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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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3.2.2. Le "troisième tour" d'Abdoulaye Wade :

Abdoulaye Wade n'a toujours pas digéré son échec à l'élection présidentielle. Si en 1993, il avait appelé à ce que les législatives soient un véritable second tour, l'absence du Président de la République avait pesé lourd dans la campagne du chef de l'opposition, qui faute d'adversaire, n'avait pu mener une stratégie de campagne cohérente.

En 1996, la donne change. Ousmane Tanor Dieng a pris en main ouvertement le PS. Le fondateur du PDS peut donc concentrer ses attaques sur une personnalité clairement définie. Le ministre d'Etat, qui côtoie le premier secrétaire PS au gouvernement, a appris à le connaître et... à ne pas l'apprécier. En multipliant les diatribes à l'encontre de Tanor Dieng, Wade trouve également le moyen de justifier son maintien au gouvernement. En effet, il montre à travers ses discours que son action n'est pas dirigée contre Abdou Diouf - qui depuis son retrait du PS est considéré par les non socialistes comme un "arbitre au-dessus de la mêlée" - mais contre les socialistes. Il ne cesse de répéter durant la précampagne qu'il continue de bénéficier de toute la confiance du chef de l'Etat, et qu'il n'a donc aucune raison de quitter son ministère. La LD/MPT, elle aussi très vigoureuse dans ses attaques contre le PS, tient le même discours pour justifier son maintien gouvernemental.

79 "Noces d'octobre ", Le Soleil, 10 octobre 1996.

80 "Investitures consensuelles au PS", Le Soleil, 17 octobre 1996.

81 Abdoulaye Wade déclare en décembre 1994 que la mairie de Dakar ne l'intéresse pas. "Abdoulaye Wade : Personne n 'a le droit de laisser chavirer le navire ", Le Soleil, 2 décembre 1994.

En se déclarant adversaire du PS et non d'Abdou Diouf, Wade se permet d'organiser, à peine un an après son entrée au gouvernement, des meetings très virulents à l'égard des socialistes, en présence notamment de représentants du PIT et d'And Jëf. Le PDS établit même avec le PIT des listes de coalition dans certaines villes. Wade expose dans ses discours son programme de 1996, qu'il intitule "les dix commandements du PDS", ciblés sur des questions locales et régionales. Il prône la propreté des villes, la bonne gestion des budgets municipaux et régionaux, la création de multiples emplois, l'aide aux femmes et aux personnes âgées, la construction d'écoles, le développement d'activités sportives et culturelles etc.82 Comme tous les autres candidats opposés au PS, il dénonce la mauvaise gestion des villes, "infestées par des saletés et des microbes" 83.

Pour donner du crédit à son engagement dans ces élections, Abdoulaye Wade ne se présente pas dans sa région natale - contrairement à Tanor Dieng, qui s'aligne à Thiès - mais dans la plus intéressante politiquement et économiquement : Dakar. Il justifie sa non-candidature dans son fief naturel, Kébémer, par ces propos : "ma dimension et mes capacités doivent être consacrées à une grande ville comme Dakar. A Kébémer, j'aurais réglé les problèmes en huit jours" 84.

A l'arrogance wadiste se joint des projets ambitieux, déjà avancés mais refusés par le gouvernement. Il propose la création d'un nouvel aéroport à Keur Massar, près de Dakar. L'objectif de ce grand chantier est de relancer l'économie sénégalaise et créer de nombreux emplois. Néanmoins, la crédibilité de son projet s'essouffle lorsqu'il déclare vouloir reconvertir l'ancien aéroport de Dakar, rebaptisé depuis quelques semaines Léopold Sédar Senghor... en Champs Elysées sénégalais et en centre financier.

Ces propositions font réagir Ousmane Tanor Dieng. Alors qu'Abdou Diouf n'a jamais eu pour habitude de répondre aux propos wadistes, 1988 excepté, le ministre-directeur de cabinet impose son style et adopte un ton offensif, voire agressif, à l'égard du ministre d'Etat. Il minimise notamment l'influence libérale à Dakar, clamant que la victoire PDS de 1993 dans la capitale n'a été le fruit que... de multiples fraudes : "ce sont les fraudes par ordonnances de votes qui ont fait gagner au PDS les villes de Dakar et Thiès" 85.

Raillant les alliances du PDS avec l'opposition - "zéro plus zéro égale zéro (...) ils ont beau se coaliser, cela ne nous inquiète pas, mais nous amuse plutôt" 86 - le premier secrétaire général PS devient le seul "interlocuteur" de Wade durant la campagne. Les discours sont virulents et les attaques quotidiennes. Ousmane Tanor Dieng en vient à menacer le camp PDS de faire voter une motion de censure contre le gouvernement pour faire partir les libéraux. En guise de réponse, Wade accuse le directeur de cabinet du Président d'autoritarisme et le menace... d'appuyer la motion pour l'amener à commettre une erreur irréparable. Il résume l'attitude de son adversaire par les propos suivants : "il tente de répercuter le mimétisme qui l'a conduit au poste de premier secrétaire du PS : coopter au sommet sans débats. Il veut une démocratie sans débats. Le mieux qu 'il a à faire, c 'est de régler ses problèmes de légitimité avec les militants de base de son parti" 87 . Comme on le note à travers ces propos, l'opposition insiste sur les difficultés que connaît Tanor Dieng au sein de son propre parti. Les problèmes internes du PS sont donc une arme dont se sert Wade pour décrédibiliser son adversaire. Pour

82 "Wade énumère les dix commandements du PDS", Le Soleil, 10 juin 1996.

83 "Wade promet un recours contre le découpage de Dakar", Le Soleil, 19 septembre 1996.

84 Idem.

85 Le Soleil, 24 juin 1996.

86 "OTD dénonce les éléphants blancs et le double jeu des alliés-adversaires au gouvernement", Le Soleil, 30 septembre 1996.

87 "Le PDS contre une démocratie sans débats", Le Soleil, 1er octobre 1996.

renforcer la portée de ses attaques, il établit une opposition entre la sagesse dioufiste et l'attitude belliqueuse tanorienne.

Pour polir son image auprès de la population, le premier secrétaire PS s'appuie sur les réseaux clientélistes traditionnels dioufistes : comités de soutien, petits ndiguel etc. En outre, il articule chacun de ses discours autour de sa filiation avec Abdou Diouf, mais aussi innove, en récupérant à son compte des éléments qui ont fait la force d'Abdoulaye Wade depuis plus d'une décennie. A la manière du chef de l'opposition, qui depuis très longtemps accorde une place majeure aux femmes dans ses programmes, Ousmane Tanor Dieng se veut être le candidat des femmes. Peu représentées à la chambre - elles ne sont que 14 places Soweto - elles votent pourtant d'avantage que leurs homologues masculins et constituent le plus gros des effectifs des réunions politiques. Electoralement, le soutien des Sénégalaises est donc vital. Le premier secrétaire général PS en a bien conscience.

Durant la campagne, il multiplie les louanges à l'égard de la gent féminine en s'appuyant sur une "étoile montante" du PS, Mme Aminata Mbengue Ndiaye, présidente des femmes socialistes. Celle-ci est d'ailleurs en juin 1996 la première femme à diriger les travaux d'un comité central PS. Fort de ce soutien, le ministre d'Etat promet 25 % des investitures aux femmes lors des prochaines élections. Il place aussi de façon officieuse certaines personnalités féminines, telles que Aminata Mbengue Ndiaye, têtes de liste dans certaines municipalités. De cette façon, Ousmane Tanor Dieng tente de rallier à lui la sympathie des femmes. Il va ainsi dans le sens d'Abdou Diouf, qui accorde depuis le début des années 1990 aux citoyennes une attention plus marquée. Cette tentative de féminisation de la vie politique correspond à la volonté dioufiste de faire entrer le Sénégal dans le cercle fermé des démocraties modernes.

Ousmane Tanor Dieng essaie aussi de briser le "monopole" libéral auprès de la jeunesse. Pour réussir son entreprise, il n'hésite pas à nouer des liens avec les Moustarchidines, interdits depuis les événements du 16 février 1994. Ainsi, d'après Le Soleil, c'est sur une demande personnelle d'Ousmane Tanor Dieng88 que l'association est relégalisée... quelques jours seulement avant le scrutin électoral. En guise de remerciement, les Moustarchidines se déclarent à présent comme étant les plus fervents... opposants aux libéraux. Moustapha Sy justifie de la façon suivante ce renversement d'alliance : "le divorce avec les libéraux remonte à leur emprisonnement (...) et Me Wade qui nous doit 50 millions de francs sait, lui, de quoi je parle" 89.

Les socialistes se rapprochent de ce fait très étroitement d'une des branches tidjanes les plus influentes et populaires auprès de la population urbaine. Ousmane Tanor Dieng prive ainsi Wade d'un des soutiens qui a favorisé son succès dakarois de 1993 : le PS s'est donné les moyens de reconquérir la capitale.

Comme on vient de le voir, l'opposition Tanor Dieng - Wade polarise les attentions, en dépit de la participation d'une quinzaine de ministres au cours de la campagne. Ils s'affrontent pour la plupart à Dakar.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams