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Fêtes de village et nouvelles appartenances. Les fêtes rurales en Hainaut occidental (Belgique)

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par Etienne Doyen
Université Catholique de Louvain - Licence en Sociologie 2007
  

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Contre une idéalisation des villages d'antan

Pour terminer cet état des lieux du rural wallon, il nous semble important de revenir quelque peu sur cette idée d'ouverture des villages contemporains. Nous voudrions ici nous démarquer d'une vision nostalgique du passé qui consisterait à soutenir que cette ouverture est une mutation inédite et sans précédent pour le monde rural. Comme l'explique Hervieu36(*), la sociologie rurale a, dans certains de ses ouvrages, développé une vision romantique du village d'antan, en le reconstruisant comme un monde clos, autosuffisant, pur de tout influence extérieure, et surtout, comme un microcosme homogène, composé de paysans. En décrivant les mutations qui ont affecté l'espace villageois pour précipiter la fin de la paysannerie, la sociologie rurale, toute engagée qu'elle était dans son objet, a renforcé « le mythe de l'unité paysanne »37(*).

L'outil méthodologique dont s'est dotée la discipline à ses débuts, la monographie de village38(*), a ainsi pleinement participé de ce mouvement. En étudiant en profondeur une localité, cette approche ethnographique a contribué, d'une part, à développer une vision des villages comme autonomes et a entretenu par là l'illusion que ces derniers pourraient être séparés du contexte plus large dans lequel ils s'inscrivent. D'autre part, couplée à des préceptes culturalistes, elle a mené à une essentialisation de la culture paysanne, considérée comme un bloc monolithique : recherchant les similitudes plutôt que les différences, elle a construit la figure du « paysan ». Cette essentialisation a été rendue possible par le mécanisme de généralisation, qui opère à deux niveaux : tout d'abord, au sein du village étudié, où est recherchée la figure du « paysan-type », ensuite, au monde rural dans son ensemble, auquel les conclusions tirées sur un village sont appliquées. Cette dérive culturaliste a pu mener à considérer le village et les villages comme des ensembles homogènes et semblables, sans prêter attention aux variations locales.

Un autre travers d'une idéalisation des villages d'antan est de considérer ces derniers comme des sociétés sans histoire. Les mutations du monde rural du XXème siècle sont considérées par certains auteurs comme sans précédent et sont appréhendées comme traduisant l'infiltration de la ville dans un monde homogène, préservé jusque là de toute influence extérieure. Il est ici frappant de remarquer la ressemblance entre cette position et les conceptions des premiers anthropologues, qui considéraient étudier des sociétés primitives « pures » et cloisonnées39(*).

Cette idéalisation du passé, qu'elle soit le fait des scientifiques ou des acteurs du monde rural, a existé à toutes les époques40(*). Il est frappant de constater que selon son contexte, elle puisse produire des discours distincts voire contraires sur un même objet. Ainsi, la perception de la présence d'écoles dans les villages peut être radicalement distincte, si l'on compare les représentations des années 1970 à celles d'aujourd'hui. Pour la première période, nous disposons comme matériau des écrits de Champagne41(*) ainsi que ceux de Gervais, Jollivet et Tavernier42(*). Ces derniers évoquent conjointement, d'une manière quelque peu nostalgique, les temps bénis d'avant la scolarisation. L'institution scolaire est critiquée pour l'influence néfaste qu'elle exerce sur les petits ruraux : « l'école communale, présente dans chaque village, y impose sa dure loi. »43(*). L'école a pour effet de « détacher les enfants de la terre »44(*), en leur fournissant un capital culturel qu'ils peuvent faire valoir en dehors du village. Finalement, l'école communale est considérée comme l'institution qui concurrence le village comme cadre exclusif de socialisation.

Si l'on s'intéresse maintenant aux représentations actuelles du rural passé, on peut ironiquement constater que depuis que les écoles ont - majoritairement - disparu des villages, elles ne sont plus décriées, mais pleurées. Ainsi, au cours des entretiens que nous avons eus avec des villageois sur notre terrain, nous avons pu observer comment la fermeture de l'école primaire, généralement au cours des années 1960 ou 1970, était perçue comme un coup décisif porté aux villages, qui « ne sont aujourd'hui plus ce qu'ils étaient ». Il est ici intéressant de constater combien le discours nostalgique, selon l'époque, peut percevoir un même objet, l'école du village, de manière opposée.

Même si cette tendance à idéaliser le passé est un fait récurrent au travers des époques, on ne peut se permettre, d'une part, de considérer les villages comme des anciens mondes homogènes et clos, encore moins, d'autre part, qu'on ne peut affirmer qu'il en ait été ainsi depuis des temps immémoriaux. Chamboredon nous fournit une aide précieuse pour éviter ces travers. Dans son article Nouvelles formes de l'opposition ville-campagne45(*), il revient sur la représentation du village d'antan comme un monde homogène centré sur la culture paysanne. Cette représentation est le fruit d'une construction sociale, car le village n'a pas toujours été un tout homogène. Chamboredon évoque ainsi le mouvement de désindustrialisation ou de « paysannisation » du village, commencé au milieu du XIXème siècle, pendant lequel « [le village] fut progressivement vidé de ses couches petites-bourgeoises (commerçants, artisans) et prolétaires (ouvriers ruraux, manoeuvres et salariés agricoles, puis petits paysans) et donc fortement homogénéisé autour d'une condition- référence »46(*).

Ce changement de la structure sociale villageoise a permis la construction de l'utopie du village comme une communauté homogène et pacifiée, à l'occasion sujette à des conflits passagers, mais en aucun cas traversée par une lutte de classes, dont la ville, à l'opposé, est le théâtre. Le sociologue montre alors le rôle joué dans la construction de cette image idyllique du village par le roman rural et régionaliste47(*), à la fin du XIXème et pendant le premier tiers du XXème siècle ; ces écrits ont alimenté les manuels de lecture de l'école primaire jusque 1950, et sont également à la base d'une image simplifiée du monde rural véhiculée par les feuilletons populaires de la télévision. Ces romans, manuels et feuilletons, par un effet de cascade, ont permis la construction d'une représentation du village comme une scène « unanimiste ou déchirée de conflits de fantaisie ou purement verbaux »48(*).

Cette contextualisation historique précise, même si elle concerne le cas français, doit être considérée avec attention. Elle nous permet de constater que le changement social n'est pas un phénomène inédit pour le monde rural, comme une certaine idéalisation pourrait laisser le croire. Elle nous montre également que le village n'a pas toujours été un tout homogène, et que s'il a pu un jour se « dépaysanner », c'est notamment parce qu'il s'est préalablement « paysanné ». Ces observations doivent nous inciter à être attentif au processus de mythification du passé auquel nous allons probablement être confronté sur notre terrain. Sans être dupe du discours du type « c'était mieux avant », il convient de replacer notre interprétation dans un temps long, pour pouvoir en mesurer la portée.

* 36 Hervieu, op. cit.

* 37 Ibid., p. 353.

* 38 Champagne, op. cit. Pour une argumentation contre une approche des villages comme étant des mondes clos et homogènes, voyons la lecture critique de La campagne inventée, de Viard et Marié, faite par Chamboredon : Chamboredon J.-C., « Les usages urbains de l'espace rural : du moyen de production au lieu de récréation », Revue Française de Sociologie, XXI, 1, 1980, pp. 97-119.

* 39 On se réfèrera utilement à Amselle J.-L., Branchements. Anthropologie de l'universalité des cultures, Paris, Flammarion, 2001, où ce dernier montre comment les pionniers de l'anthropologie ont « déhistoricisé » les sociétés qu'ils étudiaient, laissant de côté tous les branchements que ces dernières avaient effectués avec l'extérieur pour se constituer.

* 40 Pour comprendre l'existence de ce phénomène, il faut se rappeler que le rural remplit, depuis longtemps, une fonction symbolique importante dans notre société. Il est le support d'un mythe, et incarne l'ailleurs. Il n'est pas étonnant, dans ce contexte, que cet espace soit sujet à ce phénomène d'idéalisation. Outre Chamboredon, op. cit., 1985, voyons également Bodson, op. cit., 1993. L'auteur se réfère à Y. Gilbert sur ce point.

* 41 Champagne, op. cit.

* 42 Duby G., Wallon A. (dir.), Gervais M., Jollivet M., Tavernier Y., Histoire de la France rurale. IV : La fin de la France paysanne. De 1914 à nos jours, Paris, Seuil, 1977.

* 43 Ibid., p. 350.

* 44 Champagne, op. cit., p. 53.

* 45 Chamboredon, op. cit., 1985.

* 46 Ibid., p. 567.

* 47 Chamboredon donne ainsi l'exemple de l'oeuvre de Marcel Pagnol.

* 48 Chamboredon, op. cit., 1985, p. 567.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard