WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'activité culinaire des étudiants étrangers

( Télécharger le fichier original )
par Frédérique Giraud
Ens-Lsh - Master 1 de Sociologie 2006
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

III. Le mangeur étudiant

1) Le rapport à la cuisine des étudiants : corvée ou plaisir

Dans les sociétés occidentales, le rapport à l'activité culinaire est ambivalent, dans son caractère à la fois valorisant et dévalorisant. Faire la cuisine crée du lien et est source de valorisation pour son auteur. Si l'alimentation et la cuisine peuvent être source d'identité, peut-on dire qu'il existe un rapport spécifique des jeunes à la cuisine ? C'est l'hypothèse que défend Isabelle Garabuau-Moussaoui dans « La cuisine des jeunes : désordre alimentaire, identité générationnelle et ordre social »62.

Le regard porté à l'alimentation dans cette recherche ne soit pas faire surestimer l'importance de la cuisine chez un public d'étudiants. Il ne faut pas considérer que la période étudiante est un moment où l'étudiant passe beaucoup de temps à cuisiner. Pris par ses études, ses cours, l'étudiant se caractérise par une cuisine rapide, facile à faire. Plusieurs de nos enquêtés affirment ne pas avoir assez de temps pour préparer des plats compliqués. Ainsi Tsu Tsu Tuï

59 A Hubert, « Cuisine et politique, le plat national existe-t-il? », Strasbourg, Revue des sciences sociales, n°27, 8-11

60 Manuel Calvo, « Migration et alimentation » in Cahiers de sociologie économique et culturelle n° 4, p. 77.p 52-89.

61 Op cit

62 Garabuau-Moussaoui, Isabelle «La cuisine des jeunes : désordre alimentaire, identité générationnelle et ordre social » in Anthropology of food, 2001, volume 0

« Euh, oui ici quand j 'arrive ici, je n 'ai pas , je n 'ai pas fait beaucoup attention à la cuisine chinoise pour faire des trucs très très simples, parce que je ne je n 'ai pas besoin, euh je n 'ai pas le temps suffisamment de utiliser beaucoup de temps à faire la cuisine. » Les étudiants se cantonnent à une cuisine qui leur permet de dégager du temps pour autre chose. Théodora affirme :« je pense que je vais faire ce qu 'il y a de plus pratique, de plus vite fait que ... c 'est pas comme le week-end je peux me donner le temps. »

Les jeunes (20/30 ans environ) sont considérés comme ayant une alimentation déséquilibrée, déstructurée, comparée à la norme du repas « français ». Lorsqu'on analyse non pas l'alimentation comme l'acte d'ingérer, mais la cuisine, comme un système de techniques, d'actions, de savoir-faire, de symboliques, de valeurs, de représentations, on constate que les jeunes ont un rapport complexe au savoir et au savoir-faire venant de leurs parents: entre rejet et volonté d'apprendre. Ils sont pris à chaque fois dans des injonctions paradoxales : se définir, dans la cuisine, comme un groupe d'âge autonome et en rupture avec les valeurs de leurs parents et, à la fois, se réapproprier les normes incorporées depuis leur enfance sur l'alimentation et la cuisine. Le système culinaire des jeunes se construit en opposition à la cuisine traditionnelle (et maternelle), qui demande des compétences que les jeunes ne veulent ou ne peuvent mobiliser, pour trouver une identité différente, alternative, qui puise ses références et ses valeurs dans l'expérimentation et la créativité.

Le moment de la jeunesse est un moment de découverte et d'ouverture au niveau culinaire ; le départ de chez les parents est un moment où les jeunes vont développer une cuisine alternative à celle de leurs parents et l'intégration de produits étrangers peut participer de cette prise de distance. Les jeunes valorisent la créativité, la nouveauté, les mélanges. De ce point de vue la situation de migration peut constituer le moyen de connaître d'autres pratiques que celles de sa famille et de son pays.

On est d'autant moins attaché à reproduire les pratiques alimentaires typiques de son pays d'origine que l'on part moins longtemps. Dès lors le séjour à l'étranger est perçu comme un intermède, une parenthèse temporelle pendant laquelle on laisse de côté ses préférences alimentaires au profit de pratiques plus diversifiées.

Dans les familles qui s'installent ensemble à l'étranger, l'alimentation, à l'instar de la langue peut constituer l'un des éléments de continuité des traditions familiales comme on peut le voir dans les documentaires de Néna Baratier63. La mère peut avoir à coeur d'apprendre à ses enfants, le plus souvent à sa fille, les traditions culinaires parce que l'alimentation recouvre plus que le seul fait de se nourrir.

Les pratiques culinaires sont par exemple liées aux ancêtres chez les cambodgiens, de sorte qu'apprendre à cuisiner c'est aussi apprendre le respect des anciens.

On est d'autant moins attaché au maintien de pratiques alimentaires identiques à celles de son pays d'origine que l'alimentation tient une place marginale dans la culture familiale du migrant, que l'individu migrant n'a pas déjà appris à faire la cuisine chez lui.

L'idée est que nos enquêtés ne cherchent pas à reproduire en France les pratiques culinaires de leur pays, à deux exceptions près. L'attitude la plus répandue consiste à s'ouvrir à des pratiques alimentaires nouvelles, à de nouveaux produits. Il faut alors expliquer pourquoi certains de nos enquêtés sont particulièrement soucieux de reproduire en France l'alimentation

63 Baratier, Néna, Le Repas des ancêtres. La cuisine des autres, Coll. Ethnologie Europe, CNRS Image, 1994 et Les Mains dans le plat. La cuisine des autres, Coll. Ethnologie Europe, CNRS Image, 1995

Il s'agit pour le premier d'un documentaire sur les Cambodgiens en France et le second concerne les pratiques culinaires de familles africaines.

de leur pays. Lorsque nos autres enquêtés le font également, c'est en des temps et des contextes particuliers que nous devrons élucider.

Malheureusement nous nous sommes rendus compte trop tardivement de ce phénomène de sorte que nos entretiens ne nous permettent pas de tirer suffisamment au clair les phénomènes de maintien ou de non maintien des pratiques. Nous ne disposons des éléments d'analyse de la socialisation alimentaire de nos enquêtés propres à nous permettre d'expliquer ce qui dans la biographie de nos enquêtés fait qu'ils sont attachés au maintien des traditions.

Jean-Pierre Has soun et Anne Raulin64 se demandent « Que reste-t-il de la notion d'exotisme alimentaire à l'époque de ce que certains appellent le « village planétaire » ? Vivons-nous dans un état culinaire indifférencié ? Cette question trouve un écho particulier avec une population d'étudiants. Peut-on légitimement considérer que les étudiants de différentes nationalités se différencient par leur alimentation ? Ou doit-on postuler que le fait d'être étudiant annule les spécificités culinaires ? Ce n'est pas l'hypothèse que nous posons dans notre recherche.

Mondialisation et persistance des préférences nationales

La mondialisation des produits alimentaires ne date pas d'aujourd'hui : bien des produits considérés comme des éléments de base de l'alimentation européenne ont été rapportées en Europe lors des Grandes découvertes. Avec le baisse du coût du transport et l'amélioration des techniques de conservation et de production des denrées alimentaires, les produits importés sont plus facilement disponibles e de façon moins ou moins coûteuse.

Malgré la mondialisation accrue le cadre national continue d'orienter les pratiques alimentaires des individus. Stephan Mennel65 souligne que l'Angleterre et la France qui sont deux nations voisines, très proches dans leur héritage culturel et historique, qui ont connu à long terme les mêmes processus sociaux s'opposent du point de vue culinaire en de nombreux points. Jean-Vincent Pfirsch66 de même montre la persistance d'importantes différences de part et d'autre du Rhin : si la cuisine est conçue en France comme objet de prestige et valorisée comme telle, les Anglais et les Allemands se montrent plus soucieux d'économie et de simplicité.

Le cadre national reste important. Rappelons également que si MacDonald's est souvent perçu comme le symbole de l'uniformisation alimentaire a une stratégie délibérée de déclinaison de ses menus selon les continents ou les pays. De même on sait que si un même produit se répand à l'identique dans plusieurs lieux, les usages qui en sont faits par la population locale ne sont pas les mêmes que dans la société d'origine.

64 Jean-Pierre Hassoun et Anne Raulin, « Homo exoticus », Mille et une bouches. Cuisines et identités culturelles, Collection Autrement, 1995, Paris

65 Mennel, Stephan, Fran çais et Anglais à table, du Moyen Age à nos jours, Flammarion, Paris, 1987

66 Pfirsch, Jean-Vincent, La saveur des sociétés. Sociologie des goûts alimentaires en France et en Allemagne, PUR, Rennes, 1997

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille