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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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3. Un PS remanié, une opposition retrouvée (1983-1985) :

3.1. Un PS remanié :

Comme l'a vu précédemment, les "barons" deviennent après les élections de 1983 des cibles privilégiées. Une violente campagne de presse se développe à leur encontre. Elle axe ses attaques sur deux thèmes : leur grande implication dans les fraudes constatées au cours des dernières élections et le manque d'entrain des compagnons de Senghor vis-à-vis de la nouvelle politique dioufiste. Ils sont soupçonnés de faire bande à part et de constituer un grave danger pour la cohésion du parti. Chaque initiative des "barons", installés depuis 1983 au bureau de l'Assemblée nationale, est par conséquent considérée comme un outrage fait au Président. Ceci est le cas lorsque ceux-ci militent pour la suppression de l'article 35 face à un gouvernement désireux de substituer le Premier ministre par le Président de l'Assemblée nationale dans le rôle du "dauphin constitutionnel". La guerre est définitivement déclarée entre les "barons" et les "jeunes loups" après le refus des premiers de maintenir le droit de dissolution au Président de la République 52.

48 Gilles Duruflé, Le Sénégal peut-il sortir de la crise? : douze ans d'ajustement structurel au Sénégal, pp.123, Paris, Karthala, 1994.

49 Idem.

50 "En 1987, la population sénégalaise représentait 1,5% de la population subsaharienne et attirait 40,8% de l'ensemble de l'aide publique au développement de la sous-région ". Mouhamet Fall, "La problématique de l'aide budgétaire au Sénégal".

51 Pour un budget estimé de 345 milliards FCFA. "Dérapage financier", Lettre du continent, 15 avril 1987.

52 Selon Assane Seck, Abdou Diouf désire supprimer le droit de motion de censure du Parlement tout en conservant le droit de dissolution. Il se voit opposer une fin de non-recevoir des "barons". "Nous proposâmes soit un retour à l'impossibilité de dissolution qui figurait dans des Constitutions passées, soit en cas de dissolution le renvoi de tous, Assemblée et Président, devant les électeurs. La première formule fut adoptée ". Assane Seck, Sénégal, émergence d'une démocratie moderne (1945-2005) : un itinéraire politique, Paris, Karthala, 2005.

Abdou Diouf sent alors qu'il est temps d'asseoir son autorité sur les siens. Avec l'aide de Jean Collin, il organise un Congrès extraordinaire PS le 21-22 janvier 1984, soit 13 mois après le dernier. Bien aidé par une intensification de la campagne de presse contre les "barons" 53, le secrétaire général PS n'a aucun mal en 1984 à imposer des hommes qui lui sont dévoués. Il explique qu'il désire des meilleures relations entre le PS et sa base et qu'il souhaite écarter les personnes qui bloquent ses projets d'ouverture 54. Il entend abattre le clientélisme politique en changeant le mode de désignation des responsables, de la base au sommet du PS.

Ainsi, seul Abdou Diouf, reconduit dans ses fonctions par... acclamations, a le pouvoir lors de ce Congrès de nommer le bureau politique du parti, auparavant désigné par le comité central. Pour faire bonne figure, les principaux visés par Diouf démissionnent à la fois du bureau politique et de leur poste de coordinateur régional 55. Cette fonction, qui assurait le lien entre la base et la cime du parti, est à cette occasion supprimée, afin d'éviter la constitution de nouveaux fiefs politiques autonomes mais aussi les jalousies.

Par conséquent, tous les "barons" quittent le bureau politique - mais reste au comité central - tandis que les dioufistes, tels que Djibo Kâ, Mamadou Diop, Daouda Sow, Moustapha Niasse, François Bob, André Sonko, Momar Talla Cissé etc... s'installent 56. La hiérarchisation au sein du bureau est supprimée, mais un ordre "protocolaire" est très vite instauré. Avec sa fonction de secrétaire national chargé des règlements des conflits, Jean Collin prend de facto les rênes du bureau politique, qu'il dirige à chaque réunion. Habib Thiam, secrétaire national chargé de la vie politique, et Moustapha Niasse, secrétaire national chargé des questions internationales, sont ses seconds dans cette hiérarchie officieuse .

En outre, le bureau politique - à l'instar du gouvernement - s'ouvre à la société civile. Doudou Ndoye, ancien du PDS, devient secrétaire national chargé des questions administratives et Thierno Bâ, ancien du PAI, est nommé secrétaire national chargé de la propagande 57. D'autres représentants de la société civile intègrent le PS. Les comités de soutien d'Abdou Diouf durant la campagne présidentielle de 1983, qui se déclaraient jusque là apolitiques, sont invités à rejoindre le parti gouvernemental.

Si la COSAPAD accepte, le GRESEN hésite et se disloque. Des hommes comme Moustapha Kâ - à l'époque directeur de cabinet du Président Diouf - intègre officiellement le PS et son centre de réflexion nouvellement crée, le Groupe d'Etude et de Recherche (GER), qui a pour but "d'ouvrir et apporter une contribution à la réflexion pour un PS meilleur et au service des préoccupations des populations". Iba der Thiam néglige quant à lui cette proposition d'intégration et tente, tant bien que mal, d'assurer la pérennité du GRESEN. Il faut attendre le

53 "Une campagne systématique était orchestrée, de rumeurs calomnieuses, non fondées, même sur des semblants de preuves concrètes, contre ces "barons" en chute libre, parmi lesquels étaient fréquemment cités des noms de personnalités comme Amadou Cissé Dia, Maguette Lô, Alioune Badara Mbengue, André Guillabert, Assane Seck etc." Assane Seck, Sénégal, émergence d'une démocratie moderne (1945-2005) : un itinéraire politique, Paris, Karthala, 2005.

54 Pierre Biarnès, "le Président Abdou Diouf entend rénover et démocratiser la formation gouvernementale", Le Monde, 21 janvier 1984.

55 Un des "barons", Magatte Lô, déclare après cette décision : "Les anciens se retirent, puisque le congrès est d'accord pour le rajeunissement du parti". Sennen Andriamirado, "Les barrons, c 'est fini? ", Jeune Afrique, n° 1204, 1er février 1984. Puis, "conséquence logique du congrès extraordinaire, les "barons" eux-mêmes votè rent leur sortie du bureau de l'Assemblée nationale". Assane Seck, Sénégal, émergence d'une démocratie moderne (1945-2005) : un itinéraire politique, Paris, Karthala, 2005.

56 Antoine Tine, Du multiple à l'un et vice-versa ? Essai sur le multipartisme au Sénégal (1974-1996), Institut d'études politiques de Paris, 1996 et François Zuccarelli, La vie politique sénégalaise (1940-1988), pp.1 70, Paris, Publication du Cheam, 1988.

57 Sennen Andriamirado, "Les barrons, c 'est fini ? ", Jeune Afrique, n° 1204, 1 er février 1984.

13 juillet 1985 pour que le comité de soutien "apolitique" retrouve un semblant de vie 58 . Il fustige à cette occasion ceux qui se sont servis du GRESEN comme tremplin pour aboutir au GER 59. .Le ministre de l'Education Nationale maintient donc sa différence, en se démarquant du PS et de son très influent secrétaire national chargé des règlements des conflits, Jean Collin.

La prédominance de Jean Collin est de plus en plus palpable après 1983. Il détient à présent les clés du parti et se pose en arbitre incontournable, aussi bien au PS qu'au sein du gouvernement. Il est devenu un "censeur tout puissant" 60 . Cette omnipotence agace certains fidèles de Diouf, en particulier Habib Thiam. Les conflits entre les deux hommes, bien antérieurs à l'ascension de Diouf à la présidence, se multiplient lorsque l'ancien Premier ministre est "muté" à l'Assemblée nationale. Très rapidement, Thiam constate avec amertume que les manigances de Collin à son encontre sont tolérées par le chef de l'Etat. Alors qu'il est dans les textes le deuxième personnage du Sénégal, Habib Thiam n'est par exemple pas consulté lors de la composition du bureau de l'Assemblée nationale 61.

Tout comme les "barons", Thiam proteste contre la dérive présidentialiste du régime. Il refuse de ce fait à faire voter la loi autorisant la dissolution de la Chambre par le Président sans contrepartie 62 . De plus, l'attitude singulière de l'ancien Premier ministre dérange. Il s'autorise à descendre de son "perchoir" pour participer aux débats parlementaires, à donner son avis sur les lois votées, allant parfois jusqu'à les critiquer. Jean Collin, adepte des hommes politiques disciplinés, veut mettre fin à ces "provocations". Par l'intermédiaire d'Ibrahima Wone, ministre de l'Intérieur, tous les députés socialistes sont "conviés" à voter une loi portant sur la réduction du mandat du président de l'Assemblée nationale de cinq à un an. Prenant exemple sur... le Cameroun, les députés justifient cette loi en affirmant vouloir uniformiser les mandats - les membres du bureau du Parlement étant élus pour une durée d'un an - et éviter "d'être désarmé face au président de l'Assemblée nationale, au cas où les intérêts de la majorité seraient menacés" 63.

La loi, est votée le 15 mars 1984 107 députés sur 114 présents. Le PDS vote contre, estimant qu'il s'agit là "d'un règlement de compte entre clans du parti au pouvoir". Habib Thiam, "tout simplement dégoûté" 64 , démissionne le 11 avril 1984 avec fracas de ses fonctions de président de l'Assemblée nationale, député, secrétaire général de la coordination départemental de Dagana, secrétaire général adjoint de l'union régionale de la région du Fleuve, membre du bureau politique PS ainsi que du conseil national. En dépit du silence officiel de son ami, Habib Thiam ne quitte pas le PS à la demande d'Abdou Diouf. Il est remplacé à la tête du Parlement par Daouda Sow, et quitte le milieu politique, le chef de l'Etat l'ayant nommé à la présidence du conseil d'administration de la Banque Internationale pour le

58 Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf, Le Sénégal sous Abdou Diouf. Etat et société, Dakar, Codesria, Paris, Karthala, 1990.

59 Moustapha Mbodj, "GRESEN : nouveau départ", Le Soleil, 15 juillet 1985.

60 Sennen Andriamirado, "Les barrons, c 'est fini? ", Jeune Afrique, n° 1204, 1er février 1984.

61 "Ce n 'était pas tant les changements intervenus qui me choquaient que la procédure suivie et ce que je supposais avoir été le rôle de Jean Collin (...) la manière ressemblait trop à la façon dont le condamné à mort était, brusquement au petit matin, réveillé et conduit, dans l'air glacial de l'aube, à l'échafaud". Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp. 64, Paris, Rocher, 2001.

62 Habib Thiam s'autorise dans ses mémoires cette réflexion :"N'y avait-il pas une dérive du pouvoir vers l'autoritarisme, vers le pouvoir personnel ? ". Habib Thiam, Par devoir et amitié, Paris, Rocher, 2001.

63 "Démission du Président de l'Assemblée nationale", Le Monde, 13 avril 1984.

64 Thiam écrit dans ses mémoires : "j'étais tout simplement dégoûté". Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp. 81, Paris, Rocher, 2001.

Commerce et l'Industrie du Sénégal. Le Président de la République n'a donc hésité pas à sacrifier son ami Habib Thiam - qu'il avait nommé à la surprise générale à la Primature contre l'accord de Senghor - en faveur de Jean Collin. Ce fait souligne toute l'influence qu'a le "toubab" 65 sur Diouf au cours des années 1980.

Celle-ci semble également jouer un rôle lors du renvoi de Moustapha Niasse en octobre 1984. Ministre influent du gouvernement Diouf - il est le seul ministre d'Etat avec Jean Collin - Moustapha Niasse commet l'erreur le 19 septembre 1984, en plein bureau politique PS, d'envoyer... un coup de poing à son collègue Djibo Kâ. Les deux hommes se connaissent pourtant bien, puisque l'un (Niasse) a formé l'autre (Kâ) au secrétariat de la présidence de la République dans les années 1970, avant d'oeuvrer ensemble pour porter Abdou Diouf au pouvoir. Cette dissension ne parait donc pas irréversible, mais très rapidement, l'affaire s'ébruite dans la presse internationale 66 . On peut lire dans différents journaux que Niasse est un senghoriste convaincu, peu enclin à travailler avec le dioufiste Djibo Kâ. Le 10 octobre 1984, sans aucune explication, Le soleil annonce le départ de Moustapha Niasse, remplacé aux Affaires Etrangères par Ibrahima Fall 67 . L'opacité entourant cet événement paraît être frappé du sceaux de Jean Collin.

Abdou Diouf s'est de ce fait coupé durant l'année 1984, plus ou moins volontairement, d'une partie du PS. Sa gestion interne du parti, ainsi que sa politique économique, lui sont reprochées. Des tracts, publiés entre 1985 et 1988, sous le nom de "Parti socialiste authentique", interpellent Diouf sur sa conduite des affaires. Il s'emploie alors à rappeler son attachement au "socialisme démocratique", concept qu'il définit par cette simple phrase : "Avoir le sens de l'Etat, c'est aussi avoir le sens des limites de son intervention" 68.

Par conséquent, c'est à partir de 1984 qu'Abdou Diouf connaît des difficultés récurrentes quant au contrôle du PS 69. C'est pourquoi il délègue la gestion interne du parti à Jean Collin, dont l'autorité et le charisme limitent bien souvent les revendications des détracteurs internes. Le secrétaire national chargé des règlements des conflits peut donc faire et défaire les carrières politiques à sa guise, avec la bénédiction du secrétaire général PS.

Alors que le PS est en proie à des luttes intérieures, l'opposition demeure quant à elle désordonnée suite à sa déroute électorale. Si le PDS capitalise une partie du mécontentement populaire en jouant sa propre carte, le RND se scinde et perd le crédit qu'il avait capitalisé durant ses années de clandestinité, tandis qu'une constellation de partis d'extrême gauche, réunie sous la bannière du Suxxali Rewni (sauver le peuple en wolof), tente vainement d'exister sous l'autorité de Mamadou Dia.

65 "L 'homme blanc" en wolof.

66 Sennen Andriamirado, "Diouf se fâche", Jeune Afrique, n° 1242, 24 octobre 1984.

67 "Moustapha Niasse quitte le gouvernement", Le Soleil, 10 octobre 1984.

68 "L 'ancrage socialiste intangible", Le Soleil, 8 mai 1985.

69 Abdou Diouf soutient néanmoins dans son intervention radiophonique de 2005 que les premières contestations sont apparues dès sa prise de fonction. "J'avais l'habitude de dire qu 'il mettait plus facile de gouverner l'Etat que de diriger mon parti". Abdou Diouf : entretiens avec Philippe Sainteny, Emission livre d'or, RFI, 2005.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo