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La métaphore du voyage, quête et subversion de la quête chez Louis-Ferdinand Céline

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par Franck Macé
Université Paris Sorbonne - Master 1 2008
  

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b) Lola ou la fausse vertu

Il est un second procédé utilisé par Céline afin d'obscurcir l'image de l'homme: se saisir d'une vertu et la démystifier. Pour ce faire il dépeint le personnage de Lola comme un être aux apparences trompeuses dont le regard aiguisé et cynique de Bardamu dévoilera l'égoïsme. Cela est manifeste dans le roman lorsque le narrateur retrouve Lola à New York, en effet celle-ci évoque son désir d'adoption et selon le récit qu'il en fait cet acte est assimilé plutôt à un caprice de femme seule et éplorée. Ainsi en s'attaquant à l'adoption et à la maternité qui est la forme ultime de l'engagement et de l'humanité Bardamu à nouveau au contact du monde n'offre qu'une vision négative de l'homme. Ce thème majeur lui permet également de développer ses vues plus largement autour d'une certaine modernité raffinée, cristallisée à travers la haute société de New York, qui éloigne

29 L.F.Céline, lettre à Léon Daudet (1932), Voyage au bout de la nuit, Paris, La Pléiade, p.1108.

30 L.F.Céline, hommage à Zola ( 1933), Cahiers Céline, vol 1, Paris, Gallimard, 1976, p.82.

31 op. cit., p.225.

considérablement l'homme de sa base biologique, de son fondement ontologique: « Tous les ouvrages de puériculture elle les avait lus[...]ces livres qui vous libèrent si vous les assimilez entièrement de l'envie de copuler, à jamais. A chaque vertu sa littérature immonde32. ». C'est une sorte de dévoiement de la nature que souligne ici Bardamu qui malgré le fait qu'il ne soit encore que carabin est déjà fortement imprégné de considérations biologiques. Cette approche naturaliste de l'homme est l'ennemie des faux semblants, des apparences trompeuses dont l'homme use parfois afin de camoufler sa fragilité.

2)Un regard médical démystificateur

A ce stade du récit ( partie sur ses voyages) Bardamu n'est encore qu'un étudiant en médecine, pourtant dans son rapport à l'autre il agit selon les principes de la pratique médicale, celle d'observer minutieusement les faits et de révéler la vérité sur telle ou telle défaillance de l'homme, à un comportement moral indigne il propose une explication biologique; il observe puis rend son diagnostic. La connaissance des différentes manifestations physiques, des maladies et de leurs symptômes est éclairante et essentielle à ce parcours dont l'objectif est de mieux appréhender l'homme et le monde. C'est aussi faire preuve d'une lucidité courageuse et comme le précise Vitoux dans son ouvrage critique Misère et Parole c'est aussi aller au bout de la misère humaine. En effet pour le médecin que fut Céline et qui inspire l'écrivain qu'il est devenu, la biologie ne ment pas. Morale et biologie fusionnent, il n'y a pas de dualisme esprit/corps, l'esprit fait partie de la biologie qui est la seule capable de dévoiler chez l'homme ce qui était jusqu'alors dissimulé. Ainsi le narrateur lors de la première traversée utilise cette expression qui souligne l'esprit défaillant de l'homme, ses limites face au climat hostile: « C'est l'aveu biologique33. ». Ainsi tout est biologie et rien n'échappe à la biologie. Réduit par Bardamu à un corps l'homme paraît mis à nu, dépossédé de tout son apparat. En outre le corps est toujours une réponse au questionnement de Bardamu à propos de ses congénères, quand il explique l'attitude de l'institutrice qui attise la colère des militaires à son encontre il précise ceci: « Scène de haut carnage, dont ses ovaires fripés pressentaient un réveil34.». A l'image des Anciens qui estimaient que le siège de la mélancolie était la rate secrétant une bile noire, ici la frustration se loge dans une anatomie meurtrie. Le corps est donc l'aiguillon principal de la pensée du narrateur, lorsqu'il trompe ou illusionne Bardamu quant à la volupté factice de l'Amérique décrétée grâce aux cuisses de Lola c'est à nouveau l'anatomie qui anéantira les sirènes américaines avec l'épisode du caveau fécal à New York.

32 Ibid.,p.218.

33 ibid., p.112.

34 ibid., p.118.

A l'image de la pratique médicale, le voyage est pour Céline une dynamique d'observation du monde et demeure en cela une initiation pour ses personnages aussi particulière soit-elle. Cette dynamique repose en effet sur des fondements faussés tant son ambition semble être de confirmer les craintes, les pressentiments des narrateurs sur la laideur du monde. Tout est donc perçu sous ce prisme qui épaissit davantage ses ténèbres cependant la présence même de cette dynamique à l'image de celle de Bardamu montre combien elle est nécessaire pour comprendre le monde. Le voyage offre une perspective là où l'inaction et la résignation de certains personnages les emprisonnent dans un microcosme et dans un rapport au macrocosme fondé sur la cécité. Il y a donc chez Céline non une négation mais une subversion du voyage rendue effective par un double déterminisme. Tout d'abord les segments de voyage dans les deux romans doivent être, par souci de cohérence, à l'image du projet d'ensemble, celui de transcrire un monde désenchanté et dans le cas de Voyage au bout de la nuit la perception de Bardamu est déterminée par la guerre qui obscurcit à jamais sa vision du monde. Le voyage devient un point de cette cristallisation. Il n'en demeure pas moins que même subverti l'enseignement n'est pas absent durant ces quêtes, une confirmation est aussi une information. Le voyage a donc cette faculté de faire jaillir l'horreur du monde, à cette fausse vertu qui malgré tout laisse envisager l'attribution d'un mince crédit à cette quête ne pourrions-nous pas lui adjoindre à la lecture de ces deux romans quelques qualités et principes forts constitutifs du voyage maintes fois valorisé dans l'histoire littéraire? Peut-il avec cet auteur être une source même faible de quelques lueurs qui se répandraient dans la nuit du monde?

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe