I.2.b La réanimation comme événement
traumatique : un point de départ
Description de l'expérience de mort
imminente des malades de réanimation
Pour les malades qui restent conscients pendant tout le
processus qui précède l'admission en réanimation, la
défaillance des fonctions vitales a été perçue avec
une vive douleur au niveau de la fonction défaillante, le plus souvent
au niveau du thorax. Le malade conscient a alors la conviction de sa mort
prochaine. La possibilité d'être sauvé oriente les
conséquences de cette conviction vers une réaction psychique sans
doute différente depuis que les secours d'urgence existent. Elle
entraîne un espoir d'avoir la possibilité avec un état de
doute et d'attente angoissante: l'attente de l'arrivée des secours,
doutes sur l'issue des secours lors du transport du malade dans un service
d'urgence et de réanimation. A l'arrivée en service de soins, le
malade est brutalement confronté à un monde inhabituel et
étranger avec des soins agressifs réduisant son corps à
ses fonctions vitales. La récupération d'une conscience claire,
avec ou sans perte de conscience, toujours qualifiée
d' « éveil », mais avec la privation de parole,
de mouvement, la sensation de faiblesse est souvent vécue comme une
expérience d'extrême souffrance psychique.
Cette expérience est semblable à celle
décrite dans la clinique du traumatisme psychique dont le critère
essentiel est la confrontation au « Réel de la
Mort » :
« La rencontre avec le réel ne se fait
jamais parce qu'à sa place se présente une réalité
élaborée dans le réseau des représentations et
subissant ses lois. » « Ce n'est pas ce qui se
passe avec l'image traumatique. Celle-ci pénètre telle quelle
dans l'appareil psychique et ne trouve dans l'inconscient aucune
représentation pour l'accueillir, la lier, la
transformer. » ((LEBIGOT, 2001, page 94)
Mais tandis que les névroses traumatiques sont
provoquées par des événements extérieurs,
marqués par un effondrement du monde environnant, suivi d'un
effondrement psychique puis parfois d'un effondrement biologique, pour les
malades de réanimation, le processus suivrait une logique
inversée : une défaillance vitale interne et biologique est
perçue et s'accompagne de la confrontation avec le danger de mort pour
être suivi de l'effondrement des relations au monde habituel (voir
schéma ci-après) :
Temporalité du
« traumatisme » de réanimation
Nous proposons donc de faire débuter
l'événement traumatique au moment de l'espoir d'être
secouru puis de le prolonger tout au long du doute sur la survie. Il est
également possible de faire un rapprochement entre le vécu des
malades de réanimation et la description phénoménologique
du traumatisme psychique tel que décrit par CROCQ (1999).
Description phénoménologique du
traumatisme psychique de Crocq (1999)
Spécificité de
l'événement
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Observations et témoignages des
malades
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Sentiments de frayeur, d'horreur
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Horreur devant la sensation de mort imminente (asphyxie,
douleur thoracique) « Je peux pas dire. C'est trop ... » et
la conviction de mourir, puis devant les machines de maintien des fonctions
vitales. « machines maudites »
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Sentiment d'impuissance
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Impuissance devant la défaillance vitale,
prolongée par l'incapacité de mouvement des soins. « je
ne pouvais rien faire »
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Absence de secours lors de la confrontation soudaine à
la réalité de la mort pour soi-même ou pour autrui.
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Doutes sur les secours possibles puis doutes sur le pronostic,
maintien du danger. « ils me disent que tout va bien, mais moi je
sais que c'est pas vrai »
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La pensée ne peut mobiliser des attributions de
significations à l'expérience
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La pensée est perturbée pendant tout le temps de
l'hospitalisation avec moments d'absences, interprétation
persécutive, difficultés de concentration. « Tout est
allé très vite, je ne me souviens plus très
bien »
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Phénoménologie du vécu
traumatique
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Observations et témoignage des
malades
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Impression d'avoir changé, d'intrusion d'un
étranger en soi, nostalgie de n'être plus comme avant,
expérience d'être-au-monde contraints et inauthentique
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Des sentiments de ne plus se reconnaître dans
l'état de malade en réanimation. « on se
reconnaît même plus », « ce n'est pas moi
ça »
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Bouleversement de la temporalité, temps suspendu
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Les malades ne savent plus combien de jours s'écoulent,
ne cherchent pas toujours à le savoir, vivent dans le présent.
« le temps est long quand on souffre »
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Expérience de non-sens avec effondrement de 3
convictions narcissiques : invulnérabilité, protection de
l'environnement, autrui secourable
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Les malades ne pensaient pas en arriver là, peur de
rentrer chez soi ou de sortir de la réa, secours ressenti quand le
malade accepte les soins et se plie aux exigences des soins.
« tant qu'on est là, la faucheuse
guette »
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Le concept de « Stress adapté »,
issu du « syndrome général d'adaptation »
(SELYE, 1946), est un état de tension anxieuse modérée qui
permet l'adaptation à la situation (LEBIGOT, 2001, page 95). Il est
largement employé pour modéliser les troubles anxieux en
psychologie de la santé. Pour le vécu des malades de
réanimation, nous préférerons celui de « Stress
dépassé » (CROCQ, 1999) ou « Stress
aigu » (DSM-IV TR) qui représente une angoisse qui submerge
l'individu et peut déboucher sur une psychose délirante
aiguë dans le cas d'un débordement des défenses psychiques
face à la frayeur liée à un événement.
Les observations de l'état psychique des malades peu
après leur arrivée en réanimation et à la fin de
l'état de confusion est comparable à la réaction au Stress
dépassé :
Stress dépassé
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Observations et témoignages des
malades
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Sidération, stupeur, aboulie et immobilité,
inhibition motrice, trouble de l'attention, de la mémoire et de la
concentration.
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Regards de sidération, détournement des yeux,
regards fixes, immobilité complète.
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Ou Agitation désordonnées
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Agitation et mouvement désordonnés des mains sur
les draps, vêtements.
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Ou Fuite panique
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En impossibilité de mouvement, refus de soins ou
retraits des sondes et tubes par mouvements des mains.
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Ou Action automatique
Impression de rêver
Déréalisation.
Etats conversifs et psychosomatiques (ulcères
gastro-duodénaux, hypertension)
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Agrippements aux personnes, draps ou barreaux, tics,
mâchonnements des sondes, tripotements des sondes.
« ce n'est pas vrai, ce n'est pas moi »
Ulcères de stress, réactions dermatologiques,
infections, démangeaisons, crampes.
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