WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Stimulants matériels, catégories marchandes et transition au socialisme à  Cuba: 1959-2009

( Télécharger le fichier original )
par Jérôme Leleu
Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine UP3 - Etudes latino américaines, spécialité économie 2010
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

1) Rapports de production et forces productives

a) La loi de correspondance entre les rapports de production et le caractère des forces productives

Toutes les révolutions prolétariennes ou qui se sont proclamées comme telles, ont eu lieu dans des pays arriérés au niveau économique avec un niveau des forces productives faibles et dès lors une faible socialisation de son industrie. Sans rentrer dans les détails des exemples qui seront analysés par la suite, les pays en question ont souvent été trop vite au début de la prise de pouvoir, au niveau des nationalisations par exemple, mais ils y ont été partiellement contraints.

« (...) D'une façon générale, il se peut que le degré de développement social des forces productives de telle ou telle industrie, ou de telle ou telle entreprise industrielle, ne « justifie » pas, du point de vue de l'efficience économique immédiate, sa nationalisation, mais que celle-

ci soit parfaitement justifiée du point de vue du renforcement de la dictature du prolétariat, lorsque celle-ci exige que soit brisée la base économique du pouvoir des classes hostiles16 ».

La loi de correspondance entre les rapports de production et le caractère des forces productives auraient été exprimée par Staline quand il analysait l?économie de l?URSS17. Celle-ci fut reprise par Bettelheim dans son livre déjà cité.

La loi de la valeur a continué et continue de régir en partie la vie économique des économies planifiées, peut être car Marx et Engels prévoyaient la révolution prolétarienne dans une économie fortement industrialisée et donc où les forces productives ont atteint un niveau élevé. Elle va la régir même sur plusieurs aspects car au sein des économies planifiées il a toujours existé plusieurs formes de propriété, les moyens de production n?ayant jamais été entièrement nationalisés, du fait justement du faible développement des forces productives sur certaines exploitations agricoles par exemple. On peut donc trouver au sein de ces économies (en plus ou moins grande importance), des propriétaires privés de petites exploitations, des coopératives et ensuite le secteur complètement nationalisé.

Et la première question est de savoir qu?elle place laisser à la production privée et par là à une certaine frange de la bourgeoisie et à la petite production paysanne. L?important étant en prime abord d?allier le pouvoir prolétarien à la paysannerie et si nationalisation ou collectivisation il y a, de ne pas entraver la bonne marche du développement des forces productives. Celui-ci constituant un préalable à la construction du socialisme.

Mais même au sein du secteur nationalisé, la loi de la valeur va continuer à déterminer certains mécanismes. Nationalisation et socialisation sont deux choses différentes. Comme le notait Lénine, la socialisation implique la capacité effective de la société à comptabiliser et à répartir la production au sein de la population (donc de pouvoir calculer en temps de travail socialement nécessaire). La socialisation complète des moyens de production implique donc un certain niveau de développement des forces productives, niveau bien sûr relativement

16 BETTELHEIM, Charles, La transition vers l'économie socialiste, Op.cit.

17 STALINE, Joseph, Les problèmes économiques du socialisme en URSS, Editions en langues étrangères, Pékin, 1974.

élevé. Afin d?expliquer les raisons de l?utilisation de la loi de la valeur et l?existence de catégories marchandes au sein du secteur nationalisé Bettelheim critiquait par exemple l?analyse de Staline dans « les problèmes économiques du socialisme en URSS ». Ce dernier expliquait l?existence du calcul économique selon la loi de la valeur au sein du secteur socialisé en URSS, simplement en disant que « cela est nécessaire pour le calcul » et pour le commerce extérieur. Bettelheim répond comme ceci :

« En réalité, la méthode du matérialisme dialectique exige que l'on parte des relations sociales qui constituent l'envers du processus d'appropriation de la nature par l'homme (c'est-à-dire des rapports de production et des modes effectifs d'appropriation) Si l'on suit cette démarche et que l'on constate qu'au niveau actuel des forces productives mrme de la société socialiste la plus avancée, ce processus d'appropriation n'est pas encore un processus unique entièrement dominé par la société(...) on comprend la nécessité des échanges entre ces formes d'activités et le contenu social et économique réel des différentes formes de la propriété socialiste, de l'échange marchand socialiste, le rôle de la monnaie à l'intérieur du système socialiste »18.

Lorsque Bettelheim évoque les sociétés socialistes les plus avancées de son époque, il se réfère à la République Démocratique Allemande et à La Tchécoslovaquie. Ce qui détermine un relativement faible développement des forces productives, c?est que les centres d?activités, les unités économiques, de branches différentes et même au sein d?une même branche économique ne peuvent être et ne sont pas dépendant les uns des autres de façon globale. Cette coordination à l?échelle globale est en processus au sein des économies socialistes planifiées et tant que ce processus n?est pas arrivée à terme (et donc que le socialisme à l?échelle du territoire donné n?est pas effectif), l?existence des catégories marchandes s?avère nécessaire.

« -- partir d'une telle analyse, les différentes formes de la propriété socialiste n'apparaissent plus comme la raison « d'expliquer » l'existence de rapports marchands dans le secteur socialiste (ce qui reviendrait à expliquer des catégories économiques par une

18 BETTELHEIM, Charles, La transition vers l'économie socialiste, Op.cit.

superstructure juridique). C'est au contraire l'existence de certains rapports de production qui explique les rapports marchands et la forme juridique qu'ils doivent revetir ».

Mais à la vérité, qu?elles sont les liens entre la loi de correspondance et notre objet, à savoir le salaire aux pièces et les stimulants matériels ? Ces types de rémunération sont associés au droit bourgeois et de là à l?état des forces productives du capitalisme. Ce qui veut dire que l?élimination de ces résidus capitalistes ne sera effectif qu?au moment où les forces productives atteindront un stade plus élevé que sous le capitalisme, c'est-à-dire qu?il y aura possibilité et même nécessité d?une socialisation des moyens de production.

Tout ceci peut donc clairement éclaircir notre sujet. Le salaire, plus particulièrement le salaire aux pièces et les différentes formes de rémunération font partie de la distribution et plus précisément des rapports de distribution. L?analyse marxiste reconnaît « naturellement » que les rapports et les modes de distribution sont déterminés par l?organisation même de la production. Si à l?intérieur du secteur socialiste, des rapports marchands subsistent, à un niveau donné des forces productives, alors ces rapports marchands vont continuer à pénétrer les rapports de distribution19.Ainsi, la distribution va donc continuer à s?effectuer par des catégories marchandes telle la monnaie et le salaire.

Au niveau de la rémunération en secteur socialiste et cela nous intéressera pour la partie suivante, Bettelheim revient sur le fait que le maintien des catégories marchandes au sein du secteur socialiste, nécessite de lier la rémunération de chacun à la quantité et à la qualité de son travail (stimulants matériels). Le processus en cours qui tend à la disparition des catégories marchandes au sein des économies planifiées20 « les modifications corrélatives dans les superstructures » permettra à des comportements non économiquement intéressés d?émerger progressivement.

«La place respective des différents catégories de stimulants ne peut donc être déterminé

arbitrairement au nom de telle ou telle vision m

19 Idem.

20 On verra par la suite avec le cas de Cuba que ce processus peut ne pas être très linéaire et des périodes de régression peuvent transparaître.

socialiste, mais elle doit être liée au niveau de développement des forces productives, dont font partie les hommes eux-mêmes avec leurs connaissances, leur éducation et, plus généralement, leur culture21. »

L?analyse de Bettelheim sur laquelle s?appuie cette partie est intéressante pour la suite du sujet, cependant elle comporte de fortes limites, voire des erreurs théoriques qui seront montrées même par l?auteur dans des ouvrages ultérieurs.

b) Limite de la loi : non correspondance des rapports de production et du développement des forces productives

Continuons en premier lieu ici l?analyse de Bettelheim. Pour lui s?il n?y a pas correspondance entre les rapports de production et le développement des forces productives, s?il y a contradictions entre les deux, le développement se fera de façon irrégulier, avec des augmentations parfois lentes, parfois rapides voire des périodes de stagnation.

Cette loi fut régulièrement mise en avant par Bettelheim jusqu?au milieu des années 1960, et permettait de justifier le calcul économique, l?utilisation de la loi de la valeur durant la période de transition du capitalisme au socialisme. Il utilisera cette argument théorique durant le Grand débat Economique à Cuba de 1963-196522. Au sein de ce débat que nous relaterons plus tard, parmi les détracteurs de Bettelheim nous retrouvions, Ernesto Guevara et Ernest Mandel par exemple. Une analyse plus complète de la pensée de Guevara sur ce point mais surtout sur les stimulants matériels sera vue lorsque que nous évoquerons le Grand débat économique. Guevara considérait que dans le cas cubain, bien qu?il ft nécessaire d?utiliser certaines méthodes et techniques du capitalisme, la loi de la valeur ne devait pas régler les échanges au sein du secteur socialiste, c?est pour cela qu?il proposait une forte centralisation afin de faire fonctionner toutes les entreprises comme une seule.

21BETTELHEIM, Charles, La transition vers l'économie socialiste, Op.cit.

22 Notamment dans un article publié dans le numéro 32 de Cuba Socialista (1964). Cf. BETTELHEIM, Charles « Formes et méthodes de la planification socialiste et niveau de développement des forces productives », dans LOWY, Michael ? Che Guevara, écrit d'un révolutionnaire, La Brèche, Paris, 1987. On retrouve cet article également dans BETTELHEIM, Charles La transition vers l'économie socialiste, op.cit.

La réponse de Mandel est intéressante à analyser du point de vue théorique23. Celui-ci met en évidence que ce n?est pas l?état des forces productives (ici à Cuba) qui ne permet pas au plan de comptabiliser et de distribuer effectivement les moyens de productions et les produits mais que c?est le manque d?expérience, les défauts d?organisation, le manque de personnel24. C?est donc l?expérience de la pratique, la formation des cadres et grâce au contrôle et à l?initiative créatrice des masses que cela sera possible. De plus, Mandel est très sceptique sur la capacité future de la société de pouvoir disposer de manière intégrale (comptabilité, distribution, selon un calcul en temps de travail nécessaire selon Bettelheim) de tous les moyens de production socialisés. Le développement des forces productives provoquerait des résultats contradictoires comparés à ceux de Bettelheim car il entrainerait une intégration croissante mêlée à une plus grande diversification. A un développement optimal des forces productives une centralisation rigide se révélerait au contraire moins efficace. (Il prend l?exemple de l?URSS dont nous parlerons plus tard).

Si l?on considère les ouvrages publiés après 1965 par Bettelheim, travaux consacrés à la Chine révolutionnaire, l?on perçoit un discours moins mécanique quant à l?articulation entre les rapports de production et le caractère des forces productives. Bien qu?il admette qu?il reste une « base objective » du comportement des sociétés antérieures dans la société de transition tant que le niveau de développement des forces productives n?est pas suffisamment élevé. Il donne un rôle beaucoup plus important à l?éducation, à l?idéologie et à la pénétration du marxisme- léninisme au sein des masses :

« ,Il semble indispensable de reconnaître que ce rôle de l'éducation et de l'idéologie est d'autant plus nécessaire que les rapports de production et de propriété qui ont été mis en place par un processus révolutionnaire sont plus en avance sur le niveau de développement des forces productives à l'intérieur d'un pays donné »25

23 Cf. LOWY, Michael ? Che Guevara : écrits d?un révolutionnaire, Op.cit. L?article de Mandel fut publié dans la revue Nueva Industria de juin 1964.

24 Ont pourrait penser que l?expérience, l?organisation et le personnel qualifié font partie des forces productives.
25 BETTELHEIM, Charles, MARCHISIO, Hélène, CHARRIERRE, Jacques, La construction du socialisme en Chine, petite collection Maspero, Paris, 1968.

Il ne faudrait pas considérer que Bettelheim reprend les idées de Guevara ici. Il nous alerte sur le fait qu?il ne faut pas voir dans cette formulation que le développement de la conscience assurerait un développement des forces productives mais que c?est la conscience des contradictions réelles (entre rapports de production et forces productives) ainsi que la capacité à les dominer qui seront nécessaires aux progrès des forces productives.

Bettelheim, que l?on aurait pu auparavant qualifier d? « économiciste », accentua son discours en mettant en avant le facteur politique, en l?occurrence la lutte des classes comme conditions de la construction du socialisme c'est-à-dire l?émergence de nouveaux rapports sociaux.

« La transformation socialiste des rapports de production résulte toujours de la lutte de classe et avant tout de la lutte idéologique et politique de classes menée à l'échelle de la formation sociale26 ».

Dans la combinaison forces productives - rapports de production ce sont ces derniers qui auront le rôle dominant en imposant aux forces productives les conditions de leur reproduction.

De ce fait, le développement des forces productives ne détermine pas directement la modification des rapports de production. Cette transformation passera par la lutte des classes. Le lien mécanique entre rapports de production et forces productives est à rejeter. La lutte politique permettra aux nouveaux rapports de production d?imposer la façon dont les forces productives doivent croître, sans oublier que la croissance des ces dernières est indispensable afin de rendre pérenne les rapports de production et de leur permettre de se développer jusqu?au communisme.

26 BETTELHEIM, Charles, Révolution culturelle et organisation industrielle en Chine, Maspero, Paris, 1975

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway