3.2. Discussion
Notre étude a permis d'identifier douze espèces
culicidiennes dont la présence avait été
déjà signalée au Cameroun dans la région de
Yaoundé par Rageau et Adam (1952), Rickenbach et al. (1976b),
Fondjo et al. (1992), Manga et al. (1992), Nimpaye et al.
(2001), Fontenille et Toto (2001), Nchoutpouen (2003), Toto et Beyene (non
publié). Les espèces culicidiennes obtenues des récoltes
larvaires montrent qu'elles colonisent une large gamme de gîtes. Cx.
quinquefasciatus a été retrouvée dans 12 des 13
gîtes prospectés. Ces gîtes sont constitués pour la
plupart par des collections d'eau stagnante chargée de débris
organiques. La présence de nombreux gîtes favorables au
développement des Culex se justifierait par le niveau de
pollution organique du milieu. Ces observations sont corroborées par les
travaux de Darriet et al. (1986) qui ont montré que la forte
présence de Cx. quinquefasciatus peut être
considérée comme un marqueur biologique de l'urbanisation.
La présence d'An. gambiae s.l témoigne
de la bonne adaptation de cette espèce au milieu urbain. Les mêmes
observations ont été faites par Robert et al., 1986 ;
Trape et Zoulani, 1987 ; Fondjo et al, 1992 ; Manga et al,
1992 ; Robert et al., 2003 ; Antonio-Nkonjio et al., 2005.
L'espèce Ae. albopictus a été
retrouvée dans les creux d'arbres et les vieux pneus. Ces observations
confirment celles de Fontenille et Toto, 2001, Nchoutpouen, 2003, Simard et
al., 2005 qui ont montré que ceux-ci constituaient les
gîtes de prédilection d'Ae. albopictus au Cameroun.
Ae. aegypti vecteur urbain de la fièvre jaune au Cameroun
(Vicens et al., 1993) n'a pas été retrouvé dans
nos échantillons. Cette situation pourrait refléter le fait que
depuis l'introduction d'Ae. albopictus au Cameroun, cette
espèce tend à coloniser peu à peu les gîtes
larvaires jusqu'ici occupés par Ae. aegypti et à entrer
en compétition avec ce dernier. Une telle situation a été
observée aux Etats Unis en 1985 où l'invasion d'Ae.
albopictus a remplacé totalement Ae. aegypti (Hawley,
1988). Il est important de noter qu'Ae. albopictus est le principal
vecteur de la dengue qui est une maladie en expansion dans le monde (Gubler,
1998) et constitue de ce fait un risque potentiel pour le Cameroun. Ae.
aegypti est actuellement présent dans la partie septentrionale du
pays, où Ae. albopictus est absent (Nchoutpouen, 2003 ; Simard
et al., 2005).
La richesse spécifique de la faune culicidienne
récoltée au stade adulte est peu différente de celle que
Manga et al. (1992) ont observé à Obili, un quartier
très proche de notre zone d'étude. Les quelques divergences
observées entre notre étude et celle de Manga et al.
(1992) tiennent essentiellement au fait qu'un certain nombre de
spécimens n'ont pas été identifiés à
Obili, aux différentes méthodes de collecte
utilisées et au fait qu'Ae. albopictus n'était pas
encore présente au Cameroun en 1992.
La faune imaginale est composée à 96,9% de
Cx. quinquefasciatus. La forte dominance de cette espèce est
liée au niveau de pollution du milieu et à l'absence de
système de drainage des eaux usées qui contribuent à sa
pullulation. Des observations similaires ont été faites
également par Fondjo et al. (1992) à Nkolbikock un
quartier de Yaoundé, Diallo et al. (1998) et Diallo et
al. (2000) à Dakar au Sénégal, Robert et
al. (1986) à Diaradougou au Burkina Faso qui sont tous des
milieux urbanisés. Ceci concorde avec les observations faites aux stades
préimaginaux.
La présence des espèces Ma. africana et
Ma. uniformis s'explique par la présence de l'étang
naturel renfermant des végétaux dont les parties immergées
sont favorables au développement de cette espèce. La faible
proportion de ces espèces dans nos échantillons par rapport
à celle de Manga et al. (1992) serait liée au focardage
permanent de l'étang et aux techniques de capture utilisées.
L'absence de cette espèce dans les récoltes larvaires est en
effet liée à son écologie, car les stades
préimaginaux vivent fixés sur les parties immergées des
plantes aquatiques et la méthode de récolte que nous avons
employée ne permet pas de les atteindre. Aedes albopictus a une
activité essentiellement diurne et exophage (Hawley, 1988) et est donc
forcément sous représenté dans la capture des adultes dans
cette étude axée sur la collecte de moustique actifs la nuit
(capture par piège lumineux) et endophiles (spray).
En accord avec les recommandations des différents
comités d'éthique nationaux et institutionnels, nous avons
choisi, dans ce travail, de ne pas utiliser la technique de collecte des
arthropodes hématophages anthropophiles par capture directe sur sujet
humain. Nous l'avons remplacée ici par la technique de capture au
piège lumineux. Sur le plan qualitatif, les résultats obtenus au
cours de notre étude avec cette technique sont comparables à ceux
obtenus par la technique de spray, les mêmes espèces ayant
été échantillonnées avec les deux techniques. Sur
le plan quantitatif, les effectifs collectés restent faibles et il nous
a été en particulier impossible de détecter une
transmission palustre sur le campus en dépit d'un total de 40
équivalents homme nuit de capture (4 chambres fois 10 nuits). En effet,
un seul anophèle a été collecté par cette technique
équivalent à 0,03 piqûre par homme par nuit (pi/h/n). En
mettant ce résultat en rapport avec nos efforts de capture et celui
obtenu par la technique de capture direct sur sujet humain au quartier Dakar
(Yaoundé) par Nimpaye et al., 2001 malgré le fait que
les conditions environnementales ne soient pas exactement les mêmes, nous
remarquons qu'avec un total de 192 équivalents homme nuit de capture (8
hommes fois 24 nuits), 728 anophèles avaient été
récoltés, soit 4 piqûres par homme par nuit.
An. gambiae s.l ne représente que 0,5% de la
faune culicidienne adulte alors que de nombreux gîtes larvaires
productifs ont été observés. L'éloignement des
gîtes des chambres destinées aux captures pourrait expliquer ce
faible pourcentage. Les études sur la dispersion des anophèles
ont en effet montré qu'ils se dispersent très peu en zone de
forte densité de population humaine (Sebatineli et al., 1986 ;
Trape et Zoulani, 1987 ; Manga et al., 1992 ; Robert et al.,
2003).
L'absence des espèces Cx. poicilipes, Cx. guiarti,
Cx. chorleyi, Cx. tigripes et Cx. decens dans les chambres
découle également de leur biologie, car ces espèces sont
exclusivement zoophiles et exophiles (Jupp, 1996).
La densité culicidienne (Cx. quinquefasciatus)
a été maximale au mois de juillet quand la pluviométrie a
été minimale. Ceci pourrait être dû au fait qu'en
période de faibles précipitations, les gîtes qui sont pour
la plupart des collections d'eaux stagnantes provenant de la cité
universitaire, des restaurants universitaires et de divers laboratoires sont
peu perturbés et propices au développement des larves de
Culicidae. La densité culicidienne faible observée en
octobre résulte de l'abondance des pluies qui ont contribué au
lessivage des gîtes. L'interprétation des fluctuations d'abondance
des Culicidae en fonction des régimes des précipitations
doit aussi tenir compte de l'intervalle de temps qui existe entre les jours de
pluie et les jours de capture, car les phases de développement larvaire
du moustique peuvent durer de 8 à 12 jours (Rhodain et Perez, 1985).
L'étude taxonomique des anophèles du complexe
An. gambiae par la technique de la biologie moléculaire a
révélé la présence d'une seule espèce,
An. gambiae s.s., en accord avec les observations de Wondji et
al. (2005) quant à la distribution des espèces du
complexe au Cameroun. La détermination des formes moléculaires M
et S d'An. gambiae s.s montre que cette zone est colonisée
uniquement par la forme moléculaire M, ce qui est similaire aux
observations de Wondji et al. (2005) dans la région de
Yaoundé. Plusieurs hypothèses pourraient être
énoncées pour expliquer la présence exclusive de la forme
moléculaire M dans notre population. Il peut s'agir de l'urbanisation du
milieu (car les travaux de Wondji et al. (2005) ont montré que
la forme M était prédominante en milieu urbain et
périurbain), l'exclusion compétitive entre les deux formes (car
ces mêmes travaux ont montré que même en zone de sympatrie
une forme était toujours prédominante sur l'autre), l'isolement
écologique (deux formes M et S colonisent les gîtes
différents pour leur développement larvaire). Il serait
intéressant d'étudier l'écologie larvaire de chacune des
formes dans plusieurs localités afin de clarifier cette dernière
hypothèse.
La détermination du taux d'infection des
anophèles a été faite par la technique ELISA. La
présence de la protéine CSP n'a pas été
révélée sur les moustiques testés. Le très
faible effectif de moustiques adultes collectés (6 individus) ne permet
aucune extrapolation et nous pouvons seulement dire que la transmission du
paludisme sur le campus est en dessous du niveau de sensibilité des
méthodes que nous avons employées. Cependant, le vecteur majeur,
An. gambiae est bien présent et les résidents sont donc
exposés a un risque potentiel de transmission du paludisme.
L'importation des parasites sur le campus est très probable car la
population d'étudiants est très mobile et la durée de la
phase infectante d'un porteur de gamétocytes pour les moustiques est
compatible avec des déplacements sur de longues distances ou de longues
périodes (Bousema et al., 2004 ; Boudin et al., 2004).
De plus, l'origine géographique variée de la population
estudiantine et des souches géographiques de Plasmodium falciparum
qu'elle est susceptible de véhiculer pourrait favoriser localement
la diffusion des chimiorésistances (Shanks et al., 2005). Les
travaux antérieurs menés dans certains quartiers de la ville de
Yaoundé ont montré que le taux d'infestation des anophèles
varie de 1,2 à 5,2% (Manga et al., 1992 ; Fondjo et
al., 1992 ; Nimpaye et al., 2001). La non infection des
anophèles récoltés pourrait également être
liée à la parturité de ceux-ci, car seuls les
anophèles pares sont susceptibles d'être infectant ; nous n'avons
pas en effet étudié ce paramètre au cours de notre
étude. Les études parasitologiques et sociologiques nous
permettraient très certainement de préciser
l'épidémiologie du paludisme sur le campus. Il est important de
rappeler que des observations entomologiques similaires à celle que nous
avons observées ont été faites dans d'autres villes en
Afrique subsaharienne par Robert et al. (1986) à Bobo-Dioulasso
(Burkina Faso); Thompson et al. (1997) à Maputo au Mozambique;
Diallo et al. (1998), Diallo et al. (2000) à Dakar au
Sénégal et l'étude de la parasitémie a bien
révélé la présence de sujets humains
infectés. Il faut retenir qu'en Afrique subsaharienne des variations
importantes du niveau de transmission existent entre les villes et entre
différents quartiers au sein d'une même ville (Robert et
al., 2003).
|