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L'activité culinaire des étudiants étrangers

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par Frédérique Giraud
Ens-Lsh - Master 1 de Sociologie 2006
  

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b) Acheter au pays des produits que l'on trouve pas en France ou plus chers : l'importance de la variable coût

Nos deux enquêtées chinoises n'ont pas du tout le même rapport aux stocks d'avant départ et aux épiceries asiatiques. Notre colocataire Shumeï a amené avec elle un grand nombre de produits alimentaires (champignons noirs, algues, deux sachets différents de petites crevettes

roses et grises, vermicelles de soja, sauce de soja, gourmet powder, thé...), arguant de son expérience de l'année d'avant, et de la difficulté à trouver ces produits en France.

L'autre étudiante Tsu Tsu Tuï n'a amené de Chine que des ustensiles et une couronne de fruits de mer (algues) sur les conseils de Shumeï d'ailleurs, achetant sur place dans les épiceries asiatique de Lyon les produits dont elle a besoin. L'une adore faire les courses alimentaires, l'autre se dit paresseuse et se rend le moins souvent possible dans les épiceries asiatiques, elle profite du déplacement de autres pour se faire rapporter les produits dont elle a besoin.

Si nous posons ainsi d'emblée la différence entre ces deux enquêtés, c'est pour mettre le doigt sur la rhétorique différente développée par deux enquêtés de même nationalité quant à la nécessité de cet approvisionnement au pays. Si Shumeï défend d'un point de vue économique la nécessité de ramener ces produits de Chine « c 'est beaucoup plus cher qu 'en Chine et puis c 'est pas bon. Les champignons tu peux pas les trouver, et les crevettes non plus. Ça il faut les acheter en Chine. Déjà là bas c 'est assez cher. », elle en acheté des sachets d'environ 300g, Tsu Tsu Tuï préfère quant à elle acheter les produits en France parce que c'est compliqué d'apporter avec soi des produits. Si Shumeï lui a conseillé d'amener des aliments très spécifiques, elle ne l'a pas écouté. Ses parents et son mari lui ont uniquement acheté une couronne d'algues sèches facile à transporter.

Ces deux logiques s'expliquent assez facilement si on les rapporte à leur attitude plus générale devant les courses alimentaires. Ici jouent les origines sociales. Shumeï a vécu dans une famille assez pauvre, sa province natale est l'une des plus pauvres en Chine du Nord. En France, elle économise une partie de sa bourse pour sa famille : pour son mari et son fils, mais surtout pour sa mère, veuve qui vit de ses terres avec son dernier frère. L'alimentation ne constitue pas le premier poste de son budget. Elle cherche les produits les moins chers et dès lors, c'est la solution de l'approvisionnement avant le départ qui constitue la solution privilégiée. Si elle achète les champignons en Chine, c'est parce qu'ils restent deux à trois fois moins chers qu'en France. De plus Shumeï n'est pas très confiante dans la qualité des produits achetés dans les supermarchés asiatiques. Elle est habituée à manger des produits du jardin de sa mère et trouve les légumes vendus dans les épiceries asiatiques pas assez frais. Elle fait ses courses dans des filières de discount alimentaire type Ed et achète des produits premiers prix. Au cours de l'année, cette logique de restriction des coûts alimentaires s'est renforcée, Shumeï préférant voyager un peu en France et en Europe et épargne pour cela.

Pour Tsu Tsu Tuï, le coût n'est pas un problème : « Est- ce que tu fais attention à ce que tu vas acheter parce que ça coûterait trop cher ? Non, pour les produits ... de la vie, de alimentaires je m 'en fiche ». On peut relier cela à son origine sociale, son père est professeur à l'université, sa mère était vendeuse dans un magasin avant de prendre sa retraite. Elle a toujours mangé des produits achetés dans des magasins. Même si ils coûtent plus chers, elle préfère acheter les produits en France parce que ce n'est pas pratique à transporter depuis la Chine. Mais la différence peut aussi être expliquée par le fait que en Chine, Shumeï a l'habitude de cuisiner elle-même, pour son mari, elle a toujours vu sa mère cuisiner. Elle a donc l'habitude des produits nécessaires à la réalisation des plats, tandis que Tsu Tsu Tuï n'a pratiquement jamais cuisiné. Sa famille a touj ours habité en ville à Shanghaï ou dans sa proche banlieue, or en ville on peut manger pour un bas coût dans des restaurants ou acheter dans les rues des plats déjà préparés. Si bien qu'elle n'avait pas l'habitude avant de venir en France de cuisiner.

La variable coût est déterminante dans cette démarche d'approvisionnement. Elle se retrouve chez les personnes les moins dotées en capital économique. C'est ainsi qu'elle intervient très nettement chez Giovanni. Mais ce n'est pas tant son origine ouvrière qui le pousse à

économiser sur l'alimentation, c'est aussi l'habitude de manger des produits cultivés chez lui, ou dans son village, des produits de très bonne qualité face auxquels les produits des supermarchés ne peuvent rivaliser. En France, il n'achète pas de tomates ou de légumes que ses parents produisent, il dit « c 'est psychologique, je vais pas acheter quelque chose que je mange chez moi et qui coûte rien et que ici tu achètes c 'est pas bon »

Pour lui, ce serait impensable d'acheter des pâte s en France « Je vais pas acheter les pâtes en France, c 'es dix fois plus cher ». « Tu préfères acheter quelque chose qu 'il n'y a pas en Italie, qui est cher en France peut-être, mais tu n 'as pas d 'idée du prix » « c 'est mieux que tu achètes en France les produits qui sont plus chers en Italie, en France tu vas pas acheter ce qui coûte pas cher en Italie et qu 'en France tu vas payer deux à trois fois plus cher. » Comme le montrent ces trois citations, c'est un propos qui revient souvent dans sa bouche. Les derniers temps de son séjour en France, il a dû acheter lui-même des pâtes en France, parce qu'il était arrivé à l'épuisement de ses stocks, il a alors acheté des pâtes de premier prix, parce que mauvaises pour mauvaises autant acheter les pâtes françaises les moins chères. C'est bien par des raisons économiques qu'il explique ses achats massifs de pâtes en provenance d'Italie. Surtout en France, les pâtes ne sont pas bonnes. Acheter ses pâtes en Italie, c'est aussi le seul moyen de manger des vraies pâtes. En France, il trouve la marque Barilla qu'il achète aussi en Italie, mais il ne trouve pas les pâtes artisanales qui ne sont pas faites avec de la farine de blé, mais au sarrasin...

Il faut aussi tenir compte du fait que les étudiants ont tous une bourse pour venir en France, or lorsqu'on n'a pas l'habitude de faire les courses, on ne sait pas trop combien on peut dépenser.

« J'ai apporté des boites de harissa, on en trouve en France, c 'est vrai, mais chez moi c 'est pas du tout cher. Et puis au début de l 'année, en plus j 'avais pas beaucoup d 'argent il me fallait des provisions ; du fromage aussi, des boîtes de tomates, de thon, des amandes grillées, salées que ma mère m 'a donné. » nous explique Abdelbaki.

La logique d'approvisionnement peut aussi résulter de ce que les produits étrangers en France ne se trouvent que dans des épiceries spécialisées, pas toujours localisées près de chez soi et sont de surcroît de moins bonne qualité. C'est alors l'impossibilité de trouver ces produits facilement en France, c'est le facteur temps qui intervient ou leur non existence qui explique le choix de les acheter au pays. « La harissa, le piment j 'en avais ramené beaucoup de Tunisie, parce que je savais pas si j 'allais en trouver facilement. Et puis au début t 'as pas le temps de chercher le magasin où tu en trouves. » Abdelbaki

L'argument de la qualité intervient assez fortement dans la logique d'approvisionnement au pays, on est méfiant vis-à-vis des produits que l'on trouve en France qui ont dû être importés mais dont on ne connaît pas l'origine exacte, à l'inverse on est rassurés par ce qui vient de chez soi. En plus se tisse le lien de la mémoire à travers ces aliments. « A part les épices, tout ça, ça existe en France, les épices en France ça existe pas, enfin... ça existe en France, mais c 'est des épices disons ça existe au Maroc comme en Tunisie, moi je préfère des épices de chez moi tu vois, par contre pour la poudre ça existe pas, j 'en suis sûr. »

Ce qui importe pour Abdelbaki, c'est de ramener les épices de son pays préparées dans sa famille, celles dont il connaît la fabrication, dont il peut m'expliquer la fabrication. La logique de rationalisation des coûts masque le problème de confiance dans les aliments, de peur dans les aliments inconnus.

Shumeï est parmi les personnes que nous avons interrogées celle qui a ramené la plus grande quantité de produits de son pays. Ayant vécue l'année dernière en France, elle connaît les difficultés d'approvisionnement et a décidé de s'y préparer. Elle a acheté en Chine des produits qu'elle trouve en France mais plus chers, mais surtout des produits spécifiques de sa

région, plus locaux et donc moins trouvables en France. Habitant à Shaiton province, en Chine du Nord près de la mer, elle est habituée à consommer souvent des produits issus de le mer : comme des algues, des toutes petites crevettes grises et roses, des sortes de fruits de mer... .L'année dernière elle n'en avait pas amené en France, et cela lui a manqué. Il est vrai qu'elle a épuisé ses stocks très rapidement, parce que c'est un produit qu'elle consomme très régulièrement en soupe. Ses produits n'appartiennent pas à notre registre alimentaire et ne peuvent s'acheter en France, par ailleurs, ils sont spécifiques d'une région de la Chine et ne se trouvent pas dans les épiceries asiatiques qui importe essentiellement des produits très consommés dans les grandes villes comme Pékin et Shanghaï mais ne disposent que de peur de produits plus ruraux et rustiques. C'est le même problème qui se pose à Giovanni. Si il n'a pas de difficultés à trouver les produits les plus génériques, qui sont pour une part passés assez facielement dans les habitudes de consommation française comme le parmesan, le gorgonzola, le grane padano, il ne trouve pas en France les produits plus locaux, typiques d'une région particulière. De même en France, certains produits ne se trouvent que dans certaines régions : les vrais calissons ne peuvent s'acheter qu'à Aix en Provence, les navettes sont marseillaises, certains fromages ne peuvent se trouver qu'en Savoie.

Au vu des arguments des personnes interrogées, on peut retourner la question et se demander pourquoi certains enquêtés n'amènent rien avec eux. C'est le cas de notre enquêté américain Mickaël et Tsu Tsu Tuï (enquêtée chinoise). Ne cuisinant presque pas, mangeant surtout dehors aux Etats-Unis Mickaël ne voyait pas l'utilité d'amener des choses en France. Pour lui, l'alimentation n'est pas quelque chose de très important. Lors de l'entretien il nous explique «

But actually you know I prefer the manners to invite people here, because there's wine, bread and cheese and I think it's also different and it's also more convivial. In US let's see, we just have salad and pastas, sups. People take much time to prepare the dinner in France, it's not like in US»

Ce qui l'a étonné en France, c'est le soin que l'on apporte aux plats que l'on prépare, le temps que l'on met à cuisiner, lorsqu'on reçoit des invités par exemple. Lorsqu'il a logé en septembre dans une famille, il était très surpris que chaque soir la mère de famille passe une demie-heure minimum à la cuisine106, et confectionne de vrais plats. Pour lui, recevoir des invités consistait uniquement à acheter un poulet rôti et faire une salade. Il n'accorde pas une grande importance à l'alimentation américaine, parce que pour lui il n'existe pas à proprement parler des plats typiquement américains.

Tsu Tsu Tuï pense que c'est inutile d'apporter en France beaucoup de produits chinois. Doiton attribuer au manque d'expérience culinaire cet enthousiasme initial ? Tsu Tsu Tuï arrive effectivement à trouver en France l'ensemble des produits chinois qu'elle a l'habitude de consommer, parce que les produits que l'on trouve dans les grandes villes de Chine sont aussi les plus facilement exportables en France et restent relativement abordables.

On voit qu'il est difficile d'expliquer les raisons qui poussent à apporter des produits en France plutôt que d'essayer de les acheter sur place. Trois logiques ont pu être distinguées une logique économique, une logique mettant en jeu la mémoire affective, une logique de mise à disposition de produits introuvables en France.

106 When I was living with this family, every night it was a cook which needs a quite long preparation, and it's different.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo