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Fêtes de village et nouvelles appartenances. Les fêtes rurales en Hainaut occidental (Belgique)

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par Etienne Doyen
Université Catholique de Louvain - Licence en Sociologie 2007
  

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Fournier et les fêtes thématiques

Fournier développe depuis plusieurs années une approche ethnologique des fêtes rurales en Provence. Même si son terrain est différent du nôtre, la proximité de ses propos avec nos intérêts et leur caractère actuel nous amène à considérer son travail avec attention. Ce dernier propose une typologie des fêtes rurales en Provence86(*), typologie que nous allons brièvement présenter, car nous allons nous en inspirer pour la suite de notre travail.

Cette classification présente comme premier type les fêtes votives, qui peuvent être assimilées aux ducasses « traditionnelles » du Nord de la France et de la Wallonie. Présentant à l'origine une dimension religieuse forte, ces fêtes se sont progressivement laïcisées. Elles sont centrées principalement sur les jeunes du village, et jouent le rôle classique de renforcer la cohésion d'un groupe et d'entretenir un sentiment d'appartenance. Peu tournées vers l'extérieur, elles rassemblent une population essentiellement locale qui trouve là l'occasion de se retrouver « entre soi ». Ces fêtes sont le théâtre de transgressions en tous genres, rejoignant ainsi une des dimensions classiques de la fête évoquée plus haut : les fêtes votives sont celles de tous les excès, alcooliques, alimentaires, sexuels, sonores, autant de transgressions à travers lesquelles le groupe se célèbre.

Les fêtes de confréries constituent un deuxième type de festivités. Présentant un caractère beaucoup plus ritualisé que les fêtes votives, elles prennent généralement la forme de processions, comme les « fêtes à charrettes »87(*). Les confréries regroupent certains villageois qui entendent perpétuer une tradition, en revêtant les costumes d'antan et en jouant les musiques d'époque. Ces fêtes ont un programme assez rigide et formalisé : nourrissant une ambition d'authenticité, elles se plient aux exigences de la tradition plutôt qu'à celles du public.

Le troisième et dernier type de fête nous intéresse particulièrement. Il comporte en effet de nombreuses similitudes avec une fête du Hainaut occidental que nous avons analysée88(*). Ce troisième type regroupe les fêtes thématiques89(*), nouvelles fêtes qui se sont développées depuis les années 1970 en Provence. Comme leur nom l'indique, elles sont organisées autour d'un thème, touchant aux produits du terroir (l'olive, le foin, la pomme), aux métiers anciens, aux animaux domestiques (le cheval, le chien) ou à la culture régionale. Tout un week-end d'animations, dont le village est le support, est organisé autour de ce thème. Contrairement aux fêtes votives et aux fêtes de confréries, la fête n'a ici pas de sens sans public. Elle prend au contraire la forme d'un spectacle reposant fondamentalement sur la venue d'une assistance extérieure, ce qui n'est pas sans rappeler les nouvelles fêtes de village décrites par Champagne.

Une des caractéristiques majeures qui distinguent ces fêtes des autres festivités est la dynamique de distanciation qu'elles sous-tendent. Cette prise de distance est un phénomène relativement récent qui renvoie à « la constitution d'un regard extérieur sur les cultures locales et à la capacité pour les acteurs de ces cultures de proposer une image d'eux-mêmes à un public extérieur »90(*). Cette objectivation de soi et de sa propre culture est identifiée par Fournier comme se développant à partir des années 1970. Pour lui, l'ouverture progressive des villages à partir de cette époque est corollaire du développement des fêtes thématiques. Dans sa traduction d'un article de Boissevain, Fournier avance de nouvelles explications au regain d'intérêt pour les fêtes rurales :

« (...) dans les années 1970, plusieurs éléments ont contribué à un changement d'attitude à l'égard des fêtes publiques : migrations, industrialisation, déconfessionnalisation, explosion des média, démocratisation, et tourisme. Les travaux du Club de Rome sur les limites de la croissance (1972), le livre de Schumacher Small is Beautiful (1973), le concept de « qualité de vie » ont ravivé l'intérêt pour un genre de vie rural et centré sur les communautés traditionnelles. »91(*)

Fournier ajoute, dans le même article, que « la présence d'étrangers a rendu les populations locales conscientes de leur identité »92(*). Cet extrait nous amène à faire le parallèle avec notre terrain où la période des années 1970 constitue également un moment-clé. D'une part, comme nous l'avons déjà dit, cette date marque la fin de l'exode rural et voit la population des villages du Hainaut occidental réaugmenter. D'autre part, c'est à ce moment que les festivités rurales sous leur forme actuelle voient le jour : les « comités de fêtes » rencontrés sur le terrain ont systématiquement été créés dans les années 1970 ou plus tard, si bien qu'il n'y a pas, à notre connaissance, de fête rurale majeure de la région qui puisse se targuer d'avoir plus de quarante ans d'âge. L'hypothèse de Fournier nous semble ici applicable : à partir de 1970, l'ouverture de plus en plus grande des villages à l'extérieur, accompagnée de l'arrivée massive d'étrangers, les néo-ruraux, a pu amener certains acteurs à prendre conscience de leur identité, à vouloir peut-être la défendre contre une menace, et à mettre sur pied des fêtes thématiques, caractéristiques de cette distanciation93(*).

Restent maintenant à passer en revue les principales caractéristiques de ces fêtes thématiques. La fête rurale classique n'était pas organisée en fonction d'un public extérieur ; les fêtes thématiques, à l'inverse, sont des spectacles. La fête classique, en outre, et particulièrement les fêtes de confréries, présentent un programme relativement strict et inchangé au cours des ans : leurs acteurs doivent reproduire, d'une manière codifiée, des activités et des gestes précis. La fête thématique, quant à elle, est construite de toutes pièces. Elle se caractérise par une offre très diversifiée d'activités qui prennent place dans l'espace du village. La fête est un véritable festival, où le public doit nécessairement faire un choix dans un programme éclectique : il n'est pas possible d'assister à tout, étant donné que plusieurs animations se déroulent au même moment à différents endroits du village. Cette offre variée répond à la volonté des organisateurs de toucher un public aussi large que possible, entre les villageois de souche, les néo-ruraux et les touristes ; elle fait écho, in fine, à la situation de mixité sociale du rural contemporain.

Ainsi, la fête rurale classique avait pour fonction le ressourcement périodique du groupe villageois. Durant les dernières décennies, les cultures locales, de par leur ouverture, ont été amenées à s'objectiver et à se mettre en scène. Cette réflexivité des villageois est le résultat d'une « prise de conscience progressive de la valeur « exotique » de tout rituel festif aux yeux d'un public extérieur »94(*). Les acteurs locaux perçoivent ainsi l'existence d'un marché « porteur », sur lequel il est possible de susciter une demande. Cette ouverture au monde extérieur n'est paradoxalement pas une menace pour l'identité du groupe, et constitue au contraire le support de cette identité. La fête, qui est objectivée par la communauté qui l'organise, devient la vitrine du groupe. Cette distanciation est rendue possible par la professionnalisation de son organisation, que Champagne avait déjà décrite, qui la voit être de moins en moins l'expression spontanée et naturelle d'un groupe pour devenir un objet à construire.

Ces fêtes thématiques, telles qu'elles ont été décrites, sont particulièrement intéressantes dans la mesure où elles traduisent un nouveau rapport à soi et à son espace, et présentent, comme nous le verrons par la suite, de nombreuses similitudes avec un nombre important de fêtes rurales nouvelles en Hainaut occidental.

* 86 L.-S. Fournier, « Le patrimoine, un indicateur de modernité. À propos de quelques fêtes en Provence », Ethnologie française, XXXIV, 4, 2004, p. 717-724.

* 87 Ibid., p. 718.

* 88 Il s'agit de la fête du village de Thimougies, présentée dans la troisième partie de ce travail.

* 89 À ce sujet, voir l'article déjà cité de Fournier, Le patrimoine, un indicateur de modernité. À propos de quelques fêtes en Provence, ainsi que La fête thématique, nouveau visage de la fête locale en Provence, que Fournier consacre exclusivement aux fêtes thématiques. Fournier L.-S., « La fête thématique, nouveau visage de la fête locale en Provence », à paraître dans Recherches sociologiques et anthropologiques, 38, 2, 2007.

* 90 Fournier, op. cit., 2007, p. 5.

* 91 Fournier L.-S., « Les enjeux contemporains des fêtes en Europe », Actes du colloque « La fête au présent - Mutations des fêtes au sein des loisirs », Université de Nîmes-Vauban, septembre 2006, p. 2.

* 92 Ibid., p. 3.

* 93 Sur notre terrain, un acteur nous a également expliqué le rôle joué par la fusion des communes dans la recrudescence des fêtes rurales dans les années 1970 : « Les fêtes de la région, elles ont pris de l'importance après la fusion des communes. Chaque village a voulu quelque part... préserver son identité, et organiser une fête qui lui était propre » (entretien réalisé à Thimougies le 24/04/06). L'importance prise par la fusion des communes était d'autant plus importante dans le cas de Tournai (dont Thimougies fait partie), quand on sait que cette commune a rassemblé trente villages et est devenue la commune la plus étendue de Belgique (cf. supra).

* 94 Fournier, op. cit., 2007, p. 4.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon