WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Ménages Gécamines, précarité et économie populaire

( Télécharger le fichier original )
par Didier Kilondo Nguya
Université Catholique de Louvain - Diplôme d'Etudes Approfondies 2004
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

4.3. REPRODUCTION DE L'ECONOMIE POPULAIRE DANS LES CITES "GECAMINES"

L'industrialisation minière fut a la base de la création de la classe ouvrière moderne que constituent les ménages Gécamines. Leur occupation de l'espace urbain ne s'est toujours pas effectuée de gaieté de c>ur. On se souviendra de la politique de monopole d'Etat et de toute la législation qui a entouré les stratégies des colonisateurs et de l'employeur-providence par rapport aux modes d'actions sociales des populations autochtones. Comme les politiques coloniales furent favorables aux grandes entreprises et au commerce du capital étranger, l'économie populaire pratiquée jadis par la masse ouvrière dans le monde rural, s'est constituée dans l'espace urbain en lieu refuge de subsistance. Le paternalisme industriel aidant, ces pratiques populaires diminuèrent d'intensité ou plutôt s'intensifièrent selon les conjonctures, bonnes ou mauvaises. Dès que les salaires s'effritent et que les conditions d'existence se dégradent, les pratiques populaires refont manifestement surface comme dirait Braudel, le passé séculaire débouche sur les temps présents comme <<l'Amazone projette dans l'Atlantique l'énorme masse de ses eaux troubles >>160.

Les pratiques populaires que les ménages Gécamines ont reproduites dans les camps consistent en des activités par lesquelles ils sont parvenus a se maintenir et a se reproduire socialement lorsque les revenus en provenance de la rétribution monétaire de leurs prestations de services a la Gécamines se sont avérés insuffisants pour leur procurer le minimum vital. A cette fin, les ménages ont usé des réseaux sociaux, de la solidarité inter-générationnelle et familiale, de l'entraide communautaire dans le contexte de l'organisation culturelle ou religieuse. En l'absence de régulation sociale de la Gécamines, ces pratiques populaires se sont avérées des antidotes incontestables contre les effets de la crise dans laquelle ces ménages se retrouvent.

L'enquête révèle que les ménages entreprennent beaucoup d'activités dans leur lutt e pour la survie. Pour ce qui concerne les activités complémentaires du chef de ménage, le tableau n° 14 révèle que l'agriculture occupe 72% des chefs de ménages enquêtés. Elle est suivie du petit commerce avec 15%, des activités libérales avec 12% et, enfin, de l'artisanat avec 1%. Certains chefs de ménages ont déclaré survivre grace aux emprunts, a l'aide des membres de leurs familles ou de leurs églises respectives, a la débrouille, etc. L'apport sous forme de travail familial des épouses, des enfants et d'autres membres de la famille élargie aux revenus du ménage a largement contribué au budget ménager des ménages Gécamines.

Tableau n° 14: ACTIVITES COMPLEMENTAIRES DU CHEF DE MENAGE

 

Ménages Gécamines

%

MOE

MOC

TOTAL

Agriculture

292

26

318

72

Petit commerce

51

15

66

15

Artisanat

6

0

6

1

Activités libérales

38

16

54

12

TOTAL

387

57

444

100

Notons cependant que les enquêtes de l'O.C.U. en 2000 ont dégagé une proportion de 63 % des ménages exercant le commerce comme activité complémentaire d'appoint. La différence avec le taux dégagé par les enquêtes de Lubumbashi explique la spécificité des ménages Gécamines par rapport aux ménages d'un grand centre urbain comme Lubumbashi. Les cités ouvrières de Kolwezi et de Likasi sont dans leur maj orité des entités excentriques, situées aux alentours des mines. En plus, la ville de Kolwezi a un statut urbano-rural oü prédominent les activités rurales. Les enquêtes de Houyoux et Lohletart sur Kolwezi en 1973 affirmaient déjà a cette époque qu'un salarié sur quatre avait des revenus extra-professionnels et l'activité extraprofessionnelle la plus répandue chez les salariés était la culture: 7 % des chefs de ménage; 5 % pratiquaient également le commerce et 4 % donnaient des coups de main qui leur rapportaient quelque argent161.

4.3.1. Logique de réseaux et de redistribution

Dans l'entendement de H. Leclercq162, l'économie populaire est un mode de préservation de relations sociales. Ce qui rejoint Polanyi quand il montre que les différents acteurs dans le marché social interviennent de manière complémentaire, sans détruire le système de base163. Dans les réflexions de ces auteurs, nous percevons en filigrane la dimension de solidarité, des liens sociaux qui justifient l'activité économique. C'est cette caractéristique qui donne de la richesse au concept d'économie populaire par rapport a celui de secteur informel, nous l'avons montré au chapitre premier. Par sa très forte adaptabilité a une demande faiblement solvable, sa

161 Joseph HOUYOUX et Louis LOHLETART, KOLWEZI. La vi lle, sa population et les budgets ménagers, op. cit., p. 137.

162 Hugues LECLERCQ, "L ' économi e populai re informelle de Kinshasa. Approche macro-économique", dans Zaire-Afrique, n°27 1, Kinshasa, j anvier 1993, p. 18.

163 Karl POLANYI, La grande transformation, op. cit., pp. 74-75 et 84-86.

présence permanente et généralisée, l'économie populaire s'installe dans tous les compartiments de l'économie urbaine monétaire ou non-marchande.

C'est ce qui sera observée aussi dans le chef des ménages Gécamines dans les cités ouvrières. u ls font appel a des réseaux de réciprocité pour bénéficier des solidarités familiales, lignagères ou ethniques. Au sein de ces réseaux de réciprocité, les liens mutuels forment une trame qui pratiquement quadrille toute la vie informelle oü chacun a le 'droit' de recevoir et le 'devoir' de donner et oü tous partagent. Comme l'a montré P. Petit, si le Lushois moyen consent, malgré ses maigres ressources, a donner aux autres quelque chose dans un élan de solidarité, cette même solidarité rejaillit sur lui par toutes sortes des dons, d'emprunts, de cadeaux, etc.164

La perception des liens et des interactions entre les acteurs dans les pratiques populaires nous permet de comprendre ce monde qui paraIt complexe et d'analyser ainsi leurs stratégies. En effet, la réciprocité est la relation qui s'établit entre plusieurs personnes que ça soit dans les cités ouvrières entre les ménages ou a l'extérieur de celles-ci. Cette relation s'établit par une suite durable de dons. Ces derniers impliquent de contre-dons, et se crée alors une relation sociale génératrice de liens.

La solidarité observée dans les cités ouvrières de la Gécamines est plus étendue que le cadre intergénérationnel ou familial. Elle s'étend des simples relations du voisinage aux grandes et moyennes organisations communautaires dans les camps ou a l'extérieur de leurs quartiers. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce role central de la solidarité des ménages au sein des cités ouvrières de la Gécamines. On y observe une culture populaire oü la gratuité, la coopération et l'affectivité caractérisent les types de relations sociales. Les ménages peuvent se prêter de l'argent remboursable sans intérêt même au-delà des échéances. Ce genre de pratique se réalise aussi pour les opérations en nature: c'est le cas d'un ménage qui obtient au moyen d'un prêt une quantité déterminée de vivres auprès d'un autre ménage, remboursable a une échéance non déterminée.

En plus de la culture populaire de la gratuité et de la coopération, il faut aussi retenir le fait que la situation de précarité dans laquelle la Gécamines et le système politique ont réduit les ménages renforce entre eux, forts de liens résidentiels et sociaux établis, l'identité sociale face a leurs sorts communs. Néanmoins, les conflits interethniques du début de la décennie détournèrent les ménages Gécamines de cet objectif et mirent dès lors ce construit social en péril.

Il y a enfin un aspect culturel a évoquer, c'est le fait que les organisations dans ces cités surgissent souvent autour des activités pastorales des églises. C'est ce qui s'observe au sein des cités ouvrières oü des mouvements religieux s'illustrent dans l'encadrement des populations, avec comme objectif principal la reconstitution des foyers chrétiens modèles. Indépendamment de leur

église d'appartenance, comme le fait remarquer D. Dibwe, ces mouvements religieux se sont constitués en organisation sociale et communautaire d'entraide165. Nous pouvons citer parmi ces mouvements, les <<Maman Kipendano >>, organisation des chrétiens pentecôtistes regroupés au sein de l'Eglise Méthodiste-Unie. Dans ce mouvement, l'objectif poursuivi est de sensibiliser les femmes de leur role de pilier a la fois pour l'église et pour la famille. Les enseignements au sein de ce mouvement visent la sensibilisation des femmes sur l'exercice des activités économiques a entreprendre pour suppléer au revenu de leurs époux et soutenir, par ce fait, la stabilité du foyer. A part ce mouvement de <<Maman Kipendano >>, il y en a d'autres tels que <<les mamans catholiques >>, les <<kimbaguistes >>, les mouvements presbytériens, etc. Ce qui est particulier dans ces mouvements est la dynamique des femmes, de plus en plus actives dans l'initiation des projets sociaux. Tous ces éléments (culture populaire, aspect culturel) concourent au renforcement de la solidarité au sein de divers réseaux.

Cependant, dans le contexte de la crise qui empire dans les cités ouvrières, il commence a s'observer une recomposition de cette solidarité. L'exacerbation de la crise dans ces cités oü vit et se reproduit une classe ouvrière "moderne", cette dernière n'a plus les moyens d'entretenir les systèmes de redistribution communautaire comme dans les temps de gloire de l'U.M.H.K./Gécamines avec l'accroissement des effectifs des <<solliciteurs>>. Le processus de remise en question d'une solidarité communautaire, inconditionnelle par les groupes sociaux sur lesquels repose la reproduction sociale s'enclenche peu a peu.

Comme nous venons de le voir, les liens qui résultent de la solidarité communautaire au sein de ces cités ouvrières, établissent les relations de réciprocité. Cette sphère réciprocitaire s'enchevêtre avec un espace concurrentiel mercantile. La compréhension de ces deux sphères permet d'appréhender la régulation sociale de l'économie populaire enchâssée dans le social.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe