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Militer pour la décroissance. Enquête sur la genèse d'un "mouvement politique" de la décroissance en France

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par Mathieu ARNAUDET
Université Rennes 1 - Master 1 Science Politique 2009
  

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A) L'esprit de l'AdOC : devenir la « maison commune ».

En 2008, « déjà se posait la question de la création d'une maison commune des Objecteurs de Croissance, et beaucoup pensaient déjà et même avaient commencé à mettre en oeuvre l'idée qu'il fallait ne pas construire un parti centralisé, mais une Confédération s'appuyant sur les Régions »157(*). Cette phrase illustre bien ce qu'entend être l'AdOC : à la fois le lieu où sera rendu visible la décroissance, et ainsi permettre à des gens de rejoindre l'association pour y travailler « en cohérence »158(*), en promouvant toutes les formes d'alternatives. Ce serait cela la « maison commune ». Mais ce serait aussi le lieu d'une nouvelle façon de faire de la politique, qui passerait par une « relocalisation de la politique » afin de « repolitiser la société et resocialiser la politique »159(*). Cette dernière dimension sera davantage étudiée dans le détail dans la prochaine sous-partie.

La plateforme de convergence de l'AdOC présente l'association comme un moyen de faire « converger » dans un même lieu toutes les initiatives individuelles et collectives, et ceci afin de rendre visible le projet de société de la décroissance. A l'instar, comme nous l'avons vu, de Paul Ariès qui proposait trois niveaux d'action, cette visibilité doit être créée via trois dimensions : « Celle de la présence non-électoraliste dans le champ politique classique : par les manifestations, les pétitions, les campagnes électorales, des élus, des soutiens critiques et ponctuels à des majorités, pour permettre des avancées et la pérennisation d'expérimentations sociales, écologiques et politiques » ; « Celle des expériences et des sorties immédiates du capitalisme : par les alternatives concrètes et les contre-pouvoirs » ; « Celle du projet : par les uto-pistes mises en cohérence »160(*). Ces trois dimensions seraient ainsi mises en cohérence au sein de l'association. Les adhérents de celle-ci mettraient en oeuvre des « alternatives concrètes » et des « uto-pistes collectives » pour sortir directement du capitalisme, sans attendre une prise de pouvoir révolutionnaire.

Les « alternatives concrètes » font référence à un mode de vie différent, qui ne serait pas conditionné par le consumérisme et le productivisme. Elles englobent la « simplicité volontaire » qui est mise en valeur, comme nous l'avons vu, par le journal La Décroissance, et des « expérimentations concrètes » amenant à essayer de « produire de la richesse autrement »161(*). La « simplicité volontaire », comme l'explique Paul Ariès, « n'est pas la reprise du discours sur les « petits gestes » qui sauvent la planète mais bien une tentative de sortie de la sphère de la consommation ». Cette façon de vivre « chichement » a son manifeste : Quand la misère chasse la pauvreté  de Majid Rahnema162(*). L'auteur - ancien diplomate et ministre iranien - remonte le cours de l'histoire pour nous rappeler les différentes visions de l'humanité sur la « qualité » de pauvre. Il explique ensuite comment l'économie moderne (« économiciste »163(*)) a changé l'adjectif pauvre en substantif et a uniformisé sa définition de l'extérieur, via des grandes institutions internationales, et ceci sans jamais demander aux populations concernées la définition qu'elles donneraient à leur état. Sortir de l' « économicisme » pour l'auteur implique d'abord de ne plus accepter ce qui est son moteur : la création de désir. Pour cela, il faut arriver à réhabiliter la notion de pauvreté volontaire qui est alors « le choix libre et éclairé d'un être humain de sa quête de bien-être conduit à vivre dans la plus grande simplicité, quel que soit le contexte extérieur. Ce choix radical traduit un désir de se libérer de toute forme de dépendance matérielle qui risquerait de nuire à cette quête. Qu'il relève de la foi religieuse ou de croyances profanes, il se fonde sur la conviction que les voies du plus-être ne sont pas celles du plus-avoir »164(*). Cet ouvrage - comme son auteur, vivant dorénavant en France et participant à des manifestations prônant la décroissance telle que les marches pour la décroissance -, est souvent cité parmi les références chez les militants. La « simplicité volontaire » entend donc inverser les valeurs dominantes, et rejeter « le culte de l'argent, de la technique, du paraître »165(*), pour réévaluer un mode de vie plus simple fait davantage de liens sociaux que de biens matériels. Mais comme le souligne Paul Ariès, cette « simplicité volontaire » - bien que nécessaire - est insuffisante parce qu'elle « ne remettrait pas en cause les structures de la société »166(*). Cette idée est présente au sein de l'AdOC puisque l'association entend non pas seulement mettre en commun ces expériences individuelles mais créer des expériences collectives. Il est besoin de mettre en cohérence et en lien des « expérimentations collectives » et ceci afin de trouver des alternatives concrètes et locales au capitalisme. Comme on l'a déjà vu, ces expérimentations prennent la forme de coopératives, de SEL ou d'Associations pour le AMAP etc. L'association des objecteurs de croissance intègrerait alors les causes de l'alter-consommation défendues localement par ces « entreprises » collectives d'un nouveau genre, non pas fondé en priorité sur le profit mais d'abord sur la réappropriation de sa consommation.

Les « uto-pistes » ou « uto-pistes concrètes »167(*) se distinguent difficilement des « expérimentations collectives », néanmoins, on peut attester d'une volonté de « monter en généralité ». Elles seraient des propositions de politique plus globales, dont la participation politique - comme nous le verrons -, permettrait de les rendre publiques.

L'AdOC apparait donc comme l'instrument permettant de mettre en lien et en cohérence des démarches locales qui, bien que s'inscrivant dans une cause semblable, ne s'inscrivaient dans la protestation que de manière latente. Cette mise en cohérence se veut donc par la même occasion construction d'un mouvement social marqué par son hétérogénéité, mais aussi par sa commune appartenance à l'anti-consumérisme et à la décroissance. Les militants de la « décroissance » font ainsi de celle-ci non pas un bloc idéologique répondant a priori à toutes les questions posées mais au contraire comme une pensée en mouvement intégrant et se construisant via l'expérimentation d'alternatives. D'ailleurs, l'AdOC se considère comme une boîte à outil de la décroissance en quelque sorte puisqu'en son sein, elle envisage la création de dispositifs permettant d'améliorer cette cohérence mais aussi de créer des nouveaux moyens de se détourner du capitalisme. Ainsi, dans les statuts de l'AdOC, il est inscrit que le collège de l'association comprend le bureau administratif, les porte-parole nationaux mais aussi des groupes de travail (« locaux et / ou régionaux »). La charte de fonctionnement interne en discussion à l'AG de Beaugency 2 (18-19 avril 2010), précise cela : « Les référents des groupes de travail doivent coordonner les réflexions et actions des personnes qui y participent et rendre compte de l'état d'avancements des travaux engagés. Ils cèdent ce rôle tous les deux ans par alternance pour assurer une continuité à un autre membre du même groupe de travail (GT) ». De nombreuses missions sont assignées à ces référents : celles de communiquer à l'intérieur et à l'extérieur de l'association (notamment via Internet, ce qui veut dire une mise à jour du site Internet), de préparer les élections et d' « analyser les expérimentations électorales autour de la décroissance », d'organiser des événements autour des thèmes de la décroissance (« rencontres, débats, projections, séminaires, conférences »), de travailler sur le fonctionnement interne de l'organisation (« travail de réflexion sur les statuts et la charte de fonctionnement interne, réflexions sur le fonctionnement des groupes locaux »), de réaliser des « projets » : « rédaction collective d'articles de fond, travail en commun sur le projet de Manifeste, animation d'ateliers de réflexion sur la gratuité, pour la mise en pratique de projets alternatifs localement, démontrant la faisabilité des idées portées par la Décroissance : villes lentes, AMAP, etc. »168(*). Si cette charte s'est construite après la première assemblée générale, son contenu n'est était pas moins dans les esprits en dépit du « manque de travail sur les statuts » durant cette réunion : « (...) en disant : on va faire la politique autrement ; on est dans une logique transitoire, logique participative et ouverte et on définissait des objectifs : organiser dans les 6 mois une nouvelle assemblée générale pour proposer des statuts et en parallèle construire une structure dans l'adoc avec un certain nombre d'ateliers, avec des groupes, des référents pour constituer des groupes locaux, par rapport aux relations extérieures (partis, autres mouvements), relations internationales et on est sorti avec un collège de 25 personnes, sur la base du volontariat avec 4 porte parole avec des référents avec des missions »169(*). L'association se veut ainsi un réservoir d'idées où chaque initiative devrait être encouragée et dont l'originalité serait sa force. En accord avec l'idée que « la Décroissance ne doit pas seulement être le but d'un tel projet mais aussi son chemin et sa méthode »170(*), l'association entend respecter la diversité des approches et même, comme on vient de le constater, inciter à la création d'initiatives. Il ne s'agit pas de tomber dans l' « unitude »171(*), mais bien respecter à la fois les identités personnelles et les différentes trajectoires, comme les multi appartenances. Ainsi, l'association - se distinguant dans l'esprit et non en droit d'un parti - se voudrait un lieu de rassemblement dans la diversité, et par là même accepterait par exemple des gens issus d'autres partis. La seule condition serait alors de s'inscrire dans la démarche de l'association : promouvoir la décroissance via différentes approches dont l'expérience politique. C'est ce second point, l'association comme instrument à la création du mouvement politique, que nous analyserons dans la partie suivante.

A) L'association comme instrument politique de la décroissance.

L'association est pensée comme le lieu où seront reliées les « expérimentations concrètes » mais aussi comme un instrument à la création d'un mouvement social et politique de la décroissance. On l'a vu, à l'intérieur des trois niveaux d'action que se propose d'investir l'association, est mentionné le champ politique. Celui-ci se devant être investi de manière « non-électoraliste ». La décroissance ayant été théorisée pour la politique et les militants de la décroissance étant dans des organisations politiques (en dépit de leur volonté d'originalité), l'association est imaginée toute entière comme un instrument de politisation. Conformément à la volonté des militants de créer un « mouvement politique », l'association entend politiser ce qui est d'ordinaire laissé au « social », ce qui n'appartient pas à la « politique électoraliste ». Ainsi, si la « politique électoraliste » reste bien un « moyen supplémentaire », toutes les actions sont amenées à être politisées et à se revendiquer d'un projet de société « décroissant » : « l'objectif c'est ça, c'est de faire un mouvement politique, c'est de rappeler que la politique c'est pas que des élections... »172(*). Néanmoins, l'investissement dans le champ politique « classique » est ce qui rassemble ceux qui ont participé à Europe Décroissance et ceux qui ont créé l'AdOC173(*) : (...)confirme sa volonté de rassembler autour de sa  plate-forme de convergence l'ensemble des Objecteurs de Croissance souhaitant intervenir sur le plan politique »174(*). Ainsi, bien que les militants soient - je le rappelle - dans l'espérance de « repolitiser la société », l'acceptation de la participation au « champ politique classique » sert de premier discriminant à l'engagement dans l'association. Même si les militants entendent être dans le champ politique en faisant de la « politique autrement », ils considèrent ce moyen comme nécessaire à la création d'une société « soutenable ». C'est dans cette perspective que les organes politiques que sont le PPLD ou le MOC (même si celui-ci n'a pas d'existence légale ; il a néanmoins été représenté dans les élections régionales : Christian Sunt s'est présenté sur les listes du Languedoc-Roussillon et on le présentait comme appartenant au MOC) étaient voués à se dissoudre à l'intérieur de l'AdOC. D'ailleurs, après la création de l'AdOC, des membres du PPLD envisageaient la prochaine AG du parti comme le moment de la dissolution. Bien que bénéficiant d'une mauvaise image, le champ politique reste un moyen efficace pour les militants de rendre visible le thème de la décroissance. La décroissance se voulant un projet de société pour ses militants, les échéances électorales se perçoivent comme des bons moyens d'exposer ses « uto-pistes ». Ainsi, les deux listes autonomes qui se sont construites pour les élections régionales ont utilisé le logo de l'AdOC et le site de cette dernière « hébergeait » la façade interactive des listes. La création de ces listes fut l'occasion pour les militants de construire ces « uto-pistes » dans une optique globale : la « relocalisation ». Conformément à l'idée de lier les niveaux d'action, ces propositions envisageaient des réformes locales basées sur des idéaux de vie plus généraux175(*). Les différentes tentatives de création de liste dans les régions témoignent bien de l'investissement qu'entendent fournir les militants de l'AdOC dans le champ politique dit « classique ». Cela se transcrit donc par la création de listes, la constitution d'un programme, et d'une démarche qui, si elle se veut originale par son contenu, n'en demeure pas moins respectueuse de la forme d'engagement conventionnelle que revêt l'élection. Ce respect, on l'a dit, transparaissait déjà dans les débuts de la « décroissance politique » où « le choix du terme parti (PPLD) s'est fait pour ancrer le mouvement dans la tradition de la démocratie représentative même si le PPLD se veut un contre-pouvoir »176(*). Les militants qui, aujourd'hui, font partie de l'AdOC sont des gens soient déjà politisés par des institutions politiques, peut être pas « traditionnelles », mais en tout cas participant activement au jeu politique institutionnel - comme Thierry, soit mués avant tout par la participation politique - comme Stéphane. Ainsi, voici le paradoxe devant lequel se trouve l'association : le socle commun des militants de l'AdOC est l'investissement dans le champ politique, et ceci afin de créer un « mouvement politique », or c'est bien ce champ politique dit « électoraliste » qui joue, dans bon nombre de cas, un rôle dés-incitateur à l'engagement. Elle intègre avant tout des militants prêts à investir le champ politique classique pour créer un « mouvement politique » qui se définit - en opposition - par l'élargissement de ce même champ. Ce paradoxe sous-tend d'emblée des limites au projet d'amener les militants à s'investir en politique - puisque c'est bien de ça qu'il s'agit aussi - pour créer ce « mouvement politique » de la décroissance. Ainsi, la prochaine partie analysera ces problèmes liés à ce paradoxe, qui pourraient venir contrarier cette volonté d'impulser une dynamique politique large.

* 157 « Préhistorique de l'AdOC ». Document de travail pour la deuxième assemblée générale de l'AdOC qui se déroula les 18 et 19 avril 2010 à Beaugency.

* 158 « Face à la radicalité de ces « crises », nous opposons une autre cohérence : celle des sorties immédiates du capitalisme et de tout productivisme par toutes les alternatives concrètes de vie déjà existantes et à créer » Plateforme de convergence de l'AdOC (p1)

* 159 Plateforme de convergence (p2)

* 160 Ibid p2.

* 161 Collectif, Produire de la richesse autrement. Usines récupérées, coopératives, micro-finance,... les révolutions silencieuses, Publicetim N°31, 2008.

* 162 Rahnema M, Quand la misère chasse la pauvreté, Paris, Fayard / Actes Sud, 2003.

* 163 Il reprend le terme de K. Polanyi qui explique comme l'économie s'est « désenchassée » du social pour acquérir un statut autonome. Polanyi K, The livelihood of man, New York, Academic Press, 1977.

* 164 Rahnema M, op cit. p201.

* 165 Ariès P, op cit. p 603.

* 166 Ibid.

* 167 Site du Mouvement des Objecteurs de Croissance (MOC)

* 168 « Charte de fonctionnement interne de l'Association des Objecteurs de Croissance (AdOC) ». Acceptée à l'AG de Beaugency 2.

* 169 Vincent, AG du PPLD 31 janvier.

* 170 Plateforme de convergence de l'AdOC, p1.

* 171 Expression provenant du vocabulaire d'extrême gauche, et visant à montrer qu'il ne s'agit pas de « fédérer pour fédérer ».

* 172 Vincent, AG du PPLD, 31 janvier 2010.

* 173 A la suite de la « réussite » de l'appel d'Europe Décroissance, les militants ont voulu poursuivre avec la création de l'AdOC, mais il y avait aussi des nouveaux venus : « Les gens de la plateforme, celle qui est sortie de Beaugency, ce sont les gens d'Europe Décroissance pour la plupart ? Ah ba oui oui oui et puis des gens nouveaux aussi. Comme on a une liste à peu près de 3000 noms. » Entretien TB, 13 janvier 2010.

* 174 « Rassembler les objecteurs de croissance » Article du 23 avril 2010 posté sur le site Internet du MOC (c'est moi qui souligne)

* 175 En annexe, le programme d'Ecologie Solidaire en Franche-Comté.

* 176 Ariès P, op cit. p 605.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus