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Militer pour la décroissance. Enquête sur la genèse d'un "mouvement politique" de la décroissance en France

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par Mathieu ARNAUDET
Université Rennes 1 - Master 1 Science Politique 2009
  

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III) Un vocabulaire alternatif partagé par les militants.

Le PPLD fut créé dans la ville de Lyon et les premiers membres vinrent essentiellement de cette ville ou de ses alentours. Mais le parti n'est pas seulement un groupe affinitaire qui serait le prolongement politique d'une revendication locale. Cette création s'inscrit dans le prolongement d'une réflexion philosophique et politique sur la décroissance, dont on peut marquer le commencement avec « Les Etats Généraux de la Décroissance Equitable » qui a eu lieu le 15 octobre 2005 à Lyon. Même si ce rassemblement eut lieu une nouvelle fois à Lyon, de nombreuses associations et collectifs y étaient présents comme les Ecolos Libertaires (représentés par Christian Sunt), les Alternatifs (représentés par Roland Mérieux), la revue Prosper (représentée par Jean Paul Lambert), ou le groupe Ecolo avec à sa tête Vincent Cheynet. Ces différents collectifs, créés et disséminés dans toute la France, montrent bien que la décroissance n'est pas la propriété d'un groupe mais avant tout une pensée qui se colporte via différents medium, notamment, comme on l'a vu, grâce aux livres et aux différentes revues. Ainsi, les personnes que j'ai interviewées sont venues « à la décroissance » notamment par la lecture :

« Comment tu es arrivé à la décroissance ? (...) « J'étais abonné à Télérama et j'ai trouvé un article de Pierre Rabhi, un petit billet comme ça, une brève, qui parlait d'agriculture, du retour à la terre. Je donne ça à mon beau frère qui est agriculteur productiviste et qui commence à dire « putain », ça lui plaît pas... Y a longtemps, c'était en 2002-2003. Il ne m'en parle pas... Un an après, je vois dans ses toilettes un bouquin : Objectif décroissance. C'était un recueil d'un article des mecs qui avaient un peu bossé sur la décroissance, genre Ariès déjà, Latouche encore, Clementin, Cheynet, toute la bande quoi, en gros tous ceux qui ont commencé après à travailler avec le journal. C'est un bouquin jaune, issu d'un colloque de 2003, que tu peux trouver maintenant sur Internet. Et là... Je sais pas mais, je sais pas ce qu'ont raconté les autres mais on est beaucoup à avoir été comme ça : la claque »49(*)

« L'idée de décroissance est venue comment ? (...) « C'est quelqu'un qui s'appelle P G, il habitait dans l'Ariège à l'époque, c'étaient des militants de longue date. Bon lui, il était résistant... Sa femme a participé à la création des Verts. Enfin bon, c'est les premiers écologistes. Ils m'ont filé des bouquins et parmi eux il y avait la décroissance de Georgescu Roegen, que j'ai gardé mais que j'ai lu il y a seulement 4-5 ans, ça faisait une dizaine d'années que je l'avais en stock... L'emprunte écologique était posée carrément, à l'époque c'était pas utilisé comme concept mais bon... »50(*)

Bien que beaucoup d'entre eux soient militants dans des collectifs alternatifs depuis longue date, c'est par la lecture de textes le plus souvent qu'ils ont pris contact avec le thème de la décroissance. Bien souvent, Internet permet de diffuser facilement et rapidement des références bibliographiques. Ainsi, SM sur le site qu'il a créé51(*) poste des articles sur des livres ici considérés comme « indispensables ». On y retrouve par exemple des livres de Serge Latouche, Vincent Cheynet, Paul Ariès ou encore Nicolas Ridoux. Il existe donc un partage du savoir théorique entre les militants, ceci étant favorisé par le profile de ces derniers, pour la plupart disposant d'un capital scolaire et culturel relativement important. Ainsi, et malgré l'échantillon limité sur lequel je m'appuie, il est remarquable que tous, à l'exception d'une seule personne52(*), possèdent un diplôme au moins égal à un Bac + 2. Les personnes interrogées possédaient toutes au moins un bac + 353(*). Grâce à cette circulation d'informations et les dispositions culturelles des militants, un vocabulaire « décroissant » s'est construit et se partage, révélant des concepts et des idées mais aussi des slogans provenant des textes faisant « références » en la matière (ne retrouve-t-on pas souvent dans la bouche des militants l'idée qu'il faudrait travailler moins pour s'instruire et lire davantage ?). Cette appropriation par les militants des outils intellectuels fait signe, en quelque sorte, vers une communauté décroissante forte d'un imaginaire et de concepts mobilisables. Pour montrer un exemple de ce « discours de la décroissance », on peut évoquer quelques discours ou conférences d'Yves Cochet54(*), député Vert à l'Assemblée Nationale et partisan d'un rapprochement des idées de son parti avec celles de la décroissance. Figure médiatique et charismatique du mouvement écologiste, Yves Cochet reprend le vocabulaire découlant de cette récente théorisation. Ainsi, le député parle d' « économicisme » renvoyant - à la suite de Georgescu-Roegen - la science économique à une idéologie voilant la réalité. Il faudrait, pour se libérer de cette emprise de l'économie, pouvoir « découpler le bonheur de la consommation ». Il s'agirait non plus de choisir entre économie libérale ou dirigiste mais de dépasser ce faux clivage dont les deux entités renvoient toutes les deux à une économie « productiviste ». Le bien être ne serait pas quantifiable par la consommation mais passe « par la relation avec les autres ». Ce qui le fait finir sa conférence en « citant ses amis décroissants pour qui moins de biens équivaut à plus de liens ». Ces quelques idées se retrouvent dans le vocabulaire des militants, ainsi que des citations d'auteurs comme Latouche ou Ariès, considérées comme représentant la pensée de la décroissance. On retrouve par exemple la « décolonisation de l'imaginaire » de Latouche, qui peut se traduire par un effort fait sur soi de se « dépolluer » de cette idéologie économiciste. On peut citer le mot « décroissance » qui, pour Paul Ariès, est un « mot-obus » destiné à briser l'idéologie dominante. Mais aussi les concepts d' « usage, le mésusage, le revenu inconditionnel, le revenu maximum etc. qui sont les traits forts vraiment de ce qu'on défend, notion de gratuité et compagnie, qu'on ne retrouve pas partout... »55(*). Ces différentes notions, on les retrouve facilement dans les discours de Paul Ariès qui, dans les médias, reprend mot pour mot des passages de ses livres espérant ainsi faire réagir le téléspectateur ou l'auditeur56(*). Mais cette pensée de la décroissance ne se cantonne pas à la construction d'un capital théorique propre mais s'inspire également de toute référence alternative qui entend déconstruire cette « idéologie économiciste » et montrer la « réalité » des choses. Ainsi, à côté des ouvrages théoriques, sur les sites Internet, on peut voir des commentaires sur des livres, des films militant contre la « mondialisation néolibérale ». Il en est ainsi par exemple sur le site du PPLD où - et notamment grâce au travail de SM responsable de la maintenance du site - des commentaires d'ouvrages récemment publiés sont postés à fréquence aléatoire.

Puisant dans un stock idéologique disparate mais en train de se théoriser, les militants de la décroissance se sont emparés de ses concepts pour en faire des références intellectuelles produisant une communauté de pensée. Celle-ci participe de façon positive à la création d'une identité particulière, tout comme le positionnement contre les autres courants de pensée, manifestant ainsi un désir de différenciation fort.

* 49 Entretien avec SM samedi 16 janvier.

* 50 Entretien avec TB mercredi 13 janvier.

* 51 Site du collectif havrais pour la décroissance : http://decroissance.lehavre.free.fr/.

* 52 Il s'agit de CL, avec qui je n'ai pas eu d'entretien mais qui m'a renvoyé le questionnaire, qui est Technicien des Bâtiments de France depuis 1991 et possède un Brevet de technicien.

* 53 Ainsi, Anne (AJ) détient une licence en Lettres et est retraitée de l'Education Nationale (professeure de lettres) ; Mathilde (MG), après des études d'histoire, obtiendra un DESS en direction de projets culturels ; Thierry (TB) est titulaire d'un DEA de Génie Biologique et Médical et est professeur des écoles ; Stéphane (SM) est professeur agrégé de Sciences Industrielles après avoir fait ses études à l'Ecole Normale Supérieur de Cachan.

* 54 Il s'agira ici d'extraits de deux interventions, l'une à l'Assemblée Nationale (que l'on peut voir sur : http://www.entropia-la-revue.org/spip.php?article35) et l'autre au Forum Libération organisé à Rennes en mars 2010 et qui avait pour thème « Le bonheur, une idée neuve ? » Y Cochet y faisait une intervention dans le débat intitulé : « Le bonheur est-il dans la croissance ? » (Débat que l'on peut entendre à l'adresse : http://www.forumlibe2010.rennes.fr/)

* 55 Entretien avec MG, le 21 décembre 2009.

* 56 On peut facilement trouver ses interventions sur Internet, notamment dans les émissions : Agora à la télévision ou Service Public à la radio (sur France Inter le 3 juin 2009)

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams