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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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4.2. Ousmane Tanor Dieng : un homme omniprésent... et impopulaire :

Comme on l'a vu précédemment, Ousmane Tanor Dieng est nommé sans surprise à la tête du directoire de campagne dioufiste. Le chef de l'Etat lui maintient donc sa pleine confiance en dépit de l'implosion du PS. En effet, le premier secrétaire a bien du mal à faire respecter ses choix. Il n'a plus les mêmes facilités pour s'entourer uniquement de ses proches, comme l'atteste l'énormité de l'effectif du directoire de campagne. Néanmoins, il s'appuie toujours sur de alliés fidèles tels que Aminata Mbengue Ndiaye, Amath Cissé, Abdourahim Agne ou Abdoulaye Makhtar Diop.

Pour conserver sa position prédominante, Tanor Dieng mise sur sa proximité avec le chef de l'Etat. Lors de l'investiture de Diouf en décembre 1999, il multiplie les louanges et souligne la sagesse, le pacifisme, l'audience internationale et le bon bilan dioufiste. En consolidant la position du Président au sein du parti, Tanor Dieng peut gérer les affaires internes comme bon lui semble, avec parfois avec une certaine "brutalité" 91 . C'est ces méthodes qui ont notamment poussé Djibo Kâ vers la sortie, comme il le confirme à Jeune Afrique en juin 1999 : "il (Ousmane Tanor Dieng) dirige un parti, moi, un autre. Je lui ai pardonné. Je pardonne toujours, surtout quand ceux qui commettent des erreurs ou des fautes le font par méchanceté, par ignorance ou par incompétence" 92.

Pourtant, à l'approche des présidentielles de 2000, l'omnipotence tanorienne est remise en cause. Tout d'abord, l'arrivée de Jacques Séguéla court-circuite son influence puisque le français prend en charge l'élaboration du slogan de campagne, l'organisation des meetings, les thèmes abordés etc. Cette mise à l'écart relative peut s'expliquer par les mauvais rapports qu'entretient le ministre d'Etat avec la famille Diouf, et notamment avec Magued Diouf, frère du Président et aussi ministre de l'Energie, des Mines et de l'Industrie. La rivalité est telle entre les deux hommes que Magued Diouf envisage un temps de constituer un directoire de campagne parallèle pour coordonner les multiples comités de soutien de son frère 93. Devant le refus catégorique du bureau politique PS, il y renonce... après une intervention du Président de la République 94.

Plus grave pour Abdou Diouf, Ousmane Tanor Dieng est peu apprécié de la confrérie mouride et de ses fidèles. Depuis 1992 et la visite du Pape Jean-Paul II, le régime dioufiste n'a pas de très bons rapports avec le Khalifat mouride, qui s'est très clairement rapproché du camp wadiste. Compte tenu de l'influence des Mourides dans la vie économique et sociale du Sénégal, le parti gouvernemental doit favoriser un rapprochement entre Diouf et la confrérie avant le scrutin. C'est pourquoi Ousmane Tanor Dieng entame des démarches pour obtenir un ndiguel d'un des membres de la confrérie. Cette tentative est un échec. Le 31 décembre 1999, Ousmane Tanor Dieng se fait huer par les talibés mourides, empêchant Serigne Modou Kara Mbacké, un des petits-fils du fondateur de la confrérie Cheikh Amadou Bamba Mbacké, de donner sa consigne de vote 95.

91 André Payenne, "Ceux qui comptent", Jeune Afrique, 15 juin 1999.

92 Francois Kpatindé, "Où s'arrêtera Djibo Ka ? ", Jeune Afrique, 1er juin 1999.

93 "Magued Diouf fâché ", Jeune Afrique, 28 décembre 1999.

94 Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.205, Paris, Rocher, 2001.

95 Modou Kara Mbacké prononce tout un même un ndiguel déguisé durant l'entre-deux tour, le 14 mars 2000, au cours d'un entretien à Wal Fadjri, en affirmant "qu 'une vision nocturne inspirée par Amadou Bamba lui a révélé que Diouf allait vaincre au second tour". Toutefois, cette déclaration ne fait pas oublier les événements du 31 décembre 1999. Dans l'esprit des contemporains, Tanor Dieng et Diouf sont rejetés par les talibés mourides. Voir O'Brien - Diop -Diouf, La construction de l'Etat du Sénégal, pp.133, Paris, Karthala, 2002.

Enfin, Ousmane Tanor Dieng est contesté par l'opposition. Celle-ci n'hésite pas à s'attaquer à sa vie privée pour l'affaiblir 96 . Elle critique également sa toute puissance au sein de l'Etat, puisqu'à la manière de feu Jean Collin, le ministre des Services et des Affaires Présidentielles gère les fonds politiques ainsi que l'ensemble des renseignements venant des ministères de l'Intérieur et des Forces Armées. A la fois directeur de cabinet, secrétaire général de la présidence, premier secrétaire du PS et directeur de la campagne d'Abdou Diouf, Ousmane Tanor Dieng est omniprésent dans les médias à la fin de l'année 1999. En outre, les opposants s'inquiètent de certaines de ses déclarations qui soutiennent que le Président Diouf emportera aisément les prochaines élections, en donnant parfois des estimations chiffrées. Ainsi, Abdourahim Agne parle de 1 021 000 de voix pour le candidat socialiste au premier tour 97.

En dépit des protestations de l'opposition, il est de coutume pour un candidat d'affirmer qu'il va gagner au premier tour, que ce soit Diouf, Wade ou un autre. En effet, hormis le scrutin présidentiel, aucune élection au Sénégal ne prévoit de second tour. Par exemple en 1998, le PDS a gagné la région de Dakar avec à peine plus de 30 % des voix. La culture du second tour n'existe donc pas au Sénégal. Cette volonté affichée de la part de Tanor Dieng de gagner au premier tour est ainsi considéré comme un malencontreux réflexe politique plutôt qu'une réelle traduction du désir de frauder. Toutefois, en donnant des chiffres relativement précis, les propos tanoriens laissent craindre une fraude organisée, impression renforcée après la révélation de "l'affaire des cartes israéliennes".

De surcroît, les contemporains ont conscience qu'en cas de second tour, la réélection de Diouf est plus que compromise au vu de la solidarité affichée par le FRTE. Cette défaite sonnerait alors le glas des ambitions tanoriennes, étant donné qu'il est convenu qu'une réélection du chef de l'Etat porterait Ousmane Tanor Dieng à la Primature. L'opposition joue sur ce fait pour mettre en doute la transparence du scrutin mais également les motivations de la candidature dioufiste. Les opposants pensent effectivement que le chef de l'Etat a pour unique intention en se représentant de laisser au cours de son prochain mandat la présidence à son homme de confiance. Si tel n'est pas le cas, quel était l'intérêt pour Tanor Dieng de supprimer en 1998 la loi sur la limitation des mandats présidentiels ? Bien que le Président de la République réfute l'hypothèse d'un passage de témoin durant son prochain septennat, la jurisprudence Senghor de 1980 indique que cette possibilité est tout à fait envisageable.

D'après certains de ses proches, il semble même qu'Abdou Diouf hésite longuement avant de se représenter 98 . Même s'il clame à plusieurs reprises ne pas connaître l'usure du pouvoir, il est probable que ce soit l'absence de chance de gagner de Tanor Dieng qui convainc finalement Diouf de se lancer dans la bataille électorale. D'ailleurs, le ministre d'Etat reconnaît lui-même tacitement ce fait lorsqu'il déclare après l'investiture du candidat PS : "nous avons porté notre choix sur le seul homme capable aujourd'hui de fédérer les diffé rents

96 L'opposition révèle notamment la polygamie d'Ousmane Tanor Dieng. Bien que celle-ci soit autorisée et largement pratiquée au Sénégal, il est particulièrement mal vu pour un homme politique d'avoir officiellement plusieurs femmes. La vie politique sénégalaise ayant calqué ses valeurs sur celles de la République française, la famille d'un politicien sénégalais doit refléter des vertus essentielles comme la confiance, la stabilité et la fidélité, que seule la monogamie garantit. Cette révélation affaiblit d'autant plus le ministre d'Etat qu'il s'appuie depuis ses débuts en politique énormément sur l'électorat féminin pour compenser son manque de légitimité. Or, certaines femmes sénégalaises politisées estiment que la polygamie est archaïque et dégradante pour la femme. Il est donc coupé de certains de ses plus fidèles soutiens. Voir O'Brien - Diop -Diouf, La construction de l'Etat du Sénégal, pp.125, Paris, Karthala, 2002 et Abdou Latif Coulibaly, Le Sénégal à l'épreuve de la démocratie ou L'histoire du PS de la naissance à nos jours, Paris Montréal, L'Harmattan, 1999.

97 "le PS vise plus d'un million de voix en février", Le Soleil, 16 décembre 1999.

98 Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.1 88, Paris, Rocher, 2001.

courants et sensibilités du parti, le président Diouf" 99.

Pour espèrer une victoire au premier tour, le candidat socialiste ne peut pas se contenter de l'appui du PS et de quelques soutiens mineurs (PDS-R, PAI, comité de soutien etc.). Le Président sortant doit ouvrir son champ politique et jouer les rassembleurs, comme il avait su le faire en 1993 en ralliant à sa candidature le PAI et le PIT. C'est pourquoi Ousmane Tanor Dieng propose dans les colonnes du Soleil le 1er novembre 1999 la constitution d'un "pôle de gauche", qui rassemblerait tous les partis allant de l'extrême gauche au centre-droit. Avec cette proposition, le PS souhaite replacer les idéologies politiques au centre de la campagne. Tanor Dieng dans son entretien fait ainsi une distinction très nette entre les partis de gauche et ceux de droite, chose que la formation gouvernementale n'avait jamais fait auparavant sous l'ère dioufiste. L'objectif est de rompre le front anti-dioufiste en opposant le programme du PDS, jugé libéral, aux valeurs des partis de gauche, plus proches de la pensée socialiste.

Ousmane Tanor Dieng soutient ainsi qu'Abdoulaye Bathily, Landing Savané et le PIT "ont leur place dans une gauche plurielle au coté d'un PS réformé, modernisé et plus ouvert que jamais" 100 . De manière à n'oublier personne, il poursuit : "je n'aurai garde d'oublier des partis tout aussi important appartenant au centre gauche ou au centre droit (RND, CDP,BCG PLS et PDS-R) dont le patriotisme ardent ne fait plus de doute". Pour ne pas inclure les dissidents Kâ et Niasse - qui promeuvent le socialisme senghorien - le premier secrétaire socialiste définit l'URD et l'AFP comme "deux démembrements de la droite dure du PS, une droite dure faite d'intolérance, de surdimensionnement du "moi", une droite dure revancharde et injurieuse à souhait". Enfin, Abdoulaye Wade est qualifié de "libéral à tout crin, pur et dur, un théoricien du mondialisme sans frein" 101.

Ce vocabulaire gauche-droite, peu répandu dans la vie politique sénégalaise depuis le départ de Léopold Sédar Senghor, est une véritable innovation. Cependant, la stratégie socialiste se heurte à l'union sacrée de l'opposition. Plus que pour une idéologie, les opposants de gauche luttent contre un système en place depuis plus de cinquante ans. Par conséquent, la très grande majorité des partis alliés au trio Wade-Niasse-Kâ rejette l'appel. Seul le BCG de Jean-Paul Dias rejoint "le pôle de gauche" désiré par Tanor Dieng qui se transforme rapidement en un... "pole de centre-droit".

En effet, hormis le PAI, tous les autres partis ralliés à la candidature d'Abdou Diouf ont une idéologie... libérale. Il s'agit en fait d'un front-antiwadiste, constitué de personnalités issues du PDS, qui ont quitté la formation libérale suite à des divergences personnelles - et non idéologiques - avec le "Pape du sopi".

Les alliés d'Abdou Diouf se nomment donc Majhemout Diop (PAI), Serigne Diop (PDS-R), Jean-Paul Dias (BCG) et Ousmane Ngom (PLS). Ils forment à eux quatre une coalition en faveur du candidat Diouf appelée "Convergence patriotique". Celle-ci n'a que pour seul but avoué de "faire obstacle à l'aventurisme et à l'inconnu" : en somme, d'empêcher Abdoulaye Wade de devenir le troisième Président de la République sénégalaise 102.

Ainsi, le PS renonce à sa tentative de ramener le débat politique à des enjeux idéologiques et non à des luttes crypto-personnelles. Il revient au schéma classique d'alliances opportunistes et éphémères, paradoxales et sans vision à moyen-terme. Bien qu'il dénonce "l'alliance contre

99 Jeune Afrique, 21 décembre 1999.

100 "OTD : l'opposition et nous", Le Soleil, 1er novembre 1999.

101 Idem.

102 Le Soleil, 14 novembre 1999.

nature" formée par le PDS et les partis de gauche 103 , le PS applique la même stratégie que son adversaire en se rapprochant singulièrement du centre-droit libéral.

Cette alliance est un aveu d'échec pour le PS. En effet, la formation gouvernementale se rapproche de partis sans aucune aura dans le pays, qui n'ont obtenu que quelques députés à l'Assemblée nationale et qui n'ont pas été en mesure de contester l'hégémonie socialiste lors des sénatoriales. Contrairement au PDS, qui regroupe autour de lui des partis qui représentent environ 10 % de l'électorat sénégalais, le PS ne tire aucun avantage électoral de cette union.

Le seul intérêt qu'ont les membres de la Convergence patriotique pour le PS est qu'ils peuvent "comparer" Diouf et Wade. Si le Président sortant est loué pour sa stature d'homme d'Etat, le chef de l'opposition est dénigré par ses anciens soutiens, qui le compare "à un marchand d'illusions ". Ils appuient par conséquent le slogan présidentiel : "le changement dans la continuité ".

"Nous combattions tous Abdou Diouf, mais dès l'instant que nous avons compris que celui pour qui nous menions ce combat ne le méritait pas, nous avons pris nos responsabilités. Aujourd'hui, nous soutenons fermement le candidat du Parti socialiste, parce qu 'avec lui, le changement dans la continuité n 'est pas un vain

mot" 104.

La Convergence patriotique est de ce fait très régulièrement invitée aux rassemblements de précampagne dirigés par Ousmane Tanor Dieng. Dans ses interventions, elle oppose Abdoulaye Wade, "l'homme des promesses non tenues", au couple Diouf-Tanor, sage, patriote et intègre. Cependant, à l'approche des élections, le secrétaire national et la Convergence patriotique sont invités à laisser la place au candidat Diouf. Le ministre d'Etat axe alors son action sur les Sénégalais de l'étranger en se rendant entre autre en France, aux Etats-Unis et en Gambie 105 . Il adopte également une attitude moins autoritaire, en promett ant en janvier 2000 aux 846 secrétaires généraux de région PS une plus grande ouverture du parti après les présidentielles : "s 'il y a une différence entre ce que je prêche et ce que je pratique, dite-lemoi. Rectifiez-moi si vous le jugez nécessaire" 106 . Cet adoucissement du discours tanorien n'est pas anodin, les sondages internes indiquant tous sans exception l'inéluctabilité d'un second tour.

C'est donc dans l'incertitude que Abdou Diouf lance sa campagne le 4 février 2000, via une allocution télévisée, dans laquelle il déclare :

"je veillerai à ce que le scrutin se déroule dans le calme, qu 'il soit transparent, équitable et juste et que le verdict, quel qu'il soit, soit respecté par tous, conformément à la volonté du peuple souverain (...) pour qu 'ensemble, nous fassions la démonstration que le Sénégal est un exemple de démocratie majeure et responsable pleinement assumé" 107.

En insistant sur la transparence du scrutin, le Président s'engage à respecter le jeu démocratique. Il mise sur son bilan économique et la restauration du dialogue en Casamance pour battre une nouvelle fois Abdoulaye Wade. Néanmoins, son septennat a été assombri par la poursuite de la paupérisation des Sénégalais, l'implosion de son parti et le déclin de sa

103 Ousmane Tanor Dieng déclare à ce sujet : "Landing Savané, Abdoulaye Bathily et Amath Dansokho sont plus proches de nous que d'un Wade, qui prône le libéralisme sauvage. Il s'agit donc d'une alliance contre nature. Et s'ils gagnaient les élections, comment pourraient-ils gouverner ensemble ? ". Jeune Afrique, 21 décembre 1999.

104 "Sortie réussie de convergence patriotique", Le soleil, 29 novembre 1999.

105 Voir Le soleil 26-2 8 janvier et 14 février 2000.

106 Le soleil, 31 janvier 2000.

107 "Abdou Diouf : je compte sur vous", Le soleil, 4 février 2000.

popularité auprès de la population.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon