peut s'apaiser. Ce chemin est celui de l'âme parcourant la série de ses formations comme autant de stations prescrites à sa propre nature. Ainsi, l'âme progresse de la certitude sensible jusqu'à l'esprit à travers une expérience sans cesse enrichie d'elle-même. Elle déploie de ce fait graduellement la force infinie cachée en elle-même et se crée perpétuellement. Et l'auteur continue en précisant que la conscience parcourt à cet effet le «cheminement du doute, ou proprement [...] le chemin du désespoir » (t.1, p.69). L'esprit se fait et se réalise à travers l'expérience de la conscience qui parcourt un long trajet. Elle part de ses formes immédiates (sensation, perception...) jusqu'aux manifestations spirituelles les plus élevées. Ce parcourt désigne précisément la `phénoménologie de l'Esprit'. Et Hegel se donne pour tâche de décrire l'histoire de l'esprit, la conquête du savoir absolu. Voilà pourquoi il écrit :

« Maintenant, puisque cette représentation a seulement pour objet le savoir phénoménal, elle ne paraît pas être elle-même la libre science se mouvant dans la figure originale ; mais, de ce point de vue, cette présentation peut être considérée comme le chemin de la conscience naturelle qui subit une impulsion la poussant vers le vrai savoir, ou comme le chemin de l'âme parcourant la série de ses formations comme les stations qui lui sont prescrites par sa propre nature ; ainsi, en se purifiant, elle s'élève à l'esprit et à travers la complète expérience d'elle-même, elle parvient à la connaissance de ce qu'elle est en soi-même » (t.1, p.69).

Ce passage exprime pour Hegel la science de l'expérience de la conscience. En effet, il s'agit d'élever la philosophie entendue comme amour de la sagesse à la philosophie comme science. Pour cela Hegel affirme :

« Rapprocher la philosophie de la forme de la science (...) elle pourra déposer son nom d'amour du savoir pour être savoir effectivement réel (...). La nécessité réelle que le savoir soit une science réside dans sa nature (...). La vraie figure de la vérité est donc dans cette scientificité » (t.1, p. 8).

Et sous l'indication de la conscience, il y a trois sections :

- la certitude sensible : la conscience se rapportant à la réalité à travers les sens.

- la perception comme résultat du processus de la certitude sensible.

- l'intellect qui est manifestation et le monde supra-sensible.

CHAPITRE I : DE LA CERTITUDE SENSIBLE A L'INTELLECT

Hegel propose la philosophie spéculative pour dépasser la dualité sujet/objet. Mais pour qu'il y ait conscience, il faut non seulement un objet, mais aussi un sujet. En plus il y a nécessité d'une relation entre l'un et l'autre, car toute conscience est conscience d'un sujet. Toute représentation mentale est en effet l'acte de se représenter quelque chose.

Par conséquent, tout ce que nous savons, nous les tenons des données immédiates de notre conscience, constitutives à notre vie mentale. Méconnaître cette vie, ce serait s'interdire tout accès à la réalité tant intérieure qu'extérieure. Ce serait au vécu de la conscience qu'il faut constamment revenir pour se faire une idée de ce qui est. Les mots en effet par lesquels nous formulons notre savoir, sont en nombre limité, aussi nous obligent-ils à schématiser le vécu de la conscience.

Dans la phénoménologie, la conscience est prise dans l'immédiateté des objets extérieurs, et elle représente le moment de l'identité. La conscience étant désir, elle cherche avant tout à s'identifier au désir de l'autre, à être cet objet du désir. Pour elle, il faut accéder à la certitude sensible à travers les sens.

La conscience s'aperçoit que l'intuition sensible est inutile aux effets cognitifs. Ceci part du fait qu'il manque la forme unifiante et universalisante du concept. En effet, la conscience va se reconnaître elle-même comme principe du vrai sensible parce qu'elle est médiation universelle. De ce fait, l'on arrive à la certitude scientifique. Il se forme ainsi deux polarisations :

- le je unifiant et universalisant.

- l'unité de la réalité expérimentée à travers les catégories conceptuelles.

Il y a alors distinction et différence entre la conscience et la réalité, entre la possibilité de savoir et la vérité d'un monde existant. Cependant, la conscience à ce niveau est malheureuse. Elle doit donc proposer une autre figure qui est la conscience intellectuelle. Mais, il n'existe plus de contre position entre le sensible particulier et l'universalité conceptuelle.

S'agissant de l'homme, sujet conscient, Hegel le comme un individu immergé dans la nature dont il fait partie. Sa conscience n'est pas une pure conscience, mais une conscience immergée dans la réalité. Au stade initial, l'homme ne fait pas de distinction entre les illusions et la réalité, entre ce qu'il pense du réel et le réel lui-même. Et c'est parce qu'il sera confronté au réel que l'homme va distinguer l'en-soi du pour-soi. La conscience va ensuite prendre conscience d'elle-même. Elle ne saurait devenir conscience pratique. Elle va vouloir s'approprier les choses. Le monde sensible va lui apparaître comme l'Autre qu'elle veut assimiler. C'est ce que Hegel appelle le désir. Or, le désir est actif. Le désir de transformation de la nature se manifeste par le travail. Et le travail pour Hegel est anthropogène c'est-à-dire qu'il fait de nous les humains.

I.1. De la certitude sensible ou immédiateté

Au commencement, il y a le désir. Un désir animal, biologique, un désir naturel envers un objet naturel. Pour mieux comprendre, examinons ce qui se passe quand le Moi désire. Imaginons, mieux projetons-nous dans le monde de l'imaginaire. Observons un Moi qui désire un objet extérieur, un non-Moi. Ce Moi, pour satisfaire son désir va faire, il va agir. Et cet agir, va nier l'objet, le transformer. Ceci se passe à la manière de la faim qui, pour être satisfaite, exige de détruire la nourriture, de la transformer. Ainsi, toute action, mieux toute satisfaction est transformation. C'est une action qui détruit, tout en construisant ; elle assimile et intériorise le non-Moi extérieur qui est l'objet naturel désiré. Et le Moi est ainsi créé. Ce Moi révèle la chose même : cette chose pour Hegel c'est le sentiment de soi. Et pour le dire, notre auteur écrit :

« La certitude sensible expérimente donc que son essence n'est ni dans l'objet, ni dans le moi, et que l'immédiateté n'est ni l'immédiateté de l'un, ni l'immédiateté de l'autre. Car dans les deux ce que je vise est plutôt un inessentiel, et l'objet et le moi sont des universels dans lesquels ce maintenant, cet ici et ce moi que je vise, (est) opposé au moi, ensuite le moi, devrait être sa réalité » (t.1, p.87).

Disons de manière plus détaillée que, la conscience doit se rendre présente à la première dissociation de son contenu telle qu'elle est donnée dans l'immédiateté des choses. Elle met en rapport dans un processus de connaissance un « sujet» et un « objet » : « j'ai la certitude de par quelque chose d'autre, savoir la chose ; et celle-ci est pareillement dans la certitude par quelque chose d'autre, savoir par je » (t.1, p.82). La sensation en ce sens n'est pas encore une connaissance. Elle est ce qui est vécu immédiatement par le sujet dans le monde. Ce qui importe ici c'est la médiation des formes de la conscience car il faut une certaine division du concept. Cette division est caractéristique de l'existence immédiate de l'esprit (son être-là).

L'être-là immédiat de l'esprit, la conscience, possède deux moments : celui du savoir et celui de l'objectivité qui est le négatif à l'égard du savoir. «Ce mouvement dialectique que la conscience exerce en elle-même, en son savoir aussi bien qu'en son objet, est proprement ce qu'on appelle expérience (t.1, p.75).

Tout l'enjeu de la phénoménologie, consiste à assurer le passage de l'intelligence immédiate du concept à l'intelligence accomplie, du savoir apparent au savoir scientifique. Voilà ce qui explique qu'il y a discontinuité entre l'une et l'autre modalité du comprendre. Aussi bien dépouillée de toute volonté que nous dirons interventionniste, la conscience se trouve en déploiement. Il reste que « ce seulement concept » se déploie jusqu'au « concept posé comme concept ».

Par La phénoménologie de l'esprit nous passons à une lecture autre de l'immédiateté. Puisque :

« Le savoir, qui d'abord ou immédiatement est notre objet, ne peut être aucun autre que celui qui est lui-même savoir immédiat, savoir de l'immédiat ou de l'étant. Nous avons donc à nous comporter de façon pareillement immédiate ou accueillante, donc à ne rien changer en lui tel qu'il s'offre, et à écarter le concevoir de l'acte de désir » (t.1, p.81).

Ce passage ne se réalise pas d'un coup. Pour le comprendre, nous allons faire le déchiffrement d'une figure de la conscience : Ainsi verrons-nous que ce à quoi nous aboutissons dans la certitude sensible (bien que marqué et limité par la particularité de son point de départ), va se poser comme origine d'une nouvelle figure, celle de la perception. Il y a dans la conscience une jonction entre l'immédiateté du «je » et l'immédiateté d'un ceci : « le singulier sait un pur ceci ou sait ce qui est singulier » (t.1, p.82). L'expérience ici engagée passe par plusieurs étapes que nous trouvons bon d'élucider.

« Si je dis : une chose singulière, je la dis plutôt aussi bien comme totalement universelle, car toutes sont une chose singulière. Caractérisé de façon plus précise comme ce morceau de papier, tout et chaque papier est un morceau de papier, et je n'ai toujours dis que l'universel » (t.1, p.91-92).

1ère ETAPE

Il y a au départ une certitude première : quelque chose est. On peut dire sans trop se tromper qu'affirmer que l'objet est, est ce qui compte. Alors que le savoir et le Je  se trouvant déterminés par cet objet, arrivent en seconde position. Mais P.-J. Labarrière pense que dans un tel processus :

« La conscience se trouve arrachée à cette certitude première dès là que, prêtant attention au contenu de l'équation du savoir qu'elle vient ainsi de définir, elle doit concevoir que ce contenu n'a nulle permanence, et qu'il change par exemple, aussitôt qu'elle vient de modifier son angle d'appréhension du monde : maintenant la nuit, mais aussi bien maintenant le jour, ici un arbre, mais aussi bien ici une maison (1979 : 93).

A partir de cette expérience on se rend vite compte que nous sommes dès le départ toujours embarqués. Le réel est en mouvement et tout effort de l'arrêter est vain. Et pour la conscience, au début de son expérience, c'est l'objet qui est essence et le savoir est inessentiel. Il s'avère à cet effet important de considérer l'objet pour voir si dans la certitude sensible elle-même, il est bien une essence. C'est pourquoi nous pouvons-nous poser la question de savoir est-ce que son concept d'être réalité essentielle correspond bien à son mode de présence dans cette certitude ? A ce niveau, Hegel ne nous donne pas de réfléchir profondément sur lui (mode de présence), mais il dit de « le considérer seulement tel que la certitude sensible l'a en elle ». Cependant Hegel pose une question fondamentale : Qu'est-ce que le ceci ? La réponse est tout de suite donnée sous le double aspect de son être comme le maintenant et comme le ceci. Ceci nous permet d'ailleurs de voir que l'objet dans son immédiateté définit le vrai. Mais seulement, lorsque l'objet change, le vrai se trouve aussi changé :

« Ce maintenant qui se conserve n'est pas immédiat, mais médiatisé ; car il est déterminé comme ce qui demeure et se maintient par le fait qu'autre chose à savoir le jour et la nuit, n'est pas » (t.1, p.84).

Dans un commentaire en note de bas de page, l'on découvre que cette citation marque le passage du singulier à l'universel. Le maintenant ineffable a pour vérité l'universel abstrait ou le temps. Le langage restant bien l'oeuvre de la pensée n'exprime que l'universel (t.1, p. 84). Car en fait :

«Le même cas se produit pour l'autre forme du ceci c'est-à-dire pour l'ici. L'ici, est par exemple l'arbre. Je me retourne, cette vérité a disparu et est changée en vérité opposée : l'ici n'est pas un arbre, mais plutôt une maison » (t.1, p.84).

Ainsi se dégage une première conclusion : « l'universel est donc en fait le vrai de la certitude sensible » (t.1, p.84). De plus, « Le ceci se montre donc de nouveau comme simplicité médiatisée, ou comme universalité » (t.1, p.85). En définitive, et c'est là le résultat de l'expérience « la certitude sensible démontre en elle-même l'universel comme la vérité de son objet » (t.1, p.85).

Or l'objet change, ceci laisse entrevoir la stabilité du sujet et la contingence de l'objet. Car tandis que l'objet change, la conscience qui l'appréhende ne change pas.

2ème ETAPE

Afin de sauvegarder la définition du vrai selon laquelle le vrai ne change pas, il s'avère important de considérer le « Je ». Car, il n'est pas de l'ordre de l'universel, mais du singulier. La singularité du «Je » est à notre avis identique à lui-même dans toute appréhension de l'« objet ». Il faut à cet effet se mettre en dehors de la conscience pour la regarder agir. En effet, le déplacement qui s'était opéré au niveau de l'objet s'affirme maintenant au niveau de la conscience. La pleine identité du Je par rapport à lui-même (quand il appréhende l'objet) butte ici au fait de l'existence d'un autre  Je. Celui-ci a les mêmes droits à faire valoir pour affirmer la pleine et unique validité de sa certitude. C'est d'ailleurs pourquoi il peut donner à son savoir un autre contenu que celui du premier : « je, celui-ci, vois l'arbre et affirme l'arbre comme le ici ; mais plutôt une maison » (t.1, p. 84). Or, poursuit immédiatement Hegel, en évoquant la règle unique de ces deux appréhensions, « les deux vérités ont la même authentification, savoir l'immédiateté du voir et la sécurité et assurance des deux sur leur savoir ; mais l'une disparaît dans l'autre » (t.1, p.86). Nous rejoignons à ce niveau la première expérience, car en fait on fait la découverte d'un Moi universel, dont le Moi singulier n'est encore qu'un exemple.

« Le moi est seulement universel, comme le maintenant l'ici ou le ceci en général. (...). En disant ceci, ici, maintenant, ou un être singulier, je dis tous les ceci, les ici, les maintenant, les êtres singuliers. De même que lorsque je dis moi, ce moi singulier-ci, je dis en général tous les moi ; chacun d'eux est juste ce que je dis : moi, ce moi singulier-ci. » (t.1, p. 86).

Et Hegel rassemblant les résultats de ces deux premières expériences arrive à la conclusion selon laquelle : « il est juste que la requête dise quelle chose-ci, ou quel moi-ci elle vise, mais le dire est impossible » (ibidem). Que dire en conclusion pour cette étape ? Pourquoi cela est-il impossible ? C'est tout simplement parce que l'on ne peut dire l'universel. Et de plus, le langage qui fait passer du  viser  au dire  (du meinen au sagen) ayant « la nature divine d'inverser immédiatement l'avis de le faire quelque chose d'autre » (t.1, p.90). Il y a comme une force coercitive du langage sur la conscience.

3ème ETAPE

« La certitude sensible expérimente donc que son essence n'est ni dans l'objet, ni dans le moi, et que l'immédiateté n'est ni une immédiateté de l'un, ni une immédiateté de l'autre. Car dans les deux, ce que je vise est plutôt un inessentiel, et l'objet et le moi sont des universels dans lesquels ce maintenant, cet ici et ce moi que je vise, ne subsistent pas, ne sont pas » (t.1, p.87).

Ici la conscience abandonne la distinction faite entre l'objet et le sujet. Désormais, elle s'en tient à une « vérité » qui est seulement « rapport demeurant égal à soi-même ». L'immédiateté n'est ni dans l'objet, ni dans le sujet perçu comme Moi. Elle est dans leur rapport envisagé comme une totalité singulière. La conscience sensible dans son appréhension du monde vise un objet. Par cette opération nous sommes dans une expérience où nous constatons que le monde n'est pas arrêté. Conséquence, il y a un décalage, ce dernier peut ne pas être très perceptible. Mais il est celui du temps que met le rayon lumineux sortant de l'oeil de l'opérateur pour atteindre l'objet. C'est donc un décalage entre le maintenant que le moi vise, à l'instant qu'il le vise, et celui qu'il atteint la chose visée. On peut alors conclure qu'il manque son but.

Essayons de traduire cela sous forme d'une vérité à laquelle prétend la conscience, puisque c'est à cette vérité qu'il faut s'en tenir sous la forme d'une équation sujet objet dans le présent. P.-.J. Labarrière l'a fait avant nous sous forme de tableau (1979 : 97-98).

AFFIRMATION I

Maintenant est présent

Vrai 1

Réalité des choses

Ce maintenant est passé

Conséquence

Négation du maintenant comme présent

AFFIRMATION II

Maintenant est passé

Vrai 2

Réalité des choses

Ce maintenant parce qu'il est passé n'est pas : pour demeurer dans le présent (ce qui est pour moi le seul lieu de la vérité), je dois nier la vérité qui me faisait l'attendre comme passé.

Conséquence

Négation du maintenant comme non présent ou comme passé

AFFIRMATION III

Le non-présent, tenu pour vrai, n'est pas vrai ce

qui signifie que le non vrai est non vrai

Vrai 1

Conséquence

Négation de la négation, retour au présent,

maintenant est présent.

A travers ce tableau nous voyons déjà se dessiner tout le mouvement de la dialectique hégélienne. Car l'affirmation I est remise en cause et dépassée par négation redoublée  que pose l'affirmation II. Elle (affirmation I) trouve sa signification avec tout le sens d'une vérité dans l'affirmation III. Et par le fait même de cette affirmation, elle reprend la place I. L'acte d'indiquer est donc lui-même le mouvement qu'il énonce, ce que le maintenant est en vérité, à savoir un résultat ou une pluralité de maintenant rassemblés ; et l'acte d'indiquer est l'acte d'expérimenter que maintenant est universel. C'est dans ce sens que Hegel arrive à la conclusion selon laquelle : « la dialectique de la certitude sensible n'est rien d'autre que la simple histoire du mouvement de cette certitude ou de son expérience et il est clair que la certitude sensible elle-même n'est rien d'autre que cette histoire seulement »7(*) (t.1, p. 89). La conscience en vient donc par la force des choses, à « expérimenter en vérité, dans toute certitude sensible ce que nous avons vu, à savoir le ceci comme un universel : le contraire de ce que cette affirmation assure être expérience universelle » (t.1, p.90).

Ainsi, la sensation avons-nous dit, n'est pas encore un savoir vrai. Elle n'est pas savoir vrai parce qu'elle n'a pas encore la force unifiante et universalisante du concept. Elle est le vécu immédiat du sujet situé dans le monde à travers le chaud, le froid, le sucré, l'amer... Et encore, l'usage de tels mots pour exprimer les sensations ne trahit-il pas leur essence ? Une sensation exprimée par des mots est déjà interprétée, conceptualisée ; une sensation pure serait ineffable. Par contre la perception n'est pas la simple révélation d'une qualité sensible. Elle est la position d'un objet dans l'espace. Prenons l'exemple d'un tabouret placé à deux mètres de nous. Celui-ci est l'objet de notre perception. Enfin de compte, l'expérience réelle semble être celle de la perception.

I. 2. La perception.

Le premier temps de la dialectique est la pure extériorité de la perception. Là, le sujet se différencie de sa perception comme fondement, pour opposer au monde perçu comme être autre, devenir qui absorbe le sujet de la perception avant qu'il ne s'en détache. Il n'y a pas d'esprit, de sujet de la connaissance, sans objectivation dans l'autre. Le sujet ne se constitue que comme pure égalité (Je = Je), comme évidence dogmatique dont le sujet est absent, objet opposé au sujet. (Hegel, 1970 : 207)

Le moment de la perception résulte pour le philosophe d'une genèse dialectique. Il constitue le résultat du processus de la certitude sensible. Il se passe en fait que le ceci singulier est dépassé. La conscience phénoménologique le supprime et l'objet lui-même devient un nouvel objet. Ceci nous mène alors à voir que l'universel en soi est la substance commune de la chose et de la pensée. Or la pensée est le mouvement qui appréhende l'objet qui est ce mouvement comme paralysé et figé en chose identique à soi-même (t.1, p.93).

Lorsqu'il faut déterminer l'objet de plus près, il est nécessaire qu'il y ait une détermination assez développée en fonction du résultat obtenu. Hegel pense à ce propos que :

« La richesse du savoir sensible appartient à la perception, non à la certitude immédiate, dans laquelle elle était seulement ce qui se jouait à côté. Car c'est seulement la perception qui a la négation, la différence ou la multiplicité variée dans son essence » (t.1, p.94).

I.2.1. Le concept simple de la chose.

La propriété que nous pouvons encore appeler  le ceci sensible est véritable objet de la perception. Celui-ci dans son développement donne naissance à deux moments extrêmes : l'universalité de la choséité et la singularité absolue de la chose. C'est d'ailleurs pourquoi Hegel dit que : « il y a à la fois le sens de nier et celui de conserver. Le néant, comme le néant du ceci, conserve l'immédiateté universelle » (t.1, p.94). Et dans l'acte de percevoir, la perception dans son mouvement s'effectue de la substance à la monade8(*), la choséité à la force, du mécanisme au dynamisme. Hegel présente ensuite « l'universalité simple  comme distincte et indépendante de ses déterminabilités : (...) qu'elle est le pur rapport à soi-même ou le milieu » (t.1, p.95). Le terme « milieu » ici a avant tout le sens de celui d'un milieu physique qui sert d'intermédiaire. L'espace des propriétés est leur Universel (leur unité commune). La participation à l'universalité confère aux propriétés leur universalité ; le « medium » est alors la substance, mais n'est pas l'absolue négativité. Il est l'unité positive, il n'est pas encore l'unité négative. C'est d'ailleurs pourquoi Hegel parle de le Aussi des propriétés. Pour lui le milieu universel abstrait peut être nommé la choséité en général ou la pure essence. Pour cela, il écrit :

« ... Chacune de ces propriétés est elle-même un simple rapport à soi-même, elle laisse les autres en paix, et se rapporte seulement à elle par l'Aussi indifférent. Cet Aussi est donc le pur universel même ou milieu, il est la choséité rassemblant toutes ces propriétés » (t.1, p.95-96).

Mais, comment s'effectue le passage de l'unité positive à l'unité négative, de la choséité à la chose ?

Chez Hegel l'Un est présenté comme « un moment de la négation ». Il l'est

« en tant qu'il se rapporte à soi-même d'une manière simple ». On peut noter l'exclusion de tout autre chose. Et par cet acte d'exclusion « la choséité est déterminée comme chose » (t.1, p.96). Le vrai de la perception, la nature de la chose est accomplie à travers ces moments marquants qui déterminent le passage de la choséité à la chose :

- L'universalité indifférente et passive, le Aussi des multiples propriétés, ou plutôt des matières.

- La négation non moins simple ou le Un d'exclusion des propriétés opposées. 

- Rapport des deux premiers moments.

- Tous ces trois moments sont essentiels pour l'accomplissement parfait de la chose. Mais, la conscience s'avère limitée. Elle fait l'expérience d'une perception contradictoire de la chose.

I. 2.2. La perception contradictoire de la chose.

Le point fort ici est que la conscience se rend compte qu'elle peut s'illusionner dans la mesure ou notre auteur le reconnaît: « le percevant à la conscience de la possibilité de l'illusion ; car dans l'universalité qui est le principe, l'être autre est lui-même immédiatement pour lui, mais comme néant, comme le supprimé » (t.1, p.97). La conscience pose de ce fait l'inégalité avec soi-même de l'objet. C'est dans ce sens qu'on peut voir qu'elle tend à appréhender toute chose comme égale à soi-même. La contradiction ici est seulement lorsque la conscience percevante s'élève à l'unité de ses contraires et qu'elle devienne entendement. Et la chose deviendra la force. A présent quelle expérience la conscience phénoménologique fait-elle de la chose ? A ce sujet, Hegel parle de « l'expérience que la conscience fait dans sa perception effectivement réelle » (t.1, p.98).

Nous ne voulons pas nous attarder sur le développement de l'objet et du comportement de la conscience à son égard. Nous voulons surtout faire ressortir la contradiction qui s'y présente d'où l'importance de l'expérience.

 La chose qui fait l'objet de mon appréhension apparaît comme un pur Un. Il faut à cet effet considérer l'essence objective comme une communauté en général. Ceci à cause de l'universalité de la propriété. Cette dernière est alors perçue comme « déterminée, opposée à un autre et en excluant un autre » (t.1, p.98). Hegel nous met devant une antinomie de l'essence objective en général. C'est la principale raison pour laquelle « je dois plutôt, à cause de la déterminabilité de la propriété, briser la continuité et poser l'essence objective comme un exclusif » (t.1, p.98). Il y a alors continuité et discontinuité. Je ne percevais pas l'objet justement lorsque je l'appréhendais comme quelque chose d'exclusif, mais comme il était initialement : ainsi maintenant il est un milieu commun universel dans lequel des multiples propriétés sont par soi, et chacun en tant que déterminée excluant les autres (t.1, p.98).

La conscience, dira Hegel par la suite, détermine comment son acte de percevoir est essentiellement constitué : il n'est pas une pure et simple appréhension. Il est en même temps réflexion de la conscience en soi-même en dehors du vrai.

Maintenant comme dans le cas de la certitude sensible, il y a dans la perception un côté par où la conscience est refoulée en soi. La conscience percevante va prendre sur soi ce qui provoquerait une contradiction dans la chose. Il ressort alors une distinction entre sa réflexion et son appréhension. Les propriétés diverses de la chose n'appartiennent donc qu'au moi et à la sensibilité multiple. Le vrai milieu au sein duquel ces propriétés se distinguent, c'est le moi. La chose qui est une se manifeste comme multiple par sa dispersion dans ce milieu.

« L'entière diversité des côtés de la chose ne vient pas de la chose, mais de nous ; c'est ainsi à nous que ces côtés s'offrent l'un en dehors de l'autre, à votre oeil tout à fait différent de notre langue, etc. Nous sommes donc le milieu universel, dans lequel de tels moments se séparent l'un de l'autre, et sont pour soi. En considérant alors la déterminabilité de l'être un milieu universel comme provenant de notre réflexion, nous conservons l'égalité avec soi-même de la chose et la vérité d'être un Un » (t.1, p.100).

Mais si nous considérons la chose en tant que telle, elle ne présente aucune distinction d'avec une autre chose. C'est pourquoi les déterminabilités doivent appartenir à la chose même. Et pour rejoindre Hegel ces déterminabilités doivent être multiples en la chose, car sans cette multiplicité intrinsèque, la chose ne serait pas en soi et pour soi déterminée. Donc les choses peuvent se déterminer en soi et pour soi ; elles ont des propriétés par où elles se distinguent des autres. Hegel fait une distinction à ce niveau qui est très subtile. Il distingue ce qui est dans la chose et ce qui est en elle. « En effet, premièrement, la chose est vrai, elle est en soi-même, et ce qui est en elle est en elle comme sa propre essence » (t.1, p.100-101).

La conscience, avons-nous dit est le milieu où s'appréhende les propriétés diverses. Hegel l'a posée aussi comme l'acte qui unifie ces propriétés. Car, il se trouve que l'unité exclut de soi la différence. Ainsi cette unité est prise sur soi par la conscience parce que la chose en elle-même constitue la substance de plusieurs propriétés diverses et indépendantes. L'explication qui en découle est la suivante :

« Elle est blanche, elle est aussi cubique et aussi sapide, etc. ; mais en tant qu'elle est blanche, elle n'est pas sapide. L'acte de poser dans un Un ces propriétés échoit seulement à la conscience qui doit éviter alors de les laisser coïncider dans la chose. Dans ce but la conscience introduit `'le en tant que'' par lequel elle maintient la chose comme le aussi » (t.1, p.101).

Cette chose qui dans un premier temps paraissait à la conscience comme Un, est maintenant présenté comme Aussi composé de matières indépendantes. Ainsi, la chose présente une dualité. Il y a en elle l'appréhension et de la réflexion de la chose en elle-même. L'expression fait à ce niveau est celle de la chose qui se montre sous une double façon : présentation sous un mode déterminé de la conscience qui l'appréhende et la réflexion en soi-même. Fort de ce constat, nous nous interrogeons : y a t-il dans la chose deux vérités opposées menant vers une solution unique ?

I. 3 - L'intellect

La conscience à travers la perception consistait à prendre la chose comme le véritable égal à soi-même, ce qui retourne à soi-même. Après ce premier moment, il s'est présenté la dualité de l'appréhension et de la réflexion dans la chose.

Ainsi la chose est pour soi et aussi pour un autre. « Il y a en elle deux êtres divers ; mais elle est aussi un Un » (t.1, p.102). Il se découvre donc une différence entre la chose singulière et séparée. Car : « les choses diverses sont posées pour soi ; et le conflit tombe réciproquement en elles de telle sorte que chacune n'est pas différente de soi-même, mais seulement des autres » (t.1, p.103). De ce fait, il ressort qu'il y a dans chaque chose des éléments d'une différence essentielle qui la distingue des autres. Elle « est alors déterminée comme ma chose distincte » (Ibidem). Et la note explicative de la page 103 nous fait remarquer qu'en posant la multiplicité des choses distinctes, la conscience percevante exclut l'être-autre à la fois de la conscience et de la chose singulière. Mais pour Hegel l'être-autre passe par l'intériorité de la chose elle-même. Et à travers la démonstration qui s'en suit, aucune solution subjective n'est admise.

Mais la conscience fait une autre opération : celle d'éviter toute opposition dans la chose. Elle distingue à cet effet la déterminabilité essentielle de la chose, parce qu'elle la rend discernable par rapport aux autres choses. La conscience fait ici une expérience qui lui est nécessaire. Dans celle-ci la chose est effondrée par le fait de cette déterminabilité qui est la constituante de son "essence et de son être pour soi. Et poser ainsi l'être-pour-soi de la chose, c'est poser la négation absolue de tout être-autre. Cette action marquant l'activité de la négation dans l'être pour soi est son auto-négation ou son retour à l'universel. Le retour à l'universel est fondamental dans la mesure où, en lui s'effectue la mise ensemble de l'unité et de la multiplicité de la chose. Pour le signifier, l'auteur écrit :

« Mais quand ses deux moments sont essentiellement dans l'unité, c'est alors qu'est présente l'universalité inconditionnée et absolue, et c'est à ce moment que la conscience entre vraiment dans le règne de l'entendement » (t.1, p.105).

Nous nous trouvons au stade de la conscience sensible où se réalise pleinement le pur automouvement de la différence dans l'identité. Donc, la relation avec la réalité extra-conscience devient une connaissance. Et dans le savoir vrai, la conscience devient vie. Car en fait, l'objet n'est plus la force, mais soi. Elle se divise en deux parties majeurs : autonomie et autonomie. Et à partir d'elle nous débouchons sur la grande figure de Domination et servitude. De même la conscience n'est plus entendement, mais la conscience de soi. « Elevée au-dessus de la perception, la conscience se présente elle-même jointe au supra-sensible par le moyen du phénomène, à travers lequel elle regarde dans le fond des choses » (t.1, p.140).

C'est ici que Hegel se sépare ici de Kant. Car, au lieu que la conscience de soi nous permette d'affirmer la conscience de quelque chose, on y aboutit à travers le chemin de l'expérience phénoménologique. Voilà pourquoi notre auteur dit :

« Il est clair alors que derrière le rideau, comme on dit, qui doit recouvrir l'Intérieur, il n'y a rien à voir, à moins que nous ne présenterions nous-mêmes derrière lui, que pour qu'il y ait quelque chose à voir » (t.1, p.140-141).

C'est par une construction de l'esprit que nous atteignons l'intérieur des choses. Si nous essayons de dénuder le réel, nous dit Ch. Andler, l'on n'y découvre que soi-même, l'activité universalisatrice de l'esprit qu'il appelle entendement (1931 : 317). Du coup, ce qui semblait être conscience d'un autre devient conscience de soi.

CHAPITRE 2 : L'AUTOCONSCIENCE

A travers l'autoconscience, nous sommes en dehors de la problématique philosophique de l'intellect. Et dans ce nouveau mouvement théorique, il se pose deux itinéraires :

- la conscience qui devient esprit,

- l'individu qui l'accommode à la communauté éthique : vérité de la certitude de soi

Dans le présent chapitre, l'altérité (l'en-soi) est fonction de la conscience (le pour-soi). Et la conscience de soi est essentiellement retour à soi-même à partir de l'être autre (t.1, p.146). Dès lors, la vérité devient certitude de la conscience elle-même. Elle est vie dans la sphère de la vie. Pour arriver à une telle reconnaissance, l'autoconscience doit parcourir certaines étapes : indépendance et dépendance de l'autoconscience, liberté, conscience stoïque sceptique et malheureuse.

Et pour arriver à la vérité de la conscience de soi, nous nous posons cette question : quel est donc l'objet du savoir ? C'est l'expérience de la conscience. Donc la vérité n'est autre que la certitude de la conscience même qui vit dans la sphère de la vie et en plus dans la pure abstraction ou réflexion :

« Avec la conscience de soi alors, nous sommes entré dans la terre natale de la vérité. Il faut voir comment surgit d'abord cette figure de la conscience de soi. Si nous considérons cette nouvelle figure du savoir, le savoir de soi-même, dans sa relations avec les figures précédentes, c'est-à-dire avec le savoir d'un autre, nous voyons alors que ce dernier savoir a bien disparu ; cependant, ces moments ne sont en même temps conservés, et la perte consiste en ceci qu'ils sont ici présents comme en soi » (t.1, p.146).

La conscience de soi dans sa première apparition est immédiate. Car les précédentes figures de la conscience sensible, perception, intellect, étaient des moments de la connaissance de l'altérité, mais non de la conscience de soi qui est retour sur soi et négation de la réalité étrangère. Mais dans cet acte de négation, il semble que l'autoconscience apparaît moins étant donné que les objets et le monde (changement de sens). Or, ce moment de pure négativité inclut à son tour un moment positif.

« Le bouton disparaît dans l'éclatement de la floraison, et on pourrait dire que le bouton est refusé par la fleur. A l'apparition du fruit, également la fleur est dénoncée comme un faux être-là de la plante, et le fruit s'introduit à la place de la fleur comme sa vérité. Ces formes ne sont pas seulement distinctes, mais encore chacune réfute l'autre, parce qu'elle sont naturellement incompatibles. Mais en même temps leur nature fluide en fait des moments de l'unité organique dans laquelle elle ne se repoussent pas seulement, mais dans laquelle l'une est aussi nécessaire que l'autre, et égale nécessité constitue seule la vie de tout » (t.1, p.6).

Nous sommes ici au coeur de la dialectique hégélienne qui est un moment de négation et de conservation. Elle se veut conquête de tout. Il faut ainsi comprendre que les précédentes figures de la conscience (certitude sensible, perception, intellect), restaient au niveau de la conscience de l'altérité et non de la conscience de soi. L'autoconscience pour cela est retour à l'immédiateté de soi, à la réception de la réalité étrangère. Dans cet acte de négation, il semble que le mouvement d'autoconscience acquiert un moment positif dans la densité conceptuelle de la vérité. Il y a à cet effet réception et conservation.

La conscience de soi est donc une partie du monde sensible et en même temps désir de continuité de ce monde. Ce monde apparaît comme un pôle très important de besoin constitutif de la conscience. Le monde est alors le lieu de son autosatisfaction. En plus la conscience de soi désire le monde parce qu'elle représente la possibilité de la vie. Cette tension vers le monde comme lieu de la vie laisse entrevoir le fait que la conscience a besoin d'être reconnue. « La conscience de soi atteint sa satisfaction seulement dans une autre conscience de soi » (t.1, p.153). Cette altérité de consciences de soi les unes pour les autres est le fait de la vie. La conscience de soi n'est pas seulement pour soi, elle est encore pour une autre, car elle est chose vivante. Il se pose alors une égalité qui suppose qu'il y a les mêmes pouvoirs (dialectique de Je/Tu). Cette reconnaissance objective est essentiellement pour-soi afin de pouvoir dépasser le solipsisme. Ainsi l'esprit comme dimension éthique de nous est en vue : « un moi qui est un Nous, et un Nous qui est un Moi » (t.1, p.154). Il s'y dégage un certain esprit.

II.1. Conscience comme Esprit.

L'esprit traduit un type de rapport particulier entre les vivants. C'est le moment du passage décisif de l'en-soi au pour-soi ou de la conscience à la conscience de soi. Les deux termes que nous posons ainsi à travers la démarche hégélienne ne s'opposent pas, mais se présentent ainsi :

« Non pas le contraire d'un autre, mais seulement le contraire pur ; ainsi chacun est en lui-même donc le contraire de soi ; ou encore il n'est pas un contraire du tout, mais est purement pour soi une essence égale à soi-même qui n'a en elle aucune différence » (t.1, p.137).

Il en ressort que chaque terme parce qu'en relation, est ainsi totalité dans son rapport à soi (dans son pour-soi). Mais le contenu de cette totalité est le mouvement infini qui fait que chacun est radicalement différent de soi9(*).

Pour donner une explication à ce mouvement, nous dirons que toute réalité est constituée par un jeu de force (attraction / répulsion). Ne dit-on pas en physique que les corps de même de nature se repoussent et ceux de nature différente s'attirent ? C'est ainsi que se posent les relations entre les pôles contraires d'un circuit électrique ou d'un champ magnétique. Et si nous allons à Hegel et aux termes qui lui sont propres, « je, l'homonyme, me reposer de moi-même ; mais le terme distinct, ce quelque chose posé comme inégal, immédiatement distinct, ne constitue plus pour moi aucune différence » (t.1, p.139).

Ici la compréhension de ces propos nous paraît assez difficile. Faut-il comprendre que le monde pour Hegel est un simple miroir de la conscience ? Puisqu'il ne nous dit pas que le monde n'existe pas dans son objectivité réelle10(*). En fait, pour lui, comme pour tout homme, le monde, celui de la conscience sensible, reste le monde. Et ce qui importe, ce qui est premier, c'est le rapport de l'esprit à l'esprit (c'est-à-dire le rapport de l'homme à l'autre homme par la médiation du monde). De sorte que ce qui constitue le véritable point de départ de la philosophie, c'est la relation entre deux consciences de soi.

Donc, le monde est le point de rencontre de l'homme avec l'homme. Ceci met en évidence le fait que chaque conscience est dotée d'un double objet : l'un extérieur, sensible et intérieur qui est son propre concept.

C'est de cette dualité que vont surgir les conditions de l'expérience nouvelle. Car, les deux consciences de soi, dans leur médiation commune au monde, sont une représentation de l'infinité. Tel est l'élément dans lequel vont se poser tous développements phénoménologiques prochains. Le rapport fondateur qui fait qu'une conscience de soi n'est que par et pour une autre conscience de soi est ainsi établit. « La conscience de soi est en soi et pour soi quand et parce qu'elle est en soi et pour soi pour une autre conscience de soi. C'est à dire qu'elle est en temps que être reconnu » (t.1, p. 155).

L'esprit est donc ici devenu l'identité manifeste entre le singulier et l'universel. Qu'il soit dit absolu signifie et c'est le cas de le dire que Hegel se propose de chercher son sens dans les représentations religieuses. Nous savons bien que celle-ci se donne comme révélation de l'absolu.

II.2. Contradiction-Réconciliation : concept équivoque.

Ici, il est question de partir de l'infinité à la conscience de soi. Il semble y avoir deux mouvements :

- Le passage de l'égale-à-soi-même aux différences.

- Le devenir égal à soi-même des différences, c'est-à-dire qu'il y a à la fois rupture et unification. L'égal à soi-même étant abstraction, en se scindant, il devient concret et devient le tout. (t.1, p.130 note 50)

La conscience quant à elle éprouve seulement la perte de ce que elle avait cru être le vrai. C'est dans ce sens qu'un autre mouvement s'avère nécessaire pour arriver à cette évidence. Voici ce que Hegel écrit à propos :

« L'infinité elle-même devient certes objet de l'entendement. Mais il la manque à nouveau comme telle (...). Cela même qui lui est objet dans son écorce sensible, cela est à nous dans sa figure essentielle cet acte- de - saisir la différence comme elle est en vérité, ou l'acte-de-saisir l'infinité comme telle est pour nous, ou en soi » (1947 : 139).

Deux niveaux de lecture de ces mots se donne à nous. L'un est celui qui nous montre, ce qu'est l'infinité dans son concept vrai, « dans sa figure essentielle ». L'autre met en exergue les figures de la conscience qui ne livrent pas leur sens dernier si nous les interprétons simplement à travers les canons du Je objectivant. Hegel dit alors de la façon la plus nette :

«  La conscience de quelque chose d'autre, d'un objet en général est (...) nécessairement conscience de soi, être-réfléchi dans soi, conscience de soit même dans son être-autre » (t.1, p.140).

Il est clair pour nous qu'il ne peut avoir de conscience de soi si celle-ci ne demeure conscience. C'est d'ailleurs pour cela que lorsque Hegel place la conscience au centre du débat, c'est aussi la conscience de soi qui y est présente (même si celle-ci n'y est que comme condition de développement de l'expérience). Nous arrivons alors à une lecture unifiée qui est le fait de notre esprit :

«  C'est pour nous seulement que cette vérité est présente, pas encore pour la conscience(...) la conscience de soi est devenue seulement d'abord pour soi, pas encore comme unité avec la conscience en général » (t.1, p.140).

II.3.   La conscience comme `'pour-soi''

C'est le stade même de l'autoconscience, de la reconnaissance réciproque des sujets : chacun se sait reconnu dans l'autre moi libre (...) à condition de reconnaître l'autre moi et de le saisir comme libre11(*).

Pour Hegel, les déterminations, du point de vue de la conscience sont en- chaînées l'une à l'autre. Mais il est à constater que ce lien les maintient en opposition d'extériorité réciproque. C'est cela qui vient marquer le changement : ce que la conscience différencie de soi n'est plus seulement quelque chose à quoi elle se rapporte en même temps mais quelque chose qui est pour elle en même temps - il est un non différencié. Le simple rapport devient alors une identité posée comme dit Hegel : « l'en-soi est la conscience ; mais aussi bien ce pour quoi quelque chose d'autre (l'en-soi) ; et c'est pour elle-même que l'en-soi de l'objet et son être pour un autre sont identiques » (t.1, p.p.145-146). Ceci permet alors à notre auteur de signifier l'identité entre le sujet et l'objet. Cette identité s'effectue tour à tour du point de vue de l'objet et le point de vue du sujet. Ainsi le Je ne peut connaître le monde, atteindre même la vérité de cette certitude, s'il se connaît lui-même comme monde - ceci nous permet de dire sans risque de se tromper que la conscience de soi est la vérité de la conscience. Elle est en effet : « la réflexion de soi sortant de l'être du monde sensible et du monde perçu ; la conscience de soi est essentiellement ce retour à soi-même » (t.1, p.146). Dès lors, nous pouvons poser le résultat tel que l'éprouve la conscience elle-même :

« Ce qui est objet à l'entendement dans son enveloppe sensible, nous est donné dans sa configuration essentielle comme pur concept. Cette appréhension de l'infinité comme telle, est pour nous un en soi» (t.1, p. 139).

Ceci laisse croire que l'on peut savoir une certitude qui est égal à sa vérité. Car, la certitude dans la vision hégélienne est à soi-même son objet et la conscience est à soi-même le vrai. Doit-on le comprendre comme une extinction du monde que non .... Nous constatons que la conscience ne cesse pas de voir le monde, mais elle se voit également elle-même comme monde dans le monde. Hegel écrit à ce propos : «  il y a bien aussi en cela un être autre  ; la conscience distingue quelque chose qui est pour elle un non-distinct » (t.1, p.145). Et ceci permet à Hegel, en un passage que nous considérons de capital, de signifier l'identité devenue entre le sujet et l'objet. Car, « il est clair que l'être en-soi et l'être-pour- quelque chose-d'autre sont la même chose » (ibidem). Ceci implique une double forme, objective et subjective, qui nous met en face de deux figures opposées de la conscience. « L'une est la conscience indépendante qui a pour essence l'être-pour-soi. L'autre est la conscience dépendante dont l'essence est la vie. L'une est le Maître, l'autre l'esclave » (t.1, p.161).

Les deux moments de la conscience de soi se séparent. Nous avons d'un côté la conscience du Maître qui s'est élevée au-dessus de l'être de la vie. De l'autre côté la conscience dans la forme de la choséité qui donne la conscience de l'esclave. Cette dernière est une conscience qui est seulement pour un autre. Il se révèle ainsi à nous trois termes en présence dans la dialectique hégélienne : le maître, l'esclave et la choséité. Seulement l'on constate que le maître bien qu'étant conscience de soi indépendante n'arrive pas à se distinguer réellement. Ceci pose un problème de liberté.

Conclusion

De la conscience à l'autoconscience, Hegel souligne le passage d'un point de vue à un autre qui lui est complémentaire. On peut dire que la conscience et l'autoconscience représentent les deux phases de cette première unité formelle qui s'exprime au travers de la raison. Et notre auteur note à ce propos :

« Désormais a surgi ce qui ne venait pas en réalité dans les relations précédentes (...), savoir une certitude qui est égale à sa vérité ; car la certitude est à soi-même son objet et la conscience est à soi-même le vrai » (t.1, p.85). Et il ajoute plus loin : « avec la conscience de soi nous sommes donc entrés maintenant dans le royaume natal de la vérité » (Ibidem).

Le point marquant que Hegel s'emploi à montrer dans ce parcours c'est que pour qu'il existe l'autoconscience, il faut aussi qu'existe la conscience. Ainsi donc, la réflexion future se fera entre les deux objets. Il y a celui que représente le monde sensible et celui que constitue le Je. Nous sommes donc bien portés à affirmer que la raison donne à connaître l'unité formelle de ces deux moments que sont la conscience et l'autoconscience.

Et le désir de l'homme ne porte pas sur un être donné comme dans le cas simple du vivant. Il porte sur un autre désir. « Pour être humain, l'homme doit agir non pas en vue de se soumettre une chose, mais en vue de se soumettre un autre désir (de la chose) » (P. J. Labarrière, 1968 : 72). Lorsqu'il désire une chose, en fait, il n'agit pas pour s'en emparer, mais cherche à se faire reconnaître par autrui son droit sur celle-ci. Contrairement aux animaux, les hommes dont la satisfaction immédiate n'est jamais définitive, peuvent désirer les choses dont ils n'ont pas besoin. Ceci dans le seul but d'obtenir la reconnaissance universelle de leur supériorité. Ce désir de reconnaissance entraîne une lutte à mort pour le prestige : « l'homme risquera sa vie biologique pour satisfaire son désir non biologique » (E. Weil, 1982 : 3). Les deux consciences de soi en opposition cherchent à régler la question essentielle du rapport entre désir et vie, entre liberté et nature. De cette impasse surgit un contexte de rapport articulés autour de la logique de domination et servitude.

PARTIE II : LA RELATION MAITRE / ESCLAVE :

la reconnaissance

Après l'étude du mouvement de la conscience où il s'est agit de passer de la certitude sensible à l'infinité, nous avons fait un mouvement dans le monde. Mouvement qui part des objets, de l'univers des choses à celui de l'homme. Puis, nous avons fait l'analyse des fondements premiers du monde humain. Ensuite, dans le cadre de la liberté de conscience de soi, nous sommes arrivés à quelques échecs d'une liberté qui n'a pas réussi à définir la situation de l'homme face à sa mort. Nous voulons aborder maintenant, dans une partie que nous considérons comme centrale, la mise en place des éléments qui assurent la structuration véritable du monde humain. Il s'agira dans un premier temps de ressortir en ce qui concerne le principe, l'attitude qui doit être celle de toute conscience. Ensuite sur le plan des rapports que peuvent nouer entre eux les esprits qui ont atteint la véritable certitude d'eux-mêmes.

Nous voudrions à cet effet montrer le mouvement de la reconnaissance afin de déboucher sur la reconnaissance  effective. Car, c'est bien du thème de la  reconnaissance  qu'il s'agit. Il est capital et de grande importance. Ceci va du fait que même si l'on ne connaît rien de la `phénoménologie', on connaît au moins le dessein de son mouvement. Il est simplifié et ramené à n'être que le renversement de situation qui ferait que l'esclave, l'exploité ait raison du maître. Ceci en vertu d'une loi dialectique qui permettrait un basculement des termes l'un dans l'autre. Le maître deviendrait alors l'esclave de l'esclave.

Nous voulons montrer que ce thème a été traité par Hegel avec nuances et sérieux. Et que si l'on veut faire de cette dialectique une sorte d'identité valant pour soi, c'est que l'on veut l'extraire de son contexte. Donc, elle perd son sens.

CHAPITRE I : Mouvement de la Reconnaissance

La conscience de soi, avons-nous dit avec Hegel dans la partie consacrée à son étude, a appris qu'elle n'est en et pour soi que «quand et parce qu'elle est en et pour soi pour une autre [conscience de soi » (t.1, p.155). Le constat ici s'impose tout seul : ceci fait d'elle en première approche, «quelque chose de reconnu » (t.1, p.154). Il faut ici comprendre que la conscience de soi ne peut être reconnue que si elle-même vient à reconnaître l'autre. Tel est donc le mouvement, celui d'une réciprocité posée qu'il convient de lire sous ce terme.

Ce mouvement n'est pas simplement le signe d'un rapport social effectif entre deux hommes concrets qui se feraient face. Car il faut bien se rappeler cette figure sous l'unilatéralisme logique qui est le fait de la partie conscience de soi. Ce que Hegel donne à connaître implicitement, ce n'est pas deux consciences de soi qui seraient en cause, mais la conscience de soi dans son doublement (t.1, p. 155). Et par ce fait, il apparaît le concept d'unité spirituelle et affirme que «par-là est déjà présent pour nous le concept de l'Esprit » (Ibidem). Il est dans l'unité différenciée, proprement infinie qui constitue chaque conscience de soi dans la vérité.

II. 1. Le mouvement

II.1.1. Schéma logique

Il s'agit de la mise en place des structures de l'expérience à partir desquelles nous auront les composantes universelles de la conscience et de son rapport à l'objet. Le sens que Hegel donne de la section conscience dans son ensemble est de nous emmener au terme du mouvement régressif, vers ce qui constitue le véritable point de départ de la philosophie. C'est en fait la relation humaine exprimée dans son principe. Nous sommes à cet effet poussé loin de l'évidence première de laquelle nous nous croyons inexistants dans notre relation aux choses. Ainsi se présente à nous le mouvement structurel qui est celui de la conscience de soi dans son rapport à son objet (P.-J. Labarrière, 1976 : 152-153).

Il ressort de ce principe qu' en venant `hors de soi', la conscience de soi se perd elle-même, s'apercevant comme autre, en même temps qu'elle perd aussi l'autre, à la place duquel elle s'aperçoit elle-même (t.1, p.156). Ceci implique un double mouvement négatif et positif. Lorsqu'il est négatif, la conscience sursume l'autre pour se poser elle-même dans sa certitude essentielle objectivée, et elle se sursume elle-même dans la mesure où cet autre n'est autre qu'elle (t.1, p.157). Et lorsqu'il est positif, elle supprime son autre et se place à nouveau comme égale à elle-même. Elle se retire ainsi, si l'on peut le dire, de l'autre. Elle se laisse exister dans son autonomie retrouvée (t.1, p.156).

Voilà comment nous pouvons styliser le mouvement structurel de la conscience dans son rapport à son objet. Et c'est à ce niveau que le schéma logique atteint toute sa complexité. En effet, comme le dit l'auteur :

« La première conscience de soi n'a pas l'objet devant soi, comme cet objet est au début et seulement pour le désir ; maintenant, l'objet est un objet indépendant et étant pour soi ; la conscience de soi ne peut rien d'elle-même sur lui, s'il ne fait pas en soi-même ce qu'elle fait en lui » (Ibidem.).

L'opération de la conscience à ce niveau (caractérisée par un double aspect de négativité et de positivité) est «tout aussi bien son faire que le faire de l'autre ; car l'autre (conscience de soi) est aussi bien autonome, enfermée dans soi, et il n'y a rien dans elle qui ne soit par elle-même » (Ibid). Nous arrivons de ce fait à un double mouvement des deux consciences de soi. Chacune voit l'autre faire la même chose qu'elle. De plus chacune fait elle-même ce qu'elle exige de l'autre. Et les mots de Hegel arrivent à point pour expliciter cela en affirmant :

« L'opération est donc à double sens, non pas seulement en tant qu'elle est aussi bien une opération sur soi que sur l'autre, mais aussi en tant qu'elle est, dans son indivisibilité, aussi bien l'opération de l'une des consciences de soi que de l'autre » (t.1, p.157).

L'opération de ces deux consciences de soi est donc une seule et même opération indivisible. Et dans celle-ci, chacune est à soi par la médiation de l'autre.

En vue de l'effectivité de la reconnaissance, cette opération revêt d'une importance capitale. Telle est donc pour Hegel le mouvement de la reconnaissance. C'est une relation type qui doit permettre la compréhension de la figure qui traite de la Domination et de la Servitude. Ainsi la dialectique de la reconnaissance qui en découle implique deux mouvements : la lutte pour la vie et pour la mort, symbolisé par le paradigme du rapport entre le maître et l'esclave. Ces relations traduisent la condition typique déterminante du mode d'être de l'homme dans le monde.

I.1.2.La lutte pour la vie et pour la mort

Le «combat pour la vie et la mort » (t.1, p.158) est très significatif. Il souligne avec force ce que nous appelons la transcendance essentielle, dans la qualité de la liberté par rapport à la nature. Il est de ce fait évident que la conscience de soi s'affirme d'abord en mettant en jeu sa propre vie. Puis elle menace la vie de quiconque se réclame d'une universalité semblable. Pourquoi ? Parce qu'elle est conscience de soi en étant d'abord pour-soi simple. C'est ce qui explique qu'elle s'appréhende comme «égale à soi-même par l'acte d'exclure tout autre hors de soi » (t.1, p.159).

Désirer la vie n'est pas seulement la conserver, mais l'inventer. Désirer vivre c'est vouloir ce que j'ai déjà et ce que je n'ai pas encore. Dans ce vide jamais comblé, la conscience se vise elle-même et se vise à jamais. L'homme ne peut jamais être ou se considérer achevé, puisqu'il doit s'arracher à lui-même pour être lui-même. Et donc, lorsque deux consciences de soi se rencontrent, elles s'affrontent. Chacune est objet du désir de l'autre et ne traduit cette réciprocité que dans la perception du danger accru. Chacune agresse l'autre et c'est la lutte à mort. Dans cette lutte, le but est unique et le même pour les deux : la satisfaction de son propre désir. A travers cette lutte, il se dégage un sentiment de peur. Et être ainsi saisi de panique, c'est déjà avoir un vague sentiment de mort. On ressent alors une différence, entre soi-même et sa vie. Il se présente à nous la vie de cette conscience de soi et son contraire absolu et inconnu : la mort. Elle est visible dans les yeux de son adversaire. Il se crée ensuite une distance entre sa vie et ce qu'il est. Mais aux dires de Hegel, la lutte est nécessaire parce qu' : «elles12(*) doivent nécessairement engager cette lutte, car elles doivent élever leur certitude d'être pour soi à la vérité, en l'autre, et en elles-mêmes. C'est seulement par le risque de sa vie qu'on conserve la liberté » (t.1, p.159).

Les deux consciences qui s'affrontent savent bien ce qu'est la peur. Pour toutes les deux, c'est la violence de l'émotion qui est la mesure même du danger. Le résultat de cette expérience est que : « le comportement des deux consciences de soi est donc déterminé de telle sorte qu'elles se prouvent elles-mêmes l'une à l'autre au moyen de la lutte pour la vie et pour la mort » (Ibidem).

Nous pouvons alors remarquer que quelque chose commence à se nouer. Il ne s'agit plus d'un effort unilatéral de supprimer l'autre, mais d'un combat où s'engage une réciprocité. Mais, supposons que l'une des deux, prise de panique au souvenir des combats passés rompt le combat, elle s'avoue vaincue avant même de s'être battue. Tout de suite, son attitude laisse transparaître un sentiment de peur. Mais son geste peut aussi faire découvrir un autre sentiment : le plaisir de donner la vie. Le vainqueur peut lire dans les yeux du vaincu la reconnaissance effective de son pouvoir de donner la vie et la mort. En d'autres termes, c'est la reconnaissance de la valeur humaine et de sa liberté. Mais il n'a pas atteint la vérité de la reconnaissance comme reconnaissance d'une conscience de soi indépendante. « Pareillement, chaque individu doit tendre à la mort de l'autre quand il risque sa propre vie ; car l'autre ne vaut plus pour lui que lui-même » (t.1, p.159).

Du coup, on aperçoit l'humanité dans un rapport politique : on est un homme que parce qu'on est reconnu comme tel. Et le texte de Hegel est ici très significatif à ce niveau. Il parle d'une simple liberté d'indifférence, une liberté des choses, qui ne peut engendrer justement qu'une négation de la chose. Voilà pourquoi il écrit :

« Leur opération est la chose abstraite, non la négation de la conscience qui supprime de telle façon qu'elle conserve et retient ce qui est supprimé ; par-là même elle survit au fait de devenir-supprimée » (t.1, p. 160).

D'un point de vue dialectique et phénoménologique, l'esclave entend sauvegarder sa propre vie à la différence du maître. Ce dernier incarne l'esprit chevaleresque qui aime l'aventure et met en péril son existence, en défiant la mort. Deux attitudes sont incarnées par les deux consciences de soi : la peur et la liberté. Le rapport à ce niveau consiste dans la reconnaissance réciproque de l'attitude que chacune incarne.

I.1.3. Domination et Servitude : issue heureuse

La figure de domination et servitude utilisée par Hegel met aux prises deux consciences de soi. Il s'agit d'une relation spirituelle (dépendance et indépendance) qui s'articule en deux temps. D'un côté, le maître et de l'autre l'esclave. Il y ressort deux attitudes résumées dans le cas que nous avons évoqué plus haut : la courte durée du combat pour la et pour la mort. Il est de courte durée dès lors qu'un des adversaires, prenant conscience de son anéantissement, renonce au combat. Il choisit alors de vivre, quitte à se laisser dicter la loi par le protagoniste qu'il vient d'affronter. En termes beaucoup plus hégéliens, «il renonce à voir dans sa transcendance par rapport à son être la condition de l'affirmation de son être pour soi » (t.1, p.157). Et il choisit cet être  en abandonnant à l'autre son être-pour-soi ou sa liberté. C'est ainsi que naît «le côté de l'inégalité de deux [consciences de soi] » (Ibidem).

A partir de là, deux parties s'imposent à nous dans le texte de Hegel. Il y a d'une part le point de vue du maître et le point de vue de l'esclave. Car il n'est plus tellement question de reconnaissance, mais de la recherche d'une véritable autonomie. Essayons une analyse tour à tour de ces deux cas.

D'entrée de jeu, Hegel distingue trois termes, avons-nous dit, le premier, le maître se trouve toujours en position dominante. Le second est l'esclave. Entre les deux, et comme moyen terme, la choséité. Quel genre de rapports existe-t-il entre ces termes ? Le maître entretient une double relation de médiation avec les autres.

- Il contraint l'esclave à travailler le monde pour lui. Et puisque l'esclave s'était soumis à la choséité lorsqu'il a préféré la vie à la liberté, il se l'assujettit.

- Mais puisque l'esclave est entre lui et le monde, par le fait même de le dominer, il domine le monde. Il jouit de ses produits (t.1, p.162).

« Dans ces deux moments, poursuit alors Hegel, advient pour le maître son être-reconnu par une autre conscience » (Ibidem). De quelle sorte de reconnaissance s'agit-il à ce niveau ? Il y a dans le texte de Hegel une série d'opérations qui met en lumière l'ensemble des rapports ici en jeu.

- Le maître sursume l'esclave et celui-ci consent en se sursumant lui-même.

- L'action de l'esclave sur lui-même et sur le monde est une sorte de participation seconde à l'action du maître.

- L'absence de réciprocité de l'agir. Il manque encore un moment, dit Hegel : « celui dans lequel le maître fait sur lui-même ce qu'il fait sur l'autre individu, et celui dans lequel l'esclave fait sur le maître ce qu'il fait sur soi » (t.1, p. 162). Ainsi s'établit une reconnaissance unilatérale et inégale.

Le deuxième cas n'est pas énoncé, mais son importance n'est plus à démontrer. Car ici la figure centrale n'est plus celle du maître, mais celle de l'esclave. C'est en gros le problème de l'inégalité de la reconnaissance. Tout laisse croire que le maître deviendra esclave de l'esclave, et l'esclave le maître du maître. Or ce qu'il convient de poser ici, c'est la conscience de soi de l'esclave. Celle-ci va passer par une formation de l'homme à travers la peur, le service et le travail. En d'autres termes, il s'agit de l'autonomie qu'il faut acquérir et la rendre apte à une rencontre de vérité.

Comment la conscience servile peut-elle arriver à cette autonomie ? Tout d'abord, il faut récupérer son être-pour-soi. Une prise de conscience de ce que la peur qu'elle éprouve est l'expression seconde de la négativité radicale qu'elle est elle-même. L'analyse qui s'ensuit nous montre que l'esclave a senti l'angoisse primordiale, une fluidification absolue de toute substance. En acceptant l'esclavage, il a placé son idéal hors de lui-même. Mais l'angoisse lui a fait prendre conscience de son néant. Un néant qui est négativité. Cette négation de lui-même va se poursuivre dans le travail. Et par cette négation, l'esclave va exister pour un autre. C'est le service qui va faire de lui un homme en soi et pour soi. Il apprendra à maîtriser ses instincts. C'est une façon de monnayer sa peur. La peur d'être tué. Mais l'issue heureuse est qu'il n'a pas été tué. Il transforme le monde à partir de cette idée de la mort qui est une ébauche de la raison. Etre historique par son travail, il s'acheminera vers l'humain sur la voie de la technique.

De ce fait, l'accès à l'humanité devient évident. Car la conscience servile va cesser d'être mue par ses désirs. Dès lors, il apprend une sagesse que le maître ignore. Il apprend à distinguer son moi de sa vie biologique. Et G. Fessard nous en donne une explication :

« Si l'esclave est devenu tel, c'est parce que son attachement à l'existence lui a fait dire : tout et même la servitude que la mort. Mais l'angoisse que le maître continue de faire peser sur lui pour obtenir son obéissance va lui apprendre d'abord que cette existence naturelle à laquelle il tenait tant est en réalité sans valeur pour lui, et que la liberté seule vaut la peine de vivre. Par-là déjà, l'esclave commence de devenir l'égal du maître qui lui-même n'est devenu tel que pour avoir dit dans le combat : tout et même la mort plutôt que l'esclavage » (1960 : 145).

C'est donc ainsi que le travail (parce que servile) est formation et culture au sens de Hegel. De plus, exercé sur la nature qu'il humanise, le travail est aussi transformation de l'esclave en homme. C'est une voie d'accès pour la reconnaissance. L'esclave est véritablement dépendant du monde parce que attaché à la vie. Il vit l'angoisse de la mort. Mais travaillant la terre, il la transforme. Et dans ce travail, il se révèle au maître comme conscience essentielle. Et comme conscience indépendante, l'esclave l'est parce qu'il peut vivre des ressources de son travail. Or, le maître est essentiellement dépendant. L'esclave se manifeste comme conscience formatrice parce qu'il peut transformer la terre. Conséquence, le vrai patron c'est lui. Le travail révèle à l'esclave son autonomie.

L'esclave, par peur de perdre sa vie, est considéré par l'héroïque maître comme une chose servile, comme un matériel utile. Pour preuve, le maître se réfère à lui comme une médiation entre lui et le monde. D'où, l'esclave est considéré comme une chose de la nature. Mais, c'est une médiation entre les choses et les besoins du maître. En sorte que s'il n'existait pas les choses, le maître n'aurait pas besoin de l'esclave. Ainsi, le type de rapport de la conscience indépendante (être pour soi) se spécifie :

- immédiatement à l'esclave et aux choses

- médiatement à chacun par la médiation de l'autre

L'indépendance du maître entraîne la double dépendance de l'esclave c'est-à-dire envers le maître (présent et futur) et envers les choses. Et pour le signifier Hegel écrit :

« ...le maître se rapporte médiatement à la chose par l'intermédiaire de l'esclave ; l'esclave comme conscience de soi en général, se comporte négativement à l'égard de la chose et la supprime ; mais elle est en même temps indépendante pour lui, il ne peut donc pas par son acte de nier venir à bout de la chose et l'anéantir ;  l'esclave transforme donc seulement par le travail »(t.1, p.162).

Le maître lui, veut seulement jouir des fruits du travail de l'esclave et c'est ici qu'émerge la dialectique de la reconnaissance du maître comme tel. Le maître se considère comme une conscience patronale et indépendante. Ceci est dû au fait que les deux consciences ne se reconnaissent pas réciproquement comme sujets vivants, égaux en pouvoir. « A donc pris seulement naissance une reconnaissance unilatérale et inégale » (t.1, p.163). Voilà pourquoi, à partir de l'esclave, la dialectique de la reconnaissance prend une autre tournure. Dans cette perspective, il résulte que le vrai maître c'est l'esclave. Ceci tient au fait que le patron se rend compte que sans l'esclave il ne peut rien faire. L'autre lui est reconnaissant parce qu'il vit. Notre auteur renchérit en affirmant :

« La conscience inessentielle est ainsi, pour le maître, l'objet qui constitue la vérité de sa certitude de soi-même. Il est pourtant clair que cet objet ne correspond pas à son concept ; mais il est clair que là où le maître s'est réalisé complètement il trouve tout autre chose qu'une conscience indépendante ; ce qui est pour lui ce n'est pas une conscience indépendante, mais plutôt une conscience dépendante » (Ibidem).

Les moments de ce processus sont la peur de la mort, le service et le travail qui ouvre sur la culture. Précisément pour l'esclave, l'essence c'est le seigneur et donc : « La vérité de la conscience indépendante est la conscience servile. Sans doute, cette conscience servile apparaît d'abord à l'extérieur de soi et comme n'étant pas la vérité de la conscience de soi » (t.1, p.163).

I.2. Entrée dans le monde de la vie éthique.

La conscience dans le monde peut vivre des contradictions qu'il faut dépasser. Il s'agit de la conscience stoïque, la conscience sceptique et la conscience malheureuse.

La totale dépendance de la conscience la rend esclave et la totale indépendance la rend stoïque. La conscience servile est semblable à une chaîne qui lie et retient l'individu. La conscience stoïque par contre est libre de toute chaîne. Cette liberté qui se saisit elle-même repose sur le principe que la conscience est une essence pensante. C'est à ce titre qu'une chose peut se présenter comme vraie et bonne pour elle.

La relation de domination et de servitude caractérise les situations historiques où émerge la conscience stoïque. C'est dans ce sens qu'Hegel a pu affirmer que :

« Comme forme universelle de l'esprit, le stoïcisme pouvait seulement surgir dans un temps de peur et d'esclavage universel, mais aussi dans le temps d'une culture universelle qui avait élevé la formation et la culture jusqu'à la hauteur de la pensée » (t.1, p.p.169-170).

Toutefois, le mode de pensée stoïque a tendance à se détourner du monde. Il demeure par ce fait abstrait et incapable de pénétrer la réalité. Il ne cherche pas la marque et le critère de la vérité dans le contenu vivant du monde et la réalité collective. Il la cherche plutôt dans la stabilité de la pensée subjective.

Le scepticisme, à son tour entend s'opposer aux conceptions théoriques et pratiques du stoïcisme en les considérant dans leur singularité et leur inscription historique.

I.2.1. Le sceptique et le stoïque

La conscience stoïque est une conscience méditative. Elle est opérante et indépendante du maître et des choses. C'est la conscience pensante, réflexive et abstraite. Elle fait le monde tout en restant dans le monde.

« Cette conscience pensante, telle qu'elle s'est déterminée comme liberté abstraite, n'est donc que la négation encore imparfaite de l'être-autre. S'étant seulement retirée en soi-même, en sortant de l'être-là, elle ne s'y est accomplie comme négation absolue de cet être-là. Le contenu vaut bien pour elle, comme pensée seulement, mais en outre comme pensée déterminée, et en même temps comme la déterminabilité en tant que telle » (t.1, p.171).

La conscience sceptique à l'opposé de la conscience stoïque, voile l'inconsistance de tout acte de vérité. Elle admet tout de même la distinction entre le vraisemblable et le faux. En niant, elle s'affirme. Elle nie le fait et non l'intellectuel.

« Le sceptique dévoile le mouvement dialectique que sont la certitude sensible, la perception et l'entendement ; il dévoile aussi l'inessentialité de ce qui a une validité, dans la situation de domination et de la certitude, l'inessentialité encore de ce qui, pour la pensée abstraite elle-même, a une validité, comme quelque chose de déterminé » (t.1, p.172).

Dans son élaboration du mouvement de l'histoire Hegel lie le stoïque et le sceptique. Ces deux modes de pensée se comportent comme maître et esclave. Le stoïque est considéré comme esclave et le sceptique est le maître. En fait pour Hegel, le scepticisme réalise le stoïcisme. Il élabore la certitude et la domination vers lesquelles tend le stoïcisme. Cependant la conscience sceptique de soi souffre d'une multitude de contradictions. Elle est contrainte à la fois de nier et d'affirmer pratiquement ce qu'elle a ébranlé et renversé théoriquement : « cette conscience pensante, telle qu'elle s'est déterminée comme liberté abstraite, n'est donc que la négation encore imparfaite de l'être-autre. ». (t.1, p.171) Mais, elle est en même temps une conscience universelle et stable. Ainsi, le sceptique se montre non seulement comme une conscience double, mais aussi comme une conscience déchirée. Elle est enfermée dans la double opposition entre la théorie et la pratique, mieux entre le caractère stable et le caractère instable.

« Le scepticisme dévoile, indique la dialectique de la reconnaissance en général... Il critique les lois éthiques qui sont des commandements arbitraires d'un maître ou les concepts de la pensée abstraite de stoïcisme » (t.1, p.173 note 12).

Il y a comme une contradiction entre la pensée et l'action dans le scepticisme. Mais elle n'est pas dans le scepticisme. Or, ce que la conscience est en soi doit aussi être pour soi. Par conséquent une nouvelle figure de la conscience naît du scepticisme. Dans celle-ci, la conscience prend connaissance de son déchirement et de ses contradictions internes. Mais celles-ci sont inconciliables par sa force. De ce fait la conscience vit intensément son déchirement et devient conscience malheureuse13(*). Elle est malheureuse parce qu'elle a conscience de cette contradiction d'être doublée. Mais elle ne sait pas que cet acte duplicatif est essentiel dans le concept de l'esprit. Ainsi, en elle coexistent l'essentialité et l'inessentialité. C'est ce qui provoque la peine.

La conscience malheureuse est de ce fait la conscience sceptique qui atteint la conscience de sa propre contradiction. Et dans la perspective de la reconnaissance, celle-ci doit passer par trois moments : opposition, unité et identité. Ceci lui permet de concilier le singulier et l'universel.

« Le premier immuable est pour elle seulement l'essence étrangère condamnant l'existence singulière, ; puisque l'immuable, au second stade est une figure de l'existence singulière, comme elle l'est elle-même, alors elle devient en troisième lieu l'esprit, a elle-même la joie de se retrouver en lui et devient consciente pour soi de réconciliation de son existence singulière avec l'universel » (t.1, p.179).

Mais il y a un autre élément très important qu'il convient d'ajouter. C'est que la position du maître n'avait pas de contenu effectif. L'esclave rendu conscient de cela et après l'avoir expérimenté, affirme que la mort est préférable à l'esclavage. La double parabole du combat à mort et de la relation domination / servitude nous permet donc de voir à quoi la conscience doit renoncer si elle veut rencontrer l'autre conscience.

Dès lors, nous pouvons dire que l'esprit n'acquiert l'effectivité concrète que lorsqu'il s'incarne dans deux consciences historiquement autonomes. Ceux-ci sont alors capables d'entrer non seulement en conflit mais en rapport véritable. Ceci laisse entrevoir la reconnaissance. Est-elle effective ou reste-t-elle formelle au sens de la raison ?

CHAPITRE II : RECONNAISSANCE EFFECTIVE

La reconnaissance acquiert son effectivité lorsque les quatre opérations citées plus haut à savoir, un faire en regard de soi, un faire en regard de l'autre, un faire de l'autre en regard de l'autre et un faire de l'autre en regard de soi, sont posées. Chaque opération posée requiert l'ensemble des autres. L'élément fort à mettre en lumière ici est celui de l'autonomie de la conscience de soi qui nous permet de poser le problème de l'affirmation de sa liberté (t.1, p.167).

Il y a donc deux niveaux de réalisation de la reconnaissance : elle est d'abord formelle au sens de la raison. A ce niveau, l'espérance nous conduit au principe de toute liberté qu'est l'effectivité de la pensée. Puis la reconnaissance devient concrète et réelle. Elle y arrive au moyen de l'histoire au terme de l'esprit. Le problème sur lequel nous débouchons est celui de l'effectivité éthique.

2.1. Formelle

La forme de la conjection entre la conscience et la conscience de soi est celle qui pose un simple pouvoir au sein de la conscience individuelle. Celle-ci, étant devenue apte à une rencontre effective avec l'autre conscience et avec le monde. Mais elle ignore encore sa capacité dans le concret des choses. Ce pouvoir, cette capacité Hegel l'appelle pensée. Il écrit à ce propos :

« Ne pas être objet à soi-même, comme Moi abstrait, mais comme Moi qui a en même temps la valeur de l'être-en-soi, ou se comporter à l'égard de l'essence objective de telle sorte qu'elle ait la valeur de l'être-pour-soi de la conscience pour laquelle elle est, c'est cela que veut dire penser » (t.1, p.168).

La pensée est l'unité de l'être-en-soi et de l'être-pour-soi14(*). Mais est-ce que dans la réalité, il se vérifie que le principe de toute liberté est l'effectivité de la pensée ? C'est dans ce sens que Hegel évoque les figures du stoïcisme, du scepticisme et de la conscience malheureuse pour montrer l'accomplissement de la pensée dans la catégorie15(*). Le débat à ce niveau est toujours celui de la conscience et du monde. Par conséquent, ce que la conscience a appris, c'est qu'elle n'est elle-même que dans la mesure où l'objet qui est pour elle l'essence est en unité inséparée de son propre être-pour-soi. Ceci n'est rien d'autre que l'être-pour-soi de la conscience : « mon mouvement dans le concept c'est un mouvement en moi-même », dira Hegel (t.1, p.168). Or, le stoïcien se refuse à cette contre épreuve. Il est sûr d'être maître de lui-même en toute circonstance. Le sceptique accepte de se compromettre dans le monde. Cependant, il garde l'illusion de se soustraire de ce qui pourrait mettre en cause l'abstraction de son appréhension de lui-même. La conscience malheureuse accepte de prendre sur elle, ne fut-ce que dans le déchiffrement intérieur, aussi bien l'objectivité que la subjectivité de son savoir. L'ascèse à laquelle elle se résout est le chemin qu'elle accepte d'emprunter pour s'accorder à l'universalité de ce savoir. Elle devient alors raison quand elle est certitude ou vérité.

C'est à ce stade que la pensée devient catégorie (t.1, p.199). Ainsi, Hegel atteint le point culminant de son argumentation. Sa philosophie s'appuie sur une contestation proprement fondamentale de la séparation entre le régime de l'être et celui de la pensée. Pour lui, ce qui est à l'origine, c'est le devenir commun de l'homme et du monde, le désir des hommes se reconnaissant mutuellement dans et par le monde.

Mais l'individu, seulement rationnel, sera toujours ailleurs que là où l'on pense le rencontrer en vérité. Il est par conséquent un individu inapte à la `reconnaissance' et à l'affrontement qu'elle implique. Il ne dépassera cet état que s'il accepte de séjourner au lieu où il rencontre le réel. Là, l'intérieur et l'extérieur concourent l'un à l'autre à la production de l'esprit. Ceci ne peut être possible que dans la liberté et l'autonomie des principes respectifs, puisque

« La conscience, faisant l'expérience que les deux côtés sont les moments également essentiels, fait en cela en même temps l'expérience de ce que la nature de la chose même, elle n'est pas seulement chose opposée à l'opération en général et à l'opération singulière, elle n'est pas seulement non plus opération opposée à la substance, opération qui serait le genre libre envers ses moments entendus comme ses espèces, mais elle est une essence dont l'être est l'opération de l'individu singulier et de tous les individus, et dont l'opération est immédiatement pour les autres ou est une chose, et est chose seulement comme opération de tous et de chacun, est l'essence qui est l'essence de toutes les essences, l'essence spirituelle » (t.1, p.342).

2.2. Concrète

Nous abordons maintenant la dernière figure qu'est l'esprit. Dans celle-ci, l'esprit, certain de soi-même, prend les espèces de la conscience entendue comme certitude morale. Le passage de la Raison à l'Esprit est un passage qu'il faut entendre comme un accomplissement de la vérité : « la raison est esprit en tant que la certitude d'être toute réalité [est] élevée à la vérité, et [qu'] elle est conscience de soi-même comme de son monde, et du monde comme d'elle-même  (t.2, p.9). Donc, l'esprit n'est rien d'autre et rien de plus que la Raison vérifiée ; mais il reste sous le régime de la liberté.

De plus, l'identité entre soi et la chose même devient ainsi l'identité entre la conscience éthique et la substance éthique. Quant à l'Esprit qui est l'unité de l'une et de l'autre, il est effectivité éthique (t.2, p.10).

2.2.1. La conscience morale pour une reconnaissance concrète

La conscience morale est au fond une conscience qui n'est plus conscience. Ceci dans la mesure où elle a perdu le sens de «l'opposition de la certitude de soi-même et de l'objet » (t.2, p.142). Accomplie comme certitude morale ou encore bonne conscience, elle est de par les échecs de la conscience historique une sorte de réactualisation de la conscience honnête. Il y a cependant une différence qui la plonge dans une abstraction beaucoup plus poussée : «  si la connaissance honnête saisit seulement toujours la chose même vide, la certitude morale enfin la gagne dans son emplissement qu'elle se donne par soi » (t.2, p.176).

De ce fait, la conscience morale ne renonce pas en principe à l'effectivité. Mais elle décrète que l'effectivité est immédiatement engagée avec la conviction qu'elle a de pouvoir être reconnue. Et notre auteur écrit à ce propos :

« L'effectivité étant de la certitude morale est une [effectivité] telle qu'elle est soi, c'est-à-dire l'être-là conscient de soi, l'élément spirituel du se-trouver-reconnu. Le faire est par conséquent seulement le transposé de son contenu, et c'est justement le fait qu'il soit reconnu qui fait de l'opération, l'effectivité. Reconnue et par-là effective, est l'opération parce que l'effectivité étant-là est liée immédiatement à la conviction ou au savoir, ou [que] le savoir de son but est immédiatement l'élément de l'être-là, le reconnaître universel » (t.1, p.175).

Nous découvrons à travers le morceau choisi que la conscience inclut dans son propre concept l'exigence d'un agir concret comme élément déterminant de la reconnaissance. Or tel que nous voulons argumenter, cette reconnaissance dépend de la qualité de sa certitude morale. Dès lors qu'elle énonce cette certitude, elle est reconnue de manière effective. Or Hegel ramène le monde au savoir. Ce savoir lui-même échappe à toute universalité objective à cause de l'immédiateté de l'intuition de soi16(*). On ne peut donc plus parler de reconnaissance au sens propre.

Vu de cette manière, nous mettons un peu en jeu le destin de la reconnaissance. La belle âme17(*) n'a d'autre `faire' que « l'aspiration qui se perd seulement dans le parvenir de soi-même à l'objet dépourvu d'essence, et, par-delà perte tombant dans soi en retour, se retrouve seulement comme [conscience] perdue » (t.2, p.189).

Dès lors, il s'avère nécessaire que la conscience se convertisse à une nouvelle attitude. Aussi vrai que soit et nous l'avons vu, le passage d'une figure à l'autre, plus vrai encore est l'accès à l'expression de la liberté authentique. C'est un pléonasme plus que jamais nécessaire de souligner à quel point cette liberté est libre. Et nous savons bien que l'homme le plus imperméable à la raison est celui qui s'enferme dans une certitude immédiate.

2.2.2. La « conscience opérante » et la « conscience jugeante »

Nous avons vu que la conscience est libre de se livrer ou non à la sortie de soi. A partir de ce fait, une nouvelle expérience se définit. D'une part il y a la conscience de soi qui consent et agit, et d'autre part, celle qui fait choix d'une intériorité abstraite et ineffective. En termes hégéliens, il s'agit de la conscience opérante et de la conscience jugeante. Qu'est-ce qui fait le jugement ? Pourrait-on se poser la question ? La conscience est jugeante parce qu'elle refuse de se compromettre avec les limites qu'implique l'agir concret. Elle se contente alors « d'énoncer ses convictions vécues excellentes » et de « mettre le devoir seulement dans ses discours » (t.2, p.193).

La conscience jugeante, lorsqu'elle arrive à reconnaître son inégalité avec elle-même, se fait égale de la conscience opérante. Celle-ci prend alors acte de cette inégalité, confesse sa propre inadéquation par rapport à son concept, donc par rapport à la réalité historique. Aussi « se trouve intervenir l'être-là de la reconnaissance » (ibidem : 196). La reconnaissance réciproque qui en découle est ce que Hegel appelle l'Esprit Absolu. Il dit à cet effet :

« Le mot de réconciliation est l'esprit étant-là qui s'intuitionne le savoir pur de soi-même comme l'essence universelle de son contraire, dans le pouvoir pur de soi comme de la singularité étant absolument dans soi, un reconnaître réciproque qui est l'esprit absolu » (Ibidem : 198)18(*).

Il est vrai que c'est la conscience agissante qui vient enclencher le processus ; mais la résolution du débat montre bien qu'elle n'a pu tirer d'elle-même la substance de cet agir que dans l'universalité qui l'habite. Cette universalité qu'elle devient, pouvons-nous dire, mieux qu'elle a recueilli comme sienne se fait à travers le pardon que l'autre lui consent. Et puisqu'on aboutit à un reconnaître qui est Esprit, le contenu de la reconnaissance, c'est un développement qui en retrace les grandes étapes. Son accomplissement plénier et sa récapitulation se fait dans le oui qu'échangent les deux consciences de soi. Elles se sont élevées maintenant par les voies d'expériences, à la singularité agissante et de leur universalité conceptuelle.

Le langage ici se ramène simplement à un consentement qui est l'identité spirituelle fondamentale. Cette identité n'est rien d'autre que raison de la différence entre les singuliers et en même temps raison de leur rencontre de vérité.

« Le Oui réconciliant dans lequel les deux Moi se désistent de leur être-là opposé, est l'être-là du moi étendu jusqu'à la dualité, Moi qui en cela reste égal à soi-même, et qui sans sa complète aliénation et dans son contraire complet a la certitude de soi-même ; - il est le Dieu se manifestant au milieu d'eux qui se savent comme le pur savoir » (t.2, p.200).

La vérité de ce texte nous met face au « savoir absolu » qui s'annonce ici comme savoir pur. Pour l'instant nous ne nous étendons pas là-dessus19(*).

Conclusion

Nous essayons maintenant de donner quelques remarques conclusives de cette deuxième partie sur la reconnaissance. Tout d'abord, le mouvement de reconnaître qui semblait être un effort de mettre face à face deux termes différents et corrélatifs : Je et Nous. Mais il apparaît au terme de ce parcours une origine spirituelle commune. Dès lors, les singuliers tirent leur contenu de leurs différences humaines. C'est en effet cette unité qui se trouve étendue à la dualité. Ensuite, le savoir pur qui résulte pour Hegel de l'identification dernière entre deux réconciliations (historique et religieuse) est différent d'un pouvoir dû à l'accumulation des biens matériels. C'est au contraire le fruit d'un dépouillement, d'une perte de toute assurance. Car, il faut que chaque singulier se désiste de soi. Il faut aussi qu'il accepte de n'avoir sa certitude de soi que dans son contraire. Ce n'est que cette attitude-là qui permet d'accéder à la liberté d'une parole réellement créatrice. Ainsi, le « savoir absolu » naîtra de l'ultime dépouillement de l'individu naissant à sa liberté en s'arrachant à toute certitude immédiate de soi-même.

Donc, la conscience de soi nous aura appris qu'« il n'y a pas de connaissance qui ne soit reconnaissance ». Autrement dit, le problème épistémologique ne trouve solution qu'au plan anthropologique. Le mouvement de la Raison effectuant nous a appris qu' « il n'y a pas de reconnaissance agissante qui ne soit universelle », c'est-à-dire, à la fois singulière et sociale.

Enfin, le parcours des figures de l'esprit nous a éveillé à « la pratique de la reconnaissance universelle » en nous arrachant à la double illusion, à savoir : celle de la conscience universelle qui refuse de s'engager dans sa plénitude spirituelle et celle de l'individu qui s'aliène dans la particularité de son agir. Celle-ci d'ailleurs bouleverse l'ordre social en se posant immédiatement comme universelle20(*).

En somme, la reconnaissance historique concrète est négation. C'est une négation transformante, créatrice, qui nous fait déboucher sur la liberté. Cette liberté a sa raison dans l'Esprit qui la réalise et lui confère l'effectivité qui est sienne.

PARTIE III : LIMITES ET CONTINUITE DE LA DIALECTIQUE DE LA RECONNAISSANCE

CHAPITRE I : CRITIQUES

La dialectique de la reconnaissance telle que nous venons de l'étudier a un double aspect. Il y a dans un premier temps le fait que le conflit est constitutif de l'humanité. Dans un second temps, nous constatons à travers le dialectique que le travail a des vertus humanisantes. Par ce fait, il est alors méditation, au sens hégélien et non pas un but. Abel Jeannière, ayant aborder cette perspective affirme a la suite de Hegel que :

« Seulement le travail serait humanisant dans la mesure où il conduit à une connaissance et une reconnaissance, donc à un mode, même inégal, de communications humaines. Comment le travail peut-il humaniser si la communication qui s'établit par lui se ressoude en définitive, dans la pure opposition, dans la lutte des classes ? » (1989 :126).

La perpétuelle lutte des classes fait que la dialectique de la reconnaissance soit un éternel recommencement. C'est précisément à ce niveau que Hegel nous laisse sans explication. Pour lui semble-t-il, le progrès social tient à l'évolution dont la civilisation est le prolongement sur le plan humain. La réduction du plus faible aux fins du plus fort et du plus intelligent est en effet la racine de tout progrès. C'est dans ce sens que Gaston Fessard reprend les mots de Hitler et dit : « sans la possibilité qui est fut offerte à l'Aryen d'employer des hommes de race inférieure, il n'aurait jamais pu faire les premiers pas sur la route qui allait les conduire à la civilisation »21(*).

Et le rapport de l'homme à l'homme contient déjà le type humain du rapport à la nature tel qu'il se révélera dans le travail.

A travers notre étude, il ressort que le fait primordial de l'histoire chez Hegel est la lutte et la lutte à mort. Ceci met en exergue la dimension politique du vécu social. Et le travail qui fait appel à l'économique est relégué au second plan. Or nous pensons qu'on peut séparer politique et économie : ce sont deux dimensions du social. Leur rapport constitue une unique dialectique et dans cette dialectique :

«  Les deux instances : lutte à mort et travail, c'est-à-dire, à leur fondement, politique et économie semblent bien être tour à tour premières. Aujourd'hui il n'est plus d'initiative économique qui soit pas politique ; quant au politique son expression effective est forcement économique » (Abel Jeannière, 1989 : 127).

A partir de ce qui précède, il ressort deux limites à partir desquelles nous voulons rejoindre le point de vue de Jeannière. Pour lui l'esclave seul peut accéder à l'idée d'une société oeuvre de tous et de chacun. Et par ce fait, il est « le premier instrument technique au service d'une civilisation naissante » (Gaston Fessard, op.cit.).

Le travail fait alors arriver à une double libération une libération matérielle et donc économique, et, une libération politique.

I . 1. Le travail comme source de libération

Par la médiation du travail, l'esclave se forme une intuition et seulement une intuition de la liberté. Le travail dans la vision de Hegel est une valeur. Il a une fonction formative. Par celui-ci, l'homme a une intuition de son indépendance et se pose comme sujet historique. Le mode de l'histoire est fonction du travail et de la culture. On accède à l'humanité par le travail et la culture.

« Et c'est ainsi que peu à peu il accède à l'humanité parce qu'il a cessé d'être mû par ses désirs. Il devient homme de façon plus radicale que le maître, qui suivant le mot de Kojève n'aura été, à l'origine, que le catalyseur indispensable de l'humanité. il apprend une sagesse que le maître ignore » (A. Jeannière, 1989 : 112).

I.1.1. Libération économique.

Disons de manière générale que, le travail rend l'homme maître de la nature. Cet homme qui travaille dans le cas de notre étude se nomme l'esclave. Tandis que le maître apprend à le maîtriser, ce dernier apprend la maîtrise de soi à travers la nature.

« Et c'est ainsi que parce que servile, le travail est formation et culture. Le travail est à la fois transformation du monde et création de l'homme. Exercé sur la nature qu'il humanise, le travail est aussi transformation de l'esclave en l'homme » (Abel Jeannière, 1989 : 112).

Or nous savons que si l'homme est devenu esclave, c'est d'abord par crainte de la mort. C'est aussi par attachement à la vie biologique. Ensuite c'est parce qu'il n'a pas surmonté sa nature. Bref, sa faiblesse est due au fait de sa soumission à la nature.

Mais la maîtrise de la nature, à travers le travail, conduit à la maîtrise de sa nature. Et par ce fait, le travail le libère de sa subordination au maître. Nous pouvons alors dire sans grand risque de se tromper que si l'homme n'est plus esclave de la naturalité en lui, il cesse d'être esclave de son maître et puisque :

«  l'esclave connaît de mieux en mieux son apport à la nature, il devient intelligent, mais un tel rapport suppose : service, règle extérieure, désir refréné ; il ne peut exister que pour l'esclave » (Abel Jeannière, 1989 : 117).

I.1.2. Libération politique

A ce niveau le travail est source d'autonomie. Tout d'abord, le travail libère l'homme du maître. Cette libération nous paraît inéluctable. Car la maîtrise de la nature lui confère un avantage sur le maître qui se transforme en maîtrise. De manière évidente, le maître devient dépendant à l'égard de l'esclave, et donc un assisté. Mais l'angoisse qu'il fait peser sur les esclaves pour lui obtenir son obéissance va lui apprendre deux choses. D'abord que l'existence naturelle à la quelle il tenait tant est en réalité sans valeur pour lui. Ensuite il apprend que la liberté seule vaut la peine d'être vécue.

Dans la servitude, l'esclave acquiert, la notion d'une véritable indépendance à l'égard de la nature. Ainsi, grâce à l'obéissance, il arrive à une maîtrise de soi. Celle-ci est le reflet de celle que le maître exerce sur lui. « La crainte du maître est le commencement de la sagesse », dit ici Hegel en citant la Bible.

Ceci nous fait soupçonner à quelle source Hegel a puisé toute sa dialectique, et en même temps, cela caractérise le second degré franchi par l'esclave. Car le maître ignore une telle sagesse. Faute d'être passé par la dure école de la servitude, il reste semblable à ce que l'esclave était au départ : un être exclusivement mû par ses désirs. C'est à ce niveau précisément que nous retombons au début du processus dialectique. Nous nous rendons bien compte que :

« ... le manque de liberté de l'esclave, son humanité incomplète est la source du dilemme du maître : celui désire en effet être reconnu par un autre être humain, il veut la reconnaissance de sa valeur et dignité propres. Au lieu de cela, il est reconnu par l'esclave dont l'humanité est restée inachevée parce qu'il y a renoncé par peur de la mort. La valeur du maître est donc reconnue par quelqu'un qui n'est pas complètement humain. D'où l'insatisfaction » (Francis Fukuyama, 1992 : 226).

Or, il n'y a de reconnaissance que mutuelle. Toutefois l'analyse hégélienne nous rappelle une évidence : l'homme est perfectible. Ceci nous montre que la nature humaine n'est pas fixée. Elle est toujours en devenir. Et c'est cette nature «indéterminée » de l'homme qui confère au travail une fonction centrale.

«  C'est par le travail et noble loisir qu'on accède à une plus haute humanité. La dimension fondamentale de l'homme n'en apparaît pas moins politique au sens aristotélicien du terme. Etre homme c'est être connu et reconnu » (Abel Jeannière, 1989 :113).

Hegel est théoricien d'une nouvelle nature qui n'est assimilable à l'homme que dans un mouvement social de transformation de la nature. Ceci constitue d'ailleurs le monde du travail. La dialectique dans sa complexité vient alors définir non seulement la société, mais aussi l'esprit lui-même.

« Après la création de la nature, l'homme apparaît et s'oppose au monde naturel : il est l'être qui s'élève dans un univers second. Notre conscience générale comporte la notion de deux genres : celui de la nature et celui de l'esprit. Le royaume de l'esprit comprend tout ce qui est produit par l'homme » (1968 : 88).

CHAPITRE II : La reconnaissance dans la vie éthique

II.1. Ethique

Hegel a voulu reconstituer en termes philosophiques le processus d'édification d'une communauté éthique, conçu comme le développement graduel d'une lutte pour la reconnaissance. Et il apparaît au cours de l'histoire de la pensée post-hégélienne un certain nombre de prémisses théoriques, dont il faut tenir compte si l'on veut donner à la pensée de Hegel une portée actuelle. On s'appuie sur le modèle d'une théorie sociale à teneur normative. Pour ce cas précis, on se trouve confronté à trois tâches précises. Elles découlent du changement de situation de la réflexion théorique.

Le modèle de Hegel selon lequel la formation de la subjectivité est pratique présuppose la reconnaissance réciproque des sujets. Lorsque chacun des deux se trouve confirmé dans son activité propre par rapport à son vis-à-vis, c'est alors qu'il parvient à se comprendre comme Je. C'est un individu agissant de façon autonome. Cette thèse constitue le point culminant de la lutte pour la reconnaissance. Or, le mot reconnaissance a plusieurs sens qu'il convient de distinguer pour une meilleure compréhension en éthique (Didier Julia, 1985 : 251).

- Reconnaissance veut dire : identifier, distinguer, reconnaître quelque chose ou quelqu'un, un signifié ou explorer un terrain, examiner, vérifier. Fonction cognitive qui est le corrélât de la représentation, du connu qu'il faut retrouver, et comporte le risque de l'erreur, de la méprise, du malentendu, de la méconnaissance.

- Reconnaissance veut aussi dire assumer ses actes, sa responsabilité, reconnaître ses fautes et ses dettes, ses devoirs, ses enfants, ses appartenances ; notion morale d'aveu et de bonne foi qui concerne l'énonciation. C'est le corrélât de la séparation entre émetteur et récepteur, comportant le risque de la tromperie, de la mauvaise foi, du parjure mais aussi du refoulement ou de l'oubli. Le mot reconnaissance peut avoir effectivement le sens de reconnaître ce qu'on avait d'abord renié, reconnaître qu'on avait menti.

- Reconnaissance veut enfin dire remercier, redevoir, gratitude et réciprocité, reconnaissance mutuelle (désir de désir). Cela concerne l'interlocuteur cette fois et les signes de reconnaissance ou les signes d'amour (rétroaction positive). Ce qui est le corrélât de la relation, de la communication et dont le risque n'est plus la méprise mais le mépris, l'inégalité des positions entre celui qui donne et celui qui reçoit. La vérité est donc ici un rapport à l'autre invoquant un tiers arbitre, elle est d'abord sociale. La reconnaissance que chacun peut attendre est la reconnaissance d'une dette réciproque envers l'autre. Cependant, la lutte entre groupes introduit dans la notion de reconnaissance des formes de reconnaissance qui ne sont pas rationnelles. Nous pouvons citer entre autres le nationalisme. Il est beaucoup plus une manifestation du désir de la reconnaissance.

« Le désir d'être reconnu qui est fondé sur la nationalité ou la race n'est cependant pas un désir rationnel. La distinction entre humain et non-humain est totalement rationnelle : seuls les êtres humains sont libres, c'est-à-dire capables de lutter pour leur reconnaissance dans une bataille de pur prestige. Cette distinction est fondée sur la nature, ou plutôt sur la séparation radicale entre le domaine de la nature et celui de la liberté » (F. Fukuyama, 1992 : 235).

La lutte à ce niveau, même à l'échelle internationale, présente la même impasse que celle entre maître et esclave au niveau individuel. Une nation devient pour ainsi dire esclave de l'autre qui devient maître. Or, les prétentions essentielles de la vie sont naturellement présentent dans toutes personne. On peut retrouver dans chaque personne le désir de justice, de la dignité humaine, de l'intégrité morale. L'élément moteur à ces désirs dont nous parle Fukuyama est appelé thymos22(*). Il est le facteur central de la vie politique.

« Ce thymos paraît lié à un ordre politique satisfaisant d'une certaine manière, puisqu'il est la source du courage de l'ardeur envers le bien public et d'une certaine répugnance à se compromettre moralement. Le bon ordre politique a besoin d'être quelque chose de plus qu'un pacte mutuel de non-agression (...) Il doit satisfaire le légitime désir de l'homme pour la reconnaissance de sa dignité et de sa valeur » (1992 : 202).

La reconnaissance dit la vérité de la reconnaissance d et de l'apprentissage. Elle consiste aussi à surmonter la séparation de l'information et le risque d'erreur lorsqu'elle se porte avec confiance au devant d'une réalité extérieure.

La liberté humaine se glisse dans cet écart entre vérité et reconnaissance. On le voit dans les ratés de l'analogie qui est à la base de tout apprentissage ou dans les capacités de dissimulation nécessaires à toute communication sociale. Mais le mécanisme de la reconnaissance semble bien s'identifier avec la subjectivité elle-même. On présente souvent la question de la subjectivité du vivant comme un mystère alors que la question nous semble relativement simple. Ce qui constitue la subjectivité, c'est le récepteur de l'information, son effet, son intégration à nos représentations (sens) et son caractère décisif pour l'action (pertinence). Lorsque le récepteur est câblé, la réponse est automatique. Il y a par contre subjectivité lorsqu'il y a apprentissage, accumulation d'expériences singulières qui modifient en permanence la perception extérieure, notre reconnaissance de ce qui arrive. L'apprentissage introduit la finalité dans la chaîne des causes en visant la répétition d'un plaisir ou l'évitement d'une douleur. L'intentionnalité se constitue en visant un objectif déjà connu. Elle résulte de la remémoration, de l'apprentissage d'un plaisir éprouvé et de la capacité de répétition, c'est-à-dire de reconnaissance de ce qui en a été la cause. Dans une interaction avec une autre subjectivité, il y a apprentissage réciproque, c'est en quoi on l'éprouve comme subjectivité vivante. Sur ce terrain, même avec un animal, l'approche se fait sur un pied d'égalité, pas à pas, ou ne se fait pas.

Le véritable mépris est alors le mépris de la réalité de l'autre, de sa considération, sa dignité, son estime, l'attention qu'il mérite comme interlocuteur. La véritable reconnaissance mutuelle, la mutualité n'est pas la simple réciprocité de l'échange. Le contre-don n'est pas le paiement d'une dette ou d'une restitution. Voilà pourquoi il est insultant de rendre immédiatement, contrairement à l'échange marchand. On ne rend pas un bienfait, on donne en retour, ce qui garantit l'égalité des dons. Ne pas attendre de réciprocité est le fondement d'une réciprocité crédible, libre, non hypocrite. Celle-ci est création d'un lien social qui est reconnaissance de l'autre, de son prix, qui a besoin tout autant de la générosité d'accepter un don offert.

En se reposant ainsi sur une supposée objectivité des capacités d'un individu et sur l'égalité des dons, on évacue les impasses du désir de reconnaissance comme désir de désir, comme domination affective. La reconnaissance est presque toujours inégale et la réciprocité de l'amour exceptionnelle. On sait que pour Hegel, conformément à la morale aristocratique, c'est le mépris de la mort, le risque de la vie qui fait l'humanité du maître, la preuve de sa liberté, du poids de sa parole et de sa valeur spirituelle. Ce dernier renvoie ainsi l'esclave à la dépendance des besoins animaux, aux contraintes de la nécessité. Mais le maître a-t-il acquis ainsi une reconnaissance dont il puisse se satisfaire à vie ? L'accord des désirs est beaucoup plus rare. Il reste malgré tout une certaine réciprocité entre interlocuteurs inégaux. Mais la reconnaissance n'est jamais gagnée d'avance, toujours insuffisante et fautive car, par définition, elle est restrictive, limitée, ponctuelle. Elle est confrontation au réel toujours à refaire et qui ne va pas sans méconnaissance de tout ce qu'elle ne reconnaît pas. Cela ne doit pas empêcher une d'autant plus nécessaire politique de reconnaissance.

« Pour Hegel, la société libérale est un accord égal et réciproque entre citoyens pour se reconnaître mutuellement. Si le libéralisme selon Hobbes ou Locke peut être interprété comme la poursuite de l'intérêt personnel bien compris, le libéralisme hégélien peut être vu comme la poursuite de la reconnaissance rationnelle, c'est-à-dire la reconnaissance sur une base universelle selon laquelle la dignité de chaque personne comme être humain libre et autonome est reconnu par tous » (Fukuyama, 1992 : 234).

L'erreur ici serait de réduire la vérité à la question de la reconnaissance. Et au nom de notre égalité de sujet on risque de mettre au même niveau tout savoir et toute vérité. Pourtant la nécessité d'une vérité efficiente demeure entière même si toute vérité reste incertaine. Et lorsque nous émettons des paroles trompeuses ceci nous oblige à donner des gages et mettre notre vie en jeu pour justifier notre intervention. La valeur de vérité se mesure dès lors à notre investissement dans le jeu avec l'autre, à ce qu'on est prêt à y sacrifier. On ne peut éviter la douleur du négatif. La dialectique historique continue. Il faut payer le prix de chaque vérité, prendre le risque de se tromper et de perdre l'estime des autres.

C'est à partir de là que Francis Fukuyama nous aide à identifier des questions sans y répondre : que seront la vie et les moeurs d'une société mondialisée, qui vivra globalement et en temps réel les événements, les idées et les passions ? Comment échapperons-nous à la menace de la barbarie qui resurgit toujours lorsqu'à l'incertitude totale nous ne pouvons tenter l'issue d'une renaissance ? Une issue se présente à nous, c'est celle de morale.

II.2. Morale

Il y a un besoin très fort aujourd'hui de ressourcer la réflexion morale. Celui est plus profond que la spéculation sur les relations de la liberté et de l'interdit, sur la raison pratique et sa séparation de tout affection et sentiment. Il se pose alors la question de l'éveil en chacun de la conscience morale. L'on doit aussi revoir comment être concerné par l'autre en sa manifestation dans l'espace de ma subjectivité. Il faudrait aussi voir et savoir ce qui (antérieur à toute décision et à toute revendication d'autonomie), me lie à autrui et par le fait même rend possible le déploiement d'un univers humain. C'est le lieu même du passage du pathique à l'éthique, du vécu originaire à l'exercice effectif de la volonté et la raison, ce en quoi se réalise la moralité.

L'esclave se reconnaît à sa valeur morale. Or, la valeur et la morale de l'esclave sont celles du ressentiment. Ressentiment parce que l'esclave n'existe que par rapport au maître. Il se définit contre le maître. Et de toute façon, fort est de constater que même quand les vrais maîtres ont disparu l'esclave se définit toujours contre quelque chose où contre quelqu'un. Nous pouvons alors dire sans risque de nous tromper que les démocrates et les socialistes se comportent à ce point de vue comme les chrétiens. Ils disent que leur morale est un combat pour la justice. Ceci n'est pas tout à fait faux. Mais il faut dire que c'est une morale qui vient en réaction à quelque chose. On part d'un constat, puis on dénonce une situation d'injustice qui laisse place à la lutte contre les hommes et les idées. On est donc en face des hommes de ressentiment : leur amour est un faux amour. Cette rancoeur contre les injustices perçues, dénoncées, est en fait, l'efflorescence d'une haine épouvantable pour la vie. Ils n'ont l'amour des petits que parce qu'ils ont la haine des grands. C'est pourquoi « l'amour des petits rend petit »23(*).

Le maître, l'aristocrate, ne se définissait pas contre quelque chose ou contre quelqu'un. Il laissait déborder en lui et sur les autres les puissances de vie. Mais de tels maîtres n'existent plus.

La société actuelle a des maîtres qui prétendent servir. Or, la distinction est grande entre les patrons, riches, nouveaux maîtres et la masse. Cette différence tient au fait que les premiers sont propriétaires. Ils ont de l'argent et du pouvoir qu'ils défendent au mépris des autres. C'est d'ailleurs dans ce sens que Hegel évoquait la conscience malheureuse. Elle marque l'avancée d'une conscience qui accepte de ne plus faire choix d'un élément du réel en excluant l'autre. Mais elle doit prendre sur elle avec courage leurs tensions non encore réconciliées.

« La reconnaissance [ici souhaitée] ne pouvait être rationalisée que si elle était placée sur une base universelle et égalitaire. La contradiction interne de la relation maître-esclave se résolvait en un Etat qui synthétisait avec succès la moralité du maître et celle de l'esclave » ( Fukuyama, 1992 : 234)

En sens, la conscience malheureuse représente un passage obligé. Son émergence nouvelle est ici le signe que l'univers se noue dans sa vérité à venir. Tous les éléments d'une reconnaissance historique sont désormais présents. En sorte que si l'on entend le tumulte des voix désaccordées, c'est parce qu'aucun élément ne se laisse oublier. Dès lors la cacophonie qui paraît être un non-sens devient promesse d'une harmonie future.

Ici donc s'affrontent, se cherchent et s'accordent petit à petit les dimensions à conjoindre des faits et des valeurs, du singulier et de l'universel. La recherche pour l'histoire d'un sens qui procède réellement d'un engagement et d'une actualisation authentique de la liberté. C'est la liberté entendue comme reconnaissance de soi et de l'autre, qui se cherche dans l'unité du monde de la conscience et du monde de la conscience de soi. C'est une unité différenciée de la subjectivité et de l'objectivité. La pensée exprime alors cette articulation interne de la réalité : « dans le pensé, je suis libre, parce que je ne suis pas dans un autre, mais reste purement et simplement chez moi-même, et l'objet m'est l'essence de mon être-pour-soi en unité inséparée : et mon mouvement dans [les] concepts est un mouvement dans moi-même » (t.1, p.168).

Telle est alors la Raison, réconciliation de l'intériorité et de l'extériorité, certitude d'être toute réalité : mouvement de sortie de soi vers soi-même (t.1, p.323).

Conclusion

L'analyse phénoménologique opérée par Hegel entre les différentes formes de reconnaissance n'est pas dépourvue de tout rapport à la réalité vécue de la société. Ce qu'il y a de stimulant dans cette approche c'est que la lutte pour la reconnaissance constitue la force morale qui alimente le développement et le progrès de la société humaine. Voilà pourquoi il s'est avéré important de rechercher à travers l'histoire de la pensée post-hégélienne d'autres théories qui obéiraient à la même intention fondamentale. Parmis celles que nous avons parcouru, le courant de pensée illustré par Karl Marx, Nietzsche et Kierkegaard met en exergue quelques limites et oppositions à celle de hegel. Tandis que Abel Jeannière et d'autres (F. Fukuyama, G. Fessard, Axel Honneth...) en sont les continuateurs. Tous ont incontestablement élargi et enrichi le modèle d'une lutte pour la reconnaissance de Hegel.

Pour Axel Honneth, la dimension morale est inhérente à tout affrontement. Il reconstruit l'évolution sociale selon une succession de luttes réelles et symboliques. Dans celle-ci, l'individu cherche beaucoup plus à être reconnu dans son individualité qu'à supprimer ou abaisser son adversaire. Ce lien de reconnaissance se réalise alors dans un espace que façonnent l'amour, le droit et la solidarité (2000 : 7-8).

Il faut néanmoins insister sur le fait d'une contradiction dans cette dialectique. Celle-ci fait déboucher sur la valorisation du travail. En effet la dialectique n'apporte pas une solution radicale pour la liberté. Mais, elle est guidée dans l'esprit du maître par la peur de la mort. Si le maître ne peut en effet accepter l'altérité de l'autre conscience de soi comme libre, c'est parce que cette altérité est comme telle une limite qui le particularise ; le maître n'a pas accepté de mourir, d'être dépossédé véritablement de son moi. Il s'imagine vu mort par un autre, cela lui coûte. Voilà pourquoi il vise la perpétuation de sa vie particulière. C'est ce qui conduit au fait que chaque conscience de soi est incapable d'accepter la mort dès lors qu'elle se la représente.

Et donc, par l'intermédiaire de l'éthique et de la morale, Hegel nous donne de poursuivre une reconnaissance rationnelle ; c'est-à-dire la reconnaissance sur une base universelle. Dans celle-ci la dignité de chaque personne comme être humain libre et autonome est reconnue par tous. La chose la plus importante que cela procure est la reconnaissance de notre dignité.

CONCLUSION GENERALE

Il n'est pas facile de conclure et d'apprécier à sa juste valeur une oeuvre dont Maurice Merleau-Ponty disait qu'elle est à l'origine de tout ce qui s'est fait de grand en philosophie depuis un siècle (1948 : 109).

De plus, il semble étonnant de savoir que Jacques Derrida estime que « le débat avec Hegel est infini et interminable » et que Michel Foucault se demande si : « une philosophie peut encore exister qui ne soit pas hégélienne »24(*). Il s'y dégage un point commun à ces deux penseurs contemporains. C'est qu'ils ne sont pas sans savoir que s'opposer à Hegel, c'est aussi bien l'accueillir. Qu'elle soit bienvenue ou non, sa philosophie est un chemin qui conduit à toutes les pensées. Car on ne peut demander la signification de la pensée parce que sa signification, c'est elle-même.

Ce modeste travail n'a nullement eu la prétention d'être une appréciation globale de la pensée de Hegel. Nous nous sommes limités à sa Phénoménologie de l'esprit et plus précisément au problème de la reconnaissance à travers la dialectique de la domination et de la servitude.

On pourrait alors oser résumer Hegel par sa dialectique. Ceci signifie qu'il ne faut pas juger les choses d'après leur état actuel, mais considérer à chaque fois le processus dans lequel le fait considéré est apparut. C'est ainsi le point de départ de toute évolution et de l'histoire dans la pensée.

Il faut en plus considérer qu'à chaque fois le processus signifie que toute chose est éphémère. Il y a aussi à considérer que tout bien a son mauvais côté. Car :

« Dans la conception positive des choses existantes, la dialectique inclut du même coup l'intelligence de leur négation fatale, de leur destruction nécessaire, parce que, saisissant le mouvement même dont forme faite n'est qu'une confirmation transitoire, rien ne saura lui en imposer ; parce qu'elle est essentiellement critique et révolutionnaire » (Karl Max : I, 559).

Voilà pourquoi il n'y a pas de vérité en soi, hors de l'histoire et du temps, mais seulement pour un sujet concret. Le `' savoir absolu'' est simplement la certitude que tout savoir résulte d'un apprentissage. Mais le processus implique une force motrice. C'est la force de l'esprit. Chez Hegel, elle se confond avec la négativité25(*). Le processus commence par l'opposition du sujet à l'objet dans la perception, pour se réaliser à la fin comme liberté consciente d'elle-même et reconnaissance mutuelle.

Le processus dialectique est le mouvement de cette négation. Nous pouvons le décomposer par la position (thèse), l'opposition (antithèse), puis la synthèse temporelle comme processus conscient de soi. C'est la négation de la négation. La phénoménologie de l'esprit, illustre la dialectique par l'histoire concrète qui commence avec la conscience, puis par négations successives, la conscience de soi et enfin la conscience pour un autre. Celle-ci aboutit à la lutte du maître et de l'esclave. Cette lutte initie l'histoire humaine. C'est l'histoire concrète de la moralité d'abord et de la politique ensuite.

Que nous a-t-on enseigné la dialectique hégélienne ? Que les choses changent, et non pas seulement d'un changement calme et paisible ; mais en oppositions et ruptures. La prise en compte de ce dernier impose l'évidence que tout progrès de la connaissance exige le niveau logique précédent pour se constituer comme objet. La connaissance n'étant possible qu'après-coup de cet objet. Et la supériorité de la dialectique, avons-nous constaté, n'est pas dans son épistémologie historiciste, mais son enseignement moral et politique. Celui-ci consiste à faire ressortir le positif de la négation de la négation.

A partir du thème de notre recherche, que retenir de la philosophie de Hegel ? On pourrait croire qu'elle est une sorte de quintessence d'intelligibilité abstraite. On peut aussi penser qu'elle est une exaltation du concept (Hegel, 1966 : 52). Nous pensons que c'est ni l'un ni l'autre. Mais elle donne plutôt à

voir que ce qui y est en cause n'est pas la représentation, mais l'idée considérée comme concept concret. De plus cette réalité est appelée à se manifester à travers un mouvement d'une réalité qui se réalise par le même coup qu'elle réalise ce savoir. Il se met alors en place une logique dialectique qui épouse le cours de l'histoire. Puisque l'idée est l'histoire, il n'y a aucune opposition entre ce qui est intelligible et ce qui est réel : « tout ce qui réel est rationnel, tout ce qui est rationnel est réel» (Hegel, 1970 : 127). « L'histoire universelle n'est que la manifestation de la raison » (ibidem)

Et pourtant, l'histoire est inéluctablement tendue vers l'unité. Cette unité dans son progrès suscite une opposition interne. Le mal est à la mesure du bien auquel il s'oppose. Et bien évidement, le besoin d'unité renforce la rigueur des divisions. Cependant, il y a progrès vers un paroxysme. La dialectique maître-esclave dilate sans fin sa force de disjonction tandis que montent les solidarités à l'échelle mondiale. Voilà pourquoi il s'avère nécessaire d'être aussi attentif à la radicalité nouvelle des affrontements qu'à la croissance de la socialisation. L'opposition et les luttes de deux blocs (idéologiques, économiques ou politiques) sont des réalités aussi nouvelles que la mondialisation (François Perroux, 1958 : 406).

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Weil E, `'La dialectique hégélienne'', in Philosophie et réalité,

1982 Beauchesne.

TABLE DES MATIERES

SOMMAIRE i

DEDICACE ii

REMERCIEMENTS iii

INTRODUCTION GENERALE 1

PARTIE  I : PASSAGE DE LA CONSCIENCE 7

A L'AUTOCONSCIENCE 7

CHAPITRE I : DE LA CERTITUDE SENSIBLE A L'INTELLECT 9

I.1. LA CERTITUDE SENSIBLE OU IMMÉDIATETÉ 10

I. 2. LA PERCEPTION. 18

I.2.1. Le concept simple de la chose. 19

I. 2.2. La perception contradictoire de la chose. 20

I. 3 - L'INTELLECT 23

CHAPITRE 2 : L'AUTOCONSCIENCE 26

II.1. CONSCIENCE COMME ESPRIT. 28

II.2. CONTRADICTION-RÉCONCILIATION : CONCEPT ÉQUIVOQUE. 30

II.3.   LA CONSCIENCE COMME `'POUR-SOI'' 31

Conclusion 33

PARTIE II : LA RELATION MAITRE / ESCLAVE : 35

la reconnaissance 35

CHAPITRE I : Mouvement de la Reconnaissance 36

II. 1. LE MOUVEMENT 36

II.1.1. Schéma logique 36

I.1.2.La lutte pour la vie et pour la mort 38

I.1.3. Domination et Servitude : issue heureuse 40

I.2. ENTRÉE DANS LE MONDE DE LA VIE ÉTHIQUE 45

I.2.1. Le sceptique et le stoïque 46

CHAPITRE II : RECONNAISSANCE EFFECTIVE 48

2.1. FORMELLE 49

2.2. CONCRÈTE 51

2.2.1. La conscience morale pour une reconnaissance concrète 52

2.2.2. La « conscience opérante » et la « conscience jugeante » 53

Conclusion 55

PARTIE III : LIMITES ET CONTINUITE DE LA DIALECTIQUE DE LA RECONNAISSANCE 57

CHAPITRE I : Critiques 57

I . 1. LE TRAVAIL COMME SOURCE DE LIBÉRATION 59

I.1.1. Libération économique. 59

I.1.2. Libération politique 60

CHAPITRE II : La reconnaissance dans la vie éthique 62

II.1. ETHIQUE 62

II.2. MORALE 67

Conclusion 69

CONCLUSION GENERALE 71

BIBLIOGRAPHIE 74

TABLE DES MATIERES 77

* 1 Nous pouvons citer en exemple le dialogue de Platon.

* 2 Humanité est considérée comme la pleine reconnaissance de l'homme par l'homme. Il y a égalité de pouvoir.

* 3 Livre de base : Hegel, La phénoménologie de l'esprit. 1 et 2. Trad. de J. Hyppolite.

Coll. Philosophie de l'esprit, 1941, Paris, Aubier - Montaigne.

Dans la suite, nous allons juste préciser le tome et la page citée.

* 4 « La méthode n'est pas une forme extérieure, mais elle est l'âme et le concept du contenu » (Hegel, 1970 : 243). « Selon l'universalité de l'idée la méthode dialectique est autant la manière de connaître, du concept se sachant subjectivement, que la manière d'être objectif ou plutôt la subjectivité des choses, c'est-à-dire des concepts dans la mesure où à la représentation et à la réflexion, ils apparaissent d'abord comme les autres » (Hegel, Logique III, p. 371).

* 5 Le terme phénoménologie appartient au vocabulaire technique de la philosophie. Il s'agit d'un néologisme d'apparition tardive : pris littéralement et selon les habitudes étymologiques, il signifie « science » du « phénomène ». Le premier à l'utiliser, J. H. Lambert, philosophe de langue allemande (1764 dans le Nouvel Organon), l'entend comme l'une des parties d'une doctrine générale de la science : la doctrine des apparences. Kant, (premiers principes de la métaphysique de la science de la nature, 1786) recourt à ce terme pour désigner l'étude du mouvement relativement à son mode de représentation, comme phénomène du sens intérieur.

Mais Hegel lui en donne la signification philosophique actuelle et en fait un des moments principaux de sa philosophie.

* 6 Pourquoi commencer par la conscience et non par la conscience de soi ? C'est d'abord et surtout pour montrer la transformation du savoir apparent au savoir scientifique.

* 7 Et dans la note 20 correspondant à cette citation il est que c'est précisément ce résultat, cet être réfléchi en soi-même ayant en lui-même la multiplicité, qui sera l'objet nouveau de la conscience percevant .On notera que pour Hegel la richesse appartient à la conscience philosophique que la conscience sensible considère comme abstraire.

* 8 Terme de Spinoza

* 9 Posons le "Je" comme exemple pour comprendre le "Je" ne sera soi que s'il s'exprime comme autre que soi. Et l'intérieur ne sera vraiment intérieur qu'en se donnant à connaître comme tel dans l'extériorité.

* 10 Si Hegel nous parlait de l'objectivité réelle du monde, on pourrait alors faire l'expérience qu'en se heurtant aux objets par exemple, qu'on espère les voir s'animer et dialoguer avec nous.

* 11 François Peraldi, `'Hegel'' http : / / www. Geocities. com.

* 12 `'Elles'' mis pour consciences.

* 13 A travers la conscience malheureuse on peut appréhender la validité effective de la personne abstraite et aussi bien la validité de cette personne dans la pensée (t. 2, p.260).

* 14 Cette dialectique donne une pensée qui se retrouve dans l'essence objective et qui réduit celle-ci en elle-même. Le travail de l'esclave était plus haut une préfiguration de ce qui est ici le concept. On peut alors dire que le concept est le travail de la pensée.

* 15 Catégorie n'est pas principe de classification comme chez Aristote, mais elle a une portée directement ontologique et opératoire.

* 16 Nous l'avons souligné au début de la partie I de ce travail.

* 17 Expression que Hegel emprunte à Goethe.

* 18 A travers l'effectivité de cette figure historique, Hegel réalise le schéma qu'il exprimait à la section conscience de soi : « le faire n'est pas seulement à double sens dans la mesure où il est un faire tout aussi bien en regard de soi qu'en regard de l'autre... » (t.1, p.197).

* 19 Ceci pourrait être l'objet d'une autre étude

* 20 François Peraldi, `'Hegel'' http: // www. Geocities. com

* 21 Gaston Fessard, « communisme et national-socialiste :une idée croisée »

www. Catallaxia.org / backend.php. 2002

* 22 Thymos : terme que Fukuyama emprunte à La République de Platon . il est considéré comme sens de la justice inné en l'homme. il constitue le siège psychologique de toutes les vertus nobles comme l'oubli de soi, l'idéalisme, la moralité, l'esprit de sacrifice, le courage et le sentiment de l'honneur (1992 : 203).

* 23 Adage populaire.

* 24 Gwoda Adder Abel, «mondialisation ou restauration d'un ordre ancien de domination et d'exploitation ? », note de lecture de la fin de l'histoire et le dernier homme, de F. Fukuyama, Paris, 1992.

* 25 Négativité : c'est l'esprit qui dit non. Il implique la dissolution de toute particularité et par le même fait l'universalisation.






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