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Tap-tap bwafouye face a l'urbanisation de port-au-prince

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par Theuriet DIRENY
Université d'état d'Haiti - Licence Anthropo-Sociologie 2000
  

Disponible en mode multipage

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Remerciements

Remercier est une variable qui, à des degrés divers, procure un sentiment de bien être à celui ou à celle qui en est l'objet. Elle est aussi la plus simple manière de témoigner sa gratitude à l'endroit de ceux-là qui, dans un contexte donné, ont pratiqué du bien à son égard.

Dans le contexte de notre travail de mémoire, nous adressons nos plus profonds remerciements :

· A Monsieur Jean Emmanuel ELOI, Professeur de Sociologie urbaine, Directeur du département d'Anthropologie-Sociologie à la Faculté d'Ethnologie et notre Directeur de Mémoire qui a apprécié le gros du travail, formulé des critiques et recommandations et orienté notre documentation pour de meilleures réflexions;

· A notre ami, Professeur Augustin ANTOINE, Sociologue de Formation qui, dès le début, en maintes occasions, nous a entretenu à propos de notre objet d'étude, nous a passé des documents y relatifs et nous a donné des conseils salutaires;

· A notre camarade de longue date, Monsieur Hérold JEAN-POIS, Economiste de formation qui en matière de données statistiques nous a canalisé vers des sources de renseignements;

· A nos amis, MM Nicolas SAINT-VIL et Robert Blanchard MONTINARD pour leur collaboration;

· Aux Secrétaires Nicolette AVRIL, Minerve Gerty LOUIS et particulièrement Lourdes Marie JEAN-BAPTISTE qui, grâce à sa patience et sa dextérité nous a donné une présentation acceptable;

Nous profitons de la circonstance pour remercier également :

· Notre mère, Madame Eve Marie CHERY qui pendant longtemps s'est sacrifiée à nous procurer le nécessaire;

· Notre frère Mauny DIRENY qui a marqué la période la plus décisive de notre existence en ce qui concerne notre formation;

· Madame, Marie Marthe PASCAL qui, par sa sincérité et son honnêteté n'a pas handicapé notre évolution sociale.

Enfin à tous ceux qui de loin ou de près ont contribué à la réalisation de notre mémoire, nous leur devons nos gratitudes.

Table des matières

Page

Avant-propos ...........................................................................7

Introduction ............................................................................9

Première partie : Cadre méthodologique....................16

Chapitre I.- Comprendre la problématique

du tap-tap..............................................................................16

1.1.- Importance et situation de l'Etude ..................................16

1.2.- Objectif général.................................................................17

1.3.- Objectifs spécifiques..........................................................17

1.4.- Problématique et Hypothèse.............................................18

1.5.- Revue de littérature...........................................................21

1.6.- Approche Méthodologique et Technique

d'enquête....................................................................................23

Deuxième partie: Cadre conceptuel et

théorique.................................................................................25

Chapitre II.- Approche théorique....................................45

Chapitre III.- Approche conceptuel / Définitions.......30

3.1.-Tap-tap............................................................................31

3.2.- Tap-tap bwafouye..........................................................39

3.3.- Moyens de transport collectif........................................39

3.4.- Urbanisation...................................................................39

3.5.- Aire métropolitaine de Port-au-Prince..........................39

3.6.- Mobilité quotidienne......................................................40

3.7.- Ville ................................................................................40

3.8.- Planification Urbaine......................................................41

3.9.- Politique Urbaine ...........................................................41

3.10.- Gestion Urbaine ...........................................................42

3.11.- Services Urbains ............................................................42

3.12.- Croissance Urbaine .......................................................42

3.13.- Chauffeur de Tap-tap................................................... 42

3.14.- Usager de Tap-tap........................................................ 43

3.15.- Capacité d'accueil.......................................................... 43

3.16.- Confort...........................................................................43

Troisième Partie: Cadres épistémologique et ethnographique................................................................... 43

Chapitre IV.- Port-au-Prince une ville en porte à faux.......................................................................................... 43

4.1.- La ville son histoire et ses fonctions...........................................................43

4.1.1.- Généralités....................................................................43

4.2.- Historique de la ville de Port-au-Prince.........................47

4.2.1.-Fondation et contexte....................................................47

4.2.2.-Vers la suprématie...................................................... 48

4.2.3.-Migration, Structure, Densité et Topographie

sociale........................................................................49

4.3.- Urbanisation de Port-au-Prince.....................................54

Chapitre V.- Urbanisation et transport en commun (Le cas de Port-au-Prince)......................................59

5.1.- L'activité tap-tap dans le système de fonctionnement

de Port-au-Prince .......................... ..................................67

5.1.1- Tap-tap: Types et Description....................................... 67

A.- Taxi............................................................................. 67

B.- Yole..............................................................................68 C.- Rachepwèl...................................................................68

D.- Batiman ( Kazèn, Manman zanfan yo, Gwo

bisjòn )........................................................................69

E.- Kokorat........................................................................70

5.1.2.- Port-au-Prince et ses Tap-tap.........................................72

Quatrième partie: Cadre d'analyse ..................................82

Chapitre VI.- Mise en relief du Bwafouye................ 82 6.1.- Le minibus bwafouye (carrosserie locale).................... ..82

6.1.1.-Les structures............................................................... 82

6.1.2.- L'aspect extérieur....................................................... 84

6.1.3.- L'aspect intérieur........................................................ 84

6.2.- Les catégories socioprofessionnelles directes

et indirectes du bwafouye..............................................86

Chapitre VII.- L'imminente disparition du minibus

bwafouye.........................................................88

7.1.- A la recherche des causes..............................................90

7.2.- L'équation: chauffeurs-chauffeurs de tap-tap

et moyens de transport collectif.................................90

7.3.- L'avenir du bwafouye selon les chauffeurs....................95

7.4.- Divergences de vue (tendances du

dépouillement)............................................................ 97

7.5.- Analyse et Perspectives................................................105

Conclusion................................................................................115

Bibliographie............................................................................119

Annexes:

I.- Questionnaire................................................ 123

II.- Références des dispositions légales............... 124

III.- Images de certains types de tap-tap.............. 127

Avant-propos

Le terme tap-tap, vu son caractère empirique, parce que venant de la culture populaire, n'a pas trop retenu l'attention des intellectuels de chez-nous. Ils sont rares ceux-là qui, pour évoquer la problématique du transport collectif en Haïti ou à Port-au-Prince, font du terme l'élément clé du titrage de leur article. De plus, aucun ouvrage scientifique émanant d'auteur haïtien n'a jamais été consacré au transport collectif, c'est ce que nous a révélé nos dix années de recherche documentaire dans le domaine.

Les difficultés éprouvées durant cette période (1989-1999) sont de tous ordres: les fichiers des bibliothèques les plus réputées de Port-au-Prince n'ont presque ni titre ni auteur spécifique sur le transport en Haïti. L'Institut Haïtien de Statistique et d'Informatique jusqu'au moment où nous sommes en train de finaliser la rédaction du mémoire ne dispose pas de données chiffrées sur le transport qu'il s'agit du collectif, du privé, du piéton voire des marchandises. Le service de la circulation des véhicules, l'Office Assurance des Véhicules Contre Tiers et le Ministère des Travaux publics transport et communications (des Institutions qui devraient être les plus concernées) en font peu de cas au point qu'elles n'arrivent pas à s'entendre même sur le parc automobile d'Haïti.

En amont comme en aval, la question du transport collectif urbain en Haïti, régional ou interrégional; routier, maritime et aérien reste inexploitée. Pas de compétence, pas d'institution à pouvoir s'intéresser à une étude approfondie de la question. Tout ceci a entravé notre travail de jeune étudiant chercheur inexpérimenté qui confondait le réel à la réalité. Nous avons effectivement crû le simple fait d'avoir observé que le "minibus yole" n'était plus le seul à concurrencer le "minibus bwafouye» dans le transport collectif que cela eut été à la base d'une production documentaire, littéraire et scientifique qui allait nous servir de cadre théorique et conceptuel.

Pourtant, l'originalité de la question semble servir d'alibi pour nous renvoyer. Beaucoup de données nous ont été refusées ou du moins n'ont pas été disponibles.

N'était-ce ces difficultés nous pensons qu'avec l'aide de nos conseillers, particulièrement de notre directeur de mémoire, nous aurons mieux fait.

Notre travail n'est qu'un pas de l'ensemble que la société haïtienne doit faire en direction de ce véritable problème qu'elle doit chercher à comprendre afin d'en trouver la solution efficace et appropriée.

Dans ce sens, la société (l'Etat) via l'université doit aussi investir dans des travaux de recherche sur le transport afin qu'elle soit en mesure de procurer à sa population de meilleurs moyens de se déplacer, ce qui impliquera une fusion de compétences (Ethnologue, Sociologue, Géographe, Urbaniste, Juriste, Economiste ....) et d'institutions tant publiques que privées. Ainsi pourra-t-on mettre un frein à l'improvisation et accéder à la planification du social et de l'économique.

Cela pourrait contribuer à ralentir la migration, modifier les mentalités et à apporter des innovations dans le mode de fonctionnement du système de transport collectif. Alors, la capitale d'Haïti ne sera plus le théâtre des tap-tap inadaptés et inappropriés face à l'urbanisation de Port-au-Prince.

INTRODUCTION.-

Port-au-Prince, la capitale de la République d'Haïti, entre le XXème siècle finissant et le XXIème naissant, vit dans un encombrement quasi total qui entrave son développement et la mobilité de ses habitants qui sont obligés quotidiennement de laisser leur domicile à destination du centre-ville et des différents centres d'affaires pour mener leurs activités respectives.

Aussi, sollicitent-ils quotidiennement le service des moyens de transport collectif - qui dans le culturel haïtien sont synonymes de tap-tap (lequel traduit: l'immédiateté, la fulgurance) - pour arriver à destination.

La croissance démographique de la capitale (soit 4.16%, selon l'ALMANACH Statistique 2000 de l'IHSI), responsable en partie de son encombrement, s'accompagne d'une croissance urbaine laquelle transforme ses périphéries en de véritables bidonvilles au point que le sociologue C. Souffrant, dans son ouvrage: Sociologie Prospective, la qualifie comme étant la ville où l'urbanisation passe par les bidonvilles.

Des bidonvilles où vivent des femmes et des hommes, pour la plupart famélique, sans profession, analphabète, s'adonnant aux « petits commerces», à l'artisanat, au «travail de factorie» à des services domestiques, à l'activité de chauffeurs de tap-tap... L'important est de gagner le pain. Car en bon créole « sak vid pa kanpe». C'est-à-dire, pour survivre, ces gens, qui en majorité viennent du monde rural, n'entendent plus revenir d'où ils sont partis avec les mains vides et le ventre creux.

Il faut de toute façon tirer leur part du gâteau. Un espoir de bien être que Port-au-Prince n'a jamais cessé d'alimenter. Et c'est cela qui explique qu'elle est à l'heure actuelle, en Haïti, l'espace urbain ayant la population la plus dense 1765 066 habitants (Selon l'IHSI).

Une densité qui fait peur quand on observe le parfait déséquilibre qui existe entre la qualité du service fourni par les transporteurs de tap-tap (chauffeurs et/ou propriétaires) et le besoin de mobilité des usagers de tap-tap. En effet, les usagers de transport collectif urbain de l'aire métropolitaine voyagent dans l'incommodité la plus totale. Ils sont quatre à s'asseoir sur un siège fait pour deux avec les jambes recroquevillées. Et quand ils n'ont pas cette «chance» ils se sont lamentés, soit pendant près d'une heure à rester debout tout le long du trajet avec bien sûr, certaines fois, la colonne vertébrale repliée; soit à attendre pendant plusieurs heures le passage d'un autre moyen de transport collectif au sein duquel éventuellement il prendra place. Cependant, selon le type de moyen de transport collectif et selon l'urgence du passager, prendre place ne signifie pas toujours être assis ou l'éventualité de s'asseoir. Si le «minibus bwafouye», le yole, la camionnette et le kazèn offrent les deux possibilités (assis et debout), le «rachepwèl» et le «kokorat» n'offrent que la possibilité de se tenir debout. Tout le temps que dure le trajet, dans l'enceinte de ces derniers, les usagers sont non seulement debout mais sont serrés l'un contre l'autre.

D'aucuns imputent la façon dont sont transportés les usagers à leur résignation, d'autres avancent que le problème résulte d'une non planification de l'urbanisation.

Qu'on le veuille ou non, l'évidence laisse apparaître une flagrante désarticulation entre des structures, due à la faiblesse de certaines décisions historico-politiques prises par des acteurs concernés. L'aire métropolitaine de Port-au-Prince absorbe selon des données tirées de l'Institut Haïtien des Statistiques plus de 95% de la population du département de l'Ouest le département le plus peuplé des neuf (9) départements géographiques du pays. Des projections effectuées à partir des photographies aériennes réalisées en 1978 et analysées en 1982 - par la Direction de l'Aménagement du Territoire et la Protection de l'Environnement et par le Bureau pour le Développement et la Protection Agricole (DATPE/BDPA) et en 1985 par l'Agence International de Développement des Etats-Unis d'Amérique (USAID) - ont permis d'avancer des estimations statistiques qui laisseraient croire que la population urbaine d'Haïti est de 30%, et Port-au-Prince à elle seule absorberait 21%.

Aujourd'hui, avoisinant l'effectif de 2 000 000 habitants, la structure de cette ville fléchit encore d'avantage sous le poids du chômage, de la délinquance, de l'insalubrité, de l'insécurité et de la pollution de ses nappes phréatiques. Selon le document « Haïti indicateurs environnementaux de base» paru en juin 1993 duquel nous avons tiré le taux de la population urbaine d'Haïti, 82% des sources alimentant Port-au-Prince présentent une pollution fécale prononcée.

Une situation hors d'aplomb qui fut longtemps déjà prévisible mais dont on n'avait rien fait pour contrebalancer les effets néfastes qui en découleraient. En 1987, le géographe H. Godart, dans un article paru dans la revue, Conjonction, intitulée Port-au-Prince: Macrocéphalie urbaine et organisation spatiale interne, écrit: « De 1950 à aujourd'hui, rien n'a été fait pour que cette ville millionnaire puisse croître de façon harmonieuse; les infrastructures ne peuvent répondre qu'aux besoins d'une population de 100.000 habitants."

 

Pourtant, d'année en année, - malgré des efforts déployés dans les domaines bancaire, éducatif, sanitaire dans des villes de province et malgré la décentralisation prônée par la Constitution de 1987 - l'hyper centralité de Port-au-Prince semble se confirmer encore plus, car, des migrants en nombre imposant continuent à envahir l'aire métropolitaine. Donc cette structure, de par les surcharges qui dépassent de loin sa capacité d'absorption, est prête à craquer.

  La crise du logement, caractérisée par une surenchère des prix et la prolifération d'habitat précaire et de bidonvilles, ajoutée aux types de tap-tap et à la situation actuelle de leur mode de fonctionnement dans l'aire métropolitaine ne sont-ils pas deux des indices manifestes de ce spectre?

 

Partout sur le réseau routier du transport à Port-au-Prince une foule immense de personnes, aux heures de pointe, espèrent anxieusement prendre place à bord d'un tap-tap. Ils se bousculent, s'injurient tout en bondissant vers le lieu donnant accès à l'enceinte du tap-tap. Et le chauffeur ne perd pas son temps à observer leur calamité; il ne s'en soucie guère. Seulement, il veut s'assurer que son tap-tap soit bel et bien rempli ou surchargé d'usagers qu'il espère débarquer au plus vite, afin qu'il ait le temps de réaliser un autre voyage. Voilà pourquoi souvent il écourte le circuit légalement proposé. Et, si son calcul lui permet de percevoir qu'avec l'embouteillage il ne fera pas le voyage dans le temps escompté, il triple ou quadruple le tarif légal que l'usager devait lui payer au trajet. Un laisser aller dont les usagers font les frais, en dépit du fait que le service est de très mauvaise qualité.

 

Ce contexte d'évolution fait intervenir sur le réseau routier des types de véhicules non conçus pour le transport collectif mais qui, d'une part pour satisfaire le besoin de mobilité, sont tolérés par les usagers et semblent s'intégrer de jour en jour dans leurs habitudes et, d'autre part, permettent aux chauffeurs de transiter de leur statut de chômeur à celui de chômeur déguisé.

Ce contexte d'évolution a aussi permis l'intensification de la concurrence qui met le «tap-tap bwafouye» dans une position assimilable à une sorte de capitulation. Le yole, le rachepwèl, le kazèn et le kokorat sont les tap-tap concurrents du "bwafouye" qui doivent tous leur nom à la culture populaire. Si le yole est le type de tap-tap le plus ancien à concurrencer le bwafouye, la concurrence des autres ne date que de 8 à 12 ans. A cela, il faut ajouter des TSNP (tap-tap sans aucun nom populaire). Exception doit être faite du "Service Plus" et du "Yole bon bagay" qui sont très récents dans le système de transport collectif de l'aire métropolitaine. Ces derniers de par leur nouveauté ne feront pas objets d'analyse dans le cadre de notre étude.

Cependant, il est important de comprendre que dans une démarche sociologique, on ne peut se permettre de ne pas situer le fait à étudier par rapport à d'autres faits qui contribuent, au même degré à la structure d'un système social donné.

La lente disparition du « Minibus bwafouye», moyen de transport collectif, dans la circulation automobile est un fait qui a frappé notre attention, du fait que tout jeune écolier, habitant les environs de Carrefour à Port-au-Prince on devait chaque jour utiliser son service pour se rendre à l'école. Pourtant quelques années plus tard on a dû constater, que en plus du «minibus yole» et de la camionnette qui existaient longtemps déjà, l'arrivée sur le réseau routier de Port-au-Prince, d'autres types de moyens de transport collectif et de deux nouveaux phénomènes: beaucoup plus d'usagers à l'attente et le non respect par les chauffeurs de la capacité d'accueil des véhicules destinés au transport collectif.

A quoi est due cette réalité: archaïsme du bwafouye, concurrence inappropriée entre moyens de transport collectif ou urbanisation non planifiée de Port-au-Prince? Telle est la question à laquelle notre étude s'évertuera à répondre.

Toutefois, il faut signaler que contrairement aux autres types de moyens de transport collectif, la carrosserie du bwafouye est de fabrication locale. En conséquence, elle fait appel à un nombre incroyable de gens qui pratiquent de petits métiers ou à des professionnels abandonnés à eux mêmes qui n'ont d'autres alternatives que celle de continuer à vivre au jour le jour dans Port-au-Prince, cette ville qui assiste à une augmentation vertigineuse de sa population et qui, en apparence, comparée aux villes de provinces, offre de meilleures possibilités de gagner la vie. Le «minibus bwafouye» permet ainsi, à un large éventail de personnes de survivre économiquement. Il concilie le culturel et l'économique. Il encourage l'artisanat et participe à satisfaire le besoin intense de mobilité de la population Port-au-Princienne.

Alors, il devient pour nous indispensable de chercher à faire comprendre le devenir du bwafouye eu égard à la concurrence des autres types de tap-tap, dans le processus d'urbanisation de la ville de Port-au-Prince dont la croissance urbaine ne fait que «consommer» au jour le jour encore beaucoup plus de périphéries.

En vertu des objectifs fixés et hypothèses élaborées nous comptons faire une approche qui englobe les différentes dimensions de la problématique du bwafouye dans le transport collectif à Port-au-Prince.

Pour rendre explicite notre recherche et mettre de la cohérence dans notre démarche nous avons divisé notre travail en quatre parties (4) et sept (7) chapitres:

La première partie comprend un chapitre et traite de la méthodologie c'est-à-dire les procédés que nous avons utilisés pour élucider notre objet d'étude tout en dépouillant notre point de vue de départ de ses subjectivités;

La deuxième partie subdivisée en deux (2) chapitres est théorique et conceptuelle en ce sens elle permet d'étaler tout un ensemble d'idées émises par des compétences dans le domaine du transport, dans celui de l'urbanisation et aussi dans la question de la ville. Ces idées en raison de l'autorité intellectuelle et scientifique de leur auteur constituent le moule dont nous nous sommes servis pour donner la forme nécessaire à notre point de vue dans le cadre de notre approche anthropo-sociologique. Dans ce contexte nous passons en revue certaines théories qui traitent de la question du transport collectif urbain dans ses rapports avec la ville et nous présentons les théories qui nous paraissent les plus aptes à expliquer le problème du transport collectif dans le cas de Port-au-Prince. De plus, nous définissons des concepts relatifs à notre recherche dans le but de dissiper toute confusion sémantique.

La troisième partie est consacrée à l'épistémologie et permet de traiter l'évolution de la question du transport collectif urbain dans ses rapports avec l'histoire de la ville. Elle est aussi consacrée à l'ethnographie des différents types de tap-tap de l'aire métropolitaine. Cette troisième partie de notre travail comporte deux (2) chapitres.

La quatrième et dernière partie divisée en deux (2) chapitres est, à proprement parler, le cadre d'analyse de notre travail. Dans cette partie, les procédés et techniques pour la réalisation de notre enquête sont évoqués. Nous en avons profité pour décrire, au prime abord, systématiquement, le tap-tap bwafouye notre principal objet d'enquête qui nous a servi d'outil de cueillette de données brutes dont leur décomposition en leurs éléments les plus constitutifs nous a permis de saisir et d'expliquer toute la portée du problème étudié.

PREMIERE PARTIE : CADRE MÉTHODOLOGIQUE

CHAPITRE I.- COMPRENDRE LA PROBLEMATIQUE DU TAP-TAP

1.1.- IMPORTANCE ET SITUATION DE L'ETUDE.

Notre sujet de recherche: « Le tap-tap bwafouye face à l'urbanisation de Port-au-Prince » est conçu pour évoquer la question du transport collectif urbain dans la ville de Port-au-Prince, capitale de la République d'Haïti, qui fait face depuis des décennies, à des problèmes d'ordre sociodémographique. L'aire métropolitaine de cette ville « absorbait déjà en1990 plus de 75% de la population des principales villes du pays »1(*). En 1997 l'Institut Haïtien de Statistique et d'Informatique (IHSI) a estimé la population de l'aire métropolitaine de Port-au-Prince à 1 556 588 habitants soit 95.02% de la population urbaine du département de l'Ouest2(*) dans lequel elle est située. Ce qui laisse présager le scandale que représente la demande de mobilité quotidienne dans cette ville qui, en 1987 déjà, connut un déplacement quotidien de 1 070 0003(*) alors qu'elle franchissait la barre de 1000000 habitants. Une population qui depuis n=a cessé d'augmenter et qui augmentera encore puisque Port-au-Prince reste la seule ville d'Haïti dotée de certaines infrastructures proches de la modernité. Elle incarne en ce sens, le mieux être, le rêve d'un lendemain meilleur, l'espace de transition de mobilité sociale. N'ayant pas les infrastructures adéquates pour accueillir les migrants venus et du monde rural et des villes de provinces, Port-au-Prince devient le théâtre quotidien de l'insalubrité, de l'improvisation et de l'incommodité.

C'est dans cet atmosphère qu'évolue le transport collectif dont les véhicules y afférents (yole, kazèn, bwafouye, kokorat, rachepwèl...) transportent un nombre d'usagers nettement au-dessus de leur capacité d'accueil. Qui pis est, la plupart de ces véhicules à l'instar du kokorat et du rachepwèl, ne sont pas conçus à de telle fin. Cependant, ils concurrencent fortement le minibus bwafouye qui lui-même a une touche locale et garantit en ce sens, un minimum d'emploi à plus d'un. Quoi que conçu pour le transport collectif d'usager, aux heures de pointe, le « minibus bwafouye » est aussi inconfortable que les autres. Ainsi avons nous pensé qu'avec le processus d'urbanisation de Port-au Prince le « bwafouye » cédera à la concurrence des autres types de transport collectif de l'aire métropolitaine.

Nous présumons que notre sujet sera d'un apport capital pour la littérature du transport collectif urbain haïtien qui souffre de l'inattention des dirigeants concernés de chez nous. Les quelques rares documents haïtiens y relatifs produits par de rares intellectuels haïtiens sont aussi traversés par cette inattention.

Jeter des bases pour une planification de la mobilité quotidienne dans l'aire métropolitaine eu égard à la montée vertigineuse de sa population telle est, en résumé, la finalité vers laquelle tend notre démarche.

Par conséquent, cette démarche, tout en s'inspirant de l'ensemble des problèmes dont les grandes lignes viennent d'être évoquées et qui seront approfondies à notre problématique, aura à montrer clairement, à partir des objectifs du travail par où devrions-nous passer pour atteindre notre finalité. C'est dans cette logique que nous avons formulé les objectifs suivants:

1.2.- OBJECTIF GÉNÉRAL:

Mesurer l'impact de l'urbanisation de Port-au-Prince sur le devenir du « tap-tap bwafouye ».

1.3.- OBJECTIFS SPÉCIFIQUES:

A) Faire ressortir l'interaction existant entre la ville, l'urbanisation et le transport collectif;

B) Chercher à faire comprendre le lien entre la ville de Port-au-Prince, son urbanisation et ses tap-tap;

C) Tenter de déceler la véritable cause du ralentissement du « tap-tap bwafouye » observé dans la circulation automobile à Port-auPrince,particulièrement,sur« l'autoroute » de Carrefour.

1.4.- PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESE

La problématique n'est autre que la démarche adoptée pour résoudre le problème. Cette démarche selon A. Gélédan, « passe généralement par l'adoption d'une grille d'analyse particulière qui va fournir les outils nécessaires à l'obtention de la réponse »4(*). Plus explicite encore et pour répéter M. Beaud disons que « la problématique c'est l'ensemble construit autour d'une question principale, des hypothèses de recherche et des lignes d'analyse qui permettront de traiter le sujet choisi. »4(*)

Le problème du transport collectif, par analogie avec la fonction des différents types de tap-tap, est lourd de conséquence pour la ville de Port-au-Prince. Les usagers, sur la quasi totalité du réseau routier composé de 600 kilomètres de voies dont seulement 240 sont revêtus soit en béton bitumeux soit en béton hydraulique soit en adoquin5(*)..., restent pendant des heures bloqués soit à attendre le passage d'un moyen de transport collectif pouvant les amener à destination, soit à l'intérieur d'un moyen de transport dans un long embouteillage. Cet embouteillage imputable à la carence infrastructurelle de Port-au-Prince est le résultat d'une non-planification laquelle selon le sociologue C. Souffrant traduit l'incohérence entre la conduite d'une institution et le mouvement démographique, économique, technologique... Port-au-Prince en conséquence semble évoluer en marge des normes d'urbanisme et de circulation. Son parc automobile qui représente 81% de celui de toute la République est inadéquat au besoin de déplacement ou de mobilité quotidienne. Il suffit de parcourir le réseau routier aux heures de pointe pour constater l'inefficacité du système de transport. En effet, les moyens de transport collectif sont inappropriés, improvisés et insuffisants. Ils transportent à longueur de journée, un nombre excessif d'usagers qui voyagent régulièrement dans la plus grande incommodité sans pourtant atteindre leur destination dans le temps escompté.

De ce fait le déséquilibre entre la demande de mobilité et les moyens de transport collectif est pertinent. Tout le monde constate la paralysie manifeste des déplacements liés à la division des tâches: déplacements quotidiens des citadins vers les lieux de travail, vers les établissements scolaires, vers les centres d'achat. Ce fractionnement de la vie sociale impose de participer à des transferts quotidiens sous forme de navettes. Des obligations que le port-au-princien accomplit dans la plus grande difficulté quand on sait qu'avec l'insécurité et le «black-out» le fonctionnement de la vie sociale est réduit au grand maximum à 12 heures d'activités. De cette difficile situation dépend aussi la fin du phénomène "bèkfè" (chauffeur de tap-tap travaillant environ 20 heures par jour).

En conséquence à Port-au-Prince la vie se bouscule. Des migrants venus tant du monde rural que des villes de province s'entassent dans des bidonvilles, se déplacent vers les usines de sous-traitance, gagnent les rues à la recherche du pain quotidien, convertissent les voies de circulation d'automobile en de véritables marchés, érigent des tentes partout sur les trottoirs, augmentent considérablement et simultanément la population et l'effectif des chômeurs. Tous croient dans un bien être que seule Port-au-Prince, avec son apparence de modernité, peut leur procurer.

Ainsi se profile l'urbanisation de Port-au-Prince qui se réalise dans un total déséquilibre à cause premièrement d'une non-planification et ensuite de la concentration des différents biens et services dans cette ville. Cela témoigne d'abord de l'absence de tout projet, ensuite d'une certaine hyper centralité: deux causes majeures au sous-développement de cette ville; car selon Y. Bonello « La ville est faite de projets successifs qui se corrigent progressivement ». Il ne peut y avoir de visions arrêtées pour une ville. Il faut toujours impliquer l'inachevé, repenser un projet à partir de nouvelles donnes. En d'autres mots, la ville ne peut être conçue sans avoir une vision prospective c'est-à-dire sans penser le futur, sans prévoir ses délimitations tant au point de vue infrastructurel que superstructurel sinon elle tombe dans le piège de l'hypercentralisation. Cette dernière, toujours pour répéter Y.-H Bonello « conduit à la perte des grands équilibres que sont:

· d'une part, la qualité du vivre ensemble dans l'espace urbain,

· d'autre part, la dynamique du développement de la ville ».6(*)

L'évidente réalité à laquelle est soumise la population port-au-princienne nous pousse à réfléchir sur les éléments de solutions appropriées à la demande de mobilité quotidienne dans la ville de Port-au-Prince. A cet égard nous avons formulé trois (3) hypothèses:

1- Le « tap-tap bwafouye » moyen de transport collectif et générateur d'emplois - avec les problèmes de circulation, ses problèmes de confort et de capacité d'accueillir un grand nombre d'usagers - ne pourra pas résister longtemps encore, à la concurrence des autres types de moyen de transport et à l'assaut des contradictions de la ville de Port-au-Prince où l'urbanisation n'est pas planifiée.

2- Plus un tap-tap facilite le transport d'un nombre excessif de passagers au voyage plus il rapporte au chauffeur plus ce tap-tap lui paraît intéressant.

3- Plus un tap-tap surchargé permet à son chauffeur de faire du profit moins le chauffeur se soucie du confort des usagers.

1.5.- REVUE DE LITTERATURE

Nous avons, pendant près de dix ans, cherché une documentation appropriée à l'orientation de notre démarche. Dans le contexte haïtien, malheureusement, la question du transport collectif urbain est abordée superficiellement nous avons eu recours à la littérature étrangère qui dans le domaine possède une riche documentation. Aussi avons-nous passé en revue des textes à caractères théoriques traitant des aspects du transport collectif urbain liés à la ville et à l'urbanisation.

Cette investigation documentaire nous a permis:

· de faire une analyse épistémologique du transport collectif lié à la ville;

· d'avoir une vue d'ensemble sur la problématique du transport dans les villes.

MERLIN Pierre, dans son ouvrage « Les Transports Parisiens » a présenté les moyens de transport comme un corollaire du développement de la ville et un élément de cohérence entre les différents facteurs de ce développement dont l'essor industriel en est le principal. « En l'absence des moyens de transport, écrit-il, au lieu d'être une métropole Paris serait devenu une juxtaposition de quartiers sans lien ni hiérarchie »7(*).

REMY Jean et VOYE Lilianne, dans leur oeuvre commune « La Ville Ordre et Violence » dégagent l'importance des moyens de transport collectif dans l'urbanisation et leur rôle régulateur dans la production industrielle. Ils établissent le lien existant entre les travailleurs, l'usine et le transport collectif. Le développement des transports collectifs a rendu possible, selon eux, l'éloignement spatial entre la résidence des travailleurs et l'usine (espace de contrôle du travail pour un accroissement de la production horaire). L'usage des moyens de transport, en ce sens, a contribué à instaurer un calcul sur le temps et même à exalter le respect. Ainsi l'urbanisation interfère-t-elle avec l'industrialisation dans la mesure où elle a été rendue possible par le développement des moyens de se déplacer qui permettraient de vivre sa vie hors travail dans des endroits distant des lieux de travail8(*).

Dans l'oeuvre éditée chez ROBBERT LAFFONT en 1976 et intitulée: « Les Transports », l'auteur, à partir d'analyse, a fait comprendre que l'urbanisme et l'urbanisation sont des facteurs corrélés qui ne peuvent se passer des transports urbains. A son avis, « planifier l'urbanisation indépendamment des transports urbains peut conduire à un étranglement de la circulation »9(*).

Une publication des Nations Unies : « Urban transport development with particular reference to developing countries » laisse prévoir que le bon fonctionnement de la ville ne peut se réaliser sans les moyens de transport collectif. Selon cette publication les moyens de transport collectif sont comme une béquille pour la ville, un élément de jonction entre les activités sociales et économiques qui se déroulent dans la ville, une nécessité pour tous types de travailleurs, une complémentarité socio-économique et administrative, un paramètre de l'urbanisation. "Quand les services fournis par le transport public sont interrompus, les affaires et les services sont paralysés"10(*). Cette paralysie des activités ou de la vie urbaine plonge la ville dans un déséquilibre.

BONELLO Yves-Henri, dans son ouvrage « LA VILLE » montre qu'en dehors de l'habitat, l'emploi, le commerce et les activités culturelles; les transports sont aussi comptés parmi les facteurs d'équilibre de la ville. Ils assurent la mobilité qui est au centre de la question urbaine et au coeur du processus d'urbanisation. Une mobilité qui prend la double forme: « les déplacements dans la ville liés à la division des tâches et les migrations liées aux cycles de la vie et à la vie socioprofessionnelle »11(*).

1.6.- APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE ET TECHNIQUE D'ENQUETE

Notre approche se situe dans le champ de la sociologie urbaine. Dans ce contexte nous sommes partis de la méthode dite: « méthode de l'étude des traces »12(*) considérée comme une forme d'observation différée résidant dans l'analyse de documents appropriés et de statistiques officielles aptes à nous procurer des informations nécessaires pour une parfaite compréhension du transport collectif urbain dans la ville de Port-au-Prince.

L'observation, à n'en pas douter, dans le cadre de notre sujet et pour le bon déroulement de notre démarche nous a servi comme méthode d'orientation ou de construction des premières idées qui constituent la matière brute à partir de laquelle nous avons constitué le moule qui donne le profil convenable à notre étude et qui en quelque sorte fournit les premiers éléments d'enquête.

On comprend déjà que nous faisons appel à une troisième méthode il s'agit bien de l'enquête. Ici, la phase pratique ou expérimentale de notre observation est mise à l'épreuve. Cela nous a poussé à recourir à d'autres outils méthodologiques comme l'entretien et le questionnaire. Deux techniques qui, bien entendu, nous permettent, dans un premier temps, d'aller sur le terrain interviewer des carrossiers et interroger des chauffeurs dans le but de déceler leur attitude respective quant à la concurrence des différents types de tap-tap et leur opinion quant à la question du transport collectif à Port-au-Prince.

Nous nous sommes entretenus aussi avec des cadres de certaines institutions qui, à partir de leur perception et du vocabulaire dégagé de l'ensemble de nos entrevues antérieures avec des carrossiers et chauffeurs, nous ont permis d'élaborer un questionnaire à l'intention des chauffeurs. Ceci dit nos véritables enquêtés ne sont que les chauffeurs; ou en d'autres termes un échantillon de 48 chauffeurs de tap-tap.

Pour bâtir cet échantillon nous avons choisi la méthode des quotas. En raison des conditions du déroulement de l'enquête et estimant que les chauffeurs à interroger sont, pour la plupart, d'un bas niveau d'instruction nous avons utilisé le questionnaire « auto-administré »13(*). Dans une certaine mesure toutes les conditions requises à l'utilisation de ce type de questionnaire ne sont pas réunies. Cela nous oblige à procéder à un face à face pour la collecte des données qui se réalise par des enquêteurs présents sur le terrain et qui remplissent ce questionnaire selon le dire de chaque enquêté.

Signalons que l'absence quasi totale de travaux scientifiques dans le domaine du transport collectif urbain en Haïti, l'irrégularité et les contradictions des donnés chiffrées fournies par l'Office Assurance des Véhicules Contre Tiers (OAVCT) et le Service de la Circulation des Véhicules (SCV), le « peu d'intérêt » dont nourrit l'IHSI pour les données en matière de transport collectif urbain tant dans l'aire métropolitaine de Port-au-Prince que pour les autres villes d'Haïti nous empêchent de circonscrire formellement notre recherche dans un intervalle de temps donné.

DEUXIEME PARTIE: CADRE THEORIQUE ET CONCEPTUEL

CHAPITRE II.- APPROCHE THEORIQUE

Port-au-Prince la capitale et la première ville de la République d'Haïti assiste, depuis des décennies, à l'augmentation effrénée de sa population. Une situation dont les villes du monde entier, développées et sous-développées, affrontent en dépit des problèmes qui en découlent. Si dans les villes des pays occidentaux cette augmentation fait l'objet d'une grande planification; dans les villes des pays du tiers-monde elle semble être livrée à elle même.

Aussi, assiste-on avec cette question d'augmentation de la population, à l'émergence de nouvelles zones résidentielles, et ceci d'année en année, dans la périphérie de Port-au-Prince. Son aire géographique, en conséquence s'agrandit avec pour corollaire l'allongement de la distance entre les zones résidentielles et le centre-ville considéré comme l'espace de concentration des différentes activités. Ce double phénomène: augmentation de la population et agrandissement de l'aire géographique de Port-au-Prince traduit en peu de mots l'urbanisation de la ville de Port-au-Prince. Une urbanisation qui, pour répéter le sociologue C. Souffrant, est en porte à faux. C'est-à-dire une urbanisation qui n'est reposée que sur l'insuffisance agraire du monde rural, l'instabilité socio-économique des villes de province d'un côté et, de l'autre côté, sollicitée par des causes qui engendrent la torsion de la vie sociale à Port-au-Prince. Cette expression est tout-à-fait significative quant à la non-planification ou l'informel dans laquelle évolue la ville de Port-au-Prince et son système de transport collectif.

Ville du tiers-monde, Port-au-Prince est incapable de satisfaire même les besoins primaires de sa population grandissante. Son réseau routier, le plus sollicité d'Haïti, compte tenu de l'importance des activités menées dans cet espace qui représente aussi bien la capitale politique du pays mais aussi la capitale économique et financière, accuse des carences marquées du point de vue de l'état des chaussées et du niveau de service. Les problèmes de circulation se posent de façon cruciale, car il n'existe pas d'itinéraire de contournement de la partie urbaine dense de la capitale. Cela se traduit par des embouteillages monstres dans les principales artères de la capitale même en dehors des heures de pointe. Cela est évident, car Port-au-Prince est devenu la ville où des bidonvilles pullulent et ne laissent pour tout espace de circulation que des rues de 3 à 4 mètres de larges. De véritables couloirs où des véhicules ne peuvent circuler que dans un sens mais, où souvent on voit le contraire.

Dans cette logique, quels sont les angles théoriques à partir desquels peut-on cerner la problématique du transport collectif dans la ville de Port-au-Prince?

S. Brouk, évoquant la question de l'urbanisation dans les villes du tiers-monde et suivant une approche ethno-démographique avance l'idée que Dans plusieurs pays en voie de développement, l'afflux de la population rurale vers les villes (particulièrement vers les grandes villes et, en premier lieu, vers les capitales) est supérieur à la demande en main d'oeuvre ce qui grossit l'armée des chômeurs complets et partiels.14(*)

Ce point de vue théorique rencontre en grande partie celui de J.M. Hoener qui dans une vision économique émit la théorie suivante: l'exode rural joue un rôle de tout premier ordre d'autant qu'il a contribué largement au peuplement des villes même si aujourd'hui, il ne participe plus que pour un tiers seulement à l'urbanisation du tiers monde.

(...) Souvent cette urbanisation se concentre essentiellement sur quelques villes, voire sur la capitale (...) qui compte plus de 50% de la population urbaine.

(...) La concentration de l'urbanisation et donc l'omniprésence de la ville primatiale, sont sans doute les causes majeures de l'absence d'un réseau urbain équilibré et d'une armature urbaine fonctionnelle. D'après la théorie de l'urbanisation définie par Zipf (1949), la deuxième ville est deux fois plus petite que la première, la troisième trois fois plus petite, etc. Or cette loi oublie l'importante exception de Jefferson, selon laquelle l'existence d'une très grande ville conduit à l'absence de villes de tailles intermédiaires à côté de la grande ville, et à la présence de villes de tailles beaucoup plus restreintes. La rareté des villes moyennes ou secondaires, qui répondent à une conception fonctionnelle et non pas quantitative est à la fois la conséquence d'une urbanisation en partie parasitaire et la cause du sous-développement économique.

Dans le domaine des transports, continue t-il à dire, le tiers-monde pauvre apparaît particulièrement mal loti en infrastructure (...) Quant aux routes et aux pistes, la situation est bien pire. Les ornières, les nids de poules... ou d'autruches, les longues déviations qui évitent les ponts effondrés ou les digues détruites, etc. mettent à rude épreuve les camions et les cars qui sont amortis beaucoup trop vite, d'où un surenchérissement des coûts de transport (...) De nombreuses études montrent en effet que le mauvais état des routes et des pistes en général est le prétexte à des prix de transport exorbitants, ce qui signifie une extorsion de la rente foncière quasi usuraire puisque l'essentiel des marchandises transportées reste agricole15(*).

F. Asher et J. Giard font une approche à la fois économique, urbanistique et politique de la problématique du transport collectif urbain liée à l'urbanisation. Leur approche complète les théories déjà évoquées qui s'intéressaient beaucoup plus aux aspects démographique et économique en négligeant, dans une certaine mesure, l'aspect spatial de l'urbanisation et la véritable implication des transports dans ce processus. Selon eux: « Le développement des transports est une exigence essentielle pour assurer et accélérer la circulation et la reproduction du capital.

Aborder le problème des transports urbains c'est évoquer une des manifestations les plus criantes de la crise de l'urbanisation qui, quand elle est accélérée, est grosse consommatrice d'espace.

En effet l'ensemble des problèmes urbains, les localisations de diverses activités et des logements impliquent des problèmes de déplacement. Plus s'accroissent les unités urbaines en dimension et en complexité, plus s'approfondit la ségrégation fonctionnelle de l'espace et plus les liaisons internes prennent de l'importance.

La crise des transports urbains est donc d'abord le produit de la crise urbaine dans son ensemble. Elle présente une acuité particulière dans la mesure où la majeure partie des déplacements dépend du choix de localisation privés alors que les transports exigent des procès très socialisés.

La solution à la crise généralisée des transports passe donc nécessairement par une politique d'urbanisme d'ensemble cohérent et par une importante politique de transport en commun ».16(*)

Cette interaction dégagée, à travers l'approche de F. Ascher et J. Giard, entre les politiques d'urbanisme et de transport, nous permet de comprendre que la ville pour se développer doit être l'objet d'une planification incluant le court, le moyen et le long terme à côté des paramètres infra structuraux et super structuraux. Il n'en reste pas moins vrai que si la révolution industrielle a imprimé sa marque à la ville, les moyens de transport ont, de leur côté, contribué grandement à dynamiser cette impression en la rendant plus manifeste. En conséquence la combinaison de ces deux phénomènes fait de la ville un espace de grande mobilité ou de déplacement massif de population. Une population qui, au fil des années, se renouvelle constamment. En d'autres termes, la dynamique de la ville ne peut se concevoir en dehors des moyens de transport collectif urbain qui, à l'instar de l'habitat, l'emploi, le commerce et les activités culturelles, en assurent aussi l'équilibre de la ville. Ainsi, penser l'urbanisation indépendamment des transports collectif c'est contribuer à la naissance de véritables monstres urbains où la concentration des activités peut transformer l'espace en question en un hyper centre d'activités. A ce niveau, nous nous référons à Y.H. Bonello qui, d'un point de vue théorique présente l'hyper centralité comme un mal entraînant la perte des grands équilibres de la ville. Selon sa théorie, le diagnostic de ce mal permet de dégager clairement les causes symptomatiques qui sont:

· « une gestion inadaptée à travers des institutions éloignées des réalités, ou trop sensibles aux pressions

· les mutations et les déséquilibres engendrent une crise du logement qui frappe les plus démunis

· le mal vivre des jeunes la destruction des milieux de vie urbains, du tissus social, des solidarités et des systèmes de régulation ».17(*)

A la lumière de ces théories comment comprendre la ville de Port-au-Prince (comparée à d'autres villes du monde), son urbanisation et ses moyens de transport collectif par analogie avec les différents types de tap-tap et particulièrement le « tap-tap bwafouye »? En termes de signification, que charrient les différents types de tap-tap et particulièrement le « tap-tap bwafouye » dans la ville de Port-au-Prince? Sont-ils tous une forme de réponse à l'organisation socio-économique ou de distribution spatiale de la ville de Port-au-Prince? Qu'adviendra t-il du système de transport collectif dans la ville de Port-au-Prince si l'urbanisation de Port-au-Prince reste non-planifiée?

CHAPITRE III.-APPROCHE CONCEPTUELLE/ DEFINITION.

Cette approche est conçue dans l'optique de permettre à tout un chacun de saisir le sens, la portée et la signification des différents concepts utilisés dans le cadre de notre recherche. Nous entendons par là définir des concepts clés pour éviter les interprétations qui peuvent aller à l'encontre des nôtres. Car la sociologie, comme toute autre science « a affaire à des objets construits, contre le sens commun, les apparences, les explications trompeuses (...) Le donné doit être soumis à un travail parce que:

· il est infini, chaotique et nécessite un choix en fonction d'un point de vue,

· il induit en erreur du fait qu'il a été fondé sur des préjugés,

· il dissimule des relations cachées qu'il a pour fonction de masquer.

« Il s'avère alors nécessaire de le déconstruire et de le reconstruire en le situant dans un réseau conceptuel qui lui restitue son sens caché ou simplement un sens ».18(*) Dans ce contexte quel sens ont, pour notre recherche, les concepts: tap-tap, tap-tap bwafouye, moyen de transport collectif, urbanisation, aire métropolitaine de Port-au-Prince, mobilité quotidienne, ville, planification urbaine, gestion urbaine, politique urbaine, services urbains, croissance urbaine, chauffeurs de tap-tap, usagers de tap-tap, capacité d'accueil, confort.

3.1.- TAP-TAP

Tap-tap exprime la rapidité avec laquelle une action est exécutée dans un temps par rapport à la distance. Elle traduit au niveau de l'abstraction toute idée tendant à activer le processus normal de tout phénomène et la liaison entre deux points distincts. Ainsi selon la terminologie haïtienne, tap-tap est le symbolisme du temps qui, dans sa course, relie deux extrémités d'un espace quelconque tout en permettant de confondre la distance à parcourir à la vitesse utile impensable par sa rapidité. Il est, en ce sens pour la langue créole, une expression emphatique et, est synonyme de : Prese-Prese, Mache-Prese, Chocho Trapde. Ce sont des expressions créoles traduisant : l'extrême rapidité, vitesse de croisière, vitesse éclair.

La capacité de l'automobile à atteindre cette fulgurance, cette vitesse, contrairement à la marche à pied ou à dos d'âne, lui confère la dénomination tap-tap.

Le sens de ce terme dans le contexte du transport en commun haïtien, apparemment se situe dans l'historique des moyens de communication pour relier une région à une autre. L'histoire montre qu'autrefois l'haïtien, comme tous les peuples, utilisait ses pieds ou le cheval pour parcourir de longs kilomètres terrestres. Cependant le temps qu'il fallait disposer pour le trajet était beaucoup moins grand à cheval qu'à pieds. Avec l'arrivée en Haïti d'un moyen de transport comme l'automobile, le cheval allait prendre beaucoup plus de temps à parcourir le même trajet par rapport à celle-là. Et, il faut, en plus souligner que l'automobile a succédé à d'autres moyens de transport moins rapide et moins confortable. Dans un premier temps, le transport à Port-au-Prince était assuré par des "Buss et Buggys" tirés par des chevaux. Plus tard en 1896, ces moyens de transport furent concurrencés par les tramways qui eux-mêmes furent actionnés par la vapeur. Si ce moyen de transport (les tramways) était préférable aux "Buss et Buggys" pour sa commodité et sa rapidité, il ne résista pas longtemps à la concurrence des autobus à moteur, « dont le premier (...) a été mis en circulation à Port-au-Prince le 27 mars 1913. » (G. Corvington, 1976, 249) En effet, sous l'égide de l'automobile le transport public allait connaître une nouvelle orientation.

« L'Organisation d'une vraie ligne de taxis ne semble avoir vu le jour qu'en 1928. C'est cette année là, en effet, que sans doute, après entente, des propriétaires d'automobile mettent à la disposition du public un certain nombre de voitures affectées au service du transport des voyageurs de 6 heures du matin à 6 heures du soir ...

« L'irruption de cette nouvelle organisation sur le marché du transport urbain fait apparaitre la compétition. On prévoit déjà le moment où les buss ne seront plus dans Port-au-Prince qu'un vieux souvenir (...) puisque leur tarif est de cinq (5) centimes supérieur à celui des autos de la ligne, plus rapides et plus confortables ». (G. Corvington, 1987, 159)

Le phénomène automobile n'a pas laissé indifférents des romanciers et poètes de l'époque. Voici comment Stephen ALEXIS, l'un de ces romanciers, a traduit le phénomène : « L'automobile est reine maintenant, écrit-il. D'un train lent, les vieux buss s'en vont. Que sont devenues les élégantes voitures que tiraient les magnifiques bêtes racées et piaffantes? Sans gloire, elles achèvent dans une remise sentant le ranci, ou dans une vieille cour vague leur malheureux destin.

(...) Les fringants chevaux eux-mêmes ont disparus de la circulation ... » 19(*)

Ce sont en ces termes là que Stephen ALEXIS traduit la substitution des moyens de transport antérieurs à l'automobile. Leur lenteur, selon lui, en est une des causes. Donc, c'est cette réduction par l'automobile du temps mis à relier les mêmes kilomètres autrefois parcourus à pieds, à dos d'âne, en buss, buggys et tramways que l'haïtien résume par un simple mot : tap-tap. Aussi, aucune publication concernant le transport en commun haïtien ne peut faire l'économie de cette expression.

Il n'en est pas moins vrai que la motocyclette, elle aussi, est faite pour vaincre la distance dans un temps très court en ce sens elle est un tap-tap. Les jours de circulation difficile (grèves générales, grèves des chauffeurs) on assiste à un trafic accéléré des motocyclettes « ECONO ». Ainsi désignées, elles viennent au secours de non-grévistes qui semblent vaquer normalement à leur occupation. Du côté du quartier « LA SALINE » particulièrement sur la diagonale reliant le quai de Jérémie à la grande route (Boulevard La saline) il est monnaie courante de trouver des motocyclettes transportant deux (2) à trois (3) passagers.

C'est un trafic qui tend à se généraliser, puisque à l'extrémité de la bretelle de jonction d'avec la Nationale #1 des motocyclistes restent en « stand by » attendant de potentiels passagers pour le Boulevard Hailé Sélassié et l'Aéroport International.

Sur le Boulevard Harry Truman, (au terminus de la rue Joseph Janvier), ainsi que sur l'autoroute de Delmas à l'entrée de Delmas 31, le constat est le même. D'aucuns croient que ces « écono » représentent un défi au fort embouteillage que connait tout Port-au-Prince aux heures de pointe. Voilà le spectre d'un nouveau mode de tap-tap à l'horizon du transport en commun en Haïti.

Évidemment dans beaucoup de villes du tiers-monde la motocyclette s'installe déjà comme mode de transport urbain. A Ouagadougou, par exemple, Capitale du Burkina Faso, les deux roues à moteur sont prédominantes dans le trafic urbain. C'est ce que Laura Faxas appelle: Asiatisation du transport collectif urbain dans le contexte de la République Dominicaine. A son avis « Le phénomène le plus caractéristique des changements et de la restructuration du système de transport, c'est l'incorporation massive de motos dans certains itinéraires du système. On assiste ainsi à une « asiatisation d'une partie du système ».20(*) Cependant, ce phénomène est selon lui le résultat du désengagement de l'État dominicain vis-à-vis de la population urbaine face aux services à caractères publics qu'il devait lui fournir. Dans le contexte, de la crise et du désengagement libéral de l'Etat, en tant que garant des services publics, l'incorporation de motos dans le transport semble s'étendre à d'autres pays de l'Amérique latine et d'Afrique, satisfaisant de façon captive une partie de la demande et n'étant pas un transport de type taxi traditionnel ou en concurrence avec d'autres moyens de transport. En outre dans le cas dominicain ce type de transport est devenu pratiquement le seul moyen de transport dans les villes de taille moyenne ou les villages » 21(*)

Il n'est pas tout à fait facile de prouver que le mot Atap-tap puise ses origines dans l'histoire du transport en commun haïtien. Toutefois, le mot en soi, en plus qu'il exprime l'extrême rapidité d'un moyen de transport, se confond aussi avec le moyen de transport même. Par ce dernier, on entend l'ensemble de procédés (mécaniques et techniques) desquels l'homme s'en sert pour assurer son déplacement d'un point vers un autre pour atteindre sa destination. Voilà ce qui explique, qu'au lieu de parler, de taxi, de camionnette ou d'autobus, l'haïtien utilise parfois l'expression tap-tap.

C'est d'ailleurs, à peu près, le point de vue de Jean Michel Houry, de Lyonel Paquin, de Christophe Wargny et de Jean Marie Duval. Selon l'article, publié dans le numéro cent dix neuf (119) de la revue Conjonction en 1973, Jean Michel Houry établit une différence entre tap-tap, taxi et Peugeot. Il présente les taxis comme des voitures privées d'occasion qui assurent le trafic de passagers sur les diagonales. Celles-ci font partie du réseau routier desservi par les tap-tap.

« Le réseau est constitué par trois axes principaux : la route Carrefour-Portail Saint-Joseph, le circuit Centre-ville - Pétion Ville par Lalue et Delmas et les diagonales, Bois Verna, Pacot, Turgeau, Saint Gérard et le Centre Ville.

« L'axe Carrefour-Portail Saint Joseph est couvert par (des) tap-tap; Chacune de ces camionnettes légères, à carrosserie locale sur châssis généralement japonais transporte (un nombre) de passagers par jour ouvrable (...).

«  Sur l'axe centre ville -Pétion Ville par Lalue et Delmas le transport est assuré par (des) Peugeot familiales diesel a neuf (9) ou dix (10) places chacune et par des tap-tap véhiculant des passagers exclusivement par Delmas ... « Sur les diagonales, le trafic est assuré par des taxis collectifs, voitures privées d'occasion ».

A bien comprendre l'article; définir tap-tap exige qu'on tienne compte, d'abord, de la qualité du véhicule qui implique: sa morphologie et ses occupants, ensuite et surtout les voies qu'il emprunte pour desservir des passagers. Ce sont autant de paramètres qui, pour Jean Michel Houry, doivent permettre de parler des tap-tap et de les différencier des taxis et Peugeot qui sont tous à la fois des moyens de transport. Il va même plus loin, dans sa différenciation, en montrant que les tap-tap sont constitués d'une carrosserie locale Aussi ne sont-ils autres, que des autobus et camionnettes publics comme ceux de Carrefour et de Delmas. Sans être complaisant ni catégorique disons que c'est peut-être également, la position de Lyonel Paquin qui a fait la compilation de 1000 slogans dans une brochure intitulée Les tap-taps haitiens dont la page de couverture met en relief un minibus bwafouye.

A ce niveau, les approches sont complémentaires. A lire la brochure illustrée de J. M. Duval et de C. Wargny, intitulée : En Haïti où les tap-tap roulent pour Dieu, on constate que ces auteurs ne s'enferment pas seulement dans le carcan port-au-princien pour parler des tap-tap. Contrairement à J.M. Houry, ils partent vers les circuits reliant Port-au-Prince aux villes de provinces.

Alors, ils se placent dans le quartier La saline pour observer et tenter de décrire le phénomène tap-tap. « Deux heures du matin, Port-au-Prince, quartier de la Saline, Bidonville repu de nuit noire (...) La vie grouillante qu'aucun sommeil n'interrompt jamais se devine, là-bas derrière la lisière des tap-tap, pullulement autour de la puanteur des rigoles où achèvent de pourrir mangues ou papayes. » (C. Wargny, J.M.Duval, 1993)

Une véritable lisière mobile. Les tap-tap partent pour revenir, quotidiennement, la reconstituer. « Comme des milliers d'autres un de ces camions-autobus, (...) taille sa route à grand renfort de Klaxon, comme tous les tap-taps qui labourent les mornes d'Haïti en tout sens, secouant des passagers entassés, rudoyés, chavirés et chavirant de leurs banquettes de bois. » (ibid)

L'approche de Houry rencontre, en un certain point, celle de Wargny et Duval qui, sans ambages, présente les tap-tap comme un mariage mécanique et artisanal. Un mariage de deux mondes différents : celui de l'occident et du régional, du métal et du bois. Une approche, certes réaliste et partagée mais restrictive et anachronique du fait que de nos jours tous les véhicules à moteur, indépendamment de leur structure et dépendant des conditions socio-économiques de leur propriétaire, se transforment en véhicules de transport public. Si cette approche décrit les tap-tap en tenant compte de certains paramètres, (morphologie et circulation) elle manque beaucoup d'éléments pour être conceptuelle. Et c'est d'ailleurs à ce niveau que la différence se fait sentir entre les approches. Celle de Wargny et Duval, à bien des égards, est allée beaucoup plus loin.

En effet selon eux tous les moyens de transport sont des tap-tap, une fois que ceux-là permettent de parcourir rapidement, même de façon relative, la distance voulue.  « Tap... tap... tap... tap... tap... tap: en créole, la rapidité, la fulgurance, l'immédiateté. Ou presque. Vitesse certes relative, mais indiscutable, comparée à celle de la bourrique ou de l'humain livré à ses propres jambes. Tap... tap... tap... voyage en un clin d'oeil ... » (ibid)

Telle est une approche qui complète la nôtre et qui traduit bien dans le temps comme dans l'espace haïtien une certaine réalité du transport en commun. Cependant elle s'enferme dans une brochure où l'observation semble donner libre cours à l'imagination. Où le vécu est pris sur le vif et exposé vulgairement; et où enfin aucune tentative d'analyse n'est relevée.

Tout cela est pour dire que ces approches ne se limitent qu'à d'écrire ou à définir le phénomène à partir de simples observations.

Vu le caractère de notre travail, nous comptons insérer la nôtre dans un cadre scientifique où les premières impressions du sens commun - face à des recherches conduites méthodiquement - ne vont pas constituer une entrave aux tentatives d'explication du transport en commun comme étant un fait social. C'est-à-dire comme étant une chose où les hommes - à quelque niveau que ce soit - ont tous participé, volontairement, à sa cristallisation sans qu'elle ne soit, pourtant, revêtue d'aucune marque particulière d'individualisme et où tous sont soumis aux contraintes qu'elle a générées. Dans cet ordre d'idées nous retrouvons la pensée de Durkheim pour qui le fait social est un mélange d'actions de plusieurs individus; actions qui une fois combinées donnent naissance à un produit nouveau. « Et comme cette synthèse a lieu en dehors de chacun de nous (puisqu'il y entre une pluralité de consciences) elle a nécessairement pour effet de fixer, d'instituer hors de nous de certaines façons d'agir et de certains jugements qui ne dépendent pas de chaque volonté particulière prise à part ». (E. Durkheim, 1937)

Partant de cette considération, le tap-tap peut être défini comme: une synthèse d'actions mécaniques, techniques et quelquefois artisanales, réalisée par des hommes pour réduire le temps de la distance à parcourir à la vitesse de marche minimale et faciliter le transport d'un collectif d'hommes qui le préfère aux voyages à pied et à dos d'âne, pour sa rapidité et son confort. Aussi s'impose t-il dans l'habitude des hommes qui ne peuvent s'en passer.

Cela n'est pas moins vrai des tap-tap circulant sur le réseau de l'aire métropolitaine de Port-au-Prince qui, malgré de graves problèmes de circulation et de confort, s'intègrent dans la vie régulière des port-au-princiens.

Autrement dit, parler de tap-tap revient à désigner l'ensemble des moyens de transport collectif qui, empruntant les différents axes du réseau routier dans des allées et venues quotidiennes, facilitent le déplacement des habitants de l'aire métropolitaine tout en leur donnant la possibilité d'arriver à destination dans un temps relativement rapide.

Puisqu'un fait social, selon Durkheim, doit être considéré comme une chose, mais pas au même titre que les choses matérielles qui ne sont analysées que du dehors, les tap-tap (particulièrement le bwafouye) feront l'objet d'une analyse qui les embrassera tant dans leur consistance que dans leur fonctionnement aussi bien que dans leurs relations avec d'autres faits sociaux. Dans ce contexte, ils sont pour nous un objet de connaissance qui n'est pas naturellement compénétrable à l'intelligence, donc nous ne pouvons nous en faire une notion adéquate par un simple procédé mental. En conséquence, pour que nous arrivions à les comprendre et à les expliquer nous devons sortir de nous mêmes, « par voie d'observations et d'expérimentations, en passant progressivement des caractères les plus immédiatement accessibles aux moins visibles et aux plus profonds ». (E. Durkheim, 1937)

3.2.- TAP-TAP BWAFOUYE

Moyen de transport collectif dont la carrosserie, faite de bois est montée sur un châssis de « type canter-Mitsubishi », et est de fabrication locale. Conçu pour le transport collectif d'usagers il doit son nom à la matière première (le bois) qui forme la structure de sa carrosserie. Pour notre travail, tap-tap bwafouye et minibus bwafouye sont synonymes.

3.3.- MOYENS DE TRANSPORT COLLECTIF

Ensemble de véhicules (automobiles) qui ne sont pas tous forcément conçus pour le transport collectif d'usagers mais dont les plaques d'immatriculation portent, respectivement, la mention taxi. Au nombre de ceux-là on distingue, suivant la terminologie haïtienne; le minibus bwafouye, le yole, le rachepwèl, le taxi, le kokorat, le gwobisjon, la camionnette. Tout récemment des syndicats de chauffeurs, au terme d'un contrat avec le gouvernement haïtien, sont venus apporter leur note à la nomenclature des tap-tap. Ils désignent leur moyen de transport du nom de « Service plus » et est immatriculé location.

3.4.- URBANISATION

Processus d'augmentation croissante de la population des villes qui résulte tant de la migration que du mouvement naturel de population et qui est lié à des transformations infrastructurelles de l'espace des villes.

3.5.- AIRE METROPOLITAINE DE PORT-AU-PRINCE

Espace géographique comprenant: Delmas, Croix-des-missions, Carrefour et Pétion-ville qui sont des zones et villes avoisinantes à la ville de Port-au-Prince laquelle inclusivement fait partie de cette aire.

Elle est synonyme de Port-au-Prince ou de la ville de Port-au-Prince dans le cadre de notre travail.

3.6.- MOBILITE QUOTIDIENNE

Ensemble de déplacements quotidiens des port-au-princiens, à l'intérieur de l'aire métropolitaine de Port-au-Prince, vers les différents espaces de la ville, soit en voiture privée, soit à pieds, soit en tap-tap. Ils se rendent sur leur lieu de travail, dans les établissements scolaires, sur les centres d'achats...

3.7.- VILLE

Le dynamisme des facteurs qui structurent la ville entrave toute définition à tendance axiomatique qui laisserait croire en un schéma arrêté ou théorique propre à caractériser de manière générale la ville. Par contre, différents spécialistes en la matière, sont d'avis à reconnaitre que toute tentative de définition de la ville ne doit et ne peut faire l'économie de l'histoire de l'espace géographique en question. Pour J.P. Lacaze «Une ville n'est pas autre chose que (...) Le produit de sa propre histoire matérialisée en formes architecturales». G. Burgel, dans son oeuvre « la ville aujourd'hui» nous dit que « les villes sont à la fois le produit et le reflet des sociétés qui les font naître». Donc, une ville ne peut être édifiée qu'en référence aux rythmes temporels et aux différentes actions qui jalonnent sa transformation en tant qu'espace physique. Les approches de J.P. Lacaze et de G. Burgel loin d'être contradictoires sont complémentaires et rencontrent l'approche de Y. H. Bonello pour qui la ville « est au-delà de toute perspective géographique, sociologique ou historique parce qu'elle naît des besoins d'interaction entre des êtres, ce qui interdit toute définition statique et descriptive».

Tout compte fait, pour une bonne compréhension de ce qu'est la ville, il est préférable de la définir à partir de sa fonctionnalité plutôt que de son évolution. Nous nous référons à nouveau à Y. H. Bonello qui avance que la ville « c'est un lieu de résidence où siège l'autorité chargée d'arbitrer entre les pouvoirs des corps sociaux».

3.8.- PLANIFICATION URBAINE

Processus d'organisation de l'espace urbain tant au point de vue urbanistique, architecturale et économique à des fins de contrôle de l'urbanisation et de réponses quasi-adéquates aux besoins de la population des villes. Elle inclut en ce sens deux modes d'action, c'est-à-dire un ensemble de pratiques professionnelles tendant à préparer et à exécuter des décisions. Ces modes d'action sont: la composition urbaine et la planification stratégique. La première «recherche en priorité l'harmonie et l'élégance des espaces en creux de la ville; elle dessine donc ces espaces et fixe des règles pour les constructions. (...) Pour des opérations plus importantes elle s'attachera à la définition de règles générales susceptibles d'assurer la cohérence d'ensemble du paysage urbain à travers la diversité des projets architecturaux successifs.» La planification stratégique, pour sa part, «constitue une étude globale des marchés concernant les espaces et les services urbains. Elle utilise pour cela des modèles mathématiques permettant d'évaluer les besoins futurs et de rechercher les décisions à prendre pour éviter les pénuries prévisibles. (...) Elle se réfère à une conception de la ville comme espace privilégié de l'économie. Elle justifie les décisions qu'elle propose par des critères d'efficacité et d'utilisation optimales des ressources financières. Elle renvoie donc à des modes de décision de type technocratique. (...) Son importance globale dépend beaucoup du rythme de la croissance démographique et de l'urgence des besoins non satisfaits." (J.P Lacaze, 1995, 52)

3.9.- POLITIQUE URBAINE

Ensemble de législations visant la gestion des situations jugées inacceptables dans les villes (insécurité, délinquance, la désagrégation urbanistique et architecturale des quartiers, la drogue, le chômage) et la mise en place des actions correctrices. La plupart du temps, ces législations prennent surtout en compte le logement et les grands réseaux d'infrastructures. Cependant d'une manière générale, le rôle des politiques urbaines consiste à intervenir pour mieux aménager la ville en fonction des besoins économiques et sociaux". (J.P Lacaze, 1995, 43)

3.10- GESTION URBAINE

C'est le processus qui fait intervenir la question de savoir qui doit évaluer les besoins économiques et sociaux de la ville et celle de la préparation et de l'application des décisions. Elle implique une prise de position sur le problème de l'exercice du pouvoir dans le contexte des modes de planification urbaine. Elle fait appel, de ce fait à l'urbanisme, à la géographie urbaine et à la science politique et engage directement les acteurs publics dont leur rôle consiste à fixer les règles du jeu par des Lois et des Décrets, puis à veiller à leur bonne application en contrôlant les procédures et en sanctionnant les irrégularités. Interviennent ensuite des acteurs spécialisés puis les citoyens.

3.11.- SERVICES URBAINS

Ensemble d'opérations qui accompagnent la production, qui la préparent, le programment et qui assurent sa compétitivité et sa distribution dans le public: recherche et développement, bureaux d'études et de conseils, au sein des grandes sociétés, ou au bénéfice des petites et moyennes entreprises, agences de publicité, services après-vente, direction du suivi de la clientèle, organisme de vente par correspondance. (Guy Burgel, 1993, 64)

3.12.- CROISSANCE URBAINE

Forte concentration d'hommes et de leurs activités sur des territoires restreints entrainant ainsi sur des territoires de l'espace l'étalement et la dispersion périphérique de la ville.

3.13.- CHAUFFEUR DE TAP-TAP

Toute personne qui pour gagner sa vie se retrouve derrière le volant d'un véhicule dont les plaques d'immatriculation porte la mention taxi.

3.14.- USAGER DE TAP-TAP

Toute personne qui, pour se rendre sur son lieu d'activité choisit d'utiliser, plutôt, le service payé d'un véhicule dont les plaques d'immatriculation porte la mention taxi.

3.15.- CAPACITE D'ACCUEIL

Quantité suffisante et réglementaire d'usagers qu'un moyen de transport collectif, conçu à cette fin, doit transporter suivant l'avis du concepteur.

3.16.- CONFORT

L'aisance avec laquelle l'usager doit circuler et s'asseoir à l'intérieur du moyen de transport collectif sans risque d'être embarrassé dans ses mouvements.

TROISIEME PARTIE : CADRES EPISTEMOLOGIQUE ET ETHNOGRAPHIQUE

CHAPITRE IV.- PORT-AU-PRINCE : UNE VILLE EN PORTE A FAUX

Dans un souci de présenter la réalité à laquelle sont confrontées les théories évoquées en matière d'urbanisation et de transport collectif urbain, nous avons élaboré ce chapitre dont l'objet consiste à partir à la rencontre de Port-au-Prince à travers le temps, tout en considérant le mode d'organisation économique, politique et démographique de son espace comparé à celui d'autres espaces du tiers-monde qualifiés de villes. Cependant, pour une claire compréhension de l'exposé, nous partons des généralités sur la ville.

4.1.- LA VILLE: SON HISTOIRE ET SES FONCTIONS

4.1.1.- GENERALITES

Les temps historiques ont vu l'émergence de la ville dont la fonction première consistait à rassembler un collectif d'hommes sur un même espace. C'est d'ailleurs ce qui pousse plusieurs spécialistes en matière urbaine à considérer la sédentarisation comme déjà une tendance à l'édification de la ville. « Pour la Bible et les historiens des premiers siècles, c'est à Babylone, en Mésopotanie, que l'on attribua le statut de première ville (...). Elle prend forme au début du IIème millénaire avant J.C.» (Y.H. Bonello, 1996, 7)

A chaque période des temps historiques la ville présente ses caractéristiques propres et remplit des fonctions spécifiques en dehors de son rôle de rassembleur qui sous-tend une gestion et une vision d'ensemble de la chose collective appelée à être bénéfique à tous. « La ville capitaliste est donc, avant d'être le lieu de résidence de la classe dominante et le siège des pouvoirs politique et religieuse (Antiquité) ou un lieu de protection et d'échange (Moyen âge), le lieu du développement de la production capitaliste». Cet aspect d'une grande importance pour les villes de l'époque contemporaine (la production capitaliste) apporte selon certains spécialistes de profondes modifications à la vie citadine au point qu'elle soit dépouillée, en partie de ses éléments les plus fondamentaux.

Selon J.P. Lacaze « Les villes d'aujourd'hui... semblent perdre peu à peu ce qui faisait leur force et leur originalité: la capacité à rassembler les hommes autour d'idéaux communs, à produire de la convivialité, de la sociabilité, de la tolérance, à permettre la coexistence tranquille de destins individuels contrastés, à protéger, à faire rêver et à stimuler l'innovation» ( J.P. Lacaze, 1995, 6 )

L'espace de la ville, en ce sens, charrie à sa base tout un projet de civilité qui rend possible et agréable la cohabitation d'une communauté d'hommes ayant des aspirations différentes mais qui, dans le champ des actions respectives, sont réciproques, complémentaires, interactives et concourent toutes au bon fonctionnement. De ce fait, l'individualisme devrait se noyer dans le collectif jusqu'à emprunter sa marque. « La grande ville joue globalement le rôle d'initiateur et d'accélérateur des dynamismes collectifs « (G. Burgel, 1993, 73).

Agir sur le comportement humain, est effectivement l'une des tâches dévolues à la ville qui doit sa naissance non seulement à la sédentarisation mais surtout à la familiarisation ou à la domestication (la maîtrise) de certains éléments de la nature. Deux faits majeurs qui font appel simultanément au processus d'adaptation et d'éducation et qui traduisent le passage de la nature à la culture.

En fondant la ville l'homme s'est doté à la fois d'un espace pouvant lui permettre de prendre sa distance par rapport à la nature et aussi d'un espace d'expérimentation des progrès et découvertes de la technologie et de la science. L'espace de la ville a été le plus propice à la révolution industrielle: outil de transformation massive de la matière première.

L'ensemble des biens, produits au moyen de l'industrie sont quantitativement et qualitativement, loin d'être comparables à la production découlant, jadis, des méthodes empiriques. Le surplus de la production engendré par l'industrie a pu, en conséquence, susciter un mode de gestion impliquant un nombre incalculable de services. « La ville contemporaine est fille des révolutions industrielles et tertiaires» écrit G. Burgel. Les fonctions de services et la méritocratie sont pour l'auteur les clefs de compréhension de la ville contemporaine.

J.P. LACAZE ingénieur et professeur d'urbanisme, et G.BURGEL professeur de géographie urbaine sont d'accord pour affirmer que la réalité des villes ne peut être cernée en dehors de leur histoire.

« Une ville n'est autre chose que la collection des objets physiques qui la composent, c'est-à-dire le produit de sa propre histoire matérialisé en formes architecturales.

« (...) Chacun d'entre nous vit cette ville au rythme de la quotidienneté la plus immédiate, celui du temps qu'il fait, des touts petits événements de la vie familiale et professionnelle, sans souci du temps des historiens et des économistes.

« La ville ne peut donc se penser sans faire référence à l'articulation constante de ces rythmes temporels différents. Et son avenir ne peut être organisé efficacement que si l'action d'urbanisme sait composer avec ces rythmes par des méthodes adéquates, bien en phase avec les évolutions économiques, sociales et culturelles profondes qui déterminent son destin ».22(*)

La ville comme telle n'a rien d'imprévisible dans son édification. Elle prend forme à partir des réalisations concrètes et manifestes résultant de l'action de l'homme qui chaque jour pour son confort et sa convenance entre en lutte et avec lui-même et avec la nature. Cette transformation de soi par rapport à son environnement et vice-versa, va jusqu'à transcender le temps et stigmatiser l'espace physique. En effet, celui-ci à chaque période d'innovation voit son statut se renouveler.

Déjà au paléolithique l'homme a eu un type de questionnement vis-à-vis de l'espace. Et en réponse il a trouvé le nomadisme, les grottes, le feu, la cueillette. Au néolithique, la réponse est claire: la sédentarisation et la familiarisation; l'agriculture est créée, le monde rural est né. «  Pourtant, après des siècles de civilisation rurale, la ville est devenue cet espace d'innovation et de culture qui porte un nom de rêve: l'urbanité. »23(*)

Bref ! Qu'est-ce qu'une ville? Notre intention ici n'est pas de la définir mais de présenter une définition qui semble bien en accord à notre vision et qui recèle à la fois une approche prospective et planificatrice; un schéma théorique. La ville « c'est un lieu de résidence où siège l'autorité chargée d'arbitrer entre les pouvoirs des corps sociaux.

On accède au statut urbain lorsqu'il existe sur un territoire, des groupes exerçant des activités distinctes, les services n'étant plus assurés par les agriculteurs, mais par des personnes entretenues grâce au surplus de la production. »24(*)

Cela sous-entend, que la ville en soi est un espace qui, en principe, marque la rupture avec l'économie de subsistance et, en même temps, promeut l'abondance sous toutes les formes: activités, services, production. Mais, il ne faut pas croire que ce trait caractériel (l'abondance) soit inhérent, au même degré, à toutes les villes. En d'autres mots, si dans des sociétés ces « paramètres de l'abondance » sont agencés de sorte que la ville soit conviviale, dans d'autres ils sont en parfaite désarticulation et réduisent la ville en un lieu de grandes frustrations (chômage, délinquance, insalubrité, incommodité...). « Les villes sont à la fois, le produit et le reflet des sociétés qui les font naître ».25(*)

4.2.- HISTORIQUE DE LA VILLE DE PORT-AU-PRINCE

4.2.1.- FONDATION ET CONTEXTE

Port-au-Prince est créé le 13 juin 1749 sur les hauteurs du Belair connues alors sous le nom de habitation Randot. Dans ce contexte, sa fondation remonte à l'époque coloniale et résulte d'un choix politico-économique de la métropole française qui était en guerre contre l'Angleterre. Cette nouvelle ville, bien que côtière, annexée à la plaine du Cul-de-sac région coloniale prospère, contrairement aux autres villes côtières comme Miragoane et Petit-Goâve, est très stratégique, car elle permet un meilleur contrôle de la partie centrale de la colonie. Cela lui a valu d'être le port approprié où des navires marchands et la flotte du roi venaient prendre refuge.

« Dès lors, marchands, commerçants et planteurs de la plaine, se voient allouer des espaces constructibles dans l'enceinte de cette ville, construite par les esclaves noirs pour les rares affranchis et pour les nombreux colons blancs de la région. Peu de temps après, la capitale de la colonie française de St Domingue est transférée de Léogane à Port-au-Prince, sur ordre du roi Louis XV. (...) Elle ne tarde pas à prendre rapidement de l'essor pour s'imposer comme pôle économique et centre administratif régional incontesté face aux villes de Léogane, Miragoane et Petit-Goâve. »26(*)

Les tremblements de terre de 1751, 1766, 1776 et les guerres de l'indépendance ont modifié à maintes reprises le visage de la ville de Port-au-Prince sans toutefois détruire sa structure spatiale initiale qui la caractérise encore aujourd'hui. Ces guerres qui ont culminé à l'extermination des colons et à la liberté des esclaves n'ont pas résolu les préjugés de castes antérieurs à l'indépendance. Les mulâtres - catégorie socio-historique qui depuis la période coloniale, revendiquèrent légalité sociale, politique et économique avec les colons, contrairement à la masse des esclaves noirs et leurs leaders qui réclamèrent, tout court, la liberté, se sont emparés du pouvoir économique et laissèrent le pouvoir politique à l'élite noire. Port-au-Prince dotée de nouvelles classes dirigeantes, garda la structure coloniale du mode de fonctionnement des villes caractérisé par des instances politiques et militaires spécifiques à chaque région et par les structures économiques indépendantes.

4.2.2.- VERS LA SUPRÉMATIE

Tant en matière administrative, économique que politique Port-au-Prince n'a pas toujours eu le monopole du pouvoir. Elle n'a pas été de tout temps le centre. Cela n'a pas empêché, cependant, à sa population d'augmenter au fil des ans. Entre 1749 et 1790, la population de la ville de Port-au-Prince est estimée à 680027(*) habitants. « En 1830, soit près d'un siècle après sa création, Port-au-Prince compte environ 25000 habitants (...). A la fin du 19ème siècle, près de 70000 individus résident dans cette ville qui ne cesse de s'étendre ».28(*)

Port-au-Prince devait attendre l'occupation américaine de 1915 à 1934 pour changer de statut en matières infrastructurelle, économique et politique. Durant cette période, elle est embellie avec l'asphaltage de plusieurs de ses rues, l'aménagement de places publiques, de bâtiments administratifs, scolaires, d'hôpitaux etc.

« Pour accroître son contrôle stratégique du pays, l'occupant crée et développe la centralité économique et la suprématie administrative de Port-au-Prince. Désormais, la capitale est reliée à tous les grands centres urbains de province. Ce réseau principal est par la suite complété par un réseau secondaire devant favoriser l'acheminement des denrées agricoles depuis les campagnes, où les américains y développent de grandes plantations de monocultures pour l'exportation. On voit dès lors, s'amorcer les premiers grands flux migratoires des provinces vers la capitale. »29(*)

4.2.3.-MIGRATION, STRUCTURE, DENSITÉ ET TOPOGRAPHIE SOCIALE

Selon une analyse de H. Deronceray l'afflux de la population de la province vers la capitale s'est brusquement renforcé à partir de 1920 - 1930. Sept ans plus tard soit 1937, les premières lois d'urbanismes sont conçues en réponse à cette affluence embryonnaire. Mais, c'est surtout vers les années 50 qu'on peut vraiment, démographiquement, affirmer la suprématie de Port-au-Prince sur les autres villes d'Haïti. Malheureusement cette suprématie se réalise dans un total déséquilibre où les structures en place ne répondent à aucune norme urbanistique. En 1987, le géographe H. Godart écrit: « de 1950 à aujourd'hui, rien n'a été fait pour que cette ville millionnaire puisse croître de façon harmonieuse; les infrastructures ne peuvent répondre qu'aux besoins d'une population de 100.000 habitants ».30(*)

Plus près de nous, abondant dans le même sens D. Bazabas écrit: « A la fin des années 50, la capitale dont la population est estimée à 180.000 habitants, est déjà structurée suivant le canevas spatial qui prévaut encore aujourd'hui ».31(*)

Les données en ce sens ne sont pas contradictoires ; et concourent, plutôt, à faire comprendre la réalité de l'actuel Port-au-Prince qui en 1999 compte 1 693 993 habitants selon l'IHSI.

De 3.15 kilomètres carrés entre 1749-1790 elle est passée à 43 km2 en 1970 pour atteindre 60 km2 en 1982 et pour grignoter actuellement dans le désordre 80 kilomètres carrés. Ainsi, Port-au-Prince s'étend physiquement, pendant que sa densité au sol augmente. De 2.158 habitant au kilomètre carré elle est passée à 11.627/km2, pour atteindre 13.333h/km2, et pour grignoter 22.000 habitants / km2.32(*)

« La croissance urbaine sans précédent qui a affecté la capitale depuis 1970 implique des modifications profondes dans l'organisation de l'espace résidentiel de Port-au-Prince. (...) Mais l'extension spatiale n'a pas été proportionnelle au croît démographique, .... L'espace urbain s'est donc densifié; les vides entre les quartiers ont été progressivement comblés ou sont en voie de l'être, et les interstices entre les maisons ont été construits.

« Dans les années 50, les catégories sociales aisées habitaient les gingerbread de Pacot, Turgeau, Bois Verna...(100m d'altitude environ). Peu à peu, ces strates de la population ont migré vers Pétion Ville (Bourdon, Musseau, Morne-Hercule... quartiers dont l'altitude est comprise entre 150 m et 300 m), puis au-delà de Pétion-Ville (tête-de-l'eau), Montagne-noire, Boutiliers, La Boule, Fermathe, secteurs situés entre 600m et 1.300m).

« Les zones occupées par les catégories sociales aisées s'accroissent exclusivement par extension spatiale. En effet, les terrains et les villas sont vastes et ces quartiers, dont la densité est faible, peuvent être considérés comme saturés.

« Les secteurs de Delmas, de la plaine du Cul-de-sac et des hauteurs du Morne l'hôpital comprises entre Martissant et Carrefour sont les zones de croissance et de densification privilégiées des catégories sociales moyennes. Ces quartiers, aux rues tracées mais souvent non revêtues, ressemblent à de vastes chantiers où de nombreuses maisons sont inachevées ou en construction.

« Les quartiers d'habitat populaire progressent sur les mornes et cette progression s'accompagne d'une densification des secteurs déjà urbanisés.

« Quant aux quartiers d'extrême pauvreté, ils sont essentiellement localisés dans le centre taudifié et à ses abords, au Nord-Ouest et au Sud de l'agglomération.

« La zone Nord-Ouest, l'une des plus malsaines de Port-au-Prince en raison des problèmes de drainage qui l'affectent, attire un nombre croissant de migrants. 1966/1967 marque le début de l'extension spatiale sans précédent de cette zone. L'incendie de la Saline entraîne l'exode de la population touchée par cette catastrophe et donne naissance au quartier de Brooklyn. Le flux migratoire s'intensifie, les quartiers déjà existants se densifient et de nouveaux quartiers naissent: Boston vers 1972, le warf en 1978"33(*), "Cité letènel" 1988, Jalousie 1991...

Ces différentes catégories de couches sociales habitant dans des zones différentes de Port-au-Prince permettent de se faire une idée des disparités existant dans cette ville. L'oeuvre de H. Godart publiée en 1987 n'a pas pu signaler le nouveau phénomène de non-ségrégation en matière d'habitat à Port-au-Prince.

En effet, « dans les zones urbanisées de proche et moyenne périphérie, nous observons un phénomène intéressant de non ségrégation spatiale faisant cohabiter l'habitat très précaire et l'habitat résidentiel haut de gamme. Nous sommes là, confrontés à deux formes d'aménagements spontanés et/ou non réglementées qui se partagent les mêmes espaces et qui produisent les mêmes effets. Les interstices abandonnés et laissés inoccupés entre les propriétés des classes aisées, sont remplis par des constructions érigées par les classes sociales les plus défavorisées. Ainsi, dans cette agglomération, il n'est pas rare d'observer dans certaines zones d'urbanisation récente, de somptueuses villas côtoyer des poches d'habitat précaire et très précaire ».34(*)

Une situation hors d'aplomb, c'est-à-dire ne respectant aucune norme d'équilibre sociodémographique et présentant de larges écarts entre les éléments structurants. Cette situation traduit aussi bien l'incommodité et la promiscuité humaine dans cette ville où les résidents des zones défavorisées occupent de minuscules espaces allant de 4 à 6 mètres carrés; espaces dans lesquels on retrouve souvent plus d'une dizaine de personnes, pour chaque 4 à 6 mètres carrés, à y évoluer. La nuit ils dorment « à la manière militaire », par relève, sur et sous des lits. Ils s'adonnent pour la plupart à la domesticité, aux travaux des factories, et artisanaux, aux petits commerces. Ils mangent deux ou trois jours sur sept et ceci dans des conditions non hygiéniques et pas tout à fait nutritives. C'est ce que dans le langage haïtien on appelle « manger au chien janbé », c'est-à-dire le lieu où l'on prépare à manger qui est accessible à tous, même le chien n'y est pas exempt au point qu'il peut lui arriver de traverser la nourriture préparée. Leurs vêtements ne leur coûtent pas trop cher en raison des « pèpè » (vêtements usagés venus des USA).

Cette déréglementation urbanistique infecte Port-au-Prince de certains maux sociaux difficiles à traiter comme: la délinquance, la prostitution, le chômage, l'insécurité, le vol sous toutes ses formes et particulièrement sous sa forme la plus violente: le « phénomène zenglendo ». Cela plonge la ville dans une instabilité constante qui la rend non conviviale, mais, qui pourtant ne l'empêche pas de continuer à attirer un flux de migrants. Ruraux pour la plupart, ces migrants sont délogés par la misère qui sévit dans le monde rural du fait que l'agriculture pratiquée ne reste qu'au stade rudimentaire et ne produit même pas pour la survie. Ils sont venus à Port-au-Prince, grossir le lot des désespérés qui n'ont aucune instruction, aucune profession et qui sont obligés malgré tout de manger, de dormir, de se vêtir, de se déplacer. Ils n'entendent plus retourner vivre la misère du monde rural. Et en réponse à leur misère dans la ville de Port-au-Prince ils s'inscrivent dans l'informel. Le kidnapping en devient une des branches. Du phénomène arounsa, Port-au-Prince est passée au zenglendo pour arriver au kidnapping. Trois phénomènes dont l'un des acteurs principal a toujours été les forces armées. Et cela se comprend, car « En Haïti, où il s'agit plutôt de villes préindustrielles et d'agriculture manuelle, le mouvement de la population des campagnes vers les villes ne répond guère à une attraction économique réelle. Cette désarticulation est typique d'une situation de sous développement: l'exode rural n'est pas articulé aux besoins de main d'oeuvre urbaine.- l'Explosion urbaine se produit sous l'aiguillon de la misère des campagnes, de la décomposition des structures agraires, au fur et à mesure que l'érosion emporte à la mer la terre cultivable ».35(*)

Ils développent, pour ainsi dire, une culture d'enracinement et c'est justement la volonté de rester à Port-au-Prince qui les pousse à construire des taudis et à habiter dans des bidonvilles sur de minuscules espaces. C. Souffrant dans une analyse de l'urbanisation de Port-au-Prince montre qu'on ne peut pas cerner ce processus dans cette ville sans passer par le bidonville qui est une cité de transition culturelle et surtout qui facilite la cohabitation de deux types de pauvretés et où toute une dialectique des aspirations et des frustrations se combinent et se dégagent. Certes, le rural en migrant à Port-au-Prince nourrit l'espoir d'une vie meilleure pourtant sur place, face à un semblant de modernité (voitures de luxe, rue asphaltée, électricité, télévision, téléphone maisons en béton armé...) il ressent encore plus fort la distance qui le sépare de l'urbain (du port-au-princien). Dès lors il se rend à l'évidence qu'il vivait dans un monde de rêves, d'illusions mais qu'en dépit de tout, sa réussite n'est égale qu'à sa résignation.

4.3.- URBANISATION DE PORT-AU-PRINCE

La capitale d'Haïti, en effet, n'est pas épargnée par le phénomène de l'urbanisation. Elle est partie prenante du monde sous-développé qui actuellement compte 57.8% de la population urbaine du monde. A l'instar des autres villes, du monde sous-développé, elle accueille annuellement, un taux de migrants ruraux qui grossit l'effectif de sa population. «Depuis plusieurs années déjà, une tendance très nette se dégage dans la distribution spatiale de la population urbaine du pays : les principales villes de province perdent graduellement de leur importance au profit de Port-au-Prince, la capitale et ses satellites (Carrefour, Delmas, et Pétion-ville). La population de la ville de Port-au-Prince a connu une augmentation relative de plus de 50% entre 1980 et 1990...» 36(*)

La superficie de Port-au-Prince s'étend d'année en année. De nouveaux espaces sont aménagés dans ses périphéries; mais elle laisse l'impression d'une ville dont l'agrandissement, en termes de tracée, renvoie à un « désordre géométrique » en raison des constructions anarchiques érigées çà et là et dépourvues des normes les plus élémentaires d'urbanisme, de sanitation et de confort.

Une telle présentation du schéma urbanistique ou architectural de Port-au-Prince permet de se faire une idée de la circulation ambiante à l'intérieur de cette ville qui représente le centre des activités socio-économiques d'Haïti. Pour les habitants des villes de province, Port-au-Prince est un palier entre deux niveaux sociaux, d'altitudes différentes, par où il faut absolument passer pour accéder à une condition d'existence plus proche de la modernité. Un coup d'oeil sur le tableau # 1 (P.74) fixera les idées quant à l'importance de Port-au-Prince en matière démographique:

Tableau # 1

Répartition (en %) de la population des principales villes du pays

1980 - 2005

Villes

ANNÉES

1980

1985

1990

1995

2000

2005

Aire Métropolitaine

Port-au-Prince

Carrefour

Delmas

Cap-Haïtien

Gonaïves

Pétion-Ville

Cayes

Saint-Marc

Jérémie

Port-de-Paix

Jacmel

Fort-Liberté

Hinche

76.36

47.76

13.75

11.05

6.80

3.65

3.80

3.18

2.78

2.13

1.72

1.49

1.01

0.88

77.96

48.00

14.45

11.75

6.38

3.53

3.76

2.96

2.71

1.87

1.61

1.29

0.85

0.85

79.32

47.96

15.07

12.44

6.01

3.43

3.84

2.77

2.64

1.65

1.52

1.12

0.72

0.83

80.51

47.79

15.68

13.10

5.68

3.33

3.93

2.60

2.58

1.46

1.44

0.97

0.61

0.81

81.55

47.50

16.26

13.78

5.40

3.25

4.01

2.45

2.52

1.30

1.37

0.85

0.52

0.79

82.40

47.12

16.82

14.43

5.15

3.17

4.09

2.32

2.46

1.16

1.31

0.74

0.85

0.78

ENSEMBLE

100.00

100.00

100.00

100.00

100.00

100.00

*L'Aire Métropolitaine comprend: Port-au-Prince, Delmas (y compris Croix des Missions) Carrefour et Pétion-Ville. (Source : IHSI)

Cela témoigne en partie de l'absence d'infrastructures routières appropriées dont souffrent l'ensemble de ces villes. Leur urbanisation se réalise sous le signe du délabrement. Si à Port-au-Prince l'urbanisation, selon Claude Souffrant, est en porte à faux, celle des villes de province ne s'accroche qu'à un traditionalisme rudimentaire qui handicape leur évolution socio-économique. Du nécessaire au luxe en passant par les institutions éducatives (écoles, université etc.) tout se concentre à Port-au-Prince. En conséquence, il devient indispensable à tout un chacun, digne du nom d'haïtien, d'y faire un tour et de tenter d'y rester. Cette tentation ne date pas de la dernière décennie et Port-au-Prince n'est pas, non plus, la seule ville du monde sous développé à hanter les ruraux et les résidents d'autres villes de province. «Entre 1950 et 1983, le nombre de citadins dans les pays de ce type s'est multiplié par 3.7 et leur part dans la population est passée de 17 à 30%.» (S. Brouk, 1986, 64). Évidemment ce pourcentage n'est pas proportionnellement réparti entre les villes des pays sous-développés. Le grand écart, socio-économique dont on a fait mention dans les lignes précédentes entre la capitale d'Haïti et les autres villes, est aussi vrai pour l'ensemble des capitales du monde sous-développé. « ... Dans certains pays tels que l'Egypte, (...), Madagascar, le Sénégal, l'Angola, la Guinée, etc. la capitale compte plus de 50% de la population urbaine ». (J. M. Hoener, 1995, 53). En effet, les 133 villes d'Haïti accusent des différences notoires en termes d'effectif de population. Si l'on prend en considération les neuf (9) principales villes du pays on se rendra à l'évidence de la grande disparité démographique existant entre Port-au-Prince et les huit (8) autres grandes villes départementales. Sur ce point Cap Haïtien la deuxième ville du pays, avec ses 98954 habitants, est de loin semblable à la seule commune de Port-au-Prince qui compte 846 247 habitants.

La population des autres villes comme les Gonaïves avec ses 59049 habitants, les Cayes 46075, Jérémie 25869, Port-de-Paix 25453, Jacmel 17202, Hinche 14317 et Fort-Liberté 8622 n'est pas comparable à celle de la ville de Port-au-Prince. Ces données provenant de l'Institut Haïtien des Statistiques, pour l'année 1994 permettent d'apprécier, à sa juste valeur, le jugement suivant: «la massification urbaine ne s'est produite, à un degré significatif que dans la seule ville de Port-au-Prince». (C. Souffrant, 1995, 41). Ici l'expression « massification urbaine », envoie une image monstrueuse, désastreuse et désarticulée de Port-au-Prince qui, dans ses périphéries, a assisté à l'émergence de plusieurs villes considérées comme des espaces circonscrits à son territoire tels : Delmas, Pétion-Ville, Carrefour, Gressier etc. Aussi parallèlement à ces villes, ou au coeur même de Port-au-Prince, sont montés des bidonvilles.

C'est en tenant compte de cette réalité qu'on estime la population de Port-au-Prince à plus d'un million d'habitants. Aussi, arrive t-on à confondre les villes périphériques de Port-au-Prince avec Port-au-Prince même. Il ne faut pas se tromper; les espaces urbains circonscrits au territoire port-au-princien ne diminuent pas le nombre d'habitants au sol. Au contraire, ils augmentent l'effectif des résidents pendant qu'ils réduisent la surface du sol habité. C'est sans nul doute ce qui porte plus d'un à parler de la bidonvilisation de Port-au-Prince comme pour faire allusion à son urbanisation. Une urbanisation qui prend corps dans une ville non industrialisée et où le transport, en dépit de tout, assure la liaison des lieux de résidence aux différents points d'activités socio-économiques: sous-traitance, services publics, marchés, magasins, écoles etc. Donc le tertiaire (les services), comme secteur économique comprenant les activités non productrices est prédominant à Port-au-Prince. Tout cela est pour insinuer que le transport collectif urbain à Port-au-Prince n'épouse pas nettement l'axe de la révolution industrielle qui a donné naissance à l'usine facteur de localisation d'une forte agglomération et indicateur, par excellence, du milieu urbain dans les pays occidentaux depuis la fin du 19ème siècle.

Port-au-Prince souffre du mal de sous-développement marqué par le caractère rudimentaire du système économique d'Haïti. Le transport, n'en est pas épargné. A ce niveau il parait difficile de parler d'interdépendance entre industrialisation, transport en commun et urbanisation. On ne peut, même, pas encore parler tout-à-fait de l'ère urbaine. Ce point de vue est partagé tant par des institutions que par des spécialistes compétents en la matière. «Haïti est un pays à prédominance rurale:76% de la population vivait en milieu rural en 1980 contre 70 % en 1990 et selon les prévisions 61% y seront encore en 2005».37(*)

Claude Souffrant nous dit, dans son livre : Sociologie prospective d'Haïti que «dans les pays urbanisés de l'occident, le paysannat est devenu minoritaire. Une certaine réduction des inégalités entre urbains et ruraux s'est opérée grâce à la production massive de l'énergie électrique, à l'extension des moyens de transport et d'information ». (C. Souffrant 1995, 43) S'il est vrai qu'on constate en Haïti une extension relative des moyens d'information; pour le reste on a beaucoup de chemin à parcourir. C'est ce qui confère à Haïti, jusqu'à aujourd'hui 1996, son haut degré de ruralité.

En conséquence, l'urbanisation en Haïti ne peut être analysée en dehors de sa ruralité qui traduit un mode vétuste d'organisation spatiale, sociale et économique.

En d'autres termes, ce mode d'organisation reste en marge des progrès techniques qui se réalisent au jour le jour et qui contribuent au développement planifié du social et de l'économie. Quand ces progrès ne sont pas implantés, à temps, dans un espace géographique donné le processus de transformation de l'espace en question se trouve paralysé au point qu'il lui devient difficile à emboiter le pas de la scientificité qui fixe des normes d'existence et de confort. Dans la société haïtienne, le retard d'applicabilité des normes scientifiques se situe à presque tous les échelons et entrave son bon fonctionnement.

Le rural en migrant vers Port-au-Prince ou vers les autres villes de province ne fait que changer de milieu mais garde la plupart de ses moeurs susceptibles, avec le temps, de connaitre des modifications pro-urbain ». Alors, franchir la frontière du monde rural pour atteindre le monde urbain, dans le cas d'Haïti constitue, pour le migrant qui, dans la majorité des cas, ne réunit pas les prérequis nécessaires pour s'adapter à la forme tant soit peu de modernité des villes, un exercice à la fois éreintant et atrophiant. «A l'heure de l'explosion urbaine du tiers monde, la société haïtienne se présente comme une société rurale en cours d'urbanisation (...) son retard économique va de pair avec le retard de l'urbanisation». (C. Souffrant, 1995, 47)

Dans la globalité du fait, l'urbanisation d'Haïti souffre du retard.

«A l'échelle nationale la proportion de la population urbaine est passée de 24% en 1980 à environ 30% en 1990.Elle s'est accrue de près de 6% au cours de la dernière décennie; selon les projections, le taux d'urbanisation atteindra 39% d'ici l'an 2005.Cet indicateur, comparé aux pays de l'Amérique Latine est très faible; la moyenne latino-américaine étant de 72% en 1990.» 38(*)

Cependant à Port-au-Prince, la capitale d'Haïti, l'urbanisation galope et ceci vertigineusement; car en 1990 déjà, selon l'Institut Haïtien de Statistique et d'Informatique (IHSI), l'aire métropolitaine dépassait le chiffre de un million (1 000 000) de résidents. Dans le contexte de l'interface ville-campagne, les difficultés que connait Port-au-Prince (circulation, transport-collectif, logement chômage etc.) constituent des indices d'une société organisée sous le signe de l'archaïsme.

CHAPITRE V.- URBANISATION ET TRANSPORT EN COMMUN

(LE CAS DE PORT-AU-PRINCE)

L'urbanisation et le transport en commun renvoient à une même réalité qui exprime des formes de mouvement, de la population humaine, dues à des contraintes d'ordres démographiques et socio-économiques. Cela signifie, qu'on ne saurait prendre en compte, seulement le mouvement naturel de population pour expliquer le concept urbanisation, lequel fait référence à un processus de transformation spatiale et sociale qui implique une forte migration d'hommes vers l'espace de la ville où les activités de production économique sont non-agricoles et ont une plus grande portée sociale. En ce sens, l'urbanisation oppose la ville à la campagne, l'industrie à l'agriculture, le mode de vie urbain au mode de vie rural. Elle prend corps, dans des espaces qui réunissent des conditions susceptibles d'attirer et de rassembler un nombre considérables d'hommes. A ces espaces «Statisticiens et Géographes proposent de multiples définitions et classifications : Villes, communautés urbaines, agglomérations, conurbations, métropoles, mégalopoles etc.

« Mais toutes ont en commun d'être des concentrations de population, vivant essentiellement d'activités économiques non agricoles». (F. Ascher et J. Giard, 1975, 13)

Le transport en commun est bien une de ces activités. Ainsi, l'urbanisation, à proprement parler renvoie à un système dont la structure implique une cohérence entre la ville, l'industrialisation et le transport en commun.

« Tout développement, de la ville aurait donc ruiné son caractère en l'absence des moyens de transport. Le développement des villes est la conséquence de l'essor industriel, les transports également. Les deux phénomènes sont interdépendants et il semble abusif de vouloir faire de l'un la cause de l'autre». (P. Merlin, 1967,76)

De l'avis de plus d'un, ces phénomènes sont simultanés et requièrent une vision d'ensemble pour une saine gestion et, de façon prospective, pour une meilleure planification de la chose sociale. A bien lire Pierre Merlin, on déduira que la révolution des transports a accompagné la révolution industrielle qui toutes deux ont assisté, au même moment, le début du grand mouvement d'urbanisation.

Mais l'industrialisation et l'urbanisation donnèrent au XIX siècle la première place aux transports en commun.39(*) Cela peut se comprendre, car la révolution industrielle a sonné le glas d'un mode de production qui allait mettre fin à l'ère paysanne, inaugurant ainsi l'ère urbaine. Dès lors, l'ère du microfundia, est révolue. Les grands domaines d'exploitations agricoles sont mécanisés. La production agricole n'eut plus besoin d'un grand nombre de bras pour mettre en valeur des terres cultivables. Alors la vapeur et la machine révolutionnèrent la production. «La grande industrie moderne, selon K. Marx, supplanta la manufacture; la moyenne bourgeoisie industrielle céda la place aux bourgeois modernes ». (K. Marx, 1872, 35). L'émergence de cette bourgeoisie - que Marx, dans le Manifeste du Parti Communiste, assimile au capitalisme - va creuser d'avantage le fossé entre la campagne et la ville. «La bourgeoisie a soumis la campagne à la ville. Elle a créé d'énormes cités; elle a prodigieusement augmenté la population des villes par rapport à celle des campagnes, et par là, elle a arraché une grande partie de la population à l'abrutissement de la vie des champs. (...)

« La bourgeoisie supprime de plus en plus l'émiettement (...) de la population. Elle a aggloméré la population ... » (idem) Cette agglomération eut été surtout effective, dans un premier temps, autour de l'usine située au coeur de la ville. «Espace spécifique, l'usine suppose que se développent des procédures diverses de contrôle du travail visant à assurer un accroissement de la production horaire». (J. Rémy, L. Voyé, 1981, 56) Cependant avec le temps et vu la misère croissante, en milieu rural, générée par le processus de la mécanisation des champs, la masse paysanne va se déplacer en direction de la ville pour se concentrer autour de l'usine. Alors, la concentration humaine va déborder les alentours de l'usine pour s'étendre à d'autres aires non trop loin de la ville, mais pas trop proche, non plus, de l'usine. Cela laissait déjà augurer que: «l'urbanisation accélérée est grosse consommatrice d'espace» (F. Asher, J. Giard, 1975,49)

En effet, sous le poids démographique des migrants, la ville a connu, non loin de ses périphéries, l'émergence de plusieurs banlieues, les unes les plus éloignées des autres. En conséquence, l'aire de la ville s'est agrandie avec pour corollaire l'allongement de la distance entre le lieu de résidence et l'usine. Le temps à parcourir pour atteindre l'usine devient, en ce sens, plus grand. Dès lors la régularité de présence au travail est mise en question. Il fallait trouver le mécanisme, adéquat et approprié, pouvant rétrécir l'éloignement entre l'espace industriel et l'espace résidentiel. « Cet éloignement spatial fut rendu possible par le développement de transports collectifs (...) allant du train reliant des villes entre-elles puis celles-ci aux villages s'égrenant le long de ces lignes, jusqu'au tramway urbain, en passant par les vicinaux desservant essentiellement les villages. Ainsi, l'urbanisation interfère-t-elle avec l'industrialisation dans la mesure où elle a été rendue possible par le développement des moyens de se déplacer, qui permettrait de vivre sa vie hors travail, dans des endroits distants des lieux de travail. L'usage de ces moyens de transport est venu à son tour contribuer à instaurer un calcul sur le temps et même à exalter le respect». (J. Rémy, L. Voyé, 1981,57)

L'urbanisation et le transport en commun deviennent, pour ainsi dire, des facteurs qui concourent à la production socio-économique dans la mesure où elles n'échappent pas totalement à la politique d'aménagement du territoire qui suppose le respect des normes d'urbanisme. «Les besoins en matière de transports, tant publics que privés, conditionnent toujours davantage les schémas de l'urbanisme (...) Planifier l'urbanisation indépendamment des transports urbains peut conduire à un étranglement de la circulation comme cela s'est produit à l'intérieur des villes grandes et moyennes avec l'apparition de l'automobile». (Robert Laffont, 1976, 27). En conséquence, si l'urbanisation est utilisée pour exprimer »la transformation plus ou moins rapide (...) d'une petite agglomération par suite d'une augmentation de la population... » (M.Grawitz, 1994,390), il n'en n'est pas moins vrai qu'elle recèle certains problèmes qui sont de nos jours de plus en plus manifeste à travers la crise du logement, celle du transport et surtout la crise de l'emploi. Des crises qui sont loin d'être résolues entièrement; car le rythme avec lequel la population mondiale urbaine augmente est si intense que déjà des études scientifiques s'accordent à reconnaitre que d'ici l'an 2000, elle représenterait 48.2% de la population mondiale. "L'augmentation drastique de la population mondiale est due à l'accroissement rapide de la population urbaine durant les trente (30) dernières années. La population urbaine mondiale s'est accrue de 735 millions en 1950 (29.4% de la population mondiale) à 2 billion en 1985 (39.9% de la population mondiale) et on prévoit qu'elle sera de 2.952 billion en l'an 2000 (48.2% de la population mondiale) ».40(*)

Une projection peu scandaleuse quand on considère le poids du tiers-monde dans la balance démographique mondiale. A lui seul, le tiers-monde compte plus de 50% de la population urbaine du monde. Faut-il, de ce fait, considérer la rapide accélération de son urbanisation comme relier à l'industrialisation? De manière générale, tenant compte du système économique mondial, on peut répondre par l'affirmative. Le tiers-monde constitue dans le domaine de l'industrialisation moderne le satellite des pays riches. Il regroupe des usines d'assemblage ou de sous-traitance qui fabriquent des produits d'importance grâce à une main-d'oeuvre bon marché au profit des capitalistes du monde occidental. Il est un monde assujetti à l'occident capitaliste qui lui fait don d'un « mode de technique » capable de le basculer davantage dans le sous-développement. C'est l'exclusivisme moderne, mais pire. Car l'aire du tiers-monde (avec ses entrepreneurs relais) est contrainte à ne produire que pour la survie. Toutefois, le peu de technique qu'exige l'usine de sous-traitance se concentre dans les villes du tiers-monde faisant ainsi d'elles des centres d'attraction pour l'ensemble des habitants du monde rural qui jusqu'ici végètent, à cause de la misère endémique provoquée par un système agricole archaïque. Ainsi, à l'exemple des grandes villes des pays occidentaux, les villes du tiers-monde attirent des migrants. Par contre, si dans les années 1950 la population des villes des pays occidentaux fut plus élevée que celle des villes du tiers-monde; aujourd'hui, la tendance est toute autre. En effet, «Au cours de l'année 1950, 60,0% de la population urbaine du monde vivaient dans les pays développés, à comparer au 39,4% qui vivaient dans les pays en voie de développement, la tendance s'est renversée au cours des années 1970. En 1985, 849.1 million de gens (42.2 % de la population mondiale) vivaient dans les pays développés, à comparer au 1.164 billion ou 57.8 % des pays en voie de développement. Un autre fait significatif est que plusieurs villes gigantesques sont situées dans les régions pauvres du monde sous-développés avec un produit national brut per capita très bas »41(*)

Cette galopante augmentation de la population urbaine, à l'échelle mondiale, n'est pas sans effet ni sur la circulation automobile à l'intérieur des villes ni sur le comportement des usagers qui assistent impuissamment à la montée de la densité de la population au kilomètre carré. De ce fait, le transport, particulièrement le transport collectif urbain fonctionne dans l'encombrement, en entrainant l'insatisfaction chez tous ceux dont les affaires obligent à respecter une certaine rigueur disciplinaire. Fuir l'embouteillage des zones de marché, des zones de transactions financières devient l'une des grandes préoccupations de ces gens là qui ne peuvent se plier aux exigences du système de transport collectif qui ne répond pas à leur attente. Dans ce contexte, l'urbanisation développe l'individualisme chez l'urbain en privilégiant le transport privé au transport collectif.

«La carence des transports en commun a donc contraint les travailleurs à utiliser les voitures individuelles même pour des migrations alternantes (régulières) et sur des axes fréquentés. (...)

«... en 1950 on comptait une voiture pour huit (8) habitants, en 1970 une pour quatre (4) et probablement dans les années 1980 une pour deux (2) ou trois (3).» (F. Ascher, J. Giard, 1975, 106)

Le taux croissant de l'automobile privé, en dépit de tout, n'a pu empêcher au transport collectif de jouer le rôle qui lui est dévolu. Quoi qu'en nombre inférieur, quand on le compare à l'effectif de l'automobile privé, le transport collectif assure la mobilité quotidienne à un pourcentage fort élevé de voyageurs. « Par exemple, en 1970, la ville de Mexico avec une population de 8.5 millions d'habitants a eu 650000 voitures privés et 100000 bus, mais ces bus transportent 6.8 millions de passagers par jour soit 55% du total, pendant que les automobiles privés transportent 2.9 millions de passagers soit 24% et 1 million de gens voyageaient en métro. »42(*)

Tout cela permet de se faire une idée de l'importance du transport en commun dans le développement des villes qui, depuis l'avènement de la machine à vapeur, changent de statut et constituent l'espace privilégié à l'installation des usines, facteurs d'agglomération par excellence des migrants. «C'est une nécessité pour les fonctions urbaines et il facilite l'accès au travail, aussi bien qu'aux lieux de divertissement et de loisirs. Quand les services fournis par le transport public sont interrompus, les affaires et les services sont paralysés.»43(*)

Aussi, le transport en commun, vient en aide à l'industrialisation, au développement social de la ville et à l'agrandissement de l'aire urbaine en contribuant à raccourcir l'éloignement qui oppose le lieu du travail au lieu de résidence. Par là on sous-entend que le transport en commun est en constante relation avec l'urbanisation dont les tentacules débordent le cadre continental pour devenir mondial. Néanmoins, cette dernière épouse les formes du système économique mondial; c'est ce qui explique sa différence, quant à son rythme, dans les pays développés par rapport aux pays sous-développés. D'une certaine manière, l'urbanisation n'est donc pas uniforme. `A chaque type de société correspond un type fondamental d'urbanisation, un mode d'occupation et d'organisation de l'espace, ne connaissant des variantes que selon les formations économiques et sociales particulières». (F. Asher et J. Giard, 1975, 17)

Évidemment le mode d'occupation et d'organisation de l'espace exige une planification. Puisque «L'accroissement de la population urbaine s'est accompagné de contraintes rigoureuses pour les résidents et les ouvriers et tous ceux-là qui sont concernés par le développement urbain tels que les planificateurs urbains, le gouvernement et les municipalités. »44(*), Ce qui veut dire que l'urbanisation en tant que phénomène résultant surtout des contraintes sociodémographiques doit être planifiée, ou du moins ordonnée; de sorte que la ville soit en mesure de répondre à des difficultés d'ordres socio-économiques. Ici, « l'idée de planification est l'idée d'ordonner la réalité selon le principe souhaitable. D'introduire cohérence entre la conduite d'une institution et le mouvement démographique, économique, technologique du milieu où elle est située. » (C. Souffrant1995, 33).

L'idée d'ensemble que sous-tend le concept urbanisation exige effectivement, la cohérence de tous les facteurs qui entrent en ligne de compte dans la constitution de la ville, et qui en même temps sont considérés comme des variables non négligeables, du fait de leur constant apport dans le développement, tant infrastructurel que superstructurel, de la ville. Tout cela est pour dire, que le transport en commun est un des facteurs de l'urbanisation, et aura longtemps encore, à traverser les routes les plus sinueuses pour contribuer à l'évolution de la ville du XXI siècle. «Il n'en reste pas moins vrai que les moyens de transport en commun et les autoroutes constitueront dans l'avenir à court et moyen terme des axes attractifs pour le développement de l'urbanisation. (P. Merlin, 1967, 90).

Cette hypothèse n'est pas à démontrer. Toutefois elle renforce l'idée prospective d'une meilleure organisation de l'espace urbain eu égard au transport en commun. Alors il est à se demander: Port-au-Prince est-elle soumise à une urbanisation qui soit en parfaite harmonie avec son système de transport en commun?

5.1.- L'ACTIVITE TAP-TAP DANS LE SYSTEME DE FONCTIONNEMENT DE PORT-AU-PRINCE

5.1.1.- TAP-TAP: TYPES ET DESCRIPTION

Le signifiant tap-tap renvoie à l'automobile qui transporte collectivement et rapidement des passagers à destination. Puisqu'en Haïti, selon la coutume, l'automobile ne répond pas toujours aux exigences du transport en commun, le propriétaire fait appel (certaines fois) au carrossier, au ferronnier, au peintre, au sculpteur, et à d'autres artisans. L'ensemble de ces artisans impriment à l'automobile des touches spéciales qui contribuent à sa valeur locale et qui la rend adaptable à la réalité haïtienne. Taxi, bwafouye, kanntè, yole, rachepwèl, batiman, kokorat, sont des expressions pour désigner en Haïti des types de transport en commun.

A- TAXI

Telle est la façon dont on désigne des voitures à quatre portes affectées au transport public au lieu d'être au service d'un particulier pour ses besoins personnels de mobilité. Ces voitures sont identifiables premièrement grâce à leur plaque d'immatriculation portant le label Taxi (label qu'on retrouve d'ailleurs sur les plaques d'immatriculation de tous les types de transport en commun) mais ensuite et surtout grâce à un ruban de couleur rouge suspendu au rétroviseur interne des voitures en question. Sans ce ruban ces voitures assurent une fonction tout à fait particulière et privée. Le taxi ne transporte régulièrement que six passagers lesquels se sont entendus avec le conducteur qui les achemine, respectivement, là où ils désirent. Selon l'expression américaine, et contrairement aux autres modes de transport en commun, le taxi fournit à ses usagers un service « door to door ». (Voir annexe III #7)

B- YOLE

« YOLE » est le nom donné aux jolis minibus de quinze (15) passagers venant de l'étranger, fin prêt, au début des années soixante dix (1970). Il fait référence à un hommage sentimental qu'un des premiers propriétaires a voulu rendre à la femme haïtienne. Toutefois cela n'a pas empêché à la population d'assimiler « yole » à une marque d'automobile au point que tous les minibus de ce type, faisant les différents circuits routier d'Haïti, soient désignés comme tel. (Voir Annexe III # 2 )

C- RACHEPWÈL

« RACHE PWÈL » est, le nom donné aux camionnettes (Pick-up) qui, dépourvues de carrosserie artisanale locale, transportent des passagers. Les conditions de transport traduisent bien ce nom. Car durant le trajet, des usagers debout sont bien obligés de s'aligner en se serrant l'un contre l'autre afin de défier le balancement venant soit d'un arrêt brusque du véhicule soit des « nids de poule » de la route. Un moment d'inattention, de n'importe quel passager, peut lui coûter des cheveux de la tête, car en culbutant pour retrouver son équilibre, le culbuté attrape n'importe quelle partie du corps d'un autre passager. La tête n'est pas non plus épargnée. Aussi, dépourvu de carrosserie, le véhicule circulant même à la vitesse minimale, expose ses usagers à la force vive du vent qui va en augmentant selon les caprices du chauffeur liés à l'état de la chaussée. Proportionnelle à la vitesse du véhicule, la force du vent dérange les cheveux des passagers qui arrivent chez eux avec l'impression d'avoir des cheveux arrachés. Vulgairement et pour faciliter la communication entre passagers l'expression « rachepwèl » s'intègre dans le vocabulaire du transport en commun haïtien. Dans ce sens l'imagination collective est prolifique. Elle réduit le réel à sa dimension la plus explicite et ne cesse d'inventer des noms qui, selon toute vraisemblance, traduit la réalité observée et vécue. (Voir Annexe III # 3)

D- BATIMAN (Kazèn, Manman zanfan yo, Gwobisjòn)

Telle est la nouvelle façon de désigner les autobus (long de 33 pieds, large de 7 pieds 9 pouces et haut de 9 pieds 4 pouces) venus des Etats-Unis d'Amérique et conçus pour transporter des écoliers. D'où l'écriteau « School Bus » observé du haut de leur carrosserie. Ces autobus sont retrouvés sur presque tous les circuits de Port-au-Prince et sur leur passage, ils ramassent un nombre considérable d'usagers; contrairement aux yole et bwafouye qui ne peuvent transporter que 25 à 30 passagers maximum et dans des conditions assez embarrassantes. Ils viennent ainsi au secours de beaucoup d'usagers qui ne voyaient comment arriver à destination après avoir passé des heures de temps à attendre un moyen de transport quelconque. D'où l'appellation sentimentale de « Manman Zanfan Yo » attribuée à ce moyen de transport par certains usagers. En se référant à la couleur jaune de la majorité de ces minibus, les usagers les désignent sous le nom de « kazèn » (Casernes: Édifice de couleur jaune logeant autrefois les militaires haïtiens).

Destinés à transporter confortablement 44 passagers, ces longs autobus à Port-au-Prince transportent plus de quatre vingt passagers. La réalité l'oblige et impose ses règles à tous ceux voulant se rendre à leurs activités. Entassés comme des sardines, à l'intérieur de ce long fourgon, les passagers des « tap-tap batiman » vivent à peu près l'ambiance des voyageurs maritimes qui font la traversée Port-au-Prince - Jérémie. En effet si on se rend sur le wharf de cabotage de Port-au-Prince du côté de La saline, on peut constater que les bateaux en partance pour Jérémie ont la capacité d'accueillir un grand nombre de voyageurs. Ils peuvent transporter des centaines, voire des milliers de passagers. Pour les usagers des tap-tap, le surchargement de ces longs autobus les rend comparables à un navire. Ainsi les qualifient-ils de « Batiman ». Ce sont de justes considérations, car à comparer la capacité d'un camion à celui d'un navire construit tous deux pour le transport en commun les données seraient différentes. «Le camion est un moyen de transport à capacité relativement faible (...) qui fait circuler quelques dizaines de passagers.

« Le bateau, de son côté, ne souffre pas de limitations de poids qu'imposent les routes et les ponts. Il peut transporter des milliers de passagers ... sur des centaines de kilomètres ».45(*)

Les usagers des tap-tap n'ont donc pas tout à fait tort en comparant ce moyen de transport à un batiment. Ainsi sur les circuits du réseau routier, les usagers sont presqu'unanimes à lui attribuer ces différentes dénominations. (Voir Annexe III # 8)

E- KOKORAT

Une autre expression, traduisant un nouveau mode de transport en commun commence à s'imposer dans le langage populaire. Il s'agit de : « kokorat ». En Haïti parler de « kokorat » revient à évoquer l'existence d'un invertébré, de la grosseur d'une graine d'haricot, vivant, sous des détritus qui avoisinent l'humidité. Le nom évoque, entre autre, une multitude d'invertébrés de même espèce qui s'adonnent à une activité commune.

La Mission « Up Hold Democracy » du 19 septembre 1994 menée par l'ONU, pour réinstaller le président Aristide46(*) dans ses fonctions perdues le 30 septembre 1991 à la suite d'un Putch militaire commandé par Raoul Cédras le commandant Général A.I des Forces Armées d'Haïti d'alors - a permis à l'expression « kokorat » de connaître une sorte de mutation. Dès lors, elle traduit le mode d'existence animal comparé à une existence humaine. En effet, à Port-au-Prince, la misère endémique a poussé des marginaux des quartiers de La saline et de Cité Soleil à une quête de nourriture dans les poubelles des GI'S. Et partant, tous les abandonnés, à un niveau quelconque de la vie sociale, qui partagent une situation de misère s'apparentent aux « kokorat ».

Ainsi, considère-t-on des usagers d'un moyen de transport assujettis à la rigueur de la chaleur qui règne à l'intérieur d'une carrosserie conçue préalablement pour transporter des objets / marchandises et construite à l'aide de « Faber Glas » ou de « Plywood» enveloppé d'une tôle de 3/16 de dimension. En ce sens, la carrosserie du véhicule en question ne répond pas aux conditions normales de transport des hommes. Pourtant, en Haïti, particulièrement à Port-au-Prince, on l'a rendue adaptable à cette fin; en créant arbitrairement des ouvertures dans les façades latérales, sortes de fenêtres facilitant l'aération, et en laissant constamment ouverte l'issue arrière destinée, à l'origine , à rester fermée durant le transport des objets.

Malgré ces étranges modifications cette carrosserie reste inconfortable au point que durant tout le temps du trajet les usagers transpirent à grosses gouttes. Des chemises et corsages humides de transpiration entrainent des remous individuels qui rendent non seulement bruyante l'atmosphère du trajet mais aussi déconcertent le passager qui arrive à destination mal en point. D'où le nom de kokorat attribué à ce moyen de transport. D'aucuns disent que ce dernier doit surtout son nom à l'issue arrière, l'unique voie de pénétration et de sortie des passagers. Cette interprétation fait référence uniquement à l'appareil génital féminin. Evidemment, le préfixe « koko » dans kokorat traduit, vernaculairement parlant, dans la majorité des cas, le sexe de la femme. Néanmoins on peut se fier aux deux interprétations puisque, sur le terrain, les usagers s'accordent à les accepter. Elles sont complémentaires. Comme vous pouvez le déceler, vous même, « kokorat » est à la fois synonyme d'un mode d'existence et d'un moyen de transport. (Voir Annexe III # 6)

Alors, « Taxi », « bwafouye », « yole », « rachepwèl », « batiman » et « kokorat » constituent la terminologie de base du transport en commun haïtien, spécialement des port-au-princiens qui quotidiennement utilisent le service des différents types de tap-tap. A remarquer que le mode de carrosserie est déterminant dans la nomenclature du transport en commun.

5.1.2.- PORT-AU-PRINCE ET SES TAP-TAP

«Dans les pays en développement, là où une large part de l'accroissement urbain est due à la migration des populations rurales vers les villes côtières et vers la capitale qui concentrent un fort pourcentage des activités économiques, les difficultés sont innombrables du fait que les endroits où vivent les migrants n'ont pas été antérieurement aménagés pour les recevoir et de plus les espaces réservés à l'infrastructure du transport ne sont pas adéquats. Dans ces villes les distances entre les zones résidentielles et zones de travail ont augmenté, ce qui implique un accroissement de la demande de mobilité intra et interurbaine" 47(*)

Tableau #2

Parc de véhicules circulant dans l'Aire Métropolitaine

Communes

Privé

Taxis

Transport

Autre

Total

Port-au-Prince

Pétion-Ville

Croix-des-Bouquets

Carrefour

26,787

5,910

2,326

1,431

7,404

446

760

347

3,056

409

227

92

2,761

5

-

2

40,008

6,770

3,313

1,872

Aire Métropolitaine

36,454

8,957

3,784

2,776

51,963

Total Haïti

40,864

12,092

4,476

2,276

60,208

*Autres: CC, OI, CD, SE, Police, Officiels

Source: Service de la circulation et du contrôle des véhicules (Août 1996)

Tableau # 3

Répartition des transactions d'émissions et de renouvellement pour polices privées, publiques, et de transport par Agences de province

Exercice 1995 - 1996

AGENCES

Polices privées

Polices publiques

Transport

Total

%

Nbre émis

Nbre. Renouvelé

Nbre émis

Nbre renouvlé

Nbre émis

Nbre renouvelé

Miragoâne

Petit-Goâve

Saint-Marc

Gonaïves

Cap-Haïtien

Fort-Liberté

Port-de-Paix

Jacmel

Cayes

Hinche

Jérémie

2919

1724

1177

1052

286

187

149

14

10

5

-

224

198

352

474

884

34

113

207

408

83

138

1370

414

1118

664

245

213

187

22

7

3

-

171

103

452

385

741

84

124

124

286

72

14

215

735

1244

235

297

89

68

-

12

14

-

149

106

497

272

610

71

97

33

390

64

57

5041

3280

4840

3082

3063

678

738

400

1113

241

209

22.22

14.46

21.34

13.59

13.50

2.99

3.25

1.76

4.91

1.06

0.92

Ensemble

7516

3115

4243

2556

2909

2346

22685

100.00

Source : OAVCT

Rares sont les résidents des villes de province qui saisissent le sens de la notion : Taxi ou de Service de transport collectif assurant le trajet d'un point à un autre à l'intérieur de la ville en question. Le transport collectif urbain, en ce sens, n'a de signification qu'à Port-au-Prince.

D'ailleurs, en comparant le parc des véhicules circulant dans l'aire métropolitaine de Port-au-Prince pour l'année 1996 et certaines données statistiques sur les transactions d'émission et de renouvellement des polices d'assurance à travers les différentes villes de provinces, on se rendra à l'évidence que pour une ville comme le Cap, les polices publiques et de transports avoisinent l'effectif de 2,000 contrairement à la seule commune de Port-au-Prince où taxis et transport sont plus de 10,000.

A remarquer qu'ici, en lieu et place de Port-au-Prince, nous utilisons l'expression commune de Port-au-Prince. C'est une façon pour nous de faire ressortir l'énormité de la différence existant dans le domaine du transport collectif entre la capitale et la deuxième ville du pays. Généralement parler de Port-au-Prince (La capitale) sous-entend l'ensemble de ses espaces périphériques dont l'HISI désigne par l'aire métropolitaine qui inclut: La Commune de Port-au-Prince proprement dite, les communes de Pétion-Ville, de Carrefour, de Delmas et de la Croix des Missions.

Cela signifie que les dix mille (10,000) véhicules représentent une partie des moyens de transport collectif de Port-au-Prince. Or, pour le Cap, le chiffre avancé concerne l'ensemble du Département du Nord composé de 19 communes. Un simple coup d'oeil sur les tableaux # 2 et 3 permettra à tout un chacun de saisir les nuances. Il faut toutefois, à quelques exceptions près, souligner la tendance: que pour les villes de province proches de Port-au-Prince, contrairement à celles qui lui sont éloignées, l'OAVCT (office assurance véhicule contre tiers) enregistre beaucoup plus de véhicules. C'est le cas de Miragoane, située à 94 km de Port-au-Prince, Saint Marc 96 km, et Gonaïves 155 km. (Voir tableaux # 2 & 3 P.73).

Le transport collectif à Port-au-Prince, l'un des indicateurs de développement de la ville, est artisanal. Il reste bloqué, aux dires d'Eddy André Directeur de la Prévention Routière Haïtienne (PRH), « au stade d'une ville de 200 000 habitants. En terme spatial, on assiste à un accroissement non planifié de cette ville et une certaine interpénétration de population (...) Cette croissance démographique accompagnée inévitablement d'une extension importante des superficies occupées par la ville a comme corollaire un accroissement des déplacements urbains; l'augmentation du taux de motorisation (...). Cette situation conjuguée avec l'insuffisance du réseau routier et des services de transport collectif est à l'origine d'une congestion aiguë du trafic urbain qui a pour conséquences, entre autres la dégradation des performances énergétiques et une perturbation d'ordre général des activités des citadins ».48(*) On assiste de ce fait à ce qu'il appelle une déréglementation des transports collectifs.

En effet, contrairement aux axes de routes traditionnellement empruntées par les chauffeurs de tap-tap, la hausse de la demande de mobilité et l'embouteillage provoqués par cette hausse forcent ces chauffeurs à emprunter arbitrairement des voies réservées autrefois à la circulation privée. Dans cette optique, des circuits comme : Waney 87, Archachon 32, Canapé-Vert, Nazon, Delmas 31, Delmas 33, Christ-Roi, Bois Moquette, Route Frère, Tabarre, Carrefour Marin, Croix-des-Bouquets...ont vu le jour et viennent faciliter le déplacement quotidien des habitants des espaces urbains, nouvellement créés, circonscrits dans l'aire port-au-princienne. Ces voies ajoutées au réseau routier de Port-au-Prince entrent dans la catégorie de ce que Jn Michel Houry aurait qualifié de diagonales; c'est-à-dire des voies qui ne font pas partie des axes principaux qui débouchent sur le centre ville de Port-au-Prince.

« Notre système de transport fonctionne depuis longtemps d'après une logique artisanale. (Nous faisons abstraction de l'initiative d'Anouald - nom du propriétaire de la compagnie d'autobus qui a fonctionné à la capitale durant les années 60. Elle a cessé d'exister en l'année 1969 et les dernières unités ont été vendues en République Dominicaine - qui avait su établir un réseau de transport collectif urbain (TCU) en créant des lignes d'autobus desservant régulièrement les centres commerciaux et les quartiers résidentiels. Puis, la CONATRA des années 80 était mort-née). (...) Ce vide a été comblé anarchiquement par l'implantation des "tap-tap» qui désigne un mode de transport qui s'est installé sous nos cieux, comme une réponse aux besoins de transport imposé par l'imprévision de l'Etat vis-à-vis des changements dans la structure de la ville. Ce type de transport dont la propriété est atomisée, c'est-à-dire appartenant à des particuliers et non à des compagnies ou à l'Etat, ne répond à aucune norme ergonomique.

« ... Cette forme artisanale de notre (TCU) est une réponse spontanée à une offre inadaptée aux besoins de la population et à l'évolution de la ville. » 49(*)

Dès lors, la planification est substituée par l'improvisation devenue un modèle de fonctionnement populiste édifié sur les bases d'un État, apparemment démissionnaire mais qui, au fond, tombe en déconfiture parce qu'il a, volontairement, privilégié l'arbitraire au détriment du respect des normes scientifiques et sociales.

Pour se donner bonne conscience cet État ne monopolise pas l'initiative, il l'abandonne au profit de l'individu qui pour en tirer certains avantages utilise des moyens de transport qui ne sont pas adaptés au transport collectif et qui sont complètement dépourvus des normes les plus élémentaires de confort. Quand E. André parle de l'implantation anarchique des tap-tap cela a tout son sens. Les tap-tap, en effet, tous types confondus, se retrouvent aujourd'hui sur tout le réseau routier de Port-au-Prince; c'est-à-dire tant sur les axes principaux que sur les diagonales. Ils transportent toujours un nombre excessif de passagers. D'ailleurs le surchargement est un des signes caractéristiques du transport collectif à Port-au-Prince.

Cela peut se comprendre; car cette ville qui en 1996, selon l'IHSI, comptait plus de 1 500 000 habitants, avait d'après le service de la circulation des véhicules, un parc automobile évalué à 51963 véhicules dont seulement 8957 étaient destinés au transport en commun. Cela signifie, qu'il y a environ dans l'aire métropolitaine de Port-au-Prince 1 456 986 personnes pour seulement 8957 véhicules publics. Soit un tap-tap, en moyenne pour 163 passagers, c'est-à-dire, suivant la terminologie du tableau # 2 (page 73) en additionnant les véhicules privés aux véhicules de transport et « autres » de l'aire métropolitaine, nous obtenons la somme de 43014 véhicules qui ne sont pas impliqués dans le transport collectif. En soustrayant cette somme des 1 500 000 habitants de l'aire métropolitaine nous avons le nombre approximatif des usagers de tap-tap. 163 passagers pour un tap-tap! L'urbanisation en est-elle responsable? Il suffit de faire le tour de Port-au-Prince aux heures de pointe pour constater des queues interminables de passagers qui espèrent prendre place dans un tap-tap pour arriver à destination.

André Charlier aussi bien que Jean Dellile - dans deux articles différents publiés dans l'hebdomadaire Haïti en Marche- ont pu décrire cette situation. Selon A. Charlier, non seulement les tap-tap ne répondent pas aux règles du transport collectif urbain(T.C.U) mais aussi ils ne suffisent pas en nombre pour assurer le transport de l'ensemble des usagers qui réclament leur service surtout avec les « embouteillages monstres » qui les empêchent d'aller très vite. Dans ce contexte, il met en question tout le système du transport à Port-au-Prince. Ce système fait pitié vu la situation dans laquelle il se trouve.

« L'état du matériel roulant est souvent pitoyable. Constamment surchargés, mal entretenus, réparés à la diable, parce qu'il faut en même temps payer les échéances et vivre (mal!), les véhicules sont vite usés jusqu'à la corde. Beaucoup ne passeraient pas la plus bénigne des inspections, mais circulent quand même, aux risques et périls de leurs passagers ... et des piétons. Les moteurs diesel, dont les filtres encrassés ne sont probablement jamais changés, qui obligent la voiture qui suit à les dépasser au plus vite, ce qui, dans ces rues étroites créé un risque non négligeable d'accident. Les portières, très souvent, ferment mal. On y remédie en embauchant un gosse chargé de s'en assurer. J'en ai vu un qui fermait la sienne à l'aide d'un bout de corde.

« L'entassement des passagers est incroyable, et contribue puissamment à l'usure précoce des voitures. L'on s'assied à six (6) sur des sièges prévus pour trois personnes, et les propriétaires, je ne sais pas comment, rajoutent un banc supplémentaire. Inutile de préciser que c'est très inconfortable. Si l'on n'a pas la chance d'être parmi les premiers à monter dans la voiture, il n'y a guère d'espoir de s'asseoir. Les passagers assis, bien sûr, sont serrés comme sardines en boite. » 50(*)

Ce tableau présente la réalité du transport en commun dans la capitale d'Haïti. Si dans le fond il cache quelque chose, c'est peut-être, l'irresponsabilité de l'Etat haïtien ou des dirigeants de ce pays qui ont tout fait pour habituer la population de Port-au-Prince à l'insalubrité et l'inconfort.

Comme le texte d'A. Charlier l'a pu démonter; on est dans une ville ou la problématique du transport en commun génère l'individualisme (le sauve qui peut): le conducteur surcharge le véhicule à son profit, mais au détriment du propriétaire qui lui exige, pour la journée de travail, trop d'argent que seuls des passagers entassés dans l'inconfort peuvent lui garantir le gain. Cette forme d'individualisme constitue un blocage au développement systématique du transport collectif de la société haïtienne dont Port-au-Prince semble être la synthèse.

Georges Anglade, dans l'espace Haïtien, ne l'a t-elle pas qualifié de République de Port-au-Prince! On est effectivement dans une "République" où tout semble bloqué. C'est le point fort de l'article de Jean Dellile qui, succinctement, a assimilé le blocus (embouteillage de la circulation) au blocage politique du pays. Son analyse est pertinente, car elle a remis en question le type d'interaction existant entre les institutions d'État qui, au lieu de faciliter le décollage d'un changement positif de la ville de Port-au-Prince entrave de préférence les différents paramètres du processus de ce changement. Ainsi ce type d'interaction gangrène la vie collective, tue le citoyen et développe l'égoïsme. La ville de Port-au-Prince devient, pour ainsi dire, non conviviale. Tout un chacun se défend ou de préférence, se bat pour être mieux loti mais au détriment de l'autre. On s'en fou du respect de l'autre.

« Le blocage politique dont il faut absolument sortir me fait penser au blocus si souvent imposé aux sorties nord et sud de Port-au-Prince. Certes, Port-au-Prince n'a pas du tout les infrastructures de la grande ville de plus d'un million et demi d'habitants. Mais cela n'explique pas tout. Je me souviens avoir attendu plus de deux heures pour sortir de Port-au-Prince vers le nord à cause de l'enterrement d'une personnalité. Au début, les chauffeurs ralentissaient pour voir. Très vite la circulation fut bloquée. Le phénomène étonnant de l'indiscipline généralisée des chauffeurs avec surtout les grosses pajero qui ne pouvaient tolérer que la racaille les gène et, curieusement alliés de ces "gros nèg» méprisants, les chauffeurs de tap-tap se faufilant dans tous les interstices. Avec l'absence de police, je vis bientôt sur la nationale no.1, une file à sa place, à sa droite dans les bas côtés une autre file, sur ma gauche bientôt deux autres files qui bouchaient la route aux voitures d'en face qui, entre temps, avaient fait pareil. Et tout était bloqué par l'anarchie incroyable due à l'individualisme effréné de chaque chauffeur ne tolérant aucun règlement. L'idée que la route est à tous avant d'être à soi n'effleurait absolument pas l'idée des chauffeurs uniquement occupés à être plus habiles que le voisin. Deux heures de perdues pour près de 2000 personnes, soit 4000 heures perdues selon un tarif horaire, et l'économie du pays une fois de plus gaspillée, sapée à la base par un comportement non convivial. »51(*)

Alors que l'automobile a été inventée pour raccourcir la distance et réduire le temps, alors que le temps est un des paramètres fondamentaux dans le procès de la production industrielle qui a institué le rendement horaire, Port-au-Prince au XXème siècle finissant n'arrive pas encore à l'utiliser à bon escient. Qui pis est, à ce propos, Port-au-Prince semble même revenir au temps primitif, car la vie nocturne depuis une décennie n'existe plus. Approximativement, tout ne fonctionne à Port-au-Prince que durant les 12 premières heures du jour (6.00 Am - 6.00 Pm). Cet intervalle de temps constitue les limites variables de toutes les activités sociales et économiques de Port-au-Prince. Dans cette logique, les tap-tap s'y inscrivent et les usagers sont obligés de se conformer sinon ils courent le risque de voir écouler le temps sans répondre présent à des rendez-vous d'importance pour leur survie.

Certes, avec les embouteillages le tap-tap perd sa signification puisque les usagers n'arrivent pas à effectuer le trajet dans le délai escompté. Néanmoins, avec la distance qui augmente-t-il reste un impératif pour eux (les usagers) de réclamer le service, soit du taxi, soit du yole, soit du batiman, soit du bwafouye, soit du rachepwèl, soit du kokorat. Le bon ton peut être l'exige! Cependant, quoique l'embouteillage soit un phénomène constaté dans presque toutes les grandes villes (ce qui souvent conduit les dirigeants à prendre des mesures disciplinaires et à construire d'autres voies comme les HighWay et les SubWays), à Port-au-Prince l'embouteillage se manifeste par un arrêt entre 10 à 25 minutes minimum. Parfois cet arrêt s'étend au delà de 60 minutes. Avec le processus d'urbanisation, la vitesse moyenne de circulation à Port-au-Prince se situe, aux heures de pointe, à un kilométrage horaire non encore déterminé par les services concernés.

Classiquement parlant, Port-au-Prince est en plein dans le courant de l'urbanisation. Selon l'Institut Haïtien de Statistique et d'Informatique (IHSI), de 715949 habitants qu'elle comptait en 1980, l'aire métropolitaine atteignait en 1990, le chiffre de 1 141 400 et d'ici l'an 2000 elle avoisinerait le chiffre de 2 000 000 soit exactement 1 765 066. 52(*)

Ces chiffres ont de quoi faire peur, puisque durant ce laps de temps rien n'est fait pour doter Port-au-Prince de structures d'accueil nécessaires pour une telle population. Contrairement aux villes occidentales son urbanisation ne s'associe pas à l'industrialisation. Elle se caractérise surtout par un flux de migrants ruraux qui viennent s'agglomérer dans une ville préindustrielle où les progrès scientifiques sont à peine visibles. Par contre, comparée aux villes de province elle apparaît plus proche de la modernité. Une modernité qui ne voile même pas les traits primitifs de la société haïtienne beaucoup plus rurale qu'urbaine. Tout le monde se rend à l'évidence de l'extension périphérique de cette ville; extension qui paraît manifeste grâce aux bidonvilles érigés à proximité de certains quartiers luxueux lesquels tendent chaque jour à se détacher du centre de Port-au-Prince occupé par le commerce et les services. L'urbanisation de Port-au-Prince comme a dit C. Souffrant passe par le bidonville. Phénomène répercutant et interférant, le bidonville facilite la cohabitation de l'inconfort, de l'insalubrité et de la pauvreté. Tel est en résumé le tableau de l'urbanisation de la ville de Port-au-Prince laquelle se reflète sur le transport en commun encore artisanal.

Suivant ce point de vue, le déplacement des usagers ne peut être assuré qu'inconfortablement et dans la plus grande difficulté par les tap-tap. Cependant, le besoin de mobilité pousse les usagers à se résigner.

« Tout à la fois, on parle et on somnole, coincés entre hommes et choses, les fesses meurtries, les jambes recroquevillées, la bouche asséchée par la poussière qu'aspire la machine ». (C. Wargny et J.M.Duval, 1993)

Voilà ce qui traduit la situation des usagers du transport collectif haïtien. Ils sont livrés à eux-mêmes. Tout comme en matière d'urbanisation aucune ne structure d'intégration ou de socialisation n'est prévue, le transport collectif ne répond à aucune norme. C'est l'informel dans le bon sens du terme.

En Haïti, « tout sak pa bon pou youn bon pou yon lòt ». Grâce à cette logique du « sauve qui peut », on peut comprendre pourquoi le malaise des passagers ne nuit pas aux chauffeurs. Tout au contraire, pour le chauffeur, le surchargement du tap-tap est l'un des paramètres du profit.

Plus le véhicule transporte un nombre excessif de passagers par voyage, plus cela rapporte au chauffeur sans égard pour le poids du véhicule, sa capacité d'accueil et sa capacité de résister à la surcharge.

Cette seconde hypothèse, dans la mesure où elle se révèle pertinente, dans le cadre de notre enquête, permettra de comprendre le sort réservé au minibus « bwafouye » de carrefour dont la capacité d'accueil (comparée à celle du rachepwèl, du kokorat, et du batiman, mis à part celle de la yole) est nettement inférieure.

A ce niveau, il s'est avéré indispensable pour corroborer notre approche de procéder à une étude de terrain. Grâce à cette dernière nous avions pu vérifier nos hypothèses de travail; hypothèses conçues à partir de la problématique du minibus bwafouye dans le système du transport collectif à Port-au-Prince.

QUATRIEME PARTIE: CADRE D'ANALYSE

CHAPITRE VI.- MISE EN RELIEF DU BWAFOUYE

6.1.-LE MINIBUS "BWAFOUYE" (Carrosserie Locale)

6.1.1.- LES STRUCTURES

Véritable oeuvre d'artisan, la carrosserie locale adhère au châssis de l'automobile à l'aide de deux (2) « supports » faits de bois ayant (12') pieds de longueur et pour dimensions respectives (2" x 4")53(*). Des « traverses » de bois de mêmes dimensions que les « supports » mais longues respectivement de six pieds trois pouces (6'.3") relient les « Supports » entre eux. « Supports et traverses » forment ainsi la base à partir de laquelle le carrossier édifie la charpente globale de la carrosserie. Tout cela s'adhère au châssis grâce à des «  boulons » de quatre (4") pouces qui ajustent solidement les « traverses » disposés transversalement aux « supports » et au châssis. Aux extrémités de certaines « traverses » placées à des distances irrégulières, sont érigés verticalement des « poteaux » de cinq pieds dix pouces (5'.10") de hauteur et de dimension (2" x 3").

De forme hyperbolique, la charpente du toit revêt à l'intérieur la forme d'un « fond de bateau » et à l'extérieur celle d'un « dos d'âne ». Voilà pourquoi son édification fait appel à une pièce de bois (2x4) toute particulière du nom de « Cerceau ». On compte en moyenne huit (8) « Cerceaux » dans la charpente du toit. Chaque cerceau est réalisé dans le respect de la largeur de base du plancher estimé à soixante douze pouces (72") ou six pieds (6'). Ces cerceaux sont cloués aux «  bwacheval » pièce de planche couronnant le dessus de la carrosserie et qui fixe les « poteaux » dans leur vraie position. La solidité de la charpente globale de la carrosserie du minibus, est assurée par des éléments de liaison et de cohésion comme :

Des Clous aux dimensions variables (allant d'un pouce à quatre pouces) - des boulons de toute dimension allant d'un pouce et demie jusqu'à six (6") pouces, - des pièces en fer ayant la forme d'un L réalisées par des forgerons.

Le plancher estimé à douze pieds (12') de longueur s'arrête juste en arrière de la cabine du chauffeur. Tandis que, la charpente du toit se prolonge jusque sur cette cabine tout en épousant, plus ou moins la forme du dessus de la cabine. Aux environs de trois pieds (3') de la hauteur sont intercallés, entre les poteaux verticaux, des bois (2"x3") avec des longueurs respectives de deux ou trois pieds (2' ou 3').

Globalement la carrosserie a quatre (4) faces. C'est-à-dire l'observateur doit se placer dans quatre positions différentes pour pouvoir la décrire. La face se retrouvant juste en arrière de la cabine du chauffeur est à peine visible.

Tout le squelette de la carrosserie ne peut pas être visible à un simple observateur. En effet la charpente de bois est enveloppée extérieurement à l'aide d'une tôle, de dimension 3/6 ou 3/8, fixée par des clous d'un pouce (1) ou d'un pouce et demi (1"2).

Même à ce niveau le simple observateur peut se perdre; car l'éclat métallique de la tôle disparait sous des couches de peintures de toutes les couleurs.

6.1.2.- L'ASPECT EXTÉRIEUR

A observer superficiellement le minibus bwafouye, sa carrosserie est peinte, extérieurement de plusieurs couleurs qui servent souvent de couleurs de fond utilisées à des fins de recevoir des images symboliques et des messages d'autres couleurs. A part les images, les messages et les couleurs, la décoration extérieure attire encore: par les types de fenêtres et de vitres utilisées, par l'unique porte d'entrée et de sortie placée à droite, par les jeux de lumière et de réflecteurs qui entourent la carrosserie, par le porte-charge sculpté et l'échelle enveloppée de plastics de différentes couleurs, par ses enseignes, enfin par une ferronnerie artisanale placée juste en avant du minibus et soudée au châssis en vue de protéger le minibus de certains chocs. D'où le nom de « défense » attribuée à cette ferronnerie.

6.1.3.- L'ASPECT INTÉRIEUR

Si pour l'aspect extérieur l'observation va des couleurs à l'art en passant par la sculpture et la ferronnerie, l'observation intérieure quant à elle, nous amène à décrire un espace dont le décor et la circulation n'ont rien à envier au salon de certaines catégories des classes moyennes d'Haïti.

Fait de planches à dimensions (1 x 12 x 12), le plancher du minibus bwafouye a comme surface : soixante seize pieds carrés six pouces (76.6). Les côtés, aussi que le plafond, sont couverts soit de plywoods décoratifs, soit de formicas de diverses couleurs. Des sièges, au nombre de dix, ont une base en ferronnerie, réalisée avec du fer en cornière de dimension d'un pouce. Le fond et le dossier de ces sièges sont souples parce qu'ils sont recouverts d'éponge et d'un épais tapis. A chaque deux (2) sièges on retrouve légèrement au dessus de la tête du passager à l'extrême droite ou à l'extrême gauche, une « sonnette » : type d'avertisseur signalant au chauffeur l'intention d'un passager de descendre du minibus. Entre les sièges de droite et de gauche il y a un long couloir de circulation large de neuf (9) pouces connu sous le nom de ruelle « Riyèl » dans le langage du transport public haïtien. Et entre les différents sièges le confort suggère un espace où les genoux sont à peine repliés. L'observation de l'intérieur permet de constater, aussi, l'installation, soit au plafond soit sous le siège arrière, de deux « Speakers » de radio qui diffusent tout au long du trajet de la musique. L'électricité ne fait pas non plus défaut à l'observation. Beaucoup plus manifeste que la sonnette on retrouve au plafond quatre (4) à six (6) ampoules de couleurs variables. Connues sous le nom de « Tèt Gridap » (dans le Jargon des carrossiers) ces ampoules éclairent sombrement tout l'intérieur du minibus à la tombée de la nuit. A ce décor, propriétaires et carrossiers ajoutent, quelquefois, des miroirs pour des raisons dépendantes de leur volonté.

Les fenêtres vitrées sont aussi observables du dedans. Montées dans des glissières (ainsi appelées), à la manière des «Sliding Windows», ces fenêtres, suivant le caprice des passagers, se déplacent de la droite vers la gauche ou de la gauche vers la droite. Dans l'esprit de rendre plus accueillant l'espace réservé aux passagers, certains propriétaires placent un horloge dans le minibus, inscrivent des pensées morales et d'autres propos aux « Panneaux » tels : bienvenu et au revoir et placardent des images de saints, de certaines vedettes du monde cinématographique ou musical. Dans l'enceinte du minibus, enfin, le passager peut se rendre compte qu'entre la cabine du chauffeur et la carrosserie il existe une « frontière » délimitée par un espace vitré où la communication entre passagers et chauffeur est assurée avec moins de difficulté.

6.2.-LES CATÉGORIES SOCIO-PROFESSIONNELLES DIRECTES ET INDIRECTES DU BWAFOUYE

A travers la description du bwafouye on a pu dénombrer différentes tâches qui réclament les interventions: du carrossier, du peintre, de l'électricien, du ferronnier, de l'électronicien, du forgeron, du menuisier du sculpteur...Les matériaux de construction font intervenir : le bûcheron, le charpentier qui taille des pièces de bois et les transforme à des fins utiles, le propriétaire de quincaillerie et le propriétaire d'une « auto parts » (magasins de pièces de rechange). Mais ils sont tous mis en activité grâce au propriétaire du minibus bwafouye qui au départ a investi son argent en achetant des mains du concessionnaire l'automobile appelé à intégrer le système du transport collectif.

Une fois en circulation, le minibus bwafouye consomme du carburant acheté dans une pompe à essence propriété privé d'une tierce personne. Cette dernière utilise le service de plusieurs pompistes qu'il paie, soit au pourcentage vendu, soit au gallon.

D'autres catégories sociales qui, de façon plus nuancée, figurent dans la description, doivent leur survie au bwafouye. Il s'agit : du chauffeur, du chauffeur à droite (ainsi désigné du fait qu'il est assis à la droite du chauffeur l'aidant à contrôler la rentrée et la sortie des passagers), du « laveur d'auto », du dépanneur de pneu crevé (Kawochoumann), de « l'arrangeur de batterie » (batriman), du garagiste (mécanicien) et, quelquefois du « chargeur de tap-tap ».

Il existe une autre catégorie, composée de ceux-là qui ne sont mêmes pas impliqués dans le « travail tap-tap » mais qui soutirent des avantages : la famille du chauffeur, ses enfants, ses parents et ses femmes.

Par ailleurs on retrouve, des « machann Dlo », « machann Juna », « machann Sapibon » et, des vendeurs de journaux hebdomadaires qui exploitent la « circulation tap-tap » pour écouler leurs marchandises.

Alors, dans ce système, le propriétaire du « bwafouye » devient l'employeur exclusif.

En résumé, le bwafouye dans le système du transport en commun haïtien permet d'identifier sept (7) catégories d'entrepreneurs et de professionnels il s'agit des :

· Investisseurs (Concessionnaire, propriétaire);

· Artisans (Carrossier, peintre, ferronnier, forgeron, menuisier, sculpteur, charpentier);

· Commerçants Propriétaires de quincaillerie, d'auto-parts et de pompe à essence);

· Techniciens (garagiste, batrimann, kawotchoumann, électricien, électronicien);

· Employés (Chauffeur, chauffeur à droite);

· Manoeuvres (Laveur d'auto, chargeur de tap-tap, mawoule);

· Débrouilleurs (machann dlo, machann jina, machann sapibon, machann jounal);

Bien que dans l'ensemble, le transport en commun haïtien soit une activité du secteur de l'économie informelle, il y a parmi ces catégories suscitées certaines qui ne s'inscrivent pas tout à fait dans cette lignée. En effet la catégorie des investisseurs, particulièrement les concessionnaires, les propriétaires et les commerçants n'échappent pas totalement au contrôle de l'État qui, à travers des institutions comme la DGI, l'OAVCT et le Service de la Circulation, s'impose dans « l'activité tap-tap ».

Les autres catégories, de par leur existence liée au minibus bwafouye ou au transport collectif urbain(TCU), tout court, font partie intégrante de ce secteur qui réfère à un mode d'organisation sociale où l'Etat se laisse substituer par une population, en quête de survie, qui déferle sur Port-au-Prince; la seule ville d'Haïti qui, en apparence, a l'infrastructure d'accueil des grandes villes millionnaires de l'occident en matière de population. Ainsi la capitale d'Haïti est regorgée de gens en âge de travailler auxquels elle ne peut offrir une autre alternative que celle de l'informel. Donc, à ce niveau le transport en commun, comme tant d'autres activités du tertiaire offre à cette population au chômage l'espoir d'un mieux être. Cependant leur rêve n'ira pas au delà de l'enclavement social, de leurs frustrations antérieures et de la bidonvilisation.

Le transport collectif devient, en conséquence, le reflet d'un processus d'urbanisation imprégné de carence d'ordres infrastructurel et superstructurel dont Port-au-Prince est le miroir.

CHAPITRE VII.- L'IMMINENTE DISPARITION DU MINIBUS "BWAFOUYE »

L'évidence de nos jours est que, à Port-au-Prince particulièrement, sur la route de Carrefour le minibus bwafouye (concurrencé, tout récemment, par le rachepwèl, le batiman et le kokorat) se fait de moins en moins remarquer dans la circulation automobile. Rechercher les causes de cette lente disparition, jusqu'ici, semble ne pas intéresser les institutions officiellement concernées et connues. Nous voulons parler du Ministère des Travaux Publics Transport et Communication (TPTC), du Service de la Circulation des Véhicules (SCV), de l'Office Assurance des Véhicules Contre Tiers (OAVCT), et du Service de la Signalisation Routière (SSR). A la rigueur le Ministère de la Culture(MC) et le Ministère des Affaires Sociales (MAS) pourraient être concernés puisqu'il s'agit bien d'une originalité haïtienne, d'une oeuvre d'art et d'une source d'emploi sur le point de disparaître.

Les démarches auprès de certains cadres et dirigeants de certaines de ces institutions révèlent le manque d'intérêt que ces institutions nourrissent à propos du bwafouye. D'ailleurs, dans un document54(*), du Service de la planification au sein du Ministère des TPTC, nous retrouvons une présentation de différents types de moyen de transport collectif; présentation qui ne tient pas tout à fait compte de la terminologie populaire, et encore moins de l'expression bwafouye. Cependant, le mot "yole" qui émane de la culture populaire y figure. A ce propos, pour mieux apprécier notre point de vue, voir tableau #4.

Tableau #4

Capacité normale des types de véhicules de transport collectifs en service et taux d'occupation moyen

Type de véhicule

Capacité

Occupation moyenne

Taxis «legers»

Peugeot 504 BK

Tap-tap

Yole

Bus carrefour

Autobus

Gros bus

5

8

16

18

25

35

55

4.3

4.3

13.3

15.9

26.2

19.2

34.6

Source : Enquête origine-Destination(MTPTC)

Ce tableau est tout à fait contraire à notre démarche typologique. Rappelez-vous bien, que tap-tap a une charge sémantique qui renvoie à tous les types de moyens de transports dont yole en est un. Dire: « Bus carrefour », « Autobus » cela revient au même et peut signifier soit yole, soit minibus bwafouye, soit gros bus. Ce dernier ne prête pas à équivoque; car de nos jours, dans le système du transport collectif urbain(TCU) de l'aire métropolitaine, il est synonyme de (batiman, gwobisjòn, manman zanfan yo).

Est-ce le fait du hasard, du moins est-ce un désir de simplification ou la volonté du ministère de ne pas cautionner la terminologie populaire (en matière de transport en commun) qui a provoqué ces imprécisions? La réponse à cette question nous intéresse peu, vu qu'elle n'a aucun lien direct avec l'objectif de notre travail.

Cependant, nous pouvons avancer que faute des institutions concernées de produire, dans le domaine du TCU, des documents à caractère exhaustif et appropriés, complique la tâche de quelque soit le chercheur. Dans ce contexte, les tentatives d'explication et d'analyse inhérentes au bwafouye ou à n'importe quel autre type de tap-tap faisant partie du système de transport collectif à Port-au-Prince courent le risque d'être subjectives. Pour s'en démarquer nous allons à l'aide de certains outils méthodologiques chercher l'explication qui convient le mieux.

7.1- A LA RECHERCHE DES CAUSES

Se basant sur l'objectif général de notre étude, à savoir: mesurer l'impact de l'urbanisation de Port-au-Prince sur le devenir du minibus bwafouye; nous avons confectionné un questionnaire dont l'objectif spécifique consiste à déceler la véritable cause du ralentissement du bwafouye, observé, dans la circulation automobile et particulièrement dans le transport en commun sur l'autoroute de carrefour.

Nous avons profité de l'élaboration du questionnaire pour agencer les différents paramètres de nos objectifs à ceux de nos hypothèses de travail qui, en résumé, mettent en rapport les variables: tap-tap et capacité d'accueil. Le questionnaire, ainsi conçu et rédigé, sera soumis à des chauffeurs de tap-tap lesquels auront à nous fournir certaines informations dans le cadre de l'enquête. Ce qui sous-entend, que nous aurons affaire à un échantillon de chauffeurs. Bien entendu, il ne sera pas facile de camper cet échantillon vu l'absence d'une base de sondage relative au domaine. Alors que faire?

7.2- L'EQUATION: CHAUFFEURS - CHAUFFEURS DE TAP-TAP ET MOYEN DE TRANSPORT COLLECTIF

«Lorsqu'on s'intéresse à une population restreinte pour laquelle il n'existe pas de base de sondage spécifique, comme par exemple (...) une catégorie professionnelle particulière, on peut constituer un échantillon de l'ensemble, par tirage au sort ou par quota, et ne conserver que ceux qui appartiennent à la catégorie visée.»(R. Ghiglione et B. Matalon, 1978, 36)

Soulignons en passant que d'après les données statistiques, provenant des institutions concernées, «  le parc automobile compterait actuellement environ 81,800 véhicules avec un accroissement moyen annuel de 6% (données de l'OAVCT). Les données de l'OAVCT sur le parc automobile diffèrent de celles données par le SCV qui n'a enregistré pour l'année 1996 que 60,208 véhicules. Etant donnée l'inadéquation entre l'enregistrement des véhicules au SCV et la souscription à une police d'assurance à l'OAVCT, les chiffres disponibles sont à prendre avec beaucoup de réserves. L'augmentation du parc automobile de près de 50% de sa valeur en 1990 entraine une augmentation presque proportionnelle du trafic métropolitain, donc un niveau de saturation du réseau.» 55(*)

Tout ceci laisse supposer que la population des chauffeurs d'Haïti serait, en effectif, très limitée. Encore moins pour les chauffeurs de transport en commun toutes catégories confondues. N'en parlons pas de ceux-là qui, à Port-au-Prince, particulièrement sur le circuit Carrefour-Centre-ville, se convertissent en chauffeurs professionnels du transport collectif urbain. Si l'on se fie à la statistique, en dépit de la confusion qui y règne, la population des chauffeurs de taxis et de transport de la commune de Carrefour se chiffrerait à 439; soit respectivement, 347 chauffeurs de taxi et 92 chauffeurs de transport. (Voir tableau #2, page 73)

Alors, à partir de ces considérations, tirer de cette population un échantillon ne présente pas trop de difficulté. Bref! L'essentiel de l'enquête, à ce niveau, est de savoir: comment rendre notre sous-population à interroger (notre échantillon) représentative de l'ensemble de la population concernée? «La représentativité de l'échantillon est l'application à cette phase de l'enquête de la notion générale de validité : un échantillon valide est celui qui (...) permettra d'extrapoler les résultats trouvés par l'enquête.» (P. Rongère, 1979,66)

Selon cette définition, on ne peut dès la constitution de l'échantillon penser qu'elle soit tout-à-fait représentatif. On s'en assure que plus tard grâce à la tendance des données recueillies au moment de l'enquête. La représentativité d'un échantillon, selon Luc Albarello, ne se limite pas à un nombre d'unités X ou Y déterminés. Pour utiliser son propre langage, « Cela dépend »!

« Un échantillon de 1000 personnes, n'est pas, dans son ensemble plus représentatif qu'un de 600. Il permet cependant de réaliser beaucoup plus d'analyses et par conséquent de tester des hypothèses plus fines, des comparaisons plus nombreuses entre sous échantillons représentatifs.»(L. Albarello, 1995,40)

La constitution de notre échantillon, tout en nous inspirant des approches de Ghiglione et d'Albarello, fera appel à un nombre déterminé de chauffeurs de tap-tap qui circulent sur l'autoroute de carrefour et qui dans l'ensemble représenteront l'échantillon de la population à interroger. Cette façon de faire nous permettra de réduire au maximum le risque de biais dans la cueillette des données. Ainsi constitué, « un tel échantillon est dit stratifié, les catégories en question étant les strates. L'échantillon total n'est plus représentatif, mais chacun des différents strates l'est» (R. Ghiglione et B. Matalon, 1978,35)

L'échantillon stratifié étant une forme de la méthode des quotas, le nôtre sera bâti de telle sorte que nous puissions retrouver en son sein tous les caractères inhérents à la population. La leçon de Ghiglione en ce sens est claire. «Dans son principe la méthode des quotas consiste à obtenir une représentativité suffisante en cherchant à reproduire, dans l'échantillon, les distributions de certaines variables importantes, telles que ces distributions existent dans la population à étudier. Par exemple, si celle-ci comporte autant d'hommes que de femmes, on fera en sorte qu'il en soit de même dans l'échantillon; si la population en question comporte 40% d'ouvriers, on s'efforcera d'avoir 40% dans l'échantillon interrogé, etc.» (ibid, p.38).

De ce principe, nous allons nous inspirer pour pouvoir chiffrer notre échantillon. Toutefois, il faut signaler que le parc automobile de l'aire métropolitaine, selon le Service de la Circulation des Véhicules (SCV), compte 51963 véhicules ce qui correspond logiquement à 51963 chauffeurs dont 12746 seraient des professionnels du volant répartis entre les véhicules dont leur plaque d'immatriculation porte les labels : TAXI et TRANSPORT.

Quand on fait les mêmes considérations, ces chauffeurs professionnels sont répartis comme suit:

Commune

Chauffeur

Professionnel

%

Carrefour

439

3.44

Cx-des-bouquets

987

7.74

Pétion-ville

855

6.70

Port-au-Prince

10460

82.06

(cf. tableau #2, P.73)

Voilà en termes d'effectif et de pourcentage la population des chauffeurs qui pratiquent le métier de chauffeur dans les communes (Delmas exceptée) qui constituent l'aire métropolitaine de Port-au-Prince. On ne sait pas trop pourquoi le SCV n'a pas tenu compte de la commune de Delmas. Cependant on a l'impression que la population des chauffeurs de Taxi et de Transport de la commune de Delmas est inclue dans celle de la commune de Port-au-Prince.

Si les chauffeurs de Taxi et de Transport sont tous des professionnels du volant; ils ne sont pas pourtant tous des chauffeurs de transport collectif. A Port-au-Prince, seuls ceux-là qui conduisent les véhicules avec des plaques immatriculées Taxi sont considérés comme tels.

Dans le cadre de l'enquête ce sont ces chauffeurs-là qui nous intéressent. De toute façon il ne faut pas confondre l'ensemble des moyens de transports collectifs ayant la plaque d'immatriculation Taxi avec le moyen de transport collectif appelé Taxi.

Au nombre de 8957, soit 17.23% de la population des chauffeurs de l'aire métropolitaine, soit 70.27% de celle des chauffeurs professionnels, les chauffeurs de transports collectifs se retrouvent sur tous les circuits du réseau routier. Dans les différentes communes qui composent l'aire métropolitaine, tout en tenant compte de l'absence de la commune de Delmas, ils sont au nombre de:

· 7404 pour la commune de Port-au-Prince,

· 446 pour la commune de Pétion-ville,

· 760 pour la commune de Cx-des-bouquets,

· 347 pour la commune de carrefour.

(cf. tableau #2, P.73)

Quand on revient au principe, susmentionné, énoncé par Ghiglione et Matalon, camper l'échantillon de la population des chauffeurs de transport collectif de l'aire métropolitaine ou de n'importe quelle commune qui la compose est simple. Ce principe veut que l'échantillon à interroger soit représentatif, en termes de variables et de pourcentage, de la population considérée.

A se rappeler qu'il n'existe pas de base de sondage propre pour les chauffeurs de transport collectif Haïtiens et particulièrement pour Port-au-Prince. Toutefois sur le circuit Centre-ville - Carrefour, à partir de nos observations et enquêtes de terrain, nous avons compris que les chauffeurs de tap-tap peuvent être divisés en chauffeurs de: bwafouye, yole, rachepwèl, kokorat, kazèn et tap-tap n'ayant pas encore un nom populaire (TSNP). Nous avons dans ce contexte interrogé 48 chauffeurs soit 13.83% de la population des chauffeurs de tap-tap sur le circuit. La fréquence de passage des différents types de tap-tap durant les heures d'activités sur la route de Carrefour et surtout leur fréquence d'arrivée à la fin de la journée de travail en certains points pour le nettoyage et le plein d'essence sont déterminant dans le degré de stratification de notre échantillon. Ces 48 chauffeurs interrogés ont été représentés dans l'ordre suivant:

· 10,42% : pour le bwafouye

· 8,33% : pour le rachepwèl

· 6,25% : pour le kokorat

· 27,08% : pour le yole

· 18,75% : pour le kazèn

· 29,17% : pour le TSNP

L'échantillon bâti de la sorte, nous a conduits sur la route de Carrefour à sept (7) points de repère différents, où nous avons rencontré des chauffeurs qui, en fin de journée de travail, font faire le lavage et/ou le plein de leur tap-tap. En effet selon une pré-enquête réalisée, en date du 3 avril 1997, sur le circuit routier « Carrefour-Centre-ville », les chauffeurs étaient mieux disposés dans ces endroits là, aux environs de six (6) heures du soir à répondre à l'interview. Ainsi avons-nous sélectionné des points de repères situés premièrement à Diquini 63 au voisinage de la station d'essence Texaco, deuxièmement à Thorland 67 à la station d'essence Shell, troisièmement à Brochette 97 non loin de l'église ST Charles à deux stations d'essence (Shell et Texaco) quatrièmement à Mariani à la station d'essence ESSO dénommée Paloma, cinquièmement toujours à Mariani tout près de l'abattoir, dans le courant d'eau (tisous) concomitant à la station d'essence Shell du pont de Mariani, sixièmement entre Bizoton 51 et 53 au "Best Car Wash" et septièmement à Martissant 23 à la station d'essence ESSO vis-à-vis de Fontamara 27.

Pour les besoins de l'enquête nous avons sollicité le concours de cinq (5) enquêteurs. A l'aide du questionnaire auto administré les enquêteurs ont interrogé 48 chauffeurs de tap-tap: cinq (5) à Diquini, douze (12) à Brochette et, dix neuf (19) à Mariani, deux (2) à Bizoton, deux (2) à Martissant et huit (8) à Thorland. Pour les mêmes questions, des informations contradictoires et homogènes ont été recueillies. Avec des questions fermées, vu les lieux du déroulement de l'enquête, le questionnaire a été conçu pour un entretien de moins de cinq minutes par enquêté.

7.3- L'AVENIR DU BWAFOUYE SELON LES CHAUFFEURS

Avec ce sous-titre nous abordons l'étude de terrain qui consiste à interroger dans un court entretien des chauffeurs de transport en commun à Carrefour, sur le devenir du minibus bwafouye eu égard à la concurrence des autres types de moyens de transports en commun dans une Port-au-Prince où la demande de mobilité ne trouve pas une réponse adéquate. La majeure partie de l'enquête a été menée entre 6 et 9heures du soir. Et, elle s'est déroulée durant une semaine.

L'aire de Mariani fut pendant toute la durée de l'enquête l'espace d'observation et d'expérimentation approprié à l'ensemble de notre démarche. Les chauffeurs de toutes catégories de tap-tap sont venus en nombre important le soir faire le plein d'essence et/ou faire le lavage de leur tap-tap. Dans cette aire trois (3) importants points de repère qui facilitent l'entretien avec les chauffeurs ont été retenus:

· La station d'essence de Shell du Pont de Mariani

· Le courant d'eau "Tisous" voisin de la station d'essence de Shell du Pont de Mariani

· La station d'essence ESSO connue sous le nom de Paloma située à proximité de l'Ecole des " Frères Juvenat".

L'entretien n'a pas été facile à "Tisous" vu les problèmes d'éclairage dus à l'absence d'électricité en général et en particulier au non-aménagement de l'espace en question à des fins appropriées. Par contre, dans les stations d'essence le déroulement de l'enquête ne posait pas de problème d'éclairage. Dans cette aire, 39.58% de chauffeurs ont été entretenus. Les autres points de repères très importants sont les stations d'essence Shell et Texaco situées à Brochette 97, là, 25 % de chauffeurs sont entretenus. Vient ensuite la station d'essence Shell située à Thorland 67 ou 16.67% de chauffeurs de tap-tap ont répondu à nos questions.

Le déroulement de l'enquête à Diquini 63 où 10.42% de chauffeurs sont retenus dans notre échantillon d'enquêtés est comparable à celui de "Tisous ".

Là, dans ces « car wash » improvisés n'était-ce la lumière des véhicules de certains chauffeurs qui, après le lavage, s'apprêtèrent à partir les enquêteurs auraient eu vraiment du mal à remplir les questionnaires. Tout compte fait, leur habilité leurs a permis de surmonter les difficultés imposées par la réalité du milieu.

A Martissant et à Bizoton les chauffeurs entretenus ne représentaient que 8.33% de notre échantillon.

180 minutes en moyenne par jour furent consacrées à l'enquête. Chaque questionnaire à proprement parler n'est administré au chauffeur pendant environ cinq (5) minutes ce qui donne en moyenne trente cinq (35) minutes pour sept (7) enquêtés par jour.

Les enquêteurs ont été surpris de constater que les enquêtés n'éprouvèrent aucune gêne à répondre aux questions. Tout au contraire, la franchise de la plupart des chauffeurs nous a suggéré des modifications dans certaines questions. Par exemple: à la première question on aurait dû ajouter: eske wout la twò piti eske chofè yo pa endisipline, eske machann pa reskonsab. A la deuxième question on pouvait omettre : kilès ki pote mwens moun et, la cinquième question devrait être une question ouverte. Une synthèse des différentes réponses peut en dire beaucoup plus sur les failles du questionnaire. (Voir Annexe I)

7.4.- DIVERGENCES DE VUE

Le questionnaire auto-administré, soumis à notre échantillon de chauffeurs de transport collectif, nous a permis de récolter des réponses qui, en termes de données, vont être analysées à la lumière des objectifs et hypothèses du travail. Mais, soit dit en passant, certaines réponses ont démasqué nos préjugés qui nous faisaient croire à la perfection de notre observation. En effet dans notre questionnaire, nous avons négligé des paramètres qui au cours du déroulement de l'enquête se sont révélés très pertinents. De l'avis des chauffeurs, l'embouteillage de la circulation qui handicape le bon fonctionnement de l'activité tap-tap, ne serait pas seulement une question de déséquilibre entre la demande de mobilité et le nombre de véhicule, ce serait aussi le résultat de l'exiguité de la route, l'indiscipline des chauffeurs et la volonté des marchandes à étaler leurs marchandises sur l'axe routier... Quant au type de véhicule pouvant répondre le mieux à la situation actuelle de la circulation ils sont quasi unanimes à reconnaitre que seuls les véhicules à grande capacité d'accueil peuvent équilibrer le rapport: «taux de mobilité et taux de tap-tap.» Voilà en résumé le point de vue des enquêtés que nous tenons à expliciter à partir du dépouillement de l'enquête. Nous entendons par là présenter la tendance des réponses des chauffeurs en ce qui concerne les problèmes de circulation et leur position par rapport à la concurrence des différents types de tap-tap.

A la question de savoir les causes de l'embouteillage qui, selon notre enquête, s'orientaient vers «l'augmentation déréglée» de la population de Port-au-Prince ou de celle des véhicules, des réponses à plusieurs volets ont été données à cette première question. Simultanément 77,08% soit 37 chauffeurs sur 48 accusent la carence en infrastructure routière d'être responsable de cet état de fait. De ce pourcentage, 48.65% soit 18 chauffeurs sur 37 croient que l'indiscipline des chauffeurs contribue aussi à l'embouteillage et 16.21% soit 6 chauffeurs sur 37 imputent la responsabilité à des marchandes dont leur étalage occupe une bonne partie de la chaussée. Quant aux paramètres fixés par le questionnaire à savoir: trop de personnes ou trop d'automobiles dans l'aire métropolitaine seulement 14.58% croient à l'augmentation de la population et 8.34% pensent de préférence aux véhicules qui sont trop nombreuses. (Voir histogramme #1)

Hist #1

(Hist. #1)

TV : Trop de véhicules AP : Augmentation de population

ECIC: Etalage des marchands - Indiscipline des chauffeurs et Carence en infrastructures routières

Voulant trouver le type de tap-tap qui serait approprié à l'augmentation de la demande de mobilité des usagers dans une Port-au-Prince où la population s'agrandit d'année en année, nous avons formulé la question numéro deux (2) qui met en rapport la capacité d'acceuil et les types de tap-tap: 77.08% des enquêtés révèlent que le «tap-tap kazèn» (Batiman) est le type qui a la capacité d'accueillir le plus grand nombre de passagers et 10,42 pensent que c'est le "Kanntè", 6.25% disent que cela dépend, 4.16% croient que c'est le « tap-tap yole » et 2.09% pensent que c'est le "kokorat". (Voir histogramme #2)

(Hist.#2)

Ko: Kokorat CD: Cela Dépend Ka: Kazèn

Yo: Yole Kan: Kanntè

Voulant confirmer les réponses à la deuxième question, les questions numéros 3 et 4 sont élaborées en faisant appel une fois de plus aux types de tap-tap, à la rentabilité, à l'embouteillage et au confort, les réponses à la troisième question dégagent les pourcentages suivants: 61.41% affirment que le tap-tap kazèn est le seul à pouvoir garantir aux chauffeurs le gain financier de la journée de travail en dépit des difficultés d'ordre socio-infrastructurel, 14.59% pensent que cela dépend, 6.25% croient qu'avec le "Bwafouye" le chauffeur peut tirer beaucoup plus de profit, 6.25% choisissent au contraire le "Yole", 6.25% s'abstiennent, 4.16% pensent qu'avec le Kanntè les choses vont mieux et 2.09% voient le taxi comme le plus sûr moyen de tirer du profit.

(Voir histogramme #3)

(Hist. #3)

Ta: Taxi Kan: Kanntè Yo: Yole

Bwa: Bwafouye CD: Cela Dépend Ka: Kazèn

Néanmoins, la quatrième question axée sur le pourquoi des préférences, nous a amené à considérer les réponses majoritaires spécifiques de chaque catégorie de chauffeurs. Ceci est pour pouvoir tirer au clair l'élément explicatif de la tendance qui laisse apparaître le "Kazèn" comme le tap-tap avec la plus grande capacité d'accueil et le plus rentable. 38.46% des chauffeurs "Yole" interrogés pensent que l'embouteillage ne constitue pas un obstacle au profit que le conducteur "Kazèn" devait en tirer pendant la journée de travail, 7.69% croient que le "Yole" est le "tap-tap" qui se comporte le mieux face à l'embouteillage, contrairement à 7.69% qui voient dans le "Bwafouye" le meilleur tap-tap qui puisse permettre aux chauffeurs de résister à l'embouteillage, 23.07% s'abstiennent, 23.07% déclarent que cela dépend.

(Voir histogramme #4)

(Hist. #4)

ENOY: L'Embouteillage N'est pas un Obstacle pour le Yole

ENOB: L'Embouteillage n'est pas un Obstacle pour leBwafouye

Abs : Abstention CD: Cela Dépend

ENOKA: L'Embouteillage N'est pas un Obstacle pour le Kazèn

Quant aux chauffeurs "Kazèn" (Batiman) 66.66% sont modestes à penser que cela dépend; c'est-a-dire il y a d'autres paramètres qui peuvent intervenir pour rendre profitable n'importe quel type de "tap-tap" en dépit de son inconfort et de l'embouteillage de la circulation, 11.11% pensent qu'avec le "Yole" le profit est redoutable en raison de la confiance que les usagers placent dans son confort et 22.23% s'abstiennent d'attribuer la raison pour laquelle ils ont répondu d'une façon ou d'une autre à la troisième question.

(Voir histogramme #5)

(Hist.#5)

CoYo: Confort du Yole Abs: Abstention CD: Cela Dépend

Pour les chauffeurs "Bwafouye", 40% pensent que le "Kazèn" est un défi à l'embouteillage quand on le compare au profit tiré durant la journée de travail, 20% pensent qu'il est rentable à cause de son confort et 40% s'abstiennent de répondre. (Voir histogramme #6)

(Hist.#6)

CoKa: Confort du Kazèn Abs: Abstention

ENOKa: l'Embouteillage N'est pas un Obstacle pour le Kazèn

Les chauffeurs de "Rachepwèl" à 75% pensent que le "Kazèn" est le plus rentable, mais ils sont seulement 25% à dire que sa rentabilité découle du fait que l'embouteillage ne constitue pas pour lui un obstacle, 50% s'abstiennent de donner la vraie raison et 25% croient que le "Yole" est le meilleur et ceci à cause de son confort. (Voir histogramme #7)

(Hist.#7)

CoYo: Confort du Yole

ENOKA: l'Embouteillage N'est pas un Obstacle pour le Kazèn

Abs: Abstention

Pour leur part, les chauffeurs de "Kokorat" à 33.33% pensent que le "Kazèn" permet aux chauffeurs de tirer du profit à cause de son confort, 33.33% se réfèrent de préférence au "Bwafouye" et ceci c'est parce qu'il peut affronter l'embouteillage et les autres 33.33% s'abstiennent. (Voir histogramme #8)

(Hist.#8) CoKa: Confort du Kazèn

ENOBwa; L'embouteillage n'est pas un Obstacle pour le Bwafouye Abs: Abstention

Enfin, les chauffeurs de tap-tap n'ayant pas encore un nom venant de la culture populaire (TSNP) sont à 92.85% unanime à penser que le "Kazèn" est le tap-tap le plus rentable. Cependant, 21.43% préfèrent le «tap-tap kazèn » parce que, selon eux, quand on est conducteur d'un kazèn l'embouteillage de la circulation n'est pas un obstacle au profit qu'on peut tirer pour la journée de travail; 64.28% le préfèrent à cause de son confort et le dernier soit 7.15% s'abstiennent de dévoiler les raisons de leur préférence et 7.14% croient que dans l'enceinte du "bwafouye" les usagers se sentent plus à l'aise. (Voir histogramme #9)

(Hist.#9)

CoBwa: Confort du Bwafouye Abs: Abstention

ENOKa: L'Embouteillage N'est pas un Obstacle pour le Kazèn

CoKa: Confort du Kazèn

La cinquième et dernière question conçue pour déceler le sort réservé au «tap-tap bwafouye» nous conduit à mettre en relation la conviction des chauffeurs quant à leur choix et le type de «tap-tap approprié.» 64.58% ont eux-mêmes choisi d'acheter, à la place du bwafouye, un autre type, 22.91% déclarent que s'ils ont de l'argent pour se procurer un véhicule destiné au transport en commun ils achèteront un bwafouye et 12.50% s'abstiennent de répondre directement à notre directive en disant: «cela dépend». (Voir histogramme #10)

(Hist.#10)

YL: Yon lòt Bwa: Bwafouye Abs: Abstention

7.4- ANALYSE ET PERSPECTIVES (Recommandations)

Les recherches et les données de l'enquête font, une fois de plus, ressortir l'inadéquation entre le système de transport collectif, la demande de mobilité et la mauvaise organisation de l'espace port-au princien, là où le désordre devient normatif jusqu'à marquer de son empreinte la quasi totalité des institutions sociales. Dans ce contexte, les relations: homme/homme, homme/institutions, homme/société ont le poids d'une surcharge pesante, dans le bon fonctionnement de l'aire métropolitaine, et entrainent l'effondrement de l'espace réel des formes de transactions sociales. En conséquence, la mobilité sociale, le déplacement, l'échange et la solidarité deviennent, en peu de mots, synonyme d'une mauvaise éducation qui prive la société entière de tout projet de bien être collectif capable de conscientiser le citoyen, freiner le désordre et ramener l'ordre indispensable au développement de l'humain. Cela renvoie, ipso facto, à une forme du social où tout se réalise dans une parfaite harmonisation et dans le respect des normes établies. «L'ordre peut ainsi être associé à une rationalité formelle, à une prédominance des normes, entravant sinon excluant toute fantaisie et tout esprit inventif. Toutefois, il peut en même temps être associé à la discipline qui fait la force par opposition au désordonné (...). L'ordre peut aussi évoquer l'effort entrepris pour instaurer une cohérence collective» (L. Voyé et J. Rémy, 24,1981)

A ce niveau se pose la problématique générale du lien entre espace et vie sociale; lien qui «prend tout son poids à partir du moment où l'on s'interroge sur la ville» (ibid p.10). En effet, lieu d'agglomération par excellence, la ville en soi porte le projet du dynamisme de développement qui fait intervenir des facteurs de liaison tant sociaux que culturels suivant une rationalité formelle et dans l'intérêt collectif. C'est ce qui fait défaut à notre société et les chauffeurs sont d'avis à le reconnaitre. A Port-au-Prince, le transport en commun, un des facteurs de liaison indispensable à la structure du dynamisme de développement de la ville, interagit difficilement avec les autres facteurs. Ce qui provoque une dislocation dans l'articulation socio-administrative voire culturelle de Port-au Prince. En ce sens, la vie sociale à Port-au-Prince se déroule sur fond d'un «dysfonctionnement dynamique». C'est à dire, tous les facteurs indispensables à son bon fonctionnement sont en interaction non pas pour contribuer à une évolution socioculturelle ordonnée et planifiée, en adéquation au développement infrastructurel, mais pour freiner sinon anéantir le progrès dans presque tous les domaines. Ce type de fonctionnement aléatoire conduit donc à des résultats cosmétiques, c'est-à- dire éphémères, apparents et sans grande importance. En conséquence, toutes les activités se trouvent, dans ce contexte, circonscrites dans ce «dysfonctionnement dynamique». Nul n'a besoin d'être un spécialiste dans la question urbaine pour se rendre à l'évidence.

D'ailleurs le groupe des chauffeurs auprès duquel nous avons recueillis certaines données appartient à la catégorie de ceux-là qui dans la société haïtienne savent écrire à peine leur nom et effectuer les quatre opérations.

Pourtant à analyser leur point de vue on se rend compte que Port-au-Prince ne répond pas aux normes du transport collectif urbain. Les moyens de transport collectif laissent à désirer. Du minibus bwafouye, en passant par le yole, le rachepwèl, le kokorat jusqu'au kazèn les chauffeurs admettent l'inappropriation de ces différents types de transports collectifs.

Contrairement à ce qu'on aurait cru, ils ne pensent pas que ce soit normal de transporter des passagers, dans l'inconfort et le non-respect. Ce qui en partie remet en question notre deuxième hypothèse de travail à savoir que : Plus le véhicule facilite le transport d'un nombre excessif de passagers au voyage, plus cela rapporte au chauffeur sans égard pour le poids du véhicule, sa capacité d'accueil et sa capacité de résister à la surcharge.

En réalité, le chauffeur de tap-tap est un professionnel du volant qui gagne quotidiennement sa vie à l'aide du transport des passagers qui lui paient au trajet. Par conséquent, plus ils transportent de passagers, plus il gagne, ou du moins plus il lui est possible de faire des voyages durant la journée, plus son activité est payante. Malheureusement l'embouteillage de la circulation ne facilite pas des «voyages tap-tap» (entendons par là la fulgurance) pouvant lui garantir la rentabilité espérée. C'est sans nul doute cette dernière qui pousse les chauffeurs à préférer les tap-tap à grande capacité d'accueil. Selon eux en dépit des difficultés du système de transport seuls les véhicules à grande capacité d'accueil peuvent répondre à leur attente et satisfaire la demande croissante de mobilité dans l'aire métropolitaine.

Par contre, au cours de l'enquête, notre bref entretien avec les chauffeurs fait remarquer que le kokorat et le rachepwèl ne sont pas trop considérés quoiqu'au niveau de la «conception », leur capacité d'accueil est très grande comparée à celle du bwafouye et du yole.

(Voir tableau #5)

Tableau #5

Capacités d'accueil normal et excessif des différents types de tap-tap

TYPES DE TAP-TAP

CAPACITE D'ACCUEIL (Nbr. De passager/type)

NORMALE

EXCESSIVE

Bwafouye

20

25 - 30

Yòl

15

25 - 28

Kokorat

*C.A.F

35 - 50

Rachepwèl

#C.A.F

28 - 35

Kazèn

44

90 - 100

* Conçu à d'autres fins.

# le rachepwèl est le «Pick-up» dépourvu de carrosserie locale. Quand il en est pourvu, on le désigne sous le nom de camionette laquelle transporte confortablement 14 passagers

Défiant toutes les normes de confort et de sécurité le kokorat et le rachepwèl s'inscrivent dans la logique du désordre institutionnalisé de la ville de Port-au-Prince et du système socio-économique. Un désordre caractérisé par:

· l'indiscipline des chauffeurs qui font des arrêts au beau milieu de la route,

· l'étalage des marchandises qui occupe la chaussée,

· des tas d'immondices jetés sur la chaussée au grand mépris du service de la voirie,

· des matériaux de construction déposés sur la chaussé par des particuliers qui ignorent tout des lois de l'urbanisme, lesquelles n'existent absolument pas pour eux.

· des nids de poule provoqués par des travaux inachevés de la CAMEP, des T.P.T.C, de la TELECO

· le non-respect et la carence des panneaux de signalisation routière;

· l'exiguité des principaux axes de circulation.

Tous conscients de cet état de fait, les chauffeurs croient que la surpopulation de l'aire métropolitaine ne pouvait à elle seule bloquer sinon rendre boiteuse la circulation automobile et le transport collectif. Cependant peut-on oser croire que leur attitude soit le signe d'une parfaite connaissance des conflits d'intérêts auxquels fait face la ville ou le signe d'une claire compréhension des contradictions de l'espace en question?

De toute façon, l'indiscipline des chauffeurs dénoncée par des chauffeurs prouve que si la ville de Port-au-Prince était régie par des normes d'urbanisme, de transport collectif et de circulation, ils s'en accommoderaient.

Ici, nous ne voulons pas dire que, dans ces domaines là, il n'ait jamais eu de dispositions légales qui réglementent le bon fonctionnement de Port-au-Prince. Tout au contraire, nous en avons recensé des Lois, des Décrets et des Arrêtés qui sont (malgré leur ancienneté) le témoignage du souci et de la volonté qu'ont eu des dirigeants, d'une certaine époque, à prévenir ou à guérir des maux causés par l'évolution de la situation sociodémographique de Port-au-Prince. Les plus pertinentes, de ces dispositions qui se situent dans le cadre du mémoire se trouvent en annexe II.

Bien entendu, sans chercher à faire connaitre à fond les détails de ces Lois, Arrêtés et Décrets, nous pensons que leur actualisation et application ne pouvaient empêcher des chauffeurs d'avoir une attitude anomique. Cependant, face au consensus social qui en serait dégagé entre les institutions et la société, les anomiques se verraient contraints à accepter le minimum ou à se socialiser. D'où l'importance d'une totale réorganisation de l'espace port-au-princien en accord à une législation appropriée.

Là il s'agirait de mettre de l'ordre dans le désordre qui règne à Port-au-Prince. Ordre indispensable au bon fonctionnement de la circulation et du transport et, qui ne peut-être établi que dans la mesure où les chauffeurs et les différentes instances concernées acceptent à se faire violence en respectant les limites définies. Cela ne signifie pas qu'il doit y avoir affrontement physique de part et d'autre. Mais de préférence un accord sur fond de concessions tenant compte des différents paramètres sociodémographiques et économique de l'aire métropolitaine; accord qui par conséquent aura force de loi à laquelle les chauffeurs de transport collectif, les usagers et instances concernées auront à se soumettre. Cette forme d'accord obtenu, malgré soi et pour soi, au profit de la collectivité, s'apparenterait à ce que L. Voyé et J. Rémy qualifient de «violence symbolique.»

« Si comme toute violence, celle-ci suppose un rapport d'imposition et de contrainte, sa qualification de symbolique signifie qu'il s'agit d'une violence ne passant pas par l'exercice d'une force physique mais bien d'une violence agissant généralement à partir du consensus implicite qu'y apportent ceux qui y sont soumis; ce consensus découle lui même du processus de socialisation, lequel conduit à considérer comme normales, voire comme naturelles, des situations qui sont, en fait des constructions sociales. Sans être d'ordre physique, la violence symbolique a elle aussi pour effet d'imposer une possibilité et d'exclure les autres, en ce sens que seule la possibilité retenue est proposée socialement comme allant de soi et comme valable ». (L. Voyé, J. Rémy, 1981,21)

Cette possibilité à imposer est celle qui fait défaut à la société haïtienne et au bon fonctionnement de l'aire métropolitaine. Dès lors l'anarchie s'impose et est devenue possibilités. Dans ce contexte, toutes les possibilités sont bonnes. Il suffit qu'elles soient profitables à une minorité au détriment des autres. Cette logique traverse tous les domaines et affecte la vie sociale du port-au-princien qui pour survivre et vaquer à ses occupations s'adapte au désordonné.

L'usager comme le chauffeur se conforment à l'inconfort du système de transport. D'un côté c'est le besoin nécessaire et indispensable de se déplacer, de l'autre le besoin encore nécessaire et indispensable du «gagne-pain». Deux besoins pour une seule et même logique: la survie. C'est ce qui explique que sans le transport collectif, Port-au-Prince serait non conviviale. En effet, en dépit des difficultés du système de transport collectif, la demande croissante de mobilité se fait sentir de jour en jour « il y a, chaque jour environ 1.000.000 de déplacements motorisés de personnes qui entrent et qui sortent du centre ville, dont 80% en transport collectif.

"(...) Selon les estimations nécessairement grossières qu'on peut faire le nombre de déplacement pourrait être multiplié par un coefficient entre 2 à 3 dans les dix prochaines années. Le système de transport collectif actuel ne permettra pas d'absorber assez rapidement cette demande.»56(*)

Alors on peut comprendre pourquoi des types de transport comme le kokorat et le rachepwèl intègrent déjà le système.

A observer la rapidité de leur fréquence de passage sur tous les circuits du réseau routier de l'aire métropolitaine (particulièrement Carrefour) on croirait qu'ils iraient supplanter le bwafouye qui financièrement coûte plus cher à son propriétaire et qui, ensuite, en terme de capacité d'accueil, reçoit moins de passagers quoi que plus confortable. A ce propos nous avons erré en pensant que:

Le minibus bwafouye, moyen de transport collectif et générateur d'emplois avec les problèmes de circulation, ses problèmes de confort, de capacité d'accueillir un grand nombre de passagers - ne pourra pas résister, longtemps encore, à la concurrence des autres moyens de transport collectif et à l'assaut des contradictions de Port-au-Prince où l'urbanisation est vertigineuse.

Pour une part cette hypothèse semble être vraie. Cependant, le bwafouye ne va pas disparaitre au profit du kokorat et du rachepwèl. Il sera certes substitué, lentement, par des modes de transports plus confortables dont leur capacité d'accueil serait considérablement grande, comparée à celle des tap-tap actuels. C'est ce que laisse apparaitre le résultat de l'enquête menée auprès des chauffeurs. Justement, ces derniers n'entendent pas laisser tomber le bwafouye parce qu'il est moins confortable que le kazèn, mais c'est surtout parce qu'il ne répond pas à la demande de mobilité et prend beaucoup plus de temps à satisfaire leur attente pécuniaire pour une journée de travail. La concurrence des tap-tap pour les chauffeurs doit se situer seulement au niveau du kazèn et du bwafouye. Les autres, particulièrement le kokorat et le rachepwèl, ne sont pas des moyens commodes, à leur avis, pour transporter des passagers.

Somme toute, la concurrence entre kazèn et bwafouye est déloyale quand on sait que le premier est un véhicule d'occasion importé (de deuxième main comme on dit cheznous) contrairement au second dont le chassis et l'ensemble des parties mécaniques et techniques viennent de l'étranger flambant neuf.

Ceci dit, l'autobus kazèn débarque à Port-au-Prince, la plupart du temps, quand il a fini de parcourir tout le milléage souhaité par le fabricant. Ainsi à longueur de journée, au cours du trajet, le kazèn tombe en panne. La situtation est la même pour le kokorat et le rachepwèl qui une fois en panne entravent la circulation et paralysent toutes les activités du jour. Cela n'a pas empêché qu'ils soient quotidiennement très remaquables sur les circuits du réseau routier de l'aire métropolitaine.

Beaucoup moins coûteux à l'achat que le bwafouye; le kazèn, le rachepwèl et le kokorat offrent à des particuliers la possibilité de se soustraire du lot des chômeurs. Ce que le Sociologue C. Souffrant qualifie de «grappillage urbain». A bien comprendre son point de vue cette situation ne saurait être autrement; puisque: «la croissance démographique et l'expansion territoriale de cette capitale s'accélèrent. Cette urbanisation galopante se produit sans industrialisation correspondante, sans demande industrielle autre que celle de rares industries de sous-traitance (...) Aussi les vagues d'immigration rurale qui gonfle la population port-au-princienne ainsi que les promotions successives de bacheliers des écoles secondaires et des finissants des écoles supérieures viennent-elles se briser à un marché de l'emploi pratiquement vide.

"(...) Ce marché haïtien du travail serait mieux nommé marché du chômage. "(C. Souffrant, 1995, 66)

Telles sont les contradictions de la ville de Port-au-Prince auxquelles fait face le transport collectif. Le bwafouye, pour ainsi dire, ne peut à lui seul supporter les assauts de l'urbanisation de Port-au-Prince. Il se trouve dans sa tâche aidé par d'autres véhicules à la fois adaptés et inadaptés au transport collectif et qui en termes technique et mécanique sont quasiment dysfonctionnels.

En dépit de tout ils participent grandement à la mobilité qui est d'une extrême importance pour la vie sociale qui se déroule à l'intérieur de Port-au-Prince. Une mobilité qui, dans les années à venir comparée avec le processus d'urbanisation tel qu'il est actuellement à Port-au-Prince, connaitra une tendance nettement à la hausse. Le contraire serait préjudiciable. D'ailleurs « (...) la baisse de mobilité traduit une marginalisation croissante de populations repliées sur leur domicile ou ce qui en tient lieu. Elle traduit un appauvrissement des relations sociales et des opportunités de contact qui relèvent d'une dynamique de progression économique et sociale. Bref, la baisse de mobilité traduirait un enfermement dans le cercle vicieux de la pauvreté, ainsi que l'accroissement des inégalités sociales, phénomènes qui peuvent difficilement être acceptés comme durables». (X. Godart, 1994, 11).

En conséquence, si Port-au-Prince avec ses problèmes actuels devrait assister à une baisse de la demande de mobilité ce serait le signe avant coureur d'une hécatombe socio-économique.

Cela ne veut pas dire que tout est bien actuellement. D'ailleurs la façon dont sont transportés les passagers prépare déjà les consciences à accepter des catastrophes de tout ordre.

N'est-il pas encore temps de les prévenir? De toute façon si rien n'est fait pour corriger les failles du système de transport; le déséquilibre entre la demande de mobilité et les moyens de transport s'accentuera jusqu'à assister à l'émergence d'autres types de moyens de transport encore plus inappropriés que le kokorat et le rachepwèl.

Les classes dirigeantes de ce pays doivent manifester la volonté réelle de planifier globalement l'urbanisation.

Dans cet ordre d'idées, il faut penser au réaménagement des espaces urbains de la société haïtienne à travers une nouvelle politique de peuplement et de décentralisation. En conséquence, l'urbanisme comme mise au point de normes d'habitabilité des bâtiments et de distribution spatiale doit avoir force de loi. L'application de cette nouvelle politique suppose:

Premièrement: La déconcentration de certaines zones résidentielles, la création de nouveaux quartiers, la fixation d'un nombre déterminé d'habitants au kilomètre carré (hab./ km2 ), la redéfinition des conditions d'hébergement d'une tierce personne en milieu urbain, l'application de la scientificité dans le domaine de la construction, l'édification d'espaces commerciaux selon un nombre déterminé de résidents par zone, l'interdiction formelle aux véhicules immatriculés privé, organisation internationale, corps diplomatique, corps consulaire, de pénétrer dans les espaces commerciaux, l'interdiction aussi formelle à des types de véhicules publics de circuler dans des espaces réservés à l'administration et à la récréation, l'édification de parking publics adjacents à chaque zone résidentielle et à chaque espace commercial, le blocage d'accès de l'aire métropolitaine aux tap-tap des villes de province en établissant des gares routières en dehors de la périphérie de l'aire métropolitaine, l'établissement d'une ligne spéciale de tap-tap de liaison entre les gares routières et les différentes zones résidentielles de l'aire métropolitaine

Deuxièmement : l'institutionnalisation des instances des collectivités territoriales prévues par la Constitution de 1987, la décentralisation de l'autorité de l'État, la délégation effective du pouvoir d'Etat. De ce fait, les Municipalités - en liaison avec les directions régionales du Ministère des Travaux Publics Transports et Communication, du Service de la Circulation des Véhicules, du Service de la Signalisation Routière, du Service de l'Office Assurance des Véhicules Contre-Tiers - feront appliquer dans leur commune respective, les normes découlant du consensus social en matière d'urbanisme, de transport collectif et de circulation. Ces normes s'imposeront aux institutions comme aux citoyens de la République qui respectivement doivent s'y soumettre.

CONCLUSION.

Il est évident que la capitale d'Haïti, conçue à la fin du 18è siècle pour accueillir près de cent mille (100,000) habitants, se trouve aujourd'hui, en matière de population, comparable aux villes millionnaires de l'occident urbanisé. A l'instar des capitales du Tiers-monde elle absorbe plus de 50% de la population urbaine du pays. La massification urbaine, en réalité, comme a dit C. Souffrant, n'est constatée que dans la seule ville de Port-au-Prince qui compte actuellement plus de 1 500 000 habitants. Cela se comprend, car, comparée aux villes de province elle apparait plus proche de la modernité; bien que cette modernité ne voile même pas les traits primitifs de la société haïtienne plus rurale qu'urbaine. Géographes et Sociologues haïtiens sont d'avis à le reconnaitre. En effet, le géographe E. Bernadin en l'année 1991 écrivait déjà: « La population haïtienne s'est accrue de 1.6% l'an de 1950 à 1971, de 1.4% de 1971 à 1982 date du dernier recensement.

« Elle se répartit inégalement entre le milieu rural (72%) et le milieu urbain (27%). Avec les 72% de sa population qui se concentrent dans les zones rurales Haïti détient le pourcentage de population rurale parmi les plus élevés du monde.» (E. Bernadin, 1991,309). C'est sans nul doute ce qui pousse le sociologue C. Souffrant à parler d'Haïti comme étant « (...) une société rurale en cours d'urbanisation». (Souffrant, 1995,47) Contrairement aux villes de l'occident où l'urbanisation est liée à la structure industrielle et où la planification est prédominante, Port-au-Prince est plongée dans une improvisation qui rend la vie sociale aléatoire. L'anarchie, en conséquence, devient la règle et tout fonctionne arbitrairement juste pour assurer la survie. C'est dans ce contexte que le transport collectif évolue. Implanté à Port-au Prince à la fin du XIX siècle, il fut assuré, dans un premier temps par des buss et buggys dont des chevaux activaient, par la suite en 1896 par des tramways qui eux-mêmes ont été actionnés à l'aide de la vapeur et plus tard, soit le 27 Mars 1913 par l'autobus à traction mécanique mieux conçu et plus rapide.

Cependant, on devait attendre 1928 pour assister tant soit peu, dans Port-au Prince à l'organisation d'une vraie ligne de Taxi.

Depuis, les résidents de Port-au-Prince pouvaient se déplacer plus facilement et atteindre leur destination beaucoup plus rapide. Une rapidité qui dans le vécu haïtien se résume par l'expression tap-tap (action accomplie en un clin d'oeil). L'autobus à moteur devient ainsi synonyme de tap-tap.

Mais aujourd'hui, cette expression tend à perdre sa vraie signification quand on tient compte de l'embouteillage de la circulation provoqué par: l'indiscipline des chauffeurs, l'étalage de marchandises à même la chaussée dans les zones de marché, des tas d'immondices jetés sur la chaussée et/ou apportés par des averses, l'occupation des trottoirs par des cahutes, le dépôt des matériaux de construction sur la chaussée, les nids de poules créés par les travaux inachevés de la CAMEP et de la TELECO...

En dépit de tout, comme on peut le remarquer, tap-tap passe d'une simple expression langagière à un concept qui renvoie à des types de moyens de transport collectif, circulant dans Port-au Prince, dont le bwafouye en est un. De l'avis des chauffeurs, comparativement au rachepwèl et au kokorat, le bwafouye est très commode, il reçoit plus de passagers que le yole et offre plus de garantie mécanique que le kazèn.

Si financièrement, le bwafouye coûte plus cher à son propriétaire, en raison de ses conditions d'importation, mécanique et surtout de sa carrosserie locale, il n'est pas trop différent des autres en ce qui concerne la condition dans laquelle il transporte des usagers. Aux heures de pointe il transporte comme eux un nombre d'usagers nettement supérieur à sa capacité d'accueil. Des heures de pointe qui pour les chauffeurs et usagers sont à exploiter dans toute leur grandeur car depuis plus de dix ans avec le phénomène de l'insécurité Port-au-Prince ne connait plus la vie nocturne. Voilà encore un des paramètres du taux de chômage et de l'embouteillage enregistrés à Port-au-Prince. La vie sociale est bousculée et coincée, puisque l'intervalle temps est incorrect. L'usager est obligé de se soumettre au caprice du chauffeur qui la plupart du temps, pour fuir l'embouteillage et gagner plus d'argent, ne respecte guère le circuit imposé. D'un air méchant et sur un ton arrogant, il allègue n'importe quoi pour refuser aux usagers de monter à bord. L'usager voyage, de ce fait, dans l'indifférence sociale ou dans la plus grande incommodité. Cela peut se comprendre, car Port-au-Prince n'a pas les infrastructures pour accueillir ce déferlement de ruraux qui viennent annuellement grossir sa population, bidonvilliser ses périphéries, augmenter l'effectif de ses chômeurs et amplifier sans cesse, à tous les niveaux de la vie sociale, la gamme des besoins. Ces dernières années, en effet, pour répondre, d'une part, à la demande croissante de mobilité, et d'autre part, à l'idée de se soustraire du lot des chômeurs des particuliers incorporent la motocyclette dans le système du transport collectif. Ce phénomène qualifié «Asiatisation», par les spécialistes en matière de transport, est en pleine expansion à Port-au-Prince et, se fait à l'insu de toute norme légale. Aussi, Port-au-Prince assiste, un peu partout, depuis quelques années, à la transformation de certains circuits privés en circuits de transport collectif. L'improvisation et l'informel deviennent, pour ainsi dire, les règles organisationnelles de la société port-au-princienne.

Dans ce contexte, des problèmes cuisants de sanitation, de logements, d'électricité, d'eau potable, d'insalubrité, de circulation et de transport caractérisent la vie sociale à Port-au-Prince. En d'autres termes, l'aire métropolitaine qui inclut : Carrefour, Delmas, Pétion-Ville, Croix des Missions (et pourquoi pas à la limite Gressier et Léogane) évolue sans aucun plan d'urbanisme et de circulation.

Ainsi, le voyage au moyen de transport collectif à l'intérieur de Port-au-Prince se réalise en marge des progrès scientifiques enregistrés dans le domaine de la technologie automobile et de la circulation. Ce qui renforce d'avantage le minibus bwafouye, malgré son dépassement, comme moyen de transport collectif. Néanmoins dans sa conception et sa fabrication, il amorce, comme pour paraphraser C. Souffrant, une dialectique des aspirations et des frustrations en participant d'abord au déplacement quotidien de centaines de milliers d'usagers et ensuite en procurant à un large éventail de «chômeurs déguisés» le primum vivere. L'État haïtien, en ce sens, via les instances concernées, devait se pencher sur la problématique du bwafouye tout en statuant sur les questions de l'urbanisation et du transport collectif à Port-au-Prince. Des questions de grande importance pour le bon fonctionnement et le développement de la capitale d'Haïti qui ne saurait continuer à évoluer en marge de la scientificité et d'un consensus social lesquels doivent déboucher inévitablement sur une législation du social et du culturel, l'éducation civique de l'homme haïtien et la socialisation du nouveau port-au-princien.

En conséquence, le système de transport collectif urbain de l'aire métropolitaine ne sera pas, à cause de la surpopulation, improvisé et inadapté; mais sera de préférence agencé à un processus d'urbanisation planifié où l'aléatoire n'aura plus sa place. Aussi, la vie sociale de l'aire métropolitaine sera très conviviale parce que dépourvue de l'aléatoire qui, selon les sociologues L. Voyé et J. Rémy, traduit l'instant et non la durée. Alors, le bwafouye, mode de transport collectif «dépassé», ne sera ni concurrencé par d'autres véhicules non conçus à cette fin, ni hanté par le spectre d'une substitution déloyale et inappropriée. Il sera plutôt impliqué, en dépit de sa capacité d'emploi et de son originalité, dans un processus de transition ou de changement social qui ne va pas peut-être lui assurer de continuer à circuler sur les boulevards du temps qui vont s'élargissant avec le processus d'urbanisation planifié ou non-planifié.

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1) ANDRE Eddy, «Imaginez Port-au-Prince sans les embouteillages... la cause de nos malheurs», Le nouvelliste, 15 avril 1996, p.9

2) ANDRE Eddy, «Le plan directeur de la circulation de Port-au-Prince quel sort?», Le nouvelliste, 4 août 1997, p.10

3) CHARLIER André, « Au sujet des transports publics », Haïti en marche vol. IX # 18, Miami, 14 juin1995, pages 3 & 9.

4) CHARLIER André, « Les transports en Haïti, route ou cabotage?», Haïti en marche vol. IX # 22, Miami, 12 juillet 1995, pages 3&9.

5) DELLILE Jean, « Blocage et blocus », Haïti en marche vol. IX # 30, Miami, 12 juillet 1995, pages 1 & 3.

REVUES

1) DERONCERAY Hubert, Les cahiers du CHISS, Presses Nationales d'Haïti, Port-au-Prince, décembre 1971, pages 9-18.

2) GODART Henri, Port-au-Prince: Macrocéphalie urbaine et organisation spatiale interne, conjonction # 173, avril 1987, pages 82-108.

3) HOURY J. Michel, «Analyse du réseau de transport public sur Port-au-Prince», Conjonction # 119,1973, pages 37-40.

BROCHURES

1) PAQUIN Lyonel, Les tap-tap haïtiens (1000 messages et slogans), s.l, 1987.

2) WARGNY Christophe et DUVAL J. Marie, En Haïti où les tap-tap roulent pour Dieu, s. l, 1993.

DOCUMENTS OFFICIELS

1) Institut Haïtien de Statistique et d'Informatique (IHSI), Tendances et perspectives de la population d'Haïti au niveau régional (Département, arrondissement et commune 1980-2005), Haïti, 1992.

2) Institut Haïtien de Statistique et d'Informatique(IHSI), Indicateurs sociodémographiques, Port-au-Prince, 1996.

3) Coordination des Unités techniques de Planification et de Programmation (Ministère des Travaux publics Transport et Communication) Diagnostic sectoriel, Janvier 1997.

4) UNITED NATIONS, Urban transport development with particular reference to developing countries, New York, 1989.

ANNEXE I

LE QUESTIONNAIRE

1) Selon ou menm, zafè blokis nan Pòtoprens espesyalman nan kafou kisa kilakòz :

eske se twòp moun,

oubyen twòp machin

2) Sou wout kafou genyen divès machin trafik : selon ou menm, kilès ki pote plis moun? Bwafouye

Rachepwèl

Kokorat

Yole

Kazèn( gwo bisjòn)

3) Selon ou menm, kilès nan machin sa yo wou panse menm lè ou pa fè anpil voyaj kap pèmèt ou fè plis kòb?

Bwafouye

Rachpwèl

Kokorat Yole Kazèn( gwo bisjòn)

4) Eske, selon ou menm, pa ta genyen lòt rezon tankou

Blokis pa fè l pè Pasaje santi yo pi alèz

5) Si w ta genyen pou achte yon machin : ant yon bwafouye, ke w depanse lajan ou fè, ak yon lòt machin tou fèt tankou sa nou sot site la yo saw tap chwazi?

Bwafouye

Yon lòt.

ANNEXE II

REFERENCES

DE

DISPOSITIONS LEGALES

(Lois, Décrets et Arrêtés réglementant l'urbanisme et la circulation automobile les plus pertinents retenus dans le cadre de notre travail)

1) La Loi du 29 mai 1963 établissant les règles spéciales relatives à l'habitation et à l'aménagement des villes et des campagnes en vue de développer l'urbanisme, (Publiée dans le moniteur #51 du 6 juin 1963),

2) L'Arrêté du 10 février 1952 établissant les différentes catégories de transport et organisant sur de nouvelles bases le transport en voiture à Port-au-Prince, Pétion-Ville, Kenscoff et les environs, (Publiée dans le moniteur #28 du 24 mars 1952),

3) Le Décret du 27 décembre 1976 instituant dans le cadre des TPTC un organisme autonome, d'Etudes, de contrôle et de planification dénommé: « Service Autonome des Transports » (Publié dans le moniteur #6 du 20 janvier 1977),

4) Le Décret du 2 décembre 1972, créant un organisme autonome dénommé « Service d'Entretien Permanent » du réseau national (Publié dans le moniteur #15 du 13 mars 1972),

5) Le Décret du 23 mars 1976, créant dans le cadre du département des TPTC un organisme public autonome dénommé: Service de Signalisation Routier (Publié dans le moniteur #24 du 29 mars 1976),

6) Le Décret du 25 septembre 1967 créant l'Office Assurance Contre Tiers et le confiant à un service autonome. (Publié dans le moniteur #84 du 28 septembre 1967),

7) La Loi du 18 septembre 1953 assurant un contrôle rigoureux de la circulation des véhicules et accordant la plus large garantie de sécurité au public (Publiée dans le moniteur #89 du 26 septembre 1953),

8) La Loi du 17 août 1961 modifiant la loi du 4 décembre 1959 sur l'enregistrement de la circulation des véhicules (publié dans ce moniteur #81 du 24 août 1961),

9) L'Arrêté du 14 mai 1958 révisant l'arrêté du 2 août 1955 sur la circulation des véhicules afin de le mettre plus en harmonie avec les possibilités des contrevenants (publié dans le moniteur #62 du 19 mai 1958),

10) Le Décret du 27 septembre 1966 réglementant la délivrance du permis d'apprendre à conduire et modifiant la législation relative à l'obtention du permis d'apprendre à conduire (Publié dans le moniteur du 6 octobre 1966),

11) Le Décret du 28 décembre 1978 organisant et améliorant le système d'inspection des véhicules (Publié dans le moniteur #1 du 3 janvier 1979),

12) L'Arrêté du 25 septembre 1947 relatif au tarif des courses des automobiles publiques (Publié dans le moniteur #95 du 27 octobre 1947).

ANNEXE III

IMAGES

DE

CERTAINS TYPES DE TAP-TAP





* 1 IHSI, tendances et perspectives de la population d'Haïti au niveau régional (département, arrondissement et commune 1980-2005), Port-au-Prince, 1992, p.27

* 2 IHSI, Haïti: Projection de la population totale par arrondissement et par commune, Port-au-Prince 1997

* 3 Lavalin International, Plan directeur d'urbanisme de Port-au-Prince (secteur transport), septembre 1988 p.19

* A. Gélédan, Economie (l'analyse des documents et la dissertation), Librairie Classique Eugène, Paris 1986, p.13

* 4 M. Beaud, l'Art de la thèse, Edition La découverte, Paris, 1997, p.32

* 5 Coordination des unités techniques de planification et de programmation (MTPTC), Diagnostic sectoriel, janvier, 1997

* 6 Y.-H Bonello, La ville, PUF, Paris 1996, p.34, coll. Que sais-je?

* 7 P. Merlin, Les transports parisiens (Etudes de géographie économique et sociale), Robbert laffont, Paris, 1967, p.76

* 8 J. Rémy, L. Voyé, Ville ordre et violence (formes spatiales et transaction sociale), Presses Universitaire de France, Paris, 1981.

* 9 Robbert Laffont, Les transports, Paris, 1976, p.27

* 10 United Nations, Urban transport development with particular reference to developing countries, New York, 1989, p.5

When public transport services are discontinued, business and services are paralyzed (traduit par nous)

* 11 Y. Bonello, La ville, Presses Universitaire de France, Paris 1996,p.63 collection Que sais-je?

* 12 R. GHIGLIONE et B. MATALON, Les enquêtes sociologiques (Théories et pratique), Armand colin, Paris, 1978, p.11

* 13 ibid, p.144

* 14 S. Brouk, Processus ethno démographique, La population du monde au seuil du XXIe siècle, Editions Naouka, Moscou 1986, p.64

* 15 J. M Hoener, Le tiers-monde entre la survie et l'informel, L'Harmattan, Paris 1995, p.51-98

* 16 F. Asher et J. Giard, Demain la ville (urbanisme et politique), Editions Sociales, Paris 1975, p.25, 100

* 17 Y. -H Bonello, Op. Cit, pp. 33, 34.

* 18 J.P Durand et R. Weil, Sociologie contemporaine, Vigot, Paris 1978, p.296

* 19 Cité par G. Corvington, Port-au-Prince au cours des ans (La capitale d'Haïti sous l'occupation 1922-1934), Imprimerie Henri Deschamps, Port-au-Prince 1987, p.164

* 20 L. Faxas, « Dérèglementation informelle et asiatisation coopérativisation du transport collectif urbain. Le cas de Santo-Domingo, République Dominicaine », Les transports dans les villes du sud (La recherche de solutions durables), Éditions Kartala, Paris, 1994, p.156

* 21 Idem

* 22) P. LACAZE, p.8

* 23) Y.H. BONELLO, p.4

* 24) ibid, p.5

* 25) G.BURGEL, p.11

* 26) D. BAZABAS, Du marché de rue en Haïti, l'Harmattan, Paris 1997, p.26

* 27) H. Deronceray, Les cahiers du CHISS, Presses nationales d'Haïti, décembre 1971, p.12

* 28) D. BAZABAS, op cit, p.27

* 29) ibid, p.28

* 30) H. Godart, Port-au-Prince: macrocéphalie urbaine et organisation spatiale interne, Conjonction, avril 1987, numéro173, p.84

* 31) D. Bazabas, op cit, p.31

* 32) Sources combinées : Deronceray, Godart et Bazabas, op.cit.

* 33) H. Godart, op cit, p.97-99

* 34) D. Bazabas, op cit, p.36

* 35) C. Souffrant, Sociologie prospective, CIDHICA, P.94

* 36 Op.cit, IHSI, p.26

* 37 Op.cit, IHSI, p.17

* 38 Op.cit, IHSI, p.14

* 39 «Cf. P. Merlin, Les transports parisiens (Étude de géographie économique et sociale), Robbert Laffont, Paris, 1967, p.9 »

* 40 UNITED NATIONS, Urban transport development with particular reference to developing countries, New-York, 1989, p.1The drastic increase in world population is only surpassed by the rapid growth of urban population in the last 30 years. The world urban population has grown from 735 million in 1950 (29.4 per cent of world population) to over 2 billion in 1985 (39.9 per cent of world population) and is projected to be 2.952 billion by the year 2000 (48.2 percent of world population) traduit par nous.

* 41) Idem ,While in 1950, 60,0 per cent of world urban population was living in developed regions, as compared to 39.4 per cent in developing regions, the trend was reversed in the 1970s. In 1985, 849.1 million people (42.2 per cent of world urban population) were living in developed regions, as compared to 1.164 billion or 57.8 per cent in developing regions. Another significant fact is that many of the gigantic cities are located in poor developing countries with a law gross national product per capita... (traduit par nous)

* 42) For example, in 1970, Mexico city, with a population of 8.5 million inhabitants, had 650,000 private cars and about 100,000 buses, but these buses accounted for 6.8 million passengers daily or 55 per cent of the total, while private automobiles carried 2.9 million passengers or 24 per cent, and 1 million trips were made on the metro.(Traduit par nous)

* 43) Idem, it is a necessity for urban functions and it permits access to work, as well as to social amenities. When public transport services are discontinued, business and services are paralyzed. (Traduit par nous)

* 44 Ibid, p.1

The growth of urban population has brought with it severe economic and social constraints to ruban dwellers and commuters and to all concerned with urban development such as city planners, government and municipal officials (Traduit par nous)

* 45 A. Charlier, A Les transports en Haïti, routes ou cabotage?@, Haïti en marche, vol. IX # 22, Miami, 12 juillet 1995, p.3

* 46 Le prêtre Jean Bertrand Aristide élu président en décembre 1990 a passé trois ans en exil après avoir dirigé le pays de février 1991 à septembre 1991. Il est réinstallé dans ses fonctions de chef d'État, par une force multinationale le 15 octobre 1994 pour terminer son mandat à la date prévue par la Constitution le 7 février 1996.

* 47 Op. Cit, United Nations, p.1

In developing countries, where a large share of urban growth is due to the migration of rural populations to seaports and capital cities where most of the economic activities are concentrated, the issues are even more drastic since most of the migrants are living in areas that have not been orderly planned and where adequate spaces have not been reserved for transport infrastructure. In these cities, distances between living and working areas have lengthened and demand for urban and inter-urban transportation has increased. (Traduit par nous)

* 48 E. André, AImaginez Port-au-Prince sans les embouteillages...la cause de nos malheurs@, Le Nouvelliste, 15 avril 1996, p.9

* 49 Idem

* 50 A. Charlier, A Au sujet des transports publics@, Haïti en marche, vol. IX #18, Miami, 14 juin 1995, p.9

* 51 J. Dellile, « Blocage et blocus », Haïti en marche, vol. IX # 30, Miami, 12 juillet 1995, p.3

* 52 Cf. IHSI, Tendances et perspectives de la population d'Haïti au niveau régional (Département, arrondissement et commune 1980-2005), Haïti, 1992

* 53 2"x 4" le chiffre plaçé avant représente l=épaisseur en pouce et celui d=après la largeur en pouce

* 54 Coordination des Unités techniques de Planification et de Programmation (MTPTC), Diagnostic sectoriel, Janvier 1997, p.29

* 55 Op.cit, Coordination des Unités techniques et de Programmation (MTPTC), p.15

* 56 E. André, « Le plan directeur de la circulation de Port-au-Prince quel sort ?», Le Nouvelliste, 4 aout 1997, p.10






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