WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

( Télécharger le fichier original )
par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Conclusion

L'alternance politique du 19 mars 2000 marque le changement d'une époque. Abdou Diouf, Président en place depuis 1980, est invité par le peuple sénégalais a quitté le pouvoir. Bien qu'il soit battu par son ennemi politique de toujours, Abdoulaye Wade, la passation de pouvoir est courtoise, voire chaleureuse. L'exemplarité de cet évènement, qui tranche avec la situation ivoirienne, surprend agréablement les contemporains. Pour eux, le Sénégal est redevenu "la vitrine démocratique de l'Afrique ".

Quel sens donner à cette alternance politique ? Le sopi véhicule-t-il une volonté de changement profond de la société sénégalaise, où prône-t-il simplement des changements d'hommes à la tête de l'Etat ? La complexité idéologique du front anti-dioufiste victorieux, composé de libéraux, marxistes et nationalistes, renforce les doutes quant à l'application d'une politique sociale et économique cohérente. Le FAL est cimenté avant tout par un programme faisant la part belle à des changements institutionnels importants : suppression du Sénat, mise en place d'un régime parlementaire, création d'un statut de l'opposition etc. Il désire de ce fait renouer avec le bicéphalisme politique abandonné à la suite de la crise de 1962. Cette réinstauration permettrait au ticket Wade-Niasse, véritable vainqueur de ces élections, de pouvoir travailler correctement. En cas de dysfonctionnement, le risque de voir s'ériger un pouvoir strictement présidentiel est réel, ce qui rendrait caduc l'espoir suscité par le 19 mars 2000. De la solidité de ce binôme dépend ainsi la réussite de l'alternance politique.

L'alternance politique sous-entend également une volonté de renouveler le paysage politique, avec l'intégration d'hommes neufs, capables grâce à des idées novatrices d'insuffler une nouvelle politique au sein du gouvernement. Or, on s'aperçoit que les personnalités qui entourent Abdoulaye Wade lors de son investiture ont tous plus ou moins gravité à une période donnée de leur carrière politique autour du régime dioufiste, Landing Savané excepté. Peut-on alors croire à la sincérité du discours wadiste qui déclare vouloir rompre avec les pratiques socialistes ?

On peut en douter, d'autant plus que le nouveau régime cherche avant même l'intronisation officielle de Wade à la tête de l'Etat à attirer des hommes venus directement... du PS. Cette transhumance politique s'explique par les intérêts que génère celle-ci, aussi bien pour les recrutés que les recruteurs. En effet, les dirigeants socialistes tentent en changeant de couleur politique de conserver leur position prédominante dans leur localité tandis le PDS et l'AFP, en plus d'achever politiquement le PS, s'attachent les services d'hommes bien implantés, utiles dans l'optique des prochaines législatives anticipées.

On assiste dès l'entre-deux tour à des comportements politiques surprenants. Le cas le plus exemplaire est celui de Mbaye Jacques Diop, traité dans ce mémoire, qui passe en l'espace d'une semaine du bureau de campagne d'Abdou Diouf à une marche pour l'alternance avec Abdoulaye Wade et Moustapha Niasse. Le régime qui se met en place après le 19 mars 2000 fait ainsi la part belle au "recyclage politique". En remettant dans la course des hommes reniés par le vote... quelques jours auparavant, Abdoulaye Wade prend le risque de maintenir les tares de la politique sénégalaise et par conséquent de ne pas répondre au profond désir de changement exprimé par le peuple.

L'alternance politique ne représente donc qu'une étape dans le processus démocratique sénégalais. Si elle marque l'aboutissement de l'ouverture dioufiste, elle ouvre également une période nouvelle, aussi importante que la précédente. Le septennat de Wade doit garantir les

acquis tout en proposant une amélioration de la "vitrine sénégalaise". Le nouveau Président se doit par conséquent de respecter divers engagements de campagne : instauration d'un régime parlementaire, création d'une CENI, mise en place d'une télévision privée etc. Pour que le Sénégal puisse poursuivre son ouverture politique, le régime a aussi besoin d'un contrepoids politique fort. Or, ni le PS, terrassé par l'ampleur de sa défaite et miné par les dissensions internes après la retraite d'Abdou Diouf, ni l'URD, encore sous le choc de la "traîtrise" de Djibo Kâ, ne semblent en mesure d'assumer ce rôle. Abdoulaye Wade n'a donc face à lui aucune opposition "crédible" après mars 2000.

Ceci n'a jamais été le cas pour Abdou Diouf au cours sa présidence. Dès ses premiers jours à la tête du Sénégal, il est confronté à la pugnacité wadiste. La lutt e permanente qui s'instaure entre les deux hommes sert la cause démocratique sénégalaise. En effet, la nature et le caractère de Diouf et Wade sont "politiquement complémentaires". Abdou Diouf, est un homme favorable au consensus, d'un naturel très calme, qui dès 1981 prononce à l'égard de l'opposition des paroles apaisantes. Il offre ainsi un cadre légal de protestation qui profite à Abdoulaye Wade. Le fondateur du PDS est un homme de combat, harcelant quotidiennement le pouvoir et qui croit durant vingt ans à la possibilité d'une alternance politique au Sénégal. Chacun à leur manière, ils oeuvrent de ce fait pour une plus grande ouverture du régime.

Cette ouverture est lente et progressive. Elle évolue selon les périodes de la présidence dioufiste.

La période 1981-1983 est celle de l'Etat de grâce. La politique choisie par Abdou Diouf est populaire. Il supprime le quadripartisme senghorien tout en maintenant la politique économique de son prédécesseur. Il déstabilise ainsi ses opposants qui n'arrivent pas à trouver un discours alternatif. Diouf gagne par conséquent relativement facilement les élections de 1983.

Les années 1983-1991 sont nettement plus difficiles pour le chef de l'Etat. Il délaisse son "oeuvre démocratique" pour concentrer son attention sur les problèmes économiques et internationaux. Il présidentialise le régime et adopte une "nouvelle politique" dévastatrice sur le plan de l'emploi. Si elle lui permet de recevoir les "félicitations" des bailleurs de fonds, elle le coupe de son électorat. Abdoulaye Wade récupère ce mécontentement et façonne son image d'homme du peuple et de la jeunesse. Les thèmes du sopi sont particulièrement bien accueillis à Dakar. Ainsi, à l'annonce des résultats électoraux controversés de 1988, la capitale se barricade.

Ces violences urbaines marquent un tournant dans l'histoire politique sénégalaise. Le poids acquis par Wade dans la première ville du Sénégal fait de lui un homme incontournable. Diouf ne peut plus à présent l'ignorer, et entame une série de rencontres officielles avec son principal opposant. Si le dialogue est rétabli, la défiance est touj ours de mise, comme l'atteste le boycott des élections municipales de 1990 par l'opposition. Cet événement est un coup dur pour l'image démocratique du pays. Abdou Diouf change alors de stratégie et convie Abdoulaye Wade au gouvernement.

De 1991 à 2000, Abdou Diouf rompt avec le présidentialisme pour faire du Sénégal "une démocratie moderne". Il prend ses distances avec le PS, favorise l'accès de l'opposition aux médias, autorise les radios privées etc. La présence du PDS à deux reprises au gouvernement permet également un rapprochement visible entre Diouf et Wade, qui apprennent à se connaître et à se respecter. Cette "alliance au sommet" facilite notamment l'adoption d'un code électoral "presque parfait" en 1992.

On constate d'autres grandes avancées démocratiques au cours du dernier septennat dioufiste (régionalisation, ONEL, relative transparence des législatives de 1998 etc.), mais celles-ci ne sont pas appréciées à leur juste valeur par les contemporains et les observateurs

internationaux, ces derniers concentrant leur attention - et leurs reproches - sur quatre événements qui marquent les dernières années de la présidence dioufiste.

- La dévaluation du Franc CFA, qui accentue la paupérisation des Sénégalais

- Le conflit casamançais, qui altère l'image démocratique et consensuelle du régime

- L'implosion du PS, qui retranscrit l'incapacité du parti gouvernemental à s'ouvrir et

respecter les avis divergents

- La campagne anti-dioufiste menée par l'opposition à l'étranger, qui donne une image désastreuse d'Abdou Diouf, notamment lors de "la campagne de Paris"

Ces faits relèguent au second plan les avancées démocratiques entreprises entre 1993 et 2000. A l'approche des élections présidentielles, le "modèle sénégalais" ne fait plus rêver. C'est pourquoi il revient de façon si subite en pleine lumière après l'alternance du 19 mars. Les nombreux commentaires et travaux qui suivent la victoire wadiste sont pratiquement tous altérés par ce qu'on a appelé dans l'introduction de ce mémoire "le mirage de l'alternance politique". Ce mirage a tendance à enjoliver l'avenir et à assombrir caricaturalement le passé. De ce fait, les premiers écrits sur l'alternance politique sénégalaise ne voient en Abdou Diouf qu'un homme opportuniste, autocratique et corrompu.

Les auteurs justifient le plus souvent leur prise de position négative en présentant le bilan économique des deux décennies dioufistes. Or, le Sénégal n'est pas le seul pays africain à avoir connu "une descente aux enfers" suite au second choc pétrolier de 1979. Dans ce cas, est-il véritablement justifié d'affirmer que Diouf a été directement responsable de la paupérisation de son pays ? Et peut-on penser qu'Abdoulaye Wade aurait fait mieux s'il avait été élu dès 1983 ?

Sur le plan démocratique, ces mêmes auteurs limitent l'action dioufiste à... son appel téléphonique du 20 mars et restent confus en ce qui concerne les différentes étapes qui ont marqué la démocratisation du Sénégal entre 1980 et 2000.

En offrant une vision détaillée et complète de la présidence dioufiste, ce mémoire a donc tenté d'expliquer la genèse de l'alternance politique du 19 mars. On a désiré montrer qu'il existe avant 2000 de véritables campagnes électorales, une presse d'Etat qui ouvre ses colonnes à l'opposition (surtout après 1991), un dialogue entre le chef de l'Etat et ses opposants etc. Si tout n'est pas parfait dans la démocratie sénégalaise, loin s'en faut, ces éléments tendent à démontrer que s'installe dans le pays, tout au long de l'ère dioufiste, une véritable culture démocratique.

Bien évidemment, Abdoulaye Wade n'est pas étranger à l'alternance du 19 mars. Dès 1978, il fait preuve d'un indéniable courage politique en s'opposant ouvertement au régime socialiste, en place depuis l'indépendance. Grâce à ses talents oratoires et son intelligence politique, il rallie peu à peu les mécontents à lui et s'impose comme le chef de l'opposition. Il crée donc une dynamique qui lui permet de conquérir démocratiquement le pouvoir. Cependant, il n'arrive à ses fins que parce qu'il a les moyens légaux de le faire. Des moyens offerts par Abdou Diouf.

Contrairement à d'autres dirigeants africains, tels que le Président camerounais Paul Biya, à qui il est comparé au début des années 1980, Abdou Diouf opte dès ses premiers jours à la tête de l'Etat pour une prise en compte de l'opposition, pratiquant régulièrement la politique "de la main tendue". Du multipartisme intégral en 1981 à son départ en toute simplicité du pouvoir en 2000, Abdou Diouf a souvent fait preuve de sagesse et de réserve à l'égard de ses adversaires. Ces qualités, socle de "l'oeuvre démocratique dioufiste", ont grandement

contribué à faire du Sénégal une démocratie saluée par l'ensemble de la communauté internationale après le 19 mars 2000.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire