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Fêtes de village et nouvelles appartenances. Les fêtes rurales en Hainaut occidental (Belgique)

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par Etienne Doyen
Université Catholique de Louvain - Licence en Sociologie 2007
  

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Analyse : un carnaval raté ?

Selon les organisateurs, l'édition de cette année n'était pas un franc succès. L'indicateur de réussite n'est pas directement l'ambiance perçue, le fait qu'« on se soit bien amusés », mais le nombre de participants : ces derniers étaient moins nombreux lors de cette édition. Il est frappant de constater que les organisateurs raisonnent en termes de marché pour expliquer pourquoi « les gens » ne sont pas venus nombreux. Une villageoise qui a participé au carnaval et qui est active dans l'ASBL associe ainsi l'échec du carnaval de cette année à un problème d'offre, à savoir que le programme de la fête et les activités proposées n'étaient pas assez attractifs pour le public :

« C'est normal que les gens ne soient pas venus, il y avait rien ! Allez, il n'y a que sur le char euh... À part lancer des confettis et être un peu déguisé, il y a rien... il y a rien, on peut bien boire un verre après, il y a un verre offert aux enfants qui sont là... mais ça n'attire pas comparé au carnaval de Tournai ou aux... carnavals d'ailleurs. Les gens ne sont plus attirés à venir, c'est normal, il y a... il y a rien... suivre un char où on fait que lancer des confettis et où il y a que les musiciens qui tapent sur des tonneaux et qui font le même bruit tout le long du parcours... rien, vraiment, rien. Je sais pas moi... je pense qu'il faudrait un géant peut-être pour l'année prochaine. Ça, ça pourrait attirer. Faut qu'on réfléchisse à ça, mais il faut quelque chose en plus. »143(*)

Ce type de raisonnement n'est pas anodin. Il est à mettre en lien avec une conception de la fête comme un spectacle qu'on offre à un public. Il y a fort à parier que dans une ducasse traditionnelle du siècle passé, les villageois n'étaient que peu soucieux des activités proposées : quel qu'était le programme, la fête était un moment qui mobilisait tout un groupe, pour lequel, en raison de sa cohésion préalable, le fait d'être réuni constituait en soi un programme suffisant. Désormais, le succès de la fête dépend plutôt de la capacité des organisateurs à proposer des activités attractives, une condition palliative en quelque sorte, pour rassembler le village dans un contexte de faible cohésion.

Il est vrai que ce carnaval était loin de faire l'objet d'une grande ferveur populaire dans le village. La taille réduite du cortège et l'absence de spectateurs le long de son parcours donnaient le sentiment de déambuler dans un village « mort », pour reprendre le terme des organisateurs, un village-fantôme. Les maisons n'étaient pourtant pas vides, en témoignent les coups d'oeil furtifs jetés par certains habitants à travers leurs fenêtres. Mais ce carnaval semblait invisible et inaudible pour une partie du village. Il semblait inexistant, et n'affectait pas le cours normal d'un dimanche après-midi pour les autres habitants. Ainsi, la circulation ininterrompue des voitures, cet agriculteur qui travaillait normalement et, enfin, cette dame qui, « comme tous les dimanches », nettoyait sa voiture quand le cortège passait devant sa maison, constituaient autant d'exemples d'un désengagement, pour ne pas dire d'une certaine indifférence d'une partie du village par rapport au carnaval.

Le carnaval est loin de mobiliser l'ensemble du village. Pour beaucoup, comme cet agriculteur qui croise le cortège, il s'agit d'un dimanche comme un autre.

Il faudrait finalement s'interroger sur la forme de cette fête : s'agit-il, comme ses organisateurs le nomment, d'un « carnaval » ? Si l'on se réfère, stricto sensu, à la définition de ce qu'est un carnaval, l'utilisation de ce terme semble ici abusive. Le carnaval, pour rappel, est ce moment formidable de renversement des codes sociaux, par l'intermédiaire de tous les excès. Au « carnaval » de Willaupuis, rien de tout cela. Il faut d'abord préciser que cette fête est organisée autour des enfants, et que derrière le char, les seuls adultes qui défilaient accompagnaient ces enfants. Les adultes du village n'étaient en aucun cas des « fêtards » occupés à danser, chanter, boire et rire. Les horaires de l'évènement (en après-midi, sans manifestation en soirée) se rattachent également plus à une animation pour enfants qu'à une manifestation pour jeunes et adultes. Ainsi, la fête ne faisait pas, nous l'avons dit, l'objet d'une liesse, d'une excitation ou d'une manifestation de fébrilité de la part des villageois présents ; ce à quoi nous avons assisté était calme.

L'absence de spectateurs doit évidemment être prise en compte pour comprendre ce manque de ferveur - cette absence n'étonne pas, du reste, puisqu'« il n'y a rien » : une remorque suivie par quelques enfants ne semble pas digne d'être érigée au statut de « spectacle ». De carnaval donc, il n'en est point question. Nous irons encore plus loin : peut-on encore, dans ce contexte, parler de « fête » ?

En réalité, toute fête nécessite que ses participants « y croient ». C'est une histoire qu'ils se racontent, une pièce de théâtre dont ils sont les propres acteurs. L'espace d'un jour, d'un week-end, le groupe décide de faire une parenthèse et d'être en liesse. Cette décision est arbitraire et doit susciter l'adhésion. Les villageois doivent croire à ce mythe du « nous », ils doivent croire qu'un groupe existe et que le village fait sens. Le carnaval raté de Willaupuis, c'est aussi l'histoire d'une fête dans laquelle les villageois ne croient pas. Parce que les participants étaient peu nombreux, parce que le public était absent, la magie de la fête n'a pas opéré. La fête ne va pas de soi, particulièrement si elle ne s'appuie pas sur un groupe fort, comme c'est ici le cas : si la fête est fragile, c'est avant tout parce que le groupe est fragile. Ce groupe est incertain et flou, il se cherche et ne sait pas ce qui l'unit.

L'ASBL est consciente de cette inexistence d'un groupe, ou à tout le moins de sa fragilité. C'est ce qu'exprime, en partie, le constat de « village mort ». Trancher si oui ou non Willaupuis est objectivement un village mort n'a que peu d'intérêt. L'essentiel est que cette catégorie est opérante pour certains habitants du village : elle fait sens et est utilisée pour mener une action. Cette action, en l'occurrence, consiste à tenter de fédérer un groupe, en faisant revivre le village. Le carnaval s'inscrit dans ce projet, ainsi que d'autres activités au cours de l'année (organisation d'une ducasse en été, venue de Saint-Nicolas, etc.). L'action de l'ASBL, par l'entremise de ces différentes activités, a ainsi pour but de recréer un groupe villageois qui, dans le contexte actuel, a des difficultés à exister et à se percevoir comme un groupe. Il en est ainsi parce que la vie du village est devenue centripète, comme le dit Dibie, et que tout se passe en dehors de celui-ci. Le village n'est plus un lieu de rencontres et de création de lien social parce que plus rien ne s'y joue. Cet espace n'est plus pratiqué par ses habitants. À ce sujet, Dibie décrit parfaitement comment son village, Chichery-la-Ville (Bourgogne, France), est devenu un lieu de résidence qui semble vide pendant les jours de semaine, et dont les signes de vie les plus visibles sont les allées et venues de ses habitants hyper-mobiles :

« La mobilité et la plasticité de notre communauté sont l'ultime expression de notre modernité. Les gens bougent, travaillent et communiquent entre eux sur un territoire beaucoup plus vaste qu'on ne l'imagine. Il y a ceux, peu nombreux, qui chaque matin partent de Chichery en voiture pour aller travailler dans les environs de Paris. Ceux qui, réglés comme des horloges, prenant le « train des travailleurs » à 6 h 13 à Laroche-Migennes, démarrent du village vers 5 h 50 au plus tard - le temps de se garer - pour être à Paris-Gare-de-Lyon à 7 h 41. Il y a un veilleur de nuit qui s'en revient à ces heures-là. Ceux, plus chanceux et plus tardifs, c'est la majorité active, qui quittent le village entre 7 heures et 7 h 30 pour être à 8 heures à leur travail à Monéteau, Auxerre, Joigny, Migennes, voire Chablis, où ils rejoignent leur poste dans un supermarché, une coopérative agricole, une entreprise alimentaire, un hôpital, un atelier mécanique, une chaudronnerie, une scierie ou bien encore la DDE ou les services de l'autoroute toute proche. Viennent ensuite les fonctionnaires qui partent pour la préfecture, les services départementaux ou municipaux voisins et les camionneurs et les militaires dont les services obligent à des jours et des tours irréguliers. Puis ce sont les artisans, camionnettes harnachées, qui rentrent dans le village pour livrer, dépanner, réparer, aménager nos habitats. Après 8 h 15, quelques voitures et quelques cavalcades d'enfants passent devant mes fenêtres pour s'en revenir à 8 h 25 à bord du bus scolaire en direction de Bassou et Bonnard.

Ainsi, pendant deux heures environ, le village bruit très légèrement des sorties de ses « actifs », relayés beaucoup plus tard par le train irrégulier et dispersé des autos des retraités et des vieillards valides qui partent faire leurs courses dans le village voisin - Appoigny ou Migennes s'il y a du bricolage dans l'air - auxquels s'ajoutent les bruits puissants des engins agricoles dont la fréquence varie avec les travaux des champs et, à 11 h 20, l'appel au klaxon du boulanger itinérant, doublé certains jours d'un charcutier à la roulotte. »144(*)

Willaupuis est aussi caractérisé par cette dynamique qui voit le village être vidé de toute autre fonction que de celle de loger ses habitants. L'espace villageois, qui n'est plus un lieu de travail, un lieu de scolarité, un lieu de loisirs ni un lieu de consommation, n'est plus pratiqué, et tend par là à devenir insignifiant. L'action de l'ASBL consiste à recréer des activités dans cet espace et à réinstaurer le village comme un centre. Quand ce dernier redevient le cadre d'évènements, il constitue à nouveau un espace de rencontres où du lien social se crée. Dans ce contexte, le carnaval, comme les autres activités de l'ASBL, a une fonction sociale cruciale : il constitue l'occasion de rassembler les villageois et de créer ainsi un groupe percevant partager un espace commun. Dans les faits néanmoins, ceci n'est pas chose aisée, comme nous l'avons vu, tant il est vrai que les différents villageois ont des profils divers et qu'il est difficile, quand l'espace villageois devient insignifiant, de les fédérer, fût-ce partiellement, dans un groupe partageant une condition commune.

* 143 Entretien réalisé à Willaupuis le 19/05/07.

* 144 Dibie, op. cit., 2006, pp. 69 -70.

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