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Les représentations dans la géographie : une approche à valoriser dans les pays du Sud (l'exemple des hautes terres d'afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale

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par David Leyle
Université Bordeaux 3 - DEA de géographie 2001
  

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1 LES IMAGES DU MONDE EXTÉRIEUR

Dans la grille de lecture proposée, nous avons abordé dans le chapitre précédent les représentations du milieu biophysique, et leurs conséquences sur le fonctionnement des systèmes sociaux et des systèmes productifs, ainsi que sur les structures paysagères. Mais au-delà du territoire s'étendent des espaces plus ou moins connus par les populations, avec d'autres sociétés, d'autres milieux et d'autres organisations spatiales.

Comment les communautés si situent-elles dans un espace plus large ? Quels sont leurs repères d'orientation géographique ? Quelles représentations du monde extérieur se font-elles ? Quelles sont les notions sur lesquelles reposent ces représentations du monde extérieur, de l'espace lointain ? Quels supports véhiculent les images de «i'extérieur » ? Ces visions du monde reposent sur une multitude de caractéristiques socioculturelles localisées, sur un fond de nécessités économiques.

A travers le langage, de la même manière que nous l'avons montré pour les représentations du milieu, on peut ainsi identifier et décrypter la manière dont les sociétés se représentent les espaces extérieurs à leur territoire identitaire ainsi que les communautés qui y vivent. Pour cela, on peut s'attacher aux termes employés pour décrire et expliquer les lieux, les aires ou les groupes humains.

La religion et ses variantes locales, qui s'exprime à travers les croyances populaire,s influence aussi les représentations du monde extérieur. Sur les hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale, nous avons vu que les sanctuaires montagnards sont des repères visuels et spirituels forts1 qui centralisent le monde de la communauté autour de la montagne, demeure des esprits des ancêtres et garante de la reproduction du groupe (voir note 26): de la montagne dépend la destinée de la communauté. En cela, elle est un repère géographique fort pour la (les) société(s) qui s'y rattache(nt).

De même, pour les peuls (fulbés, fulani... etc.), la pratique de l'Islam les amène à développer une représentation forte de La Mecque. Cette image est non seulement spirituelle, puisque tout bon musulman aimerait y faire le pèlerinage et devenir El Had] ou Had]a, mais aussi géographique, car les prières quotidiennes nécessitent que le fidèle s'oriente vers cette ville sacrée.

Les visions du monde extérieur dépendent également de la mobilité des individus, des migrations qu'ils entreprennent et des raisons qui les motivent. Ainsi, dans le Fouta-D]alon, nombreux sont les individus qui entrevoient le monde à travers les migrations de leurs proches, du lignage ou du clan: un fils à Conakry, un autre à

1 Voir partie 2, chapitre 2.

Banjul ou Dakar, et, fierté familiale, une nièce en Belgique1. Les populations sédentaires ont plus aisément une vision centralisée sur le territoire et ses repères, avec une vue discontinue du monde extérieur correspondant aux lieux où les membres issus de la communauté se sont installés2 ou qu'ils ont fréquentés lors de leurs migrations; l'espace représenté occupe dans ces sociétés une place importante. Par contre, les populations nomades ou semi-sédentaires, comme certaines populations de pasteurs peuls, ont une vision de l'espace vécu plus large, et linéaire en fonction des parcours de pâture.

Cela dit, les représentations de l'espace géographique qui s'étend au delà du territoire local (unité socio-spatiale de référence), dépendent surtout des trajectoires individuelles de chaque membre de la société, de son espace vécu, espace pratiqué quotidien ou occasionnel. A l'échelle d'approche individuelle, les représentations de l'espace « lointain >> peuvent ici prendre de multiples formes.

Les référentiels socio-spatiaux et les trajectoires individuelles influencent la vision de « l'autre>>, de la société voisine, qu'on croise parfois, ou lointaine, dont on « entend parler >>. Mais, dans les représentations du monde des individus et des groupes, les supports de l'information et de la communication jouent une place prépondérante. Les moyens techniques modernes de communication3 et de diffusion de l'information permettent d'avoir accès à une certaine quantité d'information. Les « récepteurs >> perçoivent cette information, l'interprètent et se la représentent 4. Mais, en dehors des capitales et des grandes agglomérations (voir note 27), les technologies de l'information et de la communication restent pour l'instant marginales, non seulement faute de moyens car elles ont un coût, mais aussi faute de réseaux denses et élargis.

L'information circule donc principalement avec les individus et les biens marchands, voire par l'intermédiaire des grandes cérémonies ou rassemblements qui permettent de resserrer les liens sociaux et de prendre des nouvelles ; on y écoute un cousin parler de la famille ou les griots5 conter et répandre la vox populi. La communication orale occupe donc encore une place prépondérante, dans la circulation de l'information sur les hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale. Elle influence fortement les représentations du monde extérieur, puisque les supports écrits sont rares et déchiffrés par une proportion encore minoritaire de la population.

Parmi les vecteurs des représentations du monde, on pourra également retenir comme indicateurs les représentations cartographiques (si elles existent), mais surtout dans le cadre de notre terrain d'étude, artistiques (art pictural et plus largement artisanal).

1 Alors que bien souvent, les conditions de vie des expatriés africains en Europe ne sont pas toujours facile. Beaucoup le savent mais le taisent lorsqu'ils en parlent.

2 Par exemple pour les peuls, on peut parler d'une véritable diaspora, avec un réseau complexe de liens, à toutes les échelles territoriales : le village, le massif, le pays, l'Etat, le continent, le monde.

3 Nous retiendrons la télévision (par satellite), le téléphone, l'Internet mais surtout dans les sociétés des hautes terres du terrain d'étude, la radio hertzienne.

4 Ce flux, lui-même soumis aux interprétations, aux représentations, et (surtout) aux intérêts de « l'émetteur >>.

5 Les griots sont en Afrique de l'Ouest des personnages que l'on respecte, car ils apportent la nouvelle, mais on les appelle également « les menteurs >>, car ils savent subtilement déformer la réalité dans leur intérêt.

Dans les représentations que se font les sociétés de l'espace, la place de la ville parait difficile à définir. De nos jours, doit-on considérer la ville comme un élément extérieur au milieu car elle s'étend souvent aux limites du territoire local, ou doit-on l'y intégrer puisque ses fonctions économiques, politiques et administratives la rendent progressivement incontournable? Construction humaine, repère identifiable, mais également entité mystérieuse et parfois lointaine, la place de la ville dans les représentations des hommes pose véritablement une difficulté d'interprétation. Sa perception par les populations est vraisemblablement fonction de facteurs locaux : les distances (voir note 6), les rôles socio-économiques et administratifs, la nature du peuplement (densité, répartition et migration). Ces facteurs d'attraction ou de répulsion déterminent la pratique de la ville qui en découle (quotidienne, régulière, fréquente, occasionnelle, rare...) et modèle les représentations dont les cités font l'objet.

Quelle est vision de la ville ? Quelle est sa structure ontologique? Estelle un élément endogène à la société, ou un élément exogène ?1

Nous avons précédemment vu que les représentations du milieu et les structures spatiales des sociétés rurales des Hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale s'apparente à une vision binaire de l'espace : le village, nature humanisée, rassurante, domaine des ancêtres, et la brousse, nature sauvage, peu sécurisante, demeure des mauvais génies et des démons. Dans cette représentation de l'espace territorial, la ville s'associe à une nature artificialisée, autrement dit à une construction humaine et sociale. Mais, du fait de la mosaïque culturelle et sociale, elle est plus difficile à réduire à un certain modèle.

De toute évidence les relations entre les villes et les espaces ruraux accusent des rapports de domination économique, car la pratique du marché assure un besoin fondamental de l'homme, et politique, puisque y siègent les administrations nationales délocalisées. Même si le Fouta-Djalon et les Hautes terres de l'Ouest présentent des structures urbaines régionales plus imposantes et un réseau plus dense, nous nous placerons essentiellement du point de vue des sociétés rurales, largement dominantes dans notre terrain d'étude.

Dans un premier temps, la vision des milieux urbains dépend de la distance structurale* entre ces derniers et le territoire villageois. Dans le Fouta-Djalon, les principaux centres urbains et marchés se situent le long de l'artère routière centrale2 ou en bordure de massif3, en contact avec la plaine environnante. Les grands marchés fonctionnement en réseau (Timbi-Madina - Labé) à l'échelle du massif, mais les marchés secondaires et locaux4 sont d'une moindre importance ; on le constate au regard des cultures maraîchères commercialisables, qui, dans des

1 Pour cela nous nous baserons sur des travaux effectués par Gallais, J., Frémont, A et Chevalier J., 1982

2 Le long de la route nationale : Mamou, Dalaba, Pita, Labé, Mali...

3 Télimélé, Lélouma, Tougué, Dabola...

4 Sur le haut plateau de Labé : Tountouroun, Daralabé, Bantiniel, Niguélandé...

zones éloignées1, ne sont pas pratiquées, car on va à la « grande ville » deux fois dans l'année. Ainsi, plus la communauté sera isolée de la ville, plus la dichotomie sécurité-aventure et incertitude dans les représentations sera forte.

Mais également, les pratiques et les représentations de la ville sont inséparables du rôle politique qu'elle joue, des groupes sociaux qui ont le pouvoir ou qui déterminent l'atmosphère urbaine. Ainsi, pour Schwartz, les perceptions de la ville sont essentiellement saisies à travers l'ensemble des services que la ville est capable de dispenser. La ville est alors souvent représentée comme une source de travaux biens rémunérés. Cette image de la ville comme source de revenus est d'autant plus importante s'il s'agit de la capitale ; elle est à l'origine de nombreuses migrations. De ce fait, pour assurer les revenus du ménage et la dépense, l'exode n'est pas un phénomène nouveau dans le Fouta-Djalon ou encore en pays Bamiléké Ces mouvements concernent surtout les hommes, qui, au sein de la société foutanienne, exercent certes le pouvoir de décision, mais sont également responsables de la sécurisation de la famille.

La migration apparaît également comme un passage obligé pour accéder à la vie adulte, une étape sociale : le jeune homme doit partir pour faire ses preuves. (voir note 25). Les migrations vers la ville résultent de différentes réalités urbaines, mais aussi des représentations que s'en font les individus : l'ouverture de la Guinée au monde depuis 1984 a également engendré des migrations d'ordre social. La relative liberté de circulation a développé un désir d'émancipation chez les jeunes et les anciens captifs du Fouta ; l'exode féminin demeurant pour l'instant marginal. La recherche de « nouveaux modes de vie » (N. Badie-Levet, 1998) que représente la ville, loin des contraintes de la société traditionaliste peule, a entraîné d'importants flux d'exode rural vers les grandes villes, d'individus à la recherche de réussite sociale2.

Ces migrations sont vécues comme une aventure dans la mesure où la distance perçue entre la région de départ et celle d'arrivée est suffisante. On peut souligner le phénomène d'acculturation que constitue la ville et qui entraîne, pour les plus traditionalistes3, une représentation négative ; ils y entrevoient la disparition de leur culture, la remise en cause du pouvoir traditionnel, mais aussi la mort de leur communauté. D'après Balandier (1955), les sociologues ont analysé depuis longtemps le rôle de la désintégration des cultures locales assuré par les villes coloniales. Cette déstructuration socioculturelle des cultures locales s'affirme d'autant plus que la ville est grande et particulièrement dans les capitales qui bénéficient de cette image de « société inédite », souvent le reflet d'une culture occidentale qui s'impose via les modes de communication et de consommation « modernes ».

1 En terme de distance-temps. Ex : Kasagui, 35 km au S-E de Labé : 4 h de « route » sur les bowés, et en moto sans chargement (enquêtes personnelles)

2 Cette perception flatteuse de la ville continue à susciter l'émigration en dépit des épreuves subies par les migrants: de retour au pays, ceux-ci taisent ces dernières par fierté et ne transmettent qu'une image idyllique appuyée sur les objets prestigieux ramenés de l'aventure. (Gallais, J., Frémont, A et Chevalier J., 1982)

3 Le terme est utilisé sans aucune connotation péjorative.

Dans le présent travail nous avons un peu mis à l'écart les représentations des citadins de leur propre environnement urbain1. Les études menées ont été essentiellement expérimentées en milieu urbain occidental. On peut néanmoins dégager quelques axes de réflexions.

Le développement urbain contemporain en Afrique traduit une véritable << explosion démographique » des villes, aux caractères anarchiques en terme d'aménagement. On constate cependant que le quartier représente un équivalent urbain du territoire pour ceux qui y vivent. Pour Gallais J., Frémont A. et Chevalier J., (1982), les structures résidentielles prennent parfois un caractère plus traditionnel qu'à la campagne : les groupements domestiques de cohabitation lignagers, ou de frères et soeurs, deviennent plus étendus et plus complexes qu'ils ne le sont dans les villages. Le regroupement socioculturel représente pour les urbains un gage de sécurité.

Mais, en zone urbaine, on peut s'interroger sur la reproduction d'un système sociospatial villageois. Cette réserve est d'autant plus justifiée que les populations urbaines des hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale augmentent progressivement, et que les générations urbaines développent une mentalité particulière, fortement occidentalisée : à Labé 2 (Fouta-Djalon), des groupes de musique rap3 se sont constitués. Le sens de ce genre de phénomène est bien plus qu'anecdotique, il est significatif que des mentalités urbaines prennent forme, avec leurs propres représentations de la ville. D'après Bailly S, (1974), les représentations de l'espace urbain et de ses paysages sont influencées par l'espace d'usage de l'individu et de son groupe : << l'image mentale de la ville est donc en partie sectorielle (quartiers connus et fréquentés), mais ces secteurs sont liés entre eux par des flux visuels linéaires correspondant aux axes de déplacements ».

On peut s'interroger sur la validité de ce modèle dans les villes de notre terrain d'étude car, face à l'acculturation par l'adoption de comportements urbains << occidentaux », l'attachement au village et aux terres des ancêtres reste fort. Gallais J., Frémont A. et Chevalier J., (1982) ainsi que Morin S., (1996) et Champaud (1978), s'appuyant sur l'exemple Bamiléké, remarquent qu'une pratique urbaine déjà ancienne et remarquablement efficace ne coupe pas les individus de leur domaine traditionnel : ils participent à deux mondes. Même ceux qui ont quitté leur montagne4 y restent très attachés et y construisent une résidence secondaire : << c'est dans sa chefferie que l'émigré reviendra vieillir et mourir ; c'est là qu'il sera enseveli » (Delarosière, 1949). La << villa mania » (Tchawa, P., 1991) qui sévit aujourd'hui sur les collines Bamiléké témoigne de la prégnance des liens avec le territoire d'origine.

A la vision de l'espace binaire5, majoritairement celle de ruraux, peut-être opposée celle des urbains, dont la vision de leur environnement varie en fonction des trajectoires socio-économiques individuelles et des quartiers fréquentés.

1 Il faut préciser que les données disponibles à ce sujet sont peu nombreuses ou inaccessibles en ce qui concerne notre terrain d'étude. Nous ne disposons donc que de peu d'études des représentations de la ville africaine vue de l'intérieur et dans le détail de la vie quotidienne.

2 La communauté urbaine de Labé compte environ 120000 hab.

3 Qu'on peut considérer comme une musique originaire des ghettos urbains noir-américains.

4 Di Méo, G., (1991) qualifie ces acteurs territoriaux émigrés de << transitionnels ».

5 Etudiée dans le chapitre précédent.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo