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La redistribution doit-elle rendre le travail payant ? étude des modalités de conciliation entre redistribution des revenus et incitation monétaire au retour à  l'emploi.

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par Elie Chosson
Université Pierre Mendès-France (Grenoble II) - Master  2001
  

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Master 1 Économie Internationale et Globalisation

Séminaire Politiques Économiques et Sociales

Elie Chosson

Directrice de Mémoire: Mme Fargeon.

LA REDISTRIBUTION DOIT-ELLE RENDRE LE TRAVAIL PAYANT?

Étude des modalités de conciliation entre redistribution des revenus et incitation monétaire au retour à l'emploi.

Année Universitaire 2009/2010

L'Université n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les travaux universitaires : ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

Table des matièresIntroduction: 1

Chapitre I. De la distribution à la redistribution des revenus. 4

I. Pauvreté et inégalités : définitions et mesures. 4

A. La Pauvreté. 5

B. L'inégalité. 8

II. Pauvreté, inégalité et emploi. 12

A. L'inégale distribution des revenus primaires. 12

B. Pauvreté et emploi 15

III. La mise en oeuvre de la redistribution. 18

A. Une redistribution efficace. 18

B. L'effet désincitatif de la redistribution. 21

Chapitre II. La redistribution contre le travail. 26

I. Incidence fiscale et distorsions : comment redistribuer ? 27

A. La courbe en « U » des TMEI: imposition optimale des revenus. 27

B. Impôt optimal et emploi. 30

II. Les premières mesures anglo-saxonnes. 34

A. Les Etats-Unis et l'Earned Income Tax Credit. 34

B. Le Workfare anglais. 40

III. Le Revenu de Solidarité Active (RSA). 43

A. L'incitation au travail avant le RSA. 43

B. Le RSA: objectifs et mise en oeuvre. 46

C. Bilan 49

Chapitre III. Dépassements et remise en cause de l'arbitrage monétaire entre travail et loisir. 52

I. La dynamique historique des interactions entre redistribution et travail. 53

A. Le travail, valeur fondamentale. 54

B. Dépassements du clivage entre redistribution et travail. 57

Les fondations de la redistribution. 58

Le compromis fordiste de l'après-guerre. 59

Retour de l'assistance, et retour du conflit entre redistribution et travail. 61

II. Au-delà de l'arbitrage monétaire entre travail et loisir. 64

A. La variété des incitations au travail. 64

B. L'éloignement du marché du travail. 66

III. L'allocation universelle 70

A. Fondements et modalités de mise en oeuvre. 71

Définition et justifications de l'allocation universelle. 71

Une proposition d'allocation universelle. 74

B. Effets escomptés et limites. 77

CONCLUSION: 81

Bibliographie: 84

Annexes: 87

Je remercie Mme Fargeon pour m'avoir orienté et cadré tout au long de mon travail.

Je tiens aussi à remercier Mme Euzéby, M. Echinard et, de nouveau, Mme Fargeon: mon mémoire doit beaucoup à la richesse du Séminaire Politiques Économiques et Sociales, qui m'a permis de développer ma curiosité pour une certaine science économique, et qui m'a obligé à rechercher sans cesse la rigueur de l'analyse.

Enfin, je remercie vivement les soutiens apportés pour la correction orthographique.

Ceux qui voudront y donner l'aumône n'en donnent à nul gens sain de corps et de membres qui puisse besogne faire, dont ils puissent gagner leur vie, mais les donnent à gens contrefaiz, aveugles, impotents et autres misérables personnes.

Ordonnance du roi de France Jean II le Bon, 1351

Parce que je veux changer cette situation scandaleuse qui veut que dans notre pays l'assistanat paie davantage que le travail. Je n'ai pas été élu pour maintenir cette injustice. Je veux libérer les gens qui sont aujourd'hui prisonniers de l'assistance.

N. Sarkozy, discours sur la Généralisation du Revenu de Solidarité Active, 2008

Introduction:

L'INSEE publiait le 1er Avril 2010 une étude qui fit grand bruit, et dont voici la conclusion: entre 2004 et 2007, le nombre de personnes « riches » a explosé, tout comme le niveau de leurs revenus1(*). Ce constat pose deux questions, distinctes mais inter-dépendantes.

La première porte sur la pertinence d'un discours politique dominant qui défend la protection des hauts revenus face à l'impôt. L'évasion fiscale, la baisse de l'épargne et des investissements, sont autant d'épouvantails qui justifient des politiques comme le bouclier fiscal à 50% appliqué par la loi TEPA de 2007. Au delà de cette mesure précise, c'est sur le coût et les distorsions qu'engendre le système redistributif français que porte la controverse. La question posée est alors: « constitue-t-il un frein à l'activité économique? ».

Le seconde question est celle des inégalités. En effet, la hausse considérable du nombre des plus riches et de leurs revenus s'accompagne d'une quasi-stagnation du nombre de personnes pauvres et de leurs revenus. Il y a donc mécaniquement une hausse des inégalités. Si cette hausse des inégalités ne traduit pas nécessairement un appauvrissement des plus pauvres, cet enrichissement des plus riches peut être condamné si l'on se réfère à des jugements éthiques et à certaines idées de la justice, de même si l'on songe à son impact sur la cohésion sociale.

Nous avons donc une réflexion qui porte d'un côté sur l'efficacité du système redistributif et de l'autre sur la tolérance qu'il convient d'avoir à l'égard des inégalités et de la pauvreté, et qui déterminera les niveaux d'interventions. Ainsi, la redistribution doit répondre au mieux à deux impératifs: justice sociale et efficacité économique ; notre questionnement portera donc sur leurs possibilités de conciliation.

Les inégalités et la pauvreté sont le résultat directe du fonctionnement de l'économie. Elles résultent des conditions d'embauches, de la dynamique économique, du fonctionnement des différents marchés. Les salaires, les revenus du capital, ou au contraire l'absence de ressources définissent le niveau de vie des individus, et leurs rang dans la distribution des richesses. Fruits du fonctionnement normal de l'économie, la pauvreté et les inégalités ne sont pas pour autant légitimes. Tout d'abord parce que les inégalités empêchent de « faire mesure commune », et in fine de faire société: lorsque elles deviennent paroxystiques, elles scindent le collectif en sous-groupes qui fonctionnent indépendamment, et dont les modes de vie n'ont plus rien de commun. Ensuite, c'est la question de la juste rétribution de l'effort, du partage de la richesse, qui est posée: les travailleurs pauvres, au bas de l'échelle des revenus et vivant dans la pauvreté, sont-ils inutiles? Leurs insuffisantes rétributions reflètent-elles leurs incompétences? La redistribution est donc importante en ceci qu'elle permet de rendre à chacun sa juste place et corrige une répartition de la richesse qui ne reflète pas les apports de chacun. Enfin, on peu considérer la pauvreté comme illégitime dès lors que les moyens matériels sont réunis pour que tous puissent accéder à un niveau de ressource suffisant, et que par ailleurs la richesse est détenue par des groupes qui connaissent une situation de sur-abondance.

La redistribution est un moyen de passer de ce qui est, le fonctionnement primaire de l'économie, à ce qui devrait être. Ce passage nécessite d'avoir une idée précise de ce que devrait être une répartition sinon parfaite, au moins meilleure, et qui se fonde sur un jugement des inégalités et de la pauvreté permettant de déterminer leur niveau désirable.

La poursuite de ce souhaitable par la redistribution des richesses implique la mise en oeuvre de prélèvements et de transferts. Ainsi, la redistribution, grâce à la fiscalité, impacte de deux façons la pauvreté et les inégalités. D'une part de façon directe, par la levée de fonds permettant de mener des politiques et d'allouer des richesses. D'autre part de façon indirecte, par les distorsions qui sont générées grâce aux prélèvements: en taxant plus telle ou telle catégorie de revenu, la forme de la distribution des revenus est modifiée. Cependant, ces outils de la redistribution possèdent des « effets secondaires » et n'impactent pas que la pauvreté et les inégalités. Un de ces effets les plus fustigé est la désincitation au travail, conséquence à la fois de prélèvements trop importants portant sur les revenus du travail et de transferts trop généreux alloués aux inactifs. Il en résulte un phénomène de trappe à inactivité, où les individus inactifs n'ont pas d'incitation monétaire directe à reprendre un emploi ; ceci suppose que les agents aient des comportements calculateurs, et que le gain monétaire soit la source de toute motivation à l'emploi.

La mise en évidence de ce conflit entre redistribution et travail est une bonne illustration des difficultés rencontrées dans la tentative de conciliation entre efficacité et justice sociale. Ainsi, en écho à cette vaste question, nous nous interrogerons sur les modalités de conciliation entre redistribution et travail : la redistribution des revenus est-elle nécessairement source de désincitation au travail?

Nous prendrons le parti de montrer que la redistribution n'est pas nécessairement source de désincitation au travail, et que la conciliation optimale entre travail et redistribution dépend pour beaucoup des partis pris et des valeurs qui leurs sont rattachées.

Ainsi, pour répondre à cette question, nous verrons dans une première partie que la répartition primaire des revenus génère une forte pauvreté et de fortes inégalités que le système redistributif permet de corriger. Nous exposerons alors l'effet désincitatif de la redistribution, en explicitant la notion de taux marginal effectif d'imposition (TMEI). La forme de la courbe des TMEI rencontrée en France est en effet à l'origine de gains très faibles au retour à l'emploi pour les sans-emplois et les bénéficiaires de minima sociaux.

Nous présenterons dans une seconde partie un premier type de solutions, qui, pour concilier au mieux travail et redistribution, vise à rendre le travail payant, c'est-à-dire à redistribuer les revenus de telle sorte que le retour à l'emploi apporte un gain suffisant pour motiver les sans-emploi. Une ré-interprétation du modèle standard de la redistribution optimale des revenus nous permettra de justifier ce changement profond des objectifs de la redistribution: l'accès à l'emploi en devient en effet un des objectifs principal, au côté de la protection contre la pauvreté et la lutte contre les inégalités. Des réformes ont déjà eu lieu, mettant en oeuvre cette logique où le travail devient une fin en soi. Nous présenterons les exemples anglo-saxons, pour montrer les effets potentiels de telles réformes, ainsi que les jugements qu'elles véhiculent sur le travail et l'inactivité. La récente réforme du Revenu de Solidarité Active (RSA) constitue une évolution dans ce sens du système français de redistribution. Nous en présenterons la genèse, la mise en oeuvre, ainsi que les controverses portant sur ces effets potentiels et la logique qui la sous-tend.

Notre troisième et dernière partie sera pour nous l'occasion de remettre en cause cette conception selon laquelle il existe un arbitrage monétaire et rationnel qui fonde le choix de travailler ou de rester inactif. Ainsi, nous montrerons que cette conception est « datée », et qu'elle a accompagné l'industrialisation de nos économies et la fondation du capitalisme. De là date une distinction entre pauvres inaptes et pauvres aptes au travail, distinction qui sera partiellement remise en cause par la générosité croissante de la redistribution et par la prééminence d'une protection sociale assurantielle. Nous verrons ensuite que le problème de la trappe à inactivité tel qu'il se pose aujourd'hui dans notre société post-fordiste est loin d'être réductible au seul gain espéré au retour à l'emploi. Le phénomène de l'exclusion sociale montre que les sans-emploi sont exclus du marché du travail, alors que dans le même temps l'accès à l'emploi demeure important dans la constitution de la citoyenneté sociale, et que, plus généralement, les motivations au travail semblent être diverses. Ces considérations sur la place nouvelle du travail dans notre société nous amèneront à nous demander si l'allocation universelle peut constituer une réponse moderne au problème de la conciliation entre travail et redistribution, en déconnectant définitivement la motivation à l'emploi de considérations purement monétaires.

Chapitre I. De la distribution à la redistribution des revenus.

La redistribution des revenus se justifie par l'existence d'inégalités importantes, et par les situations de pauvreté pouvant être générées par le fonctionnement de l'économie. L'objectif est donc d'apporter des corrections, afin de produire une répartition des richesses qui permette d'atteindre des niveaux jugés socialement satisfaisants de pauvreté et d'inégalités. C'est pourquoi de nombreux indicateurs ont émergés, visant à la fois à donner une image la plus fidèle possible de la réalité des inégalités et de la pauvreté en en comprenant les déterminants et la complexité, mais visant aussi à traduire le ressenti des populations vis-à-vis de ces phénomènes et permettre aux politiques de se doter d'objectifs simples et compréhensibles par tous. Ces indicateurs répondent chacun à des conceptions particulières des faits qu'ils cherchent à appréhender, et doivent donc se compléter.

Ces outils nous permettront de présenter un état des lieux de la pauvreté et des inégalités en France. Nous tenterons d'en comprendre les déterminants, notamment en présentant la structure des revenus primaires, et le rôle joué par le travail et le capital. De même, nous tenterons de comprendre les liens entre accès à l'emploi et pauvreté.

Grâce à cette présentation de la distribution primaire des revenus, nous pourrons estimer l'effet de la redistribution sur la répartition des richesses. Si nous pourrons conclure à un effet globalement positif des impôts et transferts, nous verrons que la redistribution est susceptible d'engendrer un effet pervers important concernant l'incitation monétaire au retour à l'emploi, notamment pour les bénéficiaires de minima sociaux. Nous en présenterons les caractéristiques et quelques estimations empiriques.

I. Pauvreté et inégalités : définitions et mesures.

La mise en oeuvre de la redistribution tire sa légitimité dans la correction de situations pré-existantes jugées injustes ou inefficaces. Il est donc nécessaire de poser un diagnostic sur l'état de la pauvreté et de l'inégalité, en définissant ces phénomènes au préalable et en en détaillant les modalités d'appréciation. Nous pourrons voir ensuite quel est le degré d'inégalité et de pauvreté dans la répartition primaire des revenus et des revenus du travail. Nous nous intéresserons enfin au phénomène des travailleurs pauvres en notant que, malgré tout, les actifs restent moins pauvres que les inactifs.

A. La Pauvreté.

Avant d'observer l'état de la pauvreté en France aujourd'hui, il est nécessaire de comprendre quels sont les moyens de l'évaluer. De nombreux modes d'évaluation de la pauvreté ont été développés, chacun possédant une définition de la pauvreté qui lui est propre. Ainsi, faire un choix dans le mode d'évaluation revient à faire un choix sur ce qu'est la pauvreté.

Principalement deux conceptions s'opposent sur la méthode de dénombrement des individus pauvres. Pour l'une, la pauvreté est une situation où l'accès aux biens et services de base est inférieur à une norme jugée minimale. Ici, c'est une vision absolue de la pauvreté qui prime, c'est-à-dire que sa définition est invariante de l'état de richesse de la société. C'est l'anglais Rowntree qui le premier, dans son ouvrage de 1901, Poverty, a study of town life, cherche à évaluer le nombre de pauvres, en mettant au point un indicateur de pauvreté en termes absolus. Grâce aux conseils de nutritionnistes, il quantifie les besoins nutritionnels minimaux à satisfaire pour chaque famille, afin d'éviter les situations de maladie et de perte de poids. De là, il compose un panier de biens satisfaisant ces besoins en choisissant les produits les moins chers. Le seuil de pauvreté étant alors la capacité monétaire de se procurer ce panier-type. Plus tard, cette conception a été développée aux États-Unis au début des années soixante, lorsque la mise en place d'un système de sécurité sociale complet a été décidée : il s'agissait de financer l'assurance maladie des plus démunis, d'où la nécessité de créer un critère de sélection des ayant droits aux nouvelles aides ; ce critère fut défini comme la capacité monétaire de se procurer un panier-type.

La seconde conception du seuil de pauvreté est exprimée en termes relatifs : le seuil de pauvreté dépend de la répartition globale des revenus. La pauvreté n'est donc plus l'incapacité d'accéder à un minimum, mais l'écart existant avec le revenu considéré comme normal. On devient pauvre lorsque notre revenu est inférieur au revenu normal, lorsqu'on possède moins que la norme. Cette conception est utilisée aujourd'hui par l'Union Européenne et d'autres institutions, ainsi que par la France (à titre indicatif, sans être utilisé comme critère dans les politiques sociales). Le seuil est défini comme étant le revenu correspondant à 50% (ou 60%) du revenu médian (il est traditionnellement calculé sur le revenu moyen au Royaume-Uni2(*)), c'est-à-dire le revenu dont la moitié de la population gagne plus, et l'autre moitié a un revenu inférieur. Ainsi, en France en 2007, le seuil de pauvreté à 60% pour une personne seule correspondait à un revenu disponible mensuel de 908 euros3(*).

Les deux conceptions reposent sur deux visions distinctes de la pauvreté, et apportent des informations différentes (mais complémentaires) sur l'état de la pauvreté.

L'intérêt de la définition en termes absolus réside dans le fait qu'elle permet de comparer l'étendue de la pauvreté entre plusieurs pays qui connaissent des situations fort différentes. Par exemple, en définissant la pauvreté de cette façon, on met en évidence que le nombre de pauvres dans un pays « développé » est largement inférieur à celui présent dans un pays « pauvre », c'est-à-dire que dans ce dernier l'accès à un minimum est moins aisé. D'ailleurs, les organisations internationales, comme la Banque Mondiale évaluent la pauvreté dans les pays en voie de développement en termes absolus (personnes vivant avec moins de 1 ou 2 dollars par jour), ce qui n'est pas réalisé pour les pays industrialisés. Pour autant, se pose ici la question du niveau du seuil et de la composition du panier-type, c'est-à-dire de la quantité de biens que l'on juge être minimale. Doit-on intégrer, par exemple, l'accès à une connexion internet dans le calcul du seuil, car elle permet de rester intégré socialement et de chercher activement un emploi ?

La conception relative repose sur un autre parti pris. Comme l'affirmait K.Marx en 1849, « Nos besoins et nos plaisirs ont leur source dans la société ; nous les mesurons, par conséquent, à la société ; nous ne les mesurons pas aux objets de notre satisfaction. Comme ils sont de nature sociale, ils sont de nature relative. 4(*)». De ce constat Marx tire une conclusion fondamentale : l'accroissement des plaisirs de l'ouvrier ne s'accompagne pas d'une plus grande satisfaction sociale, car la richesse des plus riches et celle de la société toute entière croît au même rythme5(*). L'insatisfaction ne provient donc pas d'un manque vital ou de difficultés d'accès à des services essentiels mais de la différence que l'on observe entre soi et le niveau de vie standard. Le dénombrement des pauvres en termes relatifs recoupe cependant largement le dénombrement en termes absolus, puisque les individus relativement les moins bien dotés sont aussi ceux qui auront du mal à accéder aux minimums vitaux.

La mesure relative de la pauvreté reste essentiellement une mesure de l'inégalité de répartition des revenus. Tant que la structure de la répartition n'est pas modifiée, l'insatisfaction des plus pauvres est constante, et on peut même supposer qu'elle est croissante si la richesse des plus riches croît plus rapidement. Si l'on désire mener une action pour réduire la pauvreté relative, il sera nécessaire de rendre la société plus égalitaire et non pas plus riche, car il est possible que le taux de pauvreté diminue quand la richesse globale diminue. En effet, si les plus riches s'appauvrissent, le revenu médian va automatiquement diminuer, diminuant du même coup le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté. En poussant la logique, il est techniquement envisageable qu'un appauvrissement en termes absolus des plus pauvres s'accompagne d'une diminution de la pauvreté en termes relatifs, si la société s'appauvrit en devenant égalitaire. Cette conception relative de la pauvreté est très bien décrite par A.Gorz. Ainsi, pour lui, « pas plus qu'il n'y a de pauvres quand il n'y a pas de riches, pas plus il ne peut y avoir de riches quand il n'y a pas de pauvres : quand tout le monde est riche, personne ne l'est ; de même quand tout le monde est pauvre.6(*

Cependant, les deux conceptions posent les mêmes problèmes, propres à la fixation d'un seuil : elles n'indiquent rien sur le positionnement des individus par rapport au seuil. En conséquence, le revenu manquant (« income gap ») doit être pris en compte si l'on veut se faire une idée précise de la pauvreté : c'est le supplément de revenu qui permettrait aux individus sous le seuil de pauvreté d'atteindre ce seuil. L'income gap peut être mesuré en moyenne (écart moyen au seuil, des individus les plus pauvres), permettant ainsi d'avoir une vison globale de l'intensité de la pauvreté. Si l'income gap s'accroît sans que le taux de pauvreté ne bouge, cela signifie que les pauvres s'appauvrissent, ce qui ne peut être ignoré par les politiques de lutte contre la pauvreté. D'ailleurs comme le note A.Sen: « avec le ratio du dénombrement comme mesure de la pauvreté, tout gouvernement est soumis à la vive tentation de concentrer ses efforts sur les plus riches des pauvres, puisque c'est de cette façon là que le nombre de pauvres (...) peut être le plus aisément réduit » 7(*). Face à cette tentation de réduire le taux de pauvreté, c'est plutôt l'objectif de diminuer la pauvreté des plus pauvres, c'est-à-dire la grande pauvreté qui devrait être légitimement prioritaire8(*). Le second problème qui découle de la fixation d'un seuil et lié au précédent : c'est la non prise en compte de l'inégalité parmi les pauvres. Cette prise en compte est importante puisque plus l'inégalité parmi les pauvres est importante, plus il sera difficile de résorber le grande pauvreté, et plus les plus pauvres seront pauvres.

Ainsi, au-delà des différentes conceptions de la pauvreté, sa mesure doit intégrer de multiples considérations, et seul un indicateur composite permettrait d'en donner une image complète9(*). Il en va de même pour l'inégalité, second phénomène justifiant l'intervention de la redistribution des richesses, et recoupant une réalité complexe.

B. L'inégalité.

Se poser la question « pourquoi l'égalité? » revient selon A. Sen à se poser une autre question: « égalité de quoi? ». En effet, si nous parvenons à donner une réponse à la seconde question, c'est-à-dire si nous sommes capables de définir un champ où promouvoir l'égalité, alors nous savons déjà pourquoi l'égalité est importante dans cette espace. Poser la question de la variable que nous voulons rendre égalitaire, permet de s'apercevoir de l'universalité de cette idée, défendue aujourd'hui par tous les courants de pensée. Même les plus libéraux, pensant eux-mêmes se battre contre le dogme de l'égalitarisme, défendent une certaine idée de l'égalité : l'égalité des droits et des libertés. La défense d'une inégalité méritocratique n'échappe pas à la règle : à compétence égale, traitement égal. Cependant, la notion d'égalité renvoie bien souvent aux inégalités dans le répartition des revenus.

Ceci se comprend fort bien si l'on accepte que le revenu est un élément central dans la constitution d'une liberté positive effective10(*). De plus, la richesse, exprimée en termes monétaires, permet une comparaison rapide entre plusieurs situations. On fait alors l'hypothèse implicite qu'un euro procure la même utilité à tous, indistinctement : celui qui a un revenu moindre est donc nécessairement désavantagé. On pourrait au contraire supposer que nous sommes tous différents, et que les besoins individuels ne sont pas homogènes. En ce cas, réclamer l'égalité de revenu revient à réclamer l'inégalité des niveaux d'utilité. La facilité de la comparaison de revenus monétaires, et l'impossibilité pour nous de prendre en compte les préférences individuelles quant à la détention de monnaie, font de la prise en compte des inégalités de revenu le meilleur objectif pour le système redistributif11(*).

Prendre en compte le degré d'inégalité existant dans une société semble justifié au moins pour deux raisons. Tout d'abord parce que les inégalités, si elles sont trop fortes et trop ressenties peuvent fortement nuire à la cohésion sociale, et ceci d'autant plus que les plus pauvres sont démunis. Ainsi, calculer le niveau d'inégalité après redistribution revient à appréhender quel est le degré d'acceptation des inégalités : plus le système redistributif égalise les revenus, plus l'aversion pour l'inégalité est importante, et inversement. Ensuite, parce que le niveau d'inégalités reflète le fonctionnement du système économique, que l'on peut juger à l'aune du degré d'inégalités qu'il génère. Calculer le niveau d'inégalités sur les revenus primaires permet de comprendre comment sont répartis les fruits de l'activité économique.

S'il est pertinent d'appréhender le niveau d'inégalité, quelle méthode employer ? De nombreux indicateurs sont à notre disposition, mais nous en retiendrons ici principalement trois : le rapport inter-quantiles, l'indice de Gini et l'indice d'Atkinson.

Le rapport inter-quantiles est le plus simple et le plus intuitif des indicateurs. C'est le rapport entre, par exemple, le neuvième décile et le premier décile, c'est-à-dire entre le revenu dont 90% de la population gagne moins et le revenu dont 10% de la population gagne moins. Si le rapport est de 3, alors on peut dire que les 10% les plus riches gagnent, au moins, trois fois plus que les 10% les plus pauvres. Il est aussi possible, par exemple, de calculer le rapport entre la médiane (cinquième décile) et le premier décile, afin de voir la dispersion des revenus en bas de l'échelle. La prise en compte des déciles peut aussi donner lieu au calcul du revenu moyen par décile (par exemple le revenu moyen des 10% les plus riches). Il s'ensuit que le rapport entre les revenus moyens du dernier et du premier décile sera fortement majoré par rapport au rapport interdécile, et ceci d'autant plus que les plus riches sont très riches et les plus pauvres très pauvres. Comparer le revenu moyen des 10% les plus riches et le neuvième décile permet d'appréhender la dispersion en haut de l'échelle : plus le revenu moyen est supérieur au décile, plus l'extrémité des hauts revenus est élevée. Des rapports peuvent être calculés avec tous les quantiles possibles, par exemple entre des centiles (les 1% les plus riches gagnent au moins x fois le revenu des 1% les plus pauvres), ou des quintiles (les 20% les plus riches gagnent au moins x fois le revenu des 20% les plus pauvres).

Après le rapport inter-quantiles, l'indice de Gini est l'un des indicateurs les plus usités, parce qu'il reste intuitif, et parce qu'il permet de mesurer l'écart existant entre l'égalité parfaite et la distribution effective des revenus. Il est compris entre 0 et 1, avec 1, l'inégalité absolue (un individu possède tous les revenus), et 0 l'égalité parfaite. On peut représenter grâce à la courbe de Lorenz différents types de distribution des revenus (cf. Graphique 1).

Graphique 1: Courbe de Lorenz

On a en abscisse la population classée par ordre croissant de revenus, et en ordonnée la masse des revenus. Dans le cas d'une répartition parfaitement égalitaire (droite), 50% de la population détient 50% de la masse des revenus, 20% de la population détient 20% des revenus, 80% détient 80% des revenus. Par contre, dans le cas de répartitions plus inégalitaires, les courbes s'éloignent de la bissectrice : dans le cas de la répartition A, les 20% les plus pauvres ne détiennent que moins de 10% des revenus, et les 20% les plus riches détiennent plus de 30% des revenus. Pour la répartition B, les 20% les plus riches détiennent environ 60% des revenus tandis que les 20% les plus pauvres détiennent moins de 20% des revenus. Ainsi, étant donné que plus l'écart entre la bissectrice et la répartition effective est important plus les inégalités sont fortes, on peut mesurer l'espace séparant la représentation de le répartition effective de la répartition égalitaire pour juger de l'ampleur des inégalités. L'indice de Gini mesure cet espace (grâce à une formule de type intégrale) et l'exprime par rapport au cas parfaitement inégalitaire (où l'indice est donc égal à 1). C'est donc le rapport entre, d'une part, la surface comprise entre la courbe de Lorenz effective et la courbe de Lorenz parfaitement égalitaire, et d'autre part, la surface définie par [EFG].

On peut trouver comme critique à l'indice de Gini qu'il ne permet pas de différencier deux distributions ayant le même écart global avec la distribution égalitaire mais n'ayant pas la même forme, l'une pouvant être plus inégalitaire au bas de la distribution (aplatissement plus marqué au début de la courbe de Lorenz), l'autre plus inégalitaire en haut de la distribution (verticalité plus marquée en haut de la courbe de Lorenz)12(*) (pour le détail, cf.Annexe 3)

Enfin, on peut présenter l'indice de Atkinson qui possède la particularité d'introduire une vision normative de l'inégalité. Tous les indicateurs que nous avons présentés précédemment permettent d'exprimer un niveau d'inégalité mais permettent difficilement de juger de ce niveau. Bien qu'ils permettent des comparaisons (inter-temporelles et spatiales), ils ne permettent pas de dire, pour un niveau donné d'inégalités, s'il est acceptable ou souhaitable. T.Atkinson affirme ainsi: « for the economist (...) it is more natural to begin by considering the ordinal problem of obtaining a ranking of distributions, since this may require less agreement about the form of the social welfare function 13(*. C'est donc par facilité que la plupart des indicateurs développés permettent de comparer les degrés d'inégalité de deux distributions (classement ordinal des distributions), sans chercher à juger du degré d'inégalité d'une redistribution, en se référant à une fonction de bien-être social prédéterminée. En conséquence l'indice développé par Atkinson vise à comparer plusieurs distributions d'inégalité pour un niveau d'aversion sociale à l'inégalité déterminée, et à faire évoluer l'indice en fonction de l'aversion à l'inégalité (pour une explication en détail du calcul et des implications de l'indice de Atkinson, cf.Annexe 3).

En nous empêchant de faire mesure commune, et en signifiant un dysfonctionnement de la répartition opérée par les marchés, de trop fortes inégalités justifient l'intervention correctrice de la redistribution. Cette correction doit reposer sur des indicateurs, dont la diversité nous permet de prendre en compte les différents aspects de l'inégalité de revenus. Ces indicateurs nous permettent en outre d'intégrer à la fois une dimension positive et une dimension normative, les deux étant nécessaires pour appréhender au mieux les inégalités.

Nous venons de définir précisément les notions de pauvreté et d'inégalité. Il en ressort qu'il n'existe pas de façon juste et universelle de les appréhender, et que choisir l'une ou l'autre des conceptions n'est pas sans incidence. Il convient désormais d'observer, grâce à ces définitions et à ces indicateurs, l'état des inégalités et de la pauvreté en France.

II. Pauvreté, inégalité et emploi.

Après avoir défini la pauvreté et les inégalités, et après avoir présenté les moyens de mesures qui nous sont offerts, il convient d'appréhender leurs importances et leurs caractéristiques en France. Ainsi, nous présenterons les grandes tendances relatives à la pauvreté et les inégalités, en s'attachant surtout à comprendre quels en sont leurs déterminants. Nous verrons tout d'abord que les inégalités de revenus primaires sont importantes, en raison des fortes inégalités de salaires et des inégales dotations en patrimoine. Nous verrons ensuite que la pauvreté est aussi la conséquence des inégalités face à l'emploi : l'inactivité et la précarité du salariat en sont les principaux déterminants. La dégradation des conditions d'emplois impacte ainsi défavorablement les travailleurs, qui sont, par conséquent, de plus en plus vulnérables face à la pauvreté.

A. L'inégale distribution des revenus primaires.

La structure des revenus primaires évolue avec la structure productive, et l'avènement de la « société salariale » s'accompagne logiquement d'une prééminence des inégalités de salaire dans la structure des inégalités. En effet, le fait que tout le monde devienne salarié n'implique pas de resserrement des inégalités, car comme l'indique R.Castel, on a vu apparaître un « salariat bourgeois 14(*)», constitué de cadres, de professions intellectuelles, favorisés par la tertiarisation de l'économie. Cette bourgeoisie salariée ne se substitue pas aux emplois peu payés et peu qualifiés, encore nombreux.

Ainsi, c'est dans la structure des revenus salariaux qu'il faut chercher l'origine d'une part importante des inégalités de revenus (revenus primaires autant que disponibles). En 2006, la distribution des salaires nets annuels est caractérisée par un écart interdécile (D9/D1) de 2,97, signifiant ainsi que les 10% des salariés les mieux payés gagnent au moins trois fois le salaire des 10% les moins bien payés. Bien que ce chiffre soit conséquent, il faut noter que les inégalités de salaire ont eu fortement tendance à diminuer depuis l'après-guerre : le rapport interdécile était ainsi de 4,12 en 1965. Les inégalités entament alors une nette diminution jusqu'au début des années quatre-vingt, après quoi elles se stabilisent jusqu'à nos jours15(*). Il faut noter que cette baisse du rapport D9/D1 s'explique avant tout par une diminution des inégalités dans le bas de la distribution des salaires : le rapport D9/D5 reste parfaitement stable, tandis que le rapport D5/D1 diminue très régulièrement (cf. Graphique 1).

Graphique 1: Evolution des rapports interdéciles de la distribution des salaires nets annuels. Source: INSEE, 2010.

Ainsi, c'est principalement la revalorisation des bas salaires qui a permis cette baisse tendancielle des inégalités. Le Salaire Minimum Inter-professionnel de Croissance (SMIC) remplace le SMIG (Salaire Minimum Inter-professionnel Garanti) en 1970, avec, lors de cette transition une réévaluation importante de son niveau, mais surtout une modification du mode de calcul du salaire minimum, qui n'est plus indexé seulement sur l'inflation mais aussi sur le taux de salaire horaire ouvrier. De même, les revendications salariales issues des contestations de Mai 1968 vont se répercuter en hausses des bas salaires qui seront nombreuses durant les années soixante-dix. Le premier décile de la distribution des salaires croit ainsi de 15% entre 1967 et 1968, de 20% l'année suivante, ou encore de 21% entre 1973 et 1974. Les mêmes années, le taux de croissance du neuvième décile n'est que de 8%, 12% et 17%. Le rôle du salaire minimum apparaît ici comme prépondérant dans le compression de l'éventail des salaires au bas de la distribution16(*) : l'augmentation du SMIC a un fort impact négatif sur l'évolution du rapport D5/D1.

La diminution des inégalités de salaires a été cependant de plus en plus faible depuis les années quatre-vingt, et l'on observe même une hausse du rapport D9/D1 ente 1984 et 1994 (de 3,09 à 3,23). Le rapport stagne ensuite jusqu'en 2006, alors qu'entre 1966 et 1984 le rapport passe de 4,18 à 3,09. Outre la croissance qui est plus faible aujourd'hui que lors de la période d'accumulation fordiste des « trente glorieuses », il faut noter que les hauts salaires ont aujourd'hui tendance à croître beaucoup plus rapidement que le reste des salaires : entre 1984 et 2006, l'écart entre le salaire moyen et le salaire médian a été multiplié par deux17(*) (l'élévation plus rapide du salaire moyen dénote la hausse des valeurs extrêmes dans la partie supérieure de la distribution des salaires).

Outre les salaires, le capital joue un rôle déterminant dans la constitution des inégalités de revenus : les inégalités entre revenus d'activités sont faibles comparées aux inégalités de répartition du patrimoine. Ainsi, les 50% des ménages les moins bien dotés en patrimoine ne possèdent que 10% du patrimoine total. A l'inverse, les 10% les mieux dotés possèdent 40% du patrimoine total. L'indice de Gini calculé sur la répartition du patrimoine atteint ainsi presque 0,7. En comparaison, l'indice de Gini calculé sur les revenus primaires, c'est-à-dire y compris les revenus du capital et les revenus du travail, atteint 0,48.

Les inégalités de dotations en patrimoine sont liées aux classes d'âges (le patrimoine croît fortement avec l'âge des détenteurs), mais aussi au niveau de revenu. Ainsi, les hauts revenus sont ceux qui détiennent le plus de patrimoine, et sont ceux dont la part du revenu issue du patrimoine de rapport est la plus importante. Selon T.Piketty, la hausse de la proportion des revenus du capital avec la hausse du revenu primaire a toujours été un trait du capitalisme18(*). Cependant, cette relation s'est fortement atténuée au fil du XXème siècle, et la part des revenus du capital chez les hauts revenus a fortement décrue. Désormais, seulement pour les fractiles extrêmement supérieurs, les revenus du capital sont majoritaires et supplantent les revenus d'activité. Ainsi, les revenus du travail salarié restent majoritaires jusque pour ce que Piketty appelle les « classes moyennes19(*) », c'est-à-dire les plus pauvres des plus riches (fractile P90-9920(*)). Ensuite, les revenus d'activité des indépendants prennent le dessus (fractile P99-99,9) pour enfin céder la place, à la marge, aux revenus du capital mobilier (pour les « 200 familles » les plus riches, les revenus du capital représentent 60% du total des revenus). La part des revenus du capital est donc croissante avec le revenu surtout pour les hauts revenus ; de même, la part des revenus issue du capital mobilier croît avec le revenu mais de façon significative que pour les très hauts revenus (90% des revenus du capital sont issus du capital mobilier pour les « 200 familles »). La véritable richesse résidant, dans la société capitaliste, dans la détention du capital des entreprises, alors qu'elle résidait, sous l'ancien régime, dans la propriété foncière21(*).

B. Pauvreté et emploi

La répartition des revenus primaires est loin d'être égalitaire, autant en raison d'une inégale répartition du capital que de fortes inégalités au sein du salariat. Ces inégalités salariales sont importantes et révèlent que l'emploi n'est pas un statut offrant des avantages et une sécurité uniformes. La situation d'emploi des individus conditionne pour une large part leur positionnement vis-à-vis du seuil de pauvreté ; cette importance de l'emploi se traduit de deux façons : d'une part par l'accès -ou non- à l'emploi, et d'autre part par la qualité de l'emploi obtenu.

Graphique 2: Évolution du nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté à 60%. Source: INSEE, 2010

Entre 1996 et 2006, le taux de pauvreté (seuil de 60%) en France a diminué, quoique très légèrement : il est passé de 13,5% à 13,2%. Cependant, dans le même temps, le nombre de pauvres a augmenté de 300 000 personnes, au point qu'en 2007, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté est à peu de choses près celui de 1990 (cf.Graphique 2).

Malgré tout, la France se positionne plutôt bien par rapport aux autres pays de l'OCDE. Neuf pays ont un taux de pauvreté plus faible, dont la Suède (11,4%) ou la République Tchèque (11,5%), tandis que vingt-et-un pays affichent des taux de pauvreté supérieurs, pouvant aller jusqu'à 23,9% pour les États-Unis ou 21% pour l'Espagne. Ces bonnes performances de la France peuvent s'expliquer pour D. Clerc par l'importance de notre système redistributif, qui permet de lutter efficacement contre la pauvreté. Par conséquent, compte tenu de cette « protection » pouvant être jugée plutôt efficace, il faut trouver une explication à la légère hausse du nombre de personnes pauvres que nous avons observée entre 1996 et 2006. Pour D. Clerc, c'est la dégradation des conditions d'emplois qui en est le facteur explicatif22(*).

L'accès à l'emploi reste un des principaux moyens de se protéger de la pauvreté. Les inactifs (hors retraités) connaissent un taux de pauvreté de plus de 48%, ce qui est deux fois plus important que le taux de pauvreté maximum des actifs. Au sein des actifs, la situation n'est pas homogène, puisque on peut estimer23(*) que le tiers des chômeurs (c'est-à-dire en recherche active d'emploi) vivent dans un ménage pauvre, ce qui est conséquent.

Mais, si l'emploi reste protecteur, tous les emplois ne permettent pas une protection homogène. On voit grâce à l'Illustration 2 que le niveau de pauvreté est fortement influencé par la Profession et Catégorie Socioprofessionnelle (PCS) de la personne de référence du ménage.

Illustration 2: Taux de pauvreté (seuil à 60%), selon la PCS de la personne de référence du ménage. Source: INSEE, Enquête Revenus Fiscaux 2007

On observe un lien direct entre emploi et pauvreté: si le taux de pauvreté pour les agriculteurs exploitants atteint 24,63% en 2007, il n'est que de 2,67% pour les cadres supérieurs. On remarque qu'après les agriculteurs, ce sont les employés, ouvriers, et travailleurs indépendants qui ont les taux de pauvreté les plus élevés, légèrement au dessus du taux de pauvreté globale. Le travail n'est donc pas toujours protecteur, puisque le quart d'une profession vit aujourd'hui sous le seuil de pauvreté.

Au delà de la PCS, la qualité de l'emploi s'apprécie par le type de contrats. Ainsi, les temps partiels sont bien plus exposés au risque de pauvreté que les travailleurs à temps plein. Pour dépasser le seuil de pauvreté en travaillant (sans prendre en compte les transferts sociaux), il faut travailler au moins 137 heures par mois au salaire horaire net de 6,62€. Une personne travaillant à mi-temps, soit soixante-dix heures par mois, payée au SMIC, ne touche que 463,4€ mensuels, ce qui est loin du seuil de pauvreté. Pour le tiers des personnes en temps partiel, cette situation est subie, c'est-à-dire que les revenus du foyer où les compléments de revenus ne permettent pas d'atteindre un niveau de vie jugé satisfaisant. De même, la forte croissance des flux d'embauches en CDD (70% des embauches se font aujourd'hui en CDD24(*)) ou en intérim contribue à fragiliser l'emploi. Le taux de pauvreté (seuil à 60%) des personnes ayant cumulé emploi et chômage sur une année est de 29% lorsque le chômage est dominant, et de 20% lorsque l'emploi est dominant, alors que lors de la même étude, le taux de pauvreté des personnes en CDI à temps complet était de 4%25(*). La statut du travailleur détermine donc son positionnement vis-à-vis de la pauvreté.

Globalement, le nombre de travailleurs26(*) vivant dans un ménage pauvre est 1,74 millions en 2005. La même année, 3,745 millions de travailleurs avaient un revenu d'activité qui n'atteignait pas le seuil de pauvreté à 60%27(*). En parallèle, l'intensité de la pauvreté avant impôts et transferts, c'est-à-dire sur les revenus primaires (donc issus du travail pour une large part), pour un seuil de pauvreté à 60% du revenu médian, est ainsi de 72,6% en France en 2005. L'écart moyen entre le revenu primaire des individus pauvres et le seuil de pauvreté représente donc 72,6% de ce seuil. Cet écart s'est accru depuis 1985, où il était de 67% du seuil de pauvreté. Les personnes vivant sous le seuil de pauvreté du fait d'emplois peu rémunérateurs ou d'absence d'emploi ont ainsi vu leur situation se dégrader en moyenne entre 1985 et 2005.

Il demeure sans doute préférable aujourd'hui d'être en emploi que d'être inactif si l'on cherche à se prémunir contre la pauvreté. Néanmoins, certains emplois offrent une protection relativement faible, et globalement la situation des travailleurs semble se dégrader.

La distribution primaire des revenus est donc caractérisée par des inégalités et une pauvreté importante. Le travail est un facteur déterminant dans la constitution de ces inégalités ; de même, le travail semble être de moins en moins protecteur à l'égard de la pauvreté. Si l'objectif de la redistribution est de lutter contre les inégalités et la pauvreté, son intervention se trouve ainsi tout à fait justifiée.

III. La mise en oeuvre de la redistribution.

Nous devons juger de la capacité du système redistributif à modifier la répartition des richesses. Il s'agit de voir s'il permet d'atténuer les disparités de richesses et les situations de pauvreté, et, à ce titre, nous tenterons de voir quels en sont les instruments les plus efficaces. Mais, si la redistribution atteint son objectif en termes de justice sociale, il convient de vérifier que cette action ne soit pas faite au détriment de l'efficacité économique. C'est pourquoi nous présenterons le potentiel effet de désincitation au travail, souvent associé à une redistribution trop généreuse, ainsi que son effectivité dans le cas de la France.

A. Une redistribution efficace.

L'état de la pauvreté et des inégalités en France est fortement impacté par la redistribution des revenus. Ainsi, la redistributivité issue de la conjugaison des principaux transferts et prélèvements semble importante, c'est-à-dire que les transferts bénéficient plus aux ménages les plus pauvres, et que les prélèvements impactent plus les revenus les plus élevés (cf. Graphique 3).

Graphique 3: Composition du revenu disponible, selon le niveau de revenu. Source: La Documentation Française.


              Ainsi, on observe qu'en France les revenus primaires (c'est-à-dire les « revenus d'activité et produits financiers » sur le graphique) ne sont pas équivalents aux revenus disponibles. Pour le premier décile de revenus, le revenu primaire représente un peu plus de  60% du revenu disponible : le système socio-fiscal permet donc de fournir 40% de leur revenu disponible. Les transferts alloués semblent donc protéger efficacement les individus les plus pauvres du risque de pauvreté. Pour les personnes ayant un revenu disponible compris entre le quatrième et le cinquième décile, les revenus primaires représentent 100% du revenu disponible : les effets des prestations sociales perçues et des impôts directs payés se compensent à peu près. Pour les personnes du dernier décile, les revenus primaires représentent 120% de leur revenu disponible, les impôts directs payés en représentant 20%. On observe donc que la part du revenu primaire dans le revenu disponible est fortement croissante avec le revenu, de même que la part des prestations sociales dans le revenu disponible est fortement décroissante avec le revenu. On peut donc conclure à une forte redistributivité du système socio-fiscal français puisqu'il permet, grâce aux impôts et transferts de lisser les inégalités de revenus primaires.

La redistribution a aussi un impact important sur la pauvreté. Elle permet de réduire de 20 points de pourcentage le taux de pauvreté avec un seuil à 60% du revenu médian , et de 23,6 points si l'on prend en compte un seuil à 50% (cf. Tableau 1).

Le tableau nous indique aussi que la redistribution a un effet positif sur l'income gap. L'intensité de la pauvreté est fortement réduite grâce au système redistributif : l'écart entre le revenu moyen des personnes pauvres et le seuil de pauvreté (fixé à 60% du revenu médian) passe ainsi de 72,6% de ce seuil à 22,4% grâce à la redistribution. Les individus qui demeurent pauvres malgré l'intervention du système socio-fiscal, sont en moyenne moins pauvres que si la redistribution était inexistante. Ce sont les transferts qui, en toute logique, impactent les taux de pauvreté

Tableau 1: Effet de la redistribution sur différentes mesures de la pauvreté. Source: OCDE, 2008

Si la redistribution semble jouer globalement un rôle important, il faut tenter maintenant de comprendre quels en sont les instruments les plus efficaces28(*)(pour un détail de ces instruments, cf.Annexe 9).

L'impôt sur le revenu (IR) semble être un instrument particulièrement redistributif, ceci d'autant plus que seuls les 50% les plus riches des ménages payent effectivement cet impôt29(*). Son prélèvement génère une amputation globale du revenu net 30(*) importante, d'un peu plus de 5%. Le prélèvement opéré par l'IR est cependant beaucoup plus important pour les hauts revenus puisque, pour les revenus du quintile supérieur, il représente une perte de 10,5% du revenu net, contre 1,8% pour le troisième quintile et une majoration de 0,3% pour le premier quintile. Ceci est consécutif à la structure progressive de cet impôt : le taux d'imposition augmente avec le revenu imposable. Ainsi, le barème actuellement en vigueur de l'IR réalise une division du quotient familial en cinq tranches : pour les revenus inférieurs à 5875 €, le taux d'imposition est nul, puis il est de 5,5% pour les tranches de revenus comprises entre 5875 et 11720€, de 14% pour les tranches comprises entre 11720 et 26030€, de 30% pour les tranches allant de 26030 à 69783€. Pour toutes les tranches de revenus supérieures à 69783€, le taux d'imposition est de 40%, ce qui représente le taux marginal supérieur de l'impôt sur le revenu. Au final, le rapport inter-quintiles est de 7,24 pour le revenu net, et est réduit à 6,45 une fois déduit l'IR (sans la Prime Pour l'Emploi).

Les transferts monétaires sont ceux qui égalisent le plus la répartition des revenus et, ce, que ce soient des transferts sous condition de ressources ou des transferts sans condition de ressources. On remarque ainsi que les « prestations familiales sans condition de ressources » génèrent une augmentation du revenu net du premier quintile de 14,7%, contre seulement 1% pour le dernier quintile. Les prestations ne varient pas en fonction du revenu mais en fonction de la composition du foyer, mais les sommes versées représentent une part plus importante des bas revenus que des hauts revenus. Le rapport inter-quintile passe ainsi de 7,24 à 6,37 : la réduction des inégalités est plus forte qu'avec l'IR. Paradoxalement, les prestations familiales mises sous condition de ressources sont moins redistributives, en raison de leur plus faible ampleur. Elles représentent 9,1% du revenu net du premier quintile, et 0% du revenu net du dernier quintile, mais ne ramènent la ratio inter-quintile qu'a 6,64, ce qui est moins efficace que l'IR et que les prestations sans condition de ressources. Les aides au logement, elles aussi sous conditions de ressources sont extrêmement efficaces, grâce à leur ampleur : les individus du premier quintile ont reçu en moyenne 1190€ par équivalent adulte à ce titre en 2008. Les aides au logement cumulées au revenu net permettent d'atteindre un rapport inter-quintile de 6,14 : elles sont l'outil de redistribution correcteur des inégalités le plus efficace. Les minima sociaux quant à eux, représentent en moyenne 920€ annuels pour le premier quintile en équivalent adulte, et permettent d'atteindre un ratio de 6,36: ils sont donc moins redistributifs que les aides au logement. Il permettent toutefois de réduire le taux de pauvreté et l'intensité de pauvreté des ménages modestes.

Au final, le système socio-fiscal permet de faire passer le rapport inter-quintiles de 7,23 pour le revenu net à 4,1 pour le revenu disponible (après transferts). Le coefficient de Gini passe de 0,48 à 0,28 en France en 2005 grâce à la redistribution, ce qui en constitue une baisse, conséquente, de 41%31(*).

Si la redistribution des revenus en France remplit donc plutôt bien ses objectifs en terme de réduction des inégalités et de la pauvreté, il reste à voir si elle n'entrave pas la fonctionnement de l'économie, en dévaluant le travail, pour ses allocataires.

B. L'effet désincitatif de la redistribution.

Nous l'avons vu, redistribuer semble nécessaire compte tenu des inégalités et de la pauvreté qui caractérisent la distribution des revenus primaires. Cette position est d'autant plus évidente que nous avons montré que le système socio-fiscal français permet une forte réduction des inégalités et de la pauvreté. Cependant, la redistribution impacte la distribution des revenus et instaure des distorsions dans le jeu « normal » de l'économie. Afin de juger de l'efficacité de la redistribution il est nécessaire d'observer ces distorsions, leur importance et leurs conséquences.

Le régime fiscal français, et la redistribution qui lui est associée sont caractérisés par la convexité de la courbe du taux marginal effectif d'imposition (TMEI) à l'instar de la quasi-totalité des pays de l'OCDE. Le taux marginal d'imposition représente le taux auquel est imposé chaque euro supplémentaire gagné, c'est-à-dire la part de chaque euro gagné qui est confisquée par l'impôt. Par exemple, appliqué à l'impôt sur le revenu français, le taux marginal d'imposition est croissant par palier, compte tenu du barème en tranches : le taux marginal d'imposition sur le revenu est constant jusqu'au passage à la tranche supérieure où il connaît un « bond ». Cependant, se focaliser sur le taux marginal d'imposition sur le revenu reste limité : cet indicateur ne prend pas en compte l'ensemble des impôts et taxes pesant sur l'euro supplémentaire gagné, ni ne prend en compte les gains ou pertes de transferts liés à la progression du revenu primaire. C'est pourquoi il convient de prendre en considération le TMEI qui révèle le résultat d'une compensation entre transferts et impôts, c'est-à-dire qui indique l'imposition nette pour chaque euro supplémentaire gagné.

Ainsi, lorsqu'un agent voit son revenu augmenter, il peut être soumis à un nouvel impôt ou voir son taux d'imposition augmenter, mais aussi perdre des transferts qui lui étaient jusqu'alors accordés et qui sont supprimés en raison d'une mise sous condition de ressources. Par exemple le Revenu Minimum d'Insertion (RMI) est un transfert différentiel, c'est-à-dire que chaque euro supplémentaire gagné au travail est déduit du montant de l'allocation : la hausse du revenu primaire entraîne une baisse du transfert perçu. Mais cette perte de transferts n'est pas forcément aussi évidente, et ne concerne pas que les transferts financiers : la perte de l'éligibilité à la Couverture Maladie Universelle (CMU), ou la perte de la gratuité dans les transports en commun constituent un coût, au même titre que l'ensemble des avantages accordés sous conditions de ressources ou au titre des minima sociaux. Ce n'est donc pas seulement le niveau de revenu qui conditionne l'octroi d'aides mais aussi le statut de l'individu : passer du RMI à un emploi à mi-temps n'entraîne pas une hausse de revenu significative, mais un changement de statut qui peut être coûteux en raison de la perte des droits connexes ouverts aux allocataires de minima (pour le détail des droits connexes, cf.Annexe 5).

Cette perte de transferts sera plus importante pour les bas revenus que pour les hauts revenus, ce qui constitue donc une augmentation d'autant du TMEI pour cette première catégorie de revenus. A l'inverse, plus les revenus sont élevés, plus cette perte de transferts est faible, donc moins le TMEI en est impacté. Cependant, compte tenu de la progressivité de l'impôt sur le revenu, la hausse du revenu entraîne une hausse plus importante du taux d'imposition, ce qui effectue une pression à la hausse sur le TMEI pour les hauts revenus.

Pour comprendre ce que recoupe la notion de TMEI, on peut recourir à une formalisation élémentaire (pour le détail de cette formalisation, voire Annexe 4). On obtient :

Le TMEI est égal à 1 moins le rapport entre la variation du revenu disponible (äYD) et la variation du revenu primaire (äYP). On peut illustrer cette expression du TMEI par des exemples numériques. Ainsi, si le TMEI vaut 0,6, cela signifie que (äYD/äYP) vaut 0,4, c'est-à-dire que la hausse de revenu disponible ne représente que 40% de la hausse du revenu primaire : 60% de chaque euro supplémentaire gagné sont alors confisqués par le système redistributif. Si le TMEI vaut 0,8, (äYD/äYP) vaut 0,2 : lorsque les revenus primaires d'un agent augmentent de 5 euros, son revenu disponible n'augmente que de 1 euro. Dernier exemple : si le TMEI vaut 0,2, (äYD/äYP) vaut 0,8, cela signifie que lorsque les revenus primaires d'un agent augmentent de 1,25 euros, son revenu disponible n'augmente que de 1 euros. c'est-à-dire que l'agent perd 20% de chaque euro supplémentaire gagné.

Le TMEI représente donc l'évolution du revenu disponible en fonction du revenu primaire. Plus le TMEI est élevé, plus l'écart entre revenu disponible supplémentaire et revenu primaire supplémentaire sera important.

Graphique 4: Évolution du revenu disponible en fonction du revenu primaire. (Bourguignon F., Chiapori P.-A., 1998)

Ainsi, lorsque le TMEI est proche de 100%, toute augmentation de revenu primaire se traduit par une augmentation nulle ou quasi-nulle du revenu disponible. Lorsque le niveau du TMEI diminue, la hausse de revenu disponible consécutive à une hausse de revenu primaire est croissante. Le Graphique 4 traduit ainsi la courbe convexe du TMEI en représentant le revenu disponible en fonction du revenu primaire. Ce graphique illustre le fonctionnement de la redistribution en France à une époque où le RMI existait encore sans mécanismes significatifs d'incitations financières au travail, et où l'absence de bouclier fiscal pour les hauts revenus ne tempérait pas le rôle redistributif de l'impôt sur le revenu. On voit nettement que, au début de la courbe, la hausse des revenus primaires (des revenus du travail pour cette catégorie de population) n'entraîne aucune hausse de revenu disponible tant que les revenus du travail ne dépassent pas le seuil du RMI. Ensuite la courbe commence à croître, mais très faiblement en raison principalement de la perte d'allocations. Les revenus moyens sont ceux pour lesquels le TMEI est le plus faible (le revenu disponible augmente alors dans les mêmes proportions quasiment que les revenus primaires), car à ce niveau les hausses de revenu n'entraînent plus de pertes d'allocations, et parce que la progressivité de l'impôt sur le revenu ne joue pas encore un rôle significatif. Le TMEI croît pour les hauts revenus, mais très légèrement : on voit la fonction de revenu disponible s'aplanir faiblement. C'est alors la progressivité de l'impôt sur le revenu qui en est à l'origine.

Piketty a réalisé une estimation précise du TMEI français32(*) sur des données de 1996. Il conclut à une forme en « U » fortement aplati en haut de la distribution des salaires (cf.Graphique 5). Le TMEI le plus important s'applique pour le premier décile de salaires, c'est-à-dire incluant une forte proportion d'individus travaillant à temps partiel et gagnant peu, et atteint 80% (TMEI moyen appliqué au premier décile de salaires). Piketty réalise une estimation pour les personnes sans revenus d'activités : le TMEI atteint alors facilement 100%33(*).

Graphique 5: Taux marginaux effectifs d'imposition moyens par déciles de salaires net. Source: Piketty, 1997.

Ce qui est surprenant à la vue de cette estimation, c'est la faiblesse du TMEI moyen pour les derniers déciles (63,1% pour le dernier décile). On pourrait l'imputer pour une part au fait que c'est la calcul d'une moyenne, donc qui rend peu compte des revenus extrêmement élevés et des forts TMEI qui pourraient leur être appliqués. Or, si l'on suppose un revenu infini, le TMEI estimé par Piketty n'atteint que 70% pour une personne seule, ceci étant une estimation haute puisqu'elle ne prend pas en compte les éventuelles exonérations d'impôts. La question de la désincitation au travail se pose donc d'une façon plus intense pour les sans-emplois et les bas salaires : du premier au quatrième décile de salaire, le TMEI moyen est supérieur à celui que connaît le dernier décile de salaires.

Les estimations de Piketty et de Bourguignon et Chiaporri semblent donc converger. Cependant, les modes de calculs envisageables sont nombreux et peuvent diverger, principalement en raison des difficultés liées à la délimitation du champ d'analyse. Ainsi, les services publics et l'accès gratuit ou à faible coût à certains services sont extrêmement délicats à prendre en compte, car difficilement évaluables, et nous les ignorerons de fait. Une seconde question se pose concernant la prise en compte -ou non- de la protection sociale. A ce sujet, il n'y a pas de réponses tranchées. Si l'on décide de prendre en compte la protection sociale dans le calcul du TMEI, il faut assimiler le revenu primaire au salaire brut ou super-brut. En effet, les cotisations sociales sont considérées comme des prélèvements et doivent donc être intégrées au calcul du TMEI. Les cotisations patronales peuvent être incluses si l'on considère que ce sont les salariés qui les payent in fine. Par exemple, dans l'estimation de Piketty que nous avons présentée, les salaires super-bruts (c'est-à-dire y compris les cotisations patronales et salariales) sont pris en compte.

Pour F. Bourguignon, au contraire, la protection sociale ne doit pas être prise en compte. Tout d'abord en raison de son caractère contributif, qui fait que le montant des cotisations sociales versées détermine pour une bonne part le montant des prestations reçues. C'est la cas de l'assurance chômage, par exemple, ou du système de retraites. Ce dernier donne lieu à une redistribution longitudinale, c'est-à-dire qui opère dans le temps et non pas entre agents : si l'on suppose une neutralité actuarielle34(*) du système, l'intégralité des sommes versées sera récupérée dans le futur. Pour Bourguignon les retraites ne sont donc que des « salaires différés ». Outre la contributivité, c'est la relation entre revenu et consentement à payer qui neutralise l'impact de la protection sociale sur les TMEI. Compte tenu de la proportionnalité des cotisations sociales, si l'on suppose un besoin de soins plus important pour les bas revenus, ou si l'on suppose un consentement à payer constant avec le revenu, alors on peut considérer que les cotisations sociales opèrent une redistribution transversale et impactent les TMEI (les TMEI seraient plus faibles en bas de la courbe et plus élevés dans sa partie supérieure). Bourguignon préfère supposer a contrario35(*) que le consentement à payer croît avec le revenu, et que les besoins de soins sont constants pour tous niveaux de revenus, ce qui supprime l'effet redistributif des cotisations sociales, qui n'impactent donc pas le niveau des TMEI (hormis peut être pour les hauts revenus où les cotisations finissent par dépasser le consentement à payer, ce qui pourrait entraîner un relèvement du TMEI pour les très hauts revenus).

On peut considérer que les hypothèses formulées par Bourguignon sont discutables, et que la contributivité de la protection sociale n'est que partielle, validant ainsi la prise en compte de la protection sociale. D'autant plus si on cherche à évaluer le TMEI afin d'évaluer les désincitations au travail pesant sur les agents à un moment donné. Piketty en donne une illustration monétaire : un RMIste ayant un revenu de 530 euros mensuels (RMI et allocations logements cumulés) trouve un emploi pour lequel l'employeur déboursera 1370 euros mensuels (c'est-à-dire cotisations sociales y compris), ce qui représente ce qu'il est prêt à payer pour ce travailleur, son consentement à payer. Au final, l'individu ne touchera effectivement que 760 €par mois : le revenu super-brut croît de 158% tandis que le revenu disponible ne croît que de 43%.

La redistribution des revenus en France a donc des effets paradoxaux. D'un côté elle est efficace et parvient plutôt bien à atténuer la pauvreté et les inégalités générées par le distribution primaire des revenus. De l'autre côté, elle peut s'avérer fortement désincitative au travail, en raison principalement des transferts monétaires et des aides publiques, décroissants avec le revenu et dépendants du statut des individus ; la redistribution vise pourtant à pallier à des situations difficiles qui trouvent leur origine dans des défaillances de l'emploi (précarité, bas salaire, chômage).

Ainsi, la pauvreté et les inégalités avant redistribution sont importantes, et trouvent leur source dans les inégales répartition du travail et du capital ainsi que dans les inégalités salariales. L'accès à l'emploi, bien qu'encore protecteur, ne suffit pas à se prémunir contre la pauvreté. Ceci légitime l'intervention de la redistribution, qui s'avère être plutôt efficace mais possède un effet pervers notable qui est la désincitation au travail. Ceci pose problème si l'on fait l'hypothèse que les agents, calculateurs, comparent rationnellement les gains attendus de l'emploi et de l'inactivité subventionnée. De même, cette désincitation est gênante si l'on attache au travail une valeur morale et qu'on le considère comme une fin en soi.

Selon le parti pris, cet effet désincitatif de la redistribution pourra susciter différents types de réponses et appeler des réformes diverses. Nous verrons ainsi dans une seconde partie la stratégie qui vise à donner un nouvel objectif à la redistribution : rendre le travail payant.

Chapitre II. La redistribution contre le travail.

On peut en effet choisir de penser que des transferts trop généreux ou que des prélèvements trop lourds démotivent l'activité économique. On considère alors que la redistribution est coûteuse et réduit l'offre de travail des inactifs. Cette conception d'une redistribution source de désincitation au travail s'accompagne souvent d'un discours plus général visant à promouvoir les contreparties en travail et en efforts des allocataires de transferts sociaux, et visant à délégitimer les inactifs subventionnés. Dès lors, l'objectif est d'accroître les gains au retour à l'emploi, et supprimer la trappe à inactivité.

Nous verrons en premier lieu que si la théorie de l'impôt optimal préconisait au départ la convexité de la courbe des TMEI, une de ses ré-interprétations récentes permet de démontrer l'optimalité de réduire les TMEI pesant sur les inactifs bénéficiaires de transferts sociaux. Nous verrons en deuxième et troisième parties les réformes mises an place dans cette optique, dans les pays anglo-saxons tout d'abord, et en France ensuite.

I. Incidence fiscale et distorsions : comment redistribuer ?

La théorie économique a produit des modèles qui décrivent ce que devrait être une redistribution optimale. Le modèle canonique est ici celui proposé par Mirrlees en 1971 et repris ensuite par Diammond. La principale conclusion que l'on en retiendra ici est que, nonobstant les effets désincitatifs pouvant être générés par des taux marginaux importants imposés aux bas revenus, une courbe en « U » des TMEI est optimale. En effet, il convient de faire peser sur les personnes les moins productives et les moins nombreuses les taux d'impositions les plus élevés, si l'on se fixe comme objectif de maximiser les recettes fiscales. Nous montrerons ensuite que les prolongements de ce modèle permettent de mettre en évidence l'importance du choix qui est réalisé : si, au lieu de maximiser les recettes c'est l'emploi qui est au centre des préoccupations, lisser la courbe des TMEI notamment en bas de la distribution peut s'avérer efficace.

A. La courbe en « U » des TMEI: imposition optimale des revenus.

Mirrlees fût le premier a proposer un modèle de taxation optimale qui prenne en compte la possible désincitation au travail pouvant être générée. Il pose un certain nombre d'hypothèses pour construire son modèle. Tout d'abord il considère des agents rationnels calculateurs qui réalisent donc un arbitrage entre travail et loisir en fonction du coût et des avantages de chacune de ces options : le loisir devient de plus en plus coûteux au fur et à mesure que la salaire augmente36(*). L'offre individuelle de travail comme l'offre de marché sont donc croissantes avec le salaire. De plus Mirrlees suppose l'existence d'un marché du travail parfaitement concurrentiel, où le salaire est exogène et les salariés sont price-taker : il n'y a pas de fixation de salaire résultant de rapports de force ou de négociations collectives. Comme dans le modèle classique du marché du travail c'est la productivité marginale du travail qui détermine le salaire, à ceci près que pour Mirrlees c'est la productivité de chaque salarié qui détermine son niveau de salaire individuel : des bas salaires sont versés aux travailleurs peu efficaces, et des hauts salaires aux travailleurs très productifs. Mirrlees intègre dans le modèle un impôt sur le revenu au taux uniforme pour tous les agents, et qui répond au programme de la puissance publique qui est de maximiser le rendement de l'impôt pour maximiser le transfert versé aux individus ayant une productivité nulle, donc un salaire nul. On ne prend en compte que l'impôt sur le revenu puisqu'un impôt sur le revenu déterminé de façon optimal est suffisant et doit constituer l'intégralité des prélèvements

Le modèle vise à fixer la valeur du taux d'imposition qui soit optimale. Pour chaque augmentation du taux, la désincitiation au travail est plus forte, ce qui implique que certains travailleurs renoncent au travail et au salaire et ne payent donc plus l'impôt : le rendement de l'impôt diminue. D'un autre côté, les préférences individuelles en terme de travail et de loisir ne sont pas homogènes : d'autres individus ne changerons pas leur offre de travail suite à la hausse d'impôt afin de ne pas perdre trop de revenu, et certains iront même jusqu'à faire croître leur offre de travail afin de compenser la diminution du taux de salaire net. En conséquence de ce second effet, le rendement de l'impôt augmente avec l'augmentation du taux d'imposition.

On suppose que l'effet revenu domine au départ : des taux d'imposition encore faibles nécessitent des efforts de faible importance pour être compensés ; mais au bout d'un certain moment, l'effet substitution domine : la diminution de salaire net devient trop importante pour être compensée, et le coût d'opportunité du loisir devient extrêmement faible. L'offre de travail diminue donc à partir d'un certain niveau du taux d'imposition. L'État a donc intérêt à augmenter l'impôt jusqu'au moment où le gain supplémentaire de recette fiscale est exactement compensé par la parte de recettes induite par la désincitation au travail ainsi engendré. En égalisant ces deux effets, on obtient (pour un détail de la formalisation, cf.Annexe 7):

Le taux optimal (t*) est donc décroissant de l'élasticité de l'offre de travail (e). Plus l'élasticité est importante, plus l'effet substitution dominera l'effet revenu pour des niveaux faibles d'imposition, donc moins la hausse du taux sera efficace. Si l'élasticité de l'offre de travail est de 0,5, c'est-à-dire si pour une baisse de 20% du salaire net, l'offre de travail diminue de 10%, le taux d'impôt optimal est donc égal à 66%. Si l'élasticité est égale à 1 le taux d'imposition sera de 50%. Si l'élasticité est égale à 0, c'est-à-dire si l'offre de travail ne dépend pas de la contrepartie en salaire, alors le taux d'imposition sera de 100%, c'est-à-dire confisquant l'intégralité des revenus. On note que le taux optimal correspond au sommet de la « Courbe de Laffer 37(*)»: c'est le taux maximal à partir duquel le rendement de l'impôt diminue. En effet, l'économiste A. Laffer imaginait en 1974 que les États-Unis avaient dépassé ce taux optimal: il préconisait donc de diminuer le taux d'imposition pour augmenter le rendement de l'impôt.

En reprenant ce modèle élaboré par Mirrlees, Diamond a démontré l'optimalité d'une courbe en « U » des taux marginaux effectifs d'imposition. Il faut introduire ici l'existence d'une pluralité de taux d'imposition : on note t(y) le taux d'imposition pour chaque niveau (y) de revenu avant redistribution.

Le taux marginal d'imposition optimal t'*(y) pour chaque niveau de revenu brut correspond au même programme de maximisation de la part de la puissance publique que précédemment. Lorsque le taux marginal d'imposition augmente, et passe de t'(y) à [t'(y) + dt'] pour les revenus compris entre (y) et [y + dy], l'effet est double, comme dans le modèle de Mirrlees. Cette augmentation du taux marginal correspond nécessairement à une augmentation des taux d'imposition sur tous les revenus supérieurs à (y), et à une augmentation du différentiel de taux d'imposition entre tous les niveaux de revenus compris sur l'espace [y + dy]. Dès lors, le produit de l'impôt va croître, puisque le taux d'imposition va croître lui aussi pour les revenus supérieurs à (y). Mais, un second effet intervient : pour les individus ayant un revenu compris entre (y) et (y + dy), l'incitation à travailler plus est réduite en raison de la hausse du taux marginal, de même que pour tous les revenus supérieurs à (y) le salaire net diminue suite à la hausse de t', pouvant ainsi générer une désincitation au travail. On a donc un effet ambiguë sur l'évolution des recettes de l'impôt compte tenu de ces deux effets contradictoires. Comme précédemment, l'État doit augmenter t' jusqu'au moment où l'effet positif sera intégralement compensé par l'effet négatif : le taux marginal optimal t'* égalise donc ces deux effets. Pour tous niveaux de revenu (y) on a , après égalisation (cf.Annexe 7):

Le rapport compare le poids des agents dont le revenu est égal à y*38(*) au poids des agents dont le revenu est supérieur à y*39(*). Ce qui signifie que lorsque le rapport est faible, le poids des agents dont le revenu est supérieur à y* est très important par rapport au poids des agents ayant un revenu de y*. Plus le rapport diminue, plus le poids relatif des agents plus aisés est important. Du point de vue des finances publiques, il est donc souhaitable d'imposer un taux marginal important lorsque le rapport est faible : les agents pour lesquels le taux marginal va augmenter, qui vont donc connaître une forte désincitation au travail, sont relativement peu nombreux comparativement au nombre de gens qui vont voir leur niveau d'imposition augmenter (sans que les incitations soient changées). De plus, on observe que le taux marginal prend en compte l'élasticité de l'offre de travail de l'ensemble des travailleurs, comme précédemment. Le taux marginal d'imposition optimal évolue aussi en fonction du niveau de salaire w, c'est-à-dire en fonction du niveau de productivité des individus : plus w est élevé, donc plus les individus sont supposés être productifs, plus le taux marginal doit être bas, car plus la désincitation au travail est coûteuse.

Au final, le taux marginal d'imposition optimal pour tout niveau de revenu (y) décroît avec la hausse du nombre d'agents auxquels il est imposé ainsi qu'avec la hausse de la productivité des agents auxquels il est imposé et décroît avec l'élasticité de l'offre de travail pour ce groupe de revenus, mais croît avec le nombre d'agents ayant un revenu supérieur à (y).

Ainsi, la courbe des taux marginaux effectifs d'imposition doit avoir une forme convexe, avec des taux élevés aux deux extrémités de la distribution des revenus (hauts et bas revenus) en raison du faible nombre d'agents présents à ces extrémités. Mais le taux marginal doit être plus élevé pour les bas revenus que pour les hauts revenus car plus le revenu est bas, plus le nombre d'individus plus riches est élevé40(*)(cf.Annexe 6). Cette différence entre hauts et bas revenus est accentuée si on suppose que les bas revenus ont une élasticité de l'offre de travail plus faible que les hauts revenus41(*). Enfin, les bas revenus sont les moins productifs par hypothèse donc sont ceux qu'il est le moins gênant de désinciter au travail. On justifie donc la forme en « U » des taux marginaux mais aussi le fait que les taux marginaux soient plus faibles en haut de la distribution qu'en bas.

La redistribution telle qu'elle est mise en place aujourd'hui en France semble donc correspondre aux canons de l'optimalité déterminés par le modèle standard de la redistribution, la désincitation au travail pesant sur certains individus étant compensée par la hausse des recettes sur d'autres catégories d'agents. On peut en conclure ceci : si l'objectif est de maximiser le niveau du transfert versé, alors il faut accroître le taux marginal d'imposition pour les bas revenus c'est-à-dire ne pas les inciter à travailler plus, donc favoriser leur dépendance aux transferts sociaux.

B. Impôt optimal et emploi.

Cependant, les hypothèses du modèle que nous venons de présenter sont irréalistes à bien des égards, notamment concernant les comportements des offreurs de travail et l'objectif maximisateur de la puissance publique.

Ainsi Piketty modifie le modèle Mirrlees-Diamond en postulant un comportement des agents différent : plutôt que de savoir si les agents modifient le nombre d'heures de travail offertes, il suppose que c'est l'incitation à chercher du travail, et l'incitation à changer d'emploi pour atteindre une meilleure situation ou obtenir un avancement qui sont impactés par le taux marginal d'imposition. Il s'intéresse donc à la marge intensive de l'offre de travail42(*). C'est l'effort et la motivation des agents qui sont évalués. Il distingue trois catégories de population: les sans-emplois, les bas salaires, et les hauts salaires. Chacune dispose d'un niveau de salaire (nul pour les sans-emplois, w1 pour les bas salaires, w2 pour les hauts salaires), d'un revenu disponible (respectivement y0, y1 et y2) et rassemble un nombre d'agents (m0, m1 et m2). y0 représente un transfert monétaire alloué à tous les individus, et qui constitue l'unique revenu des sans-emploi. Le taux marginal effectif d'imposition lors du passage du non-emploi vers l'emploi, (T0), est représenté par : (cf.Annexe 7) 43(*)

Si l'État décide de faire croître T0 en le faisant passer à (T0+ dT0), deux effets se feront jour. D'un côté une hausse des recettes consécutive à la hausse d'impôts payés par tous les salariés sur leur fraction de salaire inférieure à w1 (pour faire croître To, il faut que y1 diminue, donc que le taux d'impôt sur les bas salaires soit plus important). De l'autre côté la baisse de l'écart (y1 - y0) entraîne une désincitation à trouver un emploi, donc une augmentation du nombre de personnes restant au chômage et une baisse des travailleurs à bas salaires. Ainsi, si (y1 - y0) augmente de 1% alors une proportion supplémentaire de chômeurs égale à e0 % trouve un emploi à bas salaires, et inversement dans le cas d'une baisse de l'écart. Il y a donc une baisse des recettes, en raison de cette désincitation au travail de même qu'en raison d'une hausse des taux d'imposition s'appliquant à toutes les catégories de salaires supérieurs (ceci est nécessaire si l'on suppose que les taux marginaux ne sont pas modifiés pour les autres catégories d'individus). Le taux marginal optimal To* qui égalise les deux effets est :

Pour la transition des bas salaires vers les hauts salaires, l'expression du taux marginal optimal est proche, avec e1 l'élasticité de probabilité de transition associée à une variation de (y2 -y1). On a :

Dans son article, Piketty reconnaît que la conclusion est proche de celle du modèle Mirrlees-Diamond, et exprime « la même logique » : si le taux marginal effectif décroît avec l'élasticité-revenu de l'offre de travail dans le premier cas, Piketty fait décroitre le taux marginal avec l'élasticité de probabilité de transition, pointant l'importance du gain de revenu espéré dans le choix de chercher -ou pas- un emploi.

L'intérêt de la formulation proposée par Piketty est de distinguer les sans-emploi des personnes en emploi, et donc de permettre une comparaison aisée entre T0 et T1. Par exemple, si les sans-emploi et les bas-revenu ont la même élasticité de transition, T0* sera supérieur à T1*, ceci s'expliquant comme avec Mirrlees-Diamond par le nombre de personnes ayant un revenu plus élevé44(*). Pour maximiser les recettes publiques, et donc le niveau de transferts sociaux Y0, il semble donc préférable de désinciter à l'emploi et de taxer de façon importante les bas revenus, plutôt que de pénaliser les hauts revenus. Ce constat est extrêmement paradoxal : pour venir en aide aux plus démunis, il faut privilégier la dépendance à l'aide publique plutôt que la sortie autonome de la pauvreté par l'emploi. L'intérêt du modèle présenté est justement de pouvoir dépasser ce paradoxe. En identifiant clairement deux taux optimaux pour deux catégories distinctes de populations, Piketty permet de faire apparaître la possibilité d'un arbitrage entre eux, afin de savoir lequel augmenter et lequel réduire. Si l'objectif social est la maximisation des recettes, alors l'arbitrage en faveur d'un taux marginal pesant sur l'accès à l'emploi plus élevé que le taux pesant sur la transition entre bas et hauts salaire a déjà été démontré. Cependant, on peut suivre Piketty et adjoindre à ce premier objectif celui de faire croître l'emploi. Il note en effet: « la redistribution fiscale socialement optimale dépend donc du poids relatif que l'objectif social accorde à la réduction du chômage d'une part, et au niveau de transfert (Y0) dont bénéficient ceux qui n'ont pas pu trouver d'emploi d'autre part »45(*). L'État peut ainsi chercher à diminuer T0 en dessous de son niveau optimal pour les recettes publiques T0*, afin de susciter une hausse de l'offre de travail à bas salaires. Pour que l'effet sur le budget soit atténué ou nul, il convient de faire croître T1 dans des proportions suffisantes. On finance donc des créations d'emplois en reportant leur coût sur des hausses d'impôts portant sur les hauts revenus. Ceci peut fonctionner dès lors que l'élasticité de transition du chômage vers l'emploi est suffisante. Les études sur l'élasticité de l'offre de travail semblent montrer des élasticités de l'offre de travail pour la transition du non-emploi vers l'emploi comprises entre 1 et 1,5. Ces estimations sont notamment basées sur une étude de N. Eissa et J.B. Liebman qui évalue l'effet de la réforme de l'EITC en 1986 sur l'offre de travail des mères célibataires : la hausse des montants distribués a entraîné une hausse de 2,8 points de pourcentage du taux d'emploi des mères célibataires. De même, Card et Robbins se sont servi de l'expérience contrôlée menée au Canada entre 1992 et 1998 et visant la mise en place d'une incitation au travail pour les chefs de familles monoparentales. L'effet de ce programme, intitulé Self Sufficenciy Project a pu être évalué précisément grâce à la présence d'un groupe contrôle et d'un groupe de traitement percevant un supplément de revenu consécutif au retour à l'emploi permettant de doubler les revenus du travail. Lors de la première année de l'expérience, le taux d'emploi du groupe traitement croît de 21 points de pourcentages, contre une hausse de seulement 6 points de pourcentages pour le groupe contrôle. L'étude canadienne aboutit à des élasticités de transition entre non-emploi et emploi oscillant entre 1 et 1,5, l'étude de Eissa et Liebman aboutissant à des élasticités proches de 1. Si ces estimations de l'élasticité de l'offre de travail sont correctes46(*), alors il sera peu coûteux et très efficace de lisser le bas de la courbe des TMEI : en diminuant les TMEI appliqués à la transition vers l'emploi, on accroit (y1-y0) ce qui fera croître dans une proportion importante l'offre de travail à bas salaires des sans-emplois. Dans le même temps, plus les élasticités de transition vers l'emploi (e0) sont élevées, et plus e0 est supérieur à e1, plus il sera intéressant de financer cette hausse de l'offre d'emploi des inactifs par une hausse des TMEI appliqués au passage d'emplois peu payés (w1) à des emplois mieux payés (w2), c'est-à-dire une hausse de T1.

En changeant de focale, c'est-à-dire en se fixant comme objectif l'emploi et non pas la maximisation des recettes fiscales, Piketty démontre que la redistribution peut, en se réformant, c'est-à-dire en diminuant les TMEI appliqués aux inactifs et en augmentant les TMEI appliqués aux hauts revenus, devenir l'alliée de l'emploi et non plus son ennemi. Cependant, il faut rappeler que l'action sur l'incitation de l'offre de travail ne sera pas suffisante : il faut que la demande de travail soit à même d'absorber ce surplus d'offre. On peut mettre en avant le fait qu'en subventionnant l'emploi, ce type de mesures pourra permettre d'accroître l'acceptabilité des bas salaires pour les travailleurs, ce qui peut être un stimulant pour la demande de travail. On pourrait toutefois imaginer, dans une optique kaleckienne, qu'une simple hausse des salaires permettrait du même coup d'accroître l'incitation au travail et la demande effective, donc in fine la demande de travail.

II. Les premières mesures anglo-saxonnes.

Les pays anglo-saxons, principalement les États-Unis et le Royaume-Uni, on entamé depuis les années quatre-vingt un virage dans la mise en oeuvre de leurs politiques sociales. Le nouveau paradigme reprend l'idée d'une réduction des désincitations pesant sur l'offre de travail à bas salaires pour résoudre le problème de la trappe à inactivité. Plus globalement, ces réformes se sont attachées à renforcer la séparation entre bénéficiaires de l'aide sociale bien-portants et bénéficiaires inaptes au travail, dans le but de réduire la désincitation au travail. L'idée principale étant que l'aide sociale accordée sans contrepartie en travail induit de l'oisiveté. On fait alors l'hypotyhèse que les individus sont calculateurs et réalisent un arbitrage monétaire entre travail et loisir subventionné : il faut donc renforcer les incitations monétaires au travail, et parallèlement, réduire les incitations à l'inactivité. Plus indirectement, ces réformes correspondaient à une modification profonde des modalités du contrat social, ainsi qu'une modification de l'acceptabilité de chacun à participer à un système redistributif en direction des plus démunis. Ces réformes se sont inscrites dans un mouvement plus vaste vers le workfare, signifiant littéralement work for welfare, et affirmant que le bénéfice de l'aide sociale devrait fait l'objet d'une contrepartie en travail, au nom d'un certain jugement moral du travail et de l'oisiveté.

A. Les Etats-Unis et l'Earned Income Tax Credit.

Aux E.-U., le système de valeurs dominant intègre l'idée que le travail est la clé de la sortie de la pauvreté. En citant les résultats du sondage World Values Survey, Alesina A. et Glaeser E. notent ainsi que 60% des américains sondés pensent que les pauvres sont paresseux47(*).

La loi fédérale de 1996 portant sur l'octroi des principales aides sociales est imprégnée de cette conception, et fait suite à une longue période de maturation et d'évolution lente dans les mentalités. Le champ de la réforme est limité puisque elle concerne principalement les conditions d'octroi des aides sociales aux familles monoparentales (c'est-à-dire principalement les mères célibataires). Comme le note G. Burtless, cette réforme répond à un ensemble de modifications profondes dans la société américaine, dont notamment un large accès des femmes au marché du travail qui coïncidait avec un faible niveau d'activité pour les mères au foyer recevant des aides sociales ; cette coïncidence rendait « l'oisiveté » des mères au foyer moins légitime. L'autre facteur explicatif pouvant être le développement massif de la pauvreté parmi les salariés les moins qualifiés. Par exemple, le salaire réel des hommes ayant un niveau scolaire inférieur à la moyenne a diminué entre 1975 et 1995. Plus globalement, on observe que, si le montant du neuvième décile de salaire horaire réel croît de 10% entre 1972 et 1996, le niveau de la médiane des salaires chute de 10% sur la même période. Les mères célibataires faisant généralement partie de la partie inférieure de l'échelle des salaires, leur situation s'est dégradée parallèlement. Si l'on souhaite mettre en oeuvre une politique sociale fidèle au jugement moral négatif sur l'oisiveté dans un contexte d'appauvrissement des travailleurs, l'aide sociale doit se substituer au travail comme moyen de s'extraire de la pauvreté, tout en rendant le travail attractif. Ainsi, les deux objectifs de la réforme de 1996 furent d'accroître la part des mères célibataires en emploi et d'accroître les revenus nets des parents à bas revenus ayant un emploi (ne sont donc pas concernés, sur ce second volet, que les parents célibataires).

La loi de 1996, intitulée PRWORA (Personal Responsability and Work Opportunity Reconciliation Act) permet ainsi le passage du programme Aid to Families with Dependent Children (AFDC) au programme au Temporary Assistance to Needy Families (TANF). Ceci entraîne notamment un durcissement des conditions de versement des aides, puisque les prestations sociales financées par le gouvernement fédéral ne peuvent, dès lors, plus être versées que pour une durée maximum de cinq années consécutives. De nombreux États (les deux tiers d'entre eux) sont allés encore plus loin, certains interdisant le versement des aides plus de deux années consécutives. Du coup, le montant global des aides accordées a fortement diminué. En parallèle, la loi oblige les parents bénéficiaires à s'inscrire dans des programmes de recherche d'emploi et d'insertion (formation, par exemple), sans quoi les aides sont supprimées. Pour Burtless, une des principales conséquences de cette réforme a été de marginaliser une part importante d'anciens bénéficiaires et de bénéficiaires potentiels des aides sociales. Il note ainsi que les mères célibataires quittant le programme d'aides en sortent beaucoup plus tôt qu'auparavant. Il estime en outre que de nombreuses bénéficiaires potentielles ont été dissuadées de demander l'ouverture de leurs droits. Ceci étant confirmé par les travaux de Grogger J., Karoly L. et Kerman J. en 200248(*) qui montrent qu'un des effets principaux de ce mouvement de réforme est la diminution du recours aux aides sociales49(*).

Graphique 6: Barème de l'EITC en 2007. Source: Burtless G., 2008

Si la loi PRWORA marque une étape importante dans la marche vers le workfare aux USA, ce mouvement de revalorisation du travail a démarré bien plus tôt avec l'Earned Income Tax Credit (EITC), mis en place en 1975. L'EITC consiste en un crédit d'impôt pouvant donner lieu à un versement (dans le cas où le crédit d'impôt accordé supplante les impôts payés), qui s'applique aux ménages à bas revenus dont au moins un membre travail (excluant donc de fait les ménages sans actifs, qui doivent faire appel aux allocations chômage, très restrictives). L'EITC s'applique en trois étapes (cf. Graphique 6). Dans une première phase, c'est-à-dire pour des revenus d'activité inférieurs à 11 700 dollars pour un ménage avec au moins deux enfants, le crédit d'impôt augmente avec le revenu. Dans une seconde phase, le crédit d'impôt reste stable et ne varie plus avec le revenu. Enfin, dans une dernière phase le montant du crédit d'impôt décroît avec le revenu : pour le même ménage, la dernière phase débute dès lors que les revenus salariaux du ménage atteignent 15000 dollars, et prend fin pour des revenus salariaux de plus de 37 000 dollars. Ainsi, on peut lire sur le graphique qu'un ménage bi-actif avec un enfant à charge et 20 000 dollars de salaire annuel touchera un peu plus de 2000 dollars d'EITC à l'année.

Le mécanisme, au départ réservé aux travailleurs ayant des personnes à leur charge, s'est ouvert aux personnes sans enfants, mais reste largement favorable aux familles avec enfants50(*). Burtless note ainsi qu'un couple sans enfants dont les deux membres travaillent à temps plein payés au salaire minimum n'est pas éligible à l'EITC ; le même couple, avec deux enfants touchera 2000 dollars (annuels). L'EITC a pour but de rendre le travail payant, c'est-à-dire de réduire les effets désincitatifs liés à la reprise d'un emploi, donc de lisser la courbe des TMEI: un ménage inactif n'aura pas droit à l'aide, et sera donc incité financièrement à sortir du chômage. L'objectif étant de réduire la pauvreté en réaffirmant le travail comme valeur fondamentale et en en faisant une condition stricte à l'octroi de l'aide.

L'EITC n'a cessé de prendre de l'ampleur depuis sa création, en partie en raison de réformes ayant assoupli les conditions d'accès, en 1986 (indexation des montants de l'EITC sur l'inflation et augmentation des barèmes) et 1993 (extension du dispositif aux ménages sans enfant). On observe ainsi que d'un montant de 3 milliards de dollars en 1975 et 1985 (stagnation sur la période), le budget fédéral consacré à l'EITC a fortement crû ensuite, atteignant 35 milliards en 1999 et 39 milliards en 2005 (l'EITC représentait 1,8% du budget fédéral en 1998). En 1998, il concernait 19,5 millions de foyers américains (soit un ménage sur cinq). Au delà de l'ampleur de ce dispositif, c'est sa capacité à réduire la pauvreté des travailleurs à bas salaires, ainsi qu'à lisser la courbe des TMEI, notamment lors du passage du chômage à l'emploi, qu'il faut évaluer.

Concernant l'impact sur la pauvreté, on peut chercher à évaluer la diminution du taux de pauvreté51(*) induite par l'EITC. En d'autres termes, il convient de dénombrer le nombre de personnes pauvres sans l'EITC et de réaliser le même calcul une fois l'aide versée. Le revenu de référence52(*) n'intègre pas les impôts versés, les prestations sociales non-monétaires (principalement des bons d'alimentation) et les gains en capital, mais intègre les prestations sociales monétaires (retraites, TANF, chômage...) hormis l'EITC. Ainsi, en prenant en compte ce revenu de référence, 34,5 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté aux USA en 1998. Si l'on retranche les impôts versés et les gains en capital, le nombre de personnes pauvres ne varie quasiment pas (+100 000 personnes pauvres). En revanche, si l'on retranche les impôts versés, c'est-à-dire en intégrant l'EITC et que l'on ajoute les gains en capital et l'EITC, le nombre de pauvres passe à 30,2 millions. L'EITC permet donc de passer d'un taux de pauvreté de 12,7% (au revenu de référence) à un taux de 11,1% (EITC y compris). Ce mécanisme semble donc efficace globalement dans la lutte contre la pauvreté, bien que d'autres programmes semblent réduire la pauvreté de façon beaucoup plus conséquente, à l'instar des prestations de sécurité sociale sans condition de ressource, dont principalement les retraites et assurances chômages, qui génèrent une baisse du taux de pauvreté de 6,3 points.

Concernant l'impact de l'EITC sur l'incitation au travail et le TMEI, on peut noter une pluralité d'effets contradictoires, selon O. Bontout. La principale contradiction résidant dans l'existence d'un effet revenu et d'un effet substitution, contradiction qui s'avère donc être vérifiée empiriquement à défaut d'être comprise par la théorie économique néo-classique53(*). Lors de la phase ascendante du mécanisme, l'EITC permet d'instaurer un Taux Marginal d'Imposition (TMI) négatif, c'est-à-dire que pour chaque euro supplémentaire gagné au travail, le revenu disponible obtenu est croissant (le gain au travail est croissant avec le salaire)54(*). Si l'on intègre dans le raisonnement l'impôt sur le revenu (IR), on conserve ce TMI négatif mais de façon moins marquée. Par exemple, dans le cas d'une famille monoparentale avec deux enfants, le TMI pour l'EITC et l'IR cumulés est négatif jusqu'à 10000 dollars de revenus nets annuels. Le TMI augmente brusquement lors de l'entrée dans l'IR (hausse de 15 points de TMI), et lors de l'entrée dans la phase plateau de l'EITC (hausse de 25 points du TMI) où il devient positif. Cette hausse par palier du TMI n'aboutit à un taux d'imposition moyen positif qu'à partir de 20 000 dollars de revenu net pour ce type de ménage. Ainsi, en ne prenant en compte que l'IR et l'EITC, on observe que pour tous revenus salariaux inférieurs à 20 000 dollars, le revenu disponible est supérieur ou égal au revenu salarial. En intégrant les prestations sociales, on observe que pour le même ménage gagnant 5000 dollars de revenus salariaux, le TMI des prestations sociales prises isolément (ici le TANF et les bons alimentaires octroyés sous condition de ressource), c'est-à-dire si l'on ne prend en compte que la perte de transfert liée à la hausse de revenu du travail, serait de plus de 70% (une hausse du revenu primaire de 1 dollar n'entrainant une hausse du revenu disponible de seulement 0,3 dollar, compte tenu de la perte de transferts). L'intervention du système fiscal (IR et EITC) ajoutée aux transferts sociaux donne un TMI de 30% pour les mêmes revenus salariaux, ce qui constitue une forte baisse par rapport au TMI ne prenant en compte que le transfert.

Le taux marginal d'imposition « global », donc le Taux Marginal Effectif d'Imposition, est négatif seulement pour des revenus salariaux inférieurs à 1500 dollars annuels, et atteint 50% juste avant la sortie du TANF, pour des revenus salariaux de près de 10 000 dollars. L'EITC joue donc parfaitement son rôle en rendant le travail incitatif, bien plus qu'il ne le serait sans ce dispositif. Certes, en prenant en compte l'ensemble du système socio-fiscal, l'effet de l'EITC est plus une forte baisse du TMEI que l'instauration d'un TMEI négatif pour les bas revenus (hormis pour les très bas revenus), mais on peut dire que l'EITC parvient, au moins pour les bas revenus, à contrecarrer les désincitations au travail inhérentes au système redistributif.

Cependant, au-delà de cet effet substitution (le gain au travail croît dans la phase ascendante de l'EITC, ce qui est susceptible d'entrainer une hausse de l'offre de travail), il existe, dès lors que le bénéficiaire atteint le « plateau » et ce jusqu'à la fin de la phase descendante de l'EITC, un effet-revenu qui génère une nouvelle désincitation au travail. Ceci s'explique par le fait qu'à partir de ce stade, la hausse du revenu disponible avec le salaire va stagner puis ralentir, entraînant donc une hausse du TMEI. Ainsi, dans le cas d'un chef de famille ne travaillant pas à temps plein mais ayant atteint la phase descendante de l'EITC, chaque heure travaillée supplémentaire générera de moins en moins de revenus. Selon O. Bontout, l'effet revenu domine d'autant plus dans le cas d'un ménage bi-actif : si l'entrée sur le marché du travail est séquentielle, lorsque le premier membre du couple entre sur le marché du travail, le revenu du ménage peut augmenter de telle façon qu'il atteigne la phase descendante de l'EITC, auquel cas la désincitation au travail du second travailleur est forte (plus il travaillera, plus le montant reçu au titre de l'EITC sera faible). Pour les personnes déjà en emploi, sur les phases plateau et surtout descendante, l'effet revenu risque de générer une baisse du nombre d'heures travaillées. Plus généralement, l'effet revenu semble dominer pour les travailleurs atteignant la phase plateau, générant une incitation à diminuer le nombre d'heures travaillées, de même que lors de la phase descendante, la perte de l'EITC semble amener des « effets revenus et substitutions négatifs 55(*)», donc une incitation à diminuer le temps de travail. Cependant, Eissa et Liebman ne parviennent pas à observer cet effet dans leur étude sur l'extension de l'EITC de 1986, bien qu'ils admettent que cet effet aurait dû être constaté selon toute vraisemblance théorique. Ils expliquent cela par le fait que beaucoup de bénéficiaires de l'EITC n'en n'ont pas conscience (ceci s'expliquant -pour eux- par la forme de cette redistribution qui prend la forme d'un crédit d'impôt, et non pas d'un véritable transfert perçu régulièrement). Pour les auteurs, même les individus conscients de recevoir l'EITC ne le perçoivent probablement que comme un transfert forfaitaire, donc invariant du nombre d'heures de travail56(*).

Globalement, l'effet de l'EITC sur l'emploi est indéniablement positif, de même que son effet sur la pauvreté, quoique d'une moindre ampleur. Cependant, les mesures précises de cet impact ne font pas consensus. S'il y a bien une forte incitation à passer du non-emploi vers l'emploi, tout au moins pour les personnes seules, on peut observer une désincitation à l'emploi pour les seconds salaires des couples bi-actifs et une incitation -au moins théorique- à réduire le temps de travail dans les phases plateau et descendante.

B. Le Workfare anglais.

Tout comme aux États-Unis, c'est à partir des années quatre-vingt que la protection sociale change de logique au R.-U., en évoluant vers une logique de workfare. D'un même mouvement est instauré une contrepartie en travail qui conditionne l'octroi des principales aides ainsi que des aménagements fiscaux visant à atténuer les TMEI pour la transition du non-emploi vers l'emploi, donc de rendre le travail payant. Traditionnellement, le système social anglais met l'accent de façon majoritaire sur les prestations à vocation universelle sous conditions de ressources et non contributives, financées par le système fiscal. A partir des années quatre-vingt, le ciblage des politiques sociales va aller croissant, entraînant, outre la restriction des conditions d'octroi des aides, une massification des contrôles des bénéficiaires et une hausse de la contrepartie en travail exigée. Les premières réformes allant dans ce sens furent celles de 1988 et 1998.

Ainsi, dès 1988 est mis en place le Family Credit dont l'objectif explicite est de renforcer les incitations monétaires au retour à l'emploi. Ce crédit d'impôt remboursable reste cependant de faible ampleur, puisqu'il est réservé aux familles avec enfants dont au moins un des membres travaille. De plus, au moins un des actifs du ménage doit travailler plus de 24 heures hebdomadaires pour que le ménage puisse recevoir l'aide. Les conditions d'octroi seront assouplies (notamment par la réduction du nombre d'heures de travail minimales à 16 heures hebdomadaires), jusqu'en 1998, où le dispositif sera réformé. A cette date, le Working Family Tax Credit (WFTC) succède au Family credit. Le WFTC s'inscrit dans le cadre du New Deal du gouvernement de T. Blair, qui vise plus globalement à modifier les relations existantes entre travail et redistribution, en introduisant la sanction et la menace sur les sans-emplois, et en introduisant l'idée d'une contrepartie nécessaire à tous octrois d'aides sociales. C'est pourquoi P. Le Galès, insistant sur l'héritage libéral du New Labour des années quatre-vingt-dix, affirme : « toute la tradition social-démocrate de l'accès universel à certains droits et allocations a été remplacée par une rhétorique des droits et responsabilités des individus57(*)». On parle alors de « workfare symbolique 58(*)», qui fait reposer le système de sanctions sur un discours politique visant à rendre l'individu redevable de l'effort fourni par la collectivité. L'allocataire est alors un « profiteur » potentiel qu'il faut contrôler pour éviter tout abus.

Le New Deal consistait en un ciblage plus important des aides sur les publics connaissant les plus grandes difficultés, et, en parallèle, de réintégrer les allocataires de minima au marché du travail, et notamment les mères célibataires, les seniors et les moins de 25 ans. Une offre importante de formation a ainsi été menée en direction de ces publics, mais dans une logique de devoir, c'est-à-dire assortie de sanctions en cas de non participation à ces programmes. La logique du workfare est introduite dans le versement des minima : les montants ont été réduits (ce qui réduit le TMEI et la désincitation au travail), des emprunts bonifiés remplacent parfois les subventions59(*), et le montant de l'allocation peut être affecté par le refus d'un emploi. Ainsi, les allocations chômage ont été remplacées par la Job Seeker Allowance (JSA), qui durcit les conditions d'octroi de l'aide : il faut prouver une recherche active d'emploi, et l'allocation chômage n'est versée plus que durant 6 mois maximum (contre 12 mois auparavant). De même, les minima sociaux sont soumis à cette logique de la contrepartie en travail : le montant de l'Income Support peut être réduit en cas de refus d'un emploi ou de non présentation à un entretien d'embauche. D'un autre côté, des mesures incitatives accompagnent le WFTC pour faciliter le retour à l'emploi : pour les familles monoparentales, l'Income Support est versé durant les deux premières semaines de la reprise d'activité, et d'autres allocations peuvent se cumuler temporairement avec le salaire60(*).

Le WFTC se veut être une solution à la fois au problème de la pauvreté des enfants en opérant une redistribution en faveur des familles, et au problème de la « trappe à inactivité » en redistribuant vers les travailleurs pauvres. Contrairement au dispositif étasunien, l'octroi de ce crédit d'impôt n'a pas été étendu aux célibataires sans-enfants, conservant ainsi son objectif familialiste et de protection de l'enfance. Pour bénéficier du WFTC, il faut qu'au moins un actif du couple travaille plus de 26 heures hebdomadaires, qu'au moins un enfant de moins de 16 ans soit présent dans le ménage, et que le patrimoine du ménage soit suffisamment faible (inférieur à 8000£ en 2000). Il en résulte que la reprise d'emplois à temps très partiel n'est pas du tout incitée, au contraire de l'EITC qui s'enclenche dès la première heure travaillée. Le WFTC est calculé sur les revenus nets du foyer (c'est-à-dire y compris les revenus du travail, les pensions de retraite, et les revenus d'épargne, tous nets d'impôts): pour tous ménages satisfaisant les conditions d'octroi (c'est-à-dire travaillant suffisamment) et ayant un revenu net hebdomadaire inférieur ou égal à 90£, le montant du crédit d'impôt est maximal, soit 52,3£ hebdomadaires (c'est-à-dire environ 210£ par mois). Ensuite, pour la part du revenu qui excède les 90£ hebdomadaires, le WFTC est dégressif à un taux de 55% (pour chaque euro supplémentaire de revenu net, le montant supplémentaire de crédit d'impôt est diminué de 55%). Outre ce versement de base, le WFTC comprend aussi des majorations, en fonction du nombre d'enfants à charge, mais aussi une majoration pour garde d'enfants (elle couvre 70% du cout de la garde, avec un plafond maximal évoluant en fonction du nombre d'enfants à faire garder). Outre l'incitation financière, on voit donc que les difficultés matérielles entravant le retour à l'emploi sont aussi prises en compte.

Les évaluations du WFTC laissent pourtant entrevoir une efficacité plutôt faible, à la fois en termes redistributifs qu'en termes de retour à l'emploi. D'un point de vue redistributif, l'effet du WFTC est modeste. En effet, ce ne sont pas les individus les plus pauvres qui vont en bénéficier, puisqu'ils ne travaillent pas ou pas assez. Ce sont donc les individus situés dans les deuxième et troisième déciles qui vont en bénéficier le plus : le WFTC représente ainsi plus de 10% du revenu disponible dans le premier cas, et près de 7% dans le second cas61(*). Dès le cinquième décile de revenu disponible, la part du WFTC dans le revenu disponible est proche de 0. L'effet estimé sur la pauvreté est lui aussi faible, car les plus nécessiteux ne sont pas concernés. Le WFTC joue un rôle faible dans la lutte contre la pauvreté.

D'un point de vue de l'incitation au travail, le WFTC impacte de façon importante les TMEI. Le nombre de personnes ayant un TMEI compris entre 90% et 100% passe ainsi de 222 000 à 115 000 grâce au dispositif. De même, la réduction du nombre d'individus ayant un TMEI compris entre 70% et 80% est de 249 000. Mais, comme dans le cas de l'EITC, le dispositif est susceptible d'accroître le TMEI pour les personnes déjà en emploi et qui atteignent la phase dégressive : il y a donc un risque de baisse du nombre d'heures travaillées, ou en tout cas de désincitation à travailler plus. Ainsi, 711 000 personnes supplémentaires vont avoir un TMEI compris entre 60% et 70%, et 207 000 personnes supplémentaires un TMEI compris entre 50% et 60%. Au final, le nombre de personnes ayant un TMEI supérieur à 50% augmente de 57,28% avec le WFTC, ce qui est un résultat plutôt négatif. On voit donc une baisse du nombre de personnes concernées par de très hauts TMEI, mais globalement une hausse du nombre de personnes concernées par des hauts TMEI (supérieurs à 50%). Au final, la hausse du taux d'activité induite par le WFTC était estimée en 2 000 à 0,15%, ce qui signifie que chaque nouvel entrant sur le marché du travail coûterait environ 60 000£62(*).

III. Le Revenu de Solidarité Active (RSA).

La France a elle aussi cherché à rendre le travail payant, en fustigeant l'assistanat et l'oisiveté que subventionnerait une redistribution trop généreuse. La citation de N.Sarkozy mise en exergue au début du mémoire illustre bien la conception de la redistribution qui a pris le dessus et qui est devenue aujourd'hui « incontestable » et consensuelle. La mise en place du RSA est symptomatique de cette évolution des mentalités. Nous verrons que des réformes visant à rendre le travail payant en articulant mieux travail et redistribution ont émergé bien avant le RSA, mais jamais dans une même ampleur, et toujours sans remettre en cause la structure des transferts existants. Le RSA constitue donc une rupture importante dans le paysage socio-fiscal français. Nous en présenterons les caractéristiques, et, ensuite, nous en réaliserons un bilan en évaluant son impact sur la pauvreté, sur l'incitation à l'emploi, et, plus globalement sur le marché du travail.

A. L'incitation au travail avant le RSA.

La volonté de rendre le travail payant ne date pas, en France de l'instauration du RSA. L'intéressement proposé aux RMIstes, puis la Prime Pour l'Emploi (PPE) visaient déjà à accroître l'incitation à la reprise d'emploi.

L'intéressement est une procédure qui a accompagné certains minima sociaux (le RMI et l'Allocation Spécifique de Solidarité (ASS) notamment). Elle vise à permettre un cumul entre revenu d'activité et minimum social temporairement, pour atténuer l'effet du TMEI important appliqué à la transition du non-emploi vers l'emploi. Appliqué au RMI, l'intéressement permettait de cumuler intégralement le revenu d'activité et l'allocation durant trois à six mois après la reprise d'activité63(*). Ensuite, le cumul n'est plus que de 50% (seul 50% du revenu d'activité est déduit du RMI), et ce jusqu'à 12 à 15 mois après la reprise d'activités (c'est-à-dire jusqu'à la quatrième DTR suivant la reprise d'activité). Plusieurs arguments peuvent justifier que, contrairement aux dispositifs de l'EITC ou du WFTC, et comme nous le verrons du RSA, l'intéressement ne proposait qu'un cumul temporaire entre allocation et salaire. Ainsi, on peut considérer tout d'abord que la phase de reprise d'activité sera suivie par une hausse de la qualification et de l'expérience, donc une hausse de la probabilité de trouver par la suite un emploi mieux payé, ce qui justifie que le soutien financier ne soit que temporaire. Mais surtout, le cumul temporaire se justifie par le fait que les coûts liés à la reprise d'un emploi ne sont pas permanents et interviennent à un moment donné. Ainsi, le gain au retour à l'emploi, déjà faible en raison du haut TMEI, est encore affaibli par ces dépenses nécessaires à l'obtention d'un emploi (61,4% des anciens allocataires déclarent avoir fait face à des frais dans leur recherche d'emploi). Ces dépenses sont temporaires (par exemple équipement en moyens de communications, achat d'une voiture, achat de vêtements), et se résorbent peu après l'entrée en activité. Il n'est donc pas légitime de verser de façon indéfinie une aide à la reprise de l'emploi.

Outre l'intéressement, la Prime Pour l'Emploi (PPE) constitue aussi un moyen qui a été mis en oeuvre dans le but d'inciter financièrement au retour à l'emploi. Et c'est avec cette exclamation que T.Piketty saluait, en janvier 2001 sa mise en place64(*): « L'impôt négatif est né! ». La logique est en effet toute différente de l'intéressement, puisque la PPE est un crédit remboursable calculé sur l'IRPP, à l'image des mesures anglo-saxonnes, qui s'appliquent pour tous les travailleurs payés aux alentours du SMIC. La prime est calculée en appliquant au revenu fiscal de référence un taux de prime. Le calcul est d'abord réalisé en équivalent temps-plein, puis le montant de la prime est rapporté au temps de travail effectif en prenant en compte une majoration octroyée pour « temps incomplet »65(*). Des majorations sont aussi octroyées pour les ménages mono-actifs et pour les enfants à charge. Le taux de prime est fixe pour tous les revenus compris entre 0,3 et 1 SMIC, puis décroît ensuite avec la hausse du revenu, pour atteindre 0% lorsque le revenu est de 1,4 SMIC. Le taux de prime maximal (i.e. le niveau fixe du taux appliqué jusqu'à 1 SMIC) a fortement crû : il est passé de 4,4% en 2002 à 7,7% en 2008. Ainsi, ce dispositif n'a cessé de s'amplifier depuis sa création : le montant total de la PPE a doublé entre 2002 et 200866(*), à la fois sous l'effet d'un assouplissement des conditions d'octroi, et d'une plus grande générosité dans le calcul du montant de la prime. Outre l'évolution du taux, des facilités ont été introduites, notamment des versements anticipés versés dès la reprise d'emploi et avant le versement de la PPE afin de faciliter la passage du non-emploi vers l'emploi, ou encore une hausse de la majoration pour « temps incomplet ».

L'effet de la PPE sur le gain à la reprise d'activité est réel, mais faible. Ainsi, la PPE permet de réduire de 6,6 points le TMEI67(*) pour les personnes gagnant entre 0,3 et 1 SMIC (c'est-à-dire y compris des bénéficiaires de minima sociaux qui ne travaillent pas suffisamment pour sortir définitivement de l'assistance). Les gains au passage du RMI au SMIC à mi-temps et à plein-temps sont augmentés grâce à la PPE : pour l'entrée dans l'emploi à mi-temps, la PPE permet d'augmenter en moyenne le gain mensuel à la reprise d'activité de 29,45 euros, en comparaison du gain sans PPE ni intéressement68(*). A titre de comparaison, l'augmentation du gain mensuel généré par l'intéressement pour la transition vers un emploi à mi-temps est, elle, de 71 euros. Pour le passage du RMI au SMIC à plein temps, la hausse du gain mensuel à la reprise d'activité est de 40 euros grâce à la PPE et est presque nulle pour l'intéressement. Au-delà de l'ampleur limitée de l'incitation générée par le PPE, il faut noter qu'elle est potentiellement génératrice de désincitations au-delà de 1 SMIC (c'est le même type d'effet que celui qui intervient à partir du plateau de l'EITC), en raison de la baisse continue du taux de prime qui intervient à ce moment-là.

La PPE permet aussi de réduire la pauvreté et de jouer un rôle redistributif, mais ceci dans une ampleur très faible. En 2008, la PPE a permis de faire sortir 370 000 personnes de la pauvreté, dont 110 000 travailleurs69(*). Les ménages qui voient leurs revenus augmenter le plus grâce à la PPE sont les couples bi-actifs où les deux actifs sont à mi-temps (la PPE entraîne une hausse de 4,5% du revenu mensuel du ménage), ceux où un individu est à mi-temps et l'autre à plein-temps (hausse de 4,3%), et les couples où les deux sont à plein-temps (4,1%). A l'inverse, la PPE ne bénéficie ni aux ménages ayant des revenus trop importants, ni aux ménages totalement inactifs ou ne travaillant pas assez pour travailler un tiers-temps au SMIC (0,3 SMIC). Les inactifs et les très faibles temps partiels ne voient donc pas leurs revenus croître, alors que ce sont ceux qui sont les plus pauvres, et qui composent la majorité des individus vivant sous le seuil de pauvreté.

B. Le RSA: objectifs et mise en oeuvre.

La mise en oeuvre du RSA le 1er juin 200970(*) est la suite logique des mesures que nous venons de présenter : son objectif prioritaire est en effet d'accroitre le gain au retour à l'emploi et donc de remettre en cause l'effet désincitatif des hauts TMEI appliqués sur la transition du non-emploi vers l'emploi. Nous présenterons tout d'abord les objectifs du RSA, et, ensuite, ses modalités de mises en oeuvre.

La réforme du RSA se veut être plus qu'une mesure additionnelle, et cherche plutôt à refondre les transferts sociaux. Ainsi, «l'ambition du revenu de solidarité active est de modifier en profondeur l'exercice de la solidarité 71(*)», selon M.Hirsh, son principal instigateur. Et, de fait, le RSA propose un certain nombre d'innovations, a priori positives, qui changent radicalement la nature de la solidarité. On peut noter principalement quatre objectifs poursuivis par le RSA : une nouvelle approche de l'évaluation des politiques publiques et des réformes sociales en particulier, une simplification et une rationalisation du système des minima sociaux, la suppression de la trappe à inactivité, et, enfin, une réduction absolue de la pauvreté en France.

L'expérimentation qui a été réalisée constitue une première en France, car, jusqu'alors, un principe d'égalité de traitement entre tous les citoyens interdisait de ne pas offrir à tous le même traitement. Ce procédé d'expérimentation est censé apporter une information détaillée sur les effets que l'on peut attendre de la mise en place généralisée du RSA, ainsi que sur la meilleure façon de procéder à sa mise en oeuvre, en comparant les résultats obtenus dans les zones tests avec les zones témoins qui ne voient pas de changement durant la durée de l'expérience. Au total 34 départements ont participé à l'expérience.

Ensuite, le RSA vise à rationaliser les dépenses publiques et à simplifier le système des minima sociaux, qui étaient au nombre de neuf avant son instauration (cf. Annexe 9). Le RSA fusionne ainsi le RMI et l'Allocation Parents Isolés (API)72(*), deux minima sociaux, avec la Prime Pour l'Emploi (PPE). L'objectif initial était d'inclure un nombre plus important de minima, mais les problèmes liés notamment aux différences d'organismes financeurs ont contraint le RSA à n'inclure que deux minima sociaux.

Enfin, et surtout, le RSA se fixe comme objectif de résoudre en même temps le problème de la trappe à inactivité en rendant le travail payant, et le problème de la trappe à pauvreté, en s'attaquant à la fois à la pauvreté conséquence de l'exclusion du travail ainsi qu'au phénomène des travailleurs pauvres dont le nombre a cru de 21% entre 2003 et 2005 selon M.Hirsh.

Pour répondre à ces objectifs, le RSA vise à revaloriser le travail en instaurant un cumul entre minima et salaires à hauteur de 62% du revenu d'activité.

Graphique 7: Méthode de calcul du RSA et de cumul revenu d'activité/RSA. Source: Inspiré par le Conseil Général de l'Isère, présentation du RSA, 2010

Le RSA se divise en deux composantes. Tout d'abord le « RSA socle », qui correspond à l'ancien RMI : c'est une allocation différentielle, dont le montant diminue avec la hausse des revenus primaires. Elle permet de garantir à tous un revenu de 460 euros, qui est versé aux personnes sans travail ou ne parvenant pas à gagner ce montant en travaillant. Le RSA socle, appelé montant forfaitaire, peut être majoré, dans le cas d'une personne seule ayant au moins un enfant à charge, ou dans le cas d'une femme isolée en situation de grossesse. C'est cette majoration qui fait office de substitution à l'ancienne API (les montants de l'API étaient en effet sensiblement supérieurs aux montants du RSA, pour une structure équivalente du ménage). Les individus qui travaillent voient, certes, le montant de leur allocation se réduire ; cependant, la baisse de l'allocation est moins rapide que la hausse du revenu du travail. Ainsi, le « RSA chapeau » est une allocation versée aux travailleurs, qu'ils soient bénéficiaires ou non du RSA socle. Le montant de l'allocation versée est égal à la somme du RSA socle et de 62% des revenus d'activités (on prend en compte le salaire net), à laquelle on retranche les revenus du foyer et les aides au logement. Ainsi, dans le cas d'une personne seule travaillant à mi-temps avec un salaire net de 500, on somme les 460 euros du RSA socle et les 62% des 500 euros, puis on déduit le salaire perçu (500 euros)73(*), et on obtient une allocation d'un montant de 270 euros. Ajoutée aux 500 euros de salaires, elle permet de faire en sorte que le revenu mensuel de la personne atteint 770 euros. Ainsi, à la différence du RMI, seuls 62% des revenus d'activités sont pris en compte dans la réduction de l'allocation. Ceci correspond à un taux marginal d'imposition de 38%, c'est-à-dire que chaque euro supplémentaire gagné se traduit par une réduction de l'allocation de 38 centimes. A raison de cette dégressivité de l'allocation, son montant est nul aux alentours de 1,04 SMIC74(*).

Le RSA chapeau, qui vise à inciter au retour à l'emploi, se distingue fortement de la PPE, mécanisme pré-existant ayant une vocation similaire. On peut distinguer quatre divergences entre l'ancien et le nouveau dispositif. Tout d'abord, le calcul de l'allocation ne se fait pas sur les mêmes bases : le foyer fiscal, sur lequel était calculé la PPE, est remplacé par un foyer spécifique au RSA qui a la particularité de prendre en compte le concubinage, alors que de simples conjoints ne forment pas traditionnellement un foyer fiscal. Cette évolution peut sembler de bon sens, car elle permet de coller au plus près des réelles ressources du ménage : le montant de l'allocation pourra être fortement réduit, voire être supprimé en raison des revenus du concubin. Ensuite le RSA entre en jeu dès la première heure travaillée, à l'image de l'EITC, alors qu'il existait un seuil minimal pour la PPE (0,3 SMIC), comme pour le WFTC. Ceci est positif dans le sens où le retour au travail est subventionné même si l'individu ne parvient pas à trouver un emploi à temps plein. D'un autre côté, cela revient à subventionner des emplois de mauvaise qualité, payant peu ou à temps très partiel. De plus, le RSA chapeau est plus stricte que la PPE, car un complément de revenu n'est versé que jusqu'à 1,04 SMIC environ pour une personne seule, comme on l'a vu, contre 1,4 SMIC avec la PPE. Enfin, il faut noter que la PPE était versée ou déduite des impôts automatiquement ; désormais, les bénéficiaires potentiels doivent faire la demande et apporter les preuves de leur éligibilité au dispositif, ce qui peut s'avérer décourageant, surtout dans le cas de montants alloués de faible ampleur. Pour l'instant, le RSA est une avance du montant de PPE devant être versé l'année suivante : si la PPE alors calculée est supérieure au montant effectivement reçu de RSA l'année précédente, alors un différentiel est versé, de telle sorte que l'individu bénéficie du dispositif le plus avantageux. Mais cette situation n'a pas vocation à durer dans le temps, et cet accès au dispositif le plus avantageux est remis en cause par le gel intervenu des barèmes de la PPE.

Outre l'incitation financière, le Projet du RSA prévoit l'instauration d'une aide personnalisée de retour à l'emploi, qui s'inscrit dans le renforcement de la notion d'échange, droits contre devoirs. L'allocataire est obligé de rechercher activement un emploi, et, dans le cas où pôle emploi lui enlève le statut de demandeur d'emploi, c'est-à-dire si l'on considère qu'il y a manquement aux devoirs de l'allocataire75(*), ce dernier peut voir l'aide mise en suspens76(*). En échange de ce durcissement, la loi instaure le principe d'un interlocuteur par allocataire dans l'accompagnement à l'emploi, au sein de Pôle Emploi ou d'autres prestataires, rétablissant ainsi la « vocation universelle du service public de l'emploi77(*) ». Le RSA affiche ici son originalité : pour favoriser le retour à l'emploi, les dimensions pécuniaires et incitatives, tout comme les besoins d'accompagnements semblent être pris en compte.

C. Bilan

Un certain nombre de critiques ont émergées, anticipant un certain nombre d'effets pervers potentiels, et pointant du doigt les fondements même de cette politique. Nous observerons, à la lumière des premières observations empiriques réalisées, si le RSA a tenu ses promesses, ou si les inquiétudes de certains se sont avérées fondées.

Tout d'abord, le RSA envoie un signal clair aux employeurs : la collectivité se charge du financement du différentiel existant entre le « salaire de réserve » des inactifs et le salaire proposé par les entreprises (bien souvent le SMIC pour les RMIstes). Dès lors, rien n'empêche les employeurs de faire pression à la baisse sur les rémunérations : la prime versée par la collectivité modifie l'arbitrage des demandeurs d'emplois en rendant des salaires plus faibles plus attractifs. Dans la mesure où un arbitrage entre loisir et travail existe, et dans le cas où il repose sur des considérations de niveaux de salaires, alors on peut affirmer que le RSA va accroître l'acceptabilité des bas salaires par les allocataires. De même, il devient plus avantageux d'accepter un « petit boulot », à temps partiel. Pour J.Gadrey, le RSA constitue donc « un encouragement pour les employeurs à abuser du travail précaire78(*) ». Ce risque de « trappe à précarité » met donc fortement en doute l'efficacité du RSA à juguler le phénomène des travailleurs pauvres.

Ensuite, le RSA repose sur une conception spécifique de la relation entre travail et assistance, proche de celle prévalant largement dans ce que Robert Castel appelait la « modernité libérale ». Le travail de l'individu, l'effort qu'il fournit, devient la justification de l'aide qu'on lui octroie, et l'oisif, l'inactif « volontaire » ne peut faire valoir son droit à l'aide. Il y a séparation entre le « bon » pauvre et le « mauvais » pauvre. D'où le système de contrôle de la recherche de travail dans le cadre du RSA, identique à celui des chômeurs et beaucoup plus strict que celui prévalant lors du RMI. Au-delà des problèmes moraux posés par cette conception de l'assistance, le poids donné au travail s'avère être fortement pénalisant pour les allocataires se trouvant dans l'incapacité de travailler (personnes en situation de handicap par exemple), qui ne pourront pas bénéficier de l'ensemble du dispositif. Une dualisation des allocataires est créée.

Enfin, un troisième type de critique porte plus sur les limites du RSA, ses contours trop restreints. D'un point de vue quantitatif, beaucoup d'auteurs fustigent la faible ambition du dispositif, à l'image de D. Clerc qui note que s'« il y aurait mauvaise foi à contester que les travailleurs pauvres vont voir leur situation financière s'améliorer », à la question de savoir si cet effort est suffisant il répond: « A l'évidence, non 79(*)». De fait, il rappelle que l'instauration du RSA s'accompagne de la suppression d'un ensemble d'avantages et d'aides qui étaient accordés précédemment aux RMIstes. Par exemple, la mise sous condition de ressources des « aides connexes », garanties auparavant par le statut même de l'allocataire. Au final, les montants mis en oeuvre ne permettront pas d'atteindre le seuil de pauvreté de 60% du revenu médian, de 908 euros de revenu disponible en 2007, alors que le RSA « socle » pour une personne seule atteint en 2010 un peu plus de 460 euros. Pour les travailleurs pauvres, l'effort réalisé ne semble pas être non plus satisfaisant puisque, selon D.Clerc, un programme permettant à tous les travailleurs pauvres de passer le seuil de pauvreté coûterait environ 10 milliards d'euros80(*), contre un dispositif effectif d'environ 2 milliards aujourd'hui. De plus, selon lui, le RSA actuel ne va générer, en moyenne, que 50 euros supplémentaires pour chaque allocataire en emploi, ce qui semble insuffisant au regard des objectifs affichés. En outre, les contours du programme sont eux aussi critiqués. En effet, les conditions d'éligibilité au RSA sont strictes, avec notamment le fait d'avoir au moins 25 ans hormis pour des cas spécifiques c'est-à-dire s'il y a des enfants à charge dans le foyer, ou si la personne a travaillé déjà au moins une année les deux dernières années.

Les premières évaluations réalisées, à la fois sur les expérimentations et sur la généralisation montrent des résultats contradictoires selon les études.

Le bilan de l'expérimentation laissait envisager un programme performant avec des résultats significatifs. Selon la Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique (DGTPE)81(*), l'expérimentation est en effet concluante : l'effet global du RSA est une diminution du taux de pauvreté pour chaque type de ménage en moyenne, avec un taux moyen diminuant de 0,8 point de pourcentages grâce au programme. Cet effet est le plus important pour les familles monoparentales en emploi, où le taux de pauvreté est inférieur de 3 points dans les zones tests par rapport aux zones témoins. L'effet sur le revenu est positif pour tous types de ménages, à la différence du RMI, notamment pour les personnes seules ou les familles monoparentales passant en emploi à quart-temps, où il y a un gain de revenu là ou il n'y en avait pas auparavant (sans prendre en compte les mesures d'intéressement et les aides connexes). Les premières estimations des effets du RSA sur le TMEI des bénéficiaires semblent aussi positives. D. Anne et Y. L'horty82(*) ont ainsi simulé quel pourrait être l'effet du RSA sur la « durée de réservation 83(*)»; le résultat est que pour toutes les catégories de ménages et pour toutes situations d'allocataires, c'est-à-dire en intégrant les droits connexes locaux et nationaux, le RSA permet que dès la première heure travaillée, le revenu du ménage supplante le revenu obtenu en restant dans l'oisiveté. La durée de réservation est donc ramenée à 0.

A contrario, on peut se baser sur d'autres études qui tempèrent fortement l'efficacité du RSA. Tout en reconnaissant un impact sur la reprise d'activité du RSA, quoique très peu significatif (si 19,1% des allocataires ont repris un emploi durant l'expérimentation dans les zones tests, ils sont 17,6% dans les zones témoins), une étude de la DREES84(*), réalisée sur l'expérimentation montre que le dispositif a un réel impact sur la nature des emplois exercés par les allocataires. Ainsi, le nombre d'heures travaillées par les personnes passant à l'emploi dans les zones tests semble être généralement plus faible : la part des allocataires passant à l'activité et travaillant au moins 28 heures hebdomadaires diminue de presque 5 points dans les zones tests. Le nombre d'allocataires devenant actifs avec un travail de moins de neuf heures passe de 5,2% en zones témoins à 8,6% en zones tests. Ceci peut s'expliquer entre autres, par des préférences différentes des allocataires en termes d'emplois entre zones tests et zones témoins : on voit après enquête que 17% des allocataires cherchant un emploi recherchent un emploi à temps partiel en zone test, contre 14% en zone témoin. Il est probable que ceci résulte d'un « effet revenu » induit par l'augmentation du gain à l'emploi. D'un côté, le RSA semble modifier la nature des emplois vers plus de précarité et des emplois moins rémunérateurs (temps partiel), mais ceci peut résulter des préférences des allocataires pour ce type de contrat, qui seraient ainsi révélées par le RSA (il offre un protection et permet donc de révéler ses véritables préférences). Enfin, l'étude analyse l'impact des mesures d'accompagnement, et sur ce point, il n'y a pas de différences entre zones tests et témoins pour les personnes accédant à l'emploi durant l'expérimentation : dans chaque zone, 43% des personnes déclarent avoir été en contact avec un interlocuteur d'accompagnement.

Au final, les premières expérimentations laissent entrevoir un impact très flou et peu significatif sur la pauvreté et l'activité des allocataires.

Pour conclure, il est clair que les attentes suscitées par le RSA sont fortement tempérées, sur le principe même du dispositif autant que par les évaluations déjà réalisées. Si théoriquement l'effet en terme de réduction des désincitations au travail paraît clair, les premières estimations empiriques ne montrent pas de réussite significative sur les retours effectifs à l'emploi. De plus, le RSA semble porteur d'effets pervers, qu'il conviendra d'estimer par une analyse précise et dans la durée du dispositif.

Chapitre III. Dépassements et remise en cause de l'arbitrage monétaire entre travail et loisir.

La théorie économique se satisfait donc de l'hypothèse d'agents calculateurs, qui réalisent un choix rationnel entre le travail et l'inactivité en comparant les contreparties monétaires de chacune des situations. Dans ce cadre, la redistribution s'oppose effectivement au travail puisqu'elle offre des revenus aux inactifs, et dévalue donc le travail. Les réformes anglo-saxonnes et françaises, que nous avons présentées, entérinent cette vision négative de la redistribution.

Cependant, cette conclusion n'est pas pleinement satisfaisante, et peut être remise en cause. Tout d'abord parce que la redistribution des richesses est issue d'une construction historique, parallèle au salariat. Ainsi, l'aide sociale, restrictive au départ, et fondée sur la distinction entre aptes et inaptes au travail, s'est progressivement élargie, incluant de façon croissante les personnes aptes au travail dans le versement d'aides, abandonnant donc l'idée d'un véritable arbitrage entre travail et loisir. De même, grâce à la conjonction d'une prééminence des assurances sociales et d'une société de plein-emploi, le conflit entre travail et redistribution a ainsi pu être sinon résolu, du moins mis de coté.

Ensuite, l'idée de l'arbitrage peut être réfutée en montrant que ce qui pousse les individus à travailler est autrement plus complexe que le simple calcul du gain espéré, ce qui limite l'impact potentiellement négatif d'une redistribution trop généreuse. Nous verrons alors que le travail constitue un moyen de réalisation de soi, et qu'il permet de faire société « entre égaux », selon l'expression de R. Castel. De là, on déduit que l'explication la plus probable à la prise de distance avec le monde du travail réside dans une incapacité à chercher et/ou trouver du travail, et dont les déterminants sont largement sociologiques. Nous substituerons donc à un arbitrage travail/loisir un phénomène d'exclusion sociale.

Nous présenterons en dernier lieu la proposition d'allocation universelle, comme un moyen de dépasser le conflit existant entre redistribution et incitation au travail. Si l'arbitrage monétaire est bien réel, alors l'allocation se propose d'en changer les paramètres en dévaluant le travail et en réévaluant l'inactivité. Si les incitations au travail dépassent le cadre monétaire, alors l'allocation universelle permettra de garantir pour chacun un libre choix, sans désinciter au retour à l'emploi.

I. La dynamique historique des interactions entre redistribution et travail.

La protection sociale s'est construite parallèlement à l'industrialisation. Nous sommes passés, petit à petit, d'une société où la communauté assurait la protection face aux aléas de la vie à une société de droits et de devoirs, où la solidarité s'exprime dans un lien entre chacun et la collectivité, par le biais du statut notamment. Mais la redistribution s'est aussi construite parallèlement au salariat et plus largement aux bouleversements de la place du travail dans la société et dans les valeurs morales.

Ainsi, nous sommes passés d'une redistribution de faible ampleur réservée aux individus inaptes au travail, à une redistribution plus massive, allant jusqu'à subventionner des individus inactifs et aptes au travail. Arrivée à ce point là de son développement, il semblerait que la redistribution ait à évoluer de nouveau, mais, cette fois-ci, en opérant un retour aux valeurs fondant l'idée d'une redistribution désincitative et illégitime pour les inactifs.

A. Le travail, valeur fondamentale.

Le XVIIIème siècle entame une rupture dans les conceptions du travail et de l'assistance. Tout d'abord parce que le travail n'est plus dégradant, mais au contraire est considéré comme source de toute richesse, et comme facteur de progrès. Ensuite parce que l'assistance publique se renforce et trouve sa légitimité dans la remise en cause des protections rapprochées mises à mal par l'urbanisation et l'industrialisation. Le rôle potentiellement désincitatif de l'assistance est mis en avant, et la construction des prémisses de l'État providence se fera sur cette distinction entre pauvres aptes et pauvres inaptes au travail.

La conception du travail change profondément, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord en réponse aux bouleversements « infrastructurels85(*) »: les rapports de production évoluent en effet, sous le coup de l'industrialisation. L'industrie, cette nouvelle forme de production, laisse entrevoir aux hommes des perspectives illimitées de gains de productivité, dont le travail est le fondement. A.Smith met ainsi en avant la richesse qui peut être générée par une rationalisation des formes d'organisation du travail. Le travail répond au besoin, nouveau, d'accroître la richesse. Mais le travail n'a de valeur que parce qu'il est le fruit de la liberté individuelle. C'est le désir de chacun de s'enrichir, d'améliorer sa situation qui pousse au travail et permet la création de richesses. Ainsi, les anciens modes de gestion des désaffiliés sont remis en cause. Les lieux de travaux forcés, fondations et hôpitaux ne sont plus justifiés : ces institutions « stérilisent » la force de travail et la création de richesse. L'idée qui s'impose alors est que « toute fabrique nouvelle qui n'est pas le fruit de l'industrie et qui n'a pas pour guide l'intérêt personnel ne peut réussir 86(*)». Ainsi, le désir d'améliorer sa situation devient le moteur de l'industrie, du capitalisme dans son ensemble. L'octroi de subventions aux pauvres capables ne pourra alors être qu'inefficace, puisque le travail ne sera plus la seule réponse à la recherche d'enrichissement.

De plus, l'industrie nécessite pour se développer l'avènement d'un véritable marché du travail. On entend par là la mise en place de rapports d'échanges entre travailleurs et industriels, les travailleurs se proposant de vendre leur force de travail. L'idée qui apparaît pour justifier le traitement de la force de travail comme une marchandise est celle de l'homme libre, du citoyen, qui dispose de sa force de travail. Le travailleur ne se vend pas, il vend sa force de travail. On peut donc faire le négoce de sa force de travail, selon son bon vouloir. Dès lors que la force de travail s'échange, elle fait l'objet des mêmes règles que pour tout autres types d'échanges sur tous les marchés : il n'y a d'échanges qu'avantageux pour les deux parties prenantes. Le contrat est l'expression de cet échange mutuellement avantageux. Si l'échange n'a pas lieu, c'est parce que ses modalités ne conviennent pas à au moins une des parties : l'individu qui ne vend pas sa force de travail le fait parce qu'il n'y trouve pas son compte. Ainsi, l'idée du marché du travail soutient l'idée du travail comme un choix libre, ce qui délégitimise l'aide aux sans-emplois; de plus, cette idée permet de déplacer la responsabilité de la lutte contre la pauvreté, de la puissance publique vers le jeu naturel des forces économiques : le marché du travail sera créateur de richesse et permettra à chacun d'en retirer sa juste part87(*). Le marché du travail est alors la réponse à l'indigence et à la question sociale.

Les changements sociologiques et dans les mentalités qui ont lieu à l'époque accompagnent ce bouleversement des rapports de production. Weber en appelle ainsi à l'ethos de la nouvelle bourgeoisie et à l'esprit protestant, qui se traduit grossièrement par la « valorisation des activités terrestres », qui étaient jusqu'alors méprisées. A.Hirschman évoque lui le recours à la notion d'intérêt économique pour pallier la violence des rapports humains et pour rationaliser la vie en société. On retrouve l'idée du « doux commerce » de Montesquieu, ou de la main invisible qui sera reprise par A. Smith. Il en résulte « une large approbation de la volonté d'enrichissement ainsi que des activités qui en témoignent 88(*)» , c'est-à-dire entre autres, le travail.

Dès lors qu'est attachée au travail une valeur morale, que celui-ci devient le faiseur de progrès, et qu'il structure les rapports sociaux, la mise en place de la redistribution ne pourra se faire qu'en évitant d'entrer en conflit avec le travail. La peur de l'effet désincitatif d'une redistribution trop généreuse s'illustre bien avec la remise en cause du système de Speenhamland, ayant cours en Angleterre entre 1795 et 1834. C'est l'instauration d'un « droit de vivre 89(*)», sous la forme d'une allocation différentielle : un niveau de revenu est garanti à tous, travailleurs ou inactifs, et les gains réalisés au travail sont déduits du montant du transfert (à l'image du RMI ou du RSA socle). Le transfert est indexé sur les prix des produits de base, et vise donc à permettre à tous d'accéder à un certain niveau de vie, jugé comme minimum90(*). Ce système redistributif provoqua les critiques de plus en plus vives de la part d'un certain nombre de penseurs libéraux. Ainsi, les effets désincitatifs de cette allocation sont vivement critiqués. Dès 1797, un observateur affirmait qu'« on trouve des gens qui préfèrent une pension de la paroisse et une vie paresseuse à des salaires élevés en contrepartie d'un dur labeur 91(*)». De plus l'assiduité au travail et la productivité des travailleurs se dégradèrent : la garantie d'un droit de vivre dispensait les individus de tout effort pour conserver leurs emplois. Le travail devenait une sinécure, faite uniquement pour sauvegarder les apparences92(*). Plus grave encore : sous couvert d'aides aux pauvres, le système de Speenhamland engendra un appauvrissement. La baisse des salaires qui s'en suivit, permise par la subvention des actifs pauvres, entraîna une diminution des revenus (ceci d'autant plus que selon Polanyi les barèmes des aides de Speenhamlmand ne furent pas toujours respectés). L'abolition de ce système en 1934 répondra ainsi à la volonté « que la population dépendante soit graduellement mais fermement arrachée à son mode de vie actuel, et exposée à l'influence vivifiante et émancipatrice de la liberté économique  93(*)». L'idée que la redistribution entre en conflit avec le travail sera dès lors ancrée dans les esprits.

La révolution française est aussi imprégnée de cette nouvelle conception du travail et de la redistribution. La loi du 17 mars 1791 affirme la liberté du travail, considérant la vente de la force de travail comme un négoce semblable aux autres: « il sera libre à toute personne de faire tel négoce, d'exercer telle profession, art ou métier que bon lui semble 94(*)». La contrepartie à cette liberté du travail est le maintien ferme du tri des nécessiteux, mais tout en conservant une certaine ambiguïté quant au niveau d'universalité à adopter. Les recommandations du Comité pour l'extinction de la mendicité de l'assemblée constituante font appel à un principe fort : « tout homme a droit à sa subsistance », d'où l'obligation pour la puissance publique de « pourvoir à la subsistance de tous ceux de ses membres qui pourront en manquer 95(*)»; il n'y a pas ici, en apparence, d'opposition entre travail et assistance, puisque on ne s'intéresse pas aux raisons qui poussent l'individu à manquer de richesse : quand bien même il pourrait travailler, il doit être secouru. Cependant, ces recommandations, si elles marquent une évolution nette vers une plus grande générosité et une plus grande universalité de l'assistance sociale, ne seront pas suivies de faits. La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1793 proclame ainsi que « la société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de travailler 96(*)». Aucun transfert monétaire ne sera versé aux individus aptes au travail. L'assistance peut donc entrer en conflit avec l'activité, et, si elle apparaît comme un devoir moral, il est subordonné au travail présenté comme valeur fondamentale : « le pauvre ne doit pas, par les secours qu'il reçoit du gouvernement, être tout à fait aussi bien que s'il n'avait pas besoin de ces secours », c'est-à-dire s'il était un travailleur méritant.

C'est sur ces bases que les fondements de l'État social sont posés, en ce sens qu'une forme de redistribution est instaurée. La nation se substitue à la « communauté rapprochée » pour secourir les indigents, dans les bornes que nous avons présentées. De même, la République cherche à se substituer à la charité privée, en prenant en charge la gestion des hôpitaux et asiles. L'impôt est prélevé, et pèse sur tous les citoyens « en raison de leurs facultés97(*) », et non plus selon leurs privilèges ou leurs pouvoirs. Un nouveau système fiscal est institué, réunissant quatre prélèvements, baptisés plus tard les « quatre vieilles », qui perdureront jusqu'à la fin du XIXème siècle.

B. Dépassements du clivage entre redistribution et travail.

A partir de la fin du XIXème siècle, la conception de la redistribution va être modifiée, permettant un dépassement du conflit entre redistribution et travail. La chronologie de ce dépassement débute avec la victoire de l'assurance contre l'assistance à partir de la fin du XIXème siècle pour prendre en charge les pauvres valides. Ensuite, les « trente glorieuses » permettront de renforcer ce rôle prépondérant de l'assurance, tout en instaurant une « société salariale », qui, sans résoudre à proprement parler le conflit entre travail et redistribution, rendra cette question désuète. Enfin, « l'effritement de la société salariale », lors de la dégradation des conditions d'emplois à partir des années quatre-vingt, favorisera un retour de l'assistance pour prendre en charge les pauvres valides, si d'un côté on peut voir dans cette subvention de l'oisiveté un choix audacieux de traitement du conflit entre travail et redistribution, ce renouveau de l'assistance relancera les critiques portées contre la redistribution et favorisera un retour des idées mettant en avant la nécessité d'une contrepartie en travail à tous bénéfices d'aides sociales.

Les fondations de la redistribution.

Le choix qui a été fait en France de privilégier l'assurance dans le traitement de la pauvreté valide est le résultat d'une confrontation avec les tenants de transferts monétaires non contributifs, c'est-à-dire l'assistance. L'assurance se propose de prendre en charge le risque chômage, les cotisations permettant d'acquérir un droit à une allocation chômage. La redistribution ainsi opérée n'agit qu'entre travailleurs et sans-emplois : la lutte contre la pauvreté et les inégalités passe donc par la protection face au chômage, que l'on peut considérer comme le principal facteur de déchéance des pauvres valides. Les transferts monétaires non-contributifs seront réservés aux pauvres non-valides. Finalement, le choix de l'assurance permet de mettre de côté le conflit entre redistribution et emploi puisque ce n'est plus la redistribution à proprement parler qui protège les pauvres valides de la pauvreté. Il n'y a plus subvention de l'oisiveté puisque le travailleur a acquis par son travail et ses cotisations un droit à être protégé de la pauvreté.

Le débat qui oppose assistance et assurance peut être illustré par le débat opposant J. Jaurès a A. Mirman à la chambre des députés lors du vote de la loi sur les retraites en 1905. J. Jaurès s'oppose au traitement de la pauvreté par l'assistance, qui est alors défendue par un autre socialiste, A. Mirman, et met en avant l'assurance qui offre un droit véritable, et qui confère à l'ayant droit une propriété sociale. Pour Jaurès, s'il y a entre assistance et assurance « une différence réelle, substantielle, une différence de droit, une différence sociale, c'est parce que [...] dans l'assurance, l'ayant droit [...] à l'heure où la loi marque l'échéance de sa retraite, il l'aura [...] avec une certitude absolue. Vous ne pouvez empêcher qu'une loi d'assistance, même si elle est dominée par le principe nouveau du droit à la vie, n'ait pas la même rigueur, la même certitude. Du moment que vous êtes obligés de dire « privé de ressources », vous introduisez par là même un élément d'appréciation, de discussion »98(*) . Ainsi, dans l'assurance, « l'État s'oblige en s'obligeant », alors que dans l'assistance l'État ne doit rien au bénéficiaire, et lui accorde un transfert qui prend la forme d'une aumône. Comme le rappel J. Jaurès, l'assistance nécessite d'apprécier la situation du bénéficiaire, donc de contrôler, de vérifier le respect des conditions d'octroi.

Si on voit à cette époque le développement des assurances sociales obligatoires, apparaissent aussi de nombreux transferts assitanciels, réservés à certaines catégories de population, mais d'une générosité croissante. Leur financement par l'impôt va lui aussi contribuer à résoudre le conflit entre travail et redistribution : on voit apparaître une conception fortement redistributive de l'impôt, qui fait fi de son potentiel effet désincitatif. Deux réformes majeures témoignent de cette évolution vers notre système moderne de prélèvements : la mise en place du premier impôt progressif en 1901, et la création de l'impôt sur le revenu en 1914. En 1901, après de longs débats parlementaires, la progressivité est introduite dans l'impôt sur les successions. Jusqu'alors, les prélèvements portant sur les successions étaient justifiés comme étant la contrepartie normale des services rendus par l'Etat aux détenteurs de patrimoine, c'est-à-dire surtout la sécurité des titres et et des biens qui permettait leur conservation, et donc leur passage de génération en génération. Mais lorsque est introduit la progressivité, la justification de l'impôt devient explicitement la redistribution des richesses et la lutte contre les inégalités : l'impôt tire sa légitimité de son atténuation des inégalités, et de son rôle en terme de justice sociale. A partir de 1914, l'impôt sur le revenu va prolonger cette logique redistributive à tous les revenus. Globalement, la progressivité de cet impôt et son ampleur vont aller croissants jusque dans les années quatre-vingt-dix, notamment sous le coup des réformes intervenues en 1936, 1945 et des majorations exceptionnelles de 1968 et 1981.

Le compromis fordiste de l'après-guerre.

Le débat de 1905 sur les retraites s'inscrivait dans une mouvement large de développement des assurances sociales jusqu'aux « trente glorieuses », qui vont marquer la victoire de l'assurance sur l'assistance, et vont ainsi permettre la résolution du conflit entre travail et redistribution.

Premièrement cette résolution se fera d'une façon détournée. Ainsi, pour R. Castel, c'est l'avènement de la société salariale qui permet cette résolution. Elle se caractérise par deux traits majeurs ; tout d'abord l'instauration de droits liés aux statuts des travailleurs, et qui permettent de se prémunir contre la survenue de risques sociaux ; ensuite, par la quasi absence de chômage qui caractérise cette époque, avec un maintien d'une stabilité des emplois et de bonnes conditions d'embauches, c'est-à-dire la mise de côté de la question de la pauvreté valide99(*). Les droits liés aux statuts des travailleurs et les conditions d'emplois ne permettraient pas, seuls, de résoudre le problème de la prise en charge des pauvres valides, puisqu'en sont exclus les inactifs. Dès que les inactifs sont supprimés, ou du moins se raréfient, la pauvreté valide ne pose plus question, et les assurances sociales des travailleurs suffisent à protéger contre l'indigence et la pauvreté.

Deuxièmement, outre la « société salariale », on peut mettre en avant la « socialisation du salaire » comme facteur de résolution du conflit entre redistribution et emploi. L'idée de salaire socialisé renvoi à la fixation du niveau des salaires par une négociation collective : le marché n'est pas seul à déterminer la rémunération du travail, et la négociation qui s'y substitue permet de rendre la distribution des revenus primaires plus proches des contributions effectives et des volontés de chacune des parties. Mais, surtout, l'idée de salaire socialisé renvoi aux cotisations sociales, obligatoires et versées au système public d'assurance sociale, qui permettent la détention d'une propriété sociale. Ce salaire socialisé constitue pour B. Friot « la forme révolutionnaire de ressource des valides exonérés de l'obligation de travailler 100(*)». Et, en effet, avec les assurances sociales, et surtout depuis la mise en place d'une assurance sociale contre le risque chômage en 1959, le salaire socialisé permet de subvenir aux besoins de certains inactifs, et donc de les dispenser d'emploi au moins temporairement grâce au versement d'une allocation. Il ne viendrait à personne d'adosser à cette allocation une obligation de travailler, ou encore d'affirmer qu'elle désincite au travail, puisque c'est par le travail qu'elle a été acquise.

C'est donc le « compromis fordiste », dominant en France durant les trente glorieuses qui a permis cette résolution du conflit. On entend par compromis fordiste un état où existe la « garantie d'un partage des gains de productivité 101(*)», c'est-à-dire où les rapports de forces entre travailleurs et capitalistes sont régulés et équilibrés. Les droits des salariés, les bonnes conditions d'embauches et le développement du salaire socialisé en sont des expressions.

La fondation des grands systèmes d'assurances sociales s'accompagnent de la même vision du travail comme valeur fondamentale et qui ne doit pas être découragé. Cependant, les mentalités évoluent et des brèches sont ouvertes dans cette conception qui oppose travail et redistribution.

Si, d'un côté en 1946 « la nation garantit à tous (...) la protection de la santé, la sécurité matérielle, la sécurité et les loisirs 102(*)», l'aptitude au travail demeure un critère strict d'éligibilité aux transferts sociaux. Ainsi, « tout être qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence 103(*)». En parallèle, le droit au travail continue d'être la solution au problème de la pauvreté104(*). Le rapport Beveridge cultive lui aussi cette ambiguïté. Beveridge se propose de lutter contre le « scandale de la misère » grâce à la « libération du besoin 105(*)», mais il condamne fermement l'oisiveté et réserve la protection sociale et la redistribution aux personnes ne pouvant pas travailler. Pourtant, dans son ouvrage, Du travail pour tous dans une société libre106(*), il aborde sous un angle nouveau la question de l'arbitrage entre travail et loisir, toutefois sans abandonner la condamnation morale de l'oisiveté. En réponse aux réactions107(*) à sa proposition de système d'assurances sociales, il affirmera que pour lui, « dans une société libre [...] il ne faut pas que les hommes encourent des pénalités, des amendes parce qu'ils refusent de travailler ou parce qu'ils ne travaillent pas. Il est essentiel pour la liberté [...] que chaque individu soit capable de choisir entre le loisir et un salaire plus élevé 108(*)». On observe donc dans l'après-guerre un maintien de l'idée selon laquelle une redistribution trop généreuse peut décourager le retour à l'emploi, avec l'idée que le travail est un devoir moral ; cependant, la pensée commence à évoluer vers une compréhension plus grande des individus sans-emplois, et les éventuels effets pervers de la redistribution sont de plus en plus contrebalancés par les besoins de la lutte contre la pauvreté et les inégalités, qui se font pressantes.

Retour de l'assistance, et retour du conflit entre redistribution et travail.

La montée du chômage, et la mauvaise qualité des emplois, c'est-à-dire « l'effritement de la société salariale 109(*)» vont constituer un terreau favorable à l'évolution vers une conception assistancielle du traitement de la pauvreté valide. On peut considérer que cette évolution va légitimer les remises en causes modernes de la redistribution qui fustigent son effet désincitatif.

Entre 1975 et 1985, le taux de chômage est multiplié par deux (il passe de 3,5% à 9%). En 1984, l'Allocation Spécifique de Solidarité (ASS) constituait une première réponse à cette dégradation de l'emploi, en visant à faire face à l'arrivée en fin de droits d'un nombre croissant de chômeurs. Ce phénomène, alors nouveau, marque une limite profonde du système assurentiel et contributif, car semble-t-il, une bonne conjoncture en est une condition de son bon fonctionnement. Mais c'est la mise en place du RMI en 1988, alors solution transitoire pour faire face à la montée du chômage, qui marquera une véritable rupture, en redéfinissant les rapports qu'entretiennent emploi et redistribution, et en remettant véritablement en cause la prééminence de l'assurance.

Pour R.Castel, le RMI est ainsi innovant à deux égards. Premièrement il met un terme à la distinction entre aptes et inaptes au travail, en allouant un transfert monétaire à des individus valides. C'est pourquoi le RMI sera jugé désincitatif, car il sera la source des forts TMEI rencontrés dans la transition du non-emploi vers l'emploi. Le taux de chômage est alors très élevé : le RMI permet d'empêcher de tomber dans le dénuement le plus total de ceux qui, bien que voulant travailler, sont dans l'incapacité de le faire. C'est donc la mise en application du préambule de la constitution de 1946, qui affirmait que la situation économique pouvait expliquer l'incapacité de travailler. La nation ne peut plus garantir le droit au travail qui légitimait pourtant la dichotomie aptes/inaptes dans l'octroi des transferts monétaires. En effet, les individus pouvant travailler ne reçoivent pas d'aide que parce qu'ils peuvent travailler pour subvenir à leurs besoins. C'est donc la conjoncture qui légitimise ce transfert déconnecté de quelconque contrepartie en travail. Ensuite, le RMI marque une rupture car il met l'accent sur le devoir d'insertion de la puissance publique à l'égard des sans-emplois110(*). En effet, la peur de subventionner l'oisiveté est forte, et les conditions d'octroi du RMI sont strictes, en tous cas dans les intentions ; la loi indique ainsi que, outre la condition d''âge du bénéficiaire, ce dernier devra s'engager « à participer aux actions ou activités définies avec [lui], nécessaires à son insertion sociale ou professionnelle 111(*)». De même, l'allocataire doit, régulièrement, prouver son indigence en déclarant ses revenus à l'administration.

Mais, l'instauration du RMI c'est aussi, comme le note A.Purière, la victoire de Mirman sur Jaurès, c'est-à-dire le retour de l'assistance au détriment de l'assurance. Le RMI n'est pas contributif, ce n'est pas un droit acquis par le travail. Ainsi, il sera facile de montrer du doigt les bénéficiaires, pouvant alors être perçus comme des profiteurs d'une richesse qu'ils ne contribuent pas à créer. De plus, on peut facilement faire croire que le RMI est une aumône, concédée gracieusement par l'État, et par lui seul : les RMIstes sont donc placés dans un rapport de sujétion vis-à-vis de la puissance publique, qui se substitue à l'autonomie conférée par les assurances. Car outre la délégitimisation des bénéficiaires et leur sujétion, le RMI justifie, selon B. Friot et A. Purière le démantèlement des assurances sociales, et plus particulièrement de l'assurance chômage : alors que le RMI est institué pour faire face à l'exclusion du marché du travail, les conditions de l'assurance chômage se durcissent (durée de versement évoluant en fonction de la durée de cotisation préalable en 1982, ou encore institution de la dégressivité de l'allocation chômage avec le temps en 1992).

C'est donc par ce retour à l'assistance que le conflit entre redistribution et travail est ravivé. En effet, soit on adhère à l'idée d'un arbitrage entre travail et redistribution, et alors le RMI est fortement désincitatif de par les forts TMEI qu'il engendre. Soit on refuse d'accepter cette hypothèse, et le RMI ravive le conflit puisqu'il permet à un discours condamnant l'assistanat de refaire surface. D'ailleurs ce renouveau du conflit s'illustre bien avec les choix fiscaux qui ont été réalisés depuis cette période. La progressivité de l'IRPP a été fortement réduite, en raison de la diminution du nombre de tranches et des taux d'imposition. En 1990, le barème comprenait 13 tranches, et le taux d'imposition applicable à la dernière tranche était de 56,8%. En 2010, le barème est réduit à cinq tranches, avec un taux applicable à la dernière tranche de seulement 40%. Si en 1990, un taux nul s'appliquait aux revenus inférieurs à l'équivalent de 3 821,74 euros, aujourd'hui tous les revenus inférieurs à 5 875 € ne sont pas imposés. En 1990, un taux de 14% était appliqué dès 4 733,98 euros de revenus ; aujourd'hui c'est seulement à partir de 11 720€ que s'applique un tel taux. Les impôts sur les bas revenus et les revenus moyens ont donc été fortement réduits. Certains proposent même aujourd'hui de supprimer la première tranche de l'impôt sur le revenu112(*), arguant des effets pervers d'une taxation trop importante des bas revenus.

Le rôle économique et social joué par le travail a fortement déterminé le type de redistribution mise en oeuvre, tout au long de l'histoire du capitalisme. Ainsi, la peur de décourager au travail est apparue avec son institution en tant que moteur du progrès et de créateur de richesse. C'est seulement lorsque le travail est venu à manquer et que la redistribution s'est affranchie de cette peur de la désincitation, afin d'éviter le développement d'une grande pauvreté parmi des inactifs de plus en plus nombreux, que le système redistributif a rompu la distinction traditionnelle entre pauvres aptes et inaptes au travail. Cet accroissement de la redistribution s'est fait au détriment de l'assurance sociale obligatoire, qui constituait pourtant un mode de conciliation entre travail et redistribution permettant d'éviter les effets désincitatifs.

II. Au-delà de l'arbitrage monétaire entre travail et loisir.

On peut tenter de répondre à notre problématique de départ en montrant que l'inactivité ne résulte pas nécessairement d'un arbitrage monétaire entre travail et redistribution, et que d'autres facteurs doivent être pris en compte si l'on cherche à comprendre les incitations à la reprise d'activité et les déterminants du maintien hors de l'emploi.

A. La variété des incitations au travail.

La logique qui vise à rendre le travail payant pour solutionner le problème de la « trappe à inactivité » repose sur l'idée que seul un gain financier est susceptible de motiver le retour à l'emploi. Or, les faits contredisent cette hypothèse : un tiers des allocataires du RMI qui sortent du dispositif grâce à l'emploi n'y trouve pas de gain financier significatif113(*). Donc, des individus, sans-emplois, retournent vers l'emploi pour d'autres motifs que le gain direct et monétaire attendu. Nous présenterons quatre arguments qui confèrent au travail et à l'emploi des avantages « extra-monétaires » : le travail comme réalisation de soi et comme activité créatrice, le travail comme facteur de sociabilisation, le travail comme condition nécessaire au profit du loisir, et, enfin, le travail comme voie d'accès à la citoyenneté sociale.

Tout d'abord, Marx affirmait que «considérer le travail simplement comme un sacrifice, donc comme source de valeur, comme prix payé par les choses et donnant du prix aux choses suivant qu'elles coûtent plus ou moins de travail, c'est s'en tenir à une définition purement négative (...) Le travail est une activité positive, créatrice114(*) ». La motivation au travail n'est donc pas que pécuniaire, car le travail peut être enrichissant. Marx va même jusqu'à identifier humanité et travail, puisqu'il considère le travail comme l'essence de l'homme. Ainsi, le travail permet l'expression de l'individualité de chacun, car l'objet qui est façonné est à l'image de celui qui l'a façonné. L'homme prend donc conscience de lui-même grâce au travail, et, en même temps se démarque. Le travail est donc un fondement de l'estime de soi. La vision que Marx a du travail n'est pas la vision qu'il a du salariat, car, en effet, le travail comme essence de l'homme, c'est-à-dire vivre pour travailler, n'est pas le travail aliéné par l'exploitation capitaliste : travailler pour vivre.

De plus, le travail permet la socialisation des individus, puisque par l'objet qui est produit chacun devient utile aux autres. Marx voit ainsi la socialisation comme le travail qui est réalisé pour les autres : l'échange des fruits du travail permet de reconnaître le travailleur, donc de l'intégrer, et permet de satisfaire un besoin par l'utilisation de l'objet façonné. L'idée d'une socialisation par le travail sera étoffée par d'autres auteurs et d'autres courants de pensée. Il en ressort que la socialisation par le travail passe aussi par l'apprentissage des codes qu'il nécessite, car le travail instaure des coopérations, des relations inter-personnelles qui sont normées, et par les relations extra-familiales qu'il permet. Sans réduire le lien social à la relation de travail115(*), il est clair que ce dernier en est une composante importante.

Ensuite, le travail permet de structurer le temps. Si on pousse la logique néo-classique de l'arbitrage entre travail et loisir jusqu'au bout, dès lors que le coût d'opportunité du loisir est nul, l'individu ne travaille plus du tout et ne se consacre qu'au loisir. Mais que fait-il de tout ce temps ? Nous pouvons parier qu'il travaille, au sens où il entreprend une activité créatrice nécessitant un effort. Le travail peut ainsi être considéré comme un « condiment de plaisir de la paresse 116(*)» : en l'absence totale de travail, au sens d'activité créatrice, mais aussi au sens de temps contraint, le loisir perd toute saveur et tout intérêt. Ainsi, une étude sociologique montre très bien cette importance du travail dans la vie et dans l'identité des individus, en montrant que la perte de travail est fréquemment accompagnée d'une raréfaction des contacts sociaux et des difficultés à se projeter dans l'avenir. Le loisir total entraîne une forme de délaissement : « sans contacts avec le monde extérieur, les travailleurs ont perdu toute possibilité matérielle et psychologique d'utiliser ce temps (...) La forme la plus fréquente d'utilisation du temps chez les hommes est ne rien faire 117(*.

Enfin, le travail salarié permet aujourd'hui d'accéder à un statut, à une reconnaissance sociale, et constitue un élément important de la citoyenneté sociale. La citoyenneté sociale, telle que R.Castel l'entend, est une composante de la citoyenneté démocratique dans son ensemble118(*), c'est-à-dire que la pleine citoyenneté démocratique nécessite pour être réelle un accès à la citoyenneté sociale. Il la définit comme « le fait de pouvoir disposer d'un minimum de ressources et de droits indispensables pour s'assurer une certaine indépendance sociale 119(*. Comment accéder à cette citoyenneté sociale ? Du point de vue des ressources, le travail et la redistribution sont tous deux à même d'en garantir un certain niveau. Mais concernant l'accès aux droits indispensables, la question est plus complexe. Le travail salarié permet encore, quoique de moins en moins, d'accéder à un certain nombre de droits, notamment grâce à la protection sociale, mais aussi grâce au droit du travail qui règle les conditions d'embauche et de licenciement et égalise les rapports de force entre employeurs et salariés. La redistribution a un effet plus ambigu : elle permet à la fois d'éviter les situations de pauvreté qui remettent en cause la citoyenneté sociale, mais génère aussi des rapports de sujétions entre institutions et assistés qui remettent en cause l'indépendance sociale. La redistribution des revenus ne peut donc pas pallier complètement au travail, car celui-ci permet l'autonomie économique. La cohabitation de travailleurs et d'assistés rend plus difficile la constitution d'une « société de semblables 120(*, caractérisée par des « systèmes d'échanges réciproques » ou chacun peut être « traité à parité 121(*)». La réciprocité est fondamentale, et c'est ce à quoi le travail permet d'accéder : contribuer, avec tous, à l'effort collectif, se légitimer, et, in fine accéder à la pleine citoyenneté. Les individus vont donc chercher à travailler non pas seulement pour un salaire, mais aussi pour devenir un membre à part entière de la société. De plus, la protection qui est offerte aux travailleurs du fait de leur statut, renforce cet attachement extra-salarial au travail.

Dès lors que la motivation au travail ne repose plus exclusivement sur le gain monétaire espéré, on peut penser que la redistribution des revenus, et les aides accordées aux inactifs ne sont pas nécessairement la source de la « trappe à inactivité ».

B. L'éloignement du marché du travail.

On peut montrer que la redistribution des revenus n'est pas la source de la désincitation au travail des inactifs bénéficiaires des minima sociaux en rappelant qu'ils sont une majorité à s'inscrire dans une démarche de recherche d'emploi (les trois quarts), ceci avec la même intensité que les chômeurs122(*). De même, il serait absurde de croire que le maintien dans l'inactivité résulterait d'un calcul, puisque « 40% des RMIstes jugent dévalorisante la perception de cette allocation » : l'enjeu du retour à l'emploi dépasse largement le cadre du gain espéré123(*). Pour expliquer cette contradiction entre une recherche active d'emploi et un maintien durable dans l'inactivité, nous nous intéresserons à l'idée d'exclusion sociale. Nous montrerons ensuite précisément quels sont les principales barrières à la sortie de l'assistance.

B.Gazier identifie124(*) deux façons qu'ont les économistes pour concevoir l'exclusion sociale. Tout d'abord l'exclusion comme un « processus interactif », résultat des comportements des agents issus de calculs économiques rationnels et de choix volontaires. C'est cette conception qui sous-tend les réformes visant à accroître les gains monétaires au retour à l'emploi. Ensuite, l'exclusion sociale peut être conçue comme un « processus anonyme », conséquence de mécanismes institutionnels et de grandes tendances sociétales, soit en raison du fonctionnement même du capitalisme et du marché du travail, qui nécessite pour son bon fonctionnement la présence d'une « classe de sur-numéraires », soit par l'émergence d'une classe d'individus « non-compétitifs », mis hors-jeux par leurs caractéristiques individuelles, et insérés dans un cercle vicieux où une difficulté individuelle génère de nouvelles difficultés. L'exclusion sociale comme « processus anonyme » est soutenue par les nombreux arguments permettant de penser que le travail possède intrinsèquement des avantages et peut être désiré pour lui-même : le non-retour à l'emploi peut alors être considéré comme subi, puisque l'emploi apparaît comme intrinsèquement désirable.

Le véritable problème de la trappe à inactivité réside donc bien dans l'éloignement des bénéficiaires du marché du travail. Cet éloignement peut posséder des sources diverses dont principalement une carence de formation, l'isolement et la pauvreté.

Ainsi, si la capacité à mobiliser des relations sociales est déterminante dans l'accès à des emplois de qualité et durables, donc dans la sortie de la dépendance, les allocataires du RMI mobilisent moins le réseau relationnel que les personnes sans-emplois et touchant les allocations chômage. Ceci provenant en partie du fait que les allocataires du RMI sont jeunes (21% des allocataires ont moins de 29 ans125(*)), donc ayant un carnet d'adresses professionnelles plus léger. De plus, de nombreux allocataires du RMI le deviennent après avoir épuisés leurs droits aux allocations chômages, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas exercé d'activité professionnelle depuis plus longtemps en moyenne que les chômeurs, ce qui entraîne une perte de contact avec d'éventuels employeurs. Il en résulte que les RMIstes font en moyenne plus appel au service public de l'emploi (77,5%126(*)) qu'aux relations personnelles (65%). Ceci est aggravé par le niveau de formation des individus : si 76% des RMIstes ayant un diplôme supérieur au baccalauréat font appel au réseau personnel dans leur recherche d'emploi, ce n'est le cas que pour 61% des RMIstes sans aucun diplôme127(*). De plus, les plus diplômés sont aussi ceux qui diversifient le plus les modalités de recherche d'emploi (plus de quatre modes de recherches en moyenne pour les personnes ayant un diplôme supérieur au baccalauréat, seulement trois pour les sans diplômes). Or, près de 79% des RMIstes, 80% des bénéficiaires de l'ASS, et 81% des bénéficiaires de l'API n'ont pas atteint le baccalauréat, et respectivement 42,2%, 40,9% et 37,7% d'entre eux déclarent n'avoir aucun diplôme128(*).

On entrevoit ici une difficulté qui s'impose aux allocataires de transferts désireux de travailler qui est la limitation subie du champ de recherche. Ceci est d'autant plus préoccupant que le repli sur les services publics de l'emploi suite à une carence du réseau relationnel a pour conséquence une diminution de la qualité des emplois. Ainsi, plus de 70% des emplois trouvés grâce au service public de l'emploi sont des contrats aidés ou des stages rémunérés, contre à peu près 25% pour les emplois trouvés de façon autonome. De même, seulement 5% des emplois trouvés par le service public sont des CDI contre 22% pour la recherche indépendante. Cette difficulté à faire jouer les réseaux de relations se trouve confirmée par le ressenti des allocataires : 25% des RMIstes et 16% des allocataires de l'AAH et de l'API disent ressentir un isolement129(*). Cette souffrance déclarée recoupe la situation familiale effective des allocataires : 59% des allocataires du RMI sont des hommes ou des femmes sans enfant, et 23% des femmes seules avec enfants130(*).

Ensuite, outre son impact sur la capacité à mobiliser une diversité de modes de recherches d'emplois, le niveau de formation conditionne largement l'employabilité des allocataires et leur chance de sortie de l'inactivité. Les allocataires jeunes sont faiblement expérimentés, donc peu attractifs pour les employeurs. Les allocataires âgés sont en décalage par rapport aux compétence requises. Ceci est accru par l'apparition depuis les années quatre-vingt-dix de « nouvelles normes d'emplois 131(*)», où la sélectivité est accrue et porte de plus en plus sur de nouveaux critères, comme par exemple la responsabilité, le capacité d'initiative et d'autonomie. Ce faisceau de compétences est directement issu du capital social, du capital culturel, du niveau de formation, c'est-à-dire d'autant de paramètres qui sont indépendant de la seule volonté de l'individu. Et, si le besoin de formation est avéré, y accéder est souvent difficile pour les allocataires. Outre la démotivation, des contraintes matérielles peuvent en effet intervenir, comme le financement de la formation, par exemple, qui n'est pas toujours pris en charge, ou le temps long de la formation. Les allocataires justifient leur entrée dans une assistance durable par la difficulté d'accéder à une formation en raison d'un découragement, d'une trop grande complexité, ou de trop faibles rémunérations liées aux stages132(*).

La situation financière peut aussi favoriser le maintien dans l'assistance. La recherche d'emploi repose sur la motivation mais aussi sur les moyens disponibles pour réaliser les projets. Ainsi, de nombreux allocataires disent nécessiter un moyen de transport133(*), ou la mise à disposition de moyens pour la garde d'enfants134(*) (aides financières, conseils) avant de débuter une recherche active d'emploi. On peut noter en dernier lieu que 8% des RMIstes déclarent que leurs problèmes de santé sont à l'origine de leur maintien hors de l'emploi.

Chaque difficulté que nous venons de présenter renforce d'autres difficultés, et éloigne un peu plus l'allocataire de l'emploi : on a donc un processus cumulatif. Ce processus a été mis en évidence par G.Myrdal, pour qui « un processus social tend à prendre un caractère cumulatif et à gagner de la vitesse à un rythme accéléré 135(*)». La dynamique des inégalités est alors la conséquence des interactions entre plusieurs facteurs qui se renforcent mutuellement. La pauvreté, le déficit de formation, la dégradation des conditions de santé, la criminalité sont quelques-uns de ces facteurs identifiés par Myrdal dans son étude de la situation des afro-américains. Dans le cas des allocataires de minima sociaux, on retrouve ce cumul : mauvaise formation, faible accès à l'enseignement public, mauvaises conditions de santé, pauvreté, démotivation, cassure des liens sociaux. Certes, tous les allocataires ne relèvent pas de cette mécanique : par exemple de nombreux jeunes sont allocataires pour un temps court, comme une transition entre deux situations d'emplois, une « assistance différée ». Mais, il existe d'autres postures d'allocataires, caractérisées par S. Paugam comme une « assistance installée » ou « revendiquée », où la motivation au travail est faible ou nulle, en raison des facteurs que nous avons mentionnés plus haut, et après un temps long de maintien dans l'assistance.

Les déterminants du retour à l'emploi pour les allocataires de minima sociaux sont donc autrement plus complexes que l'idée du calcul monétaire rationnel, et la redistribution n'est donc pas la principale source de la « trappe à inactivité ». Les allocataires du RMI s'inscrivent majoritairement dans des démarches de recherches d'emplois, mais se heurtent à des difficultés importantes, et font souvent l'objet d'un cumul de problèmes qui interagissent sous la forme d'un auto-renforcement. L'incitation monétaire au retour à l'emploi n'impactera pas toutes ces situations où l'inactivité ne résulte pas d'un choix rationnel et calculateur, et s'avérera donc peu efficace.

En mettant en évidence la diversité des incitations au travail ainsi que l'existence du phénomène d'exclusion sociale des allocataires de minima, nous avons pu montrer que la redistribution des revenus n'est pas nécessairement la source de la trappe à inactivité.

III. L'allocation universelle

La proposition d'allocation universelle tranche de façon radicale le conflit que nous avons mis en évidence entre travail et redistribution, car elle déconnecte le travail du revenu. Ce dernier n'est plus la récompense de l'effort fourni, mais est versé à chacun, oisifs ou travailleurs. Les justifications de cette mesure reposent à la fois sur des considérations éthiques et de justice sociale qui valent pour toute société et pour tout temps, mais aussi sur la prise en compte des évolutions récentes de nos sociétés, c'est-à-dire principalement la diminution du travail nécessaire, et la prise en compte de l'activité en lieu et place du travail. Des modèles ont émergé pour proposer des formes d'organisation de la redistribution qui permettent de mettre en place cette allocation, et montrent qu'une telle mesure n'est pas hors de portée.

Cependant, les effets réels de sa mise en place font débats et ne peuvent être parfaitement anticipés. Il existe en effet des possibilités d'effets pervers, par exemple sur les salaires ou sur l'accès à la citoyenneté sociale. Ainsi, nous conclurons que si l'allocation universelle peut constituer, sous certaines formes, une avancée importante vers une résolution du conflit entre travail et redistribution, elle reste limitée, car elle n'impacte que les paramètres sur lesquels reposent l'hypothétique arbitrage monétaire entre travail et loisir, et ignore les autres déterminants de la « trappe à inactivité » que nous avons présentés plus haut.

A. Fondements et modalités de mise en oeuvre.

Sans omettre de présenter la diversité des justifications possibles à l'idée d'une allocation universelle, nous tenterons d'en donner une définition simple. Sur cette base, nous présenterons une proposition de réforme mettant en application cette idée, afin de montrer qu'elle n'a rien d'irréaliste.

Définition et justifications de l'allocation universelle.

Van Parijs donne une définition claire de ce qu'est une allocation universelle. Pour lui, c'est un transfert monétaire versé à tous les membres d'une communauté, sans contrepartie en travail et sans condition de ressources. Mais, il reconnaît dans le même temps que les possibilités sont diverses, et que le terme même d'allocation universelle peut renvoyer à des conceptions très diverses. L'universalité ne permet pas de caractériser suffisamment ce type d'allocation : si ce qui est universel ne souffre aucune exception136(*), on parle souvent de suffrage universel pour désigner un vote qui exclut un certain nombre de personnes (mineurs, citoyens sous le coup d'une sanction ou jugés irresponsables). Plutôt que d'universalité, il convient donc de parler d'inconditionnalité : l'allocation universelle est en fait une allocation versée sans condition, donc à tous. Par conséquent, elle permet de modifier les paramètres à partir desquels les agents maximisateurs résolvent leur programme : le coût d'opportunité lié au loisir est fortement réduit, au point de devenir nul dès lors que l'allocation est d'un montant équivalent au salaire pouvant être atteint sur le marché du travail. En d'autres termes, l'allocation dévalue le travail. En reprenant les paramètres du modèle de T.Piketty, on montre aisément que l'allocation universelle permet de diminuer le TMEI qui s'applique lors du passage du non-emploi vers l'emploi. Dans le cas d'une allocation conditionnée par l'inactivité, y1 est égal à (w1-tw1), alors que dans le cas d'une allocation universelle, y1 est égal à (w1 - tw1+y0). L'allocation universelle permet donc d'accroître l'écart entre y0 et y1, c'est-à -dire d'accroître les gains au retour à l'emploi ; or, le TMEI est une fonction décroissante de cet écart137(*).

La légitimité d'une allocation universelle n'est pas évidente : pourquoi, en effet, du plus riche au plus démuni, chacun percevrait de la collectivité un même montant ? Pourtant, de nombreux auteurs et penseurs ont pensé trouver dans une allocation universelle une solution aux problèmes posés par l'assistance ainsi qu'une bonne façon de mettre en oeuvre une politique qui soit à la fois la plus juste possible et la plus efficace. Les justifications théoriques de l'allocation universelle sont nombreuses et trouvent leur source à la fois parmi de fervents libéraux que parmi des penseurs d'obédience socialiste. On peut ainsi réunir les arguments qui défendent une allocation universelle en quatre groupes.

Premièrement, on trouve un recours à l'environnement pour justifier l'allocation universelle. Si l'on considère en effet l'environnement comme un propriété collective, c'est-à-dire si chacun en est propriétaire, alors son utilisation, les richesses qu'il recèle, doivent donner lieu à une rétribution de tous. T. Paine émet une proposition de ce type à la fin du XVIIIème siècle, en l'appelant « indemnité de droit naturel », devant être versée à tous, riches ou pauvres. Le « socialiste utopique 138(*)» C. Fourrier reprendra cette idée, en mettant en avant la privatisation des terres qui soustrait les richesses naturelles aux individus. En suivant cette logique, les propriétaires n'ont pas à recevoir l'allocation, puisqu'ils bénéficient déjà des richesses naturelles ; la proposition de Fourrier n'est donc qu'une forme partielle d'allocation universelle. L'État de l'Alaska, seule communauté politique à avoir mis en oeuvre une allocation universelle inconditionnelle, la finance grâce aux revenus tirés de l'exploitation du pétrole, et la justifie par le partage des richesses du sol.

Ensuite, l'allocation universelle a été justifiée par la hausse de la productivité du travail139(*). « La fin du travail 140(*)» annoncée, entendu comme la fin du travail nécessaire, doit être accompagnée du versement d'une allocation pour éviter que les chômeurs, qui se trouveront en nombre croissant, se retrouvent exclus et mis à l'écart, dans le dénuement. C'est donc admettre que pour satisfaire nos besoins, le temps de travail nécessaire diminue. De là, l'allocation permet un passage du travail jugé nécessaire, c'est-à-dire à la fois nécessaire pour la subsistance de chacun, mais aussi nécessaire pour la création des richesses « suffisantes », au travail utile, c'est-à-dire un travail non-contraint, satisfaisant à la fois pour le travailleur et pour les bénéficiaires du fruit de ce travail141(*). L'allocation permet donc d'accompagner le passage d'une société de plein-emploi à une société de pleine activité.

Troisièmement vient la conception « libérale » de l'allocation universelle. Elle se défend alors au nom de la liberté individuelle et se substitue à toutes autres allocations. La proposition d'impôt négatif de M. Friedman relève de cette justification. Pour lui, il faut substituer à l'état social une seule prestation, simple et individuelle, afin d'en rationaliser le fonctionnement et de s'extraire des logiques collectives. De plus, cette prestation, pour être efficace, ne doit pas entraver le fonctionnement du marché : elle doit donc être forfaitaire, c'est-à-dire versée à tous pour un même montant, et le prélèvement fiscal qui la supporte doit être proportionnel, ou linéaire, pour ne pas entraîner de distorsions. Bien que l'allocation soit versée à tous, la proportionnalité de l'impôt permet d'obtenir une redistribution des richesses des plus aisés vers les plus pauvres (cf.Annexe 8). L'allocation universelle est considérée dans ce cadre comme l'instrument permettant de dégager la puissance publique de toutes responsabilités à l'égard de la pauvreté et des inégalités pouvant être générées par le marché. En effet, dès lors que l'allocation est instituée, il n'est plus légitime d'imposer un salaire minimum, puisque les individus ont désormais la capacité matérielle de refuser un contrat jugé désavantageux. L'allocation est alors perçue comme un moyen de permettre la réalisation d'échanges mutuellement avantageux par le contrat, dont les parties prenantes sont réellement libres.

Pour finir, l'allocation universelle peut être défendue par des considérations de justice sociale. Ainsi, Van Parijs et Van der Veen vont faire appel à Marx pour justifier l'idée d'allocation universelle. Le communisme est défini par Marx lui-même comme l'état où chacun possède la richesse matérielle qui correspond à son besoin : van Parij et van der Veen identifient alors un « critère marxien 142(*)» permettant de juger de l'optimalité d'une redistribution des revenus. Pour eux, le critère marxien permet de définir comme optimale une redistribution des revenus qui maximise la part de la richesse nationale allouée aux individus selon leurs besoins. L'allocation universelle, qui pourrait être modulée selon une estimation faite des besoins spécifiques de certaines catégories de population143(*) (personnes âgées ou en situation de handicap, par exemple), est fixée à un niveau qui permette de satisfaire, au départ, les besoins les plus élémentaires, puis voit son niveau s'accroître à mesure que la richesse produite s'accroît.

Outre la référence à Marx, Van Parijs essaye de justifier l'idée d'une allocation universelle grâce à la conception rawlsienne de l'équité et de la justice sociale. En particulier, il se demande si une telle allocation permettrait de satisfaire le critère du maximin élaboré par Rawls, c'est-à-dire s'il permet de maximiser le bien-être des individus les moins bien lotis (cf.Annexe 1). Van Parijs note, à juste titre, que le bien-être est, chez Rawls, dépendant de la dotation de chacun en « biens premiers », dont : le revenu et la richesse ; les prérogatives et responsabilités des différentes fonctions sociales ; et les bases sociales du respect de soi-même. Si la mise en place d'une allocation universelle permet certes d'allouer à tous un revenu, de garantir un niveau de richesse, la situation sociale de dépendance qui en résulte interdit l'accès à un minimum de responsabilités et de pouvoir, et n'offre aucune prérogative au bénéficiaire. De même, si Van Parijs note que l'inconditionnalité permet d'éviter une sélection des allocataires et l'obligation de prouver son dénuement, et permet donc de réunir les conditions sociales du respect de soi-même, la dépendance et la situation d'infériorité qui résultent de cette situation, l'incapacité de subvenir par ses propres moyens à ses besoins, remettent en cause l'accès au respect de soi-même. Rechercher les fondements éthiques d'une allocation parfaitement inconditionnelle dans le philosophie rawlsienne semble donc sujet à débat.

Une proposition d'allocation universelle.

Les cas de mise en oeuvre d'une réelle allocation universelle sont rares. De fait, c'est la caractère universel de ce type de subsides qui semble être le plus complexe à appliquer. Ainsi, si l'existence de minima de subsistance est généralisée, et en tout cas effective en France depuis 1988, ils ne s'appliquent jamais à tous c'est-à-dire y compris aux travailleurs et sont en général fonction du revenu du foyer. De même, des personnes correspondant aux critères de richesses requis pour être éligibles peuvent se voir refuser l'aide, car d'autres critères existent, tels que l'assiduité à la recherche d'emploi et les démonstrations de bonne volonté. Pourtant, Van Parijs et B. Gilain ont imaginé quelles pourraient être les modalités de mise en place d'une allocation universelle en Belgique, et on peut retirer de cette simulation de nombreux enseignements généraux quant aux modalités d'applications de ce type d'allocation.

Les auteurs identifient trois modes envisageables de mise en oeuvre : la stratégie substitutive, la stratégie de Atkinson et la stratégie additive. La stratégie substitutive consiste en un remplacement de tous les transferts pré-existants dont le montant est inférieur à celui de l'allocation universelle, qui sera financée alors par un impôt sur le revenu qui exclu l'allocation. On peut choisir, à l'inverse, d'instaurer une allocation universelle qui s'ajoute aux transferts pré-existants, mais dont le financement devra inclure une taxation de ces revenus de transferts. Une dernière stratégie, présentée par A. Atkinson, se veut intermédiaire, et propose de déduire des transferts perçus seulement la moitié du montant de l'allocation.

Dans tous les scénarios, une allocation de 8 000 francs belges de 1992, soit l'équivalent d'un peu moins de 300 euros de 2009, est versée « de façon inconditionnelle à tout résident permanent âgé de 18 ans au moins. 144(*)» (on a donc une allocation qui n'est pas universelle puisque excluant les mineurs). De même, les avantages fiscaux et transferts (allocations familiales) reçus en raison de la présence d'un enfant à charge de plus de 18 ans sont supprimés, ces derniers étant bénéficiaires de l'allocation universelle. Les avantages fiscaux liés à la famille (quotient familial) et à la situation maritale (réduction d'impôts pour les couples mariés ) sont supprimés : l'allocation est versée individuellement à chaque individu, et sans considérations du foyer. Dans le scénario substitutif, tous les transferts inférieurs à 300 euros mensuels sont supprimés, et les transferts restants (marge supérieure des transferts monétaires) demeurent exonérés d'impôts. Le financement de l'allocation peut donc être réalisé par les économies réalisées sur les transferts (entre 20% et 36% du coût total de l'allocation universelle), les économies réalisées sur les prestations familiales (qui représentent 4% du coût total de l'allocation) et un réajustement du barème de l'impôt sur le revenu, tel que présenté dans le Tableau 2.

Tableau 2: Modification du barème de l'impôt sur le revenu proposée par Gillain et Van Parijs. Source: Un scénario de court-terme...

Le rendement de l'impôt va donc croître de façon importante, puisque les taux d'imposition augmentent pour presque toutes les tranches de revenu imposable (hormis pour la première tranche, entre autres). Ce barème est calculé de telle sorte que, compte tenu des économies réalisées sur les transferts et prestations familiales (pris en compte ici de l'estimation haute des économies réalisées sur les transferts monétaires), la mise en oeuvre de l'allocation soit neutre budgétairement. Ceci se motive pour les auteurs par le fait que la mesure ne doit pas être financée par la dynamique économique qu'elle est susceptible d'enclencher, donc elle ne doit pas faire l'objet d'un pari ou d'une anticipation qui justifierait le recours à l'endettement. En terme de prélèvements, la proposition Gillain-Van Parijs génère une diminution de la progressivité de l'impôt sur le revenu puisque les hausses d'impôts impactent plus fortement les tranches basses. Par exemple, on peut comparer l'effet de la réforme sur le montant d'impôt sur le revenu payé par une personne ayant un revenu imposable de 300 000 francs belges et une autre personne un revenu de 2 500 000 francs belges : le montant d'impôt payé par la première personne est multiplié par 1,6, contre 1,09 pour la seconde personne. Cependant, le transfert forfaitaire représentera une part plus importante des revenus disponibles les plus bas, et les montants d'impôts prélevés sur les hauts revenus demeureront supérieurs au montant de l'allocation, ce qui permet de maintenir une redistribution des plus pauvres vers les plus riches.

Comme le notent les auteurs, cette proposition d'allocation universelle est insuffisante (son montant demeure inférieur au niveau des minima sociaux), et ne constitue pas une proposition d'allocation universelle optimale. Cependant, cette simulation a le mérite de montrer qu'enclencher une réforme qui aille dans le sens de l'allocation universelle est réaliste, et non pas hors de portée. En effet, la stratégie à adopter consiste à « placer délicatement, à la base du système de sécurité sociale, un socle modeste qui permette d'amorcer une dynamique nouvelle 145(*)», pour se substituer, à terme, aux minima existants.

B. Effets escomptés et limites.

L'instauration d'une allocation universelle est susceptible d'engendrer de nombreux effets et de modifier les conditions de fonctionnement du marché du travail. L'offre et la demande de travail seront impactées, et des effets pourront se faire sentir sur le chômage, les salaires, et les conditions d'emplois.

L'effet de l'allocation sur les salaires est ambigu. En effet, deux effets peuvent se contredire : d'un côté les offreurs de travail pourront refuser des emplois peu payés, qu'ils acceptaient auparavant, car l'allocation leur donne les moyens de subsistance permettant de vivre sans emploi. De l'autre côté, les emplois peu payés seront plus supportables car accompagnés du versement de l'allocation : les individus pourront vivre convenablement en exerçant des métiers qui ne le permettaient pas auparavant, grâce à l'allocation, et accepteront donc plus facilement d'exercer ce type de métier, ce qui incitera les employeurs à baisser les salaires. Nous l'avons vu précédemment, un des effets pervers potentiel du RSA pourrait être cette dévalorisation des salaires et des conditions d'emplois induites par le versement d'une subvention aux individus en emploi.

Lorsque Polanyi décrit l'expérience de Speenhamland, il constate bien une baisse des salaires et des conditions d'emplois. Pour lui, cette baisse du salaire n'est pas un effet mécanique induit par l'instauration du « droit de vivre », mais plutôt la conséquence de l'absence d'organisation des travailleurs. En étant organisés et en refusant les bas salaires et les mauvaises conditions d'emplois, les travailleurs auraient pu permettre par leur action d'entraîner une hausse des salaires et une amélioration des conditions de travail. Curieusement, les lois interdisant l'organisation des travailleurs ont été votées peu après l'instauration du « droit de vivre » (en 1799, soit quatre ans plus tard), comme le note Polanyi : si les travailleurs auraient pu s'organiser, et exercer un droit de grève, les employeurs n'auraient pas résisté longtemps sans pouvoir trouver de main d'oeuvre face aux grévistes prenant le temps, n'étant pas poussé par la faim parce que subventionnés par la paroisse. L'effet sur les salaires dépend donc des rapports de force entre les acteurs du marché du travail.

D'autres paramètres doivent être pris en compte pour évaluer l'évolution des salaires conséquente à l'instauration d'une allocation. Van Parijs affirme que le versement de cette subvention aux travailleurs aura deux effets simultanés: « push up the rate wage for unattractive, unrewarding work (...) and bring down the average wage rate for attractive, intrinsically rewarding work ». En effet, l'octroi de l'allocation modifie les arbitrages, comme nous l'avons rappelé précédemment. Cette phrase de Van Parijs exprime à la fois le changement dans les calculs monétaires des agents, c'est-à-dire la baisse du coût d'opportunité du loisir, mais aussi la modification de paramètres plus complexes qui rentrent en compte dans les arbitrages individuels et qui dépassent largement le cadre monétaire. La pénibilité du travail, la satisfaction que l'on en retire sont des éléments pris en compte dans les préférences individuelles. Le versement de l'allocation permet de révéler ces préférences, qui ne pouvaient pas s'exprimer auparavant, en raison de la double liberté des travailleurs. De là, les métiers enrichissant verront leur rétribution baisser puisque ce n'est plus seulement le salaire mais aussi l'activité en elle-même qui rend le travail attractif. A l'inverse, les métiers ennuyeux ou pénibles verront leurs salaires considérablement augmenter afin d'attirer les travailleurs. A. Smith affirmait dès 1776 que «  les salaires du travail varient suivant que l'emploi est aisé ou pénible, propre ou malpropre, honorable ou méprisé 146(*)», et la théorie des différences compensatrices a repris cet argument. La cadre de réflexion permettant d'arriver à ces conclusions est celui de la concurrence parfaite, où les offreurs de travail sont libres d'accepter ou de refuser un emploi selon la pénibilité qui lui est rattachée. Or, le fonctionnement réel du capitalisme ne permet pas de réunir ces conditions, et l'offre de travail est contrainte par les impératifs de la vie à accepter de mauvais emplois147(*). L'allocation universelle permet donc de réunir les conditions permettant l'émergence d'une inégalité de salaire corrélée avec la pénibilité du travail, et permet de rompre avec des rapports de force déséquilibrés entre employeurs et employés.

Outre le niveau des salaires, l'allocation universelle modifie aussi le niveau de chômage d'une économie, et ce de plusieurs façons. Tout d'abord par la réduction de la trappe à inactivité, si on admet l'hypothèse d'un arbitrage entre travail et loisir. En effet, les estimations réalisées par Van Parijs et Gillain montrent que, dans les trois scénarios explorés, la réduction du TMEI pour les bas revenus est importante. Ainsi, dans le cas du scénario substitutif, la présence du TMEI proche de 100% ne peut être évitée : les marges de transferts conditionnels supérieures au montant de l'allocation demeurent. Pour autant, l'ampleur de la trappe à inactivité est fortement diminuée : le niveau de revenu primaire à partir duquel le cumul de la perte de transferts et des prélèvements supplémentaires permet de voir le revenu disponible s'accroître, passe de 18 729 francs belges à 13 194 francs pour un bénéficiaire de l'équivalent belge du R.M.I. On sort donc plus tôt de la trappe à inactivité. L'allocation n'étant pas imposable, le taux d'imposition de la première tranche n'évoluant pas, de même que les effets de seuil des minima n'étant pas supprimés, le TMEI n'est modifié que par le montant de l'allocation, qui compense donc partiellement les pertes de transferts induites par le changement de statut ou la hausse du revenu d'activité. Un second effet sur le chômage pourra passer par la hausse de la demande effective, donc de l'emploi, générée par une redistribution en faveur des plus bas revenus, dont la propension à consommer est la plus haute. En effet, si l'on considère que le montant de l'allocation a vocation à croître, selon le critère marxien, la conséquence en est une hausse des bas revenus (l'effet est identique si une allocation d'un montant important, supérieur aux minima pré-existants est instituée dès le départ). L'effet sur l'emploi semble donc être globalement favorable.

L'allocation universelle n'est pourtant pas exempte de critiques. La principale étant qu'elle risque d'entériner des situations d'exclusions sociales préoccupantes. En effet, soit l'allocation universelle peut-être défendue en arguant de l'ineffectivité de l'arbitrage monétaire entre travail et loisir et elle permet alors d'atténuer le coût du non-emploi ; soit elle est justifiée au nom de cet arbitrage monétaire et c'est justement pour que cet arbitrage soit fait dans de bonnes conditions que l'allocation est instaurée. Or, nous avons pu voir précédemment combien les individus hors de l'emploi sont exclus de la dynamique économique, et que le non-emploi ne relève que rarement d'un choix. Dès lors, l'idée d'allocation universelle, qu'elle adhère ou non à l'idée de l'arbitrage n'est acceptable que dans la mesure où elle est liée à la mise en place d'un accompagnement performant des sans-emplois, passant -entre autres- par la formation et l'aide à la recherche d'emploi.

De plus, la hausse éternelle de la productivité et l'arrivée de la fin du travail peuvent être considérés comme utopiques. Les progrès technologiques réalisés font miroiter en trompe-l'oeil une hausse de la productivité, puisqu'effectivement l'utilisation de telle ou telle machine permet de produire plus vite. Cependant, on peut penser que le travail des hommes a toujours constitué la source de toutes richesses, et ce aujourd'hui encore. Les gains de productivité, les progrès technologiques, la substitution du capital au travail n'ont pas effacés cette réalité. La tertiarisation incontestable de nos économies ne repose que sur l'industrialisation des économies émergentes. Chaque machine que nous produisons, censée remplir des tâches plus efficacement que le travailleur repose sur une quantité croissante de « travail incorporé ». A bien des égards, la fin du travail ne semble donc pas être une hypothèse valable, à court-terme et à mode de production inchangé.

Pour résumer le dilemme qui est posé par l'allocation universelle, on peut citer A.Caillé: « effectué[e] sur un mode libéral pour signifier aux exclus que l'on est quitte avec eux, ou fait dans la logique caritative qui développe la passivité des bénéficiaires, [elle] risque d'être la pire des choses. Mais [elle] peut aussi signifier un pari de confiance de l'État et de la société vis-à-vis des exclus, pari sur leur liberté et sur leur libre investissement dans des activités d'intérêt collectif ».

Le conflit entre travail et redistribution est donc traité de deux façons par l'allocation universelle : en modifiant les paramètres du choix entre travail et redistribution et en se proposant de mettre en oeuvre une redistribution qui intègre l'idée de motivations non-monétaires à l'emploi. Dans cette seconde optique, défendre l'idée d'une allocation universelle permet du même coup de défendre l'idée que la redistribution n'est pas nécessairement source de désincitation au travail. De ce fait, l'allocation universelle prend l'exact contre-pied des dernières réformes de la fiscalité et des minima sociaux en faisant le pari d'une conception du travail plus positive, et libératrice.

De nombreux arguments nous montrent que la redistribution des revenus ne doit pas être considérée automatiquement comme la source de la « trappe à inactivité ».

Ainsi, l'histoire du travail et de la redistribution a mis en évidence comment le conflit qui les oppose a émergé, et comment ensuite il avait été résolu par le choix d'une protection sociale assurantielle peu redistributive, au détriment de l'assistance. La résolution du conflit n'est pas réelle puisque elle passe par le refus d'une véritable redistribution verticale forte : plutôt que de reposer sur l'idée que la redistribution ne s'oppose pas au travail, la prééminence de l'assurance a écarté les situations où ce conflit pouvait potentiellement voir le jour.

Ensuite, la remise en cause de l'assurance, en raison notamment d'une dégradation de l'emploi, marque le retour nécessaire de l'assistance, et ouvre la voie à un renouveau de la critique de la redistribution, trop généreuse et désincitant au travail ses bénéficiaires, devenus illégitimes. Mais, il faut noter que ce renouveau de l'assistance coïncide avec le développement de l'exclusion sociale, qui concerne de nombreux bénéficiaires de minima, et qui oblige à repenser le conflit entre redistribution et travail : plutôt que désincitative, la redistribution permet de protéger des individus qui, bien que cherchant à retourner vers l'emploi, n'y parviennent pas, et s'installent dans l'inactivité, contraints plutôt que par choix. De même, les avantages procurés par l'emploi et le travail permettent de penser que les inactifs ne le sont que rarement en raison d'un calcul monétaire et rationnel.

L'allocation universelle permet de prendre acte de cette exclusion en garantissant un niveau de revenu à tous, donc en re-légitimant les exclus du marché du travail, principaux bénéficiaires de la redistribution. Cette forme de redistribution permet aussi d'intégrer l'idée d'un arbitrage monétaire entre travail et redistribution si tant est qu'il existe ; mais plutôt que de la concevoir comme un conflit, l'allocation y voit une opportunité pour revaloriser le loisir, loin des réformes visant à rendre le travail payant, et dont le fondement semble n'être que la valeur morale attachée par certains au travail.

CONCLUSION:

Nous ne pouvons trancher de façon radicale la question que nous nous posions concernant la conciliation entre travail et redistribution des revenus.

D'un côté, il est indéniable que les prélèvements portant sur les bas revenus, et que les transferts en direction d'individus inactifs, réduisent le gain au retour à l'emploi et donc l'incitation à travailler. On l'a vu dans le cas de la France, les gains monétaires sont très faibles, voir nuls dans le cas de bénéficiaires de minima sociaux reprenant un emploi. D'un autre côté, nous avons montré que le maintien hors de l'emploi n'est que rarement la conséquence de cet effet désincitatif, et que d'autres paramètres jouent un rôle important, tels que le manque de qualification, le manque de moyens, une carence de relations sociales, et plus globalement une perte d'estime de soi et de motivation. Ces facteurs d'inactivité sont plus complexes à appréhender qu'un simple calcul de taux marginal ; pour les comprendre, il est nécessaire de se pencher sur la situation réellement vécue des allocataires, ainsi que sur leur perception de l'assistance et de l'emploi.

Néanmoins, si les forts TMEI observés ne sont pas la source du maintien dans l'inactivité, faire croître de façon significative les gains au retour à l'emploi peut permettre d'accroître la motivation à l'emploi des inactifs, et in fine d'accroître l'emploi. Les gains à l'emploi vont donc plutôt impacter la sortie de l'inactivité, tandis que le « processus anonyme » de l'exclusion sociale va jouer un rôle prépondérant dans l'ampleur de l'inactivité subventionnée.

Cette pluralité de paramètres nous permet d'affirmer que la redistribution n'est pas nécessairement source de désincitation au travail, puisqu'au moins dans certains cas ce sont d'autres paramètres qui freinent le retour à l'emploi, et puisque nous avons montré qu'il existait des situations de retour vers l'emploi non accompagnées de gains monétaires significatifs.

Cette conclusion, pourtant peu en phase avec les recommandations traditionnelles de la théorie standard, repose sur des faits empiriques et sur une tentative de compréhension des allocataires de minima. Elle demeure malgré tout emprunte de certains partis pris, concernant notamment la valeur attachée au travail. A l'inverse de ceux qui s'en tiennent à la désincitation monétaire pour expliquer le maintien dans l'inactivité, et qui doivent donc supposer que le seul avantage offert par le travail est la rétribution monétaire obtenue en retour, nous pensons que le travail apporte bien plus qu'un salaire : le sentiment d'appartenance au collectif, l'accès à des protections, la mise en oeuvre et l'acquisition d'un savoir-faire, la reconnaissance sociale.

Cependant, dans une société où tous ces avantages sont remis en cause, c'est-à-dire où le travail n'est plus protecteur, où il n'est plus intéressant, où il est rabaissant et abrutissant, alors, oui, seul le salaire est à même d'attirer les individus au travail. Défendre la hausse des gains monétaires au retour à l'emploi comme seul moyen d'accroître l'offre de travail revient ainsi à entériner cette dégradation des conditions d'emploi.

De plus, si l'on accepte l'idée que la désincitation au travail provient de trop faibles gains au retour à l'emploi, ce n'est pas nécessairement la redistribution qui en est la cause. En effet, le gain au retour à l'emploi est certes déterminé par le TMEI, mais aussi - et peut-être surtout- par le niveau des salaires. Les réformes visant à réduire les TMEI appliqués au retour à l'emploi (EITC, WFTC, RSA) ignorent l'éventualité où de trop bas salaires sont à l'origine de la faible incitation au travail. Ceci est d'autant plus dommageable que cette stratégie risque d'inciter à la modération salariale en subventionnant les bas salaires. A l'inverse de ces réformes, on pourrait, en vue accroître l'incitation monétaire au travail, contraindre les salaires à la hausse. Dans cette optique, ce n'est plus la redistribution qui est source de désincitation, mais bien le fonctionnement du marché du travail, qui génère des salaires trop faibles, offre des emplois précaires, et finit par décourager les individus au retour à l'emploi.

Pour apporter une réponse au conflit pouvant exister entre travail et redistribution, il faut garder à l'esprit qu'elle semble aujourd'hui nécessaire, en raison de l'état de la pauvreté et des inégalités, dégradé par les évolutions récentes sur le marché du travail. Le risque est de la délégitimer, étant considérée comme trop généreuse et désincitative, donc inefficace, alors qu'elle apporte des revenus, souvent vitaux, et qu'elle permet de maintenir la cohésion sociale en atténuant, tant bien que mal, les disparités de revenus. Les réformes visant à rendre le travail payant s'inscrivent ainsi dans un mouvement plus vaste de mesures visant à mettre en place des contreparties en travail aux transferts, et à durcir les conditions d'octroi des aides. Les objectifs de la redistribution, en termes de justice sociale et de protection contre certains risques, sont ainsi contrebalancés par des considérations d'efficacité économique et par des jugements moraux portant sur le travail et l'oisiveté.

C'est d'ailleurs de cette importance des valeurs, et des hypothèses qui en découlent, que provient la difficulté de trancher la question de la conciliation entre travail et redistribution. Par exemple, la théorie standard de l'impôt optimal peut servir à la fois à justifier des hauts TMEI et des bas TMEI pour les inactifs et les bas revenus, selon les objectifs que l'on donne à la puissance publique, respectivement la maximisation du niveau des transferts ou la maximisation de l'emploi. Autre illustration de l'importance des valeurs : l'acceptation de l'idée d'arbitrage monétaire peut mener à des stratégies visant à rendre le travail payant si le travail est une fin en soi, ou au contraire à revaloriser le loisir si l'on attache de l'importance à la production non-marchande et au temps libre.

L'allocation universelle peut être présentée comme une solution au problème de la conciliation entre travail et redistribution qui met explicitement en avant certaines valeurs et certains partis pris : remise en cause du travail à tout prix, importance d'un rapport de force équilibré entre employeurs et travailleurs, importance du loisir. L'objectif de l'allocation universelle est ainsi de faire en sorte que le travail salarié et le travail au sens noble du terme se confondent, en rendant à tous la liberté de travailler à loisir, et permettre de «  faire aujourd'hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l'après-midi, de pratiquer l'élevage le soir, de faire de la critique après le repas, selon mon bon plaisir, sans jamais devenir chasseur, pêcheur ou critique ».

Certes, cette vision idyllique du travail présentée par Marx ne fait pas référence explicitement à l'allocation universelle. Cependant, elle repose elle aussi sur une volonté de placer le travail contraint et l'efficacité économique au service de la justice sociale et d'une certaine vision du vivre ensemble. Sans évincer le problème de l'efficacité économique, il faut arbitrer le conflit entre travail et redistribution en mettant en avant des exigences éthiques et en se posant la question de la fin que l'on poursuit : le travail doit-il servir à produire des richesses dont nous aurions la jouissance, ou se suffit-il à lui-même ?

A ce sujet J.M. Keynes affirmait :

« Nous avons perdu nos illusions, non pas que nous soyons plus pauvres qu'avant [...] mais parce que les valeurs autres qu'économiques semblent avoir été sacrifiées. En pure perte, dans la mesure où notre système économique ne nous permet pas de tirer le meilleur parti de la richesse autorisée par le progrès technique, qu'il en est même loin, ce qui nous amène à penser que nous aurions pu faire une bien meilleure utilisation de ces possibilités inexploitées. 148(*)»

Voilà quel devrait être l'objectif de la redistribution : profiter au mieux, et de façon partagée, des fruits du travail.

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Rapports:

· Bourguignon F., Fiscalité et redistribution, Rapport du Conseil d'Analyse Économique, 1998.

· Létard V., Rapport d'Information, Commission des affaires sociales sur les minima sociaux, Sénat, 2005

Annexes:

Annexe 1: Théorie de la justice et distribution optimale des revenus.

En 1971, John Rawls, philosophe américain, publie Théorie de la Justice, un ouvrage majeur dans la pensée économique de l'équité et de la justice sociale, dans lequel il va élaborer une théorie tout à fait originale de la justice. Rawls va parvenir à conjuguer l'existence de libertés fondamentales et de principes très forts de justice sociale dans un état de l'économie particulier, qui possède les caractéristiques d'un optimum de Pareto. Rawls va imaginer une procédure d'élaboration des règles fondamentales permettant d'atteindre un état optimal de justice sociale. L'ensemble des agents sont placés sous un «voile d'ignorance», c'est-à-dire qu'ils ne savent pas s'ils seront hommes ou femmes, riches ou pauvres, salariés ou patrons, handicapés ou bien portant, c'est-à-dire qu'elles seront leurs fonctions et leurs statuts sociaux dans le réel. A partir de là, l'ensemble des agents ignorants vont chercher à établir un certain nombre de règles ou principes qui feront l'unanimité et qui régiront le fonctionnement de l'économie réelle, chacun sachant qu'il peut potentiellement se trouver dans des positions sociales défavorables.

Selon Rawls ces grands principes sont au nombre de deux:

· Le principe d'égales libertés: chaque agent a droit à un système de libertés aussi nombreuses que la compatibilité avec le même système de libertés pour chaque autre agent est garantie. Le nombre de libertés garanties est donc maximum, tant qu'elles ne nuisent pas aux libertés d'autrui.

· Le principe de différence: ce principe, définition parfaite de l'équité, justifie l'existence d'inégalités entre les agents, sous deux conditions:

? a: dans le respect de l'égalité des chances, c'est-à-dire la même possibilité pour

chaque agent d'accéder a des fonctions et situations sociales,...

? b: ...et en faveur des individus les plus défavorisés.

Chacune de ces règles étant hiérarchisées dans cet ordre. Les libertés individuelles ne peuvent être remises en cause par la nécessité de rétablir l'égalité des chances ou de mettre en place une redistribution des plus riches vers les plus pauvres. L'élaboration de ces principes par les individus est guidée par leur volonté de garantir l'accès aux «biens premiers», qui selon Rawls regroupent l'ensemble des valeurs sociales de base. Les biens premiers, qui dépendent de l'organisation sociale et institutionnelle de la société, sont désirés par chaque individus sous le voile d'ignorance et influencent leurs facultés de réalisation des objectifs qu'ils se sont fixé: les libertés de base, de circulation, le revenu et la richesse, les prérogatives et responsabilités des différentes fonctions sociales et les bases sociales du respect de soi-même.

Grâce à ces deux critères, on peut observer quelles sont les principales critiques que Rawls adresse a la conception utilitariste et parétienne de la distribution optimale des revenus: critique de l'absence de prise en compte de la liberté dans l'atteinte d'un état social optimal, et de la non-prise en compte des particularités individuelles et des différences de dotations dans le critère de maximisation de la somme des utilités individuelles. L'état social qui respecte ces principes est donc profondément équitable dans le respect le plus stricte des libertés individuelles. De plus, Rawls va chercher a montrer en quoi cet état social peut aussi être parfaitement efficace grâce aux critères du maximin et du leximin.

Pour Rawls, l'état social juste sera efficace s'il est un optimum de Pareto: il s'agit donc de trouver l'optimum qui minimise les inégalités « subies ». Le critère du maximin revient a maximiser l'avantage des individus se trouvant dans la position sociale la plus favorable, et donc à opérer un choix parmi les optimaux selon ce critère. L'état social juste est donc un optimum de Pareto qui maximise les utilités des agents les plus mal lotis. Ce critère comporte cependant une limite: si deux états, X et Y, génèrent des avantages équivalents pour les individus les plus défavorisés, et que dans le même temps le passage de X a Y permet de faire croître l'avantage des individus les mieux lotis, le seul critère du maximin ne permet pas d'opérer un chois entre ces deux critères. Pourtant, Y est plus efficace au sens de Pareto, et donc préférable. Il convient dès lors d'employer le critère du leximin, selon lequel il faut choisir l'état social qui donne le plus grand avantage aux individus placés juste au dessus des plus défavorisés, et remonter ainsi l'échelle sociale jusqu'au moment où l'état social désigné sera celui qui donne le plus grand avantage aux sociétaires les plus favorisés, compte tenu du fait qu'aucun autre état ne maximise les dotations d'individus moins favorisés.

Rawls parvient grâce au voile d'ignorance, procédure fondamentalement hypothétique, a concilier dans un même état social équité et efficacité. Il nous indique que la redistribution des revenus devra toujours s'attacher à améliorer la situation des plus pauvres en priorité.

Annexe 3: Du revenu primaire brut total au revenu disponible brut total. Source: INSEE, 2010

On voit ainsi que la part des salaires dans le revenu disponible a crû de 10 points de pourcentages entre 1960 et 2008, la part des revenus du capital a crû de près de 4 points, tandis que la part des revenus des indépendants a baissée de 13 points. Les prestations sociales représentent aujourd'hui 26,2% du revenu primaire brut contre seulement 15,5% en 1960. De même, les cotisations sociales et l'impôt sur le revenu ont représenté une proportion croissante du revenu primaire sur la période. Cependant, l'impôt sur le revenu ne représente toujours que 11,6% du revenu primaire, contre un peu plus de 27% pour les cotisations sociales.

Au final, la revenu disponible brut global représentait 95% du revenu primaire brut global en 1960, et il en représente aujourd'hui 89%, ce qui dénote la croissance du système redistributif.

Annexe 4: Calculs de quelques indicateurs d'inégalités de revenus.

L'indice de Gini:

Avec X la fréquence cumulée de la population classée par ordre de revenu croissant, pour tout individus ou groupes d'individus (i), et Y la fréquence cumulée du revenu.

Une des limites de cet indice de concentration est de ne pas savoir différencier deux distributions de revenus ayant le même espacement avec la courbe de Lorenz parfaitement égalitaire, mais n'ayant pas la même forme.

Ainsi, les deux distribution A et B pourront générer le même indice de Gini, alors que dans la distribution B les individus les plus pauvres sont plus riches que dans la distribution A, et que dans la distribution B les individus les plus riches sont plus riches que dans le distribution A. Par exemple, si on décide de fixer un objectif « rawlsien » à la redistribution, l'indice de Gini ne permettra pas de déterminer le niveau d'inégalité satisfaisant qui bénéficie le plus aux plus pauvres.

L'indice de Atkinson:

On a, pour tout agent (i), un revenu (yi). Y désigne le revenu moyen et N le nombre d'individus. Avec ? un paramètre positif qui caractérise le degré d'aversion pour l'inégalité de la population. Plus le paramètre est proche de 0, plus l'aversion pour les inégalités est forte: on corrige artificiellement la distribution des revenus en la rendant plus ou moins égalitaire, grâce à ce paramètre. Ainsi, lorsque il est bas, les inégalités de la distribution des revenus sont exacerbées: les revenus bas par rapport au revenu moyen sont réduits, et les revenus hauts par rapport au revenu moyen sont augmentés.

Ainsi, on voit que le distribution corrigée (yi /Y)^(1-0,25) est plus inégalitaire que la distribution corrigée (yi/Y)^(1-0,75). Ceci permet de prendre en compte l'aversion pour les inégalités qui est plus forte pour ?=0,25 que pour ?=0,75. Il faut ajouter que l'expression croît de façon exponentielle avec yi/Y, ce qui implique que pour un niveau donné de ?, la correction à la baisse des bas revenus est plus faible que la correction à la hausse des hauts revenus. Il y a donc une sensibilité plus importante aux inégalités de revenu générées par de très hauts revenus.

Dès lors, lorsque on calcule la moyenne de ces deux distributions, c'est-à-dire:

, on obtient une moyenne beaucoup plus élevée pour des valeurs faibles de ? (la moyenne de la distribution (yi /Y)^(1-0,25) sera plus élevée que la moyenne pour la distribution (yi/Y)^(1-0,75)).

On a en outre, pour une même valeur de ?, une moyenne plus élevée lorsque la distribution initiale y(i) est inégalitaire par le haut (c'est-à-dire lorsque les inégalités proviennent de hauts revenus très hauts), et on a une moyenne plus faible lorsque la distribution initiale est inégalitaire par le bas (bas revenus très bas). Ce calcul de moyenne permet de prendre en compte les valeurs extrêmes de la distribution.

Le terme est nécessairement positif tant que ? est différent de 1, et est croissant avec la baisse de ?.

On déduit donc de l'ensemble de ces propriété que l'indicateur d'inégalité est croissant avec la baisse de ?. Plus l'aversion pour l'inégalité est forte, c'est-à-dire plus ? est proche de 0, plus l'indice de Atkinson sera proche de 1 pour une même distribution des revenus y(i). Donc, plus la société marque une aversion forte pour l'inégalité, plus l'indice de Atkinson sera élevé. De plus, l'indice croît avec la hausse des inégalités pour une même valeur de ?.

Une dernière propriété de cet indice concerne sa réaction face à la redistribution: plus ? est bas, plus les ponctions réalisées par le redistribution sur les hauts revenus permettent de réduire l'indicateur d'inégalités, alors qu'a l'inverse, plus ? est élevé (i.e. plus la tolérance à l'égard des inégalités est forte), moins les ponctions sur les hauts revenus réduisent l'indicateur d'inégalités. De même, plus ? est bas, plus les transferts octroyés aux plus pauvres (valeurs extrêmes basses de la distribution) font baisser l'indicateur d'inégalités, et inversement lorsque ? est élevé, où ces transferts génèrent une diminution plus faible de l'indicateur d'inégalités.

Annexe 7: Formalisation du TMEI, inspirée par Duclos J-Y. et al.

On peut comprendre le Taux Marginal Effectif d'Imposition (TMEI) grâce à une formalisation très simple. On a, avec YD le revenu disponible, YL les revenus d'activité, YK les revenus du capital, Ysub les revenus issus des transferts et T les impôts payés:

On fait l'hypothèse que le montant d'impôts payés (T) augmente avec les revenus primaires (YK + YL), et que les montants des transferts (Ysub) diminuent avec les revenus primaires:

donc:

Le revenu primaire (YP) est composé des revenus du capital (YK) et des revenus du travail (YL). Donc:

On obtient une fonction exprimant le revenu disponible en fonction du revenu primaire. Ainsi, en dérivant, on exprime la variation du revenu disponible en fonction des variations de revenus primaires:

d'où:

En sachant que le TMEI est égal à , c'est-à-dire la différence entre la hausse d'impôt consécutive à la hausse du revenu primaire et la baisse des transferts consécutive à cette même hausse de revenu primaire.

On a:

Le TMEI est donc fonction de la relation qu'entretiennent les revenus primaires et les revenus disponibles. Plus le rapport sera important, c'est-à-dire plus la hausse du revenu primaire entraîne une hausse importante du revenu disponible, plus le TMEI sera faible. A l'inverse plus la rapport sera faible, c'est-à-dire plus les hausses de revenu primaire sont confisquées par le système fiscal ou se traduisent par des pertes de transferts, plus le TMEI sera élevé. La rapport sera supérieur à 1 dès lors que la hausse de revenu primaire entraîne une hausse plus importante du revenu disponible. Un dispositif tel que le RSA chapeau vise ainsi à faire passer ce rapport au dessus de 1.

Annexe 8: Détail des droits connexes attribués selon le statut, avant la réforme du RSA. Source: Rapport d'informations du Sénat, Commission des affaires sociales, Mai 2005

On peut classer en trois grands groupes les droits connexes: les « droits connexes légaux », les « mesures spécifiques » et les « transferts et avantages locaux ».

· Les droits connexes légaux:

? Les allocataires du RMI et de l'API ont droit aux aides au logement à taux plein. De plus, pour les bénéficiaires de l'AAH qui touchent les aides au logement, une « majoration pour vie autonome » est automatiquement versée, d'un montant de 95,92 euros mensuels.

? Les allocataires bénéficient de nombreux avantages fiscaux: pour tous, exonération de CRDS ; exonération de CSG pour tous hormis -entre autres- les bénéficiaires de l'ASS ; l'AAH et le RMI ne sont pas pris en compte dans le calcul des revenus fiscaux pour l'IRPP et les bénéficiaires de l'API et du RMI voient leur dette fiscale « suspendue ».

? Exonération de taxe d'habitation pour les RMIstes.

? Les bénéficiaires de l'AAH, du minimum vieillesse et du RMI notamment, sont exonérés de redevance audiovisuelle.

? Accès pour tous les allocataires à la Couverture Maladie Universelle (CMU), hormis dans le cas où ils sont déjà affiliés à un régime de sécurité sociale par ailleurs. Accès à la CMU complémentaire pour les RMIstes.

? Les bénéficiaires de l'ASS et de l'AER valident des trimestres pour l'assurance vieillesse.

· Les mesures spécifiques:

? La prime de Noël, versée habituellement tous les ans aux bénéficiaires du RMI, de l'ASS, de l'AER. Son montant était en 2005 de 152,45 euros.

? Tarification sociale du téléphone: le RMI, l'AAH et et l'ASS ouvrent droit à une réduction forfaitaire de six euros sur les factures de téléphone (des réductions sont aussi accordées pour l'électricité, mais en raison du revenu et non pas du statut).

· Les transferts et avantages locaux:

? Ces aides et avantages sont versés par les conseils généraux et les municipalités, et sont donc très divers et répondent à des logiques différentes selon les territoires. De plus, certains de ces avantages sont fonction du revenu, d'autres du statut.

? Les aides en fonction du statut sont le plus souvent des tarifs réduits pour l'accès à des services publics (services municipaux...)

? On peut noter à titre d'exemple l'accès gratuit pour tous les RMIstes aux transports en commun dans la région Ile-de-France.

Ainsi, tous ces avantages contribuent à accroître le coût du retour à l'emploi s'il se traduit par un changement de statut. Le TMEI réel est donc bien plus élevé que les estimations qui en sont traditionnellement faites et ne prenant en compte que les transferts monétaires directes.

Annexe 9: Estimations du TMI optimal dans le cas français par Salanié (in Salanié B. (1998). Un Exemple de Taxation Optimale. In Rapport du CAE Fiscalité et Redistribution ).

Salanié a estimé le terme pour la distribution des salaires bruts en France en 1998:

On trouve en toute logique que pour les revenus faibles, le nombre d'individus gagnant plus est beaucoup plus élevé que la densité d'agents concernés par ces faibles revenus, ce qui explique que l'on ait un rapport supérieur à 14 pour les très bas revenus. Cependant, le rapport diminue très fortement est s'approche de 1 pour des salaires équivalents au salaire brut médian, et de 0 pour des salaires proches de 2 fois le salaire brut médian et supérieurs.

En conséquence, si l'on suppose une élasticité de l'offre de travail de 0,3 et que le gouvernement adopte comme objectif de maximiser le transfert alloué aux ménages les plus pauvres (objectif rawlsien), Salanié trouve une courbe des TMI optimaux qui n'est pas convexe, et qui décroit linéairement avec le salaire brut:

Ainsi, compte tenu de l'optimalité d'imposer les individus de faible productivité, compte tenu de la répartition des individus selon le salaire, et compte tenu de la présence d'objectifs rawlsiens, le taux marginal d'imposition optimal est fortement décroissant avec le salaire brut médian: proche de 100% pour les revenus les plus faibles, et de 50% pour les plus élevés.

Selon Salanié, les TMI que l'on trouve effectivement en France ne sont donc pas optimaux au moins pour les salaires les pus élevés, qui devraient subir des TMI extrêmement faibles au vue de son application du modèle Mirrlees-Diamond. Pour lui, seuls les TMI proches de 1 pour les bas revenus sont donc justifiables au regard du modèle Mirrlees-Diamond. Il conclu donc de l'absence de problèmes liés aux hauts taux marginaux d'imposition appliqués aux bas revenus: la faible productivité de ces individus et leur faible nombre justifient donc que 100% de leurs revenus supplémentaires soient taxés.

Annexe 11: L'impôt optimal sur les revenus: de la maximisation des recettes fiscales à la maximisation de l'emploi.

Nous reprenons ici l'analyse de la théorie de l'impôt optimale formulée par Piketty dans son article, La Redistribution Fiscale face au Chômage.

Les fondements de la taxation optimale: Mirrlees, 1971.

Chaque agent (i) reçoit un salaire horaire (wi) dont le montant correspond exactement à sa productivité. L'agent choisit son niveau d'offre de travail (li) en vue de maximiser son utilité (U), qui décroît avec la quantité de travail offerte et croît avec le revenu disponible après impôts (yi). On a: U(yi ; li)

Un taux d'imposition uniforme (t) est appliqué, et dont le niveau est déterminé par l'Etat. L'objectif de la puissance publique est de maximiser le niveau des recettes publiques (R), dont le montant est égale au taux d'imposition multiplié par le revenu moyen (ymo):

R=tymo

Les recettes fiscales servent à financer un transfert alloué aux individus ayant une productivité nulle, donc un salaire nul.

Le taux de salaire net est égal à: (1-t)wi . C'est le salaire horaire, duquel est déduit l'impôt.

Le modèle permet de voir quel est le niveau optimal de (t). Pour cela, il convient de voir quels sont les effets d'une hausse de (t) de d%. Tout d'abord, le taux d'imposition devient (t+dt).

En conséquence, le taux de salaire net devient (1-t-dt)wi

On a une baisse du taux de salaire net de %

En effet:

Avec (e) l'élasticité de l'offre de travail, on a, par définition:

Donc: . Comme , la baisse de salaire net conduit à une baisse de l'offre de travail égale à %.

La variation des recettes fiscales (äR) combine l'effet positif dû à la hausse du taux

et l'effet négatif dû à la baisse de l'offre d'emploi:

On a:

Le taux d'imposition optimal est celui à partir duquel les deux effets s'égalisent: on augmente le taux tant que l'effet positif sur les recettes est supérieur à l'effet négatif de la désincitation à l'emploi. Au delà de t*, l'effet négatif supplanterait l'effet positif, et les recettes fiscales diminueraient.

Donc: lorsque , c'est-à-dire : .

On obtient , avec t* le sommet de la courbe de Laffer.

Réinterprétation du modèle avec une imposition non-linéaire: Diamond (1996).

Mirrlees avait déjà intégré en 1971 une pluralité de taux pour différentes catégories de revenus; cependant, en suivant Piketty, nous en présenterons ici la ré-interprétation faite par Diamond.

Aucun paramètre n'est modifié hormis le taux d'imposition. On a désormais t(y) la fonction résumant tous les prélèvements et transferts attribués aux agents en fonction de leur revenu primaire (y).On a t(0)<0 : un impôt négatif est versé aux agents dont les revenus d'activités sont nuls (y=0).

On a t'(y) le taux marginal appliqué au revenu (y), c'est-à-dire le taux prélevé sur une unité de revenu primaire supplémentaire.

La même méthode que précédemment est appliquée : on observe quel est l'effet d'une hausse du taux marginal sur les recettes fiscales afin de déterminer le niveau du taux marginal optimal. Ainsi, on suppose une hausse des taux marginaux appliqués aux revenus compris entre y et dy :le taux marginal passe de t'(y) à t'(y)+dt'.

Comme précédemment, l'effet est ambigüe. On a, d'un côté, une hausse des recettes: le taux d'imposition augmente pour tous les agents ayant un revenu supérieur à (y). En effet, pour que le taux marginal s'accroisse pour tous les revenus compris entre y et y+dy sans que les taux marginaux soient modifiés pour les revenus supérieurs à y+dy, il faut accroître les taux d'imposition appliqués à chaque niveau de revenu compris entre y et y+dy en faisant en sorte que le hausse du taux augmente avec le revenu. Pour que les taux marginaux appliqués aux revenus supérieurs à y+dy n'évoluent pas, les taux d'imposition qui leurs sont appliqués doivent tous croître dans une même proportion. On ne prend pas ici en compte les éventuels effets revenus générés par cette hausse des taux d'imposition sur tous les agents ayant un revenu supérieur à y+dy.

Cette hausse des recettes est desur chaque niveau de revenu supérieur à (y).

La part de la population dont le revenu est supérieur à (y) s'exprime ainsi:

Avec F(w) la fonction de répartition des taux de salaires et wy le taux de salaire correspondant à un revenu disponible égal à (y), la hausse globale des recettes est donc:

De l'autre côté, tous les agents situés entre y et y+dy voient leur taux marginal augmenter, ce qui induit, pour Piketty, que « leur taux de salaire net est passé de (1-t')w à (1-t'-dt')w ». Cette baisse du salaire net réduit l'incitation au travail: on a donc une baisse de l'offre de travail qui peut impacter négativement les recettes, égale à :%, avec e l'élasticité de l'offre de travail des individus ayant un revenu compris entre y et y+dy.

Il en résulte une baisse des recettes fiscales dégagées sur ce groupe de:%.

Le nombre d'agents ayant un revenu disponible compris entre y et y+dy s'exprime par la fonction de densité de la distribution des salaires (la fonction de densité exprime l'intégrale de la fonction de répartition sur un intervalle donné), soit : la densité (i.e. le nombre d'agents) pour des taux de salaires compris entre wy et wy+dw, correspondants à l'intervalle de revenu disponible (y ; y +dy).

On a une baisse globale des recettes de :

L'évolution globale des recettes fiscales est ainsi:

On maximise les recettes fiscales lorsque on atteint le taux marginal d'imposition qui ne génère plus de hausse de recettes (c'est-à-dire avant qu'il génère une baisse de recettes), c'est-à-dire pour dR=0

On obtient alors:

De la maximisation des recettes fiscales à la maximisation de l'emploi: Piketty (1997).

Piketty fait l'hypothèse que les agents ne font pas faire varier leur quantité de travail offerte (les heures de travail offertes par un individu n'évoluent pas en fonction de l'imposition), mais plutôt « la quantité d'effort et d'investissement personnel pour trouver un emploi ou pour être promu à un taux de salaire plus élevé ». Par souci de simplicité, on distingue trois groupes de revenus, dont les caractéristiques peuvent être résumées dans le tableau suivant:

 

Sans-emplois

Bas-salaires

Haut-salaires

Niveaux de salaires

 

W1

W2

Revenus disponibles

(y compris prélèvements et transferts).

y0

y1

y2

Nombre d'agents

m0

m1

m2

Taux moyen de prélèvement.

 
 
 

TMEI appliqués:

(la formule est celle présentée Chap.I Part.III)

Pour le passage du non-emploi vers l'emploi:

Pour le passage des bas salaires aux hauts salaires:

 

On peut dès lors exprimer le revenu disponible des bas salaires (y1), qui est égal au revenu disponible des sans-emplois (le transfert y0) auquel on ajoute le salaire w1 diminué du TMEI:

De même pour le revenu disponible des hauts salaires:

Les recettes fiscales (R ) sont définies par

On défini e0 l'élasticité de la probabilité de transition entre le non-emploi et l'emploi à bas salaires par rapport à l'écart y1-y0 : lorsque y1-y0 augmente de 1% « alors une proportion e0% supplémentaire de chômeurs trouvent un emploi à bas salaires ».

Comme précédemment on cherche à déterminer les taux marginaux effectifs d'imposition optimaux, ici T0* et T1*.

Une hausse de T0 jusqu'à T0+dT0 entraine une hausse des recettes fiscales de:

Avec les recettes nouvelles correspondant aux impôts payés par tous les salariés sur leur fraction de salaire brut inférieure à w1, et la perte de recettes dû à la baisse de l'emploi à bas salaire (dm1) consécutive à la désincitation au travail, accrût par la hausse de T0.

En effet, le hausse de T0 entraîne une baisse de y1-y0 de %. Le nombre de personnes demeurant inactives va augmenter de personnes. Au final, la baisse du nombre d'employés à bas salaires est égale à:

On remplace dm1 par son expression, et on obtient:

Et, pour dR=0, c'est-à-dire si l'on vise à maximiser les recettes fiscales:

En suivant la même logique, on obtient pour la transition des emplois à bas salaires vers les emplois à hauts salaires un taux marginal effectif d'imposition optimal de:

Annexe 15: Représentation graphique de l'impôt négatif

Un impôt négatif peut s'avérer identique, d'un point de vue redistributif, au versement d'une allocation universelle financée par un impôt proportionnel.

Voici l'effet redistributif d'une telle allocation:

Et voici l'effet redistributif d'un impôt négatif::

Annexe 16: principaux éléments du système redistributif français:

Les prélèvements:

· Principaux impôts directs:

· Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques (IRPP):

Voici le barème de l'IRPP pour l'imposition 2010 des revenus de 2009. Le calcul du revenu imposable est obtenu en déduisant du Revenu Brut Global (grosso modo les revenus primaires) les charges déductibles et les abattements, et après mise en rapport avec la quotient familial (revenu imposable du foyer fiscal divisé par le nombre de parts du foyer).

En 2008, l'IRPP a permis de dégager 51740 millions d'euros de recette nette. 44,6% des foyers fiscaux sont non-imposables.

· Contribution Social Généralisée: impôt sur les revenus prélevé à la source. Le taux de prélèvement oscille entre 7,5% pour les revenus d'activités et 8,2% pour les revenus du patrimoine et de placements. Elle a permi de dégager 76,3 milliards d'euros de recette, ce qui est largement supérieur à l'IRPP.

· Contribution pour le Remboursent de la Dette Sociale (CRDS): impôt prélevé à la source sur les revenus d'activités, du patrimoine et de remplacements. Taux de 0,5% appliqué aux revenus brutes.

· Taxe d'habitation: payée par toutes personnes physiques ayant la jouissance privative d'un logement. Les RMIstes en sont exonérés.

· Cotisations sociales :

· Fonctions des salaires, elles sont imputées aux employeurs, aux salariés et aux indépendants; Elles sont déduites du salaire versé par l'employeur qui a à sa charge leur versement aux différentes caisses de sécurité sociale (URSSAF, UNEDIC...). Le taux effectif de cotisations sociales employeurs était de 26,5% en 2007, et de 14,71% pour les salariés (y compris la CSG et la CRDS).

Les transferts monétaires:

· Transferts sans condition de ressource:

· Allocations familiales: versées à tous les foyers à partir du deuxième enfant à charge. On dénombrait en 2002 près de 4 millions d'allocataires.

· Les prestations d'assurances sociales: protection contre le risque maladie, assurance retraite, assurance chômage.

· Transferts sous condition de ressource:

· Allocation de rentrée scolaire.

· Aides au logement: Allocations de Logements à caractère familial (environ un million d'allocataires), Allocation Personnalisé au logement (APL) (2,6 millions d'allocataires), Allocation de logement à caractère social, 2 millions d'allocataires).

· Les neufs minima sociaux pré-existants au RSA:

· L'Allocation aux Adultes Handicapés (AAH), versée aux adultes handicapés ne bénéficiant pas d'une rente consécutive à un accident du travail. Allocation différentielle, dont le montant maximum atteint 696,63 euros pour une personne seule.

· L'Allocation de Parent isolé (API), versée aux adultes seuls ayant au moins un enfant à charge et aux femmes enceintes isolées. Allocation différentielle, dont le montant maximal était en 2005 de 778 euros pour un ménage avec un enfant à charge.

· L'Allocation Temporaire d'Attente (ATA), allocation forfaitaire versée à certaines catégories de population en attente d'insertion (notamment les demandeurs d'asile et les anciens prisonniers), et pouvant justifier d'un revenu inférieur au RMI. Montant: 10,67 euros par jour.

· L'Allocation Equivalent Retraite,(AER) versée aux personnes ayant cotisés au moins 161 trimestres mais n'ayant pas atteint 60 ans (n'ayant donc pas droit à la retraite). Les allocataires doivent prouver un revenu inférieur à 1570€ pour une personne seule. Montant forfaitaire de 32€ par jour pour une personne seule.

· L'Allocation de Solidarité Spécifique (ASS), versée aux personnes en recherche d'emploi pouvant justifier de revenus inférieurs à 605,6 euros par mois pour une personne seule pour une allocation à taux plein. Montant forfaitaire: 15,14€/ jour (le montant décroit par pallier en fonction des ressources).

· Le Revenu Minimum d'Insertion, (RMI), allocation différentielle versée à tous les résidents en France de plus de 25 ans, et dont le montant maximal était en 2009 de 454,63€.

· L'Allocation supplémentaire d'Invalidité (ASI), pour les moins de soixante ans percevant une trop faible pension d'invalidité.

· L'Allocation Supplémentaire Vieillesse (ASV) pour les plus de soixante-cinq ans ne disposant pas de droits suffisants à l'assurance vieillesse.

· L'Allocation veuvage, pour « les conjoints d'assurés sociaux décédés ».

Les minima ne sont plus que huit aujourd'hui, le RSA (cf. Chap.II Part.III) s'étant substitué au RMI et à l'API. On voit que la plupart de ces transferts non-contributifs sont institués pour pallier une insuffisance du système d'assurances sociales (allocations chômage insuffisantes ou épuisées pour l'ASS et le RMI dans une moindre mesure, protection contre le risque maladie insuffisante pour l'ASI ou pour l'AAH, assurances retraite défaillantes dans le cas de l'ASV ou de l'AER ...)

Résumé:

Nous nous sommes attachés tout au long de notre mémoire à comprendre quels étaient les modalités de conciliation entre travail et redistribution, compte tenu tout d'abord de l'effet désincitatif de la redistribution, mais prenant aussi en compte les impératifs éthiques qui justifient que les revenus soient taxés et que des transferts soient octroyés. En effet, nous avons pu voir que les inégalités et la pauvreté seraient extrêmement importants sans l'intervention redistributive de l'État.

Plus précisément, nous avons cherché à savoir si, nécessairement, la redistribution désincite les agents inactifs à retourner vers l'emploi. Or, il apparaît que si cet effet existe et ne peut être ignoré, nous devons prendre en compte d'autres déterminants du maintien hors de l'emploi.

Les récentes réformes visant à rendre le travail payant adhèrent à cette vision d'une redistribution nécessairement désincitative, que nous remettons en cause. Nous nous sommes donc attachés à montrer que d'autres pistes étaient envisageables pour concilier au mieux travail et redistribution, mais que des choix devaient alors être faits, en terme de valeur attribué au travail et à la redistribution, et en termes d'hypothèses concernant les comportements des agents.

Notre travail repose essentiellement sur une recherche d'informations, de données chiffrées, d'idées et d'analyses, provenant à la fois d'articles et d'ouvrages de recherche, mais aussi d'essais ou de textes mettant en avant des partis pris.

Mots clé:

Pauvreté et Inégalités ; Redistribution ; Offre de travail ; Incitation monétaire ; Exclusion sociale.

* 1 Godefroy P., et al., Inégalités de niveaux de vie et pauvreté, INSEE, Avril 2010.

* 2 La différence entre revenu moyen et revenu médian est importante. En effet, évaluer le taux de pauvreté par rapport au revenu moyen revient à intégrer dans l'appréciation de la norme des valeurs extrêmes. Si une poignée d'individus touche des revenus extrêmement élevés, sans commune mesure avec le reste de la distribution des revenus, la moyenne va s''élever fortement, et si tant est que le seuil de pauvreté prenne appui sur elle, un nombre fortement croissant d'individus seront considérés comme pauvres. Ceci pose la question de la fixation d'une norme sociale.

* 3 Le revenu disponible comprenant les revenus primaires et les prestations sociales, dont on déduit les quatre impôts directs (impôt sur le revenu, CSG, CRDS, taxe d'habitation). cf.Annexe 9

* 4 Marx K., Travail salarié et capital, traduction de 1891, UQAC, Les classiques des sciences sociales, http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm, p.31

* 5 Ainsi, Marx, pour parler de la tendance du capitalisme à la paupérisation, utilisera le terme allemand « verelendung », signifiant en français « paupérisation absolue », ou « immisération », c'est-à-dire la croissance de la misère. Marx fustige donc une augmentation de l'indigence, de la pauvreté en termes réels. In Gorz A., Écologie et Politique, 1978, Éditions du Seuil..

* 6 Gorz A. Écologie et Politique , op.cit.

* 7 Sen A., Repenser l'inégalité, 2000, Éditions du Seuil, coll. « L'Histoire Immédiate ». p.154

* 8 Ceci d'autant plus si l'on se fixe des objectifs rawlsiens, c'est-à-dire lorsque les inégalités entre les agents face à la redistribution bénéficient aux individus les plus pauvres (Cf. Annexe 1).

* 9 Sen aboutit à une estimation de la pauvreté monétaire prenant en compte à la fois le dénombrement, l'income gap et l'inégalité parmi les pauvres. Selon lui, un bon indicateur de pauvreté pourrait résulter de cette formule:

On estime la pauvreté (P) avec le taux de pauvreté (H), l'input gap (I), et l'indice de Gini (G) des personnes vivant sous le seuil de pauvreté.

* 10 Au sens que lui donne A.Sen. La liberté positive représente alors « ce qu'une personne, toutes choses prises en compte est capable, ou incapable d'accomplir » In Sen A., L'économie est une science morale, 2003, La Découverte p.48. Un individu sans ressources, en raison par exemple d'une grave famine, ne pourra pas nourrir sa famille. Il a le droit de travailler, de gagner de l'argent mais ne le peut pas. Son incapacité effective à nourrir sa famille constitue une privation de liberté positive. Marx avait déjà pointé cette distinction pouvant exister entre liberté juridique et effective. Le salarié est doublement libre, disait-il, non sans être dupe de l'effectivité de cette liberté.

* 11 Pour autant, les débats à ce sujet sont complexes, et ne peuvent être tranchés de façon aussi arbitraire, hormis par commodité.

* 12 Atkinson T., On the Mesurement of Inequality, Journal of Economic Theory, Cambridge, 1969. cf. p.255

* 13 Ibid. p.245

* 14 In Castel R., Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, 1995, Gallimard, coll. « Folio ».

* 15 In Bihr A.,Pfefferkorn R., Déchiffrer les inégalités, 1999, La Découverte

* 16 Fougère D., Kramarz F. La Mobilité Salariale en France de 1967 à 1999. In Rapport du CAE (Ed.), Inégalités Économiques. 2001, pp.333-353, La Documentation Française.

* 17 En 1984, le revenu moyen est supérieur de 2100 euros au revenu médian (euros courants). En 2006, cet écart atteint 4300 euros. Source: INSEE, 2010.

* 18 Piketty T. Les Hauts Revenus en France au XXème siècle. Inégalités et redistributions 1901-1998, 2001, Grasset. p.94

* 19 Ibid.

* 20 On désigne par fractile P90-99, les foyers fiscaux faisant partie des 10% les plus riches, mais ne faisant pas partie des 1% les plus riches. Le fractile P99-99,9 désigne les 1% des revenus les plus riches à l'exclusion des 0,1% supérieurs.

* 21 Piketty T. Les Hauts Revenus en France au XXème siècle, op.cit. p.100

* 22 Clerc D., La France des travailleurs pauvres, 2008, Grasset.

* 23 Clerc D. La Paupérisation des Français, 2010, Armand Colin.

* 24 Clerc D., La France des travailleurs pauvres, op.cit.

* 25 In Lagarenne C, Legendre N., « Les travailleurs pauvres en France: facteurs individuels et familiaux », Économie et Statistique n° 335, 2000.

* 26 Au sens de l'INSEE, c'est-à-dire ayant travaillé au moins six mois au cours des douze derniers mois.

* 27 Chiffres issus de l'Observatoire des Inégalités, à la page: http://www.inegalites.fr/spip.php?article905&var_recherche=travailleurs%20pauvres&id_mot=76

* 28 Marical F., « Les mécanismes de réduction des inégalités de revenus en 2008 », France, portrait Social, INSEE, 2009

* 29 Bourguignon F., Fiscalité et redistribution, Rapport du Conseil d'Analyse Économique, 1998. p.38

* 30 Le revenu net est, pour l'INSEE, le revenu « effectivement perçu », c'est-à-dire le revenu « super-brut » diminué des cotisations sociales et des contributions sociales (CSG et CRDS)

* 31 Seuls cinq pays de l'OCDE réalisent une baisse de l'indice de Gini plus importante grâce à la redistribution : la Suède ( baisse de 46% de l'indice de Gini), le Danemark (-45%), la Belgique (-44%), la République Tchèque et le Luxembourg (-42%).

* 32 Piketty T., « La redistribution fiscale face au chômage », Revue française d'économie, Volume 12 n°1, 1997

* 33 Piketty T., L'économie des inégalités, Repères, La Découverte, 2008, p.99

* 34 c'est-à-dire si la valeur actualisée des pensions de retraites perçues est égale aux cotisations versées.

* 35 Bourguignon F., Fiscalité et redistribution , op.cit. p.40

* 36 Dans ce modèle les agents prennent en compte le salaire net, c'est-à-dire le taux de salaire net d'impôt.

* 37 Piketty T., « La redistribution fiscale face au chômage », op.cit.

* 38 f(y) désignant la densité des individus ayant un revenu de y (cf.Annexe 7)

* 39 1-F(y) désignant le nombre d'agent ayant un revenu supérieur à y (cf.Annexe 7)

* 40 En se rappelant l'hypothèse faite par Mirrlees d'une équivalence entre niveau de salaire et productivité du travailleur, imposer un taux marginal important aux bas revenus permet de faire peser le financement du budget de l'État sur les individus les moins productifs. Il est moins coûteux de décourager le travail faiblement productif que le travail très productif.

* 41 Piketty T., « La redistribution fiscale face au chômage », op.cit.

* 42 On entend par « marge intensive » le nombre d'heures de travail offertes et la motivation à l'emploi. La « marge extensive » de l'offre de travail désigne quant à elle le choix binaire de travailler ou de ne pas travailler.

* 43 Ceci correspond à la formule du TMEI présentée Chapitre I partie III.

* 44 Avec e0 = e1,, et si l'on suppose une fonction de répartition des salaires suivant une loi normale, on a :

[m0e0 / (m1+m2)] < [m1e1 / m2]

Donc, T0* est bien supérieur à T1*.

* 45 Piketty T., « La redistribution fiscale face au chômage », op.cit. p.181

* 46 On peut cependant en douter : ces études reposent principalement sur l'analyse de l'offre de travail des femmes, qui est généralement plus forte que l'élasticité des hommes. Il faudrait donc envisager des élasticités plus faibles.

* 47 Alesina A., Glaeser E.L., Combattre les inégalités et la pauvreté: les Etats-Unis face à l'Europe, Flammarion, 2006.

* 48 Grogger J., Lynn A.K., Klerman J.A., « A decade of welfare reform », RAND research brief, 2002

* 49 Pour eux, l'effet sur la diminution du recours à l'aide sociale est très fort dans le cas où le travail est obligatoire pour toucher l'aide, et l'effet est important dans le cas de sanctions lors du non-respect des contraintes de recherches d'emploi et d'insertion, la fixation d'une limite maximum de temps durant lequel l'aide sera versée, et la combinaison d'incitations financières au travail faibles et d'une obligation de travailler.

* 50 Burtless G., « Evaluation de la réforme du Welfare aux Etats-Unis », Revue française des affaires sociales, n°4, 2008., pp.193-215.

* 51 Mesuré aux USA en termes absolus [cf. Partie I Chapitre I]

* 52 Bontout O., « L'Earned Income Tax Credit , un crédit d'impôt ciblé sur les foyers de salariés modestes aux États-Unis », Économie et Statistique, n°335, 2005.

* 53 La théorie du marché du travail néo-classique formule l'hypothèse de substituabilité brute de l'offre de travail, c'est-à-dire une prééminence permanente de l'effet substitution sur l'effet revenu. En prenant en compte l'effet substitution et l'effet revenu, la courbe d'offre de travail ne serait pas toujours croissante avec le salaire, et il y aurait donc la possibilité d'équilibres multiples. Le théorème de Sonnenschein permet de montrer que les fonctions d'offre et de demande dans un contexte de concurrence pure et parfaite ont une forme quelconque, obligeant la théorie standard a formuler une hypothèse hasardeuse pour sauvegarder les conclusions du modèles.

* 54 Nous résonnons à ce stade sur l'EITC pris isolément, c'est pourquoi nous parlons du TMI et non pas du TMEI.

* 55 Bontout O., « L'Earned Income Tax Credit , un crédit d'impôt ciblé sur les foyers de salariés modestes aux États-Unis », op.cit.

* 56 Eissa N., Liebman J.B., « Labor suppply response to the earned income tax credit », The Quarterly Journal of Economics, mai 1996, pp.605-637

* 57 Le Galès P., « Succès économique et limites sociales du New Labour », Etudes n°4082, 2008.

* 58 Cattacin S. et all., Retour au travail! Le workfare comme instrument de réforme, 2002.Editions Universitaires de Fribourh, coll. Res Socialis,

* 59 Ibid.

* 60 Notamment l'allocation logement et l'allocation pour les taxes locales, qui peuvent être cumulées durant quatre semaines avec le salaire. Source: Missoc

* 61 Delarue V., « Le WFTC, un nouveau crédit d'impôt pour les familles de travailleurs à bas revenus au Royaume-Uni », Economie et Statistique, n°335, 2000

* 62 Étude de Blundell et al., Cité par Cochard M. et al. « Les effets incitatifs de la PPE: une évaluation difficile », Economie et Statistique, n° 412, 2008.

* 63 Le cumul intégral intervient durant les deux premières Déclarations Trimestrielles de Ressources (DTR) après la reprise d'activités. Les DTR devant s'effectuer tous les trois mois, le cumul intégral est compris entre trois mois et six mois.

* 64 Piketty T., « L'impôt négatif est né », Libération, Janvier 2001.

* 65 L'objectif est d'inciter à reprendre un emploi. Les temps partiels n'apportant un gain à la reprise d'activité que très faible, voir nul compte tenu du TMEI, le PPE vise à les favoriser.

* 66 Tandis que 2,1 milliards d'euros étaient versés en 2002, le montant atteint 4,5 milliards d'euros en 2008

* 67 Étude de Bargain et Terraz de 2002 basée sur un modèle de micro-simulation; citée in Sterdyniak H., Stancanelli E., « Un bilan des études sur la prime pour l'emploi », Revue de l'OFCE, janvier 2004

* 68 Ibid.

* 69 Seules 220 000 personnes sont sorties de la pauvreté grâce à la PPE en 2002.

* 70 Suite à l'adoption de la loi le 1er décembre 2008.

* 71 Hirsh M., Livre Vert. Vers un revenu de solidarité active., La Documentation Française, 2008

* 72 Loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008, Article 1

* 73 Dans le cas d'un ménage comportant un ou plusieurs enfants à charge, il aurait fallu déduire aussi les allocations familiales.

* 74 Le RSA s'annule à partir d'un salaire net de 1210,5 euros, pour une personne seule.

* 75 En particulier si l'allocataire-demandeur d'emploi refuse deux offres d'emplois jugées « raisonnables ».

* 76 Certes, comme le note D.Clerc l'allocataire peut « faire connaître ses observations » en cas de suspension. Mais quelles observations seront jugées valables en cas de refus consécutifs d'offres d'emplois jugées personnellement insatisfaisante ? In Clerc D., « RSA: le diable ou le bon dieu ? Un état des lieux », L'Economie Politique,n°43, 2009/3

* 77 Martin Hirsh, « Une nouvelle étape de notre histoire sociale », Partage n°203

* 78 J.Gadrey, Partage n°203

* 79 In Clerc D., « RSA : le diable ou le bon dieu ? Un état des lieux », op.cit.

* 80 Cité par J.Gadrey, op.cit.

* 81 Reproduit in Partage n°205

* 82 Anne D., L'Horty Y., « Les effets du Revenu de Solidarité Active sur les gains du retour à l'emploi », Revue économique, vol. 60, 2009/3, pp.767-776.

* 83 La durée de réservation se définissant comme le temps de travail hebdomadaire payé au SMIC qui permet d'obtenir un revenu supérieur au revenu qui serait obtenu en restant inactif.

* 84 DREES, Document de Travail, n°87, Avril 2009.

* 85 Infrastructure au sens marxiste du terme, c'est-à-dire désignant l'état des forces productives et des rapports de production.

* 86 Citation de Leclerc de Montlinot, cité in Castel R., Les métamorphose de la question sociale, op.cit. p.284

* 87 A propos de la liberté du travail, la quatrième rapport du Comité pour l'extinction de la mendicité de l'assemblée constituante s'exprime ainsi : « c'est par elle seule que le travail se distribue naturellement dans les lieux où les besoins l'appellent, que l'industrie reçoit son plus grand encouragement, que toutes les entreprises deviennent faciles, et qu'enfin le niveau de la main d'oeuvre, condition si désirable pour la prospérité de l'État, s'établit dans toutes les patries de l'empire ». In Castel R., Les métamorphoses de la question sociale, op.cit. p.300

* 88 A. Hirshman, cité in Méda D., Le travail, une valeur en voie de disparition, 1995, Éditions Aubier. p.75

* 89 Polanyi K., La grande transformation, 2009, Gallimard.

* 90 Le système de Speenhamland était caractérisé par un barème indexé sur le prix du pain. Lorsque le prix d'une miche de pain « coûtera un shilling, alors chaque pauvre et industrieuse personne aura pour son soutien trois shillings par semaine [...] et pour le soutien de son épouse et de chaque membre de sa famille un shilling et six pence ». Recommandation des juges réunis à Speenhamland en 1795 et instituant le « droit à la vie ». Cité in Polanyi K., La grande transformation, op.cit., p.129

* 91 In Rodriguez J. , « De la charité publique à la mise au travail », www.laviedesidees.fr, septembre 2008.

* 92 Polanyi K., La grande transformation, 2009, Gallimard. p.131

* 93 Citation de Mackay T., marchand et penseur libéral anglais à propos de la fin de Speenhamland. In Rodriguez J. , « De la charité publique à la mise au travail », op.cit.

* 94 Cité in Méda D., Le travail, une valeur en voie de disparition, op.cit. p.73

* 95 Cité in Castel R., Les métamorphoses de la question sociale, op.cit p.296

* 96 DDHC de 1793, article 21

* 97 DDHC 1791, article 13.

* 98 Cité in Purière A., Assistance sociale et contrepartie. Actualité d'un débat ancien, 2008, L'Harmattan

* 99 Le taux de chômage en 1975, au début de la « crise » (chocs pétroliers, stagflation...) était de 3,5%.

* 100 Cité in Purière A., Assistance sociale et contrepartie. Actualité d'un débat ancien, op.cit.

* 101 Ceci est un des éléments caractérisant le fordisme selon R. Boyer. Cité in Guerrien B., Dictionnaire d'analyse économique, La Découverte, 2002.

* 102 Préambule de la constitution de 1946

* 103 Préambule de la constitution de 1946

* 104 «  Chacun a le droit de travailler et d'obtenir un emploi », Préambule de la constitution de 1946.

* 105 Milhaud E., Le Plan Beveridge, 1943, Les Annales de l'Économie Collective.

* 106 Beveridge W., Du travail pour tous dans une société libre, 1945, Éditions Domat-Monchrestien.

* 107 Il cite notamment un article paru dans la presse anglaise en 1943: « beaucoup de plans modernes -y compris le plan Beveridge- n'ont-ils pas tendance à négliger le fait [...] que les travailleurs de l'avenir [...] auront besoin du vieil aiguillon de la récompense et de la punition [...] pour soutenir la course qu'il faut effectuer dans ce monde de concurrence ». Beveridge W., Du travail pour tous dans une société libre, op.cit. p.210

* 108 ibid

* 109 Castel R., Les métamorphoses de la question sociale, op.cit.

* 110 La loi du 1er décembre 1988 relative au Revenu Minimum d'Insertion affirme ainsi: « L'insertion sociale et professionnelle des personnes en difficulté constitue un impératif national. »

* 111 Ibid.

* 112 Proposition formulée par le Président N. Sarkozy en 2009

* 113 Guillemot D., et al. « Trappe à chômage ou trappe à pauvreté. Quel est le sort des allocataires du RMI ? » Revue économique , vol.55 n°6, 2002

* 114 In Garner H., Méda D., Senik C., « La place du travail dans les identités », op.cit.

* 115 Bien entendu, l'apprentissage des codes qui permettent de faire société peut se faire ailleurs que dans le travail, tout comme l'élargissement du champ relationnel. Mais dans notre société salariale, le travail reste crucial.

* 116 Lafargue P., La droit à la paresse, 1996, Le Temps des Cerises. p.40

* 117 Étude de Jahosa, Lazarfeld et Zeisel, citée in Garner H., Méda D., Senik C., « La place du travail dans les identités », op.cit.

* 118 L'autre composante étant la citoyenneté politique, c'est-à-dire la citoyenneté telle qu'on l'entend habituellement, et qui est représentée par le droit de vote.

* 119 Castel R., « La citoyenneté sociale menacée », Cités, n°35, 2008/3.

* 120 Castel R., « La citoyenneté sociale menacée », op.cit.

* 121 Ibid.

* 122 Rioux L., « Les allocataires du RMI: une recherche d'emploi active mais qui débouche souvent sur un emploi aidé », INSEE Première, n°720, 2000.

* 123 Pla A., « Conditions de vie et accès à l'emploi des bénéficiaires de minima sociaux »., Données Sociales : La société française, 2006. A noter que ce chiffre est beaucoup plus faible pour les allocataires de l'AAH et de l'API.

* 124 In Paugam S. (sous la dir.), L'exclusion, l'état des savoirs, édition la découverte.

* 125 Calcul sur la bas des données de la CAF.

* 126 77,5% des RMIstes en recherche d'emploi se sont adressés au service public de l'emploi.

* 127 Rioux L., « Les allocataires du RMI : une recherche d'emploi active mais qui débouche souvent sur un emploi », op.cit.

* 128 Pla A. « Sortie des minima sociaux et accès à l'emploi », Études et Résultats, n°567, 2007

* 129 Pla A., « Conditions de vie et accès à l'emploi des bénéficiaires de minima sociaux », op.cit.

* 130 Calcul sur la bas des données de la CAF.

* 131 Dubar C., in Paugam S.(dir.), L'exclusion, l'état des savoirs, op.cit.

* 132 In Paugam S., La disqualification sociale: essai sur la nouvelle pauvreté, 2000, PUF, coll. « Quadriges ».

* 133 20% des RMIstes sans emploi déclarent avoir besoin, pour rechercher un emploi, d'un moyen de transport. Sondage TNS-Soffres

* 134 10% des RMIstes sans emploi disent avoir besoin, pour rechercher un emploi, d'une aide à la garde d'enfants. Ibid

* 135 Citation de Myrdal in Frobert L.,Ferraton C., « Gunnar Myrdal, l'économie comme science morale », L'Économie Politique, n°20 2003

* 136 Dérivé du mot latin universus signifiant « tout entier », le dictionnaire Larousse définit le mot universel comme caractérisant ce qui « embrasse la totalité des êtres et des choses », qui « s'applique à tous les cas ».

* 137 On rappel que le TMEI du passage du non-emploi vers l'emploi a été défini comme suit par Piketty:

* 138 Dénomination donnée par K.Marx, in Le Manifeste du Parti Communiste.

* 139 Voir à ce sujet la proposition de Y. Bresson

* 140 Titre de l'ouvrage de J.Rifkin. L'auteur pointe du doigt la persistance de taux de chômage élevé et l'apparition d'une « croissance sans emplois ». Ces phénomène s'expliquant, pour lui, par la hausse de la productivité, et la nullité des mécanismes de destruction créatrice et de déversement des emplois entre secteurs.

* 141 On retrouve la distinction que Marx opère entre salariat et travail (au sens noble du terme, donc).

* 142 « Consequently, the Marxian criterion should be constructed as implicitly imposing a constraint on the maximisation of the relative share of society's total product distributed according to needs: this share should be and remain large enough, in absolute terms, to secure the satisfaction of each individual's fundamental needs ». Cité in Van der Veen R., Van Parijs P., « A capitalist road to communism », Basic Income Studies, vol.1 n°1, 2006. pp.1-23

* 143 Ibid.

* 144 Gilain B., Van Parijs P. « Un Scénario de Court-terme et son Impact Redistributif ». La revue du MAUSS, n°7, 1996 pp.151-157.

* 145 In Gilain B., Van Parijs P. « Un Scénario de Court-terme et son Impact Redistributif », op.cit.

* 146 Smith A., Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations I, 1991, GF Flammarion, p.174

* 147 A propos des luttes touchant à la fixation des salaires entre employeurs et employés, Smith affirme que « les maîtres sont en état de tenir ferme plus longtemps », et que « beaucoup d'ouvriers ne pourraient pas subsister sans travail une semaine ». In Smith A., Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations I, op.cit., p.137

* 148 Keynes, J.M., De l'autosuffisance nationale, L'Economie Politique , n°31, 2006.






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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams