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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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Chapitre 2 : Le temps des incertitudes (1983-1988) 1

1. Le retour à un régime présidentiel :

Abdou Diouf sort grand vainqueur des élections, avec un PS largement majoritaire à l'Assemblée nationale. Les deux autres partis présents place Tascher, le PDS et le RND, refusent cependant de reconnaître les résultats prononcés et de prendre place dans l'hémicycle. Le dialogue est rompu avec l'opposition, et toute entrée de celle-ci dans le gouvernement est inenvisageable. Le chef de l'Etat se tourne donc vers la société civile, qui s'est largement impliquée dans la campagne électorale dioufiste à travers les groupes de soutien. On retrouve ainsi dans le gouvernement trois membres actifs du GRESEN, à savoir Alioune Diagne Coumba Aita, Ibrahima Fall et surtout Iba der Thiam, fondateur du mouvement. Cette dernière nomination marque une volonté de rupture, puisque Thiam a été l'un des grands leaders syndicalistes de la période senghorienne et connu même la prison 2.

L'impression de "désenghorisation" de la vie politique est accentuée par le départ des "barons". Les compagnons du "Père de la Nation" se retrouvent relégués à des postes secondaires. L'ancien président de l'Assemblée nationale, Amadou Cissé Dia, devient président d'honneur du Parlement, tandis que les ministres d'Etat du précédent gouvernement, Assane Seck et Alioune Badara Mbengue, sont "mis à la disposition" du bureau de l'Assemblée nationale.

Toutefois, la décision la plus spectaculaire, présentée au peuple sénégalais par Diouf dans son allocution radiotélévisée du 4 avril 1983, est sans conteste la suppression du poste de Premier ministre 3. Le premier surpris par la nouvelle est Habib Thiam, averti que très tardivement du projet 4. Pour mettre en place cette suppression, Abdou Diouf "épargne" Habib Thiam, qu'il replace au perchoir de l'Assemblée nationale. Le chef de l'Etat désigne comme "Premier ministre intérimaire"... Moustapha Niasse. Ce choix n'est pas anodin. Chacun sait que Niasse rêve depuis bien longtemps de la Primature. Cette promotion est par conséquent un honneur rendu à un homme qui a autrefois aidé Diouf. Néanmoins, cette nomination est aussi un crève coeur pour le ministre des Affaires Etrangères, ayant pour mission de mettre fin à un poste qu'il convoite depuis la fin des années 1970. Il s'agit ainsi - certainement involontairement - du premier faux pas commis par Diouf à l'égard de Moustapha Niasse.

Toutes ces décisions - reclassement des "barons", suppression du poste de Premier ministre - sont prises lors de la réunion du Parti socialiste du 31 mars 1983. Il existe deux versions concernant celle-ci. En 1983, on la présente comme une victoire personnelle d'Abdou Diouf sur les "barons". Jeune Afrique relaie cette version du "coup d'Etat au sein du parti" 5, qui met fin au "pacte secret des seigneurs" 6 . Bien des années plus tard, As sane Seck, l'un des barons en question, relate d'une manière bien différente les événements. Il soutient qu'une position commune sur un retrait progressif des barons est trouvée entre ces derniers et Abdou Diouf le 31 mars 1983, dans le but de laisser la place aux jeunes cadres du PS. Pour l'ancien ministre

1 Mar Fall, l'Etat d'Abdou Diouf ou le temps des incertitudes, Point de vue l'Harmattan, 1986.

2 Pierre Biarnès, "Abdou Diouf amorce la prochaine suppression du poste de Premier ministre et remanie le gouvernement", Le Monde, 5 avril 1983.

3 "Le changement", Le Soleil, 6 avril 1983.

4 Après l'annonce de cette décision, Habib Thiam tente de dissuader Abdou Diouf. Sans résultat. Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp. 63, Paris, Rocher, 2001.

5 Sennen Andriamirado, "Diouf prend le pouvoir", Jeune Afrique, n° 1162, 13 avril 1983.

6 Siradiou Diallo, "Les frondeurs vont-ils payer ?", Jeune Afrique, n° 1160, 30 mars 1983.

d'Etat, Diouf s'est par conséquent "libéré des aînés avec leur consentement et sans fâcherie aucune" 7.

Cette théorie du départ progressif et volontaire des barons semble rationnelle. En consultant la

liste des députés socialistes pour les élections législatives de 1983, on remarque que les "barons" les plus influents sont tous présents, sans exception, sur la liste nationale 8 . Au

contraire, les "jeunes loups" socialistes, soucieux de se construire des bastions électoraux, sont inscrits sur les listes départementales 9. Ces faits montrent que les "barons" ne risquent

pas en 1983 de perdre leurs privilèges, puisqu'ils sont placés aux avants-postes de la liste nationale PS. A moins d'un cataclysme électoral, impossible à l'époque, ils sont assurés de

conserver leur siège de député. Il parait donc plausible que les "barons", en échange de cette "assurance", aient sciemment abandonné la vie politique locale et passé la main à la nouvelle

génération.

Ceci explique le nouveau visage du gouvernement présenté par Moustapha Niasse le 5 avril 1983. On compte 13 sortants (dont 3 des 4 ministres d'Etat de 1981) et 14 entrants. Parmi eux,

il y a des membres de la société civile, comme Doudou Ndoye, Thierno Bâ ou Iba der Thiam. Toutefois, le caractère socialiste du gouvernement est maintenu, contrairement à la promesse faite par Abdou Diouf 10. Enfin, seuls Moustapha Niasse, Mamadou Touré, Djibo Kâ et Mamadou Diop conservent le poste qu'ils occupaient antérieurement 11.

- Moustapha Niasse : Premier Ministre intérimaire et Ministre d'Etat, Ministre des Affaires Etrangères

- Médoune Fall : Ministre des Forces Armées

- Doudou Ndoye : Ministre de la Justice Garde des Sceaux

- Ibrahima Wone : Ministre de l'Intérieur

- Mamadou Touré : Ministre de l'Economie et des Finances

- Robert Sagna : Ministre de l'Equipement

- Abdel Kader Fall : Ministre de la Culture

- Ibrahima Fall : Ministre de l'Enseignement Supérieur

- Iba Der Thiam : Ministre de l'Education Nationale

- Cheikh Amidou Kane : Ministre du Plan et de la Coopération

- Bator Diop : Ministre du Développement Rural

- Serigne Lamine Diop : Ministre du Développement Industriel et de l'Artisanat

- Moussa Daffé : Ministre de la Recherche Scientifique et Technique

- Hamidou Sakho : Ministre de l'Urbanisme et de l'Habitat

- Abdourahmane Touré : Ministre du Commerce

- Djibo Kâ : Ministre de l'Information, des Télécommunications et des Relations avec les Assemblées

- Mamadou Diop : Ministre de la Santé Publique

- Samba Yéla Diop : Ministre de l'Hydraulique

- André Sonko : Ministre de la Fonction Publique, de l'Emploi et du Travail

- Maïmouna Kane : Ministre du Développement Social

- François Bop : Ministre de la Jeunesse et des Sports

- Cheikh Cissoko : Ministre de la Protection de la Nature

7 Assane Seck, Sénégal, émergence d'une démocratie moderne (1945-2005) : un itinéraire politique, pp.188, Paris, Karthala, 2005.

8 La tête de liste aux législatives de 1983 est réservée logiquement à celui qui mène la campagne, c'est à dire Habib Thiam. On retrouve ensuite Amadou Cissé Dia, Magatte Lô, André Guillabert, Alioune Badara Mbengue, Assane Seck. Soit cinq "barons" aux six premieres places. "Les députés PS, PDS et RND provisoirement élus", Le Soleil, 8 mars 1983

9 Il y a notamment Mamadou Diop, Lamine Diack, Abdourahim Agne, Moustapha Niasse, Christian Valentin, Abdoul Aziz Ndao, Daouda Sow. "Les députés PS, PDS et RND provisoirement élus", Le Soleil, 8 mars 1983.

10 "Le gouvernement que je vais nommer sera le gouvernement non d'un parti, fut-il majoritaire, mais de tous les Sénégalais". Pierre Biarnès, "M.Diouf annonce la prochaine suppression du poste de Premier ministre et remanie le gouvernement", Le Monde, 5 avril 1983.

11 "Le changement", Le Soleil, 6 avril 1983.

- Fabaye Fall Diop : Ministre délégué chargé des Emigrés

- Momar Talla Cissé : Ministre chargé du Tourisme

- Landing Sané : Secrétaire d'Etat auprès du Ministre de l'Intérieur chargé de la Décentralisation

- Marie Sarr Mbodj : Secrétaire d'Etat auprès du Ministre de l'Education Nationale chargé de l'Enseignement Technique et de la Formation Professionnelle

- Bocar Diallo : Secrétaire d'Etat auprès du Ministre du Développement Rural chargé de la Pêche Maritime

- Thierno Bâ : Secrétaire d'Etat auprès du Ministre de la Fonction Publique, de l'Emploi et du Travail

Moustapha Niasse se penche très rapidement sur la mission qui lui a été confiée. En moins de

trois semaines, il supprime la Primature. En mai 1983, le Président de la République est officiellement le chef du gouvernement. Ce changement majeur dans la Constitution

sénégalaise est accompagné par la fin du droit de motion de censure octroyé aux députés. En compensation, le droit de dissolution du chef de l'Etat est abrogé. Pour Le Soleil, ces

suppressions réciproques "participent à la séparation des pouvoirs et à l'équilibre qui est l'un des fondements de la démocratie" 12 . Cependant, avec la réinstauration d'un régime

présidentiel, le Sénégal se trouve dorénavant dans l'incapacité de répondre à toute crise politique majeure.

Autre changement de taille : le président de l'Assemblée nationale redevient le deuxième personnage de l'Etat. Mais contrairement à l'article 35 de la Constitution senghorienne, qui

"offrait" la présidence au deuxième personnage de l'Etat, le président de l'Assemblée nationale est à présent tenu d'organiser de nouvelles élections dans les soixante jours suivants un retrait définitif du chef de l'Etat 13.

La disparition de la Primature ne choque pas outre mesure les médias étrangers. Dans les années 1980, les Premiers ministres africains sont rares, et souvent confinés à des rôles très

secondaires 14 . Abdou Diouf n'a de ce fait aucun mal à justifier sa décision. Il explique que "le gouvernement, qui a la charge de conduire la politique du renouveau en cette période difficile

doit être en mesure de remplir sa mission avec encore plus de rapidité et de simplicité. De ce point de vue, il s 'avère nécessaire qu 'il agisse sous l'autorité directe du chef de l'Etat" 15.

Abdou Diouf revient donc à un régime présidentiel, analogue à celui des années 1962-1970, qui correspond à la période noire du Sénégal en terme de démocratie. C'est pourquoi ce choix

est critiqué par sa propre famille politique 16 , et par les chefs de l'opposition, qui refusent d'assister à sa prestation de serment le 4 avril 1983. Au vu de la décision d'Abdou Diouf, on

pense que la recréation du poste de Premier ministre en 1970 par Senghor n'avait pour seul but que de préparer le dauphin putatif à prendre les rênes du pays 17.

Le Président de la République n'a aucun mal à faire passer ces multiples changements
constitutionnels. Pour valider ses initiatives, il bénéficie d'une chambre parlementaire qu'il lui est largement favorable et dévoué. En se penchant sur la composition de l'Assemblée

nationale, on s'aperçoit que celle-ci à bien du mal à incarner la population sénégalaise. Dans un pays composé aux trois quarts de paysans, le Parlement n'en compte... aucun 18 . Ceci

s'explique par le fait que les populations rurales sont généralement analphabètes, alors que la

12 Momar Seyni Ndiaye, "Retour au régime présidentiel', Le Soleil, 1er mai 1983.

13 "Révision constitutionnelle : il n'y aura plus de Premier ministre", Le soleil, 1er mai 1983.

14 Siradiou Diallo, "A quoi sert un Premier ministre en Afrique ? ", Jeune Afrique, n° 1167, 18 mai 1983.

15 Pierre Biarnès, "Abdou Diouf amorce la prochaine suppression du poste de Premier ministre et remanie le gouvernement", Le Monde, 5 avril 1983.

16 On pense aux "barons" et à Habib Thiam.

17 Pierre Biarnès, "Abdou Diouf amorce la prochaine suppression du poste de Premier ministre et remanie le gouvernement", Le Monde, 5 avril 1983.

18 Sophie Bessis, "Qui sont les députés ?", Jeune Afrique, n° 1171, 15 juin 1983.

plupart des députés sont des lettrés et officient dans la fonction publique 19.

Si l'Assemblée nationale n'est pas "paysanne", elle n'est pas non plus composée de notables. Seule une dizaine de médecins, avocats et hommes d'affaire occupent les travées de l'hémicycle. Toutefois, tous les députés ont un point commun : ils ont tous été scolarisés 20. Mieux, une cinquantaine d'entre eux ont suivi des études supérieures ou sont allés à l'université21.

Autre fait marquant, la moyenne d'age de l'Assemblée est de 51 ans (43 ans pour les députés PDS), alors que l'expérience de vie au Sénégal est de... 44 ans et que les jeunes de moins de 20 ans constituent 55% de la population sénégalaise. Les femmes - dont la moyenne d'age est de 47 ans - forment 11% du corps législatif (13 femmes sur 120 députés), travaillant la plupart du temps comme sage femme, institutrice, ménagère etc. Les hommes sont donc relativement majoritaires, et près d'un tiers d'entre eux sont... polygames.

Par conséquent, la chambre des députés n'est pas le miroir de la société. C'est pourtant sur elle qu'Abdou Diouf s'appuie pour mener une nouvelle politique économique et industrielle, vivement encouragée par les bailleurs de fonds, censée endiguer la crise qui touche le Sénégal depuis le second choc pétrolier. En proclamant dès septembre 1983 la fin de l'Etat providence22, le PS rompt définitivement avec le progressisme senghorien.

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King