Pétrologie du volcanisme bimodal du Djinga
Tadorgal
(Adamaoua, Cameroun)
MBOWOU GBAMBIÉ I. B.a, NGOUNOUNO
I.a, DÉRUELLE B.b
RÉSUMÉ
Le Djinga Tadorgal est un strato-volcan, constitué
des laves basaltiques (basaltes, hawaiite), intermédiaires
(benmoréites), et felsiques (trachytes, phonolites et phonolites
hyperalcalines). Les basaltes contiennent des phénocristaux d'olivine
(Fo68--89), de diopside--augite et de Ti-magnétite.
L'hawaiite contient des phénocristaux de plagioclase
(An60--69), en plus des mêmes phénocristaux que les
basaltes. Des mégacristaux de kaersutite sont présents dans les
benmoréites. Les trachytes sont constitués des
phénocristaux de diopside-- augite, d'anorthose--sanidine, de
kaersutite, de phlogopite--biotite, de Ti-magnétite et accessoirement de
titanite. Les phonolites s.l. ont en plus des minéraux observés
dans les trachytes, des phénocristaux de néphéline,
sodalite, augite aegyrinique--aegyrine et ænigmatite. Les teneurs en
TiO2 , Fe2O3*, MgO, CaO et
P2O5 diminuent avec la silice (SiO2)
croissante, et celles en Al2O3, Na2O et
K2O augmentent. Les teneurs des éléments de transition
décroissent (sauf Zn) en fonction de Rb, alors que celles en Nb, Zr et
Th croissent. Les spectres normalisés au manteau primitif des terres
rares des laves basaltiques sont subparallèles. Pour les trachytes et
phonolites s.l., les spectres ont des anomalies négatives en Eu et une
forme caractéristique en cuillère. Les données
minéralogiques et géochimiques permettent de suggérer que
la série de laves du Djinga Tadorgal est co-génétique. Les
benmoréites résulteraient de mélanges entre magmas
basaltique et trachytique. L'origine des magmas des trachytes et phonolites
s.l. ne s'explique pas correctement, le rôle de fl uides étant
vraisemblablement primordial. Les rapports isotopiques du Sr (0,7036 <
87Sr/86Sri < 0,7042) des laves du Djinga Tadorgal excluent toute
contamination crustale.
Mots-clés: Adamaoua ; Djinga
Tadorgal ; volcanisme ; pétrologie ; géochimie.
ABSTRACT
Djinga Tadorgal strato-volcano includes basalts, hawaiite,
benmoreites, trachytes, phonolites and peralkaline phonolites. Basalts consist
of olivine (Fo68--89), diopside--augite and Ti-magnetite
phenocrysts. Except the presence of plagioclase phenocrysts (An60--69),
hawaiite contain the same phenocrysts as basalts. Kaersutite megacrysts occur
in benmoreites. Trachytes consist of diopside--augite, anorthoclase--sanidine,
kaersutite, phlogopite--biotite and Ti-magnetite phenocrysts and accessory
titanite. In addition to trachyte phenocrysts, phonolites and peralkaline
phonolites contain nepheline, sodalite, aegirine-augite--aegirine and
ænigmatite phenocrysts. TiO2, Fe2O3*, MgO, CaO and
P2O5 contents decrease with differentiation (increasing
SiO2), and Al2O3, Na2O and
K2O contents increase. Transitional elements contents decrease
versus Rb, whereas Nb, Zr and Th contents increase from basalts to peralkaline
rhyolites. Primitive mantle-normalized REE patterns for basaltic lavas are
sub-parallel. The trachyte and phonolite s.l., REE patterns have a spoon shape
characteristic and negative Eu anomalies. Geochemical and mineralogical data
suggest a co-genetic origin for Djinga Tadorgal lavas series. Benmoreites would
result from mixture between both basaltic and trachytic magmas. The origin of
trachytes and phonolites s.l. magmas has not been correctly defi ned, the role
of fluids being probably predominant. The crustal contamination cannot be
considered for Djinga Tadorgal lavas (0.7036 < 87Sr/86Sri <
0.7042).
Keywords: Adamawa; Djinga Tadorgal;
volcanism; petrology; geochemistry.
INTRODUCTION
Le Djinga Tadorgal est un strato-volcan (altitude: 1747
m) du plateau de l'Adamaoua au Cameroun, localisé entre
le craton Quest africain au nord-ouest et le craton du Congo au sud-est (Fig.
1). Le plateau de l'Adamaoua est un domaine tectono-magmatique dont la
surrection en horst s'est effectuée au Cénozoïque (Le
Maréchal et Vincent, 1971). Il est limité par des failles
bordières décrochantes de direction N70°E (Dumont et al.,
1987), qui recoupent au nord des Monts Bambouto (voir Fig. 1) l'ensemble
tectono-magmatique de la «Ligne Chaude du Cameroun» orienté
N30°E (Déruelle et al., 2007). Les ensembles volcaniques du plateau
de l'Adamaoua sont: le Tchabal Nganha (Nono et al., 1994), le Tchabal Djinga
(Ézangono et al., 1995) et la zone volcanique au nord et à l'est
de Ngaoundéré (Nkouandou et al., 2008) et celle au sud
(Déruelle et al., 1987; Temdjim et al., 2004).
Cette étude à pour but de préciser la
nature des laves du massif de Djinga Tadorgal, leurs conditions de formation et
l'origine de leurs sources magmatiques.
I. GÉOMORPHOLOGIE ET CARTOGRAPHIE
Le strato-volcan du Djinga Tadorgal est dissymétrique et
constitué de dômes et necks de trachyte et phonolite, des
brèches volcaniques et de coulées de laves basaltiques. Les
coulées de laves basaltiques couvrent plus de la moitié ( 70%) de
la zone d'étude et ont été regroupées en trois
unités: les coulées inférieures, intermédiaires et
supérieures (Fig. 2). La variation de la couleur du sol et le
degré d'altération des laves ont permis de défi nir les
zones de transition entre les différentes coulées. Les
coulées inférieures sont fortement latéritisées en
sols ferralitiques rougeâtres et contiennent des blocs de cuirasses
résiduelles. Les coulées intermédiaires sont
fragmentées en des blocs anguleux ou arrondis de dimensions comprises
entre 5 et 50 cm. Les laves basaltiques des coulées supérieures
sont peu altérées et affl eurent sous forme de buttes (hauteur :
20--80 m ; Ø ~ 400 m) fortement prismées. Les dômes et les
necks sont subcirculaires ou allongés, limités par des ravins ou
vallées et démantelés en éboulis dispersés
sur le couvert pédologique. Les brèches volcaniques surplombent
les épanchements de trachyte et de phonolite, au nord et au sud du
massif de Djinga Tador-
a - Département des Sciences de la Terre,
Université de Ngaoundéré,
E-mail:
mbowou2000@yahoo.fr
Tél. (+237) 97983066.
b - Laboratoire de magmatologie et géochimie
inorganique et expérimentale, Institut de physique du Globe de Paris,
UMR 7154, université Pierre-et-Marie-Curie et IUFM académie de
Versailles, 4, place Jussieu, 75252 Paris cedex 05, France.
Figure 1 : Carte de localisation de la
zone d'étude. La «Ligne Chaude du Cameroun s'étend de
l'île de Pagalu jusqu'au
lac Tchad. Le plateau de l'Adamaoua est une
entité volcanique distincte de la `Ligne Chaude du
Cameroun'. (modifi é
d'après Déruelle
et et al., 2007). Mbowou et al.
Figure 2 : Esquisse de la carte
géologique de la région du Djinga Tadorgal
Mbowou et al.
gal (voir Fig. 2). Elles contiennent des fragments de socle,
de laves basaltiques et felsiques, et seraient vraisemblablement les produits
de la dernière manifestation volcanique du Djinga Tadorgal.
II. PÉTROGRAPHIE ET MINÉRALOGIE
L'échantillonnage exhaustif, comprenant les laves
basaltiques (basaltes, hawaiites), intermédiaires (benmoréites)
et felsiques (trachytes et phonolites s.l.) a été effectué
au Djinga Tadorgal. Ces laves ont été nommées (Fig. 3) en
fonction de la valeur de leur indice de différenciation (I.D., Thornton
et Tuttle, 1960) et en tenant compte de la distribution des minéraux
lorsque I.D. est supérieur à 80. La présence des cristaux
de feldspathoïde (néphéline, sodalite) dans les phonolites
permet de les distinguer des trachytes. Les phonolites hyperalcalines ont des
valeurs de I.P. >1 (voir Tableau I). Le volcanisme du Djinga Tadorgal est
bimodal. La distribution des laves maintient la présence d'un hiatus
(nommé «Daly gap», Daly, 1910) très partiellement
comblé par des laves intermédiaires (benmoréites). Les
minéraux (olivine, clinopyroxène, ænigmatite, rhönite,
amphibole, micas, oxydes de fer--titane, feldspaths, feldspathoïde,
titanite, apatite) des laves du Djinga Tadorgal ont été
analysés aux microanalyseurs électroniques Camebax SX50 et SX100
à l'Université Pierre et Marie Curie, Paris 6.
2.1. Laves basaltiques
Les laves basaltiques (basaltes, hawaiite) ont une texture
microlitique porphyrique plus ou moins fl uidale. Elles sont constituées
de phénocristaux de diopside--augite (TiO2: jusqu'à
7,2 % et Al2O3 : jusqu'à 11,4 %) et d'olivine (Fo68--89 et
Fo67--85 respectivement dans les basaltes et hawaiite), dans une matrice de
microlites de diopside--augite, de Ti-magnétite, de plagioclase
(An43--71Ab53--28) et de verre. Les températures de
cristallisation estimées (d'après Roeder et Emslie, 1970) pour le
coeur des phénocristaux d'olivine des basaltes et de l'hawaiite sont
respectivement de 1224 #177; 60 °C et 1120 #177; 56 °C. Le
plagioclase de l'hawaiite a des compositions de labrador
(An60--69Ab38--30). Des phénocristaux de kaersutite sont
épars dans certains basaltes et parfois transformés en
Ti-magnétite, rhönite et phlogopite. La phlogopite
(Fe2+/ (Fe2++Mg) < 0,33) des laves basaltiques (basaltes,
hawaiites) a des teneurs en F (jusqu'à 4,7 %) et en TiO2
(jusqu'à 9,5 %) élevées. Ces teneurs élevées
en TiO2 peuvent traduire une cristallisation à des
températures élevées de l'ordre de 1100 °C, sous des
conditions de fugacités d'oxygène situées en des-sous du
tampon QFM (d'après Esperança et Holloway, 1987). La
stabilité de la rhönite dans les basaltes est restreinte à
des pressions inférieures à 0,6 kb et à des
températures comprises entre 840 °C et 1200 °C (Kunzmann,
1989).
|
Usp < 70), dans une matrice de microlites des mêmes
minéraux et de titanite.
III. GÉOCHIMIE
Les analyses chimiques des laves étudiées ont
été réalisées au CRPG de Nancy où les
échantillons ont été préalablement broyés
(Tableau I). Les détails des processus analytiques sont
présentés par Carignan et al. (2001). Les éléments
majeurs ont été analysés par ICP-AES et les
éléments en traces par ICP-MS.
3.1. Distribution des éléments
majeurs
La distribution des éléments majeurs est
présentée en fonction de SiO2 (Fig. 4). Les teneurs en
TiO2, Fe2O3*, MgO, CaO et P2O5 diminue et
celles en Al2O3, Na2O et K2O
augmentent en fonction de la différenciation (SiO2
croissant).
|
Figure 3 : Nomenclature des laves du
Djinga Tadorgal en fonction de l'indice de
différenciation
(I.D.,Thornton et Tuttle, 1960) Mbowou et
al.
Figure 4 : Diagramme de distribution des
éléments majeurs des laves du Djinga
Tadorgal en fonction de
SiO2 Mbowou et al.
3.2. Distribution des éléments en
traces
Les diagrammes de distribution des éléments en
traces ont été réalisés en fonction des teneurs en
Rb qui a été choisi comme indice de différenciation. Les
laves basaltiques (basaltes, hawaiite) ont des teneurs en
éléments de transition (sauf Zn) qui décroissent fortement
avec la différenciation (Fig. 5 ; voir Tableau 1).
2.2. Laves intermédiaires
Les laves intermédiaires (benmoréites) sont
microlitiques porphyriques et constituées de phénocristaux de
plagioclase (An19--46Ab70--49), d'anorthose--sanidine, de
kaersutite, de diopside--augite, de phlogopite--biotite, de Ti-magnétite
(39 < % Usp < 91), d'apatite et de mégacristaux de kaersutite
(6--8 cm). Des inclusions d'apatite sont présentes dans les
mégacristaux de kaersutite. La bordure de ces mégacristaux est
transformée en Ti-magnétite. Les mégacristaux et
phénocristaux de kaersutite ont des valeurs du rapport mg# (Mg/
(Mg+Fe2+)) élevées (jusqu'à 0,72). La biotite a
des teneurs en TiO2 comprises entre 8,4 et 8,8%, ce qui indique une
cristallisation en-dessous de 1000 °C (Hansen, 1980). L'apatite est riche
en F (jusqu'à 5,1%) ce qui serait lié au rôle des fl uides
magmatiques durant la cristallisation.
2.3. Laves felsiques
Les laves felsiques ont une texture microlitique porphyrique
à tendance fl uidale. Les phonolites s.l. sont constituées de
phénocristaux épars d'anorthose--sanidine maclés Carlsbad,
de clinopyroxène (diopside--augite, hedenbergite, augite aegyrinique,
aegyrine), de néphéline, de sodalite, d'ænigmatite et de
Ti-magnétite (30 < % Usp < 70), dans une matrice de microlites de
K-feldspath, d'hedenbergite, d'augite aegyrinique, d'aegyrine, d'aenigmatite et
de Ti-magnétite. La cristallisation de l'aegyrine et de l'augite
aegyrinique serait liée à l'environnement magmatique hyperalcalin
et à la chute de la température (Brousse et Rançon, 1984).
L'ænigmatite a des teneurs en TiO2 (jusqu'à 8,7 %) et
en Na2O (jusqu'à 7,1 %) élevées (Kunzmann,
1999) par rapport à celles en Al2O3 (< 1,7 %). Les teneurs
élevées en TiO2 traduisent une cristallisation tardive
(Gaeta et Mottana, 1991). L'ænigmatite résulte probablement de la
réaction entre la Ti-magnétite et le liquide magmatique
hyperalcalin sous-saturé en silice (Marsh 1975). La sodalite contient
jusqu'à 1,1 % de SO3. La cristallisation des phases
minérales riches en SO3 refl ète souvent des
conditions d'oxydation importante du magma (Di Muro et al., 2004). Les
trachytes sont constitués de phénocristaux d'anorthose--sanidine,
de diopside--augite, de phlogopite--biotite, de kaersutite, de
Ti-magnétite (30 < %
Tableau I : Compositions chimiques
représentatives des laves du Djinga Tadorgal
Figure 5 : Diagramme de distribution
des éléments de transition des laves du Djinga Tadorgal en
fonction de Rb Mbowou et al.
Les teneurs en Zr, Nb et Th sont positivement
corrélés avec celles en Rb (Fig. 6). Les teneurs en Be augmentent
légèrement des basaltes aux benmoréites. Dans les laves
felsiques, ces teneurs sont dispersées. Les teneurs en Y ne sont
comprises qu'entre 20 et 50 ppm dans toutes les laves étudiées,
sauf pour deux phonolites hyperalcalines qui en contiennent jusqu'à 130
ppm.
Figure 6 : Diagramme de distribution des
éléments incompatibles des
laves du Djinga Tardogal en
fonction de Rb Mbowou et al.
Les spectres de terres rares normalisés au manteau
primitif (McDonough et Sun, 1995) des laves basaltiques sont strictement
parallèles (Fig. 7). Les basaltes ont des valeurs du rapport LaN/YbN
élevées (14--20). Les teneurs des terres rares des
benmoréites sont élevées par rapport à celles des
laves basaltiques. Les laves felsiques (trachytes, phonolites s.l.) ont des
spectres légèrement concaves vers le haut (forme en
cuillère) ce qui correspond à un léger appauvrissement en
terres rares moyennes (Nd--Er) et des anomalies négatives en Eu.
Les spectres multiéléments (Fig. 8)
normalisés au manteau primitif (McDonough et Sun, 1995) des laves
basaltiques sont subparallèles, avec des anomalies positives en Nb-Ta.
Des anomalies négatives en P et Ti caractérisent les
40 Rev. CAMES - Série A, Vol. 11, 2010
Figure 7 : Spectre de terres rares
normalisés au manteau primitif (Mc Do-
nough et Sun, 1995) des laves
du Djinga Tardogal Mbowou et al.
spectres des benmoréites. Les spectres des laves felsiques
ont des anomalies négatives en Ba, P, Sr et Ti.
Figure 8 : Spectres
multiéléments normalisés au manteau primitif (Mc
Do-
nough et Sun, 1995) des laves du Djinga Tardogal Mbowou et
al.
IV. DISCUSSION ET CONCLUSIONS
Les laves du Djinga Tadorgal appartiennent à une
série alcaline s.l. [(Na2O + K2O) > 4 %].
Certaines sont hyperalcalines. Les variations des teneurs des
éléments majeurs et en traces peuvent être liées au
fractionnement des phases minérales observées dans les laves.
Pour les laves basaltiques (basaltes et hawaiite), la décroissance des
teneurs en MgO, Fe2O3*, CaO et celle des
éléments de transition (Ni, Co, Cr) est en accord avec la
cristallisation de l'olivine et du clinopyroxène. L'anomalie
négative en Eu des spectres de terres rares des laves felsiques peut
s'expliquer par la cristallisation de feldspaths et celles en Ba et K (spectres
multiéléments) serait liée à la cristallisation de
kaersutite, de biotite et de K-feldspath. De même, l'anomalie
négative en Ti et la diminution des teneurs en V est liée
à la cristallisation de la Ti-magnétite. La diminution des
teneurs en P2O5, allant des basaltes aux laves felsiques, ainsi que
l'anomalie négative en P présentée pour les laves
intermédiaires et les laves felsiques, peut être attribuée
au fractionnement de l'apatite. La forme en cuillère des spectres de
terres rares des laves felsiques et les valeurs élevées du
rapport Nb/Ta (~ 16) sont probablement dues à la cristallisation de la
titanite et de l'apatite (Wörner et al., 1983 ; Weaver, 1990). Les teneurs
en Zr élevées (jusqu'à ~ 2400 ppm) dans les laves
felsiques traduisent l'absence de fractionnement de phases minérales
(zircon) susceptibles de l'incorporer et/ou vraisemblablement un enrichissement
par des fl uides magmatiques (Vard et Williams-Jones, 1993), où la
cristallisation du zircon aurait été inhibée par des
liquides hyperalcalins (Watson, 1979). Des anomalies positives en Zr similaires
ont été décrites pour d'autres laves felsiques du Cameroun
(Tchabal Nganha: Nono et al., 1994; plateau Kapsiki : Ngounouno et al., 2000 ;
Ngaoundéré: Nkouandou et al., 2008).
Les laves du Djinga Tadorgal sont vraisemblablement
co-génétiques comme le suggèrent leur répartition
spatiale sur le terrain, l'évolution des compositions
minéralogiques et les corrélations entre les
éléments incompatibles. La modélisation du fractionnement
des éléments majeurs a été effectuée en
système fermé sur la base du bilan de masse, en minimisant la
somme des carrés des résidus (?r2). L'évolution
basalte--hawaiite est satisfaisante (?r2 = 0,14). La genèse des magmas
de la composition des trachytes n'a pas été concluante (?r2 >
2,0), même en utilisant des magmas de la composition de l'hawaiite. Il en
est de même en ce qui concerne l'évolution
trachyte--phonolite--phonolite hyperalcaline (?r2 > 2,0). L'évolution
des laves felsiques a vraisemblablement été accompagnée,
tardivement, de l'intervention de fl uides magmatiques comme en attestent les
données minéralogiques (présence d'apatite riche en fl uor
et de titanite).
Les mélanges entre les magmas basaltiques et felsiques
ont été suggérés pour expliquer les
caractères pétrographiques, minéralogiques et
géochimiques des laves intermédiaires (mugéarites,
benmoréites) de la vallée de la haute Bénoué
(Ngounouno et al., 2003), du plateau Kapsiki (Ngounouno et al., 2000) et des
régions au nord et à l'est de Ngaoundéré. La
présence simultanée dans les benmoréites du Djinga
Tadorgal de phases minérales caractéristiques des laves
basaltiques (plagioclase) et felsiques (kaersutite, feldspath potassique,
apatite), et la composition chimique intermédiaire de ces laves,
située dans le hiatus (Fig. 3), suggèrent une origine par
mélange magmatique. La modélisation de mélange magmatique,
effectuée par bilan de masse est satisfaisante tant pour les
éléments majeurs que pour les éléments en traces
(?r2 < 2,0). Un magma de la composition de
benmoréites a pu être produit par mélange
de liquides de compositions de basalte (41%) et de trachyte (59%).
Il est communément admis que les basaltes alcalins peu
évolués ont des concentrations en éléments de
transition de la première série relativement constantes (Co = 60
#177; 10 ppm ; Ni = 350 #177; 150 ppm; Villemant et Treuil, 1983). De telles
concentrations résulteraient d'une origine par fusion partielle d'une
source mantellique péridotitique. Les teneurs en Co et Ni (voir Fig. 5)
mesurées dans les basaltes du Djinga Tadorgal correspondent à
celles des laves moins évoluées. Des anomalies positives en Nb-Ta
caractérisent les basaltes alcalins et traduisent vraisemblablement des
teneurs élevées en Nb et Ta dans leur source magmatique. Les
faibles teneurs en K (anomalie négative en K) des basaltes du Djinga
Tadorgal seraient liées à la présence des phases
résiduelles riches en K (phlogopite et/ou amphibole) dans la source
magmatique de la région, comme proposé pour la genèse des
basaltes des secteurs, continental (Fitton et Dunlop, 1985 ; Ngounouno et al.,
2003 ; Suh et al., 2003; Rankenburg et al., 2005) et océanique (Lee et
al., 1994) de la «Ligne Chaude du Cameroun>. La présence de
phlogopite dans la source pourrait retenir non seulement K, mais aussi Rb et Ba
(Sun et McDonough 1989). Les basaltes dérivés des sources de type
HIMU ont de faibles teneurs en K (Weaver et al., 1987; Halliday et al., 1990).
Les compositions isotopiques initiales (recalculées à 10 Ma) du
Sr des laves du massif de Djinga Tadorgal (0,7036 < (87Sr/86Sr)i <0,7042)
sont faibles et similaires à celles des basaltes des domaines
océanique et continental de la «Ligne Chaude du Cameroun>
(Déruelle et al., 2007). Cette caractéristique est une preuve que
la composition des magmas à l'origine des laves du massif de Djinga
Tadorgal n'a pas été affectée par une contamination
crustale signifi cative durant l'ascension.
Le processus de cristallisation fractionnée gouverne la
différenciation des magmas parentaux de la série du Djinga
Tadorgal. Les modélisations de fractionnement effectuées sur les
échantillons du Djinga Tadorgal, bien qu'incomplètement
satisfaisantes, laissent un rôle dominant tout à fait
vraisemblable à un tel processus de différenciation. Des
mélanges entre magmas basaltiques et felsiques ont aussi
été mis en évidence pour la genèse des laves
intermédiaires. Les compositions des sources magmatiques mantelliques du
Djinga Tadorgal seraient de type HIMU (80 % de manteau appauvri et 20% de
croûte océanique altérée) et donc distinctes de
celles de la «Ligne Chaude du Cameroun>, qui est de type FOZO
(Déruelle et al., 2007).
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