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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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3.4. Une confiance rompue :

Le Soleil du 28 octobre 1996 publie un article intitulé "Wade crie à la fraude". Le ministre d'Etat interpelle Abdou Diouf suite à la découverte d'un stock d'un million de cartes d'électeur

95 "Sud FM scrute l'horizon des ondes", Le Soleil, 27 juin 1995.

96 En 1997, Sud FM, Dunyaa et Nostalgie ne paient pas cette redevance, la jugeant injuste. Le ministère de la Communication fait alors purement et simplement fermer la fréquence de ces radios pour... trois mois. Les fréquences sont toutefois rapidement réouvertes, après que les radios aient décidé de payer. Voir Le Soleil du 10 et 17 août 1997.

97 "Quand les radios font campagne", Le Soleil, 14 novembre 1996.

et d'identité vierges. Le chef de l'opposition n'est pas un néophyte de ce genre de déclaration, mais contrairement aux fois précédentes, le pouvoir ne nie pas. En effet, Wade donne le nom de la société espagnole incriminée et des détails qui crédibilisent ses accusations 98 . Ces dernières sont si fondées que le pouvoir est forcé d'admettre qu'il existe bel et bien un stock de cartes vierges, dont l'existence a été plus ou moins cachée. C'est laborieusement que le gouvernement trouve une explication pour justifier ce secret. Il doit toutefois, devant la pression des médias, faire brûler... 555 216 documents la veille des élections, en présence d'un observateur du PDS 99. Les libéraux jubilent, même s'ils affirment qu'il existe encore un autre stock de 300 000 documents "oubliés". Cette affaire porte un coup terrible au PS, puisque c'est la première fois de façon officielle que les socialistes reconnaissent la véracité d'une accusation portée par le PDS.

La crédibilité du scrutin est définitivement laminée le jour du vote étant donné que l'on constate dans une centaine de bureaux dakarois l'absence d'isoloirs, de bulletins de partis d'opposition ou même... d'urnes. Les votes sont dans certains bureaux prolongés jusqu'à minuit tandis que pour 85 bureaux et 32 681 électeurs, on repousse la consultation... au mercredi suivant. L'opposition crie au scandale. Le PDS, qui sait que les premières estimations lui sont défavorables, demande l'annulation pure et simple de l'élection. Au contraire, And Jëf, fort de ses très bons résultats en Basse-Casamance, ne prône que des annulations au cas par cas 100.

L'annonce des résultats confirme les premières tendances. Le PS l'emporte très largement, reprend Dakar et Thiès, dispose de la majorité dans 300 communautés rurales sur 320, dans 56 communes sur 60 et dans la totalité des 10 régions sénégalaises. Le PDS ne l'emporte que dans quelques mairies d'arrondissement dakaroises et dans des communes casamançaises (Vélingara, Goudamp et Sédhiou) bien souvent avec l'aide... de dissidents socialistes. Néanmoins, les libéraux remportent une victoire symbolique à Dagana, seule ville "nordiste" conquise et commune natale du Premier ministre Habib Thiam. Quant à And Jëf, il obtient de très bons résultats. Il s'affirme comme le troisième parti sénégalais, avec un score national audessus de 11 %.

Alors qu'Ousmane Tanor Dieng parle "d'hégémonie socialiste", l'opposition, d'une voix unique, dénonce "la pagaille, l'anarchie et les irrégularités" 101. Même s'ils n'ont pas gagné, les opposants ont souvent mis à mal les socialistes : Abdoulaye Wade fait 3 6,09 % à Dakar ; Landing Savané 34,85 % à Bignona ; Idrissa Seck 40,52% à Thiès ; Ousmane Ngom 28,41% à Saint-Louis 102 . Si ces résultats sont le plus souvent en deçà des scores réalisés en 1993, ils permettent toutefois à l'opposition d'intégrer en masse les conseils municipaux et régionaux.

Le monocolorisme socialiste est bel et bien enterré, comme par exemple au conseil régional de Dakar :

- PS : 47 conseillers régionaux

- PDS : 11 conseillers régionaux

- And Jëf : 2 conseillers régionaux

- LD/MPT : 1 conseiller régional

- CDP/Garab-Gui : 1 conseiller régional

98 "Cartes électorales vierges : Wade apporte des précisions", Le Soleil, 19 novembre 1996.

99 "555 216 documents brûlés aux Mamelles", Le Soleil, 24 novembre 1996.

100 Le Soleil, 26 novembre 1996.

101 "Résultats contestés", Le Soleil, 1er décembre 1996. 102 "Le PS rafle la mise", Le Soleil, 1er décembre 1996.

Ce pluralisme est plus net si on dénombre l'ensemble des conseillers municipaux élus dans la région dakaroise :

- PS : 419 conseillers municipaux

- PDS : 78 conseillers municipaux

- And Jëf : 14 conseillers municipaux

- LD/MPT : 7 conseillers municipaux

- CDP/Garab-Gui : 2 conseillers municipaux

- BCG : 1 conseiller municipal

- BSR : 1 conseiller municipal

Quand bien même les opposants ne représentent que 20 % des conseillers municipaux dakarois, ils participent à présent aux débats et à la vie politique locale, ce qui n'était plus le cas depuis le premier boycott de 1984. La majorité des grands leaders politiques qui se sont présentés ont été élus conseillers municipaux ou régionaux (c'est le cas d'Iba der Thiam, Jean-Paul Dias, Amath Dansokho, Idrissa Seck). Toutefois, la plupart refusent de siéger, comme Abdoulaye Wade au conseil régional de Dakar.

Le "deuxième tour" de ces élections a lieu lors de l'installation des maires. On assiste dans certaines localités à de farouches empoignades. On lit dans Le Soleil du 1er janvier 1997 que l'intronisation du maire de Thiadiaye tourne à l'émeute, suite à l'élection d'Abdoulaye Niakar Niane face au candidat socialiste initialement prévu, Souleymane Diène. Le journaliste écrit que "les partisans de ce dernier (...) ce sont mis en colère en renversant les tables et les chaises et en s'attaquant à la mission officielle (...) le préfet a échappé au lynchage". Cet exemple n'est pas un cas isolé, loin s'en faut. L'anarchie prédomine, le PS étant incapable d'imposer ses propres candidats. Les enjeux financiers sont considérables et chaque prétendant socialiste est prêt à tout pour obtenir la magistrature, quitte à s'allier avec des libéraux. Ainsi, l'ancien ministre socialiste Balla Moussa Daffé passe en pleine élection dans le camp libéral et fait gagner le PDS à Sédhiou, la même chose arrivant dans la mairie d'arrondissement des Parcelles Assainies à Dakar avec Tété Diédhiou. Ces transhumances sont exploitées par Abdoulaye Wade. Il n'hésite pas à s'afficher avec les deux frondeurs en conférence de presse quelques jours après le scrutin 103.

L'attitude wadiste crispe les socialistes, d'autant plus qu'Ousmane Ngom multiplie les diatribes à l'égard de l'organisation des élections. Il résume en quelques points les principaux problèmes constatés lors du scrutin : rétention de cartes de l'opposition ; ouverture tardive des bureaux de vote ; insuffisance de bulletins de l'opposition ; distribution par les socialistes de certificats de conformité vierges ; présence de présidents de bureaux de vote imposés par les socialistes ; acheminement de procès verbaux par la gouvernance à la commission de recensements des votes etc.104 Le témoignage de Ngom est corroboré par le rapport d'une organisation non gouvernementale, la RADDHO, qui dresse un portrait peu élogieux du scrutin de 1996.

"Les faux pas, la désorganisation, voire le chaos qui ont marqué cette échéance électorale laissent un goût amer à celles et à ceux qui rêvent de démocratie. La pagaille a particulièrement régné à Dakar : mauvaise distribution des cartes électorales, démarrage tardif ou carrément non-fonctionnement de nombreux bureaux de vote, non-respect de la loi électorale etc." 105

Les contestations sont nombreuses : 115 requêtes sont déposées auprès de la Cour d'appel. Le

103 "Me Wade : pas de contentieux global", Le Soleil, 5 décembre 1996.

104 "St-Louis : l'opposition se ligue pour contester les résultats officiels", Le Soleil, 27 novembre 1996. 105 Collectif "Survie", "France-Sénégal : une vitrine craquelée", Paris Montréal, l'Harmattan, 1997.

PDS est à l'origine de 43 requêtes d'annulation partielle des élections et le PS de 29. Seules... 10 sont entendues. Les partis d'opposition jugent alors que ni la justice, ni l'administration n'ont pour ambition de mettre fin aux blocages récurrents initiés par les socialistes.

Le PDS et la LD/MPT décident donc d'appuyer fortement la requête d'And Jëf, du RND et du CDP/Garab-Gui, qui militent depuis plusieurs mois pour l'instauration d'une Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI). Celle-ci permettrait d'écarter l'administration des procédures électorales. Ce revirement des partis gouvernementaux favorise l'élaboration d'un nouveau front de l'opposition. Rassurés durant la campagne par les prises de position de Wade et Bathily, And Jëf, le RND et la CDP ne voient plus la participation gouvernementale comme un obstacle à une entente.

Même si une partie de la base libérale réclame le départ des ministres PDS du gouvernement106, Abdoulaye Wade sait qu'il peut à présent jouer ouvertement un double jeu. Sa popularité oblige Diouf à composer avec lui et les autres partis d'opposition ont besoin de sa personne pour faire plier le PS au sujet de la CENI. Le rapport de force commence donc à s'inverser après 1997. Lentement, Wade bâtit un front du refus uni alors que le PS s'enfonce peu à peu dans une crise irréversible, bien mal dissimulée par ce succès électoral.

Nonobstant les problèmes post-électoraux, ces élections régionales et municipales ont montré des signes d'amélioration du débat et de la vie démocratique dans le pays. La grande dose de proportionnelle a favorisé une "multicoloration" des conseils municipaux et régionaux ; les problèmes locaux ont été mis sur le devant de la scène durant la campagne ; la presse et la radio ont joué leur rôle de contrepouvoir etc. De plus, en dépit du taux de participation extrêmement faible de ces élections - à peine plus de 35% de participation à Dakar - la vie politique locale est redevenue un enjeu grâce à la décentralisation : on considère donc qu'il s'agit là d'un succès politique. Il n'en va pas de même sur le plan économique car les moyens financiers mis à la disposition des élus se révèlent rapidement très insuffisants : les régions sont incapables de faire face aux compétences qui leur ont été transférées. Ainsi, l'Etat conserve touj ours de fait après 1996 la quasi-totalité des compétences qu'il était censé léguer aux régions 107.

Par conséquent, la décentralisation est un semi-échec pour Abdou Diouf. Le chef de l'Etat est de surcroît confronté après les élections au mécontent de l'opposition. En jugeant le 31 décembre 1996 "regrettables certaines défaillances dans l'organisation du scrutin" 108 , le Président entame un processus qui l'amène rapidement à se démarquer du PS et à débuter des discussions avec "le collectif des 19" quant à la possibilité d'instaurer une CENI. Abdou Diouf prend alors la posture d'un Président consensuel.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo