WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La redistribution doit-elle rendre le travail payant ? étude des modalités de conciliation entre redistribution des revenus et incitation monétaire au retour à  l'emploi.

( Télécharger le fichier original )
par Elie Chosson
Université Pierre Mendès-France (Grenoble II) - Master  2001
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

B. Effets escomptés et limites.

L'instauration d'une allocation universelle est susceptible d'engendrer de nombreux effets et de modifier les conditions de fonctionnement du marché du travail. L'offre et la demande de travail seront impactées, et des effets pourront se faire sentir sur le chômage, les salaires, et les conditions d'emplois.

L'effet de l'allocation sur les salaires est ambigu. En effet, deux effets peuvent se contredire : d'un côté les offreurs de travail pourront refuser des emplois peu payés, qu'ils acceptaient auparavant, car l'allocation leur donne les moyens de subsistance permettant de vivre sans emploi. De l'autre côté, les emplois peu payés seront plus supportables car accompagnés du versement de l'allocation : les individus pourront vivre convenablement en exerçant des métiers qui ne le permettaient pas auparavant, grâce à l'allocation, et accepteront donc plus facilement d'exercer ce type de métier, ce qui incitera les employeurs à baisser les salaires. Nous l'avons vu précédemment, un des effets pervers potentiel du RSA pourrait être cette dévalorisation des salaires et des conditions d'emplois induites par le versement d'une subvention aux individus en emploi.

Lorsque Polanyi décrit l'expérience de Speenhamland, il constate bien une baisse des salaires et des conditions d'emplois. Pour lui, cette baisse du salaire n'est pas un effet mécanique induit par l'instauration du « droit de vivre », mais plutôt la conséquence de l'absence d'organisation des travailleurs. En étant organisés et en refusant les bas salaires et les mauvaises conditions d'emplois, les travailleurs auraient pu permettre par leur action d'entraîner une hausse des salaires et une amélioration des conditions de travail. Curieusement, les lois interdisant l'organisation des travailleurs ont été votées peu après l'instauration du « droit de vivre » (en 1799, soit quatre ans plus tard), comme le note Polanyi : si les travailleurs auraient pu s'organiser, et exercer un droit de grève, les employeurs n'auraient pas résisté longtemps sans pouvoir trouver de main d'oeuvre face aux grévistes prenant le temps, n'étant pas poussé par la faim parce que subventionnés par la paroisse. L'effet sur les salaires dépend donc des rapports de force entre les acteurs du marché du travail.

D'autres paramètres doivent être pris en compte pour évaluer l'évolution des salaires conséquente à l'instauration d'une allocation. Van Parijs affirme que le versement de cette subvention aux travailleurs aura deux effets simultanés: « push up the rate wage for unattractive, unrewarding work (...) and bring down the average wage rate for attractive, intrinsically rewarding work ». En effet, l'octroi de l'allocation modifie les arbitrages, comme nous l'avons rappelé précédemment. Cette phrase de Van Parijs exprime à la fois le changement dans les calculs monétaires des agents, c'est-à-dire la baisse du coût d'opportunité du loisir, mais aussi la modification de paramètres plus complexes qui rentrent en compte dans les arbitrages individuels et qui dépassent largement le cadre monétaire. La pénibilité du travail, la satisfaction que l'on en retire sont des éléments pris en compte dans les préférences individuelles. Le versement de l'allocation permet de révéler ces préférences, qui ne pouvaient pas s'exprimer auparavant, en raison de la double liberté des travailleurs. De là, les métiers enrichissant verront leur rétribution baisser puisque ce n'est plus seulement le salaire mais aussi l'activité en elle-même qui rend le travail attractif. A l'inverse, les métiers ennuyeux ou pénibles verront leurs salaires considérablement augmenter afin d'attirer les travailleurs. A. Smith affirmait dès 1776 que «  les salaires du travail varient suivant que l'emploi est aisé ou pénible, propre ou malpropre, honorable ou méprisé 146(*)», et la théorie des différences compensatrices a repris cet argument. La cadre de réflexion permettant d'arriver à ces conclusions est celui de la concurrence parfaite, où les offreurs de travail sont libres d'accepter ou de refuser un emploi selon la pénibilité qui lui est rattachée. Or, le fonctionnement réel du capitalisme ne permet pas de réunir ces conditions, et l'offre de travail est contrainte par les impératifs de la vie à accepter de mauvais emplois147(*). L'allocation universelle permet donc de réunir les conditions permettant l'émergence d'une inégalité de salaire corrélée avec la pénibilité du travail, et permet de rompre avec des rapports de force déséquilibrés entre employeurs et employés.

Outre le niveau des salaires, l'allocation universelle modifie aussi le niveau de chômage d'une économie, et ce de plusieurs façons. Tout d'abord par la réduction de la trappe à inactivité, si on admet l'hypothèse d'un arbitrage entre travail et loisir. En effet, les estimations réalisées par Van Parijs et Gillain montrent que, dans les trois scénarios explorés, la réduction du TMEI pour les bas revenus est importante. Ainsi, dans le cas du scénario substitutif, la présence du TMEI proche de 100% ne peut être évitée : les marges de transferts conditionnels supérieures au montant de l'allocation demeurent. Pour autant, l'ampleur de la trappe à inactivité est fortement diminuée : le niveau de revenu primaire à partir duquel le cumul de la perte de transferts et des prélèvements supplémentaires permet de voir le revenu disponible s'accroître, passe de 18 729 francs belges à 13 194 francs pour un bénéficiaire de l'équivalent belge du R.M.I. On sort donc plus tôt de la trappe à inactivité. L'allocation n'étant pas imposable, le taux d'imposition de la première tranche n'évoluant pas, de même que les effets de seuil des minima n'étant pas supprimés, le TMEI n'est modifié que par le montant de l'allocation, qui compense donc partiellement les pertes de transferts induites par le changement de statut ou la hausse du revenu d'activité. Un second effet sur le chômage pourra passer par la hausse de la demande effective, donc de l'emploi, générée par une redistribution en faveur des plus bas revenus, dont la propension à consommer est la plus haute. En effet, si l'on considère que le montant de l'allocation a vocation à croître, selon le critère marxien, la conséquence en est une hausse des bas revenus (l'effet est identique si une allocation d'un montant important, supérieur aux minima pré-existants est instituée dès le départ). L'effet sur l'emploi semble donc être globalement favorable.

L'allocation universelle n'est pourtant pas exempte de critiques. La principale étant qu'elle risque d'entériner des situations d'exclusions sociales préoccupantes. En effet, soit l'allocation universelle peut-être défendue en arguant de l'ineffectivité de l'arbitrage monétaire entre travail et loisir et elle permet alors d'atténuer le coût du non-emploi ; soit elle est justifiée au nom de cet arbitrage monétaire et c'est justement pour que cet arbitrage soit fait dans de bonnes conditions que l'allocation est instaurée. Or, nous avons pu voir précédemment combien les individus hors de l'emploi sont exclus de la dynamique économique, et que le non-emploi ne relève que rarement d'un choix. Dès lors, l'idée d'allocation universelle, qu'elle adhère ou non à l'idée de l'arbitrage n'est acceptable que dans la mesure où elle est liée à la mise en place d'un accompagnement performant des sans-emplois, passant -entre autres- par la formation et l'aide à la recherche d'emploi.

De plus, la hausse éternelle de la productivité et l'arrivée de la fin du travail peuvent être considérés comme utopiques. Les progrès technologiques réalisés font miroiter en trompe-l'oeil une hausse de la productivité, puisqu'effectivement l'utilisation de telle ou telle machine permet de produire plus vite. Cependant, on peut penser que le travail des hommes a toujours constitué la source de toutes richesses, et ce aujourd'hui encore. Les gains de productivité, les progrès technologiques, la substitution du capital au travail n'ont pas effacés cette réalité. La tertiarisation incontestable de nos économies ne repose que sur l'industrialisation des économies émergentes. Chaque machine que nous produisons, censée remplir des tâches plus efficacement que le travailleur repose sur une quantité croissante de « travail incorporé ». A bien des égards, la fin du travail ne semble donc pas être une hypothèse valable, à court-terme et à mode de production inchangé.

Pour résumer le dilemme qui est posé par l'allocation universelle, on peut citer A.Caillé: « effectué[e] sur un mode libéral pour signifier aux exclus que l'on est quitte avec eux, ou fait dans la logique caritative qui développe la passivité des bénéficiaires, [elle] risque d'être la pire des choses. Mais [elle] peut aussi signifier un pari de confiance de l'État et de la société vis-à-vis des exclus, pari sur leur liberté et sur leur libre investissement dans des activités d'intérêt collectif ».

Le conflit entre travail et redistribution est donc traité de deux façons par l'allocation universelle : en modifiant les paramètres du choix entre travail et redistribution et en se proposant de mettre en oeuvre une redistribution qui intègre l'idée de motivations non-monétaires à l'emploi. Dans cette seconde optique, défendre l'idée d'une allocation universelle permet du même coup de défendre l'idée que la redistribution n'est pas nécessairement source de désincitation au travail. De ce fait, l'allocation universelle prend l'exact contre-pied des dernières réformes de la fiscalité et des minima sociaux en faisant le pari d'une conception du travail plus positive, et libératrice.

De nombreux arguments nous montrent que la redistribution des revenus ne doit pas être considérée automatiquement comme la source de la « trappe à inactivité ».

Ainsi, l'histoire du travail et de la redistribution a mis en évidence comment le conflit qui les oppose a émergé, et comment ensuite il avait été résolu par le choix d'une protection sociale assurantielle peu redistributive, au détriment de l'assistance. La résolution du conflit n'est pas réelle puisque elle passe par le refus d'une véritable redistribution verticale forte : plutôt que de reposer sur l'idée que la redistribution ne s'oppose pas au travail, la prééminence de l'assurance a écarté les situations où ce conflit pouvait potentiellement voir le jour.

Ensuite, la remise en cause de l'assurance, en raison notamment d'une dégradation de l'emploi, marque le retour nécessaire de l'assistance, et ouvre la voie à un renouveau de la critique de la redistribution, trop généreuse et désincitant au travail ses bénéficiaires, devenus illégitimes. Mais, il faut noter que ce renouveau de l'assistance coïncide avec le développement de l'exclusion sociale, qui concerne de nombreux bénéficiaires de minima, et qui oblige à repenser le conflit entre redistribution et travail : plutôt que désincitative, la redistribution permet de protéger des individus qui, bien que cherchant à retourner vers l'emploi, n'y parviennent pas, et s'installent dans l'inactivité, contraints plutôt que par choix. De même, les avantages procurés par l'emploi et le travail permettent de penser que les inactifs ne le sont que rarement en raison d'un calcul monétaire et rationnel.

L'allocation universelle permet de prendre acte de cette exclusion en garantissant un niveau de revenu à tous, donc en re-légitimant les exclus du marché du travail, principaux bénéficiaires de la redistribution. Cette forme de redistribution permet aussi d'intégrer l'idée d'un arbitrage monétaire entre travail et redistribution si tant est qu'il existe ; mais plutôt que de la concevoir comme un conflit, l'allocation y voit une opportunité pour revaloriser le loisir, loin des réformes visant à rendre le travail payant, et dont le fondement semble n'être que la valeur morale attachée par certains au travail.

* 146 Smith A., Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations I, 1991, GF Flammarion, p.174

* 147 A propos des luttes touchant à la fixation des salaires entre employeurs et employés, Smith affirme que « les maîtres sont en état de tenir ferme plus longtemps », et que « beaucoup d'ouvriers ne pourraient pas subsister sans travail une semaine ». In Smith A., Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations I, op.cit., p.137

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci