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Fêtes de village et nouvelles appartenances. Les fêtes rurales en Hainaut occidental (Belgique)

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par Etienne Doyen
Université Catholique de Louvain - Licence en Sociologie 2007
  

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Notre problématique : dégager les dynamiques d'appartenance au travers des fêtes

Après avoir décrit le cheminement intellectuel qui est à la base de ce travail, il convient maintenant d'expliciter notre problématique à proprement parler, en présentant les dimensions des fêtes de village qui nous intéressent et la question que nous désirerions approfondir.

Certains auteurs, comme Bodson et Dibie, ou encore Fournier, décrivent les nouvelles fêtes de village. Ces festivités sont liées à une sociabilité élective, qui s'inscrit dans un rapport à l'espace rural comme un cadre de vie. Plus conviviales qu'identitaires, elles ont pour but de rendre ce cadre « sympa » et chaleureux, et ne constituent plus un moment crucial par lequel les villageois réaffirment leur appartenance à un groupe. Bodson parle ainsi des brocantes et des barbecues, Dibie décrit les vide-greniers et Fournier met l'accent sur les fêtes thématiques. Ces différentes illustrations convergent vers un même constat : l'appartenance ne fonctionne plus comme un principe transversal qui permettrait d'expliquer toutes les pratiques festives rurales98(*).

Pour autant, ces nouvelles fêtes, et les trois auteurs cités le soulignent, ne constituent pas l'ensemble des fêtes rurales. Elles coexistent avec des festivités présentant une forme plus classique, sans rendre ces dernières « obsolètes ». Comme le dit Fournier à propos des fêtes thématiques :

« Plus ouvertes, plus éclectiques et plus hétérogènes que par le passé, ces fêtes [thématiques] ont pourtant du mal à concurrencer ou à remplacer les fêtes construites selon les modèles anciens, qui continuent à exister parallèlement. Ainsi, les nouvelles fêtes locales, avec leurs prétextes thématiques et leurs fonctions nouvelles, renforcent le paysage festif plus qu'elles ne le bouleversent vraiment. »99(*)

Ces nouvelles fêtes donc ne constituent donc qu'un pan du paysage festif rural. C'est précisément ce qui nous avait interpellé à l'origine : les chapiteaux du Hainaut occidental, si présents et vivaces, ne correspondent pas à cette catégorie de nouvelles fêtes. Certes, ils attirent un nombre considérable de personnes extérieures au village, comme le font les brocantes ou les fêtes thématiques. Mais ils s'apparentent moins à un spectacle proposé à un public, dans le sens où la forme des activités implique bien souvent la participation des personnes présentes. Pour reprendre Champagne, dans un chapiteau, les villageois « font la fête », à proprement parler. La logique de ces manifestations semble donc se rattacher plus difficilement à un rapport distancié au rural comme cadre de vie.

Ceci permet de formuler l'hypothèse suivante : si l'on ne peut plus appréhender le rapport de tous les ruraux à leur espace uniquement en termes d'appartenance, il n'en demeure pas moins que ce principe est toujours d'application, dans une certaine mesure, et reste une clé de lecture indispensable pour comprendre la relation qui se joue entre un individu et l'espace qui l'entoure. Pour autant, il faut se départir d'une vision classique de l'appartenance, telle qu'elle se jouait dans un rural passé. Les chapiteaux du Hainaut occidental ne sont pas des manifestations passéistes et rétrogrades, mises en place par des personnes âgées ou des agriculteurs soucieux de retrouver la communauté villageoise du passé ; ce sont au contraire des évènements modernes, portés par une population jeune et dynamique, et proposant des activités contemporaines.

Nous voudrions donc, à travers ce travail, nous intéresser à la place et au statut des logiques d'appartenance dans un contexte de rural recomposé. Une telle démarche va quelque peu à contre-courant des analyses récentes sur la ruralité, qui s'intéressent plutôt à l'ouverture des villages à des populations porteuses d'un nouveau rapport à l'espace. Nous posons ici comme hypothèse que l'appartenance reste un principe toujours d'actualité, bien qu'elle prenne désormais des formes nouvelles. Nous ne cherchons pas en effet à retrouver les vestiges d'appartenance classique, telle qu'on pouvait la trouver dans un rural fermé et homogène du début du XXème siècle. Dans ce contexte se développait un rapport total d'identification de tout un groupe à un espace très local, le village, en tant qu'enveloppe de vie qui fournissait tout à chacun de ses membres (femme/mari, travail, logement, relations sociales, loisirs, etc.). Nous pensons que l'appartenance, comme la fête, a suivi le destin du rural, et s'est transformée. Elle doit nécessairement, au vu des mutations radicales qui ont frappé cet espace, revêtir de nouvelles formes, que nous entendons mettre à jour. Il s'agit donc pour nous de prendre acte de ces transformations pour livrer un diagnostic actualisé des mécanismes d'appartenance dans un rural métamorphosé.

La plus-value de ce travail, à notre sens, réside dans cette réactualisation de la question de l'appartenance en milieu rural. On ne peut faire l'économie, selon nous, de cette question, dans la mesure où l'appartenance n'a pas disparu du monde rural. Cette appartenance, nous entendons l'examiner non seulement chez les ruraux de souche (habitant le village depuis toujours ou presque, et se revendiquant comme tels), mais également chez les néo-ruraux, arrivés depuis peu au village. Comment, à l'heure actuelle, un tel sentiment peut se développer chez les catégories diverses de personnes qui habitent un village et quel contenu ce sentiment recouvre-t-il ? Comment dans un rural recomposé, les acteurs peuvent se sentir appartenir à un groupe, pour mener éventuellement une action collective ? Comment se crée et se manifeste une identité collective ?

Pour répondre à ces questions, le recours à la fête est des plus appropriés, puisque cette dernière est justement ce moment privilégié où se construit un groupe. À bien y regarder, la fête peut être appréhendée comme un account, au sens ethnométhodologique. Elle n'est pas seulement le révélateur, l'occasion pour un groupe de constater sa cohésion ; en rendant compte, en célébrant le village par exemple, la fête, simultanément, crée et fait exister son objet. C'est en fêtant le village que celui-ci devient une entité qui fait sens. Il n'y a pas de rapport d'extériorité possible de la fête à la communauté qu'elle célèbre. La fête est donc cette occasion privilégiée au cours de laquelle est créé, dans une dialectique singulière de révélation-création, un sentiment d'appartenance. Cela est d'autant plus vrai dans la mesure où la fête est ce moment de liesse presque magique qui emporte et pendant lequel tout semble possible. L'espace d'un temps, tous les espoirs sont permis, toutes les promesses sont faites, parce que les participants se sentent, plus que jamais, appartenir à un groupe. Les sentiments et croyances sont décuplés, et la confiance envers le groupe, son existence et son bien-fondé sont à leur paroxysme.

Nous posons pour hypothèse que les fêtes rurales contemporaines, y compris les nouvelles fêtes, porteuses d'un rapport bien moins identitaire à l'espace, font plus qu'uniquement « introduire de la proximité dans de la distance requise »100(*). Elles comportent toujours une fonction sociale de rassemblement, comme Fournier le montre, et même plus, elles constituent un moment essentiel dans la construction d'un sentiment d'appartenance à un groupe. Loin d'être devenues des évènements sans enjeu, les fêtes demeurent cruciales pour le monde rural qui est, aujourd'hui plus que jamais, un espace d'hétérogénéité. Or, rappelons-nous l'une des caractéristiques qui fait la force de la fête, évoquée supra : la fête est cet espace-temps qui parvient à transcender les conflits et les divergences pour rassembler un groupe et le faire exister. Cette mise entre parenthèses des différences est encore plus cruciale dans le cas de la ruralité contemporaine, caractérisée par une situation de mixité sociale ; dans ce contexte, la fête joue le rôle de « liant culturel pour fédérer des populations d'origines différentes », comme le formule Fournier101(*). En dépassant les intérêts parfois contradictoires des différents utilisateurs de cet espace, la fête est capable de fédérer un groupe. C'est toute la magie et la complexité d'une dynamique sociale qui est capable de créer du même à partir du différent.

Pour réactualiser la question de l'appartenance en partant de la fête, nous allons utiliser la forme comme outil d'analyse. Pour ce faire, nous nous inspirons de la sociologie formale de Simmel102(*) et des transpositions qui en ont été réalisées en sociologie de l'espace par Ledrut103(*) et Bodson104(*). Nous allons tenter de dégager les formes que prennent les fêtes rurales que nous allons analyser.

La mode, par exemple, est une forme sociale selon Simmel : son contenu - les différents styles vestimentaires en vogue à une époque donnée - change continuellement, mais sa forme reste la même. Elle remplit toujours cette double fonction d'association-distinction, en permettant à un individu de se rattacher à ses pairs tout en isolant ce groupe vis-à-vis de l'extérieur. Elle instaure le même et le différent, et par là, participe à la mise en ordre du monde social. Cette fonction, la mode la remplit continuellement, indépendamment de ses contenus particuliers temporaires105(*).

Dégager les formes des fêtes de village, c'est finalement s'attacher moins aux activités proposées lors de ces fêtes pour leur caractère singulier - la question du thème d'une exposition, qu'il s'agisse de moulins ou d'icônes, n'est pas cruciale en soi - qu'en ce qu'elles renvoient à une logique, un principe global, indépendamment des variations de contenu - le fait d'organiser une exposition lors d'une fête de village, quel qu'en soit le thème, n'est pas anodin et se rattache à une forme spécifique. Cette explication ne doit pas faire perdre de vue que les formes ne sont pas des structures abstraites et que, comme le souligne Bodson, « forme et contenu sont indissociables et les deux se construisent conjointement »106(*). Les formes font partie intégrante de l'univers quotidien qu'elles structurent.

Pour tenter de cerner les formes d'une fête, nous allons nous intéresser à de multiples éléments : quelles personnes y sont présentes ? S'agit-il d'une partie du village, de l'ensemble de sa population, de personnes extérieures principalement ? S'agit-il d'un public, qui assiste à une fête-spectacle composée d'animations, ou s'agit-il d'acteurs à part entière, qui « font la fête » ? Autrement dit, quelle est la logique de rassemblement : identitaire ou conviviale ? Au niveau du profil des personnes présentes, s'agit-il de personnes appartenant au monde agricole, de néo-ruraux, de citadins ? Est-ce que la fête mélange différentes populations ? De quoi est composée la fête : d'activités à forte dimension agricole, ou religieuse, ou d'activités profanes présentant peu de références au monde paysan ? Ces activités présentent-elles un caractère rituel et formalisé, en référence à une tradition qu'il faut respecter, ou sont-elles plus « libres » ? Combien de temps dure la fête ? S'accompagne-t-elle de la consommation d'alcool, seul ou en groupe ? Quelle musique y est diffusée ? Quelle nourriture y est consommée ?

Ces questions pourraient se multiplier. Leurs réponses constituent autant d'indices qui nous permettent de cerner la forme d'une fête. Nous serons particulièrement attentif, dans le cadre de ce travail, à la place que prennent les logiques d'appartenance dans la forme de la fête. Cette forme renvoie toujours nécessairement à la forme spatiale et sociale du village : un village de 300 habitants avec une interconnaissance forte n'organisera pas la même fête qu'un village de 2 000 habitants présentant un fort habitat résidentiel. Nous allons ainsi tenter de montrer comment la fête s'inscrit dans la forme spatiale spécifique d'un village, en gardant à l'esprit que forme sociale et forme spatiale sont intimement liées.

Nous sommes maintenant en mesure de synthétiser la problématique qui nous intéresse dans le cadre de ce travail : nous voudrions montrer, dans les fêtes de village que nous allons analyser, la place que prennent les logiques d'appartenance et quelles nouvelles formes ces logiques peuvent revêtir. Nous pensons que la fête est un moment privilégié de création d'un sentiment d'identification à un groupe, et que cette question de l'appartenance constitue toujours un enjeu important dans les villages à l'heure actuelle. Pour mettre cela à jour, il est nécessaire de replacer la fête dans la forme sociale et spatiale dans laquelle elle s'inscrit, étant entendu que ces deux éléments sont intimement liés. Comme nous l'avons dit, la fête n'est pas un objet clos qui sera analysé pour lui-même ; ce moment extraordinaire de la vie quotidienne des ruraux constitue pour nous une porte d'entrée, un prisme à travers lequel transparaissent les formes que prend la sociabilité villageoise contemporaine. Nous espérons à travers ce travail être en mesure de traiter plus largement du rapport que les ruraux entretiennent à leur espace, en montrant dans quelle mesure le registre de l'appartenance est toujours présent dans ce rapport.

* 98 Ceci ne s'applique pas exclusivement aux fêtes et peut être généralisé au rapport que les ruraux entretiennent avec leur espace. Bodson explique ainsi comment l'appartenance n'est plus le principe unique pour expliquer les logiques de localisation des ruraux. Bodson, op. cit., 1999, p. 116.

* 99 Fournier, op. cit., 2007, p. 14.

* 100 Bodson, op. cit., 1999.

* 101 Fournier, op. cit., 2007, p. 14.

* 102 Simmel G., La tragédie de la culture et autres essais, Marseille, Rivages, 1988.

* 103 Ledrut R., « La notion de forme appliquée à l'espace social », in Bourdin A., Hirschhorn M. (dir.), Figures de la ville. Autour de Max Weber, Paris, Aubier, 1985, pp. 103-111.

* 104 Bodson, op. cit., 1993.

* 105 Simmel, op. cit., pp. 88-126.

* 106 Bodson, op. cit., 1993, p. 28. L'auteur se réfère explicitement à Ledrut sur ce point.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein