WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Militer pour la décroissance. Enquête sur la genèse d'un "mouvement politique" de la décroissance en France

( Télécharger le fichier original )
par Mathieu ARNAUDET
Université Rennes 1 - Master 1 Science Politique 2009
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Conclusion

La décroissance est un projet politique parce qu'il entend être un projet de société et un projet citoyen visant à réinvestir le champ politique. Le projet de société, visant à transformer radicalement notre mode de vie (allant de la façon de produire - sortir du « productivisme », à la façon de consommer - sortir du « consumérisme », et que l'on peut résumer par une sortie de l' « économicisme ») ne va pas, pour les théoriciens et les militants, sans un projet de refondation du politique. Cette refondation du politique ne peut passer que par une autre façon de faire de la politique qui ne soit pas cantonnée à la recherche du pouvoir par les seules urnes mais qui doit s'étendre à l'ensemble des actes de protestation, qu'ils soient individuels ou collectifs. C'est pour cela que les militants veulent construire une organisation transcendant les champs d'action pour « politiser le social et socialiser la politique ». L'AdOC serait donc le lieu où s'épanouiraient différents projets alternatifs, reliés entre eux via l'association et par la volonté de défendre une même cause. Si la décroissance n'est donc pas une vision du monde « clef en main », mais une pensée en mouvement, qui se caractérise par les alternatives concrètes, elle n'en demeure pas moins - du fait de sa « nature » politique -, une bannière qui doit transcender l'action protestataire et déboucher sur un « mouvement politique ». Pour ce faire, l'AdOC doit amener à s'investir dans trois niveaux d'action : la « simplicité volontaire » (un choix de vie individuel frugal), les « expérimentations collectives » (les recherches alternatives pour « relocaliser » l'économie et la politique) et la présence dans le champ politique « non électoraliste » pour gagner en visibilité. Bien que les militants à l'origine de l'AdOC peuvent avoir des divergences sur la manière d'être dans ce champ, il n'en demeure pas moins qu'ils sont d'accord sur l'idée qu'il est nécessaire de s'y investir. On peut émettre l'hypothèse que cette volonté n'est pas partagée par tous ceux qui, à leur niveau, pratiquent ce que l'on a appelé une « consommation engagée »186(*). Les effets du champ politique, que nous prétendions au début minimiser, sont pourtant tangibles : ce dernier apparaît comme un terrain circonscrit à la « politique électoraliste » des institutions représentatives et de ce fait n'inspire que de la défiance pour ceux qui estiment que leur investissement local est déjà un engagement politique en tant que tel. Ainsi, il n'est pas besoin de se compromettre dans ce jeu qui dispose déjà de ses propres joueurs. Les élections, étant l'acte de la délégation, il est possible d'être représenté par des partis déjà existants, comme le NPA par exemple. Les militants politiques de la décroissance - en s'affirmant dans et par le champ politique classique -, risquent de se désunir de ceux-là même qu'ils entendent relier et politiser (autrement).

Faut-il alors abandonner l'investissement dans le champ de la « politique spectacle » et se concentrer sur la création de réseaux qui, selon Yannick Rumpala, est déjà un projet politique en lui-même187(*) : « Si la visée se situe dans la recherche d'effets structurels, il peut donc être utile de s'intéresser aux démarches de constitution ou d'activation de réseaux. La forme réseau peut en effet permettre de rassembler des acteurs hétérogènes dans un même agencement pour poursuivre collectivement un but commun, en agissant de manière coordonnée grâce à des relations d'échange et de coopération. L'échelle générale du changement envisagé supposerait d'aller au-delà d'une série d'agencements épars et de chercher davantage des voies pouvant faciliter des phénomènes de coalescence »188(*). Il pourrait s'agir alors d'un processus de contournement du champ politique afin « que le développement de la longueur, de la convergence, de l'interconnexion de ces réseaux puisse aboutir à un résultat global porteur d'effets profonds »189(*). L'AdOC pourrait être le lieu de ce travail de longue haleine. Ainsi, on peut d'ores et déjà noter que la Décroissance n'est pas seulement présente en France et qu'il existe des passerelles entre les pays, avec la Belgique par exemple ou encore l'Italie où les idées de la décroissance se sont diffusées notamment « grâce aux réseaux personnels et universitaires de Serge Latouche »190(*) (dont on enseigne les écrits). Il y a même un réseau international qui s'est créé : le Réseau des objecteurs de croissance pour l'après développement (ROCADe)191(*).

Mais, néanmoins, ce serait oublier que la décroissance est aussi et peut être surtout une utopie politique, comme nous l'avons montré dans la première partie, qui incite à l'engagement politique. Avec Sophie Bossy, on peut dire que « le niveau collectif, et particulièrement politique, est indispensable à prendre en compte pour qui a cet objectif (de changer la société) »192(*). Contrairement à la tendance actuelle du militantisme distancié et « post-it » qui est « centré sur des objectifs immédiats »193(*) du mouvement altermondialiste, les militants de la décroissance sont mués par une idéologie pouvant servir de socle fondamental à toute revendication. Si le journal La Décroissance peut être taxé de « journal sans débat »194(*) c'est bien parce qu'il est un journal de combat et il ne peut l'être que porté par une pensée suffisamment forte pour rivaliser195(*). Ainsi, même si la défiance du politique peut ralentir la construction du mouvement, il n'en demeure pas moins que, sur le long terme, la théorie politique peut amener des gens à se re-politiser via un projet de société original. Ce serait oublier également que si le mot et les idées de la décroissance se retrouvent dans des débats publics et qu'un bon nombre de personnalités prennent position vis-à-vis de cette pensée, c'est notamment grâce à la visibilité que procure l'élection. Cette difficulté de « re-politiser », les militants politiques de la décroissance en sont bien conscients et savent que cette « maison commune » pourra prendre du temps. Mais, en cohérence avec leur idéal, ils le prennent avec intelligence et humour : « ça a pris 10 ans les Verts... Cochet il nous dit que ça prendra 10 ans à construire cette maison commune... Et là en deux ans on a bien avancé hein ! (rires) »196(*)

Avec un peu plus de recule, on pourra sans doute analyser la construction du mouvement via l'étude des trajectoires des militants et se poser la question de la force de l'idéologie dans la mobilisation d'une population acquise à la recherche concrète d'un autre présent.

* 186 Dubuisson-Quellier S, op cit.

* 187 Rumpala Y, « La connaissance et la praxis des réseaux comme projet politique », Raison publique, N° 7, octobre 2007.

* 188 Rumpala Y, « La décroissance soutenable face à la question du « comment ». Une remise en perspective par les processus de transition et leurs conditions de réalisation », Mouvements, n° 59, juillet-septembre 2009, p164.

* 189 Ibid, p164.

* 190 Dubuisson-Quellier S, op cit., p102.

* 191 Avec un site en anglais, français, espagnol et italien : http://www.apres-developpement.org/accueil/index.php.

* 192 Bossy S, op cit. p11.

* 193 Luck S, op cit. p141.

* 194 Soubrouillard Régis, « La Décroissance, un journal, pas un débat ! » Marianne, 6 août 2009.

* 195 « Nous n'en dirons jamais assez de mal dans ces colonnes. Quitte à irriter. Car tout ce que nous pouvons souhaiter, c'est de nous retrouver dans dix ans au moins aussi énervés et insupportables ». Editorial pour les dix ans de l'association Casseurs de Pub. Journal La Décroissance, N° 64, novembre 2009.

* 196 Vincent, AG du PPLD, 31 janvier 2010.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille